L`avenir des petites fermes dans la PAC

Transcription

L`avenir des petites fermes dans la PAC
BARANT Laurie
FAURE Stéphanie
LE CUNFF Maëlig
MAUREAUD Clémentine
Tuteur : LECOLE Pauline
L’avenir des petites
fermes dans la PAC
Formation TERPPA – Décembre 2013
Résumé
L'élargissement de l'Europe et l’évolution de la Politique Agricole Commune (PAC) a eu une influence
certaine sur la structure et la taille de ses exploitations agricoles. Ainsi, la politique de modernisation et
d'intensification agricole a concouru à agrandir les exploitations de manière significative tout en diminuant
le nombre d'actifs agricoles. En outre, l'entrée progressive de nouveaux États membres a contribué à
accentuer le débat sur les petites fermes. Néanmoins, au regard de la diversité des contextes agricoles
européens, il s'avère complexe d'avoir une définition commune de ces petites fermes. Les critères
physiques, économiques et les données statistiques disponibles ne permettent pas de définir précisément
cette notion au sein de l'Union Européenne et de prendre en considération sa dimension idéologique. Les
études sur les petites fermes relatent aussi de leur intérêt en termes économique, environnemental et
territorial. Néanmoins, les services qu'elles rendent diffèrent en fonction de divers facteurs, incluant entre
autres leur taille, le type d'exploitation ou leur niveau d’intégration dans leur territoire. Dans ce contexte, la
réforme 2014-2020 de la Politique Agricole Commune marque un premier acte de leur reconnaissance avec
notamment une mesure qui leur est spécialement destinée. Dans la programmation à venir, d'autres
mesures vont aussi dans le sens d'une redistribution plus équitable des aides. Peut-on alors penser que ce
premier pas signe un tournant de la PAC ? La mise en œuvre puis l'évaluation de cette réforme, les
prochains débats politiques et l’intérêt de l’opinion publique seront de bons indicateurs sur l'avenir des
petites fermes en Europe.
L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA - 2013
Table des acronymes
CET : Contrat d’Exploitation Territoriaux
DPU : Droit à Paiement Unique
EM : Etat Membre
ETP : Equivalent Temps Plein
MAE : Mesures Agro-Environnementales
PAC : Politique Agricole Commune
PBS : Production Brute Standard
SAU : Surface Agricole Utile
SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance
UDE : Unité de Dimension Européenne
UE : Union Européenne
UTA : Unité de Travail Annuel
Table des figures
Figure 1 Graphique comparatif du pourcentage d’exploitations considérées de petite taille en fonction de
l’échelle utilisée ................................................................................................................................................. 2
Tableau 1 Analyse AFOM de la PAC en ce qui concerne les petites fermes…………. ............................... 6
2
L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA – Décembre 2013
Table des matières
I.Petites fermes ou petites exploitations : quand la définition échappe à la statistique ... 1
II. Regards sur les petites fermes : un sujet controversé .............................................................. 3
II. 1.
Un dynamisme économique relatif ................................................................................................ 3
II. 2.
Une dynamisation du tissu social rural à corréler avec l’implication des acteurs au
sein leur territoire ................................................................................................................................................. 4
II. 3. Des bénéfices environnementaux à nuancer .................................................................................. 4
III.Petites fermes et politique agricole commune, une intégration progressive ................. 5
III. 1.
III. 2.
Orientations passées de la PAC, les petites fermes hors cadre... ......................................... 5
La programmation 2014-2020, un début de reconnaissance............................................... 5
IV. Faut-il réellement soutenir les petites fermes dans la PAC aujourd’hui ? ..................... 6
V.
Bibliographie .................................................................................................................................... 7
L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA - 2013
A la sortie de la seconde guerre mondiale, l’Europe, affaiblie, doit se reconstruire. Dans de nombreux pays,
une politique volontariste de réorganisation et d’intensification de l’activité agricole est mise en marche,
redéfinissant les contours de la profession agricole et du monde rural et permettant d’assurer la sécurité et
l’indépendance alimentaire. En France, les lois Pisani de 1961 et 1962 et les réformes structurelles de l’Europe
ont amorcé un processus de restructuration et de modernisation du monde agricole, dans une optique
d’intensification de la productivité qui s’est répercutée sur le tissu même des exploitations. Le nombre
d’exploitations agricoles françaises a été divisé par 5 depuis les années 1950, avec une diminution progressive
de 3% par an (Jodier, 2010). Dans le même temps, la taille des exploitations a été multipliée par trois et la part
des actifs agricoles est passée de 27% (6,3 millions de personnes) en 1955, à seulement 3,5% en 2010 (500
000 personnes) (Gauvrit, 2012). Cette métamorphose productiviste du système a été progressivement remise
en question à la fin des années 1990 du fait de ses conséquences environnementales et des nouvelles
attentes des consommateurs en termes de sécurité sanitaire et de qualité des produits. Des mouvements
contestataires ont émergé, portés par des figures emblématiques telles que la Confédération Paysanne1. Ils
revendiquent le retour à une agriculture plus ancrée dans le monde rural, plus respectueuse de
l’environnement et créatrice de lien social. Les “petites fermes” prennent toute leur place dans ces attentes.
Peu prises en compte jusqu’à aujourd’hui et peu touchées par les dispositifs d’aides, elles ont longtemps été
considérées comme non viables et non pérennes, et donc vouées à disparaître (DGER, 2005). Néanmoins, les
statistiques montrent que la proportion des petites fermes tend à se maintenir en France, ainsi qu’en Europe
(Caron, 2003).
En parallèle, l’entrée dans l’Union Européenne de pays de l’Est, dont l’histoire agraire varie fortement de celle
des pays de l’Ouest, a accentué le débat relatif à la place des petites fermes dans les dispositifs
d’accompagnement de l’agriculture. En effet, depuis quelques années, les petites fermes ont fait l’objet d’un
intérêt croissant dans les débats politiques (European Commission, 2011). Le Commissaire à l’agriculture et au
développement rural, Dacian Ciolos, a notamment exprimé son désir de soutenir les exploitations de semisubsistance et de les conforter dans leur rôle de gestion durable des ressources naturelles et dans
l’occupation du territoire (Ciolos, 2010). Cette préoccupation croissante de la place des petites fermes dans
l’agriculture européenne soulève la question de la définition que l’on donne à ces structures. Cette synthèse
n’a pas pour objet de donner une définition précise de ce que l’on appelle une petite ferme, mais plutôt de
souligner les points de blocage qui peuvent exister dans cette définition. Elle s’attachera également à porter
un regard sur la contribution des petites fermes à l’amélioration du bilan social et environnemental de
l’agriculture européenne. Enfin, elle présentera une analyse plus critique sur la place des petites fermes dans
la Politique Agricole Commune (PAC) et sur leur avenir.
I.
Petites fermes ou petites exploitations : quand la définition échappe à la
statistique
La définition d’une “ferme” n’existe pas dans la base de données des définitions d’Eurostat, et le terme de
“petite exploitation” est celui qui a été choisi pour désigner les petites structures dans la réforme de la PAC
2014-2020. Le terme de “ferme” est souvent associé à une représentation idéologique et sociologique de
l’agriculture (Millot & al., 2005), et utiliser le terme d’exploitation permet en ce sens de conserver une
certaine neutralité. Dans la terminologie anglaise, un seul mot réunit cependant ces deux notions : “petite
exploitation” et “petite ferme” seront donc employées de manière indifférenciée par la suite. Ce débat
idéologique illustre le fait que la définition d’une « petite ferme » n’est pas acquise car elle nécessite de
définir au préalable ce que l’on entend par « activité agricole ». Il existe une pléthore de définitions et de
classifications des structures agricoles sur le territoire européen. Cette pluralité se retrouve entre Etats
Membres (EM) comme au sein même de ces derniers. En effet, il est possible de voir des différences dans la
définition de l’exploitation agricole en France, qu’elle provienne de la statistique ou du mutualisme agricole
(Millot & al., 2005). Dès lors, sur quelle notion faut-il se baser ? Malgré la présence d’un cadre commun
communautaire, on observe une diversité d’interprétations de l’exploitation agricole au sein de l’UE, ce qui
constitue un premier écueil dans la définition des “petites fermes”.
1
Syndicat agricole à vocation générale, représentatif au niveau national. Il défend les paysans dans toutes les instances de
représentation, de décision, de concertation où elle est présente au niveau national, régional et départemental.
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L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA - 2013
A l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus quant à la définition que l’on donne à une “petite ferme”, et le
débat est lancé depuis quelques années déjà sur les critères qui pourraient être utilisés pour les décrire
(European Commission, 2011). La taille des exploitations agricoles peut être appréhendée de diverses
manières, notamment par une mesure physique ou économique. La première s’évalue généralement par la
Surface Agricole Utile (SAU), la taille du cheptel, ou encore le nombre d’Unités de Travail Annuel (UTA)
(European Commission, 2011) ; (Ghib, 2013). La taille économique s’apprécie quant à elle au travers
d’indicateurs tels que la participation au marché, l’Unités de Dimension Européenne (UDE2), et plus
récemment la PBS3, à savoir le potentiel de marge brut standard sur l’exploitation. Quel que soit le critère
choisi pour la définition, celui-ci doit alors être associé à une valeur seuil, en deçà de laquelle une exploitation
agricole est considérée comme une petite ferme. Il est également nécessaire de préciser l’échelle de
définition et donc le choix du seuil, soit en valeur absolue soit en valeur relative. Ainsi, une valeur absolue qui
serait applicable à l’ensemble des EM, permettrait de créer des catégories de fermes qui différeraient
grandement de celles qui s’établiraient en appliquant un seuil en valeur relative à chacun d’entre eux
(European Commission, 2011). On peut illustrer cet
argument en comparant un nouvel EM, Malte, à un
ancien EM, la France (Figure1). Le choix d'un seuil
absolu de 2 hectares de SAU4 donne un résultat
totalement différent de celui d'un seuil relatif, du 1er
décile de la SAU de l’EM5. Cet exemple permet
d’illustrer que l’utilisation d’un seuil en valeur
absolue reviendrait à nier l’existence des petites
fermes dans certains EM, ou bien à généraliser cette
notion à des États entiers. Des résultats similaires
peuvent être observés en choisissant des seuils
différents, ou en se basant sur d’autres indicateurs.
Figure 1 Graphique comparatif du pourcentage d’exploitations
considérées de petite taille en fonction de l’échelle utilisée
Si on s’intéresse maintenant plus précisément aux
critères de définition, en commençant par la taille
physique, la définition d’un seuil unique apparaît réductrice. En effet, un tel seuil ne peut être représentatif
du fait que certaines exploitations agricoles, de type horticole par exemple, possèdent généralement une SAU
plus faible que d’autres exploitations, sans pour autant être économiquement désavantagées (European
Commission, 2011). Ainsi, en France, il est possible de considérer comme une petite ferme toute exploitation
agricole de moins de 5 ha de surface agricole utilisée, à l’exception de celles ayant par exemple plus de 100
ares en culture maraîchère ou en viticulture (Agreste, 2007). Ce raisonnement peut être appliqué de manière
similaire pour tous les indicateurs de taille physique. Il existe ainsi une multiplicité de cas particuliers qui font
que ce critère seul ne peut être utilisé pour la définition des petites fermes.
On peut alors envisager d’utiliser le critère de taille économique à ces fins. En effet, la taille économique est
très souvent liée à la viabilité et à la pérennité des exploitations agricoles et permet de définir les petites
fermes comme celles nécessitant des mesures spécifiques de soutien. Néanmoins, les indicateurs permettant
de mesurer la taille économique ne semblent refléter que partiellement les exploitations agricoles
concernées.
L’accès à l’information intervient comme une première limite. Les outils de statistique agricole ne fournissent
pas toujours de données de type économique. Par ailleurs, ils se basent sur les définitions préalables de
l’exploitation : ils excluent donc à priori une partie des structures agricoles, et leurs résultats ne sont en ce
sens pas forcément représentatifs de la population des petites exploitations (European Commission, 2011) ;
(Millot & al., 2005). D’autres indicateurs détournés sont utilisés afin de mesurer cette même taille
économique : ils sont basés sur des estimations. Un problème de fiabilité de l’information peut alors se poser,
2
1 UDE = 1200 €
La PBS est un coefficient défini à l’échelle régionale, qui représente la production potentielle de l’exploitation en ha ou en tête de
bétail (Agreste, 2008)
4
Données tirées des travaux de la CE en 2011, choix basé sur les résultats disponibles. Choix entre 2 ha et 5 ha
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5
Données tirées des travaux de la CE en 2011, choix basé sur les résultats disponibles. Seuil de 10% uniquement disponible
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L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA – Décembre 2013
selon les méthodes utilisées pour renseigner l’indicateur. C’est le cas de la participation au marché, qui est
déduite d’un niveau d’autoconsommation lui-même estimé par l’agriculteur (European Commission, 2011).
Force est de le constater, chacun des indicateurs que l'on peut utiliser afin d'établir une définition possède ses
limites. En vue de dépasser ce problème, on peut s'interroger sur l'utilisation de non pas un seul, sinon d'une
combinaison d'indicateurs, voire de critères. L'enjeu serait alors d'obtenir une représentativité des petites
fermes que l'on retrouverait à l'intersection de catégories différenciées, ce qui parait difficile au vu de
l'argumentation précédente. En outre, si les petites fermes échappent à la catégorisation statistique, c’est
également parce qu’être petit agriculteur peut être vécu comme un choix et non seulement comme un
héritage de contraintes ou une difficulté d’accès aux aides à la modernisation ou à l’installation (DGER, 2005).
Le témoignage d’une agricultrice basque souligne le fait qu’être petit peut également être le symbole d’une
résistance face à un modèle dominant (Confédération paysanne, 2013). La définition d’une petite ferme ne
peut ainsi se réduire à des critères quantitatifs, mais doit savoir intégrer une dimension idéologique.
Derrière l’idée de la définition d’une petite ferme, il n’y a pas seulement le besoin de poser en termes clairs ce
que l’on appelle une petite ferme. L’enjeu est de définir quelles structures méritent l’attention de l’Europe de
par leur participation à l’atteinte des objectifs de l’UE6 tout en y intégrant la vision de l’agriculture de chaque
EM ?
II.
Regards sur les petites fermes : un sujet controversé
Au sein d’une Europe diversifiée, l’intérêt des petites fermes pour le dynamisme du tissu rural, la création
de valeur ajoutée ou d’emploi ou la protection de l’environnement est fortement variable d’un pays ou d’un
territoire à l’autre. La perception de l’utilité des petites fermes diffère également selon les acteurs. En France,
certains acteurs clés, tels que la Confédération Paysanne, les présentent comme étant productrices de
“richesse en termes de multifonctionnalité, d’emplois, d’occupation du territoire et de maintien de la
biodiversité” (Confédération Paysanne, 2012). Les arguments suivants présentent les différents intérêts des
petites fermes en France, ainsi que les controverses ayant trait à ces derniers.
II.1. Un dynamisme économique relatif
Selon les partisans des petites fermes, celles-ci se caractérisent par une certaine forme de
diversification de la production, souvent plus importante que sur d’autres exploitations (Caron, 2003), qui
inclue une transformation des produits sur le lieu d’exploitation. Ces exploitations seraient, de plus, orientées
vers la production de qualité, valorisée par vente directe. En effet, une part des agriculteurs, considérés
comme des “entrepreneurs territoriaux” (DGER, 2005), cherche à satisfaire les consommateurs et à valoriser
les investissements réalisés. Cette démarche et cet état d’esprit permettent d’assurer la traçabilité des
produits (Millot & al., 2005). Ces pratiques permettraient de dégager davantage de valeur ajoutée au profit
de l’exploitation, voire de déboucher sur la création d’emplois lors d’un regroupement d’agriculteurs pour de
la vente en commun. De plus, les produits transformés appartiennent dans une certaine mesure au
patrimoine culinaire du territoire et peuvent contribuer à son dynamisme touristique et économique (Millot &
al., 2005).
Néanmoins, si cet argumentaire est souvent défendu, une étude sur l’efficience économique des petites
fermes a démontré le contraire. Elles seraient en effet relativement moins nombreuses à produire sous signe
de qualité (Perrier-Cornet & Aubert, 2010). Sur les exploitations étudiées, elles sont toutefois deux fois plus
souvent sous certification biologique. Par ailleurs, la diversification et la transformation sur le lieu de
production peuvent permettre la fixation de valeur ajoutée sur l’exploitation, mais celle-ci n’est pas
nécessairement corrélée à une amélioration du niveau de revenus des exploitants ; les revenus des petites
fermes sont en effet définis comme faibles (Caron, 2003). Ainsi, dans une étude menée en 2002, 63 des 94
exploitations en cours d’installation étudiées n’atteignent pas le SMIC (Caron, 2003). Pour répondre à ces
enjeux, les ménages sont parfois contraints d’aller chercher des emplois à l’extérieur des milieux agricoles
(Perrier-Cornet & Aubert, 2010). La source de revenu du ménage n’étant pas uniquement de nature agricole,
la viabilité et la durabilité des petites fermes peuvent être questionnées. Toutefois, les résultats diffusés par la
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Réponse aux défis environnementaux, territoriaux et économiques définis par la Commission Européenne
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L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA – Décembre 2013
DGER ont permis de souligner que la pluriactivité, souvent choisie, des ménages leur permet de garder une
indépendance dans leur métier d’agriculteur ainsi qu’un certain confort de vie.
En milieu rural, les effectifs de population assurés par ces structures peuvent justifier le maintien de services
publics, d’artisanat local et des commerces de proximité (Mundler, 2011). Cependant, la notion de
subsistance introduite par la classification des petites fermes (European Commission, 2011) pose la question
de leur contribution au développement économique du territoire. Dans les exploitations de subsistance ou de
semi-subsistance, il y a autoconsommation d’une partie ou de la totalité des productions par l’agriculteur.
Dans ce contexte, l’autonomie de vie de l’agriculteur ne permet pas ou peu la diffusion de valeur ajoutée de
l’exploitation vers le territoire. En revanche, les petites fermes et les moyennes fermes sont considérées
comme les lieux de condensation de l’emploi par la Commission Européenne, et représentent donc des atouts
pour les territoires considérés.
II.2. Une dynamisation du tissu social rural à corréler avec l’implication
des acteurs au sein de leur territoire
En France, certains des agriculteurs des petites fermes s’estiment très satisfaits de l’agriculture qu’ils
mettent en pratique car ils ont le sentiment de maîtriser leur activité, d’être indépendants et de pratiquer un
métier « diversifié, riche, noble et varié » (DGER, 2005). Dans cet esprit, les agriculteurs des petites fermes
peuvent devenir acteurs et moteurs de la dynamisation et du maintien du tissu social rural. D’une part, cellesci permettent le maintien des effectifs dans ces territoires ruraux, menacés par la désertification, ainsi que
l’entretien des corps de fermes, uniquement assurés par la présence des hommes et de leurs activités (Caron,
2003) ; (Millot & al., 2005) ; (Mundler, 2011). D’autre part, les agriculteurs peuvent prendre part à la vie
associative, sociale et politique de leur territoire. La vente directe permet de rendre service aux habitants des
zones rurales en assurant la permanence de l’approvisionnement en produits. Cela peut s’accompagner par la
création d’un réseau social entre le producteur et les consommateurs.
Par ailleurs, les petites fermes facilitent l’installation d’un nombre important de jeunes agriculteurs du fait de
leur faible taille physique (Millot & al., 2005). Elles assurent un renouvellement des générations et donc le
maintien d’une population rurale en rendant plus facile la transmission du foncier car le niveau
d’investissement nécessaire pour la reprise est en général assez faible. De plus, l’étude de la Confédération
Paysanne sur les installations progressives, montre que 80% des agriculteurs étudiés sont satisfaits de leur
installation car le projet de vie en milieu rural passe majoritairement avant la question du revenu (Caron,
2003). Néanmoins, si les petites exploitations semblent persister en France, leur principale tendance reste
cependant la sortie de l’agriculture du fait de la fin de carrière des exploitants (Perrier-Cornet & Aubert,
2010). Ces petites exploitations, souvent considérées comme « non-viables », peuvent de plus inquiéter les
jeunes qui souhaiteraient s’installer (Millot & al., 2005).
II.3. Des bénéfices environnementaux à nuancer
Les propriétaires des petites fermes permettent le “maintien d’un paysage ouvert” en protégeant les
terres de l’abandon des surfaces et de la création de friches. Ils participent aussi au maintien de la biodiversité
par l’entretien de petites parcelles, des haies et de cours d’eau (Millot & al., 2005). Par leurs pratiques, ils
peuvent entretenir le patrimoine bâti caractéristique de leur territoire. L’exemple de l’Italie montre que le
pastoralisme peut de plus créer des externalités positives en matière de tourisme, de lutte contre l’érosion et
de prévention des avalanches (Millot & al., 2005). En outre, ces pratiques sont propres à chaque agriculteur
et il existe une grande diversité dans leurs préoccupations et leurs comportements environnementaux (Millot
& al., 2005). Quand certains agriculteurs se disent préoccupés par ces enjeux, ils adoptent parfois de bonnes
pratiques comme la conduite de troupeaux en élevage extensif, la limitation des apports d’intrants et la
bonne gestion des effluents de production. D’autres en revanche, disent ne pas se préoccuper par exemple,
des déchets produits lors de la transformation des produits. Toutefois, il est important de nuancer ces
externalités, dont la portée est limitée par la faible taille des exploitations. (Millot & al., 2005). Cela se traduit
par la difficulté pour les petites exploitations d’être éligibles pour les mesures agro-environnementales (MAE).
Les arguments cités plus haut montrent bien la difficulté pour une petite ferme d’être viable
économiquement, respectueuse de l’environnement et socialement équitable. On peut aussi se questionner
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L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA – Décembre 2013
sur la durabilité de la multifonctionnalité des petites fermes. Ces intérêts et limites expliquent d’une certaine
manière les choix et les difficultés rencontrées dans le cadre de la PAC pour le soutien des petites fermes.
III.
Petites fermes et politique agricole commune, une intégration progressive
III.1. Orientations passées de la PAC, les petites fermes hors cadre...
Au cours de la période d'après-guerre, l’Europe a mis en œuvre une politique d’intensification de
l’agriculture et de modernisation des exploitations agricoles. Cette politique a eu entre autres comme résultat
une augmentation de la production agricole européenne et de la productivité du travail par actif, mais les
revenus des exploitants agricoles sont encore, à l’heure actuelle, faibles7 et très disparates selon le type
d’agriculture et la surface d'exploitation et au sein de l'Europe. En France, les Contrats Territoriaux
d’Exploitation (CTE), qui visaient à favoriser la multifonctionnalité de l'agriculture, n'ont que très peu touché
les petites structures. Aujourd’hui encore, les petites fermes, du fait de « leur (faible) dimension économique
sont très peu touchées par les dispositifs d'accompagnement, de formation et de développement » (Ministère
de l'Agriculture et de la Pêche, 2005) de la PAC, à l'exception de la prime d'installation. De même en
Roumanie, les exploitations (agricoles) commerciales peuvent bénéficier de soutien financier de l’UE alors que
les exploitations agricoles familiales ne peuvent profiter que de conseils gratuits ou de subventions destinées
à l’agriculture biologique (Ghib, 2013). Enfin, indirectement, certaines petites fermes selon leurs activités ou
leur localisation peuvent bénéficier d'aides particulières8. Ces aides touchent principalement les éleveurs de
bovins, d'ovins ou de caprins et les autres exploitations se trouvent donc peu prises en compte par les aides
existantes (Millot & al., 2005).
Au niveau français, on a pu observer une tentative de prendre en compte les petites fermes avec la mesure
petite ferme du PDRN (révision 2002-2003), refusée par la Commission européenne (Caron, 2003). Plus
récemment et dans un souci de valorisation du travail agricole, d’équité et de soutien au revenu, le Ministère
de l’environnement a, pour la réforme à venir, proposé de lier les paiements directs aux actifs agricoles en
Equivalent Temps Plein (ETP) (Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer,
2010). Cette aide n’a finalement pas été retenue, mais a néanmoins alimenté la réflexion du soutien aux
petites fermes.
Ces réflexions ainsi que l’entrée de nouveaux pays dans l’UE9 et les divers acteurs défendant la cause des
« petites fermes » ont contribué à faire monter le soutien des petites exploitations dans l ‘élaboration de la
programmation 2014-2020.
III.2. La programmation 2014-2020, un début de reconnaissance
Dans le cadre de la prochaine programmation européenne 2014-2020, les petites fermes font leur
entrée en scène. Avec les paiements de base (remplacement des DPU), la Commission européenne propose
un régime “petites exploitations” en leur accordant un forfait compris entre 500 et 1250€ par an dans la limite
de 10 % de l’enveloppe nationale (Commission Européenne, 2013) ; (Commission des affaires européennes,
2013). Il s’agit d’une avancée pour la cause des “petites fermes” car ce dispositif acte leur reconnaissance en
tant que telle au sein de la PAC, via une aide guichet du 1er pilier. Ce soutien forfaitaire est facultatif pour les
États membres et donc adaptable au contexte mais aussi au bon vouloir de ces derniers. Même s’il rentre
aussi dans la démarche de simplification d'octroi des aides, le montant forfaitaire est considéré comme
insuffisant par certains acteurs comme le groupe PAC 201310 qui préconise un paiement forfaitaire moyen de
2500€ sur la base des emplois existants. D’autre part, en Roumanie, le seuil de 10% maximum du budget à y
consacrer apparaît trop faible par rapport aux demandes actuelles (Ghib, 2013). Toujours dans le cadre des
paiements de base, les EM ont la possibilité de sur-primer les "premiers hectares" d'une exploitation de façon
Par exemple en France, 40% des paysans n’avaient pas le SMIC en 2001 (Perrier-Cornet & Aubert, 2010)
La prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA), la prime spéciale bovins mâles (PSBM), la prime à l'abattage
(PAB), la prime brebis chèvres (PBC), le programme d'aménagement des zones rurales (PDZR), la prime herbagère agroenvironnementale pour le maintien des prairies en gestion extensive (PHAE), ou encore l'indemnité compensatoire de handicap
naturel (ICHN)
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Il est important de noter que la proportion de petites fermes est souvent élevée dans ces nouveaux pays entrant dans l’UE.
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Créé en 2007 et composé d’organisations françaises d’environnement, de solidarité internationale et d’agriculture durable
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L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA – Décembre 2013
à aider davantage les petites et moyennes structures. La mesure ne peut dépasser 30 % de l’enveloppe
nationale. Ainsi la France a pour objectif dans cette programmation d’utiliser ce paiement redistributif pour
soutenir les petites et les moyennes exploitations. Il s’avère que ce seront surtout ces dernières qui seront les
premières bénéficiaires (Commission Européenne, 2013). Des mesures de plafonnement (facultatif) et de
dégressivité11 du premier pilier sont aussi introduites dans la réforme. Ceci aura un effet redistributif sans
pour autant être certain que ces mesures bénéficieront aux petites fermes. Nous pouvons tenir le même
raisonnement pour l’aide à l’actif qui limitera le soutien aux grandes entreprises avec une nouvelle liste
négative d'activités professionnelles exclues du bénéfice des paiements directs. Enfin, dans le second pilier,
une nouvelle mesure à destination entre autres, des « petites exploitations» sera une aide pour le démarrage
d’activités de 1500€ au maximum par exploitation de petite taille (Commission Européenne, 2013). On peut
se demander si le montant proposé est suffisant pour démarrer une activité dans les différents pays de
l’Union Européenne.
Cette programmation marque un début de prise en compte des petites exploitations avec pour la première
fois la mise en place de soutiens spécifiques dans le cadre de la PAC. Dans cette période, l’utilisation et
l’ajustement de ces mesures dans les différents EM ainsi que la mesure de l’efficacité de ces aides seront
utiles pour les réflexions en cours et à venir quant aux soutiens futurs à donner aux petites exploitations.
IV.
Faut-il réellement soutenir les petites fermes dans la PAC aujourd’hui ?
Tableau 1 Analyse AFOM de la PAC en ce qui concerne les petites fermes
Atouts
Existence d’externalités positives
La présence de nombreuses petites fermes dans les pays d’Europe de
l’Est
La volonté et l’engagement du Commissaire européen à l’agriculture et
au développement rural
Présence de représentants dans le milieu politique
Opportunités
L’intérêt de l’opinion publique
Un panel d’outils mobilisables pour le soutien aux petites exploitations
pour la nouvelle période de programmation
L’intégration de la notion de petites exploitations dans la nouvelle PAC
La définition d’indicateurs accessibles (PBS)
Faiblesses
Difficulté de les cibler et donc de leur donner des aides
Externalités positives controversées et limitées par les effets
d’échelle
Faible poids politique des partisans des petites fermes
Menaces
Les lobbies « productivistes » (agriculteurs, agrofournitures,
agro-services…)
Le choix de certaines petites fermes d’être indépendantes du
système
Est-il seulement envisageable de couvrir le champ des “petites fermes” avec une définition, quelle que
soit son échelle ? Et pourquoi vouloir donner des aides aux petites fermes si certaines n’en veulent pas ? En
outre, la multifonctionnalité n’est pas l’apanage des petites fermes : pourquoi ne pas soutenir plutôt la
production d’externalités des exploitations agricoles et se concentrer sur des profils d’agriculteurs plutôt que
sur des profils de fermes ? Cependant, nouvelles attentes et nouvelles définitions n’iraient elles pas de pair ?
La notion de “petites fermes” apparaît aujourd’hui comme une notion relais. Elle est accessible et tout le
monde peut la comprendre. Mais elle est également politisée, et tout un chacun lui donne un sens particulier,
propre à sa vision de l’agriculture. Rechercher ce qui les différencie et non ce qui les rassemble peut alors être
une piste de réflexion intéressante.
Toujours est-il, l’attention que portera l’UE aux petites fermes dans les années à venir dépendra des rapports
de force politiques au niveau de ses instances décisionnelles, de l’utilisation que vont faire les EM des outils
qui leur ont été mis à disposition, ainsi que de l’intérêt de l’opinion publique.
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Dégressivité : obligatoire, à partir de 150 000 euros d'aides, les aides octroyaient au-delà sont diminuées de 5%
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L’avenir des petites fermes dans la PAC – TERPPA – Décembre 2013
V.
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