initiative france et la finance participative
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dossier par Marion Fournier Muriel Feugère a ouvert Charivari, en plein cœur de Marseille, une boutique d’objet d’art grâce au soutien d’Initiative Marseille Métropole. Initiative France et la finance participative Parce que la finance participative s’installe dans le paysage économique français de manière incontestable, il était impossible pour Initiative France d’ignorer ce phénomène. C’est pourquoi, dès le début 2014, l’association a engagé une réflexion approfondie sur ce thème qui a abouti à un cadrage stratégique pour le réseau. ondées, entre autres, sur des rencontres avec de nombreux acteurs représentatifs de cette activité émergente, les recommandations issues de ce travail de réflexion entendent permettre aux plateformes du réseau intéressées de s’y lancer de façon sécu risée. Ces orientations, qui ont été validées par le conseil d’administration d’Initiative France, et inscrites dans le projet stratégique 2014-2018, voté par l’Assemblée générale d’Initiative France, ouvrent ce champ comme une piste d’innovation pour la croissance devant nécessairement faire l’objet d’une phase d’expérimen tation tant du point de vue des partenaires possibles que des méthodes de mises en œuvre. Une révolution financière ? Le crowdfunding – littéralement, « financement par la foule » – permet à toute personne physique ou morale de lever des fonds, en circuit court, directement auprès du grand public, via Internet. Apparu en France en 2008, ce nouveau mode de financement s’est d’abord développé sous la forme de dons contre dons et concernait essentiellement des projets culturels. Progressivement, il a évolué vers d’autres cibles dont les projets entrepreneuriaux et s’inscrit maintenant dans la panoplie des moyens de financement des très petites entreprises. En 2013, 44 % des sommes allouées par les contributeurs étaient destinés au financement d’entreprises. « Le crowdfunding est considéré comme une révolution financière à plusieurs égards : par le montant des sommes qui sont enga- gées, mais également par la dynamique qui caractérise la finance participative. Tous les ans, nous sommes témoins d’une multiplication par deux, voire par trois, des fonds collectés, du nombre de contributeurs ou encore du nombre de projets financés », explique André Jaunay, vice-président de l’association Financement Participatif France. En 2011, 7,9 millions d’euros (tous modes de crowdfunding confondus) ont été collectés et ont permis de financer 10 000 projets. En 2013, ce sont 78,3 millions d’euros qui ont été récoltés avec près de 33 000 projets financés. Plus spécifiquement, 13 812 contributeurs ont effectué près de 48 millions d’euros de prêts avec ou sans intérêts. Et pour le seul premier semestre 2014, près de 70 millions d’euros ont été collectés (tous modes de crowdfunding confondus). septembre 2014 l no 197 l 3 Trois modèles de finance participative coexistent : le don, avec ou sans contrepartie en nature ou en numéraire ; le prêt, avec ou sans intérêts ; et la souscription de titres de capital ou en fonds propres ou quasi -fonds propres, encore appelée equity, qui permet d’investir dans des PME non cotées ou tout autre type de start-up à fort potentiel. Ces modèles existent depuis de nombreuses années, mais restaient limités et confidentiels. La numérisation de la collecte permet cette croissance rapide, le phénomène de « viralité » du Web donnant toute sa puissance. Ces derniers mois en France, les plateformes de finance participative, qui ont émergé pour faire l’intermédiaire entre les porteurs de projet en quête de fonds et les contributeurs, se sont multipliées. À ce jour, rares sont celles qui atteignent l’équilibre économique, ce qui présage une évolution importante du secteur dans les prochaines années. C’est pourquoi il est raisonnable de rester en posture d’expérimentation. Un cadre juridique qui se précise. Jusque très récemment, le cadre juridique français applicable à la finance participative, notamment pour les prêts rémunérés et la prise de participation, n’était pas adapté au crowdfunding. Une réforme a été menée par le gouvernement afin de répondre à plusieurs objectifs. Le nouveau cadre réglementaire de la finance participative présenté le 14 février 2014 par Fleur Pellerin, alors ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique, a pour but de permettre le Edjing, leader mondial des applications de mix sur smartphones et tablettes, a été soutenue par Scientipôle Initiative. développement de cette activité tout en l’encadrant pour sécuriser tant les emprunteurs que les donateurs et prêteurs. L’ordonnance adoptée par le gouvernement le 30 mai dernier prévoit notamment la création de deux nouveaux statuts. Celui de Conseiller en investissement participatif (CIP) pour les plateformes de finance participative en capital – ce statut est plus souple que celui de Prestataire de services d’investissement (PSI) qui suppose des moyens plus substantiels – et le statut d’Intermédiaire en financement participatif (IFP) pour les plateformes de prêts rémunérés ou non, sachant que celles qui ne proposent que le service de don ne sont pas obligées de prendre le statut d’IFP. Ces deux nouveaux statuts sont régulés et leurs activités encadrées : les intermédiaires (CIP et IFP) doivent s’enregistrer à l’Orias, l’organisme du registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance. CIP comme IFP sont soumis à des règles de bonne conduite et de transparence très précises qui les responsabilisent. « Avec cette nouvelle réglementation, le grand public peut être assuré de recevoir une information claire et exacte, sur les risques encourus, qu’il soit prêteur ou souscripteur de titres. Les plateformes Initiative doivent s’assurer, avant d’envisager un partenariat avec une plateforme de type equity, qu’elle est bien immatriculée à l’Orias, pour les CIP, ou agréée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour les PSI. Cela vaut d’ailleurs pour les plateformes reposant sur le modèle de prêts (IFP) qui doivent être immatriculées à l’Orias », explique Natalie Lemaire, directrice des relations avec les épargnants à l’Autorité des marchés financiers (AMF). témoignage Une campagne aux répercussions inattendues La société 727 sailbags repose sur un concept original : recycler des voiles de bateaux de course usagées en articles de bagagerie, textiles et décoration d’intérieur. Erwann Goullin, Jean-Baptiste Roger et Anne Beyou, créateurs de la société, ont sollicité l’aide d’Initiative Pays de Lorient qui leur a octroyé un prêt d’honneur en 2010. Depuis, 727 sailbags connaît un développement fulgurant. Un chiffre d’affaires qui passe de 60 000 euros à près de 2 millions d’euros en seulement trois ans, une équipe qui compte aujourd’hui 16 salariés, sans compter l’ouverture d’une boutique à Lorient. Leur ambition ne s’arrête pas là, puisqu’ils projettent d’ouvrir un magasin à Paris. « En règle générale, les banquiers acceptent plus facilement d’investir dans des biens matériels, moins dans l’immatériel tel que le recrutement d’un nouveau salarié ou la communication dont nous avions pourtant besoin pour ouvrir notre boutique », explique Erwann Goullin. En novembre 2013, les trois associés s’orientent alors vers la finance participative en lançant une campagne de collecte sur le site spécialisé Unilend qui s’appuie sur un modèle original de prêt rémunéré où le taux d’intérêt final dépend de l’intérêt suscité par le projet. Les trois créateurs souhaitaient lever 100 000 euros. Leur projet provoque un vif intérêt : en trois semaines, ils reçoivent 500 offres de prêt pour un montant de 250 000 euros. Les produits de cette entreprise, l’une des dernières à confectionner de la maroquinerie en France – qui, de surcroît, évite l’enfouissement des voiles souvent non biodégradables en les recyclant – séduisent beaucoup. Les trois associés ont ainsi pu choisir les prêts les plus intéressants et réunir 100 000 euros au taux moyen de 6,81 %. Pour 727 sailbags, les bénéfices de cette campagne de crowdfunding vont au-delà de la collecte financière. Les médias, et notamment ceux que 727 sailbags voulait toucher au regard de sa clientèle, ont relayé cette campagne, générant une soixantaine de retombées presse. 4 l no 197 l septembre 2014 dossier Initiative France et la finance participative Sur le terrain Comment le réseau apprivoise la finance participative au service des entrepreneurs ? Des expérimentations régionales sont en cours. Initiative Picardie expérimente un partenariat avec Hellomerci, qui propose une collecte sous forme de prêts non rémunérés. Des projets d’entreprises implantés en Picardie et accompagnés par l’une des plateformes picardes sont mis en ligne sur « Tellement prêt », plateforme co-brandée dont la gestion du back-office est assurée par Hellomerci. Le porteur de projet doit avoir obtenu un avis favorable du comité d’agrément de la plateforme qui l’accompagne. Ensuite, il peut mettre en ligne son projet avec l’aide de la plateforme Initiative : ils déterminent ensemble la somme dont a besoin l’entrepreneur, travaillent à la promotion de son projet. « Chaque projet est accompagné d’un texte de présentation dont dépend la réussite de la collecte. Il doit être construit de manière à susciter l’intérêt du prêteur. Il s’agit d’un véritable exercice de marketing que les porteurs de projet ne maîtrisent pas forcément. Nous sommes là pour les accompagner », indique Claudine Jacob Ternisien, directrice d’Initiative Somme. Les plateformes picardes mettent également à disposition de leurs porteurs de projet leur réseau en envoyant régulièrement des mails de promotion des projets en ligne à leurs partenaires, bénévoles et prescripteurs. « L’aval des comités d’agrément sur les projets en ligne sécurise les prêteurs potentiels Aurélia RAYE, avec l’aide d’Initiative Somme, a repris à 41 ans une entreprise de fabrication et de ventes de pièces thermoplastiques par injection employant 15 salariés. qui font partie de l’environnement des plateformes et qui sont au fait de leur sérieux, leur expertise et leurs résultats », ajoute Claudine Jacob Ternisien. Ce qui permet ainsi au porteur de projet de toucher des contributeurs au-delà de son entourage. L’impact en termes de communication est considérable pour le porteur de projet qui, sans le savoir, attire ses premiers clients. Avec le soutien de la Caisse des Dépôts et de la région, les plateformes Initiative du Lan- guedoc-Roussillon envisagent de créer leur propre plateforme de crowdfunding qui s’appuierait sur le modèle du prêt sans intérêt. Cette plateforme pourrait fonctionner sur le modèle des fonds de prêt d’honneur régionaux. La gestion du back-office serait confiée à Initiative Languedoc-Roussillon. Les plateformes Initiative rattachées à la coordination s’assureraient de la viabilité des projets avant leur mise en ligne, et seraient en charge du suivi post-financement des entrepreneurs témoignage Un projet inédit sur le territoire rendu possible Paul Lescot est associé d’une exploitation céréalière – la Ferme des Coudriers – aux côtés de ses parents. Préoccupé par l’extension de la zone urbaine d’Amiens située à 5 km de son exploitation, qui limitera inévitablement la surface de ses terres agricoles, il cherche un moyen de se diversifier. Son idée ? Organiser des visites de son exploitation pour des groupes scolaires, des clubs de retraités, des centres de loisirs et faire partager son métier. Pour cela, il a besoin de financement pour acquérir le matériel nécessaire aux visites : achat de tables, de bancs, d’un petit moulin à meule de pierre manuel, ainsi que d’un vidéoprojecteur. En mars 2013, Paul Lescot avait fait la rencontre d’Initiative Somme qui lui avait accordé un prêt d’honneur pour son projet de création sur son exploitation d’une entreprise de stockage de blé, de transformation du blé en biscuits et de commercialisation de ces produits. C’est Claudine Jacob Ternisien, directrice d’Initiative Somme, qui va le familiariser avec le crowdfunding et notamment avec la plateforme « Tellement prêt ». Il décide alors de lancer sa campagne de collecte pour un montant de 2000 euros. « Il s’agit d’un exercice très intéressant qui nous permet de tester la viabilité de notre projet, de le confronter au regard du grand public et de réaliser ainsi une sorte d’étude de marché », témoigne-il. Initiative Somme l’accompagnera dans la mise en place de sa campagne. Comment exposer son projet de manière à toucher les contributeurs ? Comment mobiliser et animer son réseau pour maximiser le nombre de prêts ? Des conseils avisés en marketing et en communication que l’entrepreneur a tout de suite suivis, sans compter qu’il a pu s’appuyer sur le réseau de la plateforme. Paul Lescot a réussi sa collecte en obtenant les 2 000 euros souhaités grâce à 19 prêteurs. « Le bouche-à-oreille qu’engendre ce type de campagne nous a permis d’attirer 500 visiteurs sans faire la moindre publicité », se félicite-t-il. septembre 2014 l no 197 l 5 dossier Initiative France et la finance participative financés par la plateforme de crowdfunding. Une étude de faisabilité est en cours : elle servira la réflexion collective du réseau. « Initiative France attend les conclusions de cette étude sur le Languedoc-Roussillon avant de se positionner et recommande de ne pas s’engager dans une autre expérience du même type d’ici là », précise Louis Schweitzer, président d’Initiative France. Des plateformes qui souhaitent se lancer. Certaines ont déjà engagé une réflexion plus ou moins poussée à ce sujet. « Je considère que notre plateforme doit mettre en œuvre tous les moyens qui sont à notre disposition pour qu’un projet qui a reçu l’aval du comité d’agrément réussisse. Je trouve donc très intéressant de pouvoir proposer à nos porteurs de projet, en plus de nos prêts d’honneur et des prêts bancaires qui y sont associés, une nouvelle source de financement via le crowdfunding », déclare François Gaumet, directeur d’Initiative Périgord. Un avis que partage Éric Juan, directeur d’Initiative Pays d’Arles : « Travailler au sein d’une plateforme Initiative implique que nous portions un vif intérêt aux modèles de financement alternatif ». Comment comptent-elles procéder ? « Notre stratégie en matière de crowdfunding a été arrêtée par notre conseil d’administration. Nous ne privilégions pas un modèle de finance participative en particulier. Nous proposerons aux projets d’entreprise qui s’inscrivent dans l’économie de proximité de réaliser une campagne de collecte via une plateforme qui s’appuie sur le don. Quant aux projets innovants à potentiel nous les aiguillerons vers des plateformes de type equity qui touchent un public d’investisseurs beaucoup plus large. Actuellement, nous cherchons des plateformes de crowdfunding avec qui nous pourrions monter des partenariats en étant très vigilants quant à la pérennité de leur modèle économique », témoigne JeanPhilippe Baklouti, directeur d’Initiative Bigorre. Initiative Périgord a pris le parti de n’exclure aucun modèle de financement participatif. « Notre rôle sera d’orienter les porteurs de projet vers la plateforme de crowdfunding la plus adaptée à leurs besoins. Actuellement, nous approfondissons notre connaissance de ces plateformes et notamment de leur spécificité », explique François Gaumet. Des expérimentations conduites avec la participation de la tête de réseau. Notre réseau, très proche des entrepreneurs et à l’écoute de leurs besoins, s’est saisi de ce nouveau 6 l no 197 l septembre 2014 démarche La démarche de réflexion d’Initiative France : méthode et enseignements La méthode Au mois de mars dernier, Louis Schweitzer, président d’Initiative France, et plusieurs membres du bureau et de la coordination nationale d’Initiative France ont rencontré l’association Financement Participatif France, sept plateformes de finance participative (SPEAR, La NEF, WiSEED, UNILEND, Kisskissbankbank, Hellomerci et Anaxago) s’appuyant sur des modèles différents, des créateurs d’entreprise ayant bénéficié d’un prêt d’honneur d’une plateforme Initiative et ayant réussi, ou non, une collecte de crowdfunding, les coordinations régionales Initiative en cours d’expérimentation à leur échelle ainsi que des partenaires d’Initiative France (banques et entreprises) afin de recueillir leur avis sur la question. Quels enseignements issus de ces auditions ? Face à la diversité des modèles de plateformes de finance participative, qui fait d’ailleurs écho à la diversité des projets qu’accompagnent les plateformes Initiative, les auditions ont démontré qu’il n’était pas pertinent de nouer un partenariat avec un acteur en particulier, mais de choisir une plateforme de crowdfunding en fonction des caractéristiques de chaque projet à financer. Il faut toutefois être attentif à l’évolution de ce secteur, qui peut avoir des répercussions sur les acteurs du crowdfunding. Tous les porteurs de projet accompagnés par les plateformes Initiative ne pourront faire l’objet d’une collecte de crowdfunding. Tout d’abord, tous ne trouveront pas dans le crowdfunding une réponse financière adaptée à leur projet. De plus, le porteur de projet qui souhaite lancer sa campagne de crowdfunding doit nécessairement être en capacité de solliciter des contributeurs au sein de son propre réseau. La réussite de sa campagne en dépend. Enfin, pour les entrepreneurs que les plateformes Initiative jugeront éligibles, les bénéfices d’une collecte de crowdfunding dépasseront le simple apport financier. Quels sont les intérêts pour le réseau Initiative de s’engager aux côtés des acteurs du crowdfunding ? La finance participative présente une réelle opportunité pour certains porteurs de projet en termes de ressources, de communication et de mobilisation de leurs premiers clients. En s’engageant sur cette voie, le réseau Initiative est en cohérence avec sa vocation d’« ensemblier » financier et renforcera ainsi sa position d’acteur incontournable dans la chaîne du financement des TPE. Enfin, la notoriété du réseau ne pourra que se développer, notamment auprès des porteurs de projet. Une attention particulière devra toutefois être portée aux risques d’image que peuvent entraîner des défauts de remboursement. Les contributeurs pourraient les attribuer aux acteurs qui ont accompagné les projets qu’ils ont financés. mode de financement en entrant dans une phase d’expérimentation et d’apprentissage d’une durée maximale de deux ans. Louis Schweitzer s’en félicite. « Ces expérimentations seront conduites avec l’appui et la participation de la tête de réseau, qui capitalisera toutes les expérimentations menées, afin d’en tirer les conclusions nécessaires et de définir des axes sur lesquels pourrait s’engager le réseau de façon pérenne. Quelques règles devront être respectées dans ces expérimentations, afin de se prémunir des risques aujourd’hui identifiés », explique-t-il. Ces règles sont les suivantes : signer une convention de partenariat tripartite entre la plateforme de crowdfunding, la plateforme ou la coordination régionale Initiative et la tête de réseau, ne pas créer de plateforme de finance participative en propre, ne pas utiliser une plateforme existante en marque blanche, et, pour finir, s’assurer que la plateforme de finance participative joue pleinement son rôle d’information et de transparence vis-à-vis des porteurs de projet et des prêteurs en vérifiant que la plateforme est bien immatriculée à l’Orias ou à l’ACPR, selon son type.