Balzac, La Cousine Bette Séance 1. Biographie de Balzac (1799

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Balzac, La Cousine Bette Séance 1. Biographie de Balzac (1799
Balzac, La Cousine Bette
Séance 1. Biographie de Balzac (1799, Tours, 1850, Paris, 51 ans)
- Romancier, dramaturge, critique littéraire, critique d'art, essayiste, journaliste et imprimeur
Balzac biographie
Enfance
Enfance et adolescence tourangelles, loin de l’affection de sa mère
1799 nait à Tours de Bernard-François Balssa (ayant transformé son patronyme
en Balzac 30 ans après, 53 ans, aîné d’une famille de 11 enfants fils de laboureurs,
directeur des vivres de la 22ème division militaire à Tours, puis administrateur de
l'Hospice général de Tours et adjoint au maire.) et de Anne-Charlotte-Laure
Sallambier (21 ans, d’une famille de petits bourgeois parisiens drapier et mercier).
Balzac en garda le souvenir en faisant de M. Guillaume, dans La Maison du Chatqui-pelote, un maître drapier de la rue Saint-Denis et de la cousine Bette, une
ouvrière en passementerie.
1802 : Laurence-Sophie naît, son acte de baptême est l'occasion de l'adjonction de
la particule au nom familial pour toute la famille.
Placé pendant 4 ans en nourrice avec sa sœur Laure née en 1800 à côté de Tours, peu de visites des parents.
Devenu adulte, Balzac a interprété cet éloignement de manière sévère, prétendant n'avoir été que "l'enfant du
devoir conjugal" et avoir été mal aimé voire haï par sa mère. De ce fait, les mauvaises mères abondent dès
les romans de jeunesse puis dans La Comédie humaine.
1807-1813 : pensionnaire au collège de Vendôme, prétend a posteriori n'avoir reçu que deux visites de sa
mère et avoir comblé cette solitude par une débauche de lectures.
Mme Balzac tenait salon, entretenant sans doute une liaison avec un noble réfugié espagnol et Jean de
Margonne : le dernier enfant né au foyer des Balzac, Henri-François 1807 était en réalité son fils naturel.
15 ans : départ de la famille pour Paris
Étudiant en droit
16 -19 ans : étude de droit, travaille comme clerc d'avoué, puis clerc de notaire. Cette expérience
professionnelle lui fit découvrir l'envers de la société parisienne et les secrets de famille parfois inavouables
dont bien des romans de La Comédie humaine se sont faits l'écho. Cf. le Colonel Chabert.
20 ans, obtient son baccalauréat en droit.
L'apprenti écrivain : 21 ans-26 ans, une dizaine de romans
Refuse de devenir notaire, veut devenir écrivain. Son père accepte, lui laisse deux ans pour faire ses preuves.
Loue une chambre misérable, écrit une première tragédie Cromwell, qu’il fait lire à un ami de la famille,
échec. Se lance dans l’écriture de romans commerciaux, en vogue, sous le pseudonyme de lord R'Hoone
puis d'Horace de Saint-Aubin.
L’entrepreneur malheureux, couvert de dettes
libraire-éditeur de Molière et de La Fontaine, imprimeur sans succès. Grande dette, fuit ses créanciers,
utilise faux noms pour locations.
1831, 32 ans : La peau de chagrin : son premier best seller, œuvre fantastique qui se passe dans le Paris
contemporain. Multiplication des publications : en un an 12 contes philosophiques, 12 contes drolatiques, 2
romans
Conquêtes féminines : revers et succès
1832 : début de correspondance avec l’étrangère, avec Eve Hanska, comtesse polonaise mariée, qui
deviendra sa femme en 1850 (+ de 400 lettres conservées), après la mort de son mari en 1842, non sans
peine, puisque B la trompait à Paris, alors qu’elle résidait à Saint Pétersbourg
Un génie s'éteint :
Mars 1850 épouse Mme Hanska, il est très malade.
Victor Hugo fut le dernier à lui avoir rendu visite, quelques heures avant son décès survenu le 18 août 1850
à onze heures et demie du soir. Le 23 août, Hugo prononça sur la tombe du romancier, au cimetière du Père
Lachaise, un magnifique éloge funèbre.
Extrait
« Messieurs, le nom de Balzac se mêlera à la trace lumineuse que notre époque laissera à l'avenir.
M. de Balzac faisait partie de cette puissante génération des écrivains du dix-neuvième siècle qui est venue après Napoléon […]
M. de Balzac était un des premiers parmi les plus grands, un des plus hauts parmi les meilleurs. Ce n'est pas le lieu de dire ici tout
ce qu'était cette splendide et souveraine intelligence. Tous ses livres ne forment qu'un livre, livre vivant, lumineux, profond, où
l'on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d'effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation
contemporaine; livre merveilleux que le poète a intitulé comédie et qu'il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et
tous les styles, qui dépasse Tacite et qui va jusqu'à Suétone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu'à Rabelais; livre qui est
l'observation et qui est l'imagination; qui prodigue le vrai, l'intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moment, à travers
toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal.
À son insu, qu'il le veuille ou non, qu'il y consente ou non, l'auteur de cette oeuvre immense et étrange est de la forte race des
écrivains révolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit corps à corps la société moderne. Il arrache à tous quelque chose, aux
uns l'illusion, aux autres l'espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque. Il fouille le vice, il dissèque la passion. Il creuse et
sonde l'homme, l'âme, le coeur, les entrailles, le cerveau, l'abîme que chacun a en soi. Et, par un don de sa libre et vigoureuse
nature, par un privilège des intelligences de notre temps qui, ayant vu de près les révolutions, aperçoivent mieux la fin de
l'humanité et comprennent mieux la Providence, Balzac se dégage souriant et serein de ces redoutables études qui produisaient la
mélancolie chez Molière et la misanthropie chez Rousseau.
Voilà ce qu'il a fait parmi nous. Voilà l'oeuvre qu'il nous laissé, oeuvre haute et solide, robuste entassement d'assises de granit,
monument, oeuvre du haut de laquelle resplendira désormais sa renommée. Les grands hommes font leur propre piédestal; l'avenir
se charge de la statue. »
Postérité
-Lu et admiré dans toute l'Europe, Balzac a fortement influencé les écrivains de son temps et du siècle
suivant :
* Le roman L'Éducation sentimentale de Gustave Flaubert est directement inspiré du Lys dans la vallée,
* Madame Bovary de Gustave Flaubert est inspiré de La Femme de trente ans.
*invente le principe du retour de personnages romanesques évoluant et se transformant au sein d'un vaste
cycle romanesque que reprend Émile Zola (les Rougon-Macquart, histoire naturelle d'une famille sous le
Second Empire, 20 romans de 1871 à 1893) et Marcel Proust par exemple (La Recherche du temps perdu
1906-1922) :
* dans la CB : Vautrin (Le Père Goriot; Illusions perdues ; Splendeurs et misères des courtisanes…);
Crevel (César Birotteau), maréchal Hulot (les Chouans)
- L'écrivain chinois Dai Sijie lui rend hommage avec Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, 2002.
-lutte pour le respect des droits d'auteur et contribue à la fondation de la Société des gens de lettres, fondée
en 1838 avec George Sand, Victor Hugo, et Alexandre Dumas père, en faveur de la propriété littéraire et
des droits des auteurs (membres futurs : Guy de Maupassant, Émile Zola…). C’est une association d'auteurs
gérée par des auteurs, dont la vocation est de défendre le droit moral, les intérêts patrimoniaux et le statut
juridique et social de tous les auteurs de l'écrit.
-santé fragile, bourreau de travail : 29 [avril] 1842.
[…] Pour écrire, ainsi que je l'ai toujours fait, des ouvrages au pied levé, en sept ou dix ou quinze jours, il faut se lever à deux
heures dans la nuit et travaille quinze heures de suite; pendant les intervalles, on pense aux fils de l'intrigue, aux scènes, à leur
disposition. Écrire à celle qu'on aime le plus au monde exige qu'on dépose le fardeau des pensées littéraires et des
combinaisons dramatiques; est-ce toujours possible? Puis, mettez avec cela les exigences des affaires, des conférences, des
courses!... Les vingt-quatre heures, dont sept appartiennent au sommeil, sont toujours trop courtes. La plupart du temps, je ne
me soigne pas corporellement ; je n'ai ni le temps de me baigner, ni de m'habiller, ni de me raser. Et il y a nombre de gens qui
me veulent mis comme un dandy, qui passe à s'attifer autant de temps que j'en passe à écrire. Ajoutez à ceci que vous écrire,
c'est tomber dans le paradis de mes souvenirs et dans l'enfer des espérances retardées et qu'alors, je m'absorbe, je rêve; vous,
c'est ma débauche, c'est mes rêveries heureuses, c'est les flâneries de mon âme! Oh! si vous saviez quels regards je jette sur ce
paysage et sur ce portrait, alternativement ; combien de vie et d'éloquence ! il y a mille pages de lettres écrites, jetées en cinq
secondes! Que d'appels à l'avenir, que de consolations j'y trouve dans les accablements, dans les grandes injustices que je
souffre dans les détresses! — Ordinairement, quand je puis vous écrire quelques lignes, c'est et ce fut toujours le matin, en me
levant, en attendant que mes esprits reviennent et soient en état de reprendre les travaux de la veille. Vous êtes ainsi la
continuation de mon sommeil, de mon temps heureux.
Je ne crois pas que j'atteigne à l'année prochaine sans quelque catastrophe de fortune ou de santé. Je ne puis plus soutenir cette
lutte tout seul, après quinze ans de constants travaux ! Créer, toujours créer ! Dieu n'a créé que pendant six jours! Aussi, mes
dettes payées, vivre dans un coin, Russie ou France, sans entendre parler de quoi que ce soit, en compagnie d'un amour comme
le vôtre, est une idée que je caresse beaucoup plus que celle des grandeurs que vous me reprochiez. Voudrez-vous de cette âme
lassée, de cet esprit fatigué, quoique le cœur soit resté pur et enfant? Oh! dites-le-moi souvent et rendez-moi plus doux encore
cet oreiller sur lequel repose si souvent ma tête, ce joli oreiller de peau qui m'a fait m'exclamer comme un badaud de Paris.
21 décembre 1842.
Je ne sais pas si vous verrez quelque jour ce que c'est que d'écrire trois cent cinquante feuillets de mon écriture en vingt-cinq
jours ; mais c'est de ces tours de force où l'on risque sa santé, et il le faut. Je suis dans un étau, l'étau qui a fait faire à Rossini
ses opéras.
-très endetté
20 janvier 1843.
Ce terrible besoin d'argent, — car il faut vivre et toujours trouver cinq cents francs par mois dans mon encrier et dans ma
cervelle, ce qui me condamne à toujours créer, — ce besoin, qui vient de me faire écrire Honorine en trois jours, du 20 au 28
décembre, va me faire encore écrire, d'ici à trois jours, le Dernier Amour. Vous ne sauriez croire à quel point la nécessité
m'humilie !
-nombreuses maitresses
-amour malheureux avec la comtesse Hańska
Séance 2. Balzac et la Comédie humaine (1829 à 1850)
- au départ Balzac comptait faire 137 romans, mais il meurt avant et laisse derrière lui des titres et des
ébauches, on compte donc un ensemble de plus de 90 ouvrages achevés — romans, nouvelles, contes et
essais — de genres réaliste : Le Père Goriot ; Eugénie Grandet,
(Balzac décrit la montée du capitalisme et l'absorption par la bourgeoisie d'une noblesse incapable de
s'adapter aux réalités nouvelles)
Romantique : Le Lys dans la vallée
Fantastique : La Peau de chagrin
Philosophique : Le Chef-d'œuvre inconnu
Une composition complexe :
Balzac a beaucoup insisté sur l'architecture d'ensemble de son œuvre, qui formait un tout, et dont le plan «
embrasse à la fois l’histoire et la critique de la Société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses
principes. », Avant-Propos à La Comédie humaine.
Études de mœurs
Scènes de la vie privée
Scènes de la vie de province
Scènes de la vie parisienne
Scènes de la vie politique
Scènes de la vie militaire
Scènes de la vie de campagne
Études philosophiques
Études analytiques
-but : « écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs » et « faire concurrence à l'état civil »
par une « histoire naturelle de la société », explorant de façon systématique les groupes sociaux et les
rouages de la société afin de brosser une vaste fresque de son époque susceptible
de servir de référence aux générations futures. Cf.
Avant-Propos à La Comédie humaine.
-retravaille sans cesse son œuvre :
Une fois reconnu comme écrivain, il corrige
inlassablement les épreuves de ses romans, exigeant
qu'elles soient parfois reprises jusqu'à 15 ou 16 fois et
retournant à l'imprimeur des pages tellement
barbouillées de corrections qu'elles faisaient le
désespoir des typographes, qui refusaient de faire plus
d'une « heure de Balzac » par jour. Il corrige encore son
texte quand il est imprimé, comme on peut le voir dans
la page reproduite ci-joint. Même en 1842, quand il
s'agissait de réunir en publication ses œuvres complètes, il effectue encore un grand nombre de corrections
sur épreuve.
La création littéraire
Balzac la décrit dans la préface de La Peau de Chagrin, 1831, comporte trois aspects l'observation,
l'imagination, et l'expression.
L'observation
En prônant la recherche des « détails » vrais, Balzac apparaît comme le père du courant réaliste qui
s'épanouira après 1850. L'observation minutieuse de la réalité porte sur trois « terrains » : les milieux, les «
espèces sociales», les individus.
- Les milieux.
Balzac situe l'action avec précision dans le temps et dans l'espace. La plupart de ses romans se déroulent
sous la Restauration (1815-1830) et la Monarchie de Juillet (1830-1848), les uns dans les petites villes
immuables de province (ex : Sancerre, La Muse du département ; Tours : La Grenadière ; Maître
Cornélius ; Le Curé de Tours), les autres dans l’agitation de Paris. Quartiers et maisons sont longuement
décrits parce qu'ils aident à comprendre la psychologie des personnages, et cela de deux façons : le milieu
influe sur le caractère, et inversement le caractère imprime sa marque au décor. De Mme Vauquer,
propriétaire d'une sordide pension parisienne, Balzac écrit : «Toute sa personne explique la pension comme
la pension implique sa personne » (Le Père Goriot).
- Les « espèces sociales ».
A la façon du zoologiste qui distingue des espèces animales, l'observateur de la société est amené à
distinguer des « espèces sociales ». Les différents milieux qui composent la société moderne s'étagent en une
hiérarchie déterminée par la richesse. Mais à la différence des espèces animales, les espèces sociales sont
mobiles. Il y a deux facteurs de mouvement les facteurs historiques (la Restauration change le destin des
nobles) et les facteurs individuels (passion, ambitions qui entraînent les ascensions, ou les déchéances sociales).
- Les individus.
Autre différence avec les espèces animales, les espèces sociales sont constituées d’une infinie variété
d'individus. Dans cette diversité apparaissent pourtant des lois, comme celles de la physiognomonie :
influencé par les théories scientifiques de son temps, dont la physiognomonie, Balzac considère, en effet,
qu'on peut juger d'un caractère selon l'aspect extérieur, la physionomie (forme du crâne, du nez, implantation
des cheveux, tous ces «détails » qui occupent une grande place dans les portraits de Balzac).
L'imagination
Observateur de la réalité, le véritable écrivain, selon Balzac, est aussi un visionnaire.
Cf. Baudelaire :
« J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que
son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné. Tous ses personnages sont doués de l'ardeur vitale dont il
était animé lui-même. Depuis le sommet de l'aristocratie jusqu'aux bas-fonds de la plèbe, tous les acteurs de sa Comédie sont plus
âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans
le dévouement, que la comédie du vrai monde ne nous les montre. Bref, chacun, chez Balzac, même les portières, a du génie. »
- Les types.
Balzac méprise les masses : la démocratie, selon lui, équivaut à la « médiocratie ». Seuls l'intéressent les
individus exceptionnels qui vivent leur passion jusqu'au bout. À partir de traits observés chez plusieurs
personnes réelles, Balzac imagine des «types» qui incarnent une idée, une passion
Rastignac, c'est l'ambition; Goriot, l'amour paternel ; Grandet, l'avarice... Ces passions peuvent être sublimes
ou grotesques; elles sont toujours excessives, envahissant l'individu et lui conférant une sorte de grandeur
monstrueuse.
Des personnages célèbres et homosexuels
Un des premiers auteurs à faire d’un homosexuel, sans que jamais cela soit explicité, un des personnages
principaux : le forçat Vautrin alias Jacques Colin, alias Trompe-la-Mort est celui dont l’homosexualité
apparaît le plus clairement. Dans Le Père Goriot, Vautrin « drague » littéralement Rastignac, puis le séduit
par ses propositions. Le chapitre des Illusions perdues dans lequel Vautrin sauve Lucien de Rubempré est
encore plus significatif.
De mêmes les amantes de La Fille aux yeux d’or
L'expression
- La structure d'ensemble.
L'idée et le plan de La Comédie humaine sont apparus progressivement. Le titre fait allusion au poème de
l'Italien Dante, La Divine Comédie (début du xive siècle), qui décrit en trois livres (Enfer, Purgatoire,
Paradis) le monde de l'au-delà. Balzac reprend l'ambition de Dante en l'appliquant au monde des hommes.
Le mot «comédie» ne signifie donc pas que l'œuvre soit comique, mais qu'elle est une représentation réaliste
de la société à travers une série de «scènes».
Une parution en feuilleton
À partir de l'automne 1836, presque tous ses romans paraissent d'abord en feuilleton, découpés en tranches
quotidiennes dans un journal, avant d'être édités en volumes.
Le retour des personnages :
Sa Comédie humaine est composée de 2504 personnages, dont 567 reviennent au moins une fois.
L'idée de génie, c'est le retour des mêmes personnages d'un roman à l'autre (Rastignac apparaît dans 23
différents). À chaque fois, l'éclairage change : tel personnage qui est le héros d'un roman ne sera qu'une
silhouette fugitive dans un autre. Le procédé cimente les romans entre eux et rend sensible la mobilité
sociale.
Pour assurer l'unité de son œuvre, Balzac n'hésite pas à remanier des romans antérieurs, faisant disparaître
d'anciens personnages ou donnant un nom à un personnage jusqu'alors resté anonyme, afin d'assurer le plus
de cohérence et de vérité possible à La Comédie humaine, qu'il voyait comme un tout. Ses retouches
maniaques et ses inspirations du moment lui font changer titres et noms des protagonistes à mesure que
paraissent les œuvres. L’auteur trouve des cousinages spontanés à ses personnages et revient en arrière selon
une technique que Marcel Proust appelait « l’éclairage rétrospectif73 » : le passé d’un personnage n’est
révélé que longtemps après sa présentation, ce qui lui donne un souffle de vie et un supplément de mystère.
L’exemple de Crevel
En 1818 dans César Birotteau [1837], il est commis de Birotteau dans son magasin La Reine des roses. Il hérite de la chambre
d'Anselme Popinot lorsque ce dernier est installé par son patron à la tête d'une succursale. En 1819, peu de temps après le bal de
Birotteau et après sa faillite annoncée, il veut racheter la Reine des roses, mais Anselme Popinot veille aux conditions de cet achat
: Crevel devra sous-louer aux Birotteau leur appartement.
En 1833, dans La Cousine Bette [1846], on apprend qu'il a épousé la fille unique d'un riche fermier de la Brie dont il a une fille,
Célestine. Sa femme lui a apporté une dot importante, et elle meurt rapidement à son grand soulagement car elle était laide et
désagréable. Il fait alors la noce avec le Baron Hulot d'Ervy. Cette même année, sa fille Célestine épouse le fils du baron, Victorin
Hulot d'Ervy.
En 1835, il devient actionnaire de la compagnie Gaudissart dans Le Cousin Pons [1847].
En 1838, il est richissime. Il cherche à séduire la Baronne Hulot d'Ervy qui se refuse à lui, mais qui, plus tard, s'humilie pour
tenter de sauver son oncle de la mort et du déshonneur. À cette époque, il enlève Valérie Marneffe au baron Hulot et l'installe rue
Vaneau. Valérie est encore mariée à Marneffe, mais il lui propose de l'épouser quand elle sera veuve.
En 1841, il a de grands projets. Il veut racheter le château de Presles qui appartient à Monsieur de Sérisy, il envisage aussi
d'acheter l'hôtel du Duc de Navarreins, rue du Bac.
En 1843, il épouse Valérie Marneffe devenue veuve. Ferdinand du Tillet honore ce mariage de sa présence. Mais Crevel et Valérie
meurent peu après, empoisonnés par le baron Brésilien Henri Montès de Montèjanos, l'un des amants de Valérie, trahi.
- La composition des romans.
Une composition fréquente consiste à faire précéder le déroulement du drame d'une longue préparation. La
première part expose le décor, les caractères, la situation ; puis, tous les ressorts étant ainsi bandés, l'action
se déroule d'elle-même avec beaucoup de relief et de vie.
- Le style de Balzac.
Dans la « mise en train » des romans, les descriptions et les portraits dominent. Ils sont célèbres pour leur
longueur et leur minutie jugées parfois excessives mais qui donnent aux décors et aux personnages une
présence étonnante.
Dans la partie dramatique, l'action progresse à coups de dialogues et de scènes. Balzac a le sens du dialogue
vivant ; chaque personnage est soigneusement caractérisé dans sa façon de parler (tournures élégantes ou
vulgaires, tics, défauts de prononciation...). Le romancier sait aussi ménager des scènes à effet où
brusquement se concentrent tous les éléments du drame.
« Moi, j'aurai porté une société tout entière dans ma tête», écrivit Balzac. La Comédie humaine ouvre au
roman moderne une voie royale : celle de vastes cycles où l'entrecroisement des destins individuels finit par
ressusciter une société.
Séance 3. La Cousine Bette, 1846-1847, in Les Parents pauvres dans la section « Scènes de la vie
parisienne »
Genèse : en moins de 2 mois
« Le Vieux musicien (=Le Cousin Pons) est le parent pauvre, accablé d'injures, plein de cœur, la Cousine
Bette est la parente pauvre, accablée d'injures, vivant dans l'intérieur de 3 ou 4 familles et prenant vengeance
de toutes ses douleurs », , 16 juin 1846
« Hier je me suis à 10h 1/2 du soir et je viens de travailler de 11 h du soir à 5h du matin, je me suis reposé en
t’écrivant, et je vais aller jusqu’à 9h, je n’ai plus que 10 jours pour faire 14 chapitres de Bette ! C’est
effrayant », 2 octobre 1846
« Ces vingt chapitres ont été écrits currente calamo (c'est-à-dire sans retouches), faits la veille pour le
lendemain, sans épreuves ! », 20 novembre
« les efforts de la CB, vomie en 2 mois, l’ont effrayé », son médecin, 20 décembre.
Le 28 juin 1846, Balzac annonçait à Mme Hanska : « Je vais me mettre sur La Cousine Bette, roman
terrible, car le caractère principal sera composé de ma mère, de madame Valmore et de la tante Rosalie. »
Le modèle de Hector Hulot serait Victor Hugo, pris en flagrant délit d’adultère en 1845 et qui échappe à
l’emprisonnement par ses relations
Publication, un des derniers romans de Balzac
Paru pour la première fois en feuilleton dans Le Constitutionnel d’octobre à décembre 1846. Publié en
volume en 1847, il fait partie des Scènes de la vie parisienne, section Les Parents pauvres de La Comédie
humaine.
132 chapitres, découpage volontairement excessif qui joue avec les contraintes du genre.
-une des œuvres les plus noires du XIXème avec La Vengeance du Comte de Monte-Cristo de Dumas,
excepté que celui-ci est une vengeance juste, alors que la CB est très pessimiste.
-grand succès auprès du public : mélange de « roman noir », inquiétant, de « mélodrame triste », mais
surtout de critique des mœurs de la bourgeoisie et de l’aristocratie.
-pour B « la CB est un chef-d’œuvre », « la CB a eu un succès étourdissant … il y a une immense réaction
en ma faveur, j’ai vaincu ! », 18 octobre 1846
-le XIXe siècle est celui du roman publié en feuilleton : Les Mystères de Paris, Sue ; les Trois
Mousquetaires, Dumas ; Le Comte de Monte-Cristo, Dumas
-cependant c’est un sous-genre populaire (qui commence en 1836 avec Dumas et La Comtesse de Salisbury ;
La Vieille Fille de Balzac) que Balzac emploie pour lui rapporter de l’argent
- le public montre un fort engouement pour ce mode de publication, et les grands journaux de l’époque ne
manquent pas de constater l’effet de fidélisation que leur valent les « feuilleton-romans »
-caractéristique : une tension romanesque à l’œuvre pour attirer le lecteur : il ne s’agit plus de découper au
mieux un roman préalablement écrit en tranches, mais d’écrire (et souvent, d’écrire vite, préférant la quantité
à la qualité) des romans dont on sait par avance qu’ils sont destinés au découpage et destiné au goût du
public. Cette « littérature » est souvent considérée comme populiste et industrielle, et caractéristique de
l’émergence d’une culture de masse
Cf. le feuilletoniste Ponson du Terrail invente le personnage populaire Rocambole (d’où « rocambolesque »
qui va désormais qualifier des événements ou des péripéties incroyables)
Adaptations à l'écran
1927 : La Cousine Bette. France. Réalisation : Max de Rieu. Avec Alice Tissot.
1964 : La Cousine Bette. France. TV. Réalisation Yves-André Hubert. Avec Alice Sapritch (Bette Fischer), Jean Sobieski,
(Comte Wenceslas Steinbock)
1996 : Cousin Bette, direction : Des McAnuff, avec Jessica Lange (Bette Fischer), Elisabeth Shue (Jenny Cadine), Bob Hoskins
(Célestin Crevel), Hugh Laurie (Baron Hulot d'Ervy), Aden Young (Comte Wenceslas Steinbock). Jamais sorti en France.