LE DISCOURS RACISTE ET LA LIBERTÉ D`EXPRESSION EN

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LE DISCOURS RACISTE ET LA LIBERTÉ D`EXPRESSION EN
LE DISCOURS RACISTE
ET LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
EN ITALIE
I. — Les termes de la question
La liberté d’expression constitue l’un des droits fondamentaux
des individus dans toute société démocratique. Aujourd’hui l’affirmation de ce principe n’est plus controversée. On parle en revanche
de l’identification de la sphère de cette liberté et donc des limites
de son exercice. En d’autres termes il s’agit de savoir si et dans
quelle mesure il est légitime d’interdire, dans une société démocratique, l’expression de certaines idées, qu’elles soient outrageantes,
choquantes ou inquiétantes.
La question qu’on se pose est de savoir si l’incrimination de discours racistes constitue une atteinte injustifiée à la liberté d’expression ? Voici donc un conflit entre le droit à la liberté d’expression
et le droit à la protection contre le racisme ( 1). Il s’agit d’un conflit
de valeurs entre lesquelles un équilibre à été ménagé, en Italie, par
le législateur. Celui-ci, mettant au premier rang les besoins de protection, soit de la collectivité soit des individus, contre toute forme
de racisme, a récemment adopté une législation articulée qui criminalise les manifestations d’intolérance raciste et l’expression d’idéologies racistes ( 2).
S’agissant, pour la plupart, de délits d’opinions, le législateur a
formulé ces normes d’une façon qui a amené l’interprète à les lire
selon le schéma traditionnel des délits de danger abstrait, en partant de l’hypothèse — partagée par la plus grande partie de la doctrine et de la jurisprudence — que le bien juridique protégé est
l’ordre public
La nouvelle législation n’a pas échappé aux critiques que la doctrine italienne réserve en général aux délits d’opinion, surtout pour
des raisons relatives à l’identification du bien juridique protégé et,
(1) Le terme est employé comme une formule de synthèse, utilisée pour identifier
les nombreuses et différentes manifestations d’intolérance raciste.
(2) Avant l’entrée en vigueur du décret loi 122/73 il y a avait de toute façon
d’autres prévisions moins organiques de protection contre les formes de racisme.
Voy. infra, § 2.
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donc, au schéma d’incrimination que le législateur est censé avoir
utilisé dans ce cas.
Par cet article je vais essayer de montrer le niveau de protection
que le système italien offre à la liberté d’expression aussi bien qu’au
droit à la protection contre le racisme. J’exposerai donc brièvement
la législation qui protège la liberté d’expression, celle qui réprime les
conduites s’inspirant de l’idéologie raciste, et je parlerai des problèmes qui se présentent dans la pratique.
II. — La législation pertinente
A. — Dispositions qui protègent
la liberté d’expression
La Convention européenne des droits de l’homme, dont la ratification a été autorisée par la loi n o 848 du 4 août 1955 ( 3), fait partie
intégrante du système juridique italien et, dès lors, les normes qui
y sont contenues constituent la source de droits et d’obligations
pour les organes de l’Etat et pour tous les sujets publics et privés
qui agissent à l’intérieur de l’Etat.
On sait que la Convention européenne pose des limites aussi bien
sous la forme d’interdictions que sous la forme d’obligations au pouvoir répressif des Etats, ces limites découlant du nécessaire respect
des droits de l’homme garantis par la Convention même. La limite
imposée sous la forme d’interdiction empêche que l’exercice normal
d’un des droits protégés par la Convention puisse faire l’objet d’incrimination. C’est, entre autres, le droit garanti par l’article 10, protégeant la liberté d’expression, qui a permis à la Cour d’orienter les
Etats membres vers l’absence de sanction pénale de certaines
conduites.
Le paragraphe 2 de l’article 10 prévoit que l’exercice de la liberté
d’expression peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions et sanctions prévues par la loi, pour autant qu’il s’agisse
de mesures nécessaires à la protection de certains droits. Rappelant
les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence
relative à l’article 10, la Cour a, a plusieurs reprises, affirmé que « la
liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une
(3) Dans le droit italien, est en vigueur le principe selon lequel le droit international en matière conventionelle est inclus dans le système interne moyennant ledit
ordre d’exécution contenu dans la loi de ratification.
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société démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès
et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2, elle
vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec
faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi
pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de
société démocratique » ( 4). La Cour affirme également qu’elle « a donc
compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une
‘restriction ’ se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y
compris la teneur des propos reprochés aux requérants et le contexte
dans lequel ceux-ci les ont tenus » ( 5).
Il ressort donc de la jurisprudence de la Cour européenne, que
celle-ci accorde une large protection à la liberté d’expression, en
limitant le plus possible les ingérences de l’Etat et en adoptant une
attitude particulièrement restrictive au sujet de la marge d’appréciation des Etats. Il serait cependant erroné d’en conclure que la
liberté d’expression est absolue et que les Etats n’ont aucune marge
d’appréciation. La Cour a affirmé à plusieurs reprises que la diffusion de déclarations racistes ne bénéficie pas de la protection de l’article 10 parce que de telles déclarations risquent de promouvoir des
valeurs dangereuses pour celles qui ont été consacrées par la
Convention ( 6).
L’article 21 de la Constitution italienne protège le droit de tous
de « manifester librement leur pensée avec la parole et les écrits et tout
autre moyen de diffusion ». Cette liberté est par conséquent garantie
soit dans ses aspects de fond — c’est-à-dire en tant que droit de
s’exprimer librement — soit dans ses aspects fonctionnels — c’est-àdire en tant que droit d’utiliser tout moyen pour divulguer sa
propre pensée et celle des autres ( 7).
(4) Il s’agit d’un passage de l’arrêt Handyside c. Royaume Uni, 7 décembre 1976,
§ 49, depuis repris dans tous les arrêts relatifs à l’article 10, voy. entre autres, les
arrêts Castells c. Espagne, 23 avril 1992 ; Fressoz et Roire c. France, 21 janv. 1999 ;
Oztürk c. Turquie, 28 sept. 1999 ; Erdogdu c. Turquie, 15 juin 2000, Sener c. Turquie,
18 juill. 2000, Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31 ; Janowski c. Pologne
21 janv. 1999, § 30 ; Nilsen et Johnsen c. Norvège, 25 nov. 1999, § 43.
(5) Arrêts Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 51.
(6) Voy. arrêts Jersild, § 35 ; Lehideux et Isorni, § 53.
(7) Sur ce thème, voy. Esposito, La libertà di manifestazione del pensiero nell’ordinamento italiano, Giuffré, Milano, 1968 ; Bettiol, « Sui limiti penalistici alla libertà
di espressione », dans R.I.D.P.P., 1960, pp. 183 et s. ; Di Giovine, I conflitti della
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La seule limite imposée explicitement par la Constitution à cette
liberté est celle des bonnes mœurs ( 8). D’autres limites dites implicites ont été énoncées ( 9). Une partie de la doctrine a toutefois
signalé que ces limites ultérieures doivent être non seulement l’expression de valeurs constitutionnellement protégées, mais encore le
résultat d’un équilibre des intérêts opposés lors du conflit qui s’est
résolu par la subordination du droit garanti par l’article 21 de la
Constitution ( 10).
Quant à la Cour constitutionnelle elle a également admis des
limites implicites qui peuvent être regroupées en deux ordres différents : a) les limites qui découlent de la protection constitutionnelle
de situations juridiques concernant des particuliers ou des groupes
sociaux ; b) les limites imposées par le besoin de protéger des intérêts
de caractère public. Dans la première catégorie se situent avant
tout les limites qui découlent des droits de la personnalité, tels que
le droit à la vie privée, à l’honorabilité, à la réputation ; dans la
deuxième catégorie le problème s’est posé de savoir si l’ordre public
pouvait constituer une limite à la libre manifestation de la pensée ( 11). La Cour constitutionnelle a estimé légitimes certaines dispositions qui criminalisent la manifestation de la pensée. La légitimité
constitutionnelle dérivant, selon la Cour, de la circonstance que les
règles juridiques en question ne sanctionnaient pas la simple expression des opinions ; il s’agissait plutôt de cas d’espèce caractérisés par
une incitation à l’action et donc d’un début d’action ( 12). Par un arrêt
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libertà di manifestazione del pensiero, Giuffré, Milano 1988 ; Bollinger, The tolerant
society, Freedom of speech and extremist speech in America (tr.it. La società tollerante), Giuffré, Milan, 1992 ; Post, Costitutional Domains, Harvard University Press,
1995; Abel, Speech and Respect (tr. it. La parola ed il rispetto), Giuffré, Milan 1996.
(8) Dans la doctrine on a parlé également desdites limites logiques, dérivant c’està-dire de la notion même de manifestation de la pensée. Sur la base de ces limites,
il a été argumenté que la manifestation de la pensée protégée par la Constitution ne
serait que celle qui tend à solliciter une activité simplement de pensée dans les destinataires. Voy. Fois, Principi costituzionali e libera manifestazione del pensiero, Giuffrè,
Milan, 1957, 113-120. Contra Barile, « Libertà di manifestazione del pensiero », dans
Enciclopedia del diritto, Giuffrè, Milan, 1974, v. XXIV, pp. 431-432.
(9) Voy. Barile, cit., p. 431 ; Barbera, « Le situazioni soggettive. Le libertà dei
singoli e delle formazioni sociali. Il principio di eguaglianza », in Manuale di diritto
pubblico, Amato-Barbera, Mulino, Bologne, 1986, pp. 245-247.
(10) Voy. Fiore, I reati d’opinione, Padova, CEDAM, 1965, p. 90.
(11) La deuxième catégorie prévoit d’ultérieures limites telles que le besoin de justice, le prestige du gouvernement des forces armées etc., qui sont étrangères au
thème qui nous concerne ici.
(12) Corte Costituzionale, 2 mai 1985, 1985, n o 126 dans Giurisprudenza Costituzionale, 1985, pp. 894 et s.
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interprétatif de rejet, la Cour a affirmé en particulier que l’apologie
d’un ou plusieurs délits (art. 414, al. 3, c.p.) n’est punissable que
lorsque l’apologie du crime ne se borne plus à une simple manifestation de la pensée, mais du fait de ses modalités, se manifeste concrètement dans un comportement apte à provoquer la perpétration de
crimes ( 13).
B. — Normes qui sauvegardent
le droit de protection
contre le racisme
La Constitution établit, par ailleurs, le principe général de la nondiscrimination. L’article 3 énonce en effet que « tous les citoyens ont
la même dignité sociale, qu’ils sont tous égaux devant la loi sans distinction de sexe, de race, de langue et de religion, d’opinions politiques,
de conditions personnelles ou sociales ». Combinée avec l’article 2 de
la Constitution, cette protection s’étend à tous, indépendamment de
la nationalité.
Une ultérieure et plus forte tutelle contre les manifestations et les
organisations racistes, même indirectes, est contenue dans la
XII e disposition transitoire de la Consitution ( 14), là où elle prévoit
que « la réorganisation, dans n’importe quelle forme, du parti fasciste dissous » est interdite ( 15).
Les dispositions qui criminalisent des conduites racistes sont
contenues soit dans le Code pénal, soit dans la législation spéciale ( 16). Certaines dispositions du Code Rocco ont été utilisées pour
réprimer des conduites inspirées de l’intolérance raciste. Cela a été
fait notamment dans les cas des articles 594-595, en matière d’injure et de diffamation, en considérant qu’une offense à l’honneur et
à la réputation d’une personne peut se vérifier même dans le fait de
l’offenser en raison de son appartenance à un goupe racial déter(13) Corte Costituzionale, 4 mai 1970, n o 65, dans Giustizia Costituzionale,
pp. 1955 et s.
(14) Cette norme a été déliberée conformément aux accords internationaux
comme la Convention d’armistice et le Traité de paix.
(15) En doctrine il n’y a pas d’accord sur la sphère d’application de cette disposition, si cette interdiction concerne exclusivement la reconstruction d’organisations
empreintes de l’idéologie fasciste ou bien si elle se réfère aussi aux manifestations
d’idées fascistes.
(16) Sur la valeur pénale de l’activité de propagande raciste, voy. Fronza, op. cit.
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miné ( 17) et dans le cas des articles 414 et 415 qui interdisent l’incitation à commettre des actes criminels et à désobéir aux lois ( 18).
C’est la législation spéciale qui contient les dispositions les plus
significatives en la matière.
La loi n o 645/52 ( 19) (dite loi Scelba), interdit la réorganisation
sous n’importe quelle forme du parti fasciste dissous (art. 1 er), prévoit les délits d’apologie du fascisme (art. 4) ( 20) d’instigation et de
réitération de manifestations habituelles du parti fasciste dissous
(art. 5). La prévision de l’article 4 a été utilisée par la jurisprudence
pour réprimer la diffusion d’idées racistes ( 21).
La Convention contre le génocide ( 22) est mise en œuvre par la loi
n 962/67 ( 23). Ses articles sanctionnent la destruction totale ou partielle d’un groupe national ethnique ou religieux (art. 1 er), la déportation d’individus en raison de leur appartenance à un groupe ethnique, national ou religieux (art. 2), l’imposition de marques ou de
o
(17) Voy., pour le délit d’injure, Cassazione penale, 10 février 1953, dans Foro Italiano Repertorio, 1953, 1206 ; pour les délits de diffamation, Cassazione penale,
16 janvier 1986, dans Il diritto dell’informazione e dell’informatica, 1986, p. 458 et
dans Cassazione Penale, 1986, 1779, voy. Fronza, op. cit., p. 45.
(18) Pour le délit d’instigation à commettre des actes criminels, cour d’appel de
Milan, 5 juin 1996, dans Il diritto dell’informazione e dell’informatica, 1997, p. 745.
(19) Loi n o 645 du 20 juin 1952, Normes de mise en œuvre de la XII disposition
transitoire et finale de la Constitution ; voy. Vinciguerra, « Sanzioni contro il fascismo », dans Enciclopedia del diritto, Giuffré, Milan, 1967, vol. XVI, pp. 914-925 ;
Manna, « Fascismo (Sanzioni contro il) », dans Digesto delle discipline penalistiche,
UTET, Turin, IV edit. 2000, vol. V, p. 137.
(20) L’article 4 se lit : (Apologia del fascismo). — Chiunque fa propaganda per la
costituzione di una associazione, di un movimento o di un gruppo avente le caratteristiche e perseguente le finalita‘ indicate nell’art. 1 e‘punito con la reclusione da sei
mesi a due anni e con la multa da L.400.000 a L.1.000.000.
Alla stessa pena di cui al primo comma soggiace chi pubblicamente esalta esponenti, principi, fatti o metodi del fascismo, oppure le sue finalita‘ antidemocratiche.
Se il fatto riguarda idee o metodi razzisti, la pena e‘ della reclusione da uno a tre
anni e della multa da uno a due milioni.
La pena e‘ della reclusione da due a cinque anni e della multa da L.1.000.000 a
L.4.000.000 se alcuno dei fatti previsti nei commi precedenti e‘ commesso con il
mezzo della stampa.
(...)
(21) Voy. tribunal de Milan 9 novembre 1965, dans Monitore dei tribunali, 1965,
p. 1125, qui a estimé devoir faire figurer des éléments d’apologie du fascisme dans
les inscriptions sur les murs exaltant les principes racistes propres au régime fasciste.
(22) Adoptée le 9 décembre 1948.
(23) Loi n o 962, du 9 octobre 1967, Prevenzione e repressione del crimine di genocidio, Ronzitti, « Genocidio », dans Enciclopedia del diritto, Giuffré, Milano, 1969,
XVIII, pp. 586-587 ; Grasso, « Genocidio », dans Digesto delle discipline penalistiche,
UTET, Torino, II ed. 2000, pp. 399 et s.
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signes distinctifs indiquant l’appartenance à un groupe national,
ethnique ou religieux (art. 6), l’accord pour commettre un génocide
(art. 7). La disposition la plus intéressante est celle qui est contenue
dans l’article 8 qui sanctionne l’incitation publique et l’apologie de
génocide.
C’est en 1975 qu’a été mise en œuvre la Convention internationale
pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciste ( 24),
par la loi n o 654/75 ( 25), récemment modifiée (dans la formulation de
l’article 3) et élargie par le décret-loi 122/93 ( 26).
Le nouvel article de la loi n o 654/75 incrimine la diffusion par
tout moyen, d’idées basées sur la supériorité d’une race ou sur la
haine raciale ou ethnique, ou encore l’incitation à commettre ou
l’accomplissement d’actes de discrimination pour des motifs
racistes, ethniques, nationaux ou religieux (al. 1 lettre a). La lettre b
de l’alinéa 1 er sanctionne toute conduite incitant à la violence ou à
perpétrer des actes de violence ou des actes de provocation à la violence pour des raisons racistes, ethniques, nationales ou religieuses ( 27).
Ces dispositions visent donc à réprimer tant les conduites d’incitation à la discrimination ou à la violence, que la réalisation effective d’actes concrets discriminatoires ou violents. De cette manière
on a assuré une double protection : préventive visant à éviter la diffusion sur le plan social de messages discriminatoires et violents ; et,
d’autre part, répressive, visant les manifestations individuelles de
(24) Ouverte à la signature à New York, le 17 mars 1966.
(25) Loi n o 654 du 13 octobre 1975. Ratification et exécution de la Convention
internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale.
(26) D.L. n o 122 du 26 avril 1993, Mesures urgentes en matière de discrimination
raciste, ethnique et religieuse. Converti avec modifications en loi n o 205 du 25 juin
1993. Sur cette loi, voy. de Francesco, Corso et Nosengo, « Misure urgenti in
materia di discriminazione razzista etnica e religiosa », dans Legislazione penale, 1994,
pp. 173 et s.
(27) L’article 3, alinéa 1 er prévoit : « 1.Salvo che il fatto costituisca piu‘grave
reato, anche ai fini dell’attuazione della disposizione dell’art. 4 della convenzione,è
punito :
a) con la reclusione sino a tre anni chi diffonde in qualsiasi modo idee fondate
sulla superiorita‘o sull’odio razziale o etnico, ovvero incita a commettere o commette
atti di discriminazione per motivi razziali, etnici, nazionali o religiosi;
b) con la reclusione da sei mesi a quattro anni chi, in qualsiasi modo, incita a
commettere o commette violenza o atti di provocazione alla violenza per motivi razziali, etnici, nazionali o religiosi ».
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tous ceux qui mettent en œuvre une conduite discriminatoire spécifique ( 28).
Il semble donc que la ratio de l’intervention législative ait été surtout celle de réprimer, autant dans la forme de l’incitation que dans
la conduite effective, le comportement individuel discriminatoire ou
violent.
De cela découle, selon une partie de la doctrine, un changement
du droit protégé : le but des lois contre le racisme ne serait plus, ou
ne serait plus seulement, la protection de l’ordre public et donc de
la coexistence pacifique et coordonnée entre groupes nationaux ou ethniques, mais surtout la protection de l’individu et donc la protection
immédiate de la dignité humaine violée par des pratiques discriminatoires ( 29).
Le troisième alinéa, enfin, interdit toute organisation, association,
mouvement ou groupe ayant comme buts l’incitation à la discrimination ou à la violence pour des raisons raciales, ethniques, nationales ou religieuses.
L’article 2 du décret loi 122/93 a introduit deux nouvelles causes
de délit : on a prévu, en tant que délit, l’action de tout individu qui,
à des réunions publiques, accomplit des manfestations extérieures
ou expose des emblèmes ou des symboles propres ou habituels des
organisations, associations, mouvements ou groupes visés par l’article 3 de la loi 654/75 ( 30) ; on a également prévu comme infraction
l’accès aux lieux où se déroulent des compétitions sportives avec ces
emblèmes et ces symboles.
L’article 3 du décret prévoit, comme circonstance aggravante
pour tous les délits, le fait qu’ils soient commis à des fins de discrimination ou de haine ethnique, nationale, raciale ou religieuse ou en
vue de faciliter l’activité d’organisations, associations, mouvements
ou groupes qui ont parmi leurs buts les mêmes finalités.
Les autres dispositions du décret, qui élargit, comme on l’a dit,
la loi 654/75, concernent les mesures de prévention (art. 2, al. 3), les
perquisitions et les séquestres (art. 5) ainsi que certaines règles de
procédure.
(28) En ce sens, voy. de Francesco, cit., pp. 180-181 ; Ronza, op. cit., p. 47.
(29) Voy. de Francesco, op. cit., p. 181.
(30) L’article 2, alinéa 1 énonce : « Chiunque, in pubbliche riunioni, compia manifestazioni esteriori od estenti emblemi o simboli propri o usuali delle organizzazioni,
associazioni, movimenti o gruppi di cui all’art. 3 della L.13 ott. 1975, n.654, e‘ punito
con la pena della reclusione fino a tre anni e con la multa daL.200.000 a L.500.000 ».
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Il y a donc dans la législation italienne plusieurs normes pénales
visant à (ou qui ont été utilisées pour) réprimer les discours racistes,
entendant par là la diffusion, par n’importe quel moyen, d’idées
racistes ou incitant à la discrimination raciale. Par l’introduction du
décret-loi 122/93 la législation a acquis un caractère plus organique
avec une plus ample possibilité d’appliquer des peines, et des peines
plus sévères que par le passé. Cette législation réprime des cas distincts de comportements rentrant tous dans une vaste notion de
propagande raciste. La propagation des idéaux racistes peut en effet
se faire par leur diffusion, par une activité d’incitation à la discrimination ou à la violence pour des motifs raciaux, par la réalisation
effective d’actes discriminatoires ou violents et enfin, par l’organisation d’associations ou de groupes fondés sur une idéologie raciste.
Opinion, incitation, acte : ce sont là des activités qui, toutes, se
trouvent sanctionnées par la législation examinée.
III. — Certaines applications
jurisprudentielles
La pratique jurisprudentielle en matière d’activités racistes n’est
pas abondante.
Avant l’entrée en vigueur de la nouvelle législation contre le
racisme, compte tenu du fait que les dispositions examinées interfèrent avec l’exercice d’une liberté fondamentale ( 31), la jurisprudence
a éprouvé le besoin de définir les figures de la propagande raciste
selon un modèle de danger concret. Il fallait une conduite apte à
mener à la réalisation des délits pour pouvoir la considérer punissable ( 32).
Dans ce cadre, on signale une décision de la Cour de cassation, en
sens contraire, qui concerne l’application de l’article 8 de la loi 962/
67 ( 33). Dans ce prononcé, la Cour a retenu que la disposition examinée ne pouvait pas être expliquée selon les critères d’interprétation
habituels : le comportement d’apologie du génocide doit donc être
sanctionné indépendamment de la vérification d’un danger concret
(31) Voy. Fiandaca-Musco, Diritto penale, Parte generale, Zanichelli, Bologna,
1996, p. 177.
(32) Voy., entre autres Corte Costituzionale 23 avril 1974, n o 108, dans
R.I.D.P.P. 1974 pp. 444 et s.; Corte Costituzionale 4 mai 1970, n o 65, dans Giustizia
Costistuzionale, 1970, pp. 955 et s.
(33) Il s’agit de l’article qui interdit l’apologie du génocide. Cassazione penale,
29 mars 1985, dans Foro italiano 1986, II, pp. 19 et s.
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de provocation au génocide, et cela en raison de son intolérable
inhumanité et du fait du culte odieux de l’intolérance raciste qu’il
exprime. La monstruosité du crime justifie pour la Cour cette diminution de protection même si on limite ainsi, et considérablement,
un droit fondamental de la personne.
Après l’entrée en vigueur du décret-loi 122/93, qui a complété la
loi 654/75, on signale deux arrêts de la Cour de cassation concernant, le premier, des comportements tombant sous le coup de l’article 3, alinéa 1, lettre b de la loi 654/95 ( 34), et le deuxième, la
constitution d’une association interdite au titre de l’article 3, alinéa 3 de ladite loi ( 35). Les deux arrêts qui abordent des problèmes
inhérents au débat sur les délits de danger, parviennent à des
conclusions opposées, du moins en apparence.
Par le premier jugement, de 1997, la Cour de cassation a affirmé
que pour la constitution du délit d’instigation à commettre des
actes de violence pour des motifs racistes, il n’importe guère que
l’instigation n’ait pas été relevée par les prévenus. Selon la conception de la Cour, en effet, la réalisation de cet effet n’est pas requise,
s’agissant d’un délit de simple comportement et de danger abstrait.
Dans ce cas également, il semble que la Cour, en sanctionnant un
simple acte d’incitation à la violence pour des motifs racistes, a
dûment tenu compte du danger de la circulation de messages aussi
agressifs et incompatibles avec les valeurs fondamentales de toute
société démocratique.
Dans le deuxième arrêt, le plus récent, la Cour a estimé que la
conduite d’incitation à la discrimination raciale constitue une hypo(34) Cassazione penale, 26 novembre 1997, dans Cassazione penale 1999, p. 983.
La Cour de cassation par ce jugement confirmait la condamnation du requérant au
titre de l’article 3, lettre b) de la loi 654/75 pour avoir exposé au stade Olimpico de
Rome, pendant une partie de foot-ball, une banderole indiquant « les milliards au
ghetto et aux banlieues? », et brûlé, en même temps, un drapeau portant l’étoile de
David.
(35) Cassazione penale, 7 mai 1999, dans Rivista penale 1999, p. 735. La Cour de
cassation par l’arrêt en question cassa avec renvoi le jugement attaqué par les requérants. L’annulation du jugement attaqué était due à la nouvelle qualification juridique que la Cour avait estimé donner aux comportements criminels, objet de la
condamnation de premier et de deuxième degré. Les juges quant au fond avaient
condamné les requérants pour avoir constitué, organisé et dirigé le mouvement
dénommé Front National ayant des buts anti-démocratiques propres au parti fasciste
(délit prévu par les articles 1 et 2 de ladite loi Scelba). La Cour a aperçu, dans les
comportements en question, les tenants et aboutissants visés à l’article 1, alinéa 3 de
la loi 654-75 qui sanctionne la constitution d’organisations qui ont parmi leurs buts
l’incitation à la discrimination raciale.
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thèse d’instigation indirecte et représente, en tant que telle, un début
d’action. La configuration de l’incitation comme instigation indirecte ramène ce cas d’espèce dans le cadre des délits de danger
concret : et dès lors, les comportements d’incitation qui, en raison
de la manière dont ils sont exercés, constituent une conduite apte
a provoquer la réalisation d’actes de discrimination ou de violence,
s’avèrent punissables ( 36). Dans le cas examiné, la Cour a retenu que
les activités de l’organisation constituaient une manifestation évidente d’intolérance raciale et une profession d’idéologie raciale
aptes, en tant que telles, à constituer une hypothèse d’incitation à
la discrimination, punissable au sens de l’article 3, alinéa 3 de la loi
654/75. L’appréciation de l’aptitude des actes a été effectué par la
Cour sur la base de la nature et du contenu des documents
retrouvés au siège de l’organisation en question. Il s’agissait d’écrits
où on distinguait entre races supérieures et races inférieures et on
censurait fortement les comportements d’intégration.
IV. — Quelques remarques finales
Il semble que le législateur et les juges italiens aient adopté
l’avertissement de Karl Popper selon lequel une société tolérante doit
être intolérante vis-à-vis de l’intolérant si elle veut assurer sa survie ( 37). On réprime en effet non seulement les actes d’instigation à
la discrimination raciale ou à la perpétration d’actes de discrimination, mais aussi les opinions et leur diffusion, lorsqu’elle est l’expression d’une intolérance raciste.
La réponse à la question posée au début est donc la suivante : la
criminalisation des discours racistes n’est pas un attentat injustifié
à la liberté de manifestation de la pensée.
Une décision de politique criminelle en ce sens est assurément
légitime au sens des articles 2, 3 et 21 de la Constitution italienne
et de l’esprit qui la soutient ; en plus elle est conforme à la pratique
(36) Voy., sur les problèmes des délit de danger concret, entre autres, Angioni,
Il pericolo concreto come elemento della fattispecie penale : la struttura oggettiva, Giuffrè,
Milan, 1994 ; Canestrari, « Reato di pericolo », dans Enciclopedia Giuridica Treccani,
vol. XXVI, Roma, 1991; De Vero, Tutela penale dell’ordine pubblico, Giuffrè, Milan,
1988.
(37) Popper, The open society and its enemies, Routledge and Paul Kegan, London, 1966, pp. 265 et s.
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Rev. trim. dr. h. (2001)
juridictionnelle internationale en matière de droits de l’homme ( 38)
et en concordance avec les valeurs culturelles antiracistes contenues
dans tous les textes internationaux.
Toutefois, force est de noter que, selon la doctrine prédominante,
les moyens de protection choisis par le législateur italien ( 39) ne sont
pas satisfaisants.
Cela ressort de l’utilisation d’une technique incomplète pour la
description de ces cas (il suffit de constater qu’il n’existe dans les
textes législatifs aucune définition de la discrimination raciale et
que le législateur se laisse souvent tenter par des expressions plutôt
floues).
Mais cela résulte surtout du manque d’une réflexion plus approfondie sur le problème du droit protégé. La doctrine et la jurisprudence prédominantes l’identifient en effet dans l’ordre public et, par
conséquent, interprètent les cas de délits concernés selon le schéma
du danger abstrait, dont l’utilisation est regardée avec suspicion
surtout dans la configuration des délits d’opinion. Toutefois une
pareille interprétation semble en tous cas inacceptable pour les
options politiques qui fondent le système constitutionnel. Déjà plus
compatible semble la détermination du droit protégé dans la dignité
de la personne, qui serait directement agressée par les faits incriminés.
Il faudrait toutefois se demander si les dispositions tant des
Conventions que des Traités communautaires et de la Convention
européenne des droits de l’homme n’imposent pas de rétablir encore
autrement la notion du droit protégé par les incriminations des discours racistes, en considération de l’exigence légitime de sauvegarder au moyen du droit pénal des valeurs inaliénables qui sont à la
base de la culture européenne.
Andreana ESPOSITO
Università di Salerno
✩
(38) Outre la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l’homme,
voy. aussi l’avis du Comité des droits de l’homme, 8 novembre 1996, Faurisson c.
France, dans R.U.D.H., 1997, p. 46.
(39) Pour un examen attentif des lacunes et des problèmes du texte examiné, voy.
Fronza, op. cit., pp. 68 et s.

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