discours a l`occasion de la remise des insignes de chevalier de la

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discours a l`occasion de la remise des insignes de chevalier de la
-1IN MEMORIAM
Bernard Menut
(1952-2015)
Bernard nous a quittés le 3 mars dernier.
Le Président Menut n’est plus.
Dans leur froideur de ce qui aurait pu être une simple notice nécrologique mais qui ne
le sera pas, ces quelques mots ne peuvent traduire l’émotion que ressentent tous ceux qui l’ont
connu et apprécié dans sa personnalité comme dans ses activités au service de la profession
d’huissier de justice, pour laquelle il a tant œuvré. À quelques mois de profonds
bouleversements annoncés, y compris dans la dénomination de cette respectable profession
appelée à devenir celle des commissaires de justice, profession qui s’enracine dans notre
tradition juridique continentale au service de laquelle Bernard avait mis tout son talent, la
concordance des dates de son décès et de la naissance d’une nouvelle profession résonne
comme un signe du destin, une sorte de pied-de-nez auquel l’humour caustique de Bernard
n’était pas insensible. Mais ces quelques lignes se veulent un hommage, pas une tribune sur
les transformations de notre vie judiciaire.
Comment décrire en quelques mots, en effet, la personnalité si riche de Bernard
Menut ? Comment, sans dénaturer son parcours, parler de sa vie et de son œuvre ? Car, s’il y
a une vie après la présidence - je parle ici de la présidence de la Chambre nationale des
huissiers de justice bien sûr - il y a aussi une vie avant une présidence et si l’œuvre que l’on
accomplit pendant le temps d’une présidence ne s’arrête pas à la cessation des fonctions, elle
ne se comprend pas sans connaître ce qui l’a préparée et ce qui l’a suivie.
En ce qui concerne Bernard Menut, je crois pouvoir résumer son parcours
professionnel en disant qu’il était un homme d’action (I), un homme de convictions au service
de sa profession (II) et un homme d’exportation des idéaux auxquels il était attaché (III),
j’entends par là l’exportation du modèle français d’exécution des décisions de justice.
I - UN HOMME D’ACTION
Bernard était né le 16 septembre 1952 à Saint-Junien en Haute-Vienne, cité limousine
connue pour la qualité de ses gants de peau et le travail du cuir, industrie qui faisait vivre la
grande majorité de la population, à commencer par ses parents. La rigueur des conditions de
vie de l’époque qu’il se plaisait à signaler à ceux qui le côtoyaient explique sans doute son
goût de l’effort dans lequel son caractère s’est forgé et qui a contribué à faire de lui un homme
d’action.
Un homme d’action, parce qu’immédiatement après l’obtention de sa licence en droit à
la jeune université de Limoges, il se lance dans l’immobilier puis dans la gestion des
entreprises. Il ne s’agit point de l’immobilier au sens de vendre ou de gérer les biens d’autrui,
mais au sens d’un DESS de droit immobilier, c’est à dire d’un diplôme d’études supérieures
spécialisées, on dirait aujourd’hui un Master 2 professionnel. Ce diplôme obtenu en 1976, il
s’inscrit immédiatement à l’Institut d’administration des entreprises de Poitiers et obtient en
1977, le DESS de gestion des entreprises.
Un homme d’action encore en ce sens qu’il s’engage très tôt dans la vie active. Une
vie d’autant plus active que, s’il ne s’en vantait pas et n’en tirait nulle gloire, pendant toute la
durée de ses études il travailla pour les payer. Comme bien d’autres étudiants de cette fin de la
période dite des Trente glorieuses, période qui ne sentait pas encore le vent du boulet de la
décroissance économique et du chômage qui allait durablement atteindre notre pays, il avait
-2su concilier travail en entreprise, on dirait aujourd’hui petits boulots, et travail en Faculté pour
construire une vie professionnelle, pour s’investir dans la culture juridique, pour apprendre au
sens le plus noble du mot, celui de l’acquisition des savoirs.
C’est, on l’aura deviné, le monde de l’entreprise qui l’attirait. Oui, mais quelle
entreprise ? Ce sera une étude d’huissier de justice dans sa ville natale. Dans cette cité
gantière, le titulaire de l’étude cherchait, sage visionnaire, un juriste doublé d’un gestionnaire.
Il avait compris que le métier du droit ne peut s’exercer en profession libérale, sans une solide
formation à la gestion des entreprises. Voilà une double leçon que nos jeunes juristes
d’aujourd’hui ne devraient jamais oublier : d’abord, toujours diversifier sa formation en allant
butiner sur des terres autres que les disciplines juridiques ; ensuite, toujours allier le droit et le
chiffre, la maîtrise des principes et de la technique juridiques avec celle de la gestion des
entreprises. Bernard Menut en est l’incarnation la plus forte.
Durant son stage professionnel il compléta sa formation, par le cursus de l’Ecole
nationale de procédure, cursus qui se ponctua par la double obtention du « Diplôme national
de procédure et voies d’exécution » et du « Diplôme d’huissier de justice » en 1979.
C’est donc tout naturellement, avec cette double formation en poche qu’il s’installe
comme huissier de justice, en février 1981 à Mirebeau dans le Haut Poitou. Pour ce qui est de
l’étude, il faut savoir qu’elle ne comptait alors qu’un seul membre, son titulaire, aucun
employé. Et pour ceux qui ne situeraient point Mirebeau sur la carte de la France profonde,
c’est une commune limitrophe de Poitiers. Est-ce parce que son étymologie rappelle que les
dames venaient se mirer dans ses fontaines et lavoirs et se faire conter fleurette par leurs
prétendants ? Est-ce parce que c’est le terroir des baudets du Poitou, ceux d’une race très
reconnaissable, et qu’à Mirebeau on veut croire au dicton local « qu’il passe plus d’ânes et de
voyageurs qu’il n’en reste » ? Allez savoir. C’est Bernard lui-même qui m’avait confié cette
anecdote et ce dicton.
En tout cas, il ne fallait pas manquer de courage pour choisir de s’installer dans une
toute petite étude et à une époque où, quelques mois après son entrée dans l’étude, une fiche,
bien connue dans la profession sous son numéro, le 5, allait attaquer durement et injustement
la profession d’huissier de justice. Ce rappel chronologique méritait d’être fait, car il explique
sans doute son combat, par la suite, plusieurs années plus tard, pour la défense de sa
profession. Bernard avait été marqué par l’injustice de ces attaques politiques et l’homme
d’action s’est alors doublé d’un homme de convictions.
II- UN HOMME DE CONVICTIONS AU SERVICE DE SA PROFESSION
De triple conviction :
a) Conviction d’abord que la formation professionnelle est essentielle à la pérennité
d’une profession, même lorsqu’elle s’enracine très loin dans le passé, surtout parce qu’elle
vient de loin, car ses adversaires, feignant d’ignorer ses origines, sa ratio legis, ont vite fait de
la critiquer avec des arguments de basse politique, oubliant qu’elle est une composante à part
entière de l’effectivité de la Justice, une composante de l’Etat de droit.
Bernard va donc successivement ou cumulativement, enseigner, corriger et examiner,
puis impulser, d’abord comme membre du Conseil de direction de l’Ecole nationale de
procédure, puis comme vice-président, une véritable politique de la formation professionnelle.
Le tout sur une période de 20 ans, de 1981 à 2000. L’honorariat de sa fonction de viceprésident de ce Conseil de direction confirme l’intérêt qu’il a continué à lui porter.
Toujours dans le domaine de la formation, il va développer son expertise de ces questions
en doublant son action :
-3d’abord, en s’intéressant de très près aux Centres de formation des stagiaires huissiers de
justice, à Limoges et à Poitiers, puisqu’il en sera même le responsable ;
- ensuite, en acceptant d’être membre du jury national de l’examen des huissiers de justice,
d’abord comme membre suppléant de 1986 à 1992, puis comme membre titulaire de 1992
à 1998.
Au-delà de l’énumération un peu froide de ces responsabilités en matière de formation, il
faut souligner que la formation était chez lui une passion. Il avait compris qu’au-delà de la
nécessaire mise à jour permanente des connaissances professionnelles de l’huissier de justice,
il y a le besoin, la nécessité vitale pour toute profession, de favoriser la promotion de chacun
par la formation professionnelle. Aux services rendus aux usagers, s’ajoute l’ardente
obligation d’aider tous ceux qui sont entrés dans la profession, à quelque degré que cela soit,
pour qu’ils puissent gravir d’autres échelons qui les conduiront vers la satisfaction de leurs
légitimes espérances. La formation professionnelle est un facteur de paix sociale.
-
b) La deuxième conviction, c’est que rien ne vaut une publication pour diffuser la
connaissance, son expérience. Et Bernard Menut a beaucoup publié, pas seulement dans
l’Encyclopédie des huissiers de justice ou l’ancienne Revue des huissiers de Justice, devenue,
sous son impulsion, la revue Droit et Procédures. Il a aussi publié des livres, soit seul, par
exemple « Les tarifs des huissiers de justice » que j’ai eu l’honneur de préfacer pendant cinq
éditions, la dernière rédigée en août 2015, ou encore, le « Vade-mecum du procès-verbal de
constat de superficie », soit collectivement, par exemple « Le créancier et le recouvrement de
sa créance ». C’est cette conscience de l’impérieuse nécessité de diffuser le savoir qui l’avait
conduit à rénover la revue des Huissiers de justice, dont il m’avait demandé d’assurer la
direction du Conseil scientifique ; devenue la revue Droit et procédures, elle est aujourd’hui
l’une des revues de référence des juristes, pas seulement des huissiers de justice, dans le
domaine de la procédure civile et des voies d’exécution, sans oublier les baux et tout ce qui
concerne l’activité professionnelle d’un huissier de justice. Je crois, très sincèrement, que
Bernard était fier de cette rénovation et je lui en rends justice au nom des universitaires et des
praticiens du droit de ces disciplines.
c) La troisième conviction qui animait Bernard Menut c’était le sens de l’intérêt
professionnel, au plus haut niveau, celui de la Chambre nationale des huissiers de justice.
Selon un cursus assez classique, il intégra les instances représentatives de la
profession, d’abord au niveau départemental de 1989 à 2007, comme trésorier, puis comme
président et comme syndic de la Chambre départementale de la Vienne ; il fut aussi membre
de la Chambre régionale des huissiers de justice du ressort de la cour d’appel de Poitiers et de
la Chambre nationale à partir de 1996 ; il en fut le secrétaire de son bureau en 1998-1999, puis
son Président en 2000-2001.
Voilà une vie professionnelle bien remplie et qui aurait suffi au bonheur de beaucoup.
Mais Bernard Menut n’avait pas souhaité retourner dans sa chère ville de Mirebeau, une fois
terminé l’exercice des fonctions de Président de la Chambre nationale. Il est devenu, non sans
efforts personnels considérables, un homme d’exportation au service de sa profession.
III – UN HOMME D’EXPORTATION
S’il se qualifiait lui-même de VRP de la profession d’huissier de justice, c’est non
seulement parce qu’il souhaitait faire connaître sa profession injustement décriée par certains,
mais, surtout, parce qu’il croyait au modèle français judiciaire, dans toutes ses composantes,
dont celle de l’exécution des décisions de justice par des professionnels compétents, honnêtes
-4et membres d’une profession réglementée, donc contrôlée. À ce titre, il était l’ambassadeur de
la profession d’huissier de justice.
Je ne pourrai citer ici toutes ces missions, toutes ces expertises, un numéro spécial de
la revue n’y suffirait pas. Pour l’essentiel, je dirai :
- Qu’en 2003, il devint Secrétaire de l’Union internationale des huissiers de justice et
officiers judiciaires, Union dont il fut le rapporteur général à son congrès international de
Washington, en 2006. C’est son travail au sein de l’Union internationale qui a permis à cet
organisme d’être leader du consortium qui a remporté le marché de l’Azerbaïdjan, en 2004,
pour la réforme du système d’exécution des décisions de justice dans ce pays. Grâce à
Bernard Menut, ce pays bénéficie désormais, non seulement d’un nouveau code de
l’exécution, mais aussi d’un système de formation livré clefs en mains et d’un système
informatique avancé ; sur ce dernier point, son goût pour l’informatique était venu
heureusement compléter sa passion pour la formation, la gestion et sa profession.
- Qu’il mena des activités d’expertise internationale dans le domaine de l’exécution
des décisions de justice, mais aussi de la formation professionnelle. C’est d’ailleurs à cette
occasion, que je le rencontrais au Vietnam, en novembre 1999. Son enthousiasme et son goût
pour la toute dernière technologie, en l’occurrence le caméscope numérique, m’avaient alors
stupéfié et ravi. D’autres expertises ont suivi : pour le compte de la Banque mondiale en
septembre 2006 ; pour celui de l’Union européenne avec le programme PHARE appliqué à la
Bulgarie en 2005-2006 ; pour celui du Conseil de l’Europe enfin, au sein de la Commission
pour l’efficacité de la Justice, où il avait représenté l’Union internationale des huissiers de
justice et officiers judiciaires, etc.
Toutes ces missions et expertises l’avaient conduit à beaucoup voyager bien sûr,
jusqu’en Chine, sans oublier de très nombreux pays de tous les autres continents.
C’est pourquoi, il avait tenu à maîtriser non seulement l’anglais mais aussi le russe,
qu’il avait appris à partir de 2005. Bernard Menut était l’exemple même de celui qui ne se
contente pas de dire aux autres de se former et qui les y aide ; il se formait lui-même en
permanence.
Bernard Menut possédait au plus haut niveau les qualités de ceux qui s’investissent
avec bonheur dans la vie publique : c’était à la fois un visionnaire et un meneur d’hommes et
il savait mobiliser les hommes et les femmes qui travaillaient avec lui pour que les projets
qu’il avait conçus au service de sa profession se concrétisent.
Que la terre lui soit légère !
Serge GUINCHARD