de - Notes du mont Royal
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Notes du mont Royal www.notesdumontroyal.com 쐰 Ceci est une œuvre tombée dans le domaine public, et hébergée sur « Notes du mont Royal » dans le cadre d’un exposé gratuit sur la littérature. SOURCE DES IMAGES Canadiana >. £ LUCRECE, D E L A j '. ! 'f NATURE DES CHOSES. T OME L '•t I •ïi s £ 7 T*Y/l^&? .v •*' tî»f _». J •i • ? .*. vli i - i UUHV »n-:-,;'-fc-. -> 1.' iv ' ' vMA \* «• •i'-"4% * " ^ » > &. / . 4? J**/r &*£• I ) •' I [ l 1 LUCRECE, TRADUCTION AVEC DES NOUVELLE, NOTES, j£>ao oM. x * a * *. TOME PREMIER. Chez BLEUET, Libraire» fur le Pont Saint-Miche! M. D C C. L X V I I I. AVEC APPXOBATION, ET PRIVILEGE DU R0\ . # . Q %el-c • *v i ï. AVERTISSEMENT. KJ N é traduction de Lucrèce était un ouvrage qui manquait à notre littérature. L'abbé de Marolles en donna une, écrite en ftyle barbare , dans le tems * où la langue Françaife commençait à acquérir de l'élégance & de la pureté. Celle du baron des Coutures, quoique poftérieurë, n*a pas mieux rempli les vœux des gens de lettres. Ces deux traducteurs ne connaîtraient pas aiTez la philofophie d'Epicure , le génie de la langue Latine ni celui de leur propre langue. Mais le premier a au moins le mérite d'avoir fenti quelquefois les beautés poétiques de fon original, & d'avoir eflayé de les rendre dans fon langage Gothique. On ne peut attribuer l'efpecfe de réputation dont a Joui quelque temps la traduction du fe* En iéf&, a 11) cond , qu'aux éloges de Bayle crus fur parole, & les éloges de Bayle * ne peuvent s'expliquer que par une prévention aveugle, dont les plus grands hommes ne font pas toujours exempts. On n'a donc trouvé aucune reflburce dans les traductions Françaifes de Lucrece.Celle deMarchetti, eftimce avec raifon des Italiens, n'a été non plus d'aucun fecours , parce que leur langue fe prête avec tant de docilité à tous les tours de la Latine , que les endroits les plus difficiles de Lucrèce , rendus mot à mot, ne font pas plus intelligibles dans la traduction que, dans l'original. On a donc été réduit aux commentateurs , reflburce pénible ôc trop fouvent infructueufe. Quoiqu'on fe foit impofé la loi de les confulter tous % l'édi^ tion de Creeeh eil celle qu'on a. fuivie de préférence dans le cours de cette tra* Voyez Nouvelles de la Rép. des Let. tom. IV» pag. 851. •)- L 7 du&ioft Ce fçavant Anglais était â ta fois pôëf? êc philofophe. -Sa paraphrafe eft claire* toutes les fois qu'il a entendu le texte. Ses notes font un choix raifonné de toutes celles qui avaient paru avant lui ; mais celles qu'il a ajoutées de fon propre fonds» & dont l'objet eft de développer Tordre & l'enchaînement des idées de Lucrèce, font infiniment plus utiles que route l'érudition des commentateurs. GafTendi, ce reftaurateur de la philofophie eorpufcutaire , ce vertueux prêtre, fi confommé dans l'étude de la philofophie ancienne, a fait plus lui feul pour l'intelligence de Lucrèce, que tous les commutateurs réunis. Et fi ta lecture de trois volumes in-folio j écrit* en longues périodes latines, dont quelquesunes ont une page, eft un travail faftidieux, on en a fouvent été dédommagé par les lumières qu'on reconnaît avoir tirées de cette fatigante ledure. Malgré ces fecours, combien ne reftair-il pas encore de difficultés à vaincre ? a iv s La meilleure édition de Lucrèce était bien éloignée de la perfection qu'on s'eft propofé de donner à celle-ci. Des partages tronqués & altérés qu'il fallait rétablir , des ponctuations incorrectes qu'il fallait rectifier, des vers & des morceaux entiers déplacés qu'il fallait tranf» pofer, voila la tâche qu'avaient encore laiflee les travaux fans nombre des commentateurs. On n'a rien négligé pour la remplir ^ on s'eft afllijetti à toutes les recherches qu'exigeait ce genre de travail. Les partages les plus difficiles ont été difcutés par des perfonnes éclairées, qui ont bien voulu nous aider de leurs lumières. Les explications lej plus généralement adoptées , après un mûr examen, ont été fuivies dans la traduction y celles qui ont tenu quelque tems la balance en équilibre , ont été mifes en notes, afin que le lecteur fût en état de Juger lui-même de nouveau le procès» Mais on ne s'eft permis de faire aucune correction ni aucune tranfpofition, fans en avertit pat une note, où Ion expofe les motfës qui ont porté à cette innovation Avec ces foins & ces fecours, on ofe fe natter de donner au Public le texte le plus correcV & le plus clair qui ait encore paru de Lucrèce. C:Qûant à la traduction , on s'eft proposé deux objets, lafidélité& l'élégance. Tant que le génie de la langue Françaife l'a permis, on a copié trait pour trait l'original. Cette méthode, la plus fûre pour réuflîr, a encore procuré l'avantage de difpenfer d'un grand nombre de notes. Car la langue Françaife ayant au deffus de la Latine l'avantage de la clarté, fouvent un pa(Tage obfcur en latin, rendu mot à mot dans notre langue, eft devenu affez clair pour n'avoir plus befoin d'être expliqué. Enfin les argumens de chaque livre, qui dans un poeme philofophique ne font pas un objet indifférent, ont été travaillés avec le plus grand foin. S'ils excédent quelquefois la mefure ordinaire, c'eft av IO qu'on s'eft moins propofé d'indiquer les matières que traite le poète ", que d'en fuivre le fil & d'en montrer l'enchaînement 'y de forte que ces iix argumens réunis feraient une analyfe de la doctrine d'Epiçure. ABRÉGÉ DE LA VIE DE LUC RECE. KJ N Poëte philofbphe, livré par goût i la retraite , éloigné par principes de * Padminiftration publique, & dont les actions ne font liées avec aucun des évémens de l'Etat, ne peut être connu de la pcftérité, que par les ouvrages qu'il lui rranfmet. Auili l'on ignore prefque tous les détails de la vie de Lucrèce. On n'eft pas même d'accord fur la date de fa naiffance (i)* On fçait uniquement, qu'il ( i > Eufebe de Pamphilie le fait naître Ut ij\ Oiymp. fous le coufiUai de CX Damit. Aiie,- * II reçut dans les tems les plus orageux àV la République, lorfque Rome commençait à s'inftruire & à fe corrompre, à fe foutnettre au joug de la tyrannie & à l'empire dès arts, à perdre à la fois fa barbarie 9c fa liberté. La nobleûe de fa famille (t) l'aurait mis en état de jouer, au milieu de ces troubles, un auffi grand file que Cicéron , s'il avait eu autant d'ambition que l'Orateur Romain. Mais fon averfion pour les affaires publiques, le fit toujours refier dans l'ordre des Chevaliers , quoiqu'il eût pu afpirer au rang de Sénateur. On croit qu'il alla à Athènes, puifer fous Zenon une* connaiflânce pro* Bobaifcus & de L. Caflîus Longinus , Fan de B>. 656. D'autres rapportent fa nainaace à la 172. Qlymp. fous le conlulat de L. Licinius Crafius & de Q. Mucius Scxvola , Tan de R. 6$j. ( i l La famille de Lucrèce était ancienne. Cicéron parle de Q. Lucretius Vefpillo, fameux Jurifcontulte , & de Q. Lucretius Ofella qu'il die avoir été plus propre à être Juge qu'Orateur. Velleius Paterçulus fait mention d'un autre Vtfip'ûUr, dont parient auffi Cicéron & Céfar, & auquel et dernier donne le titre de Sénateur. a vj i*i fonde du fyftême d'Epicure, qu'il regardait comme la feule philofophie digne de fes concitoyens. Quelle perfection n'aurait-il pas donnée à fon poëme, quel monument n'aurait-il pas laiffe à la poftérité, fi fa fanté lui avait permis de déployer tout le génie qu'il avait reçu de la Nature ! Mais iLéut avec le plus grand poëte de l'Italie moderne (^) le rapport fijigulier d'avoir compofé fon poëme , dans les intervalles que lui laifTaient de fréquens accès de folie. Que cette folie ait été caufée par un philtre amoureux que lui donna Lucilia, fa femme ou fa maîtrefle, c'eft un conte ridicule que fe font tranfmis fucceflivement tous ceux qui ont écrit la vie de ce Poëte. L'époque de fa mort n'eft pas mieux fixée que celle de fa naifTance (4). On convient gêné( 3 ) Voyez la vie du Tailê, à la tête de la traduction de la Jérufafem délivrée, par M. Mirabaud. ( 4 ) Les uns difent qu'il mourut à 41 ans , Tan de Rome 701 , fous le troiûeme confulat 15 ralement, qu'il fe tua lui- même dans un âge peu avancé ; mais on difpure fur le morif qui lui infpira cette funefte réfolution. Les uns l'attribuent aux troubles qui agitaient la République : mais y prenait-il aflez de part, pour en être affecté jufqu à ce point ? D'autres prérendent qu'il ne voulut pas furvivre à l'exil de Memmius. Le furnom de Carus que portait Lucrèce prouve qu'il était fenfible à l'amitié. Mais un exil qui rendait au repos, a la retraite & à la méditation un ami éclairé & philofophe, pouvait-il être regardé par Lucrèce comme un coup bien terrible ? H eft plus probable, ou qu'il fe tua dans un accès de frénéfie, ou que l'ennui d'une vie troublée fans cefle par le délire & la douleur, le détermina à y renoncer. Voila le peu de lumières de Cneius Pompeius Magnus. Donac veut qu'il foit mort à 35 ans (bus le confulac de Cn. Pompeius Magnus, & de M. Licinius Craflus pour la fecouae fois. Eufebc le fait vivre jufqu'à 44 ans. Propriafe manu interfecit anno cttatis qua* dragefimo quarto, 4 " S. Jérôme in Chrome. Eufeb. 1 4 que l'hiftoirë nous fournit fur la perfonne de Lucrèce. Finiffbns par un pafTage de Vireile bien glorieux à la mémoire de notre Poète, & dont l'application eft fort {impie, quoiqu'elle n'ait encore été faite par perfonne, Pelix , qui potuit rerum cognofcere caufas 5 Atque metus omncs & inexorabile fatum Subjecit pedibus , ftrepitumqué Acberontis avari! Fbrtunatus & ille, Deos qui novit agreftes, Panaque Sylvanumque (ènem, Nymphafquc forores. Georg. lib. II. v. 490. Il eft clair que Virgile dans ce partage fe compare à Lucrèce j c'eft comme s'il difait : un autre avant moi s'eft immortalifé en approfondiflfant les caufes des phénomènes de la Nature , en foulant aux pieds les terreurs de la fuperftition > & en bravant le vain bruit de l'avare Achéron j mais celui qui a célébré les Divinités champêtres , P a n , le vieux Sylvain & les Nymphes fes^œurs* n'eft* pas non plus fans mérite. »5 DE Xâ CAMILLE MEMMIENKE, pocme de Lucrèce étant dédié à Memmius , on à cru néceffaire de faire connaître en peu de mots cette famille fur laquelle Gifanius nous a laide une longue differtation. La famille des Memmius était très-ancienne , s'il faut en croire Virgile qui la fait remonter jufqu'à Mnefthée , mox% Italus Mnefthcus > gcnus à quo Nomine Memmî j jEneid. lib. V. Mais avec une origine auffi ancienne, cette famille eût elle été plébéienne ? Or c'eft un fait dont on ne peut douter, puisqu'il y a eu des Memmius , tribuns du peuple. Le premier Memmius dont il foifc parlé dans l'hiitoire, eft C. Memmius * qui fut Préteur de Sardaigne fous le confinât de O Qaudius Pulcher & de T. Sempronius Gracckus > fix ans avant la JLJE U I * Yid; Tiu LiT. lib. 41...42, i6 guerre de Perfée, Se qui quatre ans après fous le confulat de C. Popilius Laenas Se de P. itlius Ligur, fut Préteur en Sicile. Il eut deux fils , C, & L, Memmius, Orateurs qui fleurirent du tems de Jugurtha Se de Sylla, Se dont parlent Cicéron Se Salluïte. Le premier fut afTommé à coups de bâton dans le champ de Mars par Saturninus, tribun du peuple, fon ennemi, fous le confulat de C. Marius pour la fîxieme fois , Se de Val. Flaccus. Ce fut ce C. Memmius qui accufa de concuilion L. Calpurnius Beftia , qui , pendant fon confulat, envoyé en Numidie à la tète d'une armée, s'était laifle corrompre par l'argent de Jugurtha , Se avait pillé celui des Alliés. Ce fut encore lui qui pendant fon confulat ordonna par une loi de faire venir Jugurtha à Rome > enfin on croit qu'il fut l'auteur de la fameufe loi Mttnmia 3 par laquelle i[ était défendu de citer en juftice les citoyens abfens pour les affaires de la RéA publique, Se ordonné d'imprimer la lec- *7 tre K fur* le front des calomniateurs & des accufateurs fubornés. On ne dit rien de Lucius frère de Caius. L'hiftoire parle encore d'un M. Memmius, qui fut, dans la guerre de Serrorius, Quefteur de Pompée dont il avait époufé la fœur. On foupçoime qu'il était frère ou coufin-germain de ceux-ci. Enfin C. Memmius Gemellus , celui auquel Lucrèce a dédié fon pocme, étaic fils de Lucius. On croit qu'il étudia à Athènes fous les mêmes maîtres que Lucrèce* A fon retour à Rome il obtint la préture & eut le gouvernement de Bithynie. Il mena avec lui le poète Catulle, Curtius Nicetas , grammairien célèbre, auxquels on foupçonne que fe joignit auffi Lucrèce. A fon retour il fut accufé par Céfar, mais on ignore quelle fut Tiffue du jugement. Quelque tems après, fous le confulat de L. Domitius & d'Ap. Claudius, il accufa à fon tour de concuffion Gabinius, & la même année C. Ra~ birius Pofthumus, défendu par Ciccron dont nous avons le plaidoyer. Il brigaa inutilement le çonfulat, & ayant été con* damné en vertu delà loi Pompeia de Ambituj il fe retira en exil dans la Grèce * où il mourut peu d'années après. Il faU lait que ce Memmius fût un homme recommandable par fes lumières , pour avoit mérité l'amitié de Lucrèce & la dédicace de fon poème. Cicéron le loue lettres Grecques , mais lui reproche de fa profonde connaiflance dans les fon trop de mépris pour les Latines. Il lui accorde de la finefle dans l'efprit 3c de la douceur dans i'expreflion, mais il le blâme d'avoir craint la fatigue de parler & même de penfer, ajoutant que fes ta^ lens fe rouillèrent peu à peu par le défaut d'exercice. C Memmiusy Luciifilius; perfecius litterisjfed Gratis : fajlidiofus fane Latinarum : argutusorator, verbifquedul* cis y fed fugiens non modo dicendi veràm etiam cogitandi laborem y tantùm fibi de facultatc detraxit _, quantum imminuit in-* dujlr'u. Cic. de Clar, Orat. ad Brutum* I* •^^ A V I S D^J LIBR.AIRE. Comme desperfonnes éclairées ont paru defirer de trouver ici la célèbre invocation d'Hefnaultj qu'Un ejlpas aifédefe procurerj on a cru devoir déférer à leurs avis. JLJ s E s s s , dont le fan g a formé nos aïeux , Toi qui fais le plaifir des hommes & des Dieux, Qui par un doux pouvoix régnant fur tout le monde Rends Se la mer peuplée Se la terre féconde, Je t'invoque, ô Vénus, ô mère de l'Amour ; C'clt par toi qu'eft conçu tout ce qui voit le jour ; Un feul de tes regards écarte les nuages , Chaûe les aquiloas, diffipe les orage*, Redonne un air riant à Neptune irrité , Et répand dans les airs une vive clarté. Dès le premier beau jour que ton aftre ramené , Les zéphyrs font fentir leur amoureufe haleine ; l a Terre orne fon fein de brillantes couleurs , Et l'air cft parfumé du doux eiprit des fleurs. On entend les oifeaux frappés de ta puifiance, Par mille tons lafeifs, célébrer ta préfence. Pour la belle genifle on voit ks fiers taureaux, Ô* bondir (Uns fe, plaine ou traverser les eaux.» Enfin les habitans des bois & des montagri«s, Des fleuves & des mers & desVertes campagnes * Brûlant à ton afpecl: d'amour & de defïr, S'engagent à peupler par l'attrait du plaifïr; Tant on aime à te fuivre, & ce charmant empire Qu'exerce la beauté fur tout ce qui refpire. fronce puifque la nature eft toute fous ta loi, Que rien dans l'univers ne voit le jour fans toi, Que fans toi, rien n'eft beau, rien n'aime Se n'eft aimable 3 Vénus, deviens ma Mufe, & fois-moi favorable. Je vais de l'univers étaler les fecrets ; J'écris po*ur un Héros comblé de tes bienfaits, Memmius eut de toi les grâces en partage; Fais-les en fa faveur briller dans cet ouvrage. Cependant des mortels arrête les terreurs, Ecarte loin de nous la guerre & fes horreurs* Tu peux tout mettre en paix & fur mer & fut terre 5 Car que ne peux-tu point fur le Dieu de la guerre % Souvent ce Dieu û fier , vaincu par tes appas , Dépofe fa fierté pour languir dans tes bras. Sa tête eft fur ton fein nonchalamment penchée , Et l'amour tient fon ame à ta bouche attachée , Ses yeux étincelans errent fur ton beau corps, Et nourrifient fes feux en pillant tes tréfers : Tant tu lais avec art bien placer tes «are/Tes, Allumer.les dciîrs, provoquer les tendiefles. a Parle pour kl Romains dans ces momensfidoux. Nous demandons la paix, demande-la pour nous. Le defTein que je prends veut un cfprit tranquille s Puis-je le pofTéder dans ce tems difficile, Et de tant de Héros Memmius digne fils , Peut-il donner des foins qu'au bien de fon pays t Non, brave Memmius » n'apporte à cette étude Qu'un efprit affranchi de toute inquiétude ; Autrement tous mes foins feraient hors de faifon* En vain j'entreprendrais d'éclairer ta rai fon , Bien loin de pénétrer ce que je vais t'apprendre, Tu te rallentirais avant que de l'entendre, Je vais d'un vel hardi m'élever dans les cieux ; Et là te faire voir quel eft l'emploi des Dieux , Te ramener après dans la fource des chofes , Et des plus grands effets te dévoiler les caufes. Tu fauras de quel fonds la Nature fait tout, Pc quoi tout s'entretient, en quoi tout fe réfout j Quels font ces (impies corps, cettefimplematière Qu'on nomme premiers corps & matière pre« miere : Parce que tout vient d'eux 8c qu'ils font éternels. Car loin de notre efprit ces penfers criminels Qui dégradent des Dieux l'immortelle nature, Et les font ouvriers de chaque créature. Si ces Dieux ne vivaient dans la tranquillité, A quoi leur rervirait leur immortalité ? A tien cjoTà ks livrer à d'éternelles feinot, 1% C'eft trop les intriguer dans les chofes humaines; Ils font toujours puiflans, toujours heureux fans nous, Et ne Tentent jamais ni pitié ni courroux. On a vu les mortels traîner long-tems leur vie Sous la Religion (a) durement alTervie. Long-tems du haut du ciel ce phantôme cifrayant A lancé fur la terre un regard foudroyant. Mais un Grec le premier, plein d'une fage audace, Lofa voir d'un œil fixe & l'infulter en face. Tout ce qu'on dit des Dieux ne put l'en détourner; La Terre eut beau frémir, le Ciel eut beau tonner , Il n'en fut que plus vif à percer l'impollure, Et plus prompt à s'ouvrir le fein de la Nature. Dans l'enceinte du monde il fe crut trop ferré ; Le ciel ne fut pas même affei vafte à Côn gré : Rien ne lui fit obftacle , & ce puiffant génie Courut de l'univers la carrière infinie. Après avoir fu tout, il nous a tout appris : Nul être, nul pouvoir ne furprend nos efprits ; On fait jufqu'ou s'étend tout pouvoir & tout être, Et ce qai le termine & ce qu'il en peut naître. Ainfi par la raifon il furmonta la peur ; (*) Le Polytbéifme. Ainfi ferrent mourante aux pieds de Ton vainqueur. Et la Religion (h) terraffée avec elle, Attire à ce mortel une gloire immortelle. Peut-être, Memmius, peut-être croiras-m Que ma philofophie attaque ta vertu i Que de l'impiété je ronde les maximes, Et qu'enfin je ne veux qu'ouvrir la porte aux crimes: Mais regarde plutôt quels crimes odieux A produit autrefois ce vain culte des Dieux » On maltraite en Aulide une jeune Princcflc , Et qui font les bourreaux ? tous les chefs de la Grèce, Son père» Mais Diane a foif de ce beau fang : Agamemnon le livre, & Calchas le répand. La belle Iphigénie au temple cft amenée , Et d'un voile auffî-tôt la viétime eft ornée. Tout un grand peuple en pleurs s'empreifc poi* la voir j Son père eft auprès d'elle outré de défpefpoir * Un Prêtre auprès de lui couvre un fçr d'une étole. A ce fpedade affreux elle perd la parole, S'aganouille en tremblant fefoumet àfonfort, Et s'abandonne toute aux horreurs de la mort. 0) l'Idolâtrie, uM^T*r^* J$* *4 Il ne lui fert de rien , à cette heure fatale, D'être le premier fruit de la couche royale , On l'enlevé de terre, on la porte à l'autel 5 Et bien loin d'accomplir un hymen folemnel, Au l.ieu de cet hymen, fous les yeux de fon père , On legorge, on l'immole à Diane en colère , Pour la rendre propice au départ des vaifleaux : Tant la Religion (c) peut enfanter de maux ? (c) Ceft-à dire la fuj»erfticjon, SUJET ; v •r~'-.-**.r- "* 1r- es U'JET D U P.REM1ER LIVRE. E Poète débute par unejwigniiqueinvocation à Vénus ; viennent9 vçnfuite, i°.la dédicacp defon poème m Memmius ; 2 0 . Vexpofition dufufàet ; 3°, réloge •t/'Épicure ; 40. la réfutation^ des objections générales f\ qu'on pourraitfairc contre la docL trine du Philofophe Grec, & contre |fla hardujfe du Poète Latinr dJofer ht rendre enfa langue. Après cette tfpeçe de Préface éloquente, Lucrece entre en matière, & établit pour remier principe que l'être ne peut Jbrtir du néant ni y rentrer. / / Tome I. A 2. txifte donc des corpufcules priml*tifs , dont tous les corps font for* mes y & dans lefquels ils Je réfoU yent ; quoiqu' invifibles 3 leur exif* tence n'en eflpas moins incontejla-, »ble. mais ils ne pourraient agir , fe mouvoir, ni même cxijler fans vuide. L'Univers efl donc le réfuU tat de ces deux chofes, la matière & le vuide. Tout ce qui n'ejl ni Vun ni Vautre 3 en efl propriété ou .accident, & non pas une troifiemc clajfe d'êtres à part. Les corps pre^ miers étant la bafe des ouvrages de la Nature , doivent être parfaitement folides y indivifibles & éter- nels. Cejl donc à tort qu'Heraclite donne aux corps pour principe le f 3 • feu i d}entres Philofophes, Veau, l\air €0 ta terre, & Empedocles &jp quatre élémens. L'Homœome.- 4~ rie d'Anaxagore n'explique pas mieux la formation des êtres. Le Grand tout indeflruclible dansfes •^ principes, eji infini dans fa majfe. t* Il n'y a donc pas de centre où ten1 dent les corps graves y la doctrine \ des Antipodes efi donc une folie., m h Aij T I T I LVCRETII CARI D E R ER U M LIBER N A T U R A. PRIMUS. YX-j N E A D u M genetrix, hominum divûmquci voluptas > Aima V^nus, cœiifubter labentia fïgna , Quae mare navigerum, qua: terras frugiferentes Concélébras j per te quoniam gcnus omne anir mantûm Concipitui, vifîtque exprtum lumina folis : 7 e , Dea, te fugiunt venti, te nubila cœli, Adventumque tuum j tibi fuaves ctaedala tellus Summittit flores 5 tibi rident acquora ponti % Placatumque nitet difFufo lumine coelura. Namfimulac fpecxes patefacta eft verna diei,] * JEt referata vîgct genitabilis aura Favonî 5 ^ëriae primrim vçlucres teA Diva, taumque ».M TUT»* *•*-»'- .» ry* * IN. l. .u :h . \ Vkf * '»"• «4*' t •' * A • *• m ^• J r- V 1 < n^i ttttir:*&«':'•-, >mm &wpA\mmW - > ^ ^>-^>- n% «•••mm!. #• ' Il I 11 II JI. Gravc'ht- viv. Xullf u n Il oui o loin' natif nr, ni:;i m o i i e . a ^ f u i a m aliéna . c ' K Ziicr.Zrx.T. 'sif^t / SUCRE CE, D E L A^ NATURE DES CHOSES. ;•>' iifiTn i l L 0 R E PREMIER. MEift des Romains, charme des hommes .%* & des fclcux; 6 Venus, ô Dédie bienfai&ntt, <fa hauc^ls \SL lovtc.boAèc 9 m répands la £&o*? dite fur les meii qui portent les navires, fur les terres <pû donnent les moifïbns. Ceft par coi que les^j^ibaint de tonte efpece font conçus & oOTçeAjDBB yeux^à la lumière. Ta parais Se les *tw4en&icnt, les nuages font diflîpés, la ten* o&Uie la variété de fes tapis : l'Océan pren# une ace riante 5 le ciel devenu ferein répand an loin la pms vive fplendeur. A peine le prînçemsa ramené les beaux jours, à peine le zéphir a recouvré £bn haleine féconde, déjà habitant 'de l'air xeflement ton atteinte > 8c • * > • • • • - / V * • t - - . 4 • A IIJL •'•Ci* *i . . M G LUCRECE Signifîcanr initum , percufTas corda tuâ vi : Inde fera? pecudes perfultant pabula Leta, Et rapidos tranant amnes ; ita capta lepore Ilkcebrifque cuis , omnis natura animantûm Te fequitur cupide, quo quamquc inducere pergis : Denique per maria ac montes fluviofque rapaccs Erondiferafq; domos avium campofq; vkentes, Omnibus incutiens blandum per pectora amorem, Efricis uc cupide generatim faecla propagent. Quae quoniam rerum naturam fola gubernas, Kec fine te quidquam dias in luminis oras Exoritur, neq; fit betum, nec amabile quidquam $ Te fociam ftudeo fcribundis verfibus efle , Quos ego de RERUM N A T U R A pangere conor Memmiada? noftro , quem t u , Dea, tempore in omni, Omnibus ornatum voluifti exdeltere rébus : Quo magis arternumda di&is, Diva, leporem. Efficc ut interea fera moenera militiaï Per maria ac terras omrfes fopita quiefeant : Nam tu fola potcstranquitl a pace juvare Mortales ; quoniam belli fera moenera Mayors Armipotens régit, in gremium qui faepe tuum fè Reiicit, aeterno devinctus volnere amoris ; Àtque ita fufpiciens, tereti cervicc repôftâ, * Pafcit amore avidos , inhiacs in te, Dea, vifus ; Eque tuo peadet refupiai fpiritus- ore. I %i r R£ L |fi le prcûcnt fttanonar ton retour ; auflî-tôt tes troupean* èsifiammés bondiûent dans leurs pâtuliges*flrtràverfent ks fleuves rapides. Epris de tes ^•^naùnès, faifis de ton attrait, tous les êtres vivans S brûlent de te Cuivre, par-tout où :u les entraines. Enfin dans les mers, fur les montagnes, au milietr desfleuvesimpétueux, des bocages touffus, des vertes campagnes, ta douceflammepénètre tous ks eccurs, anime toutes les efpeces de defir de fe perpétuer. Puifque tu es Tunique Souveraine de la nature, la créatrice des êtres, la fource des grâces écdu plaifir, davgne, ô Véùus, t'aiTbcier a mon travail,ftcm'infpirer ce Pocrae fur la NATURE. J î t ît confacre à ce Memmius que tu as orne en tout tems de tes dons les plus rares, & qui nous eft également cher à tous deux. Ceft en fa faveur que je te demande pour mes vers ua charme qui ne fe flétnflc jamais. Cependant aiToupis 8c fufpends fur la terre 5c Tonde les fureurs de la guerre. Toi feule peux taire goûter aux mortels les douceurs de la paix. p u (ein des allarmes le Dieu des batailles fo . jtejette dans tes bras. Là , retenu par la bief4foe d'un amour éternel, les yeux levés vers toi, % tête pofée fur ton fein, la bouche entrouverte, il repaît d'amour fes regards avides, & fon amc [fp&e comme fofpcnduc à tes lèvres. Dans ce Àiv tr >/. LUC * RE €E Hune tu, Diva, tuo recubantem corpore rancTo ; Ciicumfufa fuper, fuaves ex ore loquelas JFunde, petensplacidam Romanis, Inclita, pacem. Nam ne.que nos agere hoc, patriaï tempore iniqîiD, PorTumus aequo animo 5 neque Memmî clara proFgo > Talibus. in rébus, communi dee/Te falutL Quodfupereft, vacuasauresmihi, Memmiad a , & te Semotum à curis adhibe veram ad rationem j Ne mea dona, tibi ftudio difpôfta fîdeli, Intellecla priùs quàm fint, contempta relinquas : Nam tibi de fummâ cœli rarione Deûmque DifTerere incipiam, & reram primordiapandam > , Undè omnes Natura creet rei, auctet alarque :. Quôve eadem rurfum Natura perempta refolvat L Quae nos materiem, & genitalia cor para rébus Reddundâ in ratione vocare, Scfimina rerum Appellare fuemus, & hase eadem ufurpare Corp ora prima 9 quod ex illis funt omnia primisOmnis enim pçr fe Divûm natura necefTe eft Immortali asvo fummâ cum pace fruatur, Semota ab noftris rébus, fejunctaque longé ; Nam privata dolore omni, privata periclis, Ipfa fuis pollens epibus, nil indiga noftrî ^ -t I V R E L i Cornent d'ivrefle où tes membres facrés le foutiennent, .6 Déefle , panchée tendrement fur lui, abandonnée à fes embraflemens, verfe dans foa a a e la douce perfuafion^ & fois la puiflante médiatrice de la paix. Hclas ! Dans les troubles de ma patrie m'eft-il permis de chanter, & l*il— luftre Memmius manquera-t-il à la défenfe de l'Etat, pour prêter l'oreille à mes fons l Puifllez-vous donc bientôt, 6 Memmius, délivré de ces trilles foins, apporter un efprit libre à l'étude de la fagefle, & ne point rejette r ces fruits d'une étude pénible avant de les avoir connus. Je vous dévoilerai le fyftème du ciel, & la nature des Dieux ; je vous ferai connaître les principes à l'aide defqueb la Nature forme, accroic & nourrit les êtres , & dans lcfquels elles les réduit après leur deftru&ion : parties élémentaires, auxquelles je donnerai dans le cours de cet ouvrage les noms de Matière, de Corps générateurs, de Principes & de Corps premiers, parce qu'ils précèdent & produifent tour. En effet les Dieux, par le privilège de. leur L nature doivent jouir dans une profonde paix de | leur immortalité ; hors dt la fphere de nos événemens;, éloignés de notre, monde , à l'abri de la tdoukur & da danger, fefufEfans à eux-mêmes» i-«i p-.' io LUCRECE Nec bene promeritis capitur, nec tangitur ira. Humana ante oculos fœdè cùm vita jaceret In terris, opprefla gravi fub Relligione, Qux caput à cœh regionibus obftendebat, Horribiii fuper afpectu mortalibus inftans ; Primiim Graïus homo mortales tollere contra Eft oculos aufus, primufque obfiftere contra : Quem nec famaDeûm, nec fulmina, necminitanti Murmure comprefïit cœlum 5 fed eo magis acrerrt Virtutem inritât animi, confringere ut arda Naturae primus portarum clauftra cupiret. Ergo vivida vis animi pervicit y & extra Proceflît longe flammantia moenia mundi, Arque omne immenfum peragravit mente am> moque 'y Unde refert îiobis viétor, quid poffit oriri, Quid nequeat ; finita poteftas denique quoique Quânam fit ratione, atque altc terminus haerens» Quare Relligio pedibus fubjeclra viciflim Obteritur, nos exaequar vi&oria cœlo. Illud in his rébus vereor, ne forte rearis; împia te rationis inire elementa, viamquc Endogredi fceleris ; quod contra, faepiùs olirr* Relligio peperit fcelerofa atque impia fa&a ; Aulide quo pacto Triviaï virginis acam a ~Z / V R £ L n \ indépendant* de nous, ils ne font ni TenUblcs à nos vert**, ni acccfllbles à la colère. # Dans le tems oii l'homme avili rampait foirV les chaînes pesantes du fanatifme, ce tyran farouche* qui , du milieu des nues, montrai: fa tête épouvantable , & dont l'œil erFrayanf menaçait d'en haut les mortels ; un homme né diQS la Grèce ofa le premier lever contre lai (es regards , de refufa de s'incliner. Ni ces Dieux fi vantés, ni leurs foudres , ni le bmit menaçant du ciel en courroux ne purent l'intimider. Son courage s'irrita par les obstacles» Impatient de brifer l'étroite enceinte de la Nature , fon génie vainqueur s'élança au-delà des bornes enflammées du monde, parcourut à pas de géant les plaines de l'immenfité , & eut U gloire d'en&igner aux hommes ce qui peut on ne peut pas naître, 6c comment la puifïancc des corps cft bornée par leur efTence même. Ainfi ix fûpcrmkiofi fut à fon tour foulée aux pieds, Se fk défaite nous rendit égaux aux Dieux» 6 Mcmmius, que vous ne m'a Gentiez de vous ouvrir une école d'impiété, & fe conduire vos pas dans la route du crime. C'eil WL contraire la fupcrftition , qui, trop fouvent [Tiojfira des a&ojw Impies & criminelles. Aux& Avj il LUCRECE IphianafTaï turpârunt fanguine fœdè , Du&ores Danaiim deletti, prima virorum.* Cui fimul infula virgincos circumdata comptus , Exutrâque pari malarum parte profufa eft, Et mœftum fimul ante aras adftare parentcm Senfit, & hune propter ferrum- celare miniftros , Afpec"hique fuo lacrymas efFundère cives 5 Muta metu , terram genibus fummifla petebat j Ncc mifcra prodefTe in tali tempore quibat, Quôd patrio priaceps donârat nomine regem.Nam fublata virûm manibus tremebundaque, ad aras Dcdu&a eft, non ut, folenni more facrorum* Perfe&o, pofTet claro comitari Hymenjeo 5 5ed cafta , inceftè , nubendi tempore in ipfo „ Hoftia concideret ma&atu mœfta parentis 5 Exitus ut clafli felix fauftufque daretur. Tantùm Rclligio potuit fuadcre. malorum I. Tutemet à nobis jam quovis tempore vatura Terriloquis vi&us di&is defcifcere quaeres : Quippe etcnim quam multa tibi jam-fmgere po£fum Somoia, qaae rira? rationes rertere poflîat, ifJSùit des ffcafede la Grèce, les premiers héros dirmonàVi^rfimillcrent jadis en AuUde l'autel de d'Iphigenie. Quand le bandeau ^xurabre y eut paré la chevelure de la jeune Priacette, &flotté'le long de Tes joues innocentes';. 14 quand elle vit Ton penj, au pied de l'autel, de'lïbmit, l'œil trifte, & l'air morne 5 à côté de lui ' ks Sacrificateurs cachantfousleurs robes le couV tcan (àcré 5 8c un grand peuple en larmes autour à* ^ y ^ . ^ tt fpc^dç y muette d'effroi , elle â combe fur (es genoux, comme une fuppliante.. F- Que lui fervatt, dant cet inftant fatal, d'avoir •:^ la .première donné le nom de père au Roi de ; Myceacs ? Des Prêtres impitoyables la foule; s'„ vent ML la portent tremblante à L'autel, non pour '{;, la reconduise au milieu d'un pompeux conegc 1 après la cérémonie de £Hy menée, mais pour la .- Sûre expirer (bus les coups de fon père, au moment même que l'amour deftinait à fon ma* % siage. Bt pourquoi ? Afin dk>btenir un heureax départ- pour la flotte écs Grecs. Tant la fuperf»• attion infpire aux hommes de barbarie I Vous-même, 6 Memmius, fatigué par Tes £éck& enrayant des Poètes de tous les fiecles, *uus me fuirez peut-être craignant de trouver • «uni dans? mon Pocmc des fonges lugubres, ca<k troubles tout le fyftcmc de voue V m i4 LUCRECE lortunafque tuas omnes turbare timoré ? Et merito 5 nam Ci certain finem eiTe vidèrent jErumnarura. homines , aliquâ ratione valurent , Relligionibus , atque minis obfiftere vatum. Nunc ratio nulla eft reftandi, nulla facultas ; jEternas quoniam pœnas in morte timendum; Ignoratur enim quae fit natura animai 5 Nata fit, an contra nafcentibus infinuetur 5 It fimul intereat nobifcum morte dirempta , An tenebras Orci vifat vaftafque lacunas, An pecudes alias divinitds inflnuet fe 5 Ennius ut nofter cccinit, qui primus amœno* Detulit ex Helicone perenni fronde cotonam > Per gentes Italas hominum quar clara clueret y Etfi practerea tamen efle Acherulîa templa Ennius «ternis exponit verfibus edens ; Quo neque permanent animas, neque corpora noftra, Sed quaedam fîmulacra modis pallentia miris : Undè fibi exortam femperflorentisHomeri Commémorât fpeciem, lacrymas & fundere faites CœpiiTe, & rerum naturam expandere dictis. Quapropter bene, cùm fupexis de rébus habenda Nobis eft ratio, folis lunasquc meatus Qua fiant ratione-, & qui vi quaeque genantus t IVRE L 15: Tic , & d*csnpeUbnner votre bonheur par la crainte* Et vous -auriez raifon : car fi l'homme voyait on terme fixe à Tes maux, il aurait au moins quelque reûource contre les menaces de la Giperitition & dt$ Poctes/f&ais quel moyen loi refte-t-il de ie défendre aujourd'hui qu'il a des peines éternelles à redouter après la mon ? ["> C'eft que la nature de Ton ame eft un problème pour lui. Il ignore fi elle naît avec le corps» ou s'y infirme au moment de la naiûance > fi elle meurt avec nous par k diûolution de Tes parties ; ou fi elle va vifiter ks (ombres bords ; ou fi enfin l'ordre des Dieux la fait paffer dans des corps d'animaux, ainfi que Ta chanté Ennius ,* le premier, qui du riant fommet de l'HéUcon foitdefcendu dans le Latium, le front ceint "S d'une couronne immortelle. Néanmoins il décrit dans ion poeme divin un (ejour habité, non par des corps ou des efprits, mais par des ombres•y. pâles & légères, entre lcfqueUcs le phantôme de l'immortel Homère lui apparut , verfa des larmes ameres à ùL vue, & lui dévoila les fe«rets de la nature.* " Avant donc de porter nos regards aç defTur de nos têtes, de fuivre le cours du (bleil & de la lune, & d'approfondir la caufe des phénomoI > iftes terrcfbes \ il cft cflcnriei avant tout de rechex- 16 LUCRE CE ïn terris 5 tum cumprimis , ratione fàgacî, Unde anima atque acimi conflet natura yiden* du m , Et quae res nobis vigilantibus obvia, mentes Terrificet morbo arFeâiis fomnoque fepultis j Cernere uti videamur eos, audireque coram ,. Mor:e obitâ, quorum tellas amplectitur ofla. Ncc me animi fallit, Graïorum oblcura reperta^ Difficile illuftrare Larinis verfibusefTe 5 Multa novîs verbis prasfertim cdm fit agendum ,. Propter egeftatem linguae & rerum novitatem. Scd tua me virtustamen, & fperata voluptas Suavis amicitiae, quemvis perferre laborem Suadet, ic inducit no&es vigilare ferenas, Quxrentcm di&is quibus, & quo carminé demura, Clara tua? poflim praepandere lumina menti , Res quibus occultas penitùs convifere poflis. Hune igitur terrorem animi tenebraïque, necciTe eft Non radii folis, neque Iùcida tela diei Difcutiant, fed naturae fpecies ratibque. Principium hinc cujus nobis exordia fumer,, Nullam rem è nihilo gigni dlvlnitus unquam y Quippe ita formidô mortales continet omnes , * Q u o i multa in texris fieri, cœioque tuentur , 11 r RE i. t? let les principes conftitutifs de l'efprit Se de lame, 8c la nature d«s objets , qui après l'avoir frappée pendant le jour , l'effraient de nouveau IQS le iommeil ou la maladie, avec une telle ité, qu'on croit voir de entendre ceux que la >rt a moitionnes * & dont la terre enferme les [dépouilles. * Je n'ignore pas d'an autre côté que notre langue e fe prête qu'avec peine aux recherches obfcures la Grèce. La difette des mots & la nouveauté fejet m'obligeront feuvent de créer des terMais votre mérite, mon cher Memmius» le plaifîr que me promet une amitié Ci douce rendent capable des travaux les plus pénibles* 'aime à chercher, dans le calme d'une nuit anquille, des tours heureux, des images bril[fiantes, qui pui/Tcnt porter la lumière dans votre , & vous dévoiler le fyfterae entier de PUÎTers. Car pour dilfîper les terreurs dz la fution & les ténèbres de l'ignorance, il eft ibin, non des rayons du folcil, & de la lumière jour , mais de l'étude réfléchie de la nature.. Ecoutez donc ia voix.. Elle vous apprendra fjbord que la Divinité même ne peut tirer l'être fondant. La crainte iubjugoe tellement les cœur» mortels, qu'à la f uc des phénomènes du ciel ti» U ïS L UC R E C È Quorum opèrum caufas- nullâ racione viderd PoiTlmt, ac fieri divino numine-rentur. Quas ob res , ubi viderimus nil pofTe creari De nihilo , tum quod fequimur jam redtiùs indè Perfpiciemus, & unde queat res qu*eque creari , Et quo quxque modo fiant opéra fine Divûni. Nam fi de nihilo fièrent, ex omnibu* rebu$ Omne genus nafci pofiet 'y nil femine egerer. E mare primiim hommes, è terra polTet oriri Squammigemm genûs & volucres , erumpere cœlo Atmenta arque alia; pecudes , genus omne ferarum, Incerto parcu, culta ac deferta teneret : Nec fructus iidem arboribus conflare folerenc,* Sed mutarentur : ferre omnes omnia pofTent, Quippe , ubi non efTent genitalia corpora cuique , Quî pofTet mater rébus confiftcre ceita ? At nunc, feminibus quia certis quidque créa* tur j Indè enafcitur atque oras in luminis exit, Materies ubi ineft cujufque & corpora prima. Atque hâc re nequeuntex omnibus omnia gigni , Quod certis in rébus ineft fecreta facukas. X / T R E I. 10 ['& de la cent dont ils ne pouvaient pénétrer les -caufes , ils ont fournis la nature à des Dieux î créateurs. Quand nous nous ferons aûurés que ifeien ne fe fait de rien , nous di flingue ions plus jaifément le bue où nous tendons, la fource d'où | louent les êtres, 9c la manière dont chaque chofe peut fe former fans le fecours des Dieux. Si quelque chofe s'engendrait de rien, les êtres de toute cfpccc pourraient naître indifféremment 4e toute forte de corps fans avoir befoin de gc mes particuliers. L'homme pourrair naître d; ['•les ondes : les poiffons & les 01 féaux fc former k dans la terre : les troupeaux s'élancer des nues : k les bêtes féroces, enfant du hazard , fe plaire également dans les lieux cultivés ou dans les dé-» ferts. Les arbres n'offriraient pas conitamment ks mêmes fruits : ils en changeraient chaque jours tous les corps pourraient produire des fruits de toute efpece : car s'il n'y a point de germes , dès-lors plus d'ordre ni d'uniformité dans Tes générations. Mais comme toutes les productions ['•' de la nature ont pour bafe des femences déterminées 'y elles ne naiffent qu'à l'endroit où fe -trouve la matière qui leur eft propre, les élé~ mens qui leur conviennent. Et c'eft cette énergie, 'différente félon les principes, qui circonferit les générations Se entretient l'ordre dans la nature» io LUCRECE Praterea cur vere rofam , frumentâ calore ,• Vîtes autumno fundi Codante vidtmus ? Si non , certa fuo quia tempore femina rcrum Cùm confluxeruat , patefît quodcunque créa-* tur ; Çum tempcftates adfunt, & vivida tellus Tuto res teneras eiTert in luminis oras. Q u o i fi de nihilo fièrent, fubito exorerectur, Incerto fpatio, atque alienis partibus aoni $ Quippe ubi nulla forent primordia, quae ge,# nitali Cbncilio pofTent arceri tempore iniquo. Nec porro augendis rébus fpatio foret u&s Seminis ad coitum, è nrhilo fi crefcere po£fent: Nam fièrent juvmes fubito ex infantibu' parvis * E terrâque exorta repente arbufta falirent : Qaorum nil fieri manifeftum eft-?omnia quanda Paulatim crefcunt, ut par eft, femine certo ; Crefcendoque genus fervant 5 ut nofcere po£fis, Quxque fuâ de mareriâ grandefcere alique. Hue accedit u t i , fine certis ïmbribus anni» 4 X-aetiîTcos nequeat fœtus fummittere tellus ; Nec porro fecreta cibo natura animantûm 3 Propagare genus pofiit Yitamque tueri ; I Ivl l I F R E I. tt Ne voyez-vous pas la rofe naître au printems, s moi/Tons jaunir en été, U vigne mûrir dans les aux jours de l'automne ; C'cft que, dans le tems Exe, les femences fe ratfemblent, les productions ie développent, & la terre au moment marqué par la faifon, expofe avec afTurance Tes tendres AoarriiTons àttrapreflionde l'air. Mais fi l'être K {orrait du néant, elles naîtraient tout-à-coup, dans i- des tems indéterminés, dans des faifons contrai^ jes s puisqu'il n'y aurait pas d clé mens dont le vice, 4es faifons put empêcher l'aifcmblage. ^ Allons plus loin ; les corps tirés du néant 'T n'auraient pas hefoin pour croître du tems & de j la réunion de leurs germes. L'enfance ne ferait i pas féparée de l'adolefcence 5 & l'arbuitc à peine '+ éçlos s'élancerait tout-à-coup vers la nue. Ce n'eft m pas là la marche de la Nature. La foi té des clé' meas aiTujettit les corps à de« progrès lents, & ), leur impriment un caractère fpécifîque qu'ils «. tonfervent en croUTant : preuve évidente que .chaque être à fâ matière propre qui fert à le .nourrir & à le développer, Si vous confidérez d'un autre côté que, fans les pluies réglées de l'année, la terre ne vous offrirait pas fes utiles productions, & que les animaux, ivés d'alimens, ne pourraient fe conferver ni i± LUCRECE Ut potiùs multis communia corpora rébus . Multa putes efle , ut verbis elementa vide-* mus, Quàm fine principiis ullam rem. exiftere pofTc. Denique cur homines tantos Natura parare Non potuit, pedibus qui poncum per vada polfent Tranftre , & magnos manij>us divellere montes , Multaque vivendo vitalia vincere fxcla ? Si non matcnes quia rébus reddita certa eft Gignundis , è quâ conftat quid poflic oriri : Nil igitur fieri de nilo pofle fatendum efl:, Semine quando opus cft rébus, quo quasque crcatas Ae'ris in teneras poflint proferrier auras. Poftremo , quoniam incultis praeftare videmu s Culta loca, & manibus meliores reddier fœtus; EfTe videlicet in terris primordia rcrum , Quae nos, fcecundas vertentes vomere glebas , Terraïque folum fubigentes, cimus ad ortus : Quod fi nulla forent, noftro fine qua»que labore, Sponte fuâ multo fieri meliora videres. Hue accedit uti quidque in fua corpora rurfum Diflblvat Natura, nequead nihilum interimat res. *r. 11 r Rs i. it Ce propager : bien loin de re&fer des principes uz corps , TOUS reconnaîtrez des élémcns communs à pluûeurs individus comme des lettres communes à plufieurs mots. Enfin pourquoi la Nature n'a-t-cllc pas p* faire des hommes aflez grands pour patfer à gué l'Océan » aflez forts pour déraciner de la main les plus hautes montagnes, allez robuftes pour /îirvivre à la révolution de pluûeursficcies? Sinon 1 parce que la nature fixe des élémens, détermine S Jet qualités des individus. Avouons donc que rien ne fe peut faire de rien, puifquc chaque 'Corps a Dcfoin pour naître d'un germe particulier, Il En un mot ne voyons-nous pas les terres culj tjvées plus fertiles que les défères, & les produo v. fions de la nature s'améliorer fous la main dq laboureur ? il y a donc dans le fol des parties /lémentakes dont nous excitons l'énergie en rejouant les glèbes s & en déchirant le flanc de la .terre. Sans cela qu'aurions-nous befoin de nous tourmenter i'Tous les êtres tendraient d'euxêmes à la perfection. A cette vérité joignons-en une autre 5 c'elr Jk Nature R anéantit rien, mais réduit fimchamic tout en fes parties élémentaires ; 14 LUCRECE Nam fi quid mortale è cun&is partibus cfTcr, Ex oculis res quaeque repente erepta periret ; Nullâ vi foret ufus enim, quas partibus ejus Difcidium parère, & nexus exfolvere poifet : At nunc, seterno quia confiant (cmine quxque ; Donec vis obiit, quje res diverberet i&u , Aut inius pénétrer per inania diflblvatquc, Nullius exitium patitur Natura vùdcri. Praeterea, quaecunque vetuftate amovet artas, Si penims perimit confumens materiem omnemj Unde animale genus generatim in lumina vitx Redduci: Venus ? aut redduétum dœdala tellus Undc alit atque auget, generatim pabiila pracbens ? Undè mare, ingenui fontes externaque longe Flumina fuppeditant ? Unde a::herfiderapafeit ? Omnia enim débet, mortali corpore quas funt> Infinita «tas confumpfe anteacta diefque : Quod fi in eo fpatio atque antea&â astate fuére, E quibus hxc rerum confiftit fumma refecta ; Immonali funt naturâ praedita cercè. Haud igitur polfunt ad nilum qussque reverti. Denique res omnes eadem vis caufaque volgo Conficeret, nifi materies aeterna, teneret «' Inter fe nexas, minus aut inagis endopedit^ JaChis enim lechi fatis effet caufa profedtôj^jr Quippe, L I V R E I. 15 fi Jcs élémens étaient destructibles , les cerps di {paraîtraient en un moment ; il ne ferait pas nécefiaire qu'une action lente troublât l'union des principes, en rompit les liens : au lieu que ia Nature , ayant rendu éternels les élcmcns de la matière, ne nous prélente l'image de la deftruc*ipn, que quand une force étrangère a frappé la maife ou pénétre le tiffu-des corps. D'ailleurs, f\ le tems anéanti/Tait tout ce qui difparaît à nos yeux , dans quelle fource la Nature puiferait-ellc fes reproductions ? Comment la terre pourrait-elle nourrir les cfpcccs -régénérées ? De quel réfervoir les rivières & les fontaines tireraient-cllcs ce tribut continuel qu'elles viennent de fi loin payer à l'Océan ? De quels alimens fe repaîtraient les feux du ciel ? Si les élcmcns étaient péri/Tables , la révolution de tant de ficclcs écoulés devrait en avoir tari la fource. Si au contraire aufli anciens que les tems, ils travaillent de toute éternité aux reproductions de la Nature, il faut qu'ils foient immortels, 8c que rien dans l'univers ne puifle s'anéantir. Enfin la même caufe ferait périr tous les corps, fi leurs élémens n'étaient éternels, Se liés par des nœuds plus ou moins ferrés. Le tact fcul fuifixait pour les détruire. Quelle réfiftance opTome L B 16 LUCRECE Quippe, ubi nulla forent aeterno corpore, eorum Contextura vis deberet diflolvere quxque. At nunc, inter fe quia nexus principiorum. Difïimiles confiant, asternaque materies cft 5 încolumi rémanent res corpore , dum fatis acris Vis obeat pro texturâ cujufque reperta. Haud igitur redit ad nihilum res ulla, fed omnes Difcidio redeunt in corpora materiaï. Poftremo pereunt imbres, ubi eos pater JEthzr In gremium matris Terrai prcecipitavit î At nitidae furgunt fruges, ramique virefcunt Arboribus 5 crefcunt ipfae , fœtuque gravan-» tur. Hinc alitur porrô noftrum genus, atque ferarum : ïrL'mc laetas urbes pueris florere videmus, Trondiferafque novis avibus canere undique filvas: Hinc fefïse pecudes pingues per pabula Iceta Corpora deponunt, de candens lacteus humor Uberibus manat diftentis : hinc nova proies Artubus infirmis teneras lafeiva per herbas Ludit, lacle mero mentes pereufla novellas. Haud igitur penitùs pereunt quaecunque videntur : Quandà alid ex alio reficit Natura, nec ullam Rçm gigni patitur, aifi morte adjutara aliéna. JLI V R E "•/. - * 7 p>ferait un frêle aficmblage de parties deitructibles l Au lieu que les différcns liens des corps é ant dinemblables & la matière éternelle, chaque être fubuite, jufqu'à ce qu'il éprouve un chpc proportionné à l'union de Tes principes 5 rien donc ne s'anéantit, & la deftrodion ncft' que la difiolution des élémens. Ces pluies que l'air fécond verfe à grands flots dans le fem de notre mère commune vous paraiûent perdues î Mais par elles la terre fe couvre de moiflbns , las arbres reverdiflent, leur cime, s'élève , leurs rameaux fe courbent fous le poids des fruits. Ce font ces pluies falutaires qui fourniiïeiit aux hommes leurs alimens & aux animaux leur pâture. Delà cette jeune (le floriÇfa a te qui peuple nos villes, ce nouvel e (Ta ira de chantres harmonieux qui font retentir nos bois. Voyez les troupeaux repofer dans les rians pâturages leurs membres fatigués d'embonpoint, des ruifleaux d'un lait pur s'échapper de leurs mam~ melles tendues. Enivrés de cette douce liqueur, les tendres agneaux s'égaient fur le gazon, & ciTaient eotr'eux mille jeux folâtres. Les corps jie font donc pas anéantis en difparainanr à nos yeux* La Nature forme 4e nouveaux êtres de leurs débris ; & ce n'eft que par la mort des uns qu'elle accorde la vie aux autres. *Bij 28 LUCRECE Nu ne âge, res quorriam docui non pofTe crearii De nihilo , neque item genitas ad ml revocari , Ne quà forte tamen cœptes diffidere di&is , Quod nequeunt ocalis rerum primordia cerni ; Accipe prxterea 9 quas corpora rate necefle eft Çonfiteare eife in rébus, nec polie videri. Trinripio, venti vis vcrber.it incita pontum ; Ingentifque ruit navis, & nubila dilFert : Interdam rapido percurrens tuibine carapos Arboribus magnis fternit, montefque fupremos Sy lvifragis vexât flabris : ita perfurit acri Ctim fremitu, faevitque minaci murmure poatus. . Sunt igitur venti nimirum corpora caeca , Quae mare, quae terras, quae denique nubila cceli Verront, ac fubitô vexantia turbine raptanc. Nec xaiione âuunt aiiâ, ftragemque propaganc. Ac cùm mollis aqu£ fertur natura repenti Plumine abundanti, quod largis imbribus auget Montibus ex altis magnus decurfus aquaï, Fragmina conjiciens fylvarum, arbuftaque tota, Nec validi pollunt pontes venientis aquaï Vim fubitam tolerare . ita magno turbidus imbri, Molibus incurrens, validis cum viribus amnis, . Dat fonitu magno ftragem, voivitque iub undis Grandia faxa, ruit quà quidquid fluctibus obftat. Sic igitur debent venti quoque flamina ferri, LIVRE L 29 Vous êtes convaincu maintenant, Memmius, que l'être ne peut fortir du néant ni s'y perdre : mais pour diiîîper les doutes que pourrait Lnifcc dans votre efpriti'invifibilité àz% atomes , apprenez qu'il eft des corps que l'œil n'apperçoit pas, & dont toutefois la raifon reconnait l'exigence. Tel eft le vent 9 cet élément terrible, donc la fureur fouleve les ond^s, fubmcrge la malle des vaifléaux & difpçrfe les nuages ; dont les tourbillons rapides s'c'lancent dans les plaines & couvrent la terre de la dépouille, des plus grands arbres 5 dont le fouffle deftru&eur tourmente la cime des monts , & fait bouillonner l'Océan avec un affreux murmure. Le vent , quoi* qu'invifible , eft donc un corps , puifqu'il balaye à la fois le ciel, la terre & la mer, Se parfeme l'air de leurs débris. C'eft un fluide fcmblable à un fleuve, dont le lit tranquille eft gonflé tout-à-coup par les pluies abondantes qui roulent en torrent du haut des monts charges de la dépouille des forêts. Les ponts les plus folides ne peuvent foutenir le choc de l'onde déchaînée. Ces redoutables malTes d'eau heurtent les digues , les font écrouler avec bruit, en emportent les rochers flottans , & renverfent tous les obftacles qui s'oppofent à leur fureur. C'eft ainiî que les vents en courroux font tout Biij 3o LUCRECE Quse , veluti validum fïumen, cdm procubuere l Quamlibet in partem trudunt res antè, ruuntque Impetibus crebris ; interdum vertice torto Corripiunt, rapidoque rotantia turbine portant. Quare etiamatqueetiamfunt venti corporaca:ca : Quandoquidem factis ac moribus > asmula magnis Amnibus inveniuntur, aperto corpore qui funt. Tum porro varios rerum fentimus odores : Nec tamen ad nares venientes cernimus unquam : Nec calidos aeftus tuimur, nec frigora quimus Uiurpare oculis, nec voces cerncre fuemus : Qux tamen omnia corporeâ conftare neccfle eft Naturâ : quoniam ienfus impellere poflunt. TANGERE ENIM ET TANGI, P U S , NULLA P O T E S T NISI COR- RES. Denique flu&ifïago fufpenfx in littore veftes Uvcfcunt, exdem difpanfa; in foie ferefcunt. At neque quo paclo perfederit humor aquai Vifu eft, nec rurfum quo pa&o fugeriu acftu 5 In parvas igitur partes difpergitur humor , Quas oculi nullâ pofïunt ratione videre. Quin etiam, multis folis redeuntibus annis > Annulas in digito fubtertenuatur habendo : Stillicidî cafus lapidem cavat : uncus aratri Fcrrsus occulté decrefcit vome'r in arvis : L I V R E I. 31 plier fous l'effort de leur haleine. Ils chaflent leur proie devant eux, la terraient, lui livrent mille alTaurs, l'enveloppent dans leurs tourbillons , & la font tourner rapidement dans le vague de ratmofphere. Je le répète donc, le vent quoi• qu'invifible cft un corps, puifqu'il reffemble dans fa nature & dans fes effets aux grands fleuves, dont l'exiftence eft fcnûblc à tous les yeux. Nous n appercevons pas les molécules délices qui viennent frapper l'odorat ; nous fcntons pourtant les odeurs. L'oeil humain ne faifit point la chaleur, le froid, le fon. Toutefois on ne .peut leur refufer la nature des corps , puifqu'ils agilTent fui les fens, & que LES CORPS SEULS ONT LE POUVOIR DE TOUCHER ET D*£XRE TOUCHES. Expofez une étoffe au bord de la mer; l'humidité la pénètre j étendez la au foleil s l'humidité s'en évapore. Cependant vous n'avez pas vu de fluide pénétrer le tifTu de l'étoffe, ni s'en dégager à l'aide de la chaleur ; c'eft qu'alors l'eau divifée en parties infcnfîblcs échappe à la vue la plus perçante. Après un certain nombre de folcils, l'anneau qui brille à votre doigt s'amincit, les gouttes de la pluie cavent la pierre fous nos toits, le foc de la charrue s'émoufTe dans le fil Ion, Biv )* LUCRECE Strataque jam volgi pedibuj detrita viarum Saxea confpicimus : tum portas propter aliéna Signa m anus dextras oftendunt attenuari Sxpe falutantûm ta&u, praeterque meantûm. Hxc igitur minui, cùm fïnt detrita, videmus : Sed qiiGE corpora décédant in tempore quoque , Invida praeclufïr fpcciem Natura videndi. -Poftremo , quaecunque dies, Naturaque rébus Paulacim tribuit moderatim crefcere cogens , Nulla potefl: oculorum acies contenta tueri : Nec porro quaecunque asvo, macieque fenefcuni: : Nec mare quae impehdent vefco fale faxa'percfa, Qaid quoque amittant in tempore, cetnere poïïîs. Corporibus caecis igitar Natura gerit res. Nec tamen undique corporeâ ftipata tenenrur Omnia natura ; namque efl: in rébus inane. Quod tibi cogno/le in mufris erit utile rébus : Nec finet errantem dubirare , & quauere femper De fummâ rerum , 6c noftris difRdere dictis. Quapropterlocus eftintaftus, inane, vacanfque : Quod ii non effet, nullâ ratione moveri Res portent : namque officium, quod corporis exrac, Ofàcere, atqueobftare., id in omni tempore adefe L I F R E I. 3 j les pierres dont nos rues font pavées s'ufeut fous les pas du peuple, &: aux porte» de la ville la main droite its ftatues d'airain diminue fous les baifers continuels de la foule qui entre & qui fort. Nous remarquons avec le tcms que c:s corps ont fouffert des pênes. Mais des par::.s qai s'en feparent à tout moment, laNnure j.*.loufe nous en a interdit la vue. Elle dérobe à nos yeux , & les molécules infcnfîblcs qui font croître lentement les corps , & les parties fubti'c; que leur ôcc la viciilcfTc , & les atomes i;npcrceptibles que le fcl rongeur de la mer enlevé à ces rochers orgueilleux qui menneen: ton onde. La Nature n'agit donc qu'à l'aide \z cerps imperceptibles. Ne croyez pas cependant que tout l'cfparc Col" rempli par la matière. Il exifte du vu:-Je , moii cher Mcmmius. C'cft une vérité dont -'o::r. fenrirez plus d'une fois l'importance , qui ilxcra vos doutes, préviendra vos difficultés 6c vous inspirera une jufte confiance en mes ccrir. Il y a donc un :fpace impalpable qu'on ao renie le vuide , (ans lequel on ne peut concevoir 's [! - mouvement. Car le propre des corps étan: de réfUter, ils ne cefleraient de fe faire obftacic , Bv 34 LUCRECE Omnibus : haud igitur quidquam procedere poffct, Principium quoniam cedendi nulla daret rcs. Ar nunc pcr maria, ac terras, fublimaque ccrli 3 Multa modis mulcis varia ratione moveri Cernimus ante oculos : qu# , fi non effet inaue ^ Non tara follicito motu privata carerent, Quàm genita omnino nullâ ratione finirent ; Undique materies quoniam ftipata quieflet. Prxterea quamvis fblidas res efle putentur , Hinc tamen elfe licet raro cum corpore cernas : In faxis, ac fpelimcis permanat aquarum Liquidus humor, & uberibus flent omnia £uctis : Diflupat in corpus fefc cibus omne animanrum ; Crefcunt arbufta, & fœtus in tempore funduiit ; Quod cibus in totas ufquc ab radicibus imis Per truncos, ac per ramos difrunditur omnes : Inter fepta meant voces, & claufa domoruirt Tranfvolitant : rigidum permanat frigus ad offa.1 Quod, nili inania mit, quà polTent corpora qmeque Tranfire? haud ullâ fîeri ratione videres. i Denique cur alias aliis praeftare videmus « Pondère res rébus , nihilo majore figura ? Nain, fi tanttindem, eft in lanse glomere quantum L I F R E I. 55 & le mouvement ferait impoilible, parce qu'aucua corps ne commencerait à fe déplacer. Cependant for la terre , dans l'onde , au ciel, mille mouvemens divers frappent nos yeux j & fan? vuide non-feulement les corps feraient privés de cette continuelle agitation 5 mais ils s'auraient pas même pu être engendrés, parce que la matière comprimée de toute parc aurait langui dans une éternelle inertie. D'ailleurs les corps les plus compactes ne fontils pas pénétrables ? L'eau s'ouvre une illuc à travers les rochers, & les voûtes des grottes font humectées de larmes abondantes. Les alimens fe répandent dans toutes les paràes du corps de l'animal. Si les arbres croiffent & fe couvrenc de fruits au tems marque, c'elt que par des canaux invilîbles les fucs nourriciers fe font diftribués des racines à la tige & de la tige à tous les rameaux. Le Ion pénecre les murs, & p;rce l'enclos des maifons. Le froid fe fait fentir jufqu'aux os. Pourrez-vous expliquer tous ces effets, fans admettre des vuides par où les fluides s'in« Cnucnt? Enfin pourquoi cette différence fenfible de pefanteur foiis le même volume ? Si un âocoa de laine contient autant de parties folides qu'une B vj 36 LUCRECE Corporis in plumbo eft, tantundem pcndere par eft: Corporis otrlcium efl; quoniam premere omnta deorfum : Contra autem natura manet fine pondère inanis.. Ergo quod magnum eftaequè, Ieviufque videcur^, Nimirum plus elTe libi déclarât inanis : At contra gravius plus in fe corporis efte De licat, &c multo vacui minus intus habere. Eft igitur nimirum id , quod ratione fagnci Quxrimus, admiftum rébus quod inane vc camus, Illud in his rébus, ne te deducere vero Pofïit, quod quidam fingunt, praccurrere c^gor. Cedere fquammigerrs lacices nitentibus a: LU: ,. Et liquidas aperire vias j quia poftloca piL.;s Linquant, quo poflînt cedentes confluere v.ndx : Sic alias quoque res inter fe polîè moveri, Et mutare locum, quamvis fint omnia pUma. Scilicet id faisâ totum ratione receptum efl:. Kam quo fquammigeri poterunt procédure tandem , Ni fpatiurn dederint latices ? concedere porrô Quo poterunt undae, cum pifees ire nequibunt;?. Aut igitur mom privandum efl: corpora quaequcj Aut cfle admiftum dicendum eft rébus inane ; Undeinitum primuracapiat res quarque movendi L I r R E I. 37 naaflc de plomb, elle doit tenir la balance en équilibre 5 puifque le propre de la matière eft de tendre en bas, & que \t vuide feul efc par ta nature dépourvu de pefanteur. Ainft, de deux corps compris fous la même furfacc , le plus léger eft celui qui renferme le plus de vuide , & le plus pefant celui qui a le moins d'intetitices & le plus de denlité. La raifon vous montre donc clairement eu eux l'exiftençç d'un vuide diiféminé. Mais pour ne vous laifler aucun nuage, je me hâte de prévenir un raisonnement captieux dont s'appuyent quelques Philofophes. Ils foutienncnt que, comme l'onde ouvre au poinon une voie liquide, en luifuccédanc dans l'efpace qu'il abandonne , les corps peuvent fe mouvoir de la même manière & fe déplacer au milieu du plein. Mais ce reflux de l'onde fuppofe un premier mouvement. Car comment les poiilbns pourronr-ils avahcer, û" ks eaux ne leur ont laiiîé un efpace vuide ? Et où les eaux refluer on t-dL-s, fi les poiflons n'ont pu avancer ? Il faut donc ou priver les corps de leur mouvement, ou reconnaître on efpace vuide qui en foit le principe. 38 LUCRECE Poftremo duo de concurfu corpora làta Si cita difïiliant, nempe aer omne neceife eft Inter corpora quod fuvat, poflidat inane. Is porro, quamvis circiim celerantibus auris Confluât, haudpoterittamenunotemporc totum Compleri fpatium : nam primum quemque neceffe eft Occupet îlle locum , deinde omnia poiTidcantur. Qubd fi forte aliquis , cùm corpora difTilucrc, Tum putat id fleri, quia fe condenfcat aer , Errât: nam vacuum, tune fit, quod non fuit a:;t:, E: repletur item, vacuum quod conftitit ante j Ncc tali ratione poteft denfarier aê'r : Nec , fi jam poffet, fine inani poiïet, opinor, Se ipfe in fe traherc , & partes conducere in unum. Quapropter , quamvis caufando multa moreris , Elfe in rébus inane tamen fateare iiecefTe efi. Multaque prxterea tibi pofTum commemorando Argumenta, fidem dielis conradere noftris. Verùm animo fatis hase veftigia parva fagaci « Sunt, per quas polTis cognofeere caetera tute. Namque canes ut montivagje peifa:pe ferai P T" l I V R E I. 39 Séparez rapidement deux furfaccs planes appliquées l'une fur l'autre ; il fe forme cntr'cllcs un vuidc que l'air ne peut remplir tout entier à la fois. Maigre la vîtefle de cet élément fubtil, il n'occupe tout l'cfpacc , qu'après s'être emparé d'abord des extrémités. Envain prétendrez-rous qu'après la réparation des deux furfaccs, l'cfpacc intermédiaire ne fe remplit qu'en vertu d'une condenfarion anrericurc. Car il fe forme un vuidc qui n'exiftait pas auparavant , & le vuide déjà cxiflmt fe remplir. D'ailleurs l'air ne peut fe condenfer, comme vous le fuppofez ; & quand cela ferait pofliblc, il ne pourrait fans vuide rapprocher les parties, & les ramafler fous un volume beaucoup moindre. Ainfi par quelques objections que vous cherchiez à vous échapper, vous ne pouvez méconnaître i'cxiftcncc du vuidc. Je pourrais à ces preuves joindre d'autres raifons qui donneraient un nouveau poids à la vérité. Mais ces traces légères fuffifent à votre pénétration, & vous pourrez fans moi découvrir le rcfte. Ainfi que l'animal élevé pour la chaffe , après avoir faiiî la trace de la proie , 4© LUCRECE Naribus inveniunt inteclas fronde quiètes ,' Cdm femel inftiterunt veftigia certa viaï: Sic alid ex alio per te tute ipfe videre Talibus in rébus poteris, caecafque latebras înfinuare omnes, & verum pronahere inde. Quod fi pigrâris, paulùmve abfcefleris ab r e , Hoc tibi de piano pofTum promiccere, Mcmmi : U«fque aJeo largos hauftus, de fontibu' magnis, Lingua meo fuavis diti de pefrore fundet , Ut verear, ne tarda priùs per membra feneclus Scrpat, & in nobis vitaï clauftra refelvat, Quàm tibi de quâvis unâ rc verlîbus omnis • Argumentorum lit copia mifla per aures. Sed nunc jamrepetam coeptum pertexere di&ls. Omnis, ut eft, igitur per fe natura duabus Confiflit rébus ; nam corpora finit, & inane , HJEC in quo fita funt, & quà diverfa moventur. Corpus enim per fe communis dedicat efTe Setifus : quo niiï prima fîdes fandata valebit, Haud erit occultis de rébus quo références , Confirmare animi quidquam ranone queamus. Tumporro locus^ac fpatiuniquodi/ztfrtcvocamus, Si nuiium foret, haud ufquamfita corpora porTcnt EfTe, neque omnino quàquam diverfa meare : Id quod jam fuperà tibi paulô oftendimus antè> Prxterea nihii eft, quod poffis dicere ab ornai L I r R E I. 41 va la furprcndre fous 1 épais feuillage qui lai fert d'afyle ; de même en marchant de conféquences en conféquences, vous pénétrerez tous les fccrets de la nature, & vous forcerez la vérité dans fes retraites. Mais fi votre cfprit héfite à me fuivre , & fc refufe encore à la conviction, apprenez à quoi s'engage votre ami. Les grandes fources où mon génie s'eft abreuve s'ouvriront pour vous. La vérité coulera de mes lèvres à grands flots, & la vieillcflc à pas i^ncs aura gagné nos membres Se délié les principes de notre vie, fans que j'aye épuifé cette multitude de chofes qu'il me relie à vous développer. Mais reprenons la chaîne de nos raifonnemens. La nature refaite donc de deux principes exiftans par eux-mêmes , le corps & le vuide où nagent les corps, & à l'aide duquel ils fe meuvent. L'cxiftence des corps nous eft démontrée par le témoignage des fens, fondement inébranlable de la certitude , fans lequel la raifon / «abandonnée à elle-même nous égare dans ua dédale d'obfcurirés. Quant à l'efpace que nout t appelions vuide, s'il n'e liftait pas , les corps ne feraient fituét nulle part Se ne pourraient fe mouToir, comme je viens de TOUS en convaincre. Outre l'efpace Se le ynide nous ne connaifTons * 4i LUCRECE Corpore fejunchim, fecretumque effo ab inani r Quod quafi tertia fit numéro natura reperta. Nam quodcunque eric, efle aliquid debcbit id ipfum Augminevelgrandi, velparvodenique, dumfit j Cui fi ta&us erit, quamvis levis cxiguufquc, Corporum augebit numerum, fummamque fequetur ; Sin inta&ile erit, nullâ de parte quod ullam Rem prohibere queat per fe tranfîre meantcm ; Scilicet hocid erit vacuum, quod inane vocamus. Praeterea, per fe quodcunque erit, aut faciec quid, Aut aliis fungi debebit agentibus ipfum, Aut erit, ut poflint in eo res efle, gerique : At facere & fungi fine corpore nulla poteflres: Nec prcebere locum porro, niiî inane vacanfquc. Ergo proeter inane, & corpora, tertia per fe Nulla poteft rerum in numéro nacura relinqui 5 Nec, qua? fab fenfus cadat ullo tempore noftros, Nec, ratione animi, quam quifquam poflit apifei. Nam queecunque cluent, aut his conjuncla duabus * Rébus ea invenies, aut horum éventa videbis. LonjunEîum eftid, quod nunquamimeperuiciaii II Difcidio potis eft fejungi, feque gregaiï : I IV RE I. 4î point dans la nature une troificmc claiTc d'êtres indépendante de ces deux principes. Car tout ce qui cxiftc a néccfTaxrcmcnt une étendue grande ou petite , fans quoi il n'cxiltcrait pas. Cette étendue eft-cllc fenfible au toucher ? Quoique déliée & imperceptible, clic fera rangée au nombre des corps, clic en Cuivra les loix. Si au contraire clic cft impalpable , fi aucun de fes points ne réfute à la pénétration , nous l'appelions vuide. En général tous les êtres connus font actifs ' on fournis à l'action des autres, ou fourniuent on efpace à l'exiitcnce & au mouvement. Il n'y a que les corps qui foient actifs ou paffifs. Il n'y a que le vuide qui ouvre un champ à leur activité. Il n'exifte donc pas dans la nature un troificmc ordre d'êtres. Les fens ne peuvent l'ap> percevoir, ni l'cfprit humain s'en former une ; idée. Tout ce qui n'eft ni matière ni vuide clt propriété ou accident de l'un ou de l'autre. Les propriétés font inféparablcs du fujet, & ne cefY fent que par fa deftruction. Telle eft la pefantcur dans les pierres, la chaleur dans le feu, 44 tj/j/i ,. LUCRECE Pondus uti Taxis, calor ignibus, liquor aquai , Tactus corporibus cunclis, inra<ftus inani. Servitium contra, libertas, divitiarque, Paupertas, bellam, concordia, cetera quorum Adventu manit incolumis natura , abituque , K$c foliti fumus t ut par efl, éventa vocare. Tcmpus item per fe non eft, fed rébus ab ipfîs Confequitur fenfus, tranfa&um quid fit in xvo, Tum qua: res inftet, quid porro deinde fcquatur^Nec pcr fe quemquam rempus fentire fatendum eft Semomm ab rerum motu, placidâquc quiète, Denique Ty ndaridem raptam, belloque fuba&as Trojugenas gentes cdm dicunt tfîc, videndum efl, Ne forte haec per fe, cogant nos efle fateri : Jy Quando ea fccla hominum, quorum haec éventa fuêre, Irrevocabilis abftulerit jarh prxterita actas. {[ Namque aliud rébus, aliud regibnibus ipiîs Eventum dici potent, quodcunque erit a&um. r Denique materies Ci rerum. nulla fuiflet, Nec locus, acfpatium, res in quo quaequc serunrur, Nunquam Tyndaridis forma? conflatus amore Ignis Alexandri Pbrygio fub pedore gliuens L I VRE I. *5 . la fluidité dans l'eau, la tangibilité dans les corps, fa négation dans le vuide. Les accïdtns comme la fervirude & la liberté , les lichetfcs 8c la pauvicrc, la paix & la guerre, ne font que des manières d'être dont la prétenec ou l'abfcncc n'altèrent pas le fond de la fubftance. Le tems n'eft pas non plus un être fubfiftant par lui-même. C'cft par l'exiftence continuée des corps que l'cfprit s'accoutume à diftinguer le pa/Tc du préfent & de l'avenir. Perfonnc ne conçoit la durée ifolée & indépendante du mouvement ou du repos de la matière. Enfin quand on vous parle de l'enlèvement d'Hélène & du fort malheureux des Troyens , obfcrvcz qu'il ne s'agit pas d'êtres actuels, puifque le tems a englouti fans retour les fîecïes marqués par ces événemens, & que les accidens fe •rapportent tous ou aux corps ou à l'efpace. •* Sans matière & (ans vuide jamais l'amour i*eût embrâfé le cœur du Prince Phrygien ; îais la beauté l'Hélène n'eût allumé l'incendie leux d'une guerre cruelle 5 & jamais une maie énorme construite à l'in/çu des Troyens 4S LUCRECE Clara accendiffet frvi certamina belli : Nec clam durateus Trojanis Pergama partu Inflammalfet equus no&urno Grajugenarum ; Perfpicere ut pollîs res geftas funditiïs omnes, Non ira uti corpus per fe conftare, nec eue : Nec ratione cluere eâdem , quâ confiât inane : Sed magis ut merito pofTis éventa vocare Corporis , atque loci rcs in quo quoique gerantur. Corpora funt porro partim primordia rerum , Parti m concilio quas confiant principiorum. Scd qua: funt rerum primordia , nulla poteft vis Stringere : nam folido vincunt ea corpore demum. Etfi difficile effe vidctur credere, quidquam In rébus folido reperiri corpore pofTe. Tranflt enim fulmen cœli per fepta domoru.-i < Clamor u t , ac voces : fcrrum candefcit in igné : Diiïiliuntque fero ferventia faxa vapore , Conlabefadlatus rigor auri folvitur a^ftu : Tum glacies sris flammâ dévida liquefcit : Permanat calor argentum , pcnetraleque frigus,' Quandè utrumque, manu retinentes pocularitè> Senfimus infcfo lympharum rore fupernè Ufque adeo in rébus folidi nihil effe videtur. L I F R E I. 47 H*eât vomi de Ton flanc des bataillons armes pour la deftru&ion de Pergame. 'Vous voyez K donc que tous ces événemens qui troublent notre i globe n'ont pas une exiftence réelle comme les corps , ni la même nature que le vuide ; mais ce font de (impies modifications de ces deux prin= *ipes. ( r | Nous comprenons fous le nom de corps, Toit Mes élémens de la nature, foit les compofés qui j^en reluirent. Les élémens font inaltérables & •jindcftruûiblcs, leur folidité triomphe de toutes L jes attaques. .;. On aura peut-être de la peine à concevoir • dans la nature, des corps parfaitement foliées 5 «•fur-tout enconfidéramquela foudre ainfi que le fon perce lépaifleur des murs, que le fer rtanchit dans la fournaife, que la pierre vole en clats du fein des volcans, que lor pe.d fa lureté & devient fluide dans le creufet, que 'airain dompté par la flamme fond comme la Jlace, que la chaleur & le froid des liqueurs fe Hnt fentir à travers les parois dune coupe d'arnt, qu'enfin nous n'avons reipénence d'aucun «p» parfaitement folide. & 4S LUCRECE Sed quia vera tamen ratio, Naturaquc refum Cogit, a i e s , paucis dum verfibus expediamus. Efîe ea,qu2e folido,atquc aeterno corpore conftent, Seminaquae rerum, primordiaque eue docemus: Uride omnis rerara nunc conftet fumma creata. Principio, quoniam duplex natura duarum Difllmilis rerum longé conftare reperta eft, Corporis atque loci, res in quo «jusque geruntur: Elle utramque fibi per fe , puramque necene eft. Nam quàcunque vacat fpatium, quod inane vocamus, Corpus eà non eft : quà porro cumque tenet fe Corpus, eà vacuum nequaquam conftat inane, Suut igitur folida , ac fine inani corpora prima, Praeterea quoniam genitis in rébus inane eft, Materiem circdm folidam conftare necefîe eft : Nec res ulla poteft verâ ratione proban Corpore inane fuo celare , atque intùs kabere , Si n o n , quod cobibet, iolidum conftare relinquas. Id porro nihil eue poteft, nifi materiaï Concilium, quod inane queat rerum cohibere. Materies igitur, folido quae corpore confiât, Eue alterna poteft, cùm caetera diiïblvantur, Tum porro fi nil effet, quod inane vacaret, Onuie L I V R E I. 49 Mais puifque la Philofophie ou plutôt la Na.tnre elle-même nous mené à cette vérité , apprenez en peu de mots que les principes de la matière , les élémens du grand tout font folides & jéternels. D'abord comme le corps & f efpace font entièrement oppofés par leur nature, il eft néceffaire qu'ils cxiftcnt l'un & l'autre purs & fans mélange ; il n'y a donc point de matière ou. s'étend l'elpace , ni de vuide dans le lieu qu'occupe la matière. Les élémens des corps ne renferment donc pas de vuide dans leur tiflu, c'eftà-dire qu'ils font parfaitement folides. Comment les compofés pourraient - ils être mêlés de vuides, fi ces vuides n'étaient environnés de parties folides ? Ne ferait-ce pas une contradiction de fuppofer du vuide dans les 'corps, & de refufér la folidité aux cloifonsqui environnent les vuides ? Or ces cloifons que ] font-elles , finon I'afTemblage des élémens de (T la matière ? Ainfi tandis que les compofés fe détruifent, les élémens , en vertu de leur folidité, fubfiftent éternellement. En troifieme lieu s'il n'y avait pas de vuide y Tome I. C r' i à 50 L U C R E C E Omae foret folidum ; nid contra corpora cxca Eifent, quae loca complerent, quaccunque tenerent, O.-'.ne quodeflfpatium, vacuum conftaret inane» Alternis igitur nimirum corpus inani Diftinfti'in eft ; quoniam nec plénum naviter exiar, Nec porro vacuum : funt ergo corpora cxca. , Q u ^ f^-atium pleno poffint diftinguere inane. Hxc neque diiîblvi plagis extrinfecus i&a Pofïunt : nec porro penitus penetrata retexi : Nec ratione queunt aliâ tentata labare : Id quod jam fuperà tibi paulo oftendimus antè. N a m neque conlidi mie inani pofTe v'idetur Quidquam, necfrangi, necfindiinbinafecando, Nec capere liumorem , neque item manabile fri- g us > Nec penetralem ignem ,'. quibus omnia confîciuntur. Et quàm quasque magis cohibet res intùs inane , Tam magis his rébus penitus tentata labafeit. Ergo , fi folida, ac fine inani corpora prima Sunt, ita uti docui, fuit hase asterna necefTe elL Praeterea , nifl materies seterna fuifTet, Antehac ad nihilum penitus resquaequeredifTent, De nihiloque renata forent quaecunque videnaus. At quoniam fuperà docui 3 nil pofTe creari L 1 V R E L 51 ( ce grand tout ferait un folide parfait ; & au contraire s'il n'cxiftait pas des corpufculcs qui remplirent exactement le lieu qu'ils occupent, l'univers ne ferait qu'un vuide immenfe. Le corps Se l'cfpace font donc rcfpectivement difl tin ers , puifqu'il n'exifte ni plein ni vuide par< fait. Or ce font les élémens de la matière, qui par leur folidité forment cette diftindtion. ï h | ' ; . •. La furface de ces corps premiers ne peut être endommagée par le choc , ni leur tiflu par la * pénétration. Nulle action étrangère ne peut les altérer, comme je vous l'ai enfeigné. En effet on ne conçoit pas que fans vuide un corps puilfc erre brifé, décompofé , ou même Amplement divifé. Il cft inacceffible à l'humidité , au froid, & à la chaleur , qui font les agens ordinaires de ia delrruction. Auffi remarquons - nous que les corps font d'autant plus en prife à ces cauies de dépériflement, qu'ils renferment plus de vuide dans leur tinu. A in fi, de la fohdicé des élémens, foit néceuairement leur éternité. S'ils n'étaient éternels, le monde ferait déjà . plus d'une fois tombé dans le néant, & en ferait . plus d'une fois reflbrti. Mais comme je vous ai enfeigné que le néant ne produit & n'engloutit Cij 5i ' LUCRECE De nihilo , neque quod g^nitum eft , ad nil revocan 5 Effe immortali primo-rdia corpore debent, Diflblvi quo quseque fuprcmo tcmpore poflint, ' Materies ut fuppeditet rébus reparandis. Sunt igitur folidâ primordia fimplicitate : Nec ratione queunt aliâ fervata per xvum Ex infînko jam tempore res reparare. / Denique , fi nullam fine m Natura paralîet Trangendis rébus ; jam corpora maceriaï Ufque reda&a forent, aevo frangente priore, Ut nihil ex tUis à certo tempore poflet Conceptum, fummum xu:is pervadere florem. Nam quidvis citivis difiblvi poffe videmus, Quàm rurfus refici ; quapropter longa diei Infinitx aetas antea&i temporis omnis Quod frégiiTet adhuc, difturbans diflblvenfque, Id nunquam rcliquo reparari tempore pofTet. At nunc nimirum frangendi reddita finis jCerta manet : quoniam refici rem quamque videmus , Et fînita fimul generatim tempora rébus $ tare , quibus poffint aevi contingere florem. Hue accedit uti, folidiffima materiaï Corpora cùm confiant, poflinttamen omnia reddi Mollia, qux fiant a«r, aqua, terra, vapores, LIVRE I. 5Î point les êtres ; il eft néce(Taire que les élémens foient éternels, étant le ternie de toute diiïblutioa 9c le principe de toute reproduction. Us . font donc (impies & folides, fans quoi ils n'auraient pu fe coiiferver pendant tant de ficelés, bien loin de fournir de toute éternité à la renaiffance des êtres. Enfin fi la Nature n'avait preferit des borne» à la divifibiliré de la matière : les élémens du grand tout, minés par la révolution de tant de ficelés écoulés, feraient réduits à un tel degré d'épuifcmcnt, que les corps réfultans de leur union ne pourraient parvenir à la maturité. La diflblution des corps étant plus prompte que leur reproduction, fes pertes que lesfieclesprécédons leur auraient fait fubir,ne pourraient être réparée* par les tems qui fuivraient. Mais comme dans la nature nous voyons conilamment les réparations ; proportionnéesaui pertes, & tous les êtres arriver dans des tems fixes à leur degré <le perfection ; - il faut en conclure que ia divisibilité de la ma* tierc a des limites invariables & nécefiaires. ! Malgré cette folidité des élémens , comme tous les corps font mêlés de vuide, il n'y en a pas un qui ne puiHe s'amollir, & prendre la x ii. Ciij 54 LUCRECE Quo paclo fiant, & quâ vi cumque gcnantur ; Admiflum quoniam fïmul efl in rébus inane. At contra, fimoJlia fint primordia rerum , Unde queant validi filices, ferrumque creari , Non poterit ratio reddi : nam funditùs omnis Principio fundamenti Natura carebit. Sunt igitur folidâ pollentia fimplicitaee, Quorum condenfo magis omnia conciliatu Ar&ari pofTunt, validafque oflendere vires. Denique jam quoniam generatim reddita finis Crefcendi rébus confiât : vitamque tuendi Et quid quaeque queant per foedera Naturaï , Quidporro nequeant, fancitum quandoquidcm exflat : Mec commutaturquidquam ; quinomnia confiant Ufque adeo, varias volucres ut in ordine cundlac Oiterudanf :maculas générales corpori inefTe ; ïmmutaHile materia: quoque corpus habere Debent nimirum. r^am fi primordia rerum * Commutari aliquâ pofTent ratione revicia , Jncertum quoque jam conflet, quid pofïit oriri „ Quid nequeat j finira poteflas denique cuique Quânam fît ratione, atque altè terminus hxrens > Nec tories pofTent generatim fascla referre Na*uram 3 motus > victum, morefque parentum. Tum porro, quoniam extremum cujufque cacumcu w L l F R E L ,5 sature de l'eau, de l'air, de la terre , & du feu. Au contraire, avec des principes mous , il '*. ferait tmpo&ble d'expliquer la formation des cailloux & du fer. La Nature n'aurait plus de \ bafe folide dans fes ouvrages. Les l'iémens de fi la matière font doncfimples& fohdcs ; &: ceft .. leur union plus ou moins étroite qui donne aux v corps leur dureté & leur réiùlance. j£ \ l ?i '-' Enfin 2aNature a prefcrtt des bornes à laccroi/Tement & à la durée des corps. Elle a réglé la mefure de leur pouvoir. Les efpeces ne changent jamais; les générations fe fuivent fans altération ; les différentes claûes d oifeaux ont confcamment certaines taches affectées à leur efpcce «jui la caraftérifent. Pourquoi les élémens ne fesaient-ils pas immuables comme les efpeces ? Si une force étrangère peut en triompher, on n'entend plus rien à la marche de la Nature. On ne feait ce qui peut ou ne peut point être produit, oomment la puinance des êtres - eft bornée par leur,nature même, ni pourquoi les fîecles ramènent les mêmes tempéraroens, les mêmes mouvemens, la même manière de vivre & les mêmes raceurs dans les générations différentes. ? - l a un mot l'extrémité d'un atome, étant un Civ ij. 5* LUCRECE Corporis eft aliquod, noftri quod cernere fenfus Jam nequeunt ; id nimirum fine partibus exftat , Et minimâ confiât naturâ : nec fuit unquam Per fe fecretum, neque pofthac eflê vàlebit : Alterius quoniam eft ipfum pars, primaque, & ima : Inde alise atque alise finales ex ordine partes, Agmine condenfo naturam corporis expient. Quae quoniam per fe nequeunt conftare, necefTe eft Haerere, ut nequeant ullà ratione revelli. Sunt igitur folidâ primordiafimplicitate: Quae minimis ftipata cohacrent partibus arclè,. Non ex ullorum conTentu conciliata-, Sed magis aeternâ pollentiafimplicitate: Unde neque avelli quidquam, neque deminui jam» Concedit Natura referv-ans femina. rébus. Praeterea nifi erit minimum, paTviflimaquaequc Corpora conftabunt ex partibus infînitis. Quippe ubi dimidiae partis pars femper habebit Bimidiam partem, ne: res perfiniet ulla. Ergo remm inter fummam , minimamque quid efeit ? Non erit ut diftent : nam quamvis funditùs omnis Summafitinfinita > tamen parvifïima quae £\int*~ Ex infînitis conftabunt partibus aequè. Quoi quoniam ratio réclamât vera, negatque L I F R E !. '• y I. 57 point déliée* qui échappe aux fens , doit être dépourvu de parties. C'eft le plus petit corps de la nature , ou plutôt ce n'eft pas un corps, puifqu'il n'a jamais exifté & n'exiftera jamais ifolé. Ce n'eft qu'une partie extrême, qui, jointe à d'autres parties de même nature, forme la ma/Te de l'atome. Si donc les éléraens de l'atome ne peuvent exifter à part, il faut que leur union foit fi intime, qu'aucune force ne les puiiTe réparer. Aimi les éléraens de la matière font (impies & folides, étant compofés de parties infiniment déliées, dont 1 union eft le fruit, non pas d'un aflemblage hétérogène, mais de l'éternelle {implicite des atomes. Ainfi la Nature, voulant eu faire la bafe de les ouvrages, n'a pas permis qu'aucune partie pût fe détacher ou s'échapper de ces corps fi efTentiels à fes vues. D'ailleurs fi vous n'admettez dans la nature un dernier terme de divifion, les plus petits corps feront compofés d'une infinité de parties, puifqu'il y aura un progrès de moitiés divifibfcs ea d'autres moitiés, jufqu'à l'infini. Quelb différence y aurarjt:jil donc entre la niafTe la plus énorme & le plus petit corps : Quand vous fuppoferiez d'un coté le grand tout, l'atome imperceptible ne lui cède en rien, étant lui-même çompofç d'une infinité de parties. Mais connuCv 5$ LUCRECE Credere pofTe animum, yi&us fateare necefTe eflv EfTe ea quas nullis jam prédira partibus exftent, Et minimâ confient naturâ : quae quoniam funt'^. Illa quoque effe tibi, folida atque alterna faten.dum. Denique ni minimas in partes cun&a refolvi Cogère confuê/Tet rerum Natura creatrix ; Jam nihil ex illis eadem reparare valeret : Propterea quia, quse multis funt partibus aucla ^ Non pofTunt ea, quae débet genitalis habere Materies, varios connexus, pondéra, p k g a s , Concurfus, motus, per quae res quaeque g^rucn» tur. Porro, fi nulla eft frangendis reddita finis Corporibus, tamen ex aeterno tempore quaxLirs* Nunc etiam fuperare necefTe eft corpora rébus x QJCE nondum clueant ullo tentata periclo. At quoniam fragili naturâ praedita confiant 0. Difcrepat acternum tempus potuifïe mancre, Lmurcerabilibus piagis vexata per aevum. Quapropter qui materiem rerum e(k putarunr Ignem, atque ex igni fummam confîftere Cvlo y Magnopere à verâ lapii ratione videntur. Heraclitus init quorum dux praelia primas , Clariis ob obfcuram-lingaam, magis inter inantS"- •I • 1 I V RE I. s, , la raifon fe récrie contre une conféqucncc aufU ,?' infcnfée, vous êtes force de reconnaître des ccrpufcules fimplcs, qui foicnt les derniers termes de la divifion, & cet aveu vous conduit à celui de leur fohdité & de leur éternité. *• £nfm fi la Nature en détruifant les êtres ne les réduifait en leurs parties extrêmes, ces débris ne pourraient lui feivir à former d'autres corps ; car étant encore fufceptibles de divifion, ils n'auraient pas la forte de liens, de pefanteur, de choc, de rencontres & de mouvemens, qui convient à la matière générante, & fans laquelle I il ne peut y avoir de compofition. >' Mais fuppofons que la divifibilité des élcmens n'ait pas de bornes : au moins vous ne pouvez * nier qu'il n'exifte de toute éternité des corps qui n'ont jamais reçu d'atteinte. Mais s'ils font fragiles de leur nature, comment ont-ils pu réfif• ter aux aifauts continuels que les ficelés leur ont Ivres? » Ainfi ceur qni ont regardé le feu comme fe . feul élément de cet univers étaient bien éloignés J v ( des principes de la raifon: A là tête de ces Philosophes marche Heraclite , à qui un langage obf« u attira 1* vénération, des hommes fupcrfktel** C vj 60 LUCRECE Quarade graves inter Graïos, qui vera requinmt. O M N I A enim ftolidi magis admirantur amantque, Invertis qus fub verbis latitantia cernunt : Vcraque conftituunt, qux belle tangere pofïunt Aures, & lepido quae funt fucata fonore. Nam cur tam varia: res porfent efTe, requiro» Ex vero fi funt igni puroque creatse. Nil prodeflet enim calidum denfarier ignem ,' Nec rarefieri 5 fi partes ignis eandem Naturam, quam totushabet fuper ignis, baberentAcrior ardor enim condu&is partibus effet, Languidior porro disjectis, difque fupatis. Amplius hoc fieri nihil eft quod pofTe reaiis y Talibus in caufis : nedum variantia reruni Tanta queat denfîs rarifque ex ignibus eiTc. Atque hi fi faciant admiftum rébus inrme , Denfari poterunt ignés, rarique reJinqui : Sed, quia multa fibi cernunt contraria , muffant, Et fugitant in rébus inane relinquere purum, & Ardua dum metuunt, amittunt vera viaï : Nec rurfum cernunt, exempto rébus inani, Omnia denfari, fierique ex omnibus unum Corpus , nil ab fe quod poffit mittere raptim, iEftifer ignis uti lumen jacit, atque vaporem ; Vc videas non è ftipatis partibus eflç„ 1 1 V R S L 6*i nais non pas de ces fages Grecs accoutumés à réfléchir. Car LA STUPIDITé n'admire que les opinions cachées fous des termes myftérieux. Une harmonie agréable & un coloris brillant font pour elle le fceau de la vérité. Je demande donc à Heraclite comment le feu feul, avec les propriétés que nous lui connaiffons , peut avoir produit cette variété de corps qui frappent nos yeux ? Condenfez ou raréfiez le feu tant que vous voudrez, fi les parties ont . la même nature que le tout, vous n'en obtiendrez qu'une chaleur plus con/idérablc en rapprochant les élémens, ou moins fenfîble en les éloignant j bien loin de former tant de corps divers par la ; condenfation ou la raréfaction du feu. 1 Encore fi ces Philofophes reconnaiffaient le vuide, on leur accorderait la condenfation & la raréfaction du feu. Mais comme ce principe heurte de front leur fyftcme & les conduit à des contrariétés, ils n'ofent l'admettre, & ils s'écartent du vrai chemin par les difficultés qu'ils y rencontrent. Ils ne voient pas qu'en bannifTant le vuide de la nature, tous les corps n'en forment plus qu'un , dont les parties fortement condens e s , ne peuvent s'échapper comme la lumière Se la chaleur, qui en s'élançant du feu, détruifent évi* dominent le fyftême de la Omdcnfation abfolue. 6i LUCRECE Quod fi forte ullâ credunt ratione potefle Ignés in cœtu ftingui, mutareque corpus , Scilicec ex ullâ facere id fi parce reparcent f Occidet ad nihilum nimirum funditùs ardor Omnis, & ex nihilo fient qusecunque creantur. Nam quodcunque fuis mutatum finibus exit, Continua hoc mors eft illius, quod'ïuit antè : Proinde aliquid fuperare necefTe eft incolume ollis, Ne tibi res redeant ad nilum funditùs omnes, Be nihiloquc renata vircfcat copia rerum. Nunc igitur,quoniam certiffima corpora qusedara Sunt, quae confervant naturam fcmper eandem , Quorum aditu, aut abicu, mucatoque ordine a mucant Naturam res, & convertunt corpora fefe : Scire licet non elfe hxc ignea corpora rerum. Nil refFerret enim quaedam decedere, abire , Àtque alia attribui, mutarique ordine quidam , Si tamen ardoris naturam cunda tenercnr. Ignis enim foret omnimodis, quodcunque créarent. Yerûm, ut opinor, ira:eft ;fiint quaidam corpora , quorum Concurfus, motus, ordo , pofîtura, figuras, EfEciunt ignés, mucatoque ordine y mucant Y ft * t t? D'un atm* coté s'obftiner à foatenir que les parties du feu s'éteignent & changent de nature en fe reuniflaat, c'eft anéantir vifiblcnicnt le feu élémentaire, & par conféquent faire fortir les corps du néant ; puiiqu'un être ne peut franshir les bornes de fon cfience par voie de tranfmutation, fans céder d'être ce qu'il était auparaTant. Il faut donc conlerver aux clcmens du feu leur nature , (ans quoi tous les corps auront été anéantis» & ce grand tout fera le produit du néant. Puis donc qu'il exifte dans la nature des corpufculcs donc TciTence eft immuable, dont l'augmentation , la diminution & les différentes corabinaifons font changer d'e/Tence aux corps ; on peut en conclure que ces corpufcules ne font pas le feu. Qu'importerait d'y ajouter, d'en retrancher > ou d'en changer l'ordre, puifqu'ils n'en conferveraient pas moins leur brûlante nature» 9L ne pourraient engendrer que du feu >. Voici donc comment on doit concevoir la formation des êtres. Il exifte des corps qui par leur» sencontres, leurs mouveraens, leur ordre & leur fituation forment le feu, ou en changent la noire en changeant eux-mêmes de combinai- *4 LUCRECE Naturam : neque funt igni fimulata, nequc ullx Praeterea rci, quae corpora mittere poflit Senfibus , & noftros adje&u tangere tactus. Diccrc porro igncm rcs omncs cfTc, nequc u 11 ara Rem verarn in numéro rerum conftare,nifi ignem, ( Quod facit hic idem ) perdelirum efle videtur. Nam contra fenfus ab fenfibus ipfe répugnât, Et labefaclat eos, unde omnia crédita pendent, Undehic cognitus eftipfi, quem nominat igncm. Crédit enim fenfus ignem cognofccre verè 5 Cxtera non crédit, nihilo qux clara minus funt : Quodmihicdmvanum, tum dclirum elfe videtur. Quo referemus enim ? quid nobis certius ipîîs Senfibus elfe poteft, quo ycra ac falfa noteinus ? Praeterea, quare quifquam magis omnia tollat, Et velit ardoris naturam Jinquere folam , Quam neget effe ignis, fummam tamen effc relinquat ? iEqua videtur enim dementia dicere utrumque. Quapropter qui matericm rerum efle putârunt Ignem, atque ex igni fummam confiftere pofle : Et qui principium gignundis aëra rébus yX I r R E I. 5 6) fous. Cet élémens ne tiennent ni de la nature du feu, ni de celle d'aucun des corps dont les émanations frappent les fens & affectent nos organes, v Dire avec Heraclite que le feu eu tout, que le feu feul mérite le nom de corps, me paraît le comble de la folie* C'cft combattre les fens par y les fens mêmes. Ccft ébranler ces inébranla] blcs fonderoens de la certitude, à la faveur desquels il a connu lui-même ce feu dont il abufe. î Pourquoi ajoute-1-il foi au témoignage des fens quand il s'agit du feu, s'il le réeufe pour les autres corps aufn fcnfïbles ? Dans quelle foui ce faut-il donc puifer la vérité ? Qui , mieux que les fens, n#us fait diftinguer le vrai du faux î D'ailleurs pourquoi recc anaître l'exigence du feu au préjudice de celle des aut.es corps, plutôt ;quc l'exiftence des autres corps au préjudice de le du feu ? Je ne vois pas qu'il y ait plus d'abUTurdité dans la féconde de ces excluions, que [dans la première. C'eft donc s'écarter de la vérité que de donner fie feu pour principe du grand tout. Portons le même jugement des Philofophes qui ont regardé l'air GG LUCRECE Conftituérc : aut humorem quicunque putârunt Fingere res ipfum per fe : terramve creare Omnia, &c in rerum naturas vercier omnes : Magnopere à vero longèque errâfle videnmr. Adde etiam, qui conduplicant primordia rerum » Acra jungeates i g n i , terramque liquori : Et qui quatuor ex rébus pofTe omnia rentur, Ex igni, t e r r a , atque anima procrcfcere , ôC imbri. Quorum Acragantinus cumprimis Empcdoclc* eft, Infula quem triquetris terrarum geffit in oris, Quam fluitans circùm magnis amfra&ibiis xquo* Ionium, glaucis afpergtt virus ab undis : Anguftoque fréta rapidum mare dividit undis Italiae terrai oras à flnibus ejus. Hîc eft vafta Charybdis, & hic JEtnxz minantuf Murmura fiamraaruni rurfum fe colligere iras , Faucibus cruptos iterum ut vis evomat ignes, Ad ccelumque ferar flammaï fulgura rurfum. Quae ciim magna, modis mubis miranda videtut Gentibas humanis regio, vifendaque fertur , Rébus opima bonis , multâ munira virûm vi ; Nil tamen hoc habuifTe viro praeclanus in fe , Necfanc~tummagis, «3c mirum, cammque videtur* Carmina quin etiam divini pectoris ejus Vociferantur, & exponunt praeclara reperta : 11 r R M L é7 îélément de la nature, de ceux qui ont ^cra que l'eau était la fource des êtres , de ceux qui ont enfeigné que la terre peut prendre la rme & la nature de tous les corps. Mettez [Nencore dans la même claflc ceux qui doublent lies élémens, joignant l'air au feu, & l'eau à la {«terre, & ceux enfin qui/les prennent tous les ' quatre , perfuadés que la terre , l'eau, l'air 8c le feu réunis peuvent produire tous les êtres. A la tête de ces derniers eft Empedocles d'AJgrigente, né fur les bords triangulaires de certe fameufe que l'azur des flors Ioniens baigne en ferpentant, &fëparede l'Italie par un canal :étroit & rapide. Là mugit l'implacable Charybde; là bouillonnant au fond de Tes abymes, l'£tna ! donne le lignai d'une nouvelle guerre, menace de vomir un nouveau déluge de flammes , 8c de lancer encore au ciel les éclairs de fa bouche. Certe région féconde en prodiges, digne à is de la curiofité des voyag.-urs Se de l'admiration du genre humain, ce féjour enrichi de tous Us biens , défendu par un rempart de héros , n'a pourtant rien produit de plus cftimable, de plus étonnant, de plus grand qu'Empedocles. Les vers qu'enfanta (on génie divin font retentir encore aujourd'hui l'univers de fes fublimes. découvertes, & laiiTcnt en doute la poftérité s'il 6% LUCRECE Ut vix humanâ v-ideaturftirpecreatus". Hic tamen , & fuperà quos diximusy infcriorcs Partibus egregiè multis , multoque minores ; Quanquam mufca bene ac divinitds inveaientes, Ex adyto tanquam cordis, refponfa dedêre San&iùs, & multô certâ ratione magis, quàm Pythia, quaetripodeexPhœbi, lauroque profatur j Principiis tamen in rexum fecére rainas , Et graviter magni magno cecidêre ibi cafu. Primùm, quod motus, exempto rébus inani, Conftituunt, & res molles rarafque reliuquunt, Aéra, folem, ignem , terras, animalia, triages ; Nec tamen ad mi (cent in corum corpus inane. Deinde quod omnino fînem non effe fecandis Corporibus faciunt, neque paufamftarefragori, Nec prorfum in rébus minimum coniîftere quidquam ; Ciim videamus id extremum cuj.ufque cacumen EfTe, quod ad fcnfusnoitros minimum eue vide* tur i Conjicere ut poffis, ex hoc quod cernerenon quis Extremum quod habent, minimum confîftere rébus. Hue accedit item, quod jam primordia rerum L I F R E I. 69 ït «ne origine mortelle. Cependant ce fameux Se d'aoûts beaucoup moins illuftres que lui, oracles plus (urs & plus refpcâables'que la Sirlle couronnée de lauriers, fur le trépied d'À>ny après avoir étonné le monde par la grande leurs découvertes ont erré dans l'cxplicaIon des principes de la matière, écucil fatal pu génie fit un naufrage mémorable. D'abord ils fuppofcnt le mouvement en rejetit le vuide ; ils reconnaiflent des corps mous rares , tels que l'air, le foie il, le feu, la terre, animaux , les végétaux, fans mcler de vuide leur ri/Tu. Enfuite ils ne bornent point la divisibilité de matière, ni la fection des corps, & ne recon» iflênt pas dans la nature de parties extrêmes* )r û l'extrémité des corps nous paraît leur rnier terme de divifion , l'extrémité de cette rémité , que nous ne pouvons appercevoir , doit-elle pas être regardée comme le dernier dç divifion de la Nature > L'Ajoutez que ks principes qu'il* donnent à la . i 7o LUCRECE Mollia confKtuunt, quse nos nativa videmus EiTe, & mortali cum corpore funditils ; atqui Debeat ad nikrlum jam rerum fumma reverci, De nihiloque rcnata virefccre copia rerum : Quorum utrumque quid à vero jam diftet, habebas. Deinde inimica modis muîcis fant, atquc vcnena Ipfa libi inter Te ; quare aut congre/Ta pcribunt, Aut ita difrugicnt, u t , tempeftate coortâ , Tulmina dirrugere atque imbres ventofque videmus. Denique quatuor ex rébus fi cuncta crcantur, Atquc in eas rurfum res omnia difTolvuntur, Qui magis îlla queunt rerum primordia dici, Quàm contra res iilorum, rctroquc putari ? Alterms gignuntur enim, mutantque colorem, Et totam inter fc naturam, temporc ab omni. Sin ita forte putas , ignis, terrxque coire Corpus, & aenas auras, roremque liquorum, Nil in concilio naturam ut mutet eorum : Nulla' tibi ex illis poterit res e(Te creata, Non animans, non cxanimo quid corppre, ut arbos 5 Quippe fuam quidque in cœtu variantis acervi II V R E I. 71 matière font des corps mous, donc la nature cft de naître & de périr. Ainfî ce grand tout aurait déjà été anéanti & retiré de l'abymc du néant, deux erreurs que nous avons folidement réfutées. D'ailleurs ces élémens font ennemis & fe détruifent les uns & les autres. Ainlî en fe choquant ils s'anéantiraient , ou fe diftîperaicnt , comme la foudre , les vents & la pluie poulies par un orage impétueux. Enfin Ci les quatre élémens Cont le centre de Ja formation 6c de la diiîolution des etres , quelle raifon avez-vous de les donner pour principes des corps , plutôt que de leur donner les corps mêmes pour principes ? Ne s'engendrentils pas tour-à tour ? Ne changent-Us pas tourà-tour de nature, de forme, 6c d'e^enec ? ' • Si TOUS prétendez au contraire que le feu ; l'eau, la terre & l'air fe réunifient fans chan\ ger de nature , il n'en pourra réfulccr aucun * être, foit animé , foie végéunt. Vous n'aurez U qu'un mélange confus d'air, d'eau, de terre 6c \ 4e feu, fubftances incompatibles qui déploycrons à 7 i LUCRECE Naturam oftendet, miftufque videbitur aër Cum terra fîmul, atque ardor cum rore manere : At primordia gignundis in rébus oportet Naturam clandeftinam , cxcamque adhibere 5 Emineat ne quid, quod contra pugnct, & obftet Quo minus elle queat propiïè, quodcunque créa' tur. Quin etiam repetunt à ccelo, atque ignibus ejus, Et priraùm fatiunt ignem fe vertere in auras Ae'ris : hinc imbrem gigni : terramque creari Ex imbri : retroquc à terra cuncta reverti, Humorem primdm, poft aê'ra 3 deinde calorem : Nec cerTare hase inter fe mutare, meare De ccelo ad terram , de terra ad fïdera mundi : Quod facere haud ullo debent primordia pa<5to. Immutabile enim quiddam fuperare nece/Te eft j Ne res ad nihilum redigantur fiindiciis omnes. Nam quodcunque fuis mutatum finibus exit, Continua hoc mors eft illius , quod fuit antè. Quapropter, quoniam, quaspaulodiximus antç In coirjmutatum veniunt, conftare neceffe eft Ex aliis ea, quae nequeant conyertier unquam ; Ne tibi res redeant ad nilum funditùs omnes. Quin potiùs tali naturà praedita quaedam Corpora conftituass ignem (i forte crearint ,\ Poife L I r R E I. 'à F ; : . /• •^ C ^ ^ £ . „ Î > 75 chacune en particulier leurs proprietéi. Or il effc néceflaire <juc les principes agirent d'une m a niere (êcrette 8c invifible, de peur que leur n a cure dominant trop, n'empêche les corps qui en font formés d'avoir un cara&ere propre & fpéci(que. Mais fuirons la marche de leur fyfrême. Le premier é l é m e n t , félon eux , eft le feu qui prend fa fource au ciel & fe change en air. De l'air cil formée l'eau qui s'épailïït & devient terre. D e la terre naifTent en rétrogradant les autres élémens 5 l'eau d'abord, enfuite l'air & le feu. Cette chaîne de métamorphofes n'efr jamais interrompue; 8c les élémens ne cefTcnt de v o y a ger du ciel à la terre, 8c de la terre au ciel. O r ces changemens de formes font i n c o m patibles avec la nature des principes. Le fonds doit en être immuable, fi on n'aime mieux précipiter l'univers dans le néant ; puilqu'un corps n e peut franchir les bornes de fon ctfence fans ce/Ter aufG-tôt d'être ce qu'il était. Ainfi vos quatre élémens fubiffant, comme nous venons de le d i r e , des métamorphofes continuelles , il faut qu'ils foient eux-mêmes compofés d'autres élémens immuables, ou que le monde tombe anéanti. Reconnai/Tez donc plutôt des corps tels , qu'après avoir formé le f e u , en augmentant 8c Tome I. +m D 74 LUCRECE Poire eadern demptis pauçis, paucifquc tribu* tis, .Ordine mutato, & motu, facere a'exis auras : . Sic alias aliis rébus mutarier omnes. At manifefta palam res indicat, inquis, iû auras Aëris è terra res omnes crefcere, alique ; Et nifi tempeftas indulget tempore faufto, Imbribus , & tabe nimborum arbufta vacillant , Solque fuâ pro parte fovet, tribuitque calorem : Crefcere non pofîunt fruges, arbufta, animantes. Scilicet & nifi nos cibus aridus, & tener humor, Adjuvet j amifîo jam corpore, vitaquoque omnis Omnibus è nervis atque oiîibus exfolvatur. Adjutamur enim dubio procul , atque alimur nos Certis ab rébus, certis alix atque alia: res ; Nimirum quia multa modis communia multis Multarum rerum in rébus primordia mifta Sunt : ideo variis varias res rébus aluntur. Atque eadem magni refer: primordia faspe Cum quibus, & quali pofiturâ contineantur : Et quos inter fe dent motus , accipiantque. Namque eadem cœlum, mare, terras, flumina," ibiem i LIVRE I. 75 diminuant leur nombre , en changeant leur fîtuation on leur mouvement, de cette nouvelle .combinaifon puifle naître le fluide de l'air ou toute autre fubftance. Mais il cft évident, dites-vous , que tous les ; corps naiilent de la terre , fe nourrifTcnt de fes Tues, & que, G. la faifon ne communique à l'air une température favorable, f\ la cime des arbres ji'eft mollement agitée par des pluies rafraîchiffantes, û le foleil à fon tour n'échauffe de fes feux les productions de la terre 5 ni les grains, ni les arbres , ni les animaux ne peuvent croître & fe fortifier. J'en conviens ; & nous-mêmes, û une nourriture folide détrempée dans une boiffon falutaire ne nous foutient, ncs membres s'é^uifent bientôt, & le fentiment s'éteint dans tous les reflbres de la machine. Il faut à l'homme* aiali qu'à tous les autres corps , des alimens propres à fe nourrir j & fi dans cet univers la moitié des êtres vit aux dépens de l'autre, c'eft que chacun renferme en foi des principes corn* muns à plusieurs. Il importe donc de confidérer non-feulement la nature des élémens , mais encore leur mélange , leur iituation , & leurs roouvenjcns réciproques : car les principes à l'aide dcfqucls ont été conftruitsle ciel, la mer, la terre, lesfleuves& le foleil, font les mêmes Dij 76 LUCRECE Confticuunt : eadem frugcs, arbufta, animantes: Verum aliis, alioquc modo commifta moventur. Quin etiam paflim, noftris in verfîbus ipfîs , Multa elementa vides multis communia verbis : Cùm tamen inter fç verfus, ac vcrba neceflc eft Confîteare & re, & fonitu diftare fonanti. Tantùm elementa queunt permutato ordine fclo. At rerum quae funt primordia, plura adhibere Poiîunt, unde queant vari$ res quaeque creari, Nunc & Anaxagorae fcrutemur Homœomeriam, Quam Grxci memorant, nec noftrâ dicere linguâ Concedit nobis patrii fermonis egeftas : Se J tamen ipfam rem facile eft exponere verbis à Principium rerum quam dicit Homœomeriam, jOiîa videlicet è pauxiljis atque minutis Ofîibu , fie $t de pauxillis atque minutis Yifceribus vjfcus gignij fanguenque creari Sancuinis inter fe multis coeumibu* çuttis ; Ex aurique putat micis confïftere poiTe Aurum, & de terris terram concrerçere parvis : ïenibus ex ignem, humorem ex*huincribus efTe j Catera coniimiii fingit ratione, putatque. J L I V RE I. 77 £ ^ut mêlés avecd'autres & diverfcment arrangés, pont formé les grains , les arbres & les animaux. ^Ne remarquez-vous pas dans ces vers que vous rïtifez les mêmes lettres communes à plusieurs •mots ? Cependant les vers 6c les mots différent beaucoup, foie par les idées qu'ils préfentent, (bit par le fon qu'ils font entendre. Telle eft la .'différence que met entre les corps l'arrangement fetil des éJémens. Mais les principes de la matière ont encore mille autres circonftances qui doivent jetter une variété infinie dans les réful- * tats. <. Approfondirons maintenant Vffomaomerie d'A* naxagore : c'eft le nom que lui donnent les Grecs : 9c la difette de notre langue ne nous en fournit -. point. Mais il eft facile de donner une idée claire «le fon fyftême, de ce principe de la nature qu'il appelle Homctomcric. Les os , fuivant lui , font vformés d'un certain nombre de petits'os, les vifres d'un certain nombre de petits vifeeres : lufieurs gouttes de fang réunies donnent naifnce au fluide qui coule dans nos veines. Pilleurs molécules d'or compofent ce méral pr<fieux ; le feu 6c l'eau nailfent de partielles feu & d'eau ; & tous les corps en ua mot l'affemblage d'élcmçns fimilaires. Diij 7S LUCRECE * Nec tamen efTe ullâ parte idem in rébus inane Concedit, neque corporibus finem eflfe fecandis,. Quare in urrâque mihi pariter ratione videtur Errare , atquc illi, fuperà quos diximus antè. Adde qnod imbecilla nimis primordia fingir^-. Si primordia funt, fimili quae pxasdita confiant Naturâ, atque ipfas res funt, aequèque laborant, Et pereunt, neque ab exitio res ulla refrénât. Nam quid in opprefîu. valido durabit eorum, Ut mortem efïugiat, lethi fub dentibus ipfîs ? Ignis ? an humor ? an aura? quid horum ? fanguis : an ofïa } Nil j ut opinor , ubi ex aequo res funditùs omnifr Tarn mortalis erit, quàm quae manifefta vidcmusEx oculis noilris aiiquâ vi vicia perire. At neque recidere ad nihilum res pofTe , nequc autem Crefcere de nihilo, teftor res antè probatas. Prsctcfea quoniam cibus auget corpus , alitque: Scire licet, nobis venas , & fanguen , & ofiTa-, Et nervos alienigenis ex partibus efTe : Sive cibos otnnes commifto corpore dicent Efle , & habcrc in fe nervorum corpora parya , Oflaque, & omninô venas , partefque cruoris : Piet, uti cibus omnis & aridus , & liquor ipfc, i 11 r RE i. 19 Mais ce même Philofophe ne donne pas d'acces au vnjdt , ni de bornes à la divifibilité des •^ corps : deux erreurs qui lui font coftimunes avec y k$ Philofophes que nous venons de réfuter* Ajoutez que Tes élémens font trop fragiles ; • £ pourtant le nom d élémens convient a des $ corpufculcs de même nature que les corps, dont t ks re/Torts font aufli faibles & le tiiîu auffi ex£ foCé à la deflru&ion. Suppofez une attaque viaj; * lente, & dites-moi lequel de vos élémens réiif[ tera au choc, fe fou tiendra contre les aifaucs dit j; trépas ? Sera-ce le feu ? l'air ? l'eau ? le fang ? les | ©s ? Non fans doute, puifque tous ces corps font JVféri/Tablcs comme ceax qui difparaifTeut »us les jours à nos yeux. 11 ne me refte don.: qu'à Tous renvoyer aux raifonnemens par iciquçls j'ai prouvé que rien ne naît de rien & ne fc féduit à rien. ? D'ailleurs puifque les alimens accroifTjnt le corps en le nourri/Tant , il s'enfuit néceflairement que nos veines, notre fang, nos os & nos nerfs font formés de parties hétérogènes^ Si vous prétendez que les alimens font des fubftances mélangées, qui contiennent en petit des nerfs, des os, des veines, & des gouttes de fang 5 alors ce feront nos nourritures & nos Div 8e LUCRECE Ex alienigenis rébus conftare putetur 3 Oflibus, & nervis, venifque, &fanguine mifto. Prêterea quaecunque è térrâ corpora crefcunt, Si funt in terris, terras conftare necefTe eft, Ex alienigenis quae terris exoriuntur. Transfer item , totidem veibis utare licebit : In Iignis fiflamma latet, fumufque, cinifque, Ex alienigenis conflftant ligna necefle eft. Linquitur hîc tenuis latitandi copia quxdam, Id quod Anaxagoras fibi fumit : ut omnibus omnés Res putet immiftas rébus latitare j fed illud Àpparere unum , cujus fînt pluria mifta, Et magis in prornptu, primâque in fronte locata : Quod tamen à verâ longe ratione repulfum eir. Conveniebat enim fruges quoque fa:pè minutas, Robore cùm faxifranguntur, mittere /ïgnum Sanguinis, autaliûm, noftro qua? corpore aiuntur : Cùm lapidi lapidem terimus, manare cruorcm. v Confimili ratione herbas quoque faspe decebat, Et laticis dulces guttas, fimilique fapore Mittere, lanigère quali funt ubera la&is : Scilicet & glebis terrarum fxpc friatis L I F R E I. 81 boiiîbns elles-mêmes qui feront compofées de parties hétérogènes. \ ' Enfui te fi tous les corps qui naiiïcnt de la terre font renfermés en petit dans fon fein , voilà donc la terre compoféc -d'autant de parties diverfes , quelle enfante de différentes productions. Vous pouvez raifonn-r de même de tous les autres compofés. Si la flamme, la fumée & la' cendre font contenues dans le bois, les élémens du bois font évidemment hétérogènes. Anazagore n'a plus qu'un moyen de fe mettre à couvert. Il en ufe Se prétend que les corps renferment en eux les élémens de mille autres ; mais que ceux-là feuls paraifTentà l'œil, qui répandus en plus grand nombre dans les corps 8c placés à la furface , font par cette raifon plus expofés à la vue. Mais cette reffourec lui ett interdite par la faine philofophie. Car il faudrait " que les grains bioyés par la meule , laifTailent appercevoir des traces ou de fang ou des autres • parties de notre corps auxquelles le bled s'unit s il faudrait que deux cailloux heurtésfillene jaillir du fang : Se que • les herbes diftillaifent un lait auffi pur & aufli favoureux quecelui de nos brebis. Il faudrait en divifaat les glèbes y trouver en petit des herbes , des grains, & des arbres s Dr îi LUCRE CE Herbarum gênera, & fruges, frondefque vidcri. Difpemta, arque in terris latitare minute ; Poitremo , in lignis cincrem fumumque vidcri ? CiLn prjefracta forent, ignefque latere minutos.. Q-.-.otmn mil rleri quoniam manifefta docet rcs v Sein; iicet non efTe in rébus res ita miftas : Verùm femina multimodis immifta latere Mukarum rerum in rébus communia dcbent, At fa^pe in magnis fit montibus, inquis, ut altis Arboribus vicina cacumina fumma terantur Inter fe , validis facere id cogentibus Aufnris , Donec fulferunt flammae, fulgore coorto : Scilicet, & non eft lignis tamen infïtus ignis $ Verdm femina funt ardoris multa, terendo Qux cùm confluxêre , créant incendia filvîs. Quod fi tanta foret filvis abfcondita n'anima, Non portent ullum tempus celarier. ignés : Conficerent vulgo filvas , arbuftar cremaxenr, Jamne vides igitur, paulo quod dixirrras antè Psrmagni referre, cadem primordia faepe Cum quibus, & quali pofîturâ. contineantur l Et qûos inter fe dent motus, accipiantque 1 Atque eadem paulo inter fe mutata creare Ignés è lignis ? quo pacfco verba quoqiic ip(a» r i i i r k E i. s ic en bri&nt le bois, en tirer des parties " : l perceptibles-de famée, de cendre, & de fîamme. Mais comme l'expérience fê refufe à ces phénomènes , avouons que les élémens, fans être ainfî mélangés dans les corps , font communs à tous, de arrangés diverfement dans les êtres divers. l * Cependant, dites-vous , fur le fommet des hautes montagnes, les arbres pouffes par un vent impétueux , çntre-choquent Couvent leur cime » prennent feu, Sr font briller au loin des tourbillons deflamme.J'en conviens. Mais il n'y a pas pour cela du feu dans le bois $ feulement un grand nombre de parties inflammables qui, raffemblées par le frottement, caufent l'incendie des forets. Si le bois renfermait tant de flamme, fon ardeur ne pourrait un moment fe contenir : tous les jours elle confumerait les arbres & réduirai? les forets en cendre. Sentez «vous maintenant k vérité que j'étaBliflais tout-à-l'heure , qu'il eft important de confidérer le mélange des élémens, leurs difpofitions , leurs môuvemens réciproques ; puifqu'avec un léger changement les élémens du bois formeront le feu 5 comme les mots latins Dvj 24 LUCRECE Inter fe paulô mutatis funt elementis,' Ciim ligna, atque ignés diftin&â voce notemus > Denique jam quaecunque in rébus cernïs apertis, Si fïeri non pofTe putas : quin materiaï Corpora confiraili naturâ prasdita fingas ; Hâc ratione tibi pereunt primordia rerura, Fiet uti ri/u tremulo concufTa cachinnent, Et lacrymis fallîs hume&ent ora, genafque. Nunc âge 9 quod fupereft cognofee, & clariu3 audi. Nec me animi fallit, quàm fint obfcura ; fed acri Percuflit thyrfo laudis fpes magna meum cor 3 Et fîmul ineuflit fuavem mî in pe&us amorem Mufarum : quo nunc inftin&us, mente vigenti Avia Pieridum peragro loca, nullius antè Trita folo : juvat integros accedere fontes > Atque haurire ; juvatque novos decerpere flores, Infignemque meo capiti petere indè coronam , Undc priùs nulli velârint tempora MuCx ; Primiim, quod magnis docco de rébus, & arAis Relligionum animos nodis exfolvere pergo : Deinde, quod obfcurâ de re tam lucida pango Carmina, Mufaeo contingens cunda lepore. Id quoque enim non ab nullâ ratione videtur : Sed veluti pueris abfinthia tetra medentes Çum dare cojwntur, priùs oras pocula ciraim 1 I V R E I. 85 ligna & ignts, conipofés prcfque des mêmes lettres forment cependant deux fons très-diftinds? Enfin E vous ne pouvez expliquer les différens phénomènes de l'univers, qu'en attribuant aux élémens la nature des êtres qu'ils compofent, c'en eft fait des principes de la matière. Il faudra que vos élémens rient, comme vous, & fc bai* gnent de larmes ameres. Apprenez maintenant, 6 Memmius, les véxités qui me relient à vous découvrir. Je n'ignore pas qu'une nuit épaitfe en dérobe la connaiflancc. Mais l'efpérance de la gloire aiguillonne mon courage, & verfe dans mon ame la paillon des Mufes , cet enthoufiafme divin qui jn'élevé fur la cime du ParnaHe, dans des lieux jufqu'alors interdits au* mortels. J'aime à puifer dans des fources inconnues ; j'aime à cueillir desfleursnouvelles & à ceindre ma tête d'une couronne brillante, dont les Mufes n'ont encore paré le front d'aucun Poète ; d'abord parce que mon fujet eft grand & que j'affranchis les hommes du joug de la fupcrftition ; enfuite parce que je répands desflotsde lumière fur les matière* les plus obfcures, & lesfleursde la poéfie fur les épines d'une philofophie aride. Et n'ai-je pas rai Ton d'imiter ces Médecins habiles, qui pour enga- M LUCRECE Contingunt mellis dulciflavoqueliquore, Ut pueroruin aetas improvida ludifketur, tabrorum tenus 3 interea perpotet amarum Abfinthî laticem, deceptaque non capiatur, Sed potids tali fado recrcata valefcat : Sic ego nunc, quoniam haec ratio plerumque Yîdetur Triflior efTe, quibus non eft tra&ata , retroque Volgus abhorret ab hâc : volui cibi fuaviloquenti Carminé Pierio rationem êxponere noftram , Et quafi Mufaîo dulci contingere melle 5 Si tibi forte animum tali ratione tenere Verfibus in noftris porTem, dum perfpicis omnem Naturam rerurn, quâ conftet compta figura.Sed quoniam docui, folidifïima materiaï Corpora perpetuo volitare invida per arvum , Nunc âge , fummaï ecquaenam fit finis eorum, Nec ne fit, evolvamus : item, quod inane repertum eft, Seu locus, ac fpatium, res in quo quaeque genantur, Pervideamus utriîm finitùm funditiis omne .Confier, an iramenfum pateat vel adufque pro~ fundum. Omne quod eft igitur nullâ regione viarum '& **•- | *; • \* ^ . ." ;. » i LIVRET. %T gcr lès joues cnfans à boire l'abfynthe amere , dorent d'os miel par les bords de la coupe ,afin que leurs lèvres réduites par cette douceur trompeufe , avalent fans défiance le noir breuvage, innocent artifice, qui rend à leurs jeunes membres la vigueur de la famé. Àinfi le iujet que je traite, étant trop fërieux pour ceux qui n'y ont pas réfléchi, & rebutant pour le commun des hommes, j'ai emprunté le langage des:Mufes , j'ai corrigé l'amertume de la philofophie avec le miel de la poéfie. Heureux fi féduit par les charmes de l'harmonie, vous ne quittez mon ouvrage qu'après y avoir puifé une profonde connaifianec de la nature l Je vous ai enleigné que les folides élémens de la matière fe meuvent de toute éternité à l'abri de la deftru&ion. Examinons maintenant fi la fomme de ces élément eft infinie ou limitée ; fi le vuide dont nous avons établi Ixxiftence, ce lieu, cet efpace, ce théâtre éternel de l'action des cerps eft fini, ou fi fon immenfité & (à profondeur n'ont point de boi> € e grand tout cil infini 5 car autrement il S8 LUCRE CE Finitum eft : namque extremum debebat habefe > Extremum porro nullius polTe videtur Effe, nifî ultra fît quod flniat, ut videatur, Q u o , non longiùs, hxc fensûs natura fequatur. Nunc extra fummam quoniara nihil elfe fatendum eft , Non habet extremum : caret ergo fine, modoque : Nec refert quibus afîiftas regionibus ejus. Ufque adeo quem quifque locum poiTedit, iû omnes Tantùndera partes infînitum omne relinquit. Praeterea, fi jam finitum conftituatar Omne quod eft fpatium : fî quis procurrat ad oras Ulrimus extremas, jaciatque volatile telum ; Id validis utrùm contortum viribus ire, Ouô fuerit miflum , mavis, longèque volare , An prohibere aliquid cenfes, obftareque poffe ? Alrerutrum fatearis enim, fumafque neceffe eft : Quorum utrumque tibi efFugium prascludit, &c omne Cogit ut exempta concédas fine patere. Nam five eft aliquid, quod proliibeat, officiatquc Quo mimi', quo miflum eft veniat, fînique locet fe; Sive foras fertur : non eft ea fini' profe&ô. Hoc pa&o fequar , atque oras ubicunqus locâris Ixtremas, quaeiam quid telo denique fiât. L I r R E /. «9 Serrait avoir une extrémité. Mais un corps ne peut avoir d'extrémité, s'il n'a hors de lui quelque chofe qui le termine , de manière que l'œil ; voie clairement qu'il ne peut fe porter plus loin l fur ce corps. Or, comme vous êtes forcé d'a. vouer qu'il n'y a rien au-delà du grand tout, < Tous ne pouvez non plus lui affigner d'extre, \inité, ni par conféquent lui prefcrire de Bornes, ; U n'importe donc en quel lieu du monde vous -< foyez placé , puifque de tous côtés vous avez un efpace infini en tout fens à parcourir. v En fécond lieu fi l'efpace eft borné, & ^uc V quelqu'un placé à Tes limites, lance avec force uneflècherapide, penfez-vous que le trait après '-' avoir fendu l'air fuivra fa dirc&ion, ou aimez'. vous mieux qu'un obftaclc extérieur lui ferme C le paflage U fufpende fon vol ? Car vous ne pouvez vous difpenfer de choifir dans cette alter', native. Or , quelque parti que vous preniez, 'f vous êtes forcé d oter au grand tout les limites que vous ofez lui alfigner. Car foit qu'un obftade extériedt empêche le trait de parvenir au [bat, foit qu'il s'élance plus loin , il eft évident que vous n'avez pas trouvé l'extrémité. Je vous f pourfuivrai de cette manière, & par-tout oii £ vous fixerez des bornes , je vous demanderai ce ^ que deviendra 11flèche.Ainfi jamais vous ne trou* 5>o LU C R E C É Fiet, uti nufquam poflît confiftere finis', EfFugiumque fugas prolatet copia femperv Pbeterça fpatium fummaï totius omne Undique fi inclufum certis confifterer oris, Jinituïnque foret, jam copia materiaï Undique ponderibus fblidis confiuxêt ad imuni % Nec res ulla geni fub cœli tegmine pofîct : Nec foret omnino coelum , neque lamina folis ; Quippe ubi materies omnis cumulata jaccret, £x infinito jam tempore fulnd'jndo. At nunc nimirum repaies data princ ipiorum Corporibus- nulta eft : quia nil eft furditù? in/am, Quo quan confluerc, & fedes ubi pouere çoC~ fint; Semper î< a/Iîduo motu rcs quaeque genuntur Partibus in cunclis , asternaque fuppeditantur Ex infinito cita corpora materiaï. Poftremo ante oculostem res finirc videtur ? Àër difTepif colles, atque aëra montes : Terra mare, & contra mare terras terminât omnés. Omne quidem verô nihil eft quod fïniat exïra, Eft igitur natura loci, fpatiumque profundi, Quod neque clara fuo percuriere flumina curfu Perpetuo pofïint aevi labentia tractu : Nec prorfura facexe, ut reftet miniis ire, meando i 1 I F RM L 9i Yercx IesCmites du monde. Son immenfité laif* fera toujours au trait un cfpace à parcourir. Outre cela fi la Nature avait environné de bor* nés le grand tout, la matière par fa pefanteur fe ; ^ (irait rafièmblée dans les lieux les plus bas. D&ï. lors plus de productions fous la voûte des cieux ; nous ne verrions plus ni l'azur du firmament, S? ni la lumière du foleil : la matière afFaitTée depujf "* tant de ficelés ne ferait plus qu'un amas d'ato} mes fans énergie. Au contraire les principes 1 élémentaires ne connaiflent point le repos, parce •j - qu'il n'y a point de lieu inférieur, ou ils puif| : fent fe rafièmbler & s'établir dans l'inaction. :* Ainfî Amli un mouvement continuel- crée' à chaque F inftant ïnfta àts êtres dans tous les points de l'efpace, nfini cil la fource qui fournit fans-ce/Te^det flots d'une matière active & éternelle. Enfin nous voyons tous les corps bornés par d'autres corps ; les montagnes par l'air, & l'air par les montagnes ; la terre donne des rivages à la mer, qui à fon tour environne les contisens : mais ce vafte univers n'a rien hors de lui qui le termine. • TcUe eft donc la nature '" de l'efpace & du lieu, qu'un grand fleuve après avoir coulé pendant Téternité , bien loin d'armer aux bornes de l'univers , ne ferait pas 5>i LUCRECE Ufque adeô paffim patet ingens copia rebùs," Finibus exemptis, in cun&as undique partes. Ipfa modum porro fibi refum fumnia parare Ne pofïit, Natura tenet ; quia corpus inani, Et quod inane au te m eft, finiri' corpore cogit : Ut fie âlternis inflnita omnia reddat. Aut etiam , altcrutram mfi terminée alrerum eorum Simplice naturâ & pateat tantùm immôderatum : Nec mare, nec tellus, nec cœli lucida templa, Nec mortalc genus , ncc Divûm corpora fan&a Exiguum poAent horaï fîftere tempus. Nam difpulfa fuo de ccetu materiaï Copia ferretur magnum per inanc foluta, Sive adeo potiùs nunquam concreta creâiTet Ullam rem, quoniam cogi disje&a ncquifTet. Nam certè neque confîlio primordia rerum Ordine fe quaeque, atque fagaci mente locârunt : Nec quos quarque darent motus pepigêre profe&o : $ed quia multimodis multis mutata, per omne, Ex inhnito , vexantur percita plagis , Omne genus motûs, & cœtûs experiundo , Tandem deveniunt in taies difpofituras, Qualibus hxc rébus confîftit fumma creata : I I F R £ I. 9j plus avancé qu'au commencement de Ton cours. Ainfi ie monde, dégagé de limites, s'étend à l'infini en tout fcns. D'ailleurs l'eûence même de l'univers ne lui g permet pas d'être fini. La Nature a voulu que V, la matière fut bornée par le vuide, & le vuide fr par la matière , afin de rendre ainfi tout Ton Jv ouvrage infini. Si le vuide feul était fans bornes fc it que la matière en eût s ni la mer, ni la terre 9* V, ni le palais brillant du ciel, ni l'cfpece humai*- ne, ni le corps augufte des Dieux ne pourraient j un in/lant fubtiftçr. La matière n'étant plus a/Tujettie fe difpcrferair dans l'immenfité du vuide ; ou plutôt jamais elle ne fe fut réunie : jamais la fomme des atomes n'eût acquis la confiftance nécefiaire pour former un corps. O r vous ne direz (urement pas que les principes de la matière Ce foient placés avec intelligence dans l'ordre où nous les voyons, ni qu'ils aient concerte entr'eux-les mouvemens qu'ils voulaientfiecommuniquer. Mais après un grand ©ombre de combinaifons diverfes , mus de toute éternité dins l'efpace, par des chocs étrangers, en efiayant toute forte de mouvemens & d'ailcmblages paiticulieis > ils fe fpnt rangés dans l'ordre 94 LUCRECE Et multos etiam magnos fervata pcr annos, Ut femel in motus sonjecla eft convenantes, EfUcit, ut hrgis avidum mare fluminis undis Intègrent a unes : ?z folis terra vapore Eota novet fœtus, fummiffaque gens animaalûm floreat, &. vivant labentes szr-ieris ignés. Quoi nullu faccrent p-iclo, nui materiaï Ex inHiiito fuboriri copia porTet, Unde ami (Ta folent reparari in temporc quoque. Nam veluti privata cibo natura animantûm Difflui: amirtens corpus : fie omnia dsbent DilTolvi ; limai ac defecit fuppeditare Materies rc&â regione averfa viaï. Neç plagae polfent extrinfecùs undique fummam Confervare omnem , quascunque eft conciliata. Cudere enim crebro poiTunt, parcemque morari, Dum veniant aliae, ac fuppleri fumma queatur. Interdum refilire tamen coguntur , & unà Principiis rerum fpatium, tempufque fugaï Largiri, ut poffint à costu libéra ferri. Quare etiam atque etiam fuboriri multa nece/Tc eft. Et tamen ut plagas quoque poffint fuppetere ipfac, Inflnita opus eft vis undique materiaï. £ I V R E I. 5>5 me •otre monde eft le réfultat ; & c'eft en corféquerfce de cet ordre, auquel ils font demeurés leles Repais un grand nombre de ficelés, que is voyons conlramment les grauds fleuves ibreuver l'immenfe Océan J'aitrc du jour renou^reller par fa chaleur les productions de la terre, lt leur de la famé fe répandre fax toutes les cfpeccs rivantes,fielesflambeauxétherés fc repaître de :urs éternels alimens. Cet éclatant concert de la lature ferait bientôt interrompu, fi une infinité fcd'élémcus ne travaillait fans cefie à la reproduct i o n des êtres. Les animaux, privés de nourritu* jjje, languiflent& meurent 5 ce grand tout périra de *taiéme, aa/E-côt que la matière détournée de fon. * fours narurcl,cciTera de fournir aux reproductions* Ne dites pas que les atomes extérieurs, par leur : preffion retiennent l'amas de la matière & l'em[f pèchent de fe difperfer. lis peuvent bien par des [coups répétés arrêter la défunion d'une partie, \fc donner à de nouveaux atomes le tems de furrenir Se de completter la ma/Te. Mais forcés de [rejaillir après le choc, ils laifleront aux corps un nouvel efpace à gagner & un tems fuiElanc pour fe défunir. Il eft donc néceflaire que les atomes fe fuccedent fans interruption. Ajoutez que cette prcifiôn extérieure fuppofe elle-même l'infinité de la matière. 96 LUCRECE Ulud in his rébus longe fuge credere, Mem* mî, In médium fumma: [ quod dicunt] omnia nici ,. Atque ideo mundi naturam ftare fine ullis Ictibus extemis , neque quoquam pofTe refolvi Summa arque ima , quod in médiumfinxomnia nixa , [ Ipfum fi quidquam poflfe in fe fiftere credis : Et quae pondéra funt fub terris , omnia fursùm Nitier, in terrâque rétro requiefcere pôfta : Ut per aquas quae nunc rerum fimulacra videmus : ] Et fimili ratione animalia fubtu' vagari Contendunt, neque pofTe è terris in loca cœli Recidcrc inferiora magis, quàm corpora noftra Sponte lui pofïint in cœli templa volare : Illi cùm videant folcm , nos fidera no£Hs Cernerc, & alternis nobifcum tempora cœli Dividere, & no&es pariles agitare, dicfquc. Scd vanus ftolidis haec omnia fînxerit error , Amplexi quôd habent perverse prima viaï. Nam médium nihil efle poteft, ubi inane, locufque Infinita : neque omnino, fi jam médium fit, Poffit L I F'R E I. 97 Car ne croyez pas, 6 Mcmmius, avec quelques Philofopnès , que tous les corps tendent Vers le centre da monde, que l'univers n'a pas befoin d'être retenu par des chocs extérieurs, èc -qu'il n'eft pas à craindre que les extrêmités fupérieures ou inférieures ne s'échappent , ayaut toutes la même tendance vers un centre commun. Qui peut concevoir qu'un être £c foutienne fur lui-même, que fous nos pieds ks corps pefans exercent leur gravitation en haut, & foient portés fur la terre dan* une direction oppofee à la nôtre, comme nos images reptcfcnices dans l'eau î C'cft pourtant d'après de pareils principes qu'on explique comment un monde d'animaux de toute cfpecc va & vient fous nos pieds , (ans être plus ejpofés à tomber lie la terre dans les/égions inférieures , que nous ne le fommes à nous élever de nous-mêmes vers la voûte célefte. On ajoute que ces peuples voient Je folcil,'quand les flambeaux nodturncs nous éclairent ; qu'ils partagent alternativement avec nous les faifons de l'année, que leurs jours de Jeurs nuits ont la même durée que nos nuits Se nos jours. * Voilà les erreurs groflieres où font tombés des Philofophcs , pour être partis d'après de faux principes. Ils nç comprenaient pas qu'il ne peut Tome I, E k 5>S LUCRECE Poffit ibi quidquam hâc potiiis confiftcre causa, Quàm quâvis aliâ longe regione manere. Ornais enim locus, ac fpatium, quod inane vo« camus, Per médium, per non médium, concéda: oportet ,/Equis pondcribus, motus quàcunque feruntur. îvec quifquamlocus eft, quo corporacùm venêre, Pondcris amifsâ v i , poflint frare in inani : Hic quod inanc autem eft, illis fubfiftere débet, Quin, fua quod natura petit, concedcrc pergat. Haud igitur pofïunt, tali ratione, teneri, Res in concilio, medii cuppedine vi&ae. Praeterca quoque jam non omnia corpora fin* gunt In médium niti, Ccd terrarum, atque liquorum , Humorem ponti, magnifque è momibus uudas, Et quaû tcrreno qusc corpore contineantur ; At contra, tenues exponunt aëris auras > £t calidos fïmul à raedio difTerrier ignés, Atque ideo totum circumtremere aethera fignis , Et folis flammam per cœli caerula pafci 5 Quod calor à medio fugiens ibi colligat ignés. Quippe etiam vefci è terra mortalia Cxch : Nec prorfum arboribus fummos frundefcere ramos PoiTe, ni(i à terris paulatim cuique cibatum •? L I V R E 1. 99 avoir de milieu dans une écendue infinie . Se ^ o e quand il y en aurait, les corps ne feuent >toas plus néceflkés à s'y arré.cr, que. dans -oute Iturre partie de Pefpare. En effet la nature do ^ruide cft de céder aux corps graves , quelque pari Qu'ils tendent, an centre ou ron. II n'y a point .{fie .lieu dans l'univers, où les corps une fois .irrivés s'arrêtent & perdent leur pe(ànteur. Le ^ruide ne ceiTcra jamais d'ouvrir un paflage à leur rechute, parce qu'ainfi l'exige fa nature. Cet amour ijùppofé du centre ne fuffit donc pas poux empd* . ' cher la défunion du stand tout. Une autre contradiction ef^que, fuivant let ^ mêmes Philofophes la tendance vers le centre tin'cft pas commune à tous les corps, 8c n'a lieu que dans ceux qui (ont compofés de terre ou ; <h:au, tth que Je fluide de l'Océan, les fleuves qui jailliflènt des hautes montagnes, & tous les êtres qui participent à la nature terreihe. A* contraire l'air fubtil & la flamme légère tendent à s'éloigner du centre ',&. Ci nous voyons toute la voûte du ciel étinceller de feux, 9c la féconde lumière du foleil fe nourrir au milieu de l'azur éthéré, c'eft que les clémens de la flamme s'y ~ réunifient fans celte en fuyant le centre ; de même que fans les fucs nourriciers qui s'élevent de la terre , les animaux feraient privés Eij à. ioo LUCRECE Terra det : At fupra circdm tegere omnia ccev lum; Ne, volucrum ritu flammarum, mcenia Mundi Diffugiant fubito, magnum per inane foluta,' • Et ne caetera confimili ratione fequantur : Neve ruant cœli tonitralia templa fupernè , Terraque fe pedibus raptim fubducat, & omnc* Inter permiftas terrai cœlique ruinas , Corpora folventes, abçant per inane profua» dum: Temporis ut pun&o nihil exftet relliquiarum, Pefertum prêter fpatium & primordia cxca, Nam qaâcunquc priùs de parti corpore cêfle Conftitues, haec^rebus erit pars janua lethi ; Hàc fe turba foras dabit omnis matcriaï. Hase fi pernofees, parvâ perfun&us opeilâ , ( Namque alid ex alio clarefeet ) non tibi caeca Nox iter eripiet , quin ultima naturaï ^çryideas j ita res accendent lumina rébus, finis Libri Pritnis : ^ w. ! LITRE ï. ioi j'alimens & les arbres de verdure. Au - dciTm des étoiles les mêmes Philofophes placent le firmament , enveloppe impénétrable , fans.laquelle les feux du ciel, pour s'éloigner du centre , franchiraient les limites du monde. Le même défoirdre gagnerait toute la nature 3 le ciel avec fes foudres s'écroulerait fur nos têtes ; la terre s'ouvrirait fous nos pieds, & nos corps décompofés tomberaient engloutis dans l'abyme, avec les débris mêlés du ciel Se de la terre. Bientôt il ne refteraie plus de ce vafre univers qu'un amas d'atomes fans énergie, une vafte iblitude. Car en quelque lieu que commence la diflblution, ce fera une porte de deftruétion toujours ouverte par' où tous les atomes en foule fc bâteront de s'échapper. Si vous avez compris ces premières vérité» que vous offre ma faible mufe, la philofophie n'aura plus de ténèbres, la nature plus de fecret9 pour vous. Vos principes s'éclaircirom l'un par l'autre ; & les connaifTances acquifes vous fer"Vlront de flambeau pour en acquérir de nouvelles. Fin du Livre Premier» $ Eii) 102 S U J E T D U SECOND LIVRE. JLèE Poète après un éloge magnî~ fique de la philofophie , à Vétude de laquelle il invite Memmius ; continue a traiter des qualités des atomes y & en particulier de leur mouvement. Les changement continuels que fhfyijfenî tous les corps, ne nous permettent pas defuppofer la matière immobile. Ainfi i°. le mouvement ejl ejfentiel aux atomes, parce qu'il n'y a pas de centre où ilspuijfent jamais s'arrêter. 2°. Ce mouvement ejl de la plus grande fi * IO 3 TJrapidité, parce qu'ayant le vuidt our théâtre, il n'efi gênépar aucun >obJlaclc. 30. ha direction en ejl de haut en Bas } &Ji nous voyons des r corps s'élever comme la flamme , \<%ejl un étatforcé, contraire à leur '^tendance naturelle. 4°. Il ne faut £ pourtant pas croire que la chute des J* atomes foit rigourcuferncnt perpefo* )\ diculairc. Parallèles entr'eux, ils jv Sauraient jamais pu s9unir en maf fe : affujettis à une direction néceJfaU re, ils n'auraientjamais pu former des anus libres. Ilfaut donc qu'ils s'écartent un peu, ( mais le moins pofjible) delà directionperpendiculaire. Tels font les mouvemens £ dont les atomes ont toujours joui <& Eiv 1* * IO 4 jouiront toujours , parce que l& quantité de mouvement ejl toujours la même dans la Nature. Voila ce que la raifon nous fait découvrir $ car les fens ne peuvent pas même apercevoir Vatome, bien loin dyen diflinguer les mouvcmens. C'efl encore la raifon qui nous éclaire fur les figures des atomes y elle nous dit que les corps dont nous fommcs environnés y ne pourraient agir fur nos fens de tant de manières dif~ férentes , fi leurs atomes n'étaient diverfement configurés. Mais elle nous apprend en méme-tems, que, quoiqu'il y ait une multitude infinie dyatomes dans chaque clajfe de figures ? le nombre de ces clajfe $ ejl !f ? porné : il ne pourrait être in fiai> Jans que Vatome fût immenje , 6' les qualités fenjibles des corps pro* grejfives à Vinfini. Ce nombre peu ùonjidérable défigures, combiné diverfement dans tous les corps, fu{fit pour établir entr'eux cette variété s que nous y remarquons. La jolidite, Vindivifibilitéy l'éternité} le mouvement & lafigurefont hs feules qualités qui conviennent•»à'- des corps /impies tels que les atomes1.: , Quant aux qualités qui ont rap* iê • port à la vue , Vouie ,. le goût & ^ Fodoraty elles ne font que le réfultat hiïune-aJfoèiàtion V en ravètir de* ^attwks ^ ckjidonnèr à la^NàtitfÇ ~ Une bafe trop fragile. Les atomes •; Ev IOG nefont donc pas non plus fenfibhs, & ce n'ejl qu'à leurfituation & à leurs mouvemens refpeclifs qu'ejl due la fenfibilité dont jouiffent certains ajfemblages. A l'aide de ce petit nombre de qualités que le Poè'te ajfignc aux atomes, ils ont, fuivant lui, produit nonfeulemtnt notre monde, mais encore une infinité d'autres. Car Une veutpas qu'on borne la puiffance de la Nature. Il prétend qu'ayant à fes ordres un nombre infini d'atomes , ce qu'elle fait ici pour nous, elle le fait pour d'autres dans d'autres régions de Vefpace y & que notrïmonde qu'un individu particulier n'ejl d'une çlaffe nombreufe3 un grand animal [fournis tàmtfUi lés autres à la naïffanec, àPaccroiJfementj au déclin, & àla mort. \ E vj TITI LUCRETII CARI D E RERV.M LIBER N A T U R A. SECUNDUS. v E , mari magna, turbantibus xquorz SU Aventis, E terra, magnum alterius fpe&are laborem : Non quia vexari quemquam eft jucunda voluptas, Sed, quibusipfe malis careas, quiacernere fuavc eft. Saave etiam belli certamina magna tueri Per campos inftruda, tua fine parte pericli. Sed nil dulcius eft, bene quam munita tenerc Edita doétrinâ fapientûm templa ferenâ : Defpicere unde queas alios, paffimque viderc Errare, atque viam patentes quaerere vit«e, Ccnaïc inzenio, contcndcre nobilirate, •4» •A- £r < - T . '-t* - » » . •-. - . «. ... A,- **••*- . i *. • 4 <^ • '. . J -• -»v l • ••'!!»!'• * » -•«» ** « , *- -S ">* • i ; k -s v • l /1 1 * « -vàESHP .<- ._'..- « •'f*>\ Jl.GrAV.tkt itiv . Horriilre jtrruir iiivnitt? J l a t r i s JMnd.SaJt imago w LUCRECE, DE LA NATURE DES CHOSES. LIVRE SECOND. T ,JL L EST força de contempler du rivage les flots foulevés par la tempête de le péril d'un malheureux qu'ils votft engloutir. Non pas qu'on prenne -plaiûr à l'infortune dîautrui ; mais parce que la vue des maux qu'on n'éprouve point eft canfolantc. JleAfdomx encore, à l'abri du péril, de promener Ces regards fur deux grandes armies rangées dans la plaine. Mais de tous les fpe<£hclcs, le plus- agréable y eft de considérer du faîre de la philofophie, âfyfe des feiences & <k la paix, les mortels épais s'égarer à la pourfuite du bonaeur, fedifputer la palme du génie ou la chimère de la naifiance , & fe foumcttiw unie &. no LUCRECE Noctes atque dies niti prenante laboFC, Ad fummas emergere opes rerumque potiri. O mi feras hominum mentes ! ô pe&ora exca! Qualibus in tenebris vita?, quantifque periclis Degitur hocxvi, quodcunque-eft:I Nonne videre Nil aliud fibi Naturam latrare, nifi ut, ciîm Corpore fejunctus dolor abfit, mente fruatur Jucundo fenfu, cura femota metuque ? Ergo corpoream ad naturam pauca videmus Eflc opus omnino, quae demant cunque doiorem, Delicias^ quoque uti multas fubfternere poflint > Gratius interdum neque Natura ipfa requirit. Si non aurea funt juvenumfimufacraper a:des Lampadas ignifcras manibus retinentia dextris, Lumina no&urnis epulis ut fuppeditentur ; Nec domus argento fulget, auroque renidet; Nec citharis reboant laqueata aurataque templa : Attamen inter fe proftrati, in gramine molli, Propter aquas rivum, fub ramis arboris altaî, Non magnis opibus, jucundè corpora curant : Praefertim cùm tempeftas arridet > & anni Tempora confpergunt yiridantesfioribusherbasj Nec calida? citius decedunt corpore febres, Textilibus fi in piduris , oftroque rubenti Jactaris, quàm fi plebeiâ in •vefte cubaadam cft. p LIVRE IL m ['jour aux plus pénibles travaux, pour s'élever à la fortune ou à la grandeur. Malheureux humains ! cœurs aveugles ! Au milieu de quelles ténèbres, & à quels périls vous expo ici ce peu d'inftans de votre vie ! Ecoutez le cri de la Nature. Qu'cxige-t-elle de vous ? Un corps exempt de douleur : une ame libre de terreurs & d'inquiétudes. Et les befoins du corps ne font-ils pas bornés ? Ne pouvez-vous pas à peu de frais le garantir de la douleur & lui procurer un grand nombre de fenfations agréables? La Nature n'en demande pas davantage. Si vos feftins noclurnes ne font point éclairés par des flambeaux que foutiennent de magnifiques ftatues ; fi l'or & l'argent ne Brillent point dans vos palais : fi le fon de fa lyre ne retentit point fous vos lambris ; vous en êtes dédommagés par la fraîcheur des gazons, lccryûal des fontaines , & l'ombrage des arbres, au pied desquels vous goûtez des plaifirs qui coûtent peu, fur-tout dans la riante faifon , quand le printems feme à pleines.mains les fleurs fur >a verdure. Lafièvrebrûlante ne quitte pas plus promptement h riche étendu fur la pourpre & la broderie , que le malheureux couché fax l'étoiie la plus commune. n% LUCRECE Quapropter,quoniamnilnoftro in corpofe gazae ProEciunt, neque nobilitas, neque gloria rcgni, Quod fupereft, animoquoque nilprodeife putandum. Si n o n , forte tuas legiones per loca campi Pervere cùm videas , belli fimulacra cientes ; Fervere cùm videas claflem , latèque vagari j His tibi tum rébus timefacbe Rellisjiones EfFugiunt animo pavidae, mortifque timorés Tum vacuum peclus linquunt cuiâqae folutum. Quod firidicula hxc3 ludibriaque efTe videmu?, Pveveràque metus hominum,, curarque fequaces, Nec metuunc fonitus armorum, nec fera tela 5 Audacte-rque inter reges, rerumque potenres Verfantur; neque fulgorem reverentur ab a u r a , ' Nec clamai veitis fplendorem purpureaï : Qaid dubitas, quinomne fit hoc rationis egelas, Omnis cùm in tenebris praefertim vira laborcr ? Nam velutipueri trépidant, atqueomniacx'cis In tenebris metuunt : fie nos in luce timemus Interdum, nihilôquaefuntmetuendamagis. quam Quas pueri in tenebris pavkant, finguntque fa:uia. Hune igitur teriorem a n i m i , tenebrafque ne :eiîe eft Non radii folis , rieque lucida tela dieî Difcuriant, fed Natur*e fpecics raiioque. w r^ N **^ L I r R S I L 113 ^ Si la fortune, la naiûance & le trône même , '»Jlc contribuent point au bonheur des corps j aflu* i [ rent-ils à l'ame un fort plus heureux ? Quand 3TOS nombreufes légions font voler leurs dr \\ peaux dans la plaine , quand la mer écume fous *.vlc poids de vos vaifTeaux j la iuperftition eft;' elle effrayée de cet appareil, & les terreurs de ?1SL mon laiflent-clks votre cœur en paix l Vaine illufîon ! le cliquetis des armes n'en impofe point aux foucis rongeurs. Ils fe préfen'• tent fièrement à la cour des rois, ils s'afleyent à leurs côtés fur le trône, fans refpect pour la i! pourpre ni pour le diadème. Ces vaines terreurs ; font donc le fruit de l'ignorance & des ténèbre* ou nous vivons plongés, î ' Les enfans s'allarment de tout pendant la nuit, jSfc nous en plein jour nous fommes le jouet de ' craintes aufli frivoles. Pour calmer ces terreuts, ;ji four diffiper ces ténèbres , il n'eft befoin , ni fc des rayons du foleil, ni de la lumière du jour, mais de l'étude réfléchie de la Nature. i JI4 LUCRE C £ Nunc âge, quo motu genitàlia materiaï Corpora res vaiias gigaant, genitafque KCOU vant, Et quâ yi facere id cogantur, qua?ve fît ollis Reddira mobiiitas magnum per inane meandi, Expediam : tu te di&is praebere mémento. Nam certè non intcr fe ftipata cohaeret Materies 5 quoniam minui rem quamque vide* mus, Et quafî longinquofluereomnia cernimus xvo f Ex oculifque vetuflatem lubducere noftris : Cùm tâmcn incolumis videatur fumma manere; Propterea quia,.] me decedunt corpora cunque , Unde abstint, minuunt : quo vénère, augminc donant: Illa fenefcere, at haec contra florefcerc cogunt ; Ncc rcmoranxur ibi : fie rerura fumma novatur Semper, & inter fe mortales mutua vivunt : Augefcunt alise genres, aliae minuuntur -, Inque brevi fpatio mutantur faecla animantum , Et, quafî curfores, vitaï lampada tradunt. Si ceffare putas rerum primordia poffe, CeiTandoque novos rerum progignere motus 5 Avius à verâ longe ratione vagaris. LIVRE II. 115 Ne TOUS laûtz point, 6 Memmius, de fuiTes traces. Apprenez par quel, mouvement les élémens de la matière forment & détruifcnt les corps ; par quelle impuMion & avec quelle «apidité ils volent (ans celle dans l'efpacc immtnfc. t'v Ne croyez pas en effet que la matière forme une malle immobile : nous voyons tous les corps diminuer, & leurs émanations continuelles les «& épuifer à la longue, jufqu*à ce que le tems les | dérobe à nos yeux. Cependant la ma (le gené5 'tfalcne fooffre point de ces perces particulières : ^ les élémens, en appauvriflant une partie, vont /f en enrichir une autre, & ne lai/Tent d'un côcé les rides de la décrépitude , que pour porter ailleurs la fraîcheur du jeune âge. Ainfi leur inconstance ne peut jamais fe fixsr : l'univers jic renouvelle tous les jours : les mortels Ce prêtent la vie pour un moment : on voit des cfpeces le multiplier, d'autres s'epuifer : un court intervalle change les générations : &, comme aux courfes des jeux facrés, nous nous pafTons de main en main le flambeau de la vie. Si vous penfez que les principes de la matière puiuent fe repofer, & par leur inaction donner lieu à de nouveaux mouvemens , vous IK? LUCRECE Nam, quoniam per inane vagantur cuncta, r?eceiTe eft Aut gravitate fuâ ferri primordia rerum , Aut idu forte alrerius : nam, cita fupernè , Obvia cùmflixêre, fît, ut diverfa repente Difiiliant : neque enim mirum, duriflrma quas Çmt3 Ponderibus folidis, neque quidquam à tergis obftet. Et quô jaftari magis omnia materiaï Corpora pervideas, reminifeere Totius imum Nil effe in fummâ 5 neque habere ubi corpora prima Confîftant 5 quoniam fpatium fine fine modoque efts Immenfumque patere in oindras undique partes, Pluribus oftendi, & certâ rationc probatum eft, Quod quoniam confiât 5 nimirum nulla quies eft Reddita corporibus primis per inanc profundum j Sed magis afîiduo, varioque exercita raotu , Partim intervallis magnis conrlicta refukant 5 Pars etiam brevibus fpatiis nexantur ab ictu. Et quaecunque, magis condenfo conciliatu, Exiguis intervallis connexa, refultant, Endopedita fuis perplexis ipfa fîgaris ; H*ec validas faxi radices, & fera ferri Corpora conftituunt, & cetera dégénère horum LIVRE II, 117 ES dans l'erreur. Les atomes mus dans le vuide |doivent obéir, foitàla direction deleurpcfan^teur, foit à l'irapulfion d'une caufe étrangère, [n fe précipitant des régions fupérieures, ils rencontrent d'-autres atomes qui les écartent de [leur route : effet très-naturel, puifqu'ils fonc jpefans, durs, folides, & que rien derrière eux ijie leur fait obftacle. ' JAah pour vous convaincre encore plus dii mouvement général des atomes j rappellez-vous qu'il n'y a point dans l'univers de lieu inférieur iOii les corps arrivés s'arrêtent $ parce que l'ef* pace eft infini, & n'a de .toute part d'autres bornes que Piramenfité. C'eft une vérité que j'ai établie fur des preuves certaines, Àinlî les atomes ne fe repofent jamais dans le vuide. En proie à un mouvement continuel par fa nature & varié par fes directions, les nns font renvoyés à une grande diftance $ les .autres s'écartçnt moins & s'unifient fous le choc* : Quand leur union eft intime, leur répulfîon peu 1 confidérable , & leur tiiïu étroitement lié , ils ferveat de bafe aux rochers folides, au fer & à un petit nombre d'autres fubftances de la même mature. Quand au contraire le choc les rejette, .iï.8 LUCRECE Paucula : Quaeporrô magnum pcr inane vaganturv Ec cita diffiliunt longé, longèque rccurfant In magnis intervallis ; haec aëra rarum SufRciunt nobis, & fplendida lumina folis, Multaque prxterea magnum per inane vagaiv» tur, Conciliis rerum quae funt rejecta, nec ufquam Confociare etiam motus pocuêre recepta : Cujus , uti memoro, rei fimulacrum & imago Ante oculos femper nobis verfatur & infiat. Contemplator enim, cùm folis lumina cunque Infertim fundunt radios per opaca domorum ; Multa minuta, modis multis, per inr.te, T Id'.bis Corpora mifceri, radiorum lumine in ipfo j Et velut aeterno certamine prœlia, pugnafquc Edere turmatim certantia ; nec dare paufam, Conciliis & difcidiis exercita crebris : Conjicere ut poflls ex hoc, primordia rerum Quale fit in magno jactari femper inani. Duntaxat rerum magnarum parva poteft res Exemplare dare & veftigia notitiaï. Hoc etiam magis haïe animum te advertere par Corpora , quae in folis radiis turbare videntur $ Quod taies turbx motus quoque materiai Significanc clandeftinos, cxcqfque fubeifc. JWvr ?^r* I i r R J! t T. n9 difperfc & les fait flotter dans l'efpace , L fiious leur devons le fluide rare de l'air & la t punucrc échttnte att folcil. { II y ea a encore un grand nombre qui nagent ^tttt hazard dans le vuide, qui ont été exclus de tout aiTçmblage , ou y ont été incorporés (ans '. pouvoir participer au mouvement général. Vous - ea avez tous les jours une image fenfîble fou* les yeux. Quand les rayons du folcil s'inunuenc .parles ouvertures d'un appartement ténébreux, fie voyez-vous pas une infinité de corpufcules l'agiter de mille manières, dans le fillon lumineux ? On dirait qu'ils Te font déclarés une guerre éternelle. Ils ne celTent de fc livrer des ^combats & des allants ; tantôt ils Ce divifent, >. tantôt ils fe rallient. Leur activité qui ne £t rallentit jamais , doit vous donner une idée du \i r mouvement àcs atomes dans le vuide. Ainfi l'effet ^ le plus commun fert fouvent de modèle & de 4 £uide dans la recherche des plus grandes vérités. Ces corpufcules mus rapidement aux rayons fhi folcil méritent d'autant plus votre attention , que leur mouvement eft la preuve d'un choc fecret & inviûblc des atomes. Ce font les atomes qui par des corps imperceptibles les écar- no LUCRECE Multa videbis enim plagis ibi percita csecis [ Commutare viam, retroque repulfa, reverti Nunc hue, nunc illuc, incundtas denique partes^ Scilicet hic à principiis eft omnibus error. Prima moventur enim per Te primordia rerum j Inde ea quse parvo funt corpora conciliatu, Et quafî proxima funt ad vires principiorum, I&ibus illorum csecis impulfa cientur 5 Ipfaque, qua3 porro paulo majora , laceffiint. Sic à principiis afeendit motus, & exit Paulatim noftros ad fenfus, ut moveantur Illaquoque, in folis quse lumine cernere quimusj N e c , quibus id faciant plagis , apparet apertè. Nunc , quse mobiiitas fit reddita materiaï Corporibus, paucis licet hinc cognofcere, Memmi, Priraum Aurora novo cùm fpargit lumine terras , Et varias volucres nemora avia pervolitantes, Aëra per tenerum liquidis loca vocibus opplent î Quàm fubito foleat fol ortus tempore tali Conveftire fuâ perfundens omnia luce, Omnibus in promptu, manifeftumque elfe videmus. At vapor i s , quem fol mittit lumenque ferenum^ Non per inane méat vacuum 5 quo tardiiis ire Cogitur, aërias quafï cùm diverberet undas : Nec fmgillatim corpufcula quseque vaporis, Sed LITRE I î. izx •fit de leur route , les repouflent en arrière , les chaHeat a droite & à gauche, dans tous les fens, dans.toutes les directions. • En effet les élémens, mus par eux-mêmes, [impriment leur mouvement aux corpufculcs donc fia malle eft la plus déliée & la plus analogue à leurs faibles efforts. Ceux-ci yont attaquer des corps un peu plus -groffiers. Ainû* le mouvement né des atomes £e communique de proche en proche jufqu'à ce qu'il devienne fenfible dans les corpufculcs mus au folcil, quoique la caufe de leur agitation fe dérobe à nos yeux. Apprenez maintenant en peu de mots jufqu'à 'guel point les élémens de la matière font mobiles. Quand L'Aurore verfe Tes premiers feux fur } la terre : quand les oifeaux dans les forêts, volxigeans de branche en branche, remplirent l'air «le leur douce harmonie» vous voyez avec quelle promptitude le Dieu du jour répand les flots de 4a lumière , & couvre la nature d'un voile éclatant. Cependant ces briUans corpafcules émanés du foleil n'ont point un efpace vuide à trayjçr.Ter-,leur inarche fe rallentit fans çeûe ep4iv|faut le fluide de l'air. D'ailleurs n'étant point {impies ni ifolés, mais des faifeeaux & des oufTome I. F «i LUCRECE Scd complcxa mcant inrer fe, conque glcbara» Ç Quapropter fîmul inier fe retraliuntur ; & extra Officiuntur, uti cogantur tardiùs ire. At, quae funt folidâ primordia fîmplicitate, Cùm per inane meant vacuum, nec res remoratut Uila foris , atque ipfa fuis è partibus unum, Unum in quem cœpêre locum connixa feruntur : Debent nimirum praecellere mobilitate, £t multô citiiis ferri, quàm lumina lolis *, Multiplicifque loci fpatium tranfcurrere eodcra Tempore, quo folis pervolgant fulgura cœftim : Nam neque confilio debent tardata morari, Nec perfcrutari primordia fingula quasque , Ut videant, quâ quidque geratur cum ratione. At quidam contra hxc, ignari, materiaï Naturam non polTe, Deûm fine numine, rentar Tantopere humanis rationibus, ac moderatis, Tcmpora mutare annorum, frugefque create ; Nec jam cxtera, mortales quàe fuadet adiré, _ Ipfaque deducit du-x vitae dia Voluptas, - XJt res per Vencris blanditim fxcla. propagent, Ne genus occidatbumanum 5 quorum omnia causa. ConftituifTe Deos fîngunt : fed in omnibu' rébus Magnopeie à verâ lapfi ratione videntur. Kam, quamvis rerum ignorem primordia qup? fint, Hoc tamen ex ipfis cceli rationibus auHaù W '' ' 1 I V R E I I. IIJ fes ; ils trouvent en eux-mêmes & hors d'eux des caufes de retardement. Au lieu que les jélémcns de la matière lolides Se (impies* mus dans le vuide, à l'abri des obftaclcs extérieurs, formans «n feui 8c même tout, & réuni/Tans les efforts de toutes leurs parties vers l'unique bue de leur première impulfion, doivent fans doute être plus a&ifs, 8c parcourir un efpace infiniment plus confîdérable, dans le même tems où les feux du ciel s'élancent du foleil à nos yeux. Car vous ne direz furement pas que les'atomes s'arrêtent par réflexion, ni qu'ils aient concerté entr'eux un plan régulier de mouvement. Il y a pourtant des Philofophes qui croient que la matière ne peut, Tans le Recours des Dieux produire tant d'effets réglés 6c analogues à nos befoins, varier la icene des faifons, couvrir la terre de végétaux 8c reproduire les efpeces. Infenfés ! ils ne voient pas que la Volupté , fille du ciel 8c mère de tout ce qui refpire, invite les animaux à engendrer leurs femblablés, & que les carefTes de Venus font les divinités bienfaifantes qui perpétuent les êtres. Voilà pourtant les raifons qui leur ont fait imaginer des Dieux créateurs , fyitéme étroit démenti par tous lss détails de l'univers. Oui. Quand même je ne connaîtrais pas la nature des élémens, le fpec- t*4 l UÇ R E Ç E -Confirmare, aliifque ex rébus redderc multis, Nequaquam nobis divinitùs eiTe creatam ,Naturam mundi, quae tantâ eft prasdita culpâ;:. jQux tibi pofterhîs, Memmi, faciemus aperta.. JJunc id, quod fupereft de motibus, expediemuç, Nunc locus eft,utopinor,in his îllud quoque rébus lEonfîrmare tibi, nullam lem porTe fuâ vi .Corpoream furs.iim ferri, fursdmque meare. hiz :ibi dent in coflammarumcorpora fraudem: Sursusenimvorsùsgignuntur,&augminafumunt$ jE: fursùm niridac frugcs, arbuftaque crefcunt, fondera, quantum infe eft, çùm^eprfum cundlg ferantur. Nec cùm fubiîliunt ignés ad te&a domorum,, •Et céleriflammâdeguftant tigna, trabefque , Sponte fuâ facereid, fine_vi_fubigente, f>utaadum eft : Quod genus, è noftrocùm miflus corpore fanguis Smicat exfultans altè, fpargitque cruorem. Nonne vides etiam, quanta vi tigna trabefque Refpuat humor aquas ? Nam quam magi' merfijnus altum Eire&a, & magnâ vi muiti prefllrnus aegrè , Tarn cupide fursdm revomic magis,atque remktit, plus ut parte foras emergant, exfîliantque. Nec tamen h$c, quantum eft in fe, dubitamuç ^ ppinor 9 Quin Yâcuum per inane deorsum cun&a ferantur. w*; * tacle du ciel & les phénomènes du monde me ;* prouveraient afTcz'qu'un tout auffi défectueux ne ,7 peut être fouvrage de la divinité. Mais referions ces vérités pour la fuite de ce Poème, & continuons à traiter du mouvement des atomes. Ceft ici, je crois, le lieu dé vous prouve* qu'il n'y a point de corps qui par fa propre force' tende en haut. Ne vous laiflez point abufer par' la flamme qui naît & s'augmente toujours e i s'élevant. Les arbre* & les moiffons ne croiflene non plus qu'en s'éloignant de la terre , quoique la nature des corps graves les en rapproche autant qu'il cft poûible. Ceft donc par une impu!-^ Con étrangère & non par fa propre tendance que la"flammeélevée au faîte des maifons dévore les poutres de nos toits -, comme le fan g en s'échappant de la veine lance en l'air un jet' de pourpre. Ne voyez-vous pas encore avec quelle force l'eau repoufle les plus énormes pilotis » En vain mille bras nerveux s'efforcent de les enfoncer. L'onde fe hâte de rejetter ces mafTcs étrangères dont la plus longue moitié flotte à fec au-défais du niveau. Cependant vous ne doutez pas que tous ces corps ne defeendent dans le vuide autant qu'il eft en eux. Laflammene s'élève noa plus que par l'impumon d'une force Eiij •«ï 116 LUCRECE Sic igitur debentflammaequoque pofTe per auras Aê'ris expreife fursilm fuccedere 5 quanquam Pondéra, qiantùm in fe eft , deorsiim deducerè pugnent. Noclurnafyue face:; cœli fublime volantes, Nonne vides longos fîammarum ducere tra&us , In quafcunque de.dit partes Natura meatum ? Non cadere in terram ftcllas, & fidera cernis * Sol etiam fummo de vertice diflfupat omnes Ardorem in partes, & himine conferit arva.: In terras igitur quoque folis vergitur ardor. Tranfverfofque volare per imbres fulmina cernis : Nunc hinc , nunc illinc abrupti nubibus ignés Concurfant 5 cadit in terras visflammeavclgo* Illud in his quoque te rébus cognofeere avemus : Corpora cùm deorsiim redtdm per inane feruntur, Pondcribus propriis, incerto tempore ferme,. Incertifque locis, fpatio decedere pauhim, Tautum quod nomen mutatum dicere poffis. Qu6d nifi declinare folerent, omnia deorsùm, Imbris uti gutta;, caderent per inane profundum : Nec foret offenfas natus, nec plaga creata Principes ; ita nil unquam Natura creâffet. 1't « «f t i r RE IL 117 étrangère, tandis que fa pefanteur la fait descendre autant qu'il dépend d'elle. Ne voyez-vous pas • les météores nocturnes tracer de longs filions \ de feu par-tout où la Nature leur ouvre un paf! !?_ fàge ? Ne voyez-vous pas les étoiles & les aftres tomber fur la terre ? Le foleil lui-même du Commet des cieux répand par-tout fa chaleur , & feme les champs d'une lumière brillante : fes feux tendent donc aufli en bas. Ne voyez-vous pas enfin la foudre s'ouvrir une route à travers les nuages , s'élancer avec impétuofité do toute part, & trop fouvent éclater fur notre, globe î Malgré cette tendance perpendiculaire des éléjnens vers les régions inférieures, fçachez néanmoins , ô Memmius, qu'ils s'écartent tous de la ligne droite dans des tems & des efpaces indéterminés. Mais ces déclinaifons font fi peu de chofe, qu'à peine elles en méritent le nom. Les atomes , fans ces écarts, feraient tombés parallèlement dans le vuide, comme les gouttes de la pluie : jamais ils ne fe feraient, ni rencontrés , ni heurtés , & jamais la Nature n'eue rien produit, î iV xi* 1 U CR E C E Quôd Ci forte aliquis crédit graviora pote/ïc* Corpora, quo citiiis rectum per inane ferunturv Incidere è fupcro Ievioribus, atque ita pJagas Gignere, quas po-ffint génitales reddere motus : Avius à vcrâ longe ratione recedit. Nam per aquas quaecunquc cadunt, atque aéra: deorsiim , Ha?c, pro ponderibus, caius celerare necefTc eft^ Proprerea, quia corpus aquac, naturaque tenuis Acris haud pofliint a»quc rem quamque morari : Sed citiiis cedunt gravioribus ezfuperata. Àt contra nulli de nullâ parte ; neque ullo Tempore inane poteft vacuum fubfiftere reî, Quin, fua quod natura petit, concedere pergati Omnia quapropter debent per inane quietum jEquè ponderibus non aquis concita ferri* Haud igitur poterunt ievioribus incidere unqiram Ex fupero graviora ; neque ictus gignere per Ce, Qui varient motus, per quos Natura genat res. Quare etiam atque etiam paulum clinare nece/Te eft Corpora, nec plus quàm minimilm , ne fingere motus Obliquos videamur, & id res vera réfuter. Namque hoc in promptu, mamfe/himque efTe v:» demus ^ Pondéra, quantum in fee/t, non po/Te obliqua nieajç * TJ^1 t i r RE 11. iz? Sî Ton fuppofe que les corps ks plus graves mis plus ytre dans feux ligne droite, tombent fur les plus légers, & enfantent 'par leur choc des mouvement créateurs, on s'écarte des principes de Ta raifon. Il cft vrai que dans l'eau ou dans l'air, les corps accélèrent leur chute à proportion de leur pefaateur, parce que les ondes & te ttaide léger de l'air n'oppofenr pas à tous la même réûftance, mais cèdent plus aifément aux plus graves. Il n'en cft pas de même da vuide. Il ne réfîfte jamais aux corps : il leur ouvre .également* à tous,, un paffage. Ainfi les atomes malgré l'inégalité de leurs m a (Tes doivent fe mbuvoir avec une égale vfcefle dans le vuidc théâtre oiûf de leur activité. Les corps les plus graves ne peuvent donc tomber fur les plus légers, ni les heurter, ni en changeant l.-urs directions , faciliter à la Nature la formation de» étres^ & le répète donc. TI cft néceftaire qae fei atomes s'écartent de la ligne droite : mais n'oubliez pas que cet écart doit être le moindre poCfible**& ne m'aceufez point d'rntroduire dans la nature des mouvemens obliques que réprouve la "faite philbiophie» Il eft évident fins doute , le Tx-il fenl nous en inftruft, que tes corps graves dans leur chute ne fui vent pas une direction i5o LUCRECE Ex fupero cùm précipitant; quod cernercpoiîîs. Sed nihil omninô redtâ regione viaï Dcclinare, quis eft, qui poffit cernere, fefe ? Denique fi feinpcr motus conne&itur omnis , Et vetere exoritur femper novus ordine certo 5 Nec dcclinando faciunt primordia motûs Principium quoddam, quod fati fœdera rumpat, Ex infinito ne caufam caufa fequatur : Libéra per terras unde ha?c animantibus extat, Unde eft hase, inquain , fatis avolfa voluntas , Per quam progredimur, quô ducit quemque voJuptas ? Declinamus item motus, nec tempore certo, Nec regione loci certâ, fed ubi ipfa tulit mens. Kam dubio procul, his rébus fua cuique voluntas Pxincipium dat 5 & hinc motus per membra rigantur. Nonne vides etiam , patefactis tempore puncto Carceribus, non pofTe tamenprorumpere cquorum Vimcupidamtam defabito, quàm mensavetipfa? Omnis enim totum per corpus mareriaï Copia conquiri débet, concita per artus Omues, ut ftudium mentis connexa fequatur ; Ut videas initum motûs à corde creari, Ex animique voluntate id procedere primtim ; Inde dari porjo per totum corpus & artus. wr 1 I V R EU. f I$I oblique : mai» qu'ils ne s'écartent point du tout de la ligne perpendiculaire , quel organe aflez iur ofera le décider ? Enfin fi tous les mouveraens font enchaînés dans la nature j fi un ordre nécefiaire les fait naître les uns des autres ; fi la déclinaifon des élémens ne produit une nouvelle combinaifon qui rompe la chaîne de la fatalité & trouble la fucceffion éternelle des eau Tes motrices , d'où vient cette liberté dont joui lient tous les animaux , ces déterminations indépendantes du deftin, ce pouvoir d'aller ou nous appelle le plaifir ? Car nos mouvemens ne font affectés, ni à des tems, ni à des lieux déterminés : c'eft la volonté qui en eft le principe, & la fourec d'où ils fe répandent dans tout le corps. Ne remarquez-vous pas, au moment où s'ouvre la barrière, les courtiers frémifians de ne pouvoir s'élancer aflez-tôt au gré de leur bouillante ardeur ? Il faut que toutes les molécules éparfes dans les membres fe foient rafTcmblées & mifes en jeu pour obéir aux déterminations de lame. Ce qui vous fait voir que le -principe dn> mouvement eft dans le cœuc, qu'ii par*, de la volonté, & de-là fe communique à tout le corps. ïvj ip LUCRECE Necfimile eft, utcum impulfi procedimusi&ui Viribus alterius magnis, magnoque coactu : Nam turn matcriam totius corporis omnem Perfpicuum eft 3 nobis invitis, ire rapique, Donicum eam refrjenavit per membra voluntas. Jamne vides igitur, quanquam vis extera multoiPellit, & invitos cogit procedere faepe , Prxcipitefque rapit , tamen efTe in pe&ore noftny Quiddam, quod contià pugnare, obftareque pof~ fit: Cujus ad arbitrium quoque copia flaateriaï Cogitur intcrdum £e<5ti per membra, per artus, Et proje&a refœnatur, retroquc refîdit î Quare in feminibus quoquc idem fateare nece (Te eft, Efle aiiam praeter plagas, & pondéra , caufanv Motibus , undè ha:c eft nobis innata poteftas :. De nihilo quontam fieri nil poffe videmus. Pondus enim prohiber ne plagis omniafiant9.. Externâ quafi vi 5 fed ne mens ipfa neceflunj îtiteftihum habeat cun&is in rébus agendis Et dévida quafi cogatur ferre 3 patique : là facit exiguum CLIN AMEN principiorum^ Kec regione loci ceitâ, nec tempore certo. Nec ftipata magis fuit urtquan» matériau L t r R E II. r?? H n'en eft pas de même quand une force écran* gère nous poaûe & nous fubjugue. Il eft évident qu'alors la maffe de nos corps eft emportée malgré: nous , jufqutà ce que la volonté ait fçu réprimer ces. mouvemens étrangers» Vous voyez donc que malgré les caufes extérieures qui agi£ fènt fouvent fur l'homme & le meuvent malgré lui, il y a au fond de fon cœur une puiflancer qui combat ces irnpreiTîons involontaires & qui fçait à fon gré, ou détourner le cours de la matière , ou mettre un frein à fes tranfports, oir |a faite retourner fur fes pas. Cette vérité vous force de reconnaître dam? les principes de- la matière, une affection différente: de ta pefanteur & dû choc, de7laquelle naifle la liberté, fans quoi vous admettez un effet: fans caufe. Par la pefanteur vous empêchez à ta vérité que tous les mouvemens ne (oient l'effet* du choc & d'une force étrangère ; mais- fi famé n'eft pas déterminée dans toutes Ces actions par •une néceflité intérieure, & fi elle n'eft pas une. fubftance purement paflive, c'eft l'effet d'une légère DéCLINAISON des atomes dans des tems Se des efpaces iadéterminéV Sgachez. encore que la fomme des élémcns n a y 134 LUCRECE Copia, nec porro majoribus intervallis. Nam neque adaugefcit quidquam, ncque dépérit indè. Quapropter, quo nunc in motu principiorum Corpora funt, in eodem antea&â aetate fuêre, Et pofthac femper finaili ratione ferentur : Et quae confuêrunt g i g n i , gignentur eâdem Conditioner & erunt, & crefcent, inque valebunt, Quantum cuique datum eft per fcedera Naturaï. Nec rerum fummam commutare ulla poteft vis. Nam neque quo poflit genus ullum materiaï EfFugerc ex O m n i , quidquam eft 5 neque rurfus in Omne Unde coorta queat nova vis irrumpere, & omncnj Naturam rerum mutare, & vertere motus, Illud in his rébus non eft mirabile : quare T Omnia cum rerum primordiafint in motu, Summa tamen fummâ videatur ftare quiète, Praeterquam fi quid preprio dat corpore motus, Omnis enim longé noftris ab fenfîbus infrà Primorum natura jacet : quapropter, ubi iiia Cernere jam nequeas, motus quoque fùrpere debent : Praefertim cùm, quse poffimus cernere, cèlent Sjepe tamen motus , fpatio didu&a locorum. Nam faepe in colli tondentes pabula Ixta ï,anigcrae reptant pccudes, quo quamque vocantes : LIVRE II. i35 Jamais été plus denfe ni plus rare qu'aujourd'hui, v parce que leur nombre ne peut augmenter ni . diminuer. Ainfi le mouvement dont ils font doués '] aujourd'hui eft le même qu'ils ont eu dans les ' fiecles précédens, & qu'ils conferveront à jamais. Les corps qui ont coutume d'être produits le feront encore fuivant la même loi. Il reparaîtront fur la feene des êtres 5 ils croîtront $ ils. acquerront les qualités propres à leur nature. Ne craignez pas qu'aucune force vienne à bout de changer ce grand tout. Il n'y a pas d'endroits par où des élémens fugitifs puiflent s!échapper ' de la malTe, ni par où des atomes étrangers , '- par une incurfion fubite , puiflent troubler l'ordre de la nature & en détourner les mouvemens. r1 _ ;' "j ,-:' i: y - Vous ne devez pas erre furpris que, malgré ce mouvement continuel des atomes, l'univers paraiHe immobile , à l'exception des corps qui ont lin mouvement propre. En effet les élémens de la matière échappent à nos organes : & fi leur ma/Te eft infenfible, leur mouvement ne doit-il pas l'être à plus forte raifon, puifque la diftance nous dérobe le mouvement des corps même les plus fenfibles ? fouvent les brebis en paifiant les verds gazons (e traînent fur le dos des coîlinés où les appelle une herbe fraîche & brillante des perles de la rofée , tandis que les tendres i, r}6 LUCRECE Invitant nerba* gemmantes rore recetiti : Et (adati agni ludunt, biandèque" coiiifcant $ Omnia qtiac nobis longé confufa videntur, Et veluti in viridi candor confiftere colli. Praîterea magnas legiones ai m loca curfu Gamporuni comptent , belH fimulacra cien* tes : Et circumvolitant équités , medtoique repente Trarmttunt valido <juatientes impete campos j ïulgur ibi ad cœlum fe tollir, totaque circùnv jCre renidefeit tellus, fubterqae virûm vi Excitur pedibus fonitus, ckmoreque montes I&i rejetant voces ad fidera mundi ; Et tamen eft quidam locus altis montibus ;. unde Starc videcur, & in campis confiftere fulgur, Nunc , âge, jam dèinceps cim&amm exordiâ rerum, Qualia fint, & quàra iongè diftantia formis, Bercipe , miïltigenis quam fiic variata figuris y Non quôdmiilca, parûm finit h tînt prasdita formât Sedquia noa volgo paria om.iibus omnia conftanti >ïec rairam : nani càm fit eorum copia tanta , Ut neqie finis, uddocui, neqje fummi fit ullâl Deb;nt nimirum non omnibus omnia prorfura Eire^axifilo, fimilique. affecta figura* 1TWP' T.IFRË II ii7 peaux rafTafiés d'un lait purs'égayent à côté de leurs mères, & exercent leurs jeunes fronts à des lutte» innocentes. Ce- tableau mobile vu. de loin Ce confond7 pourtant & ne faifle diftîngot£ à l'œil que la verdure contraftée par la blancheur des troupeaux. Voyes une armée nombreuse couvrir la plaine & fui vrc à' grands pas V fes drapeaux nottans , la cavalerie tantôt vol-» *< tiger autour des légions, tantôt franchir en un f moment des espaces immenfes. L'acier renvoyé : Jfes éclairs au ciel, les campagnes font coloréesr par le reflet de l'airain, la terre retentit foui les' c pas des foldats, & les monts veifîns repouffent : leurs cris guerriers jusqu'aux voûtes du monde > •'• cependant du fommet d'une montagne cette •1 multitude parait immobile, & fon éclat femblc. j£ appartenir à là terre; , Pàûons maintenant aux autres qualités de? T; atomes, à la différence de leurs formes, à la va\ riété de leursfigures: non qu'il y en art un grand p.nombre doués de formes difTemblables ; maisparce que les êtres qu'ils çompofent ne font jamais parfaitcmenrfcmblabks. Et vous n'en ferez pas étonné fi vous vous rappeliez que le «ombre des atomes cft illimité, comme je fai prouvé : vous fentirez qu'ils ne peuvent avoir exa&emera ks mêmes formes ni être terminés rigoureufe.ment par les mêmes contours.. , v\ 138 LUCRECE Prasterea gcnus humanum, mutaeque natantcs Squammigfmm pccudes, & keta arbufta, fera> que, Et varia: volucres, latantia quar loca aquarum Concélébrant circum ripas, fontefque , lacu£que. Et quas pervolgant nemora avia pervolitantes : Horum unum quodvis generatim fumere perge : Invenies tamen inter le diftare figuris. Nec ratione aliâ proies cognofcere matrem , Nec mater poflfet prolem : quod poffe videmus * Nec mimis atque homines inter fe nota cluere* Nam faepe ante Deûm vitulus delubra décor* Thuricxemas propter madtatus concidit aras,. Sanguinis exfpirans calidum de pedrore flumen : Aï mater virides falcus orbata peragrans, Linquit humi pedibus veftigia prefTa bifulcis y Omnia convifens oculîs loca, fi qaeat ufquam Confpicere amirlum fœtum 5 completque querelis Frondiferum nemtfs adfïftens , & crebra revint Ad ftabulum, defîderio perfixa juvenci. Nec teneroe faiices , atque herbaî rore vigentes , Pluminaque ulla queunt, fummis labentia ripis, Oble&are animum, fubitamque avertere curam ; Nec vitulorum aliae fpecies per pabula Leta Derivare queunt alio, curâque levare : LITRE IL i}? J-' Confidércz l'cipece humaine, les muets haf bitans de l'onde, les reptiles armés d'écaillés , les rians arbriflèaux, les monftrcs fauvages, les v oifeaux de toute elpece , tant ceux qui Te plaifent au bord des eaux, des fleuves, des fontat\ nés», & des lacs, que ceux qui volent dans les f bois folitaires j comparez les individus de cha; que eipece, vous y trouverez des différences : f fans ces nuances variées , comment les mères ,}' & les enfans pourraient-ils le reconnaître ? CeZ. pendant l'inflinct ne les trompe jamais $ & les 3 hommes ne £ê diftinguem pas plus fùrcment. t .£. Quand la bâche facrée a fait tomber aux pieds *{ de l'autel un jeune taureau baigné dans fen fang, ùL mère ( qui a déjà ceiTé de l'être ) parcourt à -grands pas les forêts. & empreint furie fable la trace profonde de fes pieds. Ses regards inquiets demandent à tous les lieux voifîns le tendre nourri flon qu'elle a perdu. Souvent elle s'arrête dans l'obfcurité des bois qu'elle fait retentir de fes plaintes. Souvent elle retourne à l'établc, elle y { refte immobile, occupée de fa perte. Les tendres faules, les herbes rajeunies par la rofée , les bords rians des larges fleuves, n'ont plus de charmes pour la détourner de fa douleur. Les £-jeunes troupeaux qu'elle voit bondir fur le gazon ne peuvent faire illufion à fa tendrefle. Ce n'eft Hà t U C RE C £ Vfque adeo quiddam proprium , notumquc &-• quirit. Praéterea teneri tremuKs ciim Vocibus hxdi Cornigeras nôrunt matres, agnique petulci Balantum pecudesj: ita, quod Natura repofcit l Àd fua quifque ferè decurrunt ubera lactis. Poftremo quodvis frumentum, non tarrien omnc,' Quoaque fuo in gfcnere inter fe lîmile effc videbis, Quin intercurrat quacdàm diftantia formi?: Concharumque genus parili râtione videmus Pingere telluris gremium, quà mollibus undis Lictoris incurvi bibulam pavit sequor arcnam. Quare etiam atque etiam limili rationc neceflç eft, Nacurâquoniam confiant, neqne fada manu funr Uàiius ad certain formam primordia rerum\ Diiïlrnili inter fe quaedam volitare ngurâ. Perfacile eft jam animi ratione exfolvere nobis *Quare fulmineus muko peneualior ignis, Qviam nofter rluat è taedis terreftribus ortus. Dicere emm poflîs cœlettem- fulmmis ignem Subr^em magis è parvis conftare figuris : Atque ideo tranlîré foramina-, quae ncquit ignis' Noder hic è lignis ortus , tacdâque creatus. * Pœierea lamen per cornu tranfît 5 at imbec i i r n s IL 141 pas là l'enfant qu'elle cherche. Ses yeux & Ton .cœur fcavent trop Sien le diftinguer. Les agneaux bondiffans, les chevreaux dont la voix eft encore ? 'tremblante, fcavent auili reconnaître leurs mcrcs, < & guidés par ja Nature , ils courent aux mammelies qui doivent allaiter leur enfance. ChoimTez un épi dans la plaine , malgré la Tcflemblance des grains, vous y. remarquerez des nuances différentes : elles font encore plus ieniîbles dans les coquillages qui colorent le feia de la terre , aux endroits on le fable s'eft abreuvé des flots de l'Océan. Pourquoi les éléjnens ne .différeraient-ils pas comme les corpsJ Ils font l'ouvrage de la Nature : & puifque l'art 41c les a pas fondus dans un moule commun, ils doivent nager dans le vuide fous des formes diverfes. Par ce principe vous expliquerez pourquoi le feu du tonnerre eft plus pénétrant que la flamme des matières terreftres : vous direz que les feux <!bi ciel, forcés d'élémens plus fubtils, s'inilnuent dans des pores où ne peut pénétrer notre gamme grofficrç; Ppurquoi Uk Çorn^ permet-elle le partage à la i4i LUCRECE Refpuitur : quare ? nifi luminîs îlla minora Corpora finit, quàm de quibus eft liquor almus aquarum. Et quamvis fubito per colum vina videmus Perfluere : at contra tardum cun&atur olivum , Aut quia nimirum majoribus eft elementis, Àut magis hamatis inter fe , perque plicaris. Atque ide6 fit uti non tam dedu&a repente Inter fe poflïnt primordia fingula quasque, Singula per cujufque foramina permanare. Hue accedit, uti mellis la&ifque liquores Jucundo fenfu linguas tractentur in ore > At contra tetra abfinthi natura, ferique Centauri, fœdo pertorquent ora fapore : Ut facile agnofeas è lxvibus, atque rotundis Elfe ea, quae fenfus jucundè tangere poffunt. At contra quas amara, atque afpera cunque videntur, Hxc magis hamatis inter fe nexa tencri j Proptereaque folere vias refeindere noftris Senfibus, introituque fuo perrumpere corpus.' Omnia poftremo bona fenfibus, & mala ta&u, j DifTimili inter fe pugnant perfecla figura : „ Ne tu forte putes ferrae ftridentis acerbum Horrorem conftare elernentis lxvibus «que X I V R E I I. i4î 'lumière, tandis qu'elle le refufe à l'eau ? Sinon parce que la lumière eft compofée d'atomes plus ^déliés que les gouttes de la pluie. Le vin s'échappe en un moment' du filtre ; h, îhuile au contraire n'en fort que goûte à goutte. Pourquoi ? parce que la liqueur parefleufe de l'olivier formée de principes plus denfes , plus liés, & plus entrelaflés, ne fe divife pas aflez vite , & ne fe répand que lentement dans les jK>res du filtre Si TOUS confidérez d'un autre côté que le lait Je le mielflattentdélicieufement le palais, undis qu'il eft bleuté par l'abunthe amere & la fauvage centaurée , vous reconnaîtrez que les faveurs agréables réfultent d'atomes lifles & iphériques , que famertume & 1 apreté naiftent au contraire * de l'auemblage de principes recourbés, qui fortement unis, ne peuvent pénétrer au (îege du fen;tinjent, qu'en brifant lesfibresde nos organes; En un mot le plaifir &1a douleur qu'excitent en nous les corps dépendent de la configuration de leurs principes : fi vous n'aimez mieux croire que l'aigre fixement de la feie foit produit par 144 > LUCRE C Es Ac Mufea mêle, per chordas organici quas Mpbilibus digicis expergefacta figurant. "Neu fimili penetrare pures prirnordia forma In naresliominum, c-dmtetra cadavera torrent,. Et cdm fcena croco Cilici perfufa recens eft > Araque Panchaeos exhalât propter odores. Neve bonos rerum fimili conftare colores 5emine conftituas , oculos qui pafcerc pofTunt-; JEt qui compungunt aciers, lacrymareque coguntj Aut fœdâ fpecie tetri , turpefque videntur. Omnis enim, fenfus quas mule et caufa juvatque , Haud fine principiali aliquo la»vore creata eft : At contra, quaecunque molefta, atque afpera confiât y Non aliquo fine materias fqualore repet ta eft. Sunt etiam, quse jam nec hevia jure putantur îfTe, neque omnino flexis mucronibus unca : Sed magis angululis pauium proftantibus, & quge Titillare magis fenfus, quàm hedere pofTunt, Faecula jam quo de génère eft-, Inulaeque fapores. Denique jam calldbs ignés, gelidamque pruinam , Diffiraili dentata modo eompungere fenfus Corporis, indicio nobis eft taftus uterque. Tactils , . L I V RE I I. 14$ \jjfcs é lé mens auflS polis que les accords rouchans îdcla lyre fous les doigts agiles d'un HarmoiiiLc. Vous ne donnerez pas non plus la même forme «ux atomes fétides d'un cadavre brûlé , & à ceux qu'exhalent les temples des Dieux, ou nos théâtres embaumés des parfums de Cilicie. Vous ne donnerez pas les mêmes principes aux couleurs bienfaifantes dont l'œil aime à fe repaître & à celles qui bleflent l'organe , lui arrachent des larmes & le forcent de fe détourner avec horreur. Je le répète donc, les corps amis de nos organes (ont formés d'atomes polis & (phérîques, & les compofés malfaifans d'élémens plus rodes Se moins parfaits. Il y a encore des atomes qui ne font, ni absolument liflcs, ni entièrement recourbés , s mais hérilTés de pointes taillantes qui chatouilt; lent l'organe plutôt qu'ik ne le déchirent. Tels \- font la Fécule & l'Aulnéc. Enfin que les flammes ardentes & les glaces de rfryver piquent nos organes avec des aiguillons d'une ftrucrure différente , c'eft une vérité dont le tact nous force de convenir 5 le tact,. 6 Tome I, G 0,6 LUCRECE Ta&us enim , tactus , proh Divûm numina fancta , Corporis eft fenfus, vel cùm res extera CcCç Jnfïnuat , vcl ci}m laedit, qua? in corpore nata eft. Aut ,'uvat egrediens génitales per Veneris res : Àut ex oifenfu cum turbant corpore in ipTo Semina, confunduntque inter fe concita fenfum : U t , fi forte mana quamvis jam corporis ipfe Tute tibi partem ferias, a?què experiare. .jQuipropter longé formas diftare necelTe eft .Principes, varios quae pofftnt edere fenfus, Denique, quas nobis durata ac fpifTa videntur, Hase magis hzmatis inter fefe e(Te necefTe eft, •Et quafî ramofis altp compacta teneri. In quo jam génère in primis adamantina faxa Prima acie confiant, i&us contemnere fueta , Et validi filices, ac duri robora ferri ; braque, qua? çlauftris reftanria voeiferantur. Illa autem debent ex laevibus atque rotundis JLfTe magis, fluido qnaecorpore liquida confiant: Nzc retinentur enim inter fe glomeramina qua> que; JLt procurfus item in prodiye volubilis extat. « Otmnia poftremo quae punc'to tempqre cernis . Lï Fit Ë IL 147 Dieux , ceica» du corps entier, qui Te mam~ fefte, foit quand un objet étranger pénètre la machine, foit quand une cauie intérieure en dérange l'organtfation , ou quand la mère des amours en exprime fes germes créateurs, oa locfqu'enlîn le choc en troublant l'harmonie des principes y porte la douleur avec la confufîon. Vous en ferez f expérience à chaque inftant, en frappant de la main quelque partie de votre corps. On n'explique donc les différentes imprefiions des objets que par les différentes figures de leurs élémens. r • - * Les corps durs & compactes doivent avoir des atomes plus recourbés , plus intimement unis 8c entrelaûes comme des rameaux. Tels font entr'autres corps de ce genre, le diamant qui réûftc aux plus terribles coups, les durs cailloux, le fer inflexible ic l'airain-qui gémit aux gonds de .nos portes. Mais tous les liquides fermés d'un corps fluide, ne peuvent être compofés que de parties liftes ,, & fphériques.' Des globules de cette nature ne t pouvant fe lier enfemWe, roulent plus aifément I fur un plan incliné. Les fluides que nous voyons fe difïîper en un * Gij Ï48 LUCRECE DifFugere, ut fumum, nebulas flammafque neccfà eft, Si minus omnia funt c lasvibus atque rotundis , Ac non efle tamen perplexis indupedita, Pungere uti poflint corpus, penetrareque Taxa. Nec tamen haerere inter fe, quod quifque videmus Sentfous efTc datum : facile ut cognofeere pouls Non è perplexis, fed acutis effe démentis. Sed quod amara vides eadera , qua? fiuvida confiant, Sudor uti maris eft,minimè id mirabile habendum. Nam quodfluvidumeft, è larvibus atque rotundis Eft : at laevibus, atque rotundis mifta doloris Corpora j nec tamen haec retineri hamata neceffum eft y ScilicetelTe globofa,tamencum fqualida confient, Provolvi fimul ut poflint, & laedere fenfus. Et quo mifta putes magis afpera lâsvibus effe Principiis , unde eft Neptuni corpus acerbum : Eft ratio fecernundi, feorfumque videndi. Humor dulcit, ubi per terras crebriàs idem Pefcolatur, ut in foveam fluat, ac manfuefcat. Linquit enim fupcrà tetri primordia viii Afpera , quo magis in terris hxrefcere pofïunt. > LIVRE IL 149 moment comme là fumée , les nuages & la flamme , ne (ont pas formés d'atomes entièrement ,polis & globuleux puifqu ils déchirent nos orga* BCS : mais comme en méme-tems ils pénètrent les rochers, leurs élémens ne doivent pas être recourbés & enibarraflés. Vous leur donnerez donc une figure moyenne, & vous les armerez de pointes plutôt que de crochets. Ne foyez point furpris de rencontrer des corpt à la fois amers &fluides, tels que les eaux de l'Océan. Comme fluides ils réfuitent d'atomes polis & fphériques, auxquels, comme piquans» font mêlés des élémens propres à exciter la doiw leur : mais il ne faut pas qu'ils foient liés par' des crochets. Il fuffit qu'ils foient en même-tems fphériques & raboteux pour pouvoir à la fois £c soûler dans leur lit & bleflcr nos organes. t v •h ' * Voulez-vous une preuve convaincante de ce mélange d'élémens polis & anguleux qui donne st l'Océan fon amertume ? il Vous eft poffible d'en examiner les partiesféparées.L'eau de la mer dcvient douce en fefiltrantdans le fein de ta terre , pour fe rendre à de nouveaux réfervoirs, parce que fes principes amers moins polis & plus rabo-» ceux fe font arrêtés & dépofés dans les canaux par ou l'onde a coulé. Ciij IJO LUCRECE Quod quôniam docui, pergamconne&ere rem, quse Ex hoc apta fidem ducir 5 primordia rerum Finira variarefigurarurnratione. Quod fi non ita fit, rurfum jam femina quasdan* Elfe infinito debebunt corporis aucfcu. Namquc in eâdem unâ cujufcujus brevitate Corporis inrer fe mukdm variare figuras Non pofïunt. Fac eniirwninimis è partibus ciTe Corpora prima : tribus, vel paulô pluribus auge : Nempe ubi eas partes unius corporis omnes, Samma arque ima locans, tranfmutans dextera lxvis, Omnimodis expertus eris, quam quifque det ordo Formai fpeciem totius corporis ejus : Qupd fiipereft, fi forte voles variare figuras, Àddendum partes alias erit 'y indè fequetur Adiimili ratione, alias ut poilu le t ordo, Si tu forte voles etiam variare figuras. Ergo formai novitatem corporis augmen Suofequitur : quare non eft ut credere poffis, Efic infinitis diftantia femina formis , Ne quaedam çogas immani maximitate E(Te : fuprà quod jam docui non pofTe probari. Jam tibi barbaries veftes, Melibœaquefuîgens Purpura Theifaiico concharum tincta colore, Se Aurca navonum ridenti imbuta lepôre TT". i L t F RB I I. x5i , A cette vériti Joignons en une autre qui y cft liée , & dont elle eu la preuve, c'eft que ' Jesfiguresdes âémens font limitées 5 (ans quoi , nous verrions des atomes d'une grandeur infinie* En effet des corps auifi petits ne font pas fufcepri* blés d'une grande variété defigures.Imaginez-les «Ivifés en trois ou un peu plus de parties très* petites : arrangez ces parties de toutes les ma-r xiieres poffibks : placez-les en haut, en-bas : eban* gez-les de droite à gauche ; vous aurez bientôt épuifé toutes les combinaisons ; & fi vous voulez varier lesfigures, il vous faudra fuppofer dz nouvelles parties jufqu'à l'infini. Vous ne pouvez donc multiplier les formes des atomes fans en augmenter le volume, ni par conféquenr Lur ; attribuer une infinité defigures,fans leur donner une grandeur infinie, ce que j'ai démontré iuv* - noûïble. En effet les brillantes étofTès de l'orient, la pourpre de Mélibée, que la Thefialie exfprira: de Tes coquillages , & le fpc&acle pompeux qu'étale l'oifçau de Junon, ferait bientôt éclipfé par des' couleurs plus éclatantes. On dédaigneiaic Giv i5i LUCRECE Sxcfa, novo rerum fuperata colore jacerent *. Et contemptus odor myrrhae, mellifque fapores , Et cycnea mêle, Phœbeaque dzdala chordis Carmina confimili ratione opprefla filèrent. Namque aliis atïud preftantius exoreretur. Cedere item rétro pofTent in détériores Omnia fie partes, ut diximus ia meliores. Namque aliis alhid rétro quoque tetrius effet Naribus , auribus, atque oculis orifque faporJ„ Q u 2 quoniam non funt in rébus reddita, certa 5c Einis utrinquc tenet fummam : fateare necefTe eft Materiam quoque finitis differre figuris. Deuique , ab ignibus ad geHdas, hiemifque pruinas ïinitum eft, retroque pari ratione remenfam eft. Pinit enim cak>r , ac frigus , mediique tepores Inter utrumque jacent explsntes ordine fummam* Ercro fmitâ diftant ratione creata : Ancipiti quoniam mucrone utrinque notantur , Hinc flammis , illinc rigidis infefla .pruims» Quod quoniam docui, pergam connectere rem, quae Ex hoc apra fîdem ducit : primordia rerum , Inter fe fimili quae funt perfecta figura , Infinita cluere : etenim , diftantia ctinrrlt ïormarum finira , necefï^ eft, qua* fimiîes fine, W" 2*7P*RE I T. 153 rôdeur de la myrrhe & la faveur du miel. Le cigné harmonieux & le Dieu même de l'harmonie feraient réduits à un honteux filence, puisqu'on nouvel ordre de feofations plus agréa' blés les unes que les autres fe fuccéderaient fans interruption. Le même progrès à l'infini au taie encore lieu pour les qualités défagréables. Les yeux, l'odorat, l'ouie & le goût auraient toujours à craindre des fenfations plus choquantes. Mais comme ces efFcts font contraires à l'expérience , & que les qualités fenfibles des corps ont des bornes invariables, vous ne pouvez non plus en refufer à la figure des atomes. » •j\ "~ ,; C] Enfin depuis la flamme dévorante jufqu'amc glaces de l'hyver & réciproquement, il y a un efpace borné. Le froid & k chaud occupent les limites ; & la tiédeur qui tient le milieu entre ces deux extrémités , remplit par degrés "tout l'intervalle. Gonvencz^donc que les qualkés Ccnfibles des objets (ont finies , puisqu'elles ont pour bornes d'un coté les feux brûlans, & de l'autre les frimats glacés. :t J* Comme les figures des atomes font limitées, ft; il eft neceflaire que leur nombre (bit infini dans fi chaque chlle de figures. C'eft une coafe^jucice •^> naturelle des principes dJja établis. Sans cela Gv i54 l U C RE C 4 | Elfe infînitas : aut fummam materiaï liiùtam conûare : id quod non efle probavi. Quod quoniam docui, nanc fi$aviloquis, âge , paucïs Verfibus oftendam, cor pu feu la materiaï Ex infînito fummam rerum ufque tenerc, Undique protelo j>lagarum continuato. Nam quod rara vides magis efle animalia quaedam, Foecundamque minus nacuram cernis in illis ; At regione, locoque alio, terrifque remotis Multa licet gencre elîe in eo, numerumque repleri. Sicuti quadrupedum cum primis e& videmus In génère anguinianos elephantos, India quorum Millibus è multis vallo munitur eburno 5 Ut penitiis nequeat penetrari : tanta ferarum Vis eft, quarum nos perpauca exempla videmus. Sed taraen id quoque uti concedam, quam lib e t , efto Unica res quaedam, nativo corpore fola, Cui fimilis toto terrarum non fit in orbe : Infinita tamen nifi erit vis materiaï, Unde ea progigni poffit concepta : creari Non poterit, n^que, quod fupereft, procrefeere, aLque. r • L J F R E I L 155 ' -l'univers ferait |x>fné, & nous avons folidemenc réfuté cette erreur. • Mais allons-plus loin , 6 Mcmmjus, & apprenez en peu.de mots que ce n'eftqu'à l'aide de leur infinité-que les atomes par des chocs continuels fumTcnt à l'entretien du grand tout. Si vous remarquez des efpeces moins nom-» breufes & la. Nature moins féconde à les produire , fçachez qu\en daurres pays, dans des climats lointains , elle les multiplie & en coniplette le nombre. Tel eft l'énorme quadrupède que la Nature arma d'une trompe ; à peine en voyons-nous un féal dans nos contrées, & fin Je en nourrit une fi grande quantité qu'il! forment autour de fes murs un rempart d'y voire impénétrable. . - ; • . . • „ Mais quand même je vous accorderais qu'il y eût dans la nature un corps unique dont le rembkblc n'exiftitpo^datw le refte Si monde 4 néanmoins fi les atomes deftinés à le former ac font infinis en nombre , jamais cet individi privilégié ne pourra ni être produit, ni s'accroître' te fe nourrir. Gvj 1 ; i$6 LUCRE CE Quinpe etenim fumant oculi, flnita per omne Corpora ja&ari unius genitalia rei 5 Undc, ubi, quâ vi, & quo.pa&o congrerïa coibant Materix tanto *n pelago, tutbâque aliéna ? Non , ut opinor, habent rationcm çoaciliandï : Sed quafi, naufragiis magnis malrifque coorcis, Disjec"tare folet magnum mare tranftra, guberna, Antehnas, proram , malos , tonfafque natantes , Per terrarum omnes oras fluitantia apluftra $ U t videantur, & indicium mortalibus edant, Infidi maris infidias, virefque dolumque Ut vitar; velint r- neve.ullo temporc credanr, Subdola ctim ridet placidi pellacia ponri : Sic tibt, fi finita femel primordia quxdam Conftitues, aevum debebunt fparfa per omne Disje&are aeftus diverfï materiaï : Nunquarrî in conciHum ut poflint compulfa coire, Nec remorari in concilie, nec crefeere adaucla. Quorum utrumque palam fieri manifefta docer res : Et res progigni, & genitas procrefeere poiTe, Èfleigitur, génère in quovis, primordia rerun» Iniinita palam eft, unde omnia fuppeditamur. Nec fuperare queunt motus utique exitiales Perpétué -, nçque in seternum fepelire faiutem ; N e : porro rerum génitales, auclificique Mc:.:3 perpsuio poflunt feryare creata» ÏJFRE IL 157 Suppoiez en effet les élémens de votre corps Unique finis & difpcrfés dans le grand tout. Au milieu de cet océan d'atomes, comment pour'. romvilsrfe raflembler ? Par quelle force, & dans quel lieu fe réuniront-ils ? Il vous eft impoffible d'en trouver le moyen. Au contraire, comme l'on voit après une violente tempête la mer rejetter au loin des bancs, des gouvernails, des antennes , des proues, des mais Se des cordages - flottans fur la vaiïc étendue de Tes ondes, leçon terrible pour apprendre aux mortels à fuir les traînions d'un élément perfide & à fe défier même de fon attrait au milieu du calme : de même les clé- mens dont vous fuppofez le nombre fini, repoulfés tf^ar les flots de la matière, nageront difperfés ' pendant.l'éternité ; jamais ils ne fe raflemble, xont 5 ou. fi le hafard leur procure un moment • de réunion, jamais cet afiemblage ne pourra : s'accroître & fe nourrir. Mais comme une expé\ - rience journalière nous rend témoins de la for; mation & du progrès de tous les corps, vous \ êtes obligé de convenir que chaque efpcce eft l, entretenue par un nombre infini d'élémens. * F • Voilà pourquoi les mouvemens deitru&eurs ne peuvent tenir les corps dans un état de diiîblution continuelle , ni les mouvemens créateurs fcteuraflurer une éternelle durie. Ces principes \ 15& LUCRECE Sic aequo geritur certamine principiorum Ex infînito contractum tempore bellum. Nunc hîc, nunc illic fuperant vitalia rerum, Et fuperantur item : mifcetur furtere vagor , Quem pueri tollunt vifentes luminis oras : Nec nox ulla diem, neque noclem Aurora fecuta eft, Quae non audierit miftps vagitibus xgris Ploratus, mortis comités, & funeris atri. Illud in his obfignatum quoque rébus habere Convenir, & memori mandatum mente tenere : Nil eHe in promptu, quorum natura tenetur, Quod génère ex uno confiftat principiorum j Nec quidqQâm,quod non permifto femine confier. * Et quàm quidquc magis multas vis pofiidet in fe , Atque potcftares ; ita plaria principiorum , In fek gencua, ac varias doçet eiTe figuras. Principio tellus habet in fe coipora prima, Unde mare immepfum volventes flamina fontes Afïlduè rénovent : habet, ignés unde oriantur. Nam mulris fuccenfa locis ardent fola terrée : Eximiis vero furit ignibus impetus JEtnx. Tum porro nkidas fruges, arbuftaque tea Gentibus humanis habet unde extollere poiîit. Unde eriam Guidas frondes, & pabali Ix:a * Montivagc generi po/ïit prxbere fsrariiav. *?*» L I V RE IL 159 ennemis fe font la guerre avec des fuccès à-peupjès égaux. C'cft nne alternative continuelle de victoires & de défaites ; vous voyez des ëcres fonir de la vie au moment où d'autres y font leur entrée, & jamais la tendre Aurore ni la fombre nuit n'ont vificé ce globe fans entendre les cris plaintifs de l'enfant au berceau , & de trilles fanglots autour d'un cercueil. Mais une vérité qu'il faut graver dans votre mémoire en traits ineffaçables, c'eft que de tous les corps dont la nature nous cft connue, il n'y en a aucun qui foit formé d'une feule efpece de principes, aucun qui ne réfulcc d'un mélange d'élémens ; & plas un corps a de propriétés , » fjhs fes atomes conftitutifs différent en nombre & en figures. j Commençons par la terre. La terre contient '• les élémeBs des grands fleuves qui vont fans i ce/Te renouvellcr la mer , elle contient hs priaV ripes des feux fouterrains qui la dévorent, dç i. ces flammes bouillonnantes que l'Etna vomit â dans fa fureur ; elle contient enfin les germes ft;des grains & des fruits qu'elle offre à l'homme, î:& des pâturaees dont elle nourrit les habicans A des montagnes. 160 LUCRECE Quare magna Dtûm mattr, mater que fera- rum, Et noflri genitrix haec di&a eft corporls una. Hanc veteres.Grajûm docli cecinêre poê'rat Sublimem in curru bijugos agitare leones : A'ëris in fpatio magnam pendere docentes Tellurem : neque pofle in terra fîftere terram. Adjunxêre feras s quia, quamvis criera, proies OfEciis débet molliri vida parentum. Muralique caput fummum cinxêre coronâ ; Eximiis manita locis quôd fuftinet urbes : Quo nunc infîgni per magnas prardita terras Horrificè fertur divina? matris imago. Kanc varias genres, antiquo more facrorum , Hœarn vocitant matrem, Phrygiafque catervas Dant comités, quia primàm ex illis fïnibus edunt Per terrarum orbem fruges cœpiiTe creari. Gallos attribuunt $ quia, numen qui viplannt Matris, & ingrat! genitoribus inventi fînt, Significare volunt indignos erTe putandos, Vivam progeniem qui in oras luminis edant. Tympana tenta tonant palmis , & cymbala circiîm Coïicsva, raucifonooue minantur cornua cantu ; . Hc Pluy^io ui.nuiat numéro cava tibia mentes, w. ^L 1 V RE II. \6\ Voilà pourquoi on lui a donné les noms Diiilans de mire des Dieux, de nourrie» des hommes ér des animaux. Les anciens Poètes Grecs la repréTentaient aflife fur un char traîne par des lions, nous enfeignant que, fufpcndue dans îefpace, elle no pourrait avoir pour baie une autre terre 5 les animaux furie Je Coumis au joug figflifient que les bienfaits des parc as doivent triompher des caractères les plus farouches. Ils lui ont ceint la tête d'une couronne murale , parce que (a iurfacc eft couverte de villes & de fortcreÏÏcs. Cette couronne guerrière infpire encore aujourd'hui la terreur aux peuples chez qui on promené la ftarue de la Dée/Tc. Les nations 4e tout pays, fuivant un ufage antique 8c folemHel, l'appellenc Idéenne , Ôc lui donnent pour ."'cortège une troupe de Phrygiens, parce que le genre humain doit à l'induitrie de ces peuples la culture des,grains. Des Prêtres mucilcs c<£le~ • Jbrcnt des facrifiecs, pour enfeigner aux mortels .'que ceux qui manquent de rcfpcct envers leurs iincres, ces images de la diviniré\ oa de re:onïfiai/Tanceenvers leurs percs , font indignes euxjnémes de revivre dans une poftérité. Ces vils iniitres font réfonner dans leurs mains des ibours bruyans , des cyrribales repenti flantes, le cornet au forï rauq le Se menaçant, & la fiàtt donc les acceus Phrygiens excitent la fureur ) tGi LUCRECE Telaque prâportant violenti ligna furorh 5Ingratos animos, arque impia pérora volgi Cônterrere metu qux pofllnt numine Divx. Èrgô cihn primùm magnas iûve&a pcr u& bes Munifîcat tacitâ mortales muta falute : JErc a:que argenté ftemunt iter omne viarura Largifîcâ fripe ditantes ; ninguntque rofarum Eloribus, umbrantes macrem, comitumquc catervas. Hîc armata manus [ Cureta* nomine Graii Quos memorant Phrygios ] inter fe forte cate* nas 'Xudunt, in numerumque exfukant, fanguin© lxti i 8c Terrifîcas capitum quatientes numine criftas , Di&aeos referuiit Curttas, qui Jovis illum Vagitum in Cretâ quondam occultâfle feruntur , Cùm pueri circum puerum pernice choreâ Armati in numerum pulfarent aeribus aéra § Ne Saturnus eum malis mandaret adeptus , iEternumque daret matri fub pe&ore volnus. Propterea magnam armati matrem comitanmr , Aut quia figniHcant Divam pr^dicere, ut,armis, Ac virtute velint patriam defendere terram ; Pia:£dioque parear, decorique paremibus elle. w IIP RE IL 16) 4ans les âmes. Leurs bras font auftï armés de piques , initrumens de la mon, pour jetrer l'épou* Vante dans les coeurs impies fie dénaturés. m Aufîi tandis que la flatue muette de la Décile, foxtée dans les grandes villes, répand en fecref iur les monels les effets de#£a munificence 5 on enrichit cous les chemins d'or fie d'argent : on verfe à pleines mains les tréfors les plus pré-* cieux : une nnée de rieurs odorantes ombrage la jnere des Dieux fie ù. brillante cour. Alors une troupe armée que les Qrecs nomripent Cureta Phrygiens , jouent fie fe frappent Cntr'eux avec de pefantes chaînes ; ils danfent £c regardent avec joie le fang qui coule de leurs :ftorps, fie les aigrettes menaçantes qu'ils agitent fur leurs têtes rappellent ces anciens Curetés qui couvraient dans la Crète les cris de Jupiter, tandis que des enfàns armés exécutaient des fjdanfes rapides autour de Ton berceau, frappant J|n mefure l'airain bruyant, de peur que Saturne dévorât le Dieu de Ci dent cruelle , fie ne >rtât une éternelle bleflure au cœur de fa divine ;re. Voilà pourquoi la Dée/Te eft environnée _._ gens armés. Peut-être auflî veut-elle avenir j»ar-là les hommes d'être prêts à défendre leur atrie les armes à la main, fie d'être à la fois la jloirefiele foutien de leurs parens. { i*4 LUCRECE Qax bene, & eximic, quamvis difpôftâ fera ntur, Longé funt tamen à verâ ratione repulfa. Omnis enfm per fe Divûm natura necelîe eft • Immortali xvo fummâ cum pace fruatur , Semota à noftris rébus, fejunctaque longe. Nam privata doloreomni, privata periclis , Ipfa fuis pollens opibus, nihil indiga noftri, Nec bene promeritis capitur, nec tangitur ira. Terra quidem vero caret omni tempore fenfu: SeJ quia multarum potitur primordia rerum , Muka modis rnultis etfert in lumina folis. Hic naquis mare Neptunum , Ccrer<mque v o ca re Conftituet fruges , & Bacchi nornine abuti Mavolt, quàm laticis proprium proferre vocamen : Concedamus ut hic terrarum dicticet orbem EiTe Deûm mftrem, dum re non fit tamen apfe. Saepe ïtaque ex uno tondentes gramina campo Lanigerae pecudes & equorum duellica proies, Buceriaeque greges, fub eodem tegmine cceli, Ex unoque faim fedantes Humine.aquaï, Diiîîmili vivunt fpecie , retinentque parenrum Naruram , & mores generatim quaeque imitantw ; -»7> L I V R E IL 16-j Ces fiâions, quelque le fruit d'une imagination brillance, la philofophic les reprouve. Elle içair que les Dieux au haut du ciel jouiffent en paix de leur immortalité. Ceft la plus belle prérogative de leur nature ; peu touchés 4e nos faibles intérêts j à l'abri de la douleur 8c fty danger ; Ce fuififans à eux-mêmes 5 indépen.dans de nous ; nous ne pouvons les gagner par nos vertus ni les irriter par nos crimes. Quant à la terre, elle n'a été de tout tems qu'un amas de matière privée de fcnrrmcnt ; & Jes productions que nous lui devons, elle les doit çjle-même à la multitude d elémens divers ou'elle A contient» Néanmoins fi l'on veut appeller la mer Neptunt, 8ç les moi/Tons Cerks : fi l'on préfère le nom de Bacchus au mot propre de notre langue ; on eft maître de do/iner au/fi à la terre la qualité de mcre des Dieux , pourvu qu'en eifec file ne le foit pasf \ Mais revenons à notre fujet. L'animal qui forte la laine, le quadrupède né pour la guerre, Jlt les troupeaux armés de cornes, nourris dans mêmes pâturages» abreuvés aux mêmes four, expofés au même air, n'en font pas moins Mts efpeces différentes, confervant chacune les Jteois de fes pexes 6ç foo caractère fpécifique. £ I. \66 LUCRECE Tanta eft in-quovis génère herbae materia? P.ilCmilis ratio, taitta elt in flunùne quoque> Jara vero quamvis animantem ex omnibut imam OfTa, cruor, venae, calor, humor, vifcera, nervi Conftituunt, quae funt porro diftantia longé Diflimili perfecta figura principiorum. Tum porro quaxunque igniflammatacreman* tur i Si nii prseterea, tamen ex fe ea corpora tradunt, Unde ignemjacere, & lumen fummittere poflmt, Scintiilafque agere, ac latè differre favillam. Caetera confimili "mentis rarione peragrans, Invenics intus multarum femina rerum Corpore celare, & varias cohibere figuras. Denique multa vides, quibus & odor, & fapor unà, Reddita funt cum adcles : imprimis pleraquç il dona , Reliigionc animum turpi ciirn tangerc par-to, Haec igitur variis debent conflare figuris : Nidor enim pénétrât, quà fuccus non it in ar-» tus : * Succus item feorium & rerum fapor inunuatur •?*• I IV RE 11. tif H y a donc & dans les herbes de nos champs £c dans les caox de nosfleuresdes molécules de âiàézçmc nature* • Ajoutez que tout animal eft compofé d'os A iiefang, déveines, de chaleur, d'humidité, de ràceres & de nerfs, fubitances qui ne diirerenc facr'clles que par la diveruté dç leurs élémens. D'ailleurs les corps combuftiblcs contiennent jeu moins les principes de la flamme, de la lumière, des étincelles, de la cendre 8c de la filmée ; considérez avec attention toutes les fubftaaces exiitantes, vous leur trouverez les germes M mille autres; . Enfin un grand nombre de corps fe font fenpx a la fois au goût 8c à l'odorat : telles font Lies vi&imes expiatoires que le criminel pour jjpppaifcr fes remords , immole à la divinité. *eft-il pas évident que les élémens de ces corps H vent différer entr'eux ? Les odeurs s'introjifent dans nos organes par des palïàges inédits à la faveur, & la faveur s'y rend par àcs voies fermées a u odeurs $ ces deux qualités i68 LUCRECE Senfibus, ut nofcas primis differre fîguris.' Diflimiles igitùr formas glomeramen in unum Conveniunt, & res permifto-femme confiant. Quin etiam paflim noftris in verfibus ipfîs Multa elementa vides multis communia verbis : Cdm tamen inter le verdis, ac verba necefle cil: Confiteare alia ex aliis conftare démentis. Non quod multa pariim communis littera currat, Aut nulla inter fe duo fint ex omnibus îfdem : Sed quia non volgo paria omnibus omnia conftant. Sic aliis in rébus item communia multa Multarum rerum cdm fint primordia , longe Diffimili tamen inter fe confiftere fummâ Poilunt : ut merito ex aliis conftare ferantur Humanum genus , ac fruges, arbuftaque lxta. Ncc tamen omnimodis connecli porte putandum eft Omnia : nam volgo fieri portenta videres : Semiferas hominum fpecies exiftere : & altos Interdum famos egigni corpore vivo : Multaque connedi terreftria membra marinis : Tum flammam tetro fpirantes ore Chimsras Pafcere naturam per terras omniparentes. Quorupi 11 r RE ii. \69 aaiffent donc de, la différence configuration des atomes. Àinfi le même amas de matière renferme dans fbn tiûu des formes différentes, & les corps réfultcnt d'un mélange d'élémens. Dans ces vers que vous lifez^ vous appercevez fcuvent les mêmes lettres communes à plufïeurs mots. Cependant vous êtes obligé de reconnaître une différence entre les élémens des vers & des mots i non qu'ils n'aient plusieurs lettres communes y non qu'ils ne foient quelquefois coràfoCés précifément des mêmes élémens, mais parce que la totalité n'eft pas le résultat d'un même atfemblage. De même,quoiquc les diffcrens corps de la nature aient des atomes communs, les mafTes peuvent différer, & on aura rai Ton de dire que les hommes, les moiffons & les forêts ne font pas le produit des mêmes élémens. Ne croyez pourtant pas que les atomes de toute efpece puiflent fe lier enfemble. Les monftres feraient plus communs dans la nature. Vous * verriez tous les jours des corps humains terminés en bêtes féroces , des branches touffues s'élever du corps d'un animal vivant, des fubftances rcxreltres unies à des fubftances marines ; & des chimères redoutables, dont la gueule armée de feux [ï dévasterait toute* les productions de la terre. Si \* Tome I. H %7o L*U C R E C E Quorum nil fieri manifeftum eft : omnia quand© Seminibus ccrtis, certâ génitrice, creata Coniervare genus crefcentia pofle yidemus. Scilicet id certâ fieri ratione necefTe eft, Kam fua cuique, cibis ex omnibus, intùs in artus Corpora difcedunt, connexaque convenientes Eïficiunt motus : at contra aliéna videmus Rejicere in terras Naturam : multaque caecis Corporibus fugiunt è corpore percita plagis, Quas nequc conne&i çuiquam potuêre, ncque intra yicales motus confentire, atque animari. Sed ne forte putes animalia fola teneri Jx^ibus his : eadem ratio res terminât omnes^ Nam veluti totâ naturâ difiïmiles funt Inter fe geniiae res quaeque ; ita quamque neceffe eft Diflimili eonftarefiguraprincipiorum : Non quod multa pariimfimilifintprasditaforma 5 $ed quia non vplgo paria omnibus omnia con£tent. Semina ciim porro diftent, differre nece/Te eft Intervalla, vias, connexus , pondéra, plagâs , Concurfus, motu§ ; qux non animalia folùm 't. L 1 V R E IL i7x ces prodiges n'ont pas lieu dans la nature, c'eft qie tous les êtres formés de certains élémens, par une certaine force génératrice , confervent en s'ficcroiûant leur efpece particulière. Cet ordre ne peut jamais s'interrompre, parce que chaque animal tire des alimens , les fucs les plus analogues à fa constitution, qui s'unifient au corps, 8c contribuent au mouvement Se à la vie de la macbine. Au contraire les molécules qui n'ont pu s'unir à la mafle , recevoir l'impreftion de la vie , & concourir aux mouvemens créateurs , la Nature les rend à la terre, ou s'en Àébarraffe par une a&ion infenfible. Ne croyez pas au refte que les animaux fc ils foient aûujettis à cette loi. Elle s'étend à toutes les productions de la terre. Comme elles différent toutes entr'elles, il faut que leurs élémens foient doués de figures différentes, non qu'il y ait beaucoup d élémens de différentes figures, mais parce que les touts qu'ils compofent, ne peuvent jamais être femblabies en tout. Cette différence entre les élémens en établit une néceffaire entre leurs diftances, leurs directions , leurs liaifons, leurs chocs, leurs ren~ Hij 17* LUCRECE Corpora fejungunt, fed terras, ac mare totum ^eccrnunt, cœlumque à tsrris prune retentant, Kunc âge, di&a meo dulci quajfita labore Percipe : ne forte hase albis ex alba rearis Principiis elle, ante oculos qux candida cernis : A ut ea y quae nigrant, nigro de femine nata : Neve, alium quemvis qua; funt induta colorem , Propterea gerere hune credas, quod materiaï Corpora confîmili fint ejus tincta colore. jNullus enim color eft omnino materiaï Corporibus , neque par rébus, neque deniquc difpar. In quz corpora ii nullus tibi forte videtur porte animi inje&us fieri, procul avius erras. Nam cùm cascigeni , foîis qui lumina nun-» quam Afpcxêre, tamen cognofeant corpora ta&u , £x ineunte a;vo, nullo contin&a colore : Scire licet, menti quoque noftrae corpora porTc yerci in notitiam nullo circumlita fuco. penique nos ipfi caecis quaecunque tenebris Tans^mus, haud ullo fentimus tincta colore. * Quod quoniam vincofieri, nunc elfe docebo. w L I F R E 11. I7J contres 6c leurs mouvemens , qualités relatives , à l aide defquelles nous diitinguons nonfeulement ks animaux d'avec les animaux, mais encore l a mer d'avec la terre, & la terre d'avec le ciel* Continuez, ô Mcmmius, à recueillir le fruit de mes doux travaux, & gardez-vous de croira que les corps ne vous paraient blancsou noirs, ou teints de toute autre couleur, que parce quo leurs élémens font doués de la même qualité. Les élémens nom aucune couleur, ni femblablc> «i différente. •1 Si vous peniez que les acomer dépouillés <fo couleur ne peuvent plus fe concevoir, vous êtes dans l'erreur. Les malheureux, dont les yeux n'ont jamais été ouverts à la lumière, ne s'accoutument-ils pas dès l'enfance, à connaître au toucher les objets dont ils ne voient pas la couleur ? Nous pouvons de mime nous former une idée des corps primitifs', (ans qu'ils (oient colorés» Enfin nous ne fentons pas la couleur des corps que nous touchons pendant la nuit. Mais joignons le raisonnement à l'expérience. Hiij i74 LUCRECE Omnis enim color omnino mutatur in omnes 5 Quod facere haud ullo debent primordia paéto : Immutabile enim quiddam fuperare necefle eft , Ns res ad nibilum redigantur funditiis omnes. Nam quodcunque fuis matatum finibus exit, Continue) hoc mors eft illias, quod fuit ante. Proindc colore cave contingas femina rerum : Ne tibi res redeant ad nilum funditùs omnes. Pnrterea , fi nulla coloris principiis eft P*eddita natura : at variis funt prxdita formis , E quibusomnigenosgignunt, variantque colores» Propterea magni quod refert femina quaeque Cum quibus , & quali pofiturâ contineanrur 5 Et quos inter fe dent motus accipiantque : Perfacilè extémplo rationem reddere poffis, Cur ea, quae nigro fuerint paulo antè colore, Marmoreo âeri pofïînt candore repente : Ut mare, cùm magni commôrunt xquora venti, Vercitur in canos candenti marmore fludus. Dicere enim poffis nigrum, quod faepe videmus , Mate ries ubi permifta eft illius, & ordo Principiismutatus, & addita, demptaque quxdam, Continué idfieriut candens videatur, & album: Quod fi caeruleis conftarent aequora ponti Seminibus, nullo po/Tent albefeere pa£to. Kam quoeunque modo perturbes, caerula qu«r iînt, 11 r R ê 11. i75 11 n'y & pas de couleur qui ne puiûc Te convertir en toute antre. Or les atomes ne peuvent fubir de pareils changemens. Leur nature exige qu'ils /oient immuables ; fans quoi l'univers ferait anéanti $ puifqu'un corps ne peut franchir les bornes de (à nature, fans cefler detre ce qu'il était. Gardez-vous donc de croire que les élémens de la matière (oient colorés, ou ce grand tout tombe dans le néant. La Nature néanmoins en refufant des couleur* aux atomes, leur a donné différentes formes propres à les produire & à les varier à l'infini. 11 importe donc de confidérer le mélange, la fimation, 6c le» moaremens rcfpe&ifs des clémens $ par ce moyen vous expliquerez pour-' quoi les corps teints il n'y a qu'un moment donc couleur noire, la changent tout-à-coup en une blancheur éblouiuante ; pourquoi la mer battue par les vents , fe couvre d'une écume blaachinante. Vous direz que & les élémens d'un corps qui paraît noir fe troublent 8c i e confondent, fi leur ordre primitif s'altère, fi quelques atomes s'échappent pour faire place à d'autres , la furface de ce corps peut fe revêtir d'une couleur blanche ; au lieu que fi les élémens de la mer étaient azurés, jamais ils ne blanchiraient, & de quelque manière qu'on en déranHiv *•. *7* LUCRECE Nunquam in marmoreum pofTunt migrarc colo^rcm. Sin alio , atquc alio funt feraina tinéta colore , Quae maris efficiunt unum purumque nitorem : Ut faepe ex aliis formis, variifque figutis, Ifficitur quiddam quadratum, unaeque figura : Conveniebat, uti in quadrato cernimus elle Diflimiles formas, ita cernere in asquore ponti ; Aut alio in quovis uno puroque nitore Diflimiks longe inter fe, variofquç colores. Practerea, nihil officiunt, obftantque figuras Diflimiles, quo quadratum minus omnefitextra : At varii rerum impediunt, prohibentque colores , Quo minus efie uno pofilt res tota nitore. Tumporrô, qu#ducit& inlicit, ut tribuamus Principiis rerum nonnunquam, caufa 9 colores > Occidit 5 ex albis quoniam non alba creantur : Nec quae nigra cluent, de nigris > fed variis de. Quippe etenim multô procliviiis exorientur Candida de nullo , quàrri de nigrante colore , Aut alio quovis, qui contra pugnet, & obilet. LIVRE II. i77 gcat Tordre,- ils ^'acquerraient jamais l'éclatante couleur du marbre. Si TOUS dires que la couleur de la mer, quoique pure & fans mélange, réfulte d'élémens diverfement colorés î comme de l'alTcmblagc de figures différentes, on peut faire un tout quarté le uniforme \ i! faudrait, puifqu'on diftingue dans le quarré les différentes figures qui le compofent, qu'on diftinguât auflî, Toit dans la mer, foit dans les autres corps dont la couleur eft pire & fans mélange, ces couleurs fi difTcmMabltt dont réfulte la couleur totale, v D'ailleurs, la différence des figures particulières n'empêche point le tout produic au-dehors d'être un quarré 5 au lieu que la dirTcuncc des couleurs élémentaires nuic à l'unité de la cot*. leur totale^ > , 'r It x> ;V J" t fl De plus , puifque faivant cette explication lia noirceur & la blancheur ne réfultent pas d'atomes blancs ou noirs, mais d'un mélange d'élémens diverfement colorés, la raifon qui TOUS obligeait de fuppofcr les clémens colorés ne {ubfîfte» plus ; car la biaucheur fera plus aifément produite par des atomes defti:ués de couleur, que par des atomes noirs, ou doués d'une autre couleur auilî oppof J *. HT k 178 LUCRECE Praeterea, quoniam nequeunt fine luce colores Elfe , neque in lucem exiftunt primordia rerum : Scirc licet quàm fint nullo velata colore. Qualis enim carcis poterit color efTe tenebris, Lumine qui mutacur in ipfo, propterea quod Rc&â aut obliqua pereuffus luce refulget ? riuma columbarum quo paéto in foie videtur, Qux fita cerviecs circum , collumque coronat j Namque alias fit uti rubro fit clara pyropo : Intcrdiun quodam fenfu fit, uti videattfr Inter cxruleum virides mifeere fmaragdos. Caudaque pavonis , largâ edm luce repleta eft , Confimili mutât ratione obverfa colores. Qui, quoniam quodam gignuntur luminis idn , Scilicet id fine eo fieri non polie putandum eft. Et quoniam plagx quoddam genus excipit in fe Pupula , cùm fentire colorem dicitur album , Atquealiud porrô, nigrum edm, & caetera, fenrir, Nec refert ea, qux tangis , quo forte colore Prxdita fint 3 verùm quali magis aptafigura: Scire licet, nii principiis opus cfTe colores ; Sed yariis formis variantes edere taclus. Praeterea, quoniam non certis certa fîguris Eft natura coloris, & omnia principiorum Tormamenta queunt in quovis efTe ni tore : Cur ea, qux confiant ex illis , non pariter funt - T L l pr R E 11. i79 Enfin les agtmts ne font pis colorés, parce qu'ils ne Reçoivent pas l'imprculon de la iumicre. C'eft la lumière qui produit les couleurs. Comment cxi/Vtraicnt-cIlcs dans les ténèbres, puifque fouvent même en plein jour, elles fe changent & s'altèrent, foivant que les objets font frappés par des rayons dirc«5ts ou obliques ? Ainfi le brillant collier qui orne la gorge des colombes, réfléchit cantot les feux des rubis, cantot le vcrd de l'émeraude avec l'azur du firmament Ainlî la queuedapaon, frappée d'une vive lumière» change di cdulen*, fcldn tes différentes exportions. l*f couleurs dépendent donc de la chûre des rayons, de. ne peuvent par conséquent exiger fans lumière. Conftdéfcsc encore que l'organe eft autrement affecté parla couleur blanche que par la couleur noire, ou toute autre couleur. Et comme dans les objets fournis au tact la figure feule eft efTentielle,& la couleur indifférente, avouez que les atomes n'ont pas befoin de couleurs, mais de figures analogues aux fenfattons qu'ils excitent. Ne conVeriéi-vous-pas outre cela que les cou*T; leurs des atomes ne dépendent pas de leurs f?•'. gurcs, que quelque foie leur forme ils font fuî' ccptibles de toutes les couleurs ? Pourquoi donc i8o L V C R E C E Omnigenis perfufa coloribus in génère omni ? Conveniebat enim corvos quoque faepe volaittes Ex albis album pennis jadarc colorem , Et nigros fieri nigro de femine cycnos, Aut alio quovis uno * varioque colore. Ouin etiar» quantoin partes res quaequc minutas Diftrahitur magis, hoc magis eftut cernere poffis Evanefcere paulatim, ftinguique colorem. Ut fit, ubi in parvas partes difcerpitur aurum , Purpura, Pœniceufque color clartflimu' mu ko + ïilatim cùm diûractus difperditur omnis : NoCccre, ut hinc poflis, priiis omnern efflarc colorem Particulas, quàm difcedant ad ferrana rerum. Poftremô, quoniam non. omnia corpora vocem ^ittere concedis, neque odorem ipropterea fîr, Ut non omnibus attribuas ionitus, & odores. Sic, oculis quoniam non omnia cernere quimus, Scire licet, quaedam tam conftare orba colore t Quàmfineodore ulloquxdam, fonituqueremota j Nec minus hsec animum cognofcere pofle Is^icem, Quàm n-:x Tant alus rébus privata, nctifque. L I F R E I L i*i les corps qui en réfultcnt n ont-ils pas le même privilège ? Pourquoi leur efpece détermine-: elle leurs couleurs ? Pourquoi le corbeau du haut des airs n'éblouit-il pas Couvent nos yeux par une blancheur éclatante ? Pourquoi les élémens du cygne ne le rcvêtcur-ils pas quelquefois d'une couleur noire, ou d'une autre couleur l D'ailleurs en divifant les corps, vous remarquez que plus les parties font atténuées, plus les couleurs s'éteignent & s'évanouifient. Ainii l'or réduit en poudre, & la pourpre en fils déliés perdent tout leur éclat. L'expérience vous eofeigne donc que les élémens de la matière fe dépouillent de leurs couleurs, avant même d'être réduits à l'état d'atomes. Enfin vous n'êtes pas tenté d'attribuer du fon, ni de l!odeur à tous les.corps, parce que tons ne frappent point les organes de l'ouie, ni de l'odorat. De même, de ce que tous. 1rs corps ne font pas perceptibles i,l'œil, vous .devez en conclure, qu'il y en a fans couleurs, cqrnrue il y en a qui n ont ni odeur, ni fon. Et, un efpnt pénétrant peut concevoir des corps fai>s couleur , comme il les conçoit fans les autres qualités. i •i8i IV C R E C & Seâ ne forte putes folo fpoîiata colore Corpora prima manere : etiam fecreta teporis Sunt, ac frigoris omnino, calidique vaporis : Et fonitu fterila, & fucco jejana feruntur 5 Nec jaciunt ullum proprio de corpore odorem* Sicut amaricini blandum, fta&aeque îiquorem , Et nardi florem, ne&ar qui naribus halant, Ciim facere infirmas : cum primis quaerere par eft, Quoadlicet, acpotises reperire, inolentis olivi Naturam , nullam quae mittat naribus auram : Quàm minime ut pofîlt miftos in corpore odorés, Conco3:ofquc, fuo contactes perdere viro. Propterea demum debcnt primordia rerum Non adhibere fuum gignundis rébus odorem, Nec fonîtura, quoniam nihil ab fe mittere poffunt •": Nec fimili ratione faporem denique quemquam ; Nec frigus ; neqae item calidum, tepidumque l valorem : &r i à. ' Cetera : qus ciim ica! fiïn* tandem , ut mdrtalia : conftenr, Molli lents, fragofa putti, cava corpore r a r o , Omnia ïïnt à principiis fejun&a" neceffe eft, J Immortalia fi volumus fubjufigere rébus Fundamenta, quibus nitatur lutïirha falutis : Ne tibi res redeant ad nilum funditus omucs. Nunc ea, GUSC fentirs vidcmus cunque neceiFc eîY IFVT LIVRE IL îS 3 Mais ne croyez pas que les couleurs foicnt la feule qualité fenfible refufée par la nature aux atomes. Ils (ont encore inaccefïibles au froid, au chaud, à la tiédeur, privés de fons, dénués de focs, & incapables d'exhaler aucune odeur. Ainfi lorfque vous cotnpofez une effence de marjolaine , de myrrhe & de nard précieux, vous lui donnez pour bafe l'huile la moins odorante, d? peur que fa vapeur échauffée ne corrompe le parfum des fleurs. Enfin les atomes qui entrent dans la composition des corps n'ont point d'odeur, ni de fon , parce qu'il n'en émané point de parties : pour la même raifon, ils ne Çoxit ni favoureux, ni froids, ni chauds, ni tiedes : quant aux autres qualités 1 qui caufent la ruine des corps , telles que la •i mollene & la fouplefle, la fragilité & la cor ru p. tibilité, le mélange de matière & de vuide, gardez-vous d'en revêtir les atomes, fi vous voulez donner à la nature des fondemens inébranlables, affurer QL confervation, & la fauvet de l'aiiéantiiTement, • : n • • Vous êtes encore obligé de reconnaître que tous i*4 LUCRECE Ex infenfîlibus tamen omnia confiteare Principiis conftare: necnie id manifefta réfutant, Nec contra pugnant, in promptu cognita cuise funt : Sed magis ipfa manu cîucunt, & credere cogunt. Ex iafeniilibus, cjuoddico, animalia gigni. Quippe videre Hcet, vivos exiftere vernies Stercore de tetro, putrorem cûm fibi na&a efl Intempeftivis ex imbribus humida tellus, Praeterea cunctas itidem res vertere CcCc. Vertunt le fluvii, frondes, & pabula keta In pecudes : vertunt pecudes in corpora noftra Naturam y Se noftro de corpore Crpe ferarum Augefcunt vires, & corpora pennipotentuau Ergô omnes Natura cibos in corpora viV£ Yertit, & hinc fenfus animantum procréât om* nés : Non àliâ longe ratione, atque arida ligna Explicat in flammas, & in ignés omnia verfat, Jamne vides igitur, magni primordia re-rum RefFerre in quali fînt ordine cmarcHie locata : Et commifta quibus dent motus, accipiantque ? Tum porro quid id eft animum quod pexcucit ipfuin? r LIVRE IL 185 •jjes corps doués de fêntiment font pourtant forc é s d'atomesinfenfîbles. L'expérience, loin de combattre cette vérité , femble vous y conduire v far la main, en vous montrant des animaux né» ^de femencts inanimées. Ne Voyez-vous pas le vermifleau trouver la ^vie au fein de la fange , quand la terre a été jjputrénce par des pluies trop abondantes ? Tous *j}es corps éprouvent de femblables métamorphos e s . Les fleuves, les feuillages, les riantes praijries fe changent en troupeaux -y les troupeaux yjjeviennent des corps humains ; & trop fouvent tfbos membres eux-mêmes ont accru les forces des -•*-*£ onftres fauvages, Se des oifeaux carnaciers. Ainfi la Nature convertit en fubftances vivants & animées les alimens de toute efpece $ >mme elle fçait changer enflammespétillantes bois aride , Se d'autres matières fans activité. fous fentez donc de quelle conféquence il eft de >nfidérer la fituatioQ refpe&ive des atomes, mélange & leur foliation réciproque; £h ! de quelle nature font donc les objets qui fent fur votre ame elle-même 2 qui 1 emeu- X i8£ LUCRECE Quod movct ? & varios fenfus expromere co«;. g ic ? Ex infenfîlibus ni credas fenfile gigni. Nimirum, lapides, & ligna, & terra quoque unà Mifia, ramen nequcùnt vitalera rçddere fenfum> Ulud in his igitur fœdus meminiffe decebit ; Non ex omnibus omnino, quaecunque créant res>, .Senfilia cxtemplo , & fenfus me dicere gigni : Sed magni referre, ea primùm quantula confient, Senfîle quae faciunt, & quâ fïnt prasdita forma Motibus, ordinibus, pofiturrs denique quarfint: Quarum ni! rerum in lignis, glebifque videraus% Et ramen hase cura funt quan* putrefaâa per ia*bres, Vermiculos pariunt ; quia corpora materiaï Antiquisex ordinibus, permota nova re Conciliantur ita, ut debent animalia gigni. A. Deinde ex fenfïlibus cùm fenfile porTe creari Conftituunt, porro ex aliis fentire fuetis ; Mollia tum faciunt : nam fenfus jungitur omnts Vifcéribus , nervis , venis , quaecunque videmus Mollia mortali confiirere corpore creta. S<zà tamen eflo jam polTe hase alterna manere : ÎT" ZIKRE II. 187 Snt ? qui ta expriment mille (ènfations diverses ? fi vous refufez à la matière infenfible la faculté de produire des êtres fenfibles ? . . î • Il eft vrai que les pierres, le bois & la terre e-méme mêlés cnfemble, ne peuvent engener le (èntimeit & la ?ie : auffi n'al-je pas préu que tous les atomes fans réfraction fuflent -propres à produire en un moment des êtres fen;ibles, puifque je vous ai prévenu d avoir égard À leur grandeur, leur nombre, leur figure, leur uvement, leur ordre & leur fituation, circes qui n'ont pas la combinaifon requife les arbres de nos forêts, & dans les glèbes nos champs : & cependant ces corps mêmes» trèfles par la phiie,, font éclorre des vermifux, parce que leurs élémens, déplacés par cette vellc circonflance, acquièrent la combinaifon •ce/Taire pour engendrer des animaux. ^Dire que la fenfibilité refaite d'atomes fenfï» , formés eux-mêmes d'autres atomes fenfi;, c'eft en faire des fubftances molles , puif}e la fenfibilité eR liée aux vifeeres , aux nerfs aux veines qui font des corps mous Se deftrucries. Mais quand même ces principes pourraient i8S LUCRECE Ncmpe tamen debent aut fenfum partis haberft t Aut fimilia totis animalibus efTe putari. At nequeant per fe partes fçntire, nec efle^ Namque aliûm fenfus mernbrorum refpuit omnes. Nec manus à nobis pôtis eft iecreta, neque ulla Corporis omnino fenfum pars fola tenere. Linquitur, ut totis animalibus adfîmilentur j Vitali ut pofïînt confentire undique fenfu. Qui poterunt igitur rerum primordia dici, Et letki vitare vias 3 animalia cum fmt, Atque animalibu fint mortalibus una, eademque î i Quod tamen ut poffint, ab cœtu, concilioque ,: Nil facient, praeter volgum, turbamque animantum : Scilicet utnequeunt hommes, armenta, ferscque , Inter fefe ullam rem gignere conveniendo PerVeneris res, extra homines, armenta 3 ferafque» 1 Quod fi forte fuum dimittùnt corpore fenfarrr, Atque alium capiunt j quid opus fuit atttribui, quod Dctrahitur ïTum prasterea, [ quod fugimus antè ] Quatinus in pullos animales vertier ova : 'TO»( :. L i r R E IL- 189 ïcccnellement {ùbûfter, n'auront-ils que la icnfebilité d'une partie, ou en ferez-vous des aniCalcules ? La première fuppofition ne peut avoir >|ku, parce qu'une partie ifolée ne fenr point <|iar elle-même, & que le fentiment des autres membres ne peut lui être communiqué. Ainfî ' jfn main féparée du corps, & les autres membres ^iiiolés demeurent infenfibles ; il ne vous refte Jjlonc qu'à faire de vos atomes des animalcules » leur donnant une fenfibilité totale : mais alors éritent-ils le nom d'élémens, & la porte du ^Crêpas leur eft-elle fermée , s'ils font des aair fipxaux fcmblables à ceux que nous voyons péris HSpus les jours ? A fô. Mais quand même cela ferait polfible , leur [pmblage formera-t-il autre chofe qu'un peu* te nombreux d'animaux > de même que les tmmes , les troupeaux & les bêtes féroces , is par la volupté, ne peuvent engendrer que hommes , des troupeaux & des bêtes fé- Si vous dites que les atomes dans leur anem* Ige fe dépouillent de leur fenfibilité propre , fe revêtir de la fenfibilité commune, que:-ii befbin de leur donner une qualité que leur ôtez ? Vue qualité qui leur eft d'ail- i9o LUCRECE Cernimus alituum j vermefque effervere, ter* ram Intempeftivos cum putror cepit ob imbres : Sçire licet gigni pofTe ex non fenfibu' fenfus. Quod fi forte aliquis dicet, duntaxat oriri PofTe ex non-fenfu fenfus, mutabilitate Antè aliquâ , tanquam partum , quàm proditur extra : Huic fatis illud erît planum facerc, atque probare, Nonfieri partum , nid confilio ante coacto : Nec commutari quidquam fine conciliatu Primorum, ut nequeunt uilius corporis etfe Senfus ante ipfam gcnitam naturam animantis. Nimirum quia materies disjeâa tenetur Aère , fluminibus, terris, flammâque creatis : Nec congrefTa modo vitales convenienti Contulit inter fe motus, quibus omnituentes Accenfi fenfus animantem quamque tuentur. Praeterea quamvis animantem gfandior ictus j Quàm patitur natura, repente adfligit, & omnes Corporis, atque animi pergit confundere fenfus. Diflblvuntur enini pofîturae principiorum j Et penitùs motus vitales impediuntur j Donec materies omnes concuiTa per artus I v» L IVRE I I. i9% leurs inutile î Car en voyant les œufs des oiTeaux fc changer en volatiles, & la putréfaction . donner la vie à un peuple de vermificaux, pou* feons-nous douter que les êtres fenfibies ne foicnt rJbraés d'atomes non-fenfibles} -0 Si vous prétendez que le fenfible résulte du Bon-fenfible par un changement qui fe fait, jpomme dans la naîu'ance de l'animal, avant qu'il ic produite au - dehors : il fuifira de prouver •qu'il n'y a aucune naiûance, finon poftérieure a une formation, & qu'il ne fe fait point de changement faut' une aflociation antérieure ; r,*nfoTtc qu'il n'y a aucun fens avant la formal~#o% âc l'animal. Car avant cette formation les iémens font épais dans l'air, les eaux, la terre & flamme. Ils ne fe font point rencontrés, unis, oqués de la manière qui convient pour ailu* er ces gardiens éclairés de tout être vivant* ^ Suppofez en effet une attaque trop violente la constitution de l'animal, le voilà ter* tout-à-coup, & les facultés de fon ame 8C (on corps à la fois confondues. Que s'enfuit* ? Les élément fe déplacent ; les mouvement itiels à la vie font fufpendus ; jufqu'à ce que matière ébranlée dans tous les membres romps *9* LUCRECE Vitales animae nodos è corpore folvit, Difperfamque foras per caulas ejicit omnes. Nam quid prxterea facere ictum pofîè reamur Oblatum, niû* difcutere, ac ditfblvere quoique Y Fit quoque, uti folearit minus oblato acriter j ictu \ Reliquias motûs vitalis vincere faepe , 1 Vincere, & ingcntes plagx fedare tumultus, Inque fuos quidquid rurfus revocare meatus, Et quall jam lethi dominantem in corpore raotum Difcutere, ac penè ami£fos accendere fenfus. Nam , quare potiùs lethi jam limine ab ipfo Ad vitam pofHnt conleétâ mente reverti, Quàm quo decurfum prope jamfiet,ire, & abirç } Prseterea, quoniam dolor eft, ubi raateriaï Corpora vi quâdam pcr vifcera viva , per artus Soliicitata fuis trepidantyin fedibus intiis ; Inque locum quando remigrant, fit blanda voluptas : Scire licet, nullo primordia pofle dolore Tentari 5 nullamque voluptatem capere ex fe : Quandoquidem non funt ex ullis principiorum Corporibus , quorum motus novitate laborent : Aut aliquem fru&um capiant dulcedinis almae. Haud igitur debent elfe ullo pradita fenfa. Déni que , I IF RE I I. 195 les liens de l'amc, 9c la chafic du corps par toutes ^ les itfucs. Voilà le fcul effet que produit un pareil choc. U Secoue, il décoœpofc la machine, & ne fait rien de plus. Quand l'attaque eft moins violente, le mouvement de la vie triomphe quelquefois de cet afTaut, en calmant le défbrdre excité pat le choc, en rappellant chaque molécule dans fes conduits naturel», en fubjuguant les mouvemens deftrlicteurs déjà maîtres de la machine , en rallumant ainû" leflambeauprefqu éreint du fentimcnt. Car - c'eft-là tout le méchanifme qui s'opère , & la ..feule raifon pour laquelle lame revient des port tes du trépas au fejour de la vie, au lieu de céder à, l'impulûoa fatale qui l'entraînait. r 1*. • D'ailleurs, comme nous n'éprouvons la douleur , que quand les principes de nos corps, trou[blés par une force étrangère, fe meuvent en dé>rdre dans les vifeeres, & dans les membres 3 Se volupté, que quand ils rentrent dans leurs iftes 3 il s'enfuit que les atomes neTentent n^ douleur, ni le plaifîr, n'étant point compofés parties dont le déplacement puiffe , ou lés rmenter, ou les flatter agréablement : ils ne donc pas doués de fentimene. A1 $f Tome / . vç4 LUCRECE Denique, uti pofllnt fentire animalia quasqutf y J'rincipiis fi etiam eft fenfus tribuendus eorura : Quid : genus humanum propritim de quibu fac« tum eft, . • Scilicct & rifu tremulo concufTa cachinnant, St lacrymis fpargunt rorantibus ora, genafque,' Mukaque de rerum mifturâ dicere callent j Et fibi proporro quse fint primordia quaerunt : Quandoquidem totis mortalibus adfimulata, Ipfa quoque ex aliis debent conftare eletnentis ; Inde alia ex aliis, nufquam confiftere ut aufîs. Quippe fequar, quodeunque loqui, ridereque dices, Et fapere , ex aliis eadem hase facientibus, ut fit. Q u o d fi deliia haec, furiofaque cernimus efTe , Et ridere poteft ex non ridentibu' factus, Et fapere , & doctis rationem reddere di&is, N o n ex feminibus fapientibus, atque difertis : Q u i minus eue queant e a , quae fentire videmus f feminibus permifta carentibus undique fenfu } |jj v jj \* rj i j |] jj rç j ^ .1 $ H < $ h Denique cœlefti fumus omnes femine oriundi ? g Omnibus ille i.dem pater eft, unde, aima liquentes I Humorum guttas mater cùm terra recepit, ii Fœta parit nitidas fruges , arbuftaque lasta , j J.% genus humanum 5 parit omnia fascla ferarum i Pabula cilm prxbet, quibus omnes corpora*pafr " çunt ? ! L IV R E I I. ^5 En un mot, fi les animaux pour feu tir ortr befoin d'élémens fenfibles , il faudra donc que les atomes conititutifs de l'homme rient & pleurent , qu'ils méditent les grands objets de la phiJofophie, & qu'ils analyfent les élémens dogt ils (ont compofés eux-mêmes. Car enfin puisqu'ils font en tout femblables à l'homme , ils doirent comme lui réfulter de principes divers, formés eux-mêmes d'autres élémens, fans que TOUS ofîez jamais vous arrêter. Car je ne me lafierai point > & toutes les fois que vous me citerez un être capable de rire , de parler & de raifonner , il faudra que fes atomes aient ks mêmes facultés : mais fi une pareille prétention cft évidemment le comble de la folie 5 fi l'on peut rire fans principes rians j fi l'on peut raifonner (agement, & s'exprimer iloquemmeflt >4; fans atomes pmlofopaes & orateurs, pourquoi les êtres fenfibles ne pourraient-ils pas de même ré* fiiktx d'atomes entièrement dénueVdc (èaiîbilko» \ En un mot nous (ommes tous ensaas de l'air. L'air eft notre père commun. La terre notre mère commune : fécondée parles gouttes liquides qu'elle reçoit d'en haut, elk produit à la fois Icsarbrif£easx, les moifibos, les hommes & tous les aai, t^maox, puifque c'eft elle qui leur fournit à tous V ksakmen*, à t'aide defquels ils nourri&nt lcu/i î* r^ LUCRECE Et dulcem ducunt vitam, prolemque propagantf Quapropter merito maternum nomen adepta eft» Cedit item rétro , de terra quod fuit antè, i n terras > & quod miffum eft ex aetheris oris, Id rurfum cœli rellatum templa reccptant : Neve putes alterna minus refidere potefTe Corpora prima," quod in fummis fiuitare videmus Rébus, & interdum nafci, fubitôque perire. Nec /le interimit mors res, ut materiaï Corpora confîciat, fed coetum difîupat ollis : Inde aliis aliud conjungit, & emeit, omnes Res ut convenant formas , mutentque colores,' Et capiant fenfus, & punctb tempore reddanu Ut nofeas referre, eadem primordia rerum Cum quibus, & quali poflturâ contineantur, Et quos inter fe dent motus, accipiantque. Namque eadem ccelum, mare, terras, flumina ; folem Significant j eadem fruges, arbufta, animantes $ Quin etiamrefert noftns in verfîbus îplîs, Cum quibus 3 & quali fïnt*>rdine quasque locata ; Si non omnia fint, at muko maxima pars eft Condmilis : veriim poflturâ diferepitant hase. Sic ipfîs in rébus item jam materiaï Intcrvaha, viac, connexus, pondéra, plaças, CCDC:;.UIS, motus, ordo, pofitura, figura* Cdm permutantur â mutarj res quoquç debenj. j I f [ '_, l j. *w: tir0 RE IL itf $ ••Fps, jouiflentdc la vie, & la partagent avec une génération nombreufc. C'eft pour cela que nous lui avons donné avec raifon le nom de were. Les corps fortis de fon fein y rentrent une féconde fois, 5c la matière defeendue de l'air eft reçue 4e nouveau dans les plaines éthérées. Si les atomes fe détachent fans cefle de la furface des . corps > s'ils vous paraiûent naître & mourir à chaque inftant, ne doutez pas pour cela de leur éternité. La mort en détruifant les corps ne touche point aux élémens. Son pouvoir fe borne à rompre les tiflus, à former de nouveaux affem? blages, à changer les formes & les couleurs, v à donner ou à reprendre à fon gré le fentiment. D'oii vous devez concevoir combien il eft effeniiel d'avoir égard au mélange , à l'ar•' rangement & aux mouvemens réciproques des atomes \ puifque les mêmes élémens dont réfultent le ciel, la mer, la terre, les fleuves & le foleil, concourent auffi à former les grains Se les animaux. Ainû dans ces vers , l'ordre & la combinaifon des lettres font enentiels , parce que les.mots compofés en partie des mêmes élémens, ne différent que par l'arrangement. Il en, eft de même des corps de la nature. Changez lesdiftances, les directions, les liens, lespefantears, les chocs, les rencontres», l'ordre, l'arrangement & la figure des atomes, vous aurez des rélultats difrerens. Iiij i^S £ U CR B C E Nimc aniraum nobis adhibc vcram ad rationem Nam tibi vehementer nova res molitur ad au-res Accidere, & nova fe fpecies oftendere rerum. Scd neque tam facilis res ulla eft, quin ca primiim Difficilis magis ad credendum conftet : itemque Nil adeô magnum, nec tam mirabile quidquam Principio , quod non minuant mirarier omnes Paulatim j ut cœli clarum purumque colorem , Quemque in fe cohibent palantia lîdera paflîm 9 Lunxque, &: folis prxclarâ lucc nitorem : Omnia qua? fi ntinc primiim mortalibus adfînt , Ex improvifo ccu fint objecta repente j Quid magis his rébus porerac mirabile dici, Au: minusantè quod auderencfore credere gentes \ Nil, ut opinor 5 ita base fpecies miranda fuiffet j Ci;m tibi jam nemo fefTus fatiate videndi Sufpicere in cœli dignatur lucida templa. Ikfîne quapropter. novitate, exterritus ipsâ r Exfpuere ex animo rationem : fed magis acri Judicio perpende . &, fi tibi vera videtiir, Dede manus : aut, fi falfa eft, accingere contra. Quaerit enim ratione animus, ciim fumma loci fit Infinita foris, hsec extra mœnia mundi 5 Quid fit ibi porro, quo profpiccre ufque velit mens.» Atque animi jaftus liber quô pervoret ipfe. Principio, nobis in cun&as undique partes , •TJT" tïVKÊ î t. iM , îâaiottpgat, 6 Memmins, prêtez l'oreille k * la voix dç la pfcilofophie $ elle brûle de vous faire entendre des vérifiés inconnues, & d'expofer à Vos jeux un nouvel ordre de chofes. Néanmoins comme il n'y a pas d'opinion fi firople qui ne foie difficile à adopter au premier abord, il n'y '•* pas non plus d'objets fi admirables qui ne ceffent avec le tems de nous furprendre. Si l'azur des cieax Se les brillans flambeaux de la nuit, la lune 8c le dtfque pompeux du foleil préfentés aux humains pour la première fois, étonnaient leurs regards par une apparition fou>i .daine , que pourrait offrir la nature de corri> : |>arable à ce fpecracle ? Et quelle nation eût ofé -le croire poflible ? Cependant de ces merveilles .^Hous en fommes raffafiés : à peine daignons<; nous jetter un coup d'œil fut la voûte brillante i s des cieux. Ainfî, Memmius, la nouveauté de* objets que je vous offre, au lieu de vous rebuter, doit réveiller votre attention, afin de pefer me§ idées, de les embraffer G. elles font vraies, & de vous armer contr'elles 11 elles font fauffes. .J'examine ce qu'il y a au-delà des limites de mtre monde , éaos ces immenies régions od ! J'cfprit libre d'entraves aime à s'égarer fur les ailes de l'imagination. •v ' > Je l'ai déjà dit 5 ce grand tout eft infini* À Iir 2OQ LUCRECE Et latere. ex utroque, infrà , fuperàque, pcr orrrae Nulla eft finis, uti docui, res ipfaque perfc Yociferatur, & elucct natura profundL Nullo jam pa&o verifîmile efle putandum eft, Undique cùm vorsùs fpatium vacet infinitum, Seminaque innumero* numéro , futnmaque profundâ Multimodis v éditent aeterno percita motir, Huncunumterrarura orbem, cœlumque creatum y Nil agere illa fpris tôt corpora materiaï, Citm pracfertim hic fit naturâ fac"tus-,& ipfa. Sponte fuâ forte offenfando femina rerum tylultimodis , temere , incaiTum , fruftraqoc coa&a, . Tandem colârint ea, quae conjecta repente Magnarum rerumfièrentexordia fempcr, Terrai, maris y & cœii, generifque animantum. Quare etiam atque etiam taies fateare necefTe eft Elfe alios alibi contenus materiaï, Qualis hic eft, avido compkxu quem tenet asther. Praeterea, cùm materies eft multa parata, Ciim locus eft prxftô 3 nec res, nec caufa mora*-; i tur "Ulla y geni debcnt nimirum, & confîeri res. Nunc & feminibus fi tanta eft copia, quantam £numerar« astas animantum non queat omnis-£ LirRE IL loi , Croire , à gauche, (ur votre tête, fous vos pic Js , i>il n'y a point de limices. Ainli l'acteftent, &. la voix de l'évidence, & la nacure même de l'infini. Si donc un cfpace fans bornes s'ecend en tout Cens , û des germes innombrables , mus de toute éternité, nagent fous mille formes dans ces plaines immeufes , eft-il probable qu'il n'y «it eu que notre globe & notre firmament de ^eréés, & qu'unfigrand nombre d'atomes refrène tfàififs dans les efpaces ultérieurs , fur - tout fi ! vous confidérez que notre monde eft l'ouvrage , de la nature, que les principes des corps, pat jlcur feule tendance naturelle, fans d'autre guide 4<jue le bafard , après mille mouvemens & mille '^chocs inuules, fe font enfin réunis, & ont conférait les maûes particulières auxquelles ta mer, la terre, le ciel & les animaux doivent leur origine ? vous êtes donc forcé de convenir qu'il a dû fe former ailleurs, d'autres aggrégats femblablés à celui que l'air embraiTe dans fon enceinte itxunenfe» K ITailleurs , toutes les fois qu'il y 2 de la [fliatiere en abondance, un efpace pour la re~ :voir, nul obftacle pour arrêter fon mouve~ :nt, il doit néceilairement fe former des :s : & fi avec cela le nombre des élémens eft que cous les âges des animaux ne paillent * loi LUCRECE Vifque eadem, &naturamanet, quae feminâ rt^ rum Conjicere in loca quaeque qucat, fimili ratione, Atque hue fint conjecta : necefTe eft confîtearc Efle alios aliis rerrarum in partibus orbes , Et varias hominum gentes , & faecla ferarumJ Hue aceedit, ut in fummâ res nulla fît una ^ Unica quae gignatur, & unica , folaque crefeat : Quin cujufque fient faecli, permultaque eodem Sint génère : imprirais animalibus injice mentem $ Invenies fie montivagum genus efTe ferarum , Sic hominum genitam prolem, fie denique mutas Squammigerûm pecudes, & corpora cuncla volantum. Quapropter cœlum fimili ratione fatendura eft , Tcrramque , & folem, lunam, mare, estera , quae funt, Non efo unica, Ccâ numéro magis innumcrali $ Quandoquidem vita? depaclus terminus altè Tarn manet his, &. tam nativo hxc corpore conftant , Quàm genus omne, quod his generatim rébus abundat. Multaque poft mundi tempus génitale, diemque Primigenum maris, & terra?, folifque coortum, Addira corpora funt extrinfecùs : addita circùm Semina , qure "magnum jaeulando contulit omne ; w Ll Y R E IL i6f Bflfee Hes compter; s'ils ont pour fe réunir ailleurs 4es mêmes facultés & la même nature que les atomes de notre monde , vous êtes obligé d'avouer que les autres régions de l'efpace ont ftnffi leurs mondes , leurs hommes & leurs animaux divers. Ajoutez qu'il n'y a point dans la nature d'in-* «ttvkkt uniq le de fon e(pece, qui naifTe & croiûe ifolé, & qui ne faue partie d'une clatTe nombreux fç : c'eft ce que vous remarquez dans les animaux, ksférocesbabitans des montagnes & les hommes, lés muets citoyens'de l'onde & les volacilles. La même raHbn doit nous perfuader que lé ciel, la lerre, le foleil, la lune, la mer & les autres corps de 4a nature, bien-loin d'être des individus uniques , font infinis en nombre , puifqrc leur duré: &ft limitée , & qu'ils font fournis à la naiflance jflooimé toutes les efpeces'que, nous voyons gênent compo fées d'un grand nombre d'inrWua, En effet après la naifTance du monde', *& k rmatîotf de : la .terré, J3c Krmer & cfo Tôlzil, : grand tout, parTes émiffions*, dépofa un grand IÎ0mbre<fatomes & de fèmsrrces autour de notre >v 204 LUCRECE Unde mare, & terra: pofTent augefcerc ',&C\Uiâe\ Adpar^re fpaiium cœli domus, altaque tec*ta To'lecet a teins proçul, Scconfurgcret ae'r. Nam fua cuique locis ex omnibus omnia plagia Corpora diftnbuuntur, &adiuafaeclarecedunt; : Humor ad humorem , tcrreno corpore terra. Creicit $ &. ignem ignés producunt, sctheraquc azther : Donicum ad extremunv cfcicendi perfica fînem , Ornnia perduxit rerum Narara creatrix : Ut fit, ubi nihilo jam plus eft, quod datur intra : Vitales venas, quàm quod fluit, atque recedit* Omnibus his aetas débet çonfiftere rébus : ; His Natura fuis reirasnat viribus audum» Nam quxcunquc vides hilaro grandefccfc , adauclu,. , Paulatimque gradus astatis (eandere adulta:, Piara fibi adfurount, quàm de fe corpora mitrunt r Dam facile in venas cibus omnis diditur 5 & dum 1 Non ita funt latè difperfa,. ut multa remittant j Et plus difpendi faciant, quàm vefcitur aetas» Nam certè fluere, ac dccedere corpora rébus Malta, manus daridum eu ; fcd plura axcedexç debent, D jnicum olefcendi fummttm tctigére cacumen* Inde minaratim vires y Se robur adulrum îxangit à & in j>atf em pejoEem. liquitur astas. r LJVRE IL iaj <lOMMle>2chQCsde Tes limites. C'eft de-là que l'Océan 9c la terre foiidc tirent leur accroiffamenu C'eftdc-là quele ciel emprunte kt matière dont il entretient les palais fi élevés aa-deffus de notre globe. C'eft enfin de-là que l'air fe renouvelle fans cefle. De tous les points de l'elpace, ces recrues d atomes font diftribùécs par le choc aux fubftances analogues à leur nature, L'eatiie joint à l'eau, la ' terre à la terre, le feu au feu, Fair à l'air ; jufqu'à ce que la Nature,cette ouvrière univer&lle, ait comduit tous les êtres à leurs derniers périodes ; ce qui arrive quand les reftitutioos font proportionnées aux pertes. Alors la vie refteun moment en équilibre^ la Nature met un frein à fes accroifielncns* ï n effet les* corps <$ae vous voyez par d'heureux progrès s'élever lentement à l'état de maturité, ac• quierent plus qu'ils ne dùtipent^. parce qu'alors, *; . toute la fubftance des alimens circule avec raci>ilité dans les veines, parce que les porcs pea- ' • ouverts, ne laideur échapper qu'un petit nombre y de parties, & empêchent la machine de dépenfér plus qu'elle ne reçoit- II* faut convenir que nos. corps font des pertes confidérables^ mais ils les réparent avecu(ure ,' jufqu'air terme de leur accrois : lêment. Alors les forces fe perdent infenfîblemcat, • la ligueur s'épuifc> êc l'animal va. toujours en déW X ilinauu Ces émanations, font d'autant plus abon- y• io£ LUCRECE Quippc etcnim quantô eftres amplior, augmîne dempto, Et quô latior eft, in cun&as undiquc partes > PJuria eo difpergit, & à fe corpora mittit : Nec facile in venas cibus omnis diditur eii ; Nec fatis eft, pro quàm largos exaeftuat xftus i Undc queat tantiim fuboriri, ac fuppeditare , Quantum opus eft, & quod fatis eft, Natura novare. Jure igitur percunt, euro rarefacta fiuendo Sunt ; & ciim externis fuccumbunt omnia plagis : Quandoquidem grandi cibus a:vo denique défit 5 Nec tuditantia rem cédant extrinfecds ullam Corpora confîcere , &. plagis infefta domare. Sic igitur magni quoque circùm mœnia mundi Expugnata dabunt labem , putrefque ruinas. Omnia débet enim cibus integrare novando , Et fulcire cibis, ac omnia fuftentare. Nequicquam , quoniam nec venat perpetiuntur Quod fatis eft, neque, quantum opus eft Natura miniftrat ; Jamque adeô affe&a eft aetas, effœtaque tellus Yix animalia parva créât, qux cuncla créa-* vit L I r R E IL 107 Nantes, que le» coq» ont plus de mafle & d'é'tendue. Les (ûcs nourriciers ne circulent plus qu'avec perno le en petite quantité..La Nature fcppauYiïe ne fuffit pas à réparer les flots de matière qui s'écoulent fans cerTe du corps de l'aniteal. Il faut donc alors que la machine périffè , étant moins denfe à caufe de Tes émanations, •9c plus faible contre les attaques extérieures. Car dans ra vieillerie la nourriture vient enfin à lui manquer ; &dans cet état d'affaifTement, •' les objets du dehors ne ce/Tçnt de la tourmenter, & de la fatiguer par leurs chocs définieleurs. Ainfî les voûtes de notre monde , aflaillies de ..tous côtés, tomberont elles-mêmes en ruines, & ^deviendront la proie de la corruption : car tous les | corps ont befbin d'être réparés & renouvelles par |[des alimens, des fucs nourriciers, qui foutiennent 'édifice entier de la machine. Mais ce méchanif1e ne peut durer éternellement' : parce que d'un té les conduits par où fe filtrent les alimens font pas toujours en état d'en recevoir autant [qu'il en faudrait, & que de l'autre la Nature fe lafTe de fournir fans ccfTc aux réparations, [élas ! ce tems n'cft-il pas déjà venu > Ne royons-nous pas les rides de la vieillefle déjà pavées fur ce vafte corps ? La terre épuifée n'en- *oS Sxchi , LUCRECE dcdicque ferarum ingentia coipora partu. H a u d , ut opinor , enim mortalia faccla fupernè Aurea de cœlo dernifît funis in arva ; Nec mare , nec fluctus plangentes fara crcârunt: Sed genuit tellus eadem , qux nunc alit ex fe» Praeterea nitidas fruges, vinetaque beta Sponte fuâ primùm mortalibus ipfa creavit ; Ipfa dédit dulces fœtus, & pabula laeta : Qux nunc vix noftre grandefcunt aucla labore 'y Conterimufque boves , & rires agricolarura Confîcimus, ferrum vix arvis fuppeditatur : Ufque adeo pereunt fœtus, augentque labarcs. Jamque caput qualîans grandis fufpirat arator Crebriùs incaiTum magnum cecidilTe iaborem t Et cùm tcmpora temporibus praefentia confert Praecerkis, laudat fbrtunas faepè parentis 5 Et crepat y antiquum genus ut £ieta:e rcpletum Perfacilè anguftis toîerârit finibus asvurrr, Cùm minor eiTet agri multo msdus antè virtr tim : Nec tenet, omnia paulatim tabe(cere, & i r e . Ad fcopulum fpauo xtatis defefla vetuilcv 1 I F R E I L f >»' zo* fante pins qu'arec peine de chétifc animaux, elle donc le fein fécond créa jadis toutes les cfpeces virantes, fc conftruifit lesflancsrobustes des bêtes féroces. Car je ne croirai pas qu'une chaîne d'or ait defcendu les animaux du ciel dans nos plaines, ni qu'Us aient é t£ produits par lesflotsqui fç brifent contre les rochers. \A. même terre qui les nourrit aujourd'hui, leur donna la nauTancc autrefois. C'cft elle qui créa pour les mortels, & qui leur offrit d'elle-même les humi» des pâturages, les moiflbns jauniflantes & les rians vignobles. A peine accordç-t elle aujour- • d'fcui ces mêmes productions aux efforts de nos bras, te taureau maigrit fous le joug, le cultivateur s'épuife à la charrue, les mines produifent à peine aûez de fer pour déchirer le fol 5 & la récolte va toujours çn diminuant comme la fatigue en augmentant. ]U vieux Laboureur fecouant fa t£tc chauve, raconte çn (bupirant combien de fois fes pénibles travaux ont été fruftrés $ il compare le teins pallié avec le préfent ; il envie le fort de fes pères. Il parle (ans cetfe de ces fiecles fortunés, ou l'homme plein de refped pour les Dieux vivait plus heureux ayee moins de terres, & re* cueillait des moiûpns abondantes de fon modique héritage. ^11 ne voit pas que tous les corps vont en dépéri/Tant, & que le tems cft l'écueil fatal où tous les êtres font naufrage. iio LUCRECE Quae bcne cognita ffteneas, Natura videtiu Libéra continua , dominis privata fuperbis, Ipfa fuâ per fe fponte omnia Diis agere expers. Nam, proli fan&a Deûm tranquillâ pc&ora pace, Quae placidum degunt a?vum, vitamque fercnam! Quis regere immenfi fummam, quis haberc profundi Endo manu validas potis eft moderanter haber cas? Quis pariter cœlos omnes convertcre 5 le omnes Ignibus ascheriis terras fuffire feraces ? Omnibus inque locis efle omni tempore praefto ? Nubibus ut teuebras faciat, cœlique ferena Çoneutiat fonitu ? tum fulmina mittat, & xdes Saepe fuas difturbet, & in deferta recedens Saeviat exercens telum, quod faepe nocentes pratterit, exanimatque indignos, jnque mereates? Finis Libri Stcundi, «H» ••*•;• LIVRE IL m **Si ces vérités font bien grayées dans votre gfprit, la Nature devient libre, elle fecoue le ioug de Ces maîtres fuperbcs, & gouverne ellemême Ton empire fans en répondre aux Dieux* Stands Dieux, âmes auguftes, dont la paix effc «n calme éternel î Qui d'entre vous donne des oix à l'univers, & tient dans Tes mains les rênes if grand tout î Qui d'entre vous fait rouler à la tus tous les cieux, fait éprouver à la terre les nfluences des aftres, & fuffit en tout tems à tous «s befbins particuliers ? Qui d'entre vous fuf>end les nuages ténébreux, fait gronder le tontine, & lance la foudre, cetteflammeaveugle «pi fouvent confume vos propres temples, exerce finement fa fureur dans les déferts, de pa/Te à Jfj/té des coupables pour aller frapper une tête peente ? r Fin du Livre Second, ! $ $ * m •' 1 . ' '• i S U J E T D U TROISIEME LIVRE. C E Livre ejî employé tgut entier] à traiter de Vame humaine. C'était] Vobjet effentiel de la philofophie d'Épicure. C'ejl aujfi celui vers lequel Lucrèce paraît avoir réuni tous fes efforts. .Après une efpece d'invocation à Èpicure, comme au génie de la philofophie, dont le fecours lui efi particulièrement né* cejfaire dans cette partie de fort Poème y ilfaitfentir Vimportance du fujet qu'il va traiter, en ce que V ignorance où font les hommes fur 2 1 3 la Nature de leur ame, leur infpire cette crainte de la mort qu'il regarde cqmmç, V'uniquefource de tous Içs maux & de tous les crimes. Il pitre cnfuite en matière, & s'efforce de prouver ; i°. que Pâme ejl une À' * partie réelle de nous-mêmes, & non pas une affecfxon générale de la ma* Içhine, une harmonie, comme Vont fyoulu quelques Philofophcs ; i°.que ^Tame ne forme qu'une mêmefubf%ancc conjointement avec Pefprit yQui réfde au centre de la poitrine 3 ndis que Famé ejl répandue dans tout le corps ; 3 0 . qu'ils font l'un Ç? l'autre corporels, quoique forés des atomes les plus fubtils de Nature ;4°. que bien loin d'être % 214 (impies, ils réfultent au contrair€ de quatre principes, le foufïle, l'air, la chaleur, & un quatrième ( qui paraît ri*être autre chofe que les efprits animaux ) auquel le Poète ne donne pas de nom, & qu'il re-> garde comme Vame de notre ame } «5°. que ces quatre principes font mélangés & combinés , fans pou- voir jamais agir À part , ri étant pour ainfi dire, que différentes propriétés d'une mêmefubjlanct > mais qriils peuvent dominer plus ou moins, & que deAà naît la diffé- rence des caractères ; 6*. que Vame & le corpsfont tellement unis, qriils nepeuventfubfjlerVunfans Vautre ; mais qu'il ne faut pas croire pour* à an timt, comw Pa'prétendu Démocrv fc9 qu'à chaque élément du corps ri* ponde un élément de l'amc. Après fous ces détails, il vient àfon but, & tâche de prouver que Vante naît % meurt en même tems que le corps, flogme impie qu'il établitfur trente preuves, D'oùilconcludquelamort \nyejl pas à craindre , Ç? que les gommes ont tort de fe défefpértf l$'un état qui les rend ce qu'il* jetaient avant que de naîtrç* I • : • & • * & I s tfr- • ['.' .''> T ITÏ LUCRETII CAR DE R E R U M LIBER E N A T U R A. TERTIUS. tantistamclarumextollere lumca* Q u i primus potuifti, ilîuftrans commoda vitae ,,,' Te fequor, ô Graix gentis decus 5 inque tuis nuru$ ïixa pedum pono preflis veftigia fîgnis, Non ita certandi cupidus, quàm proptei amorem, -,. Quôd te imitari aveo. Quidenim contendat hi- :i rundo Cycnis ? aut quidnam tremulis facere artubus hîedi ? Confîmile in curfu poflînt, ac fortis equi vis ? Tu pater , & rerum inventor , tu patria nobis Suppeditas prascepta, tuifque ex, inclure, chartis,. ïloriferis ut apes in faltibus ornnia libant, Omnia nos itidem depafeimur aurea di&a, Aurea, perpétua femper dignilîïma yitâ. TENEBRIS Nam M *• i '•-< * £ ' • • ' ' V A •r , • . . .** >«", KL'. •V; V-'* f •t Ai : '• > .1 :m t-^ctC-^^r «W '•fkyv -/y M'C\ = ^ i Jl.ùiuvdo: TW<£ -. >*' inv ; ' Bimt -. Ttiw.ro d u l i i t a W . ' e t :nttUgiùibeife OLTJ ^WM *mm*m*m IVCRE CE, D E L A UTURE DES CHOSES. ^ T " ^ — m i • m TROISIEME. T o i -, l'ornement de la Grèce , qui le lier portas h lumière au milieu des ténèbres* yax éclairer l'homme fur fes vrais intérêts, j£ s tes pas, ' fofe marcher fur tes traces 5 mais ton difciple, & non pas comme ton rival, k' jamais l'hirondelle défier le cygne , 8C OTèau tremblant s'élancer dans la carrière le cottrfrer vigoureux î ô mon père ! o lié créateur'"f quelles fages leçohs tu donnes à enfans ! l'abeille ne cueille pas plus de miel le?fleurs, que nous ne puifons de vérités ; dans tes divins écrits 3 dignes d'être v armais; *i8 -LUCRE CE Nam fimul ac ratio tua cœpit vocifcrari,' Naturam rerum haud divinâ mente coortam , DifFugiunt animi terrores 5 mœnia mundi Difcedunt 3 totum video per inane geri ress . ,,. v Apparet Divûm numen fedefque quieta», Quas neque concutiunt venti, neque nubila nim* i bis Adfpergunt, neque nix acri concreta pruinâ | Cana cadens violât, femperque innubilus xûvtt $ Integit, & large difFufo lumine ridet. \j Omnia fuppeditat porro Natura, neque ulla Res animi pacem delibrat tempore in ullo : At contra nufquam apparent Acherufia tenv» pla$ Nec tellus obftat , quin omnia difpiciantur , Snb pedibus quaecunque infrà per inane gerun* tur. His tibi me rébus quajdam divina voluptas Percipit atque horror, quôd fie Natura, tu* vi, Tam manifefta patet ex omni parte rete&a. Et quoniam docui , cundtarum exordia re-», &rum Qualia fint 3 & quàm yariis diftantia formis , Sponte fuâ volitent alterno percha motu ; , Quoque modo poflint ex his res quaeque creari ;, 1 t**t LIVRE III. ii* Du fein de la fageffc, tu nous* cries que l'univers n'eft point l'ouvrage des Dieux 5 aufti-tôt les terreurs tlç la fuperilmon sevanouiffent: 5 les bornes du monde difparaiûent $ je vois l'univers ic former au milieu du vuide ; je veh la cour des Dieux, dans ces tranquilles demeures qui ne font jamais ébranlées par les vents, ni troublées par les orages , que refpe&ent les floçcons de la neige condenfés par le froid piquant, qu'échauffe fans celle un air pur, &- auxquelles fourit Je brillant Dieu du jour. C'eft à ces intelligences -céieftes que la Nature prodigue tous fes biens. Rien ne peut en aucun tems altérer la paix de leurs amesi £ Us ne voient point le noir féjour de l'Achéron » & la terre ne les empêche point de contempler fous leurs pieds ,les feenes diverfes qui fc paffent dans le vuide. Ces grands objets m'infpinent une volupté divine, & j'éprouve un faine frémiftement, en considérant par quel heureux effort tu as fçu déchirer le Yoiic dont fe couvrait la Nature. Jufqu'ici , Memmius , nous avons examiné U les qualités des atomes, leurs différentes figu•f, tes, les mouvemens réciproques dont ils font i» fins ceflê agités, & auxquels tous les êtres doil vcncrJeur exiftenec. La fuite de ce poème jettera Kij EL *zo Z U C RE CE Hafcc fecundùm res animi natura videtur 1 Atque animae claranda meis jam verfibus efTe 5 Jit metus ille foras prseceps Acheruntis agendus Funditds , humanam qui vit&m turbat ab imo, Omnia fuffimdens mortis nigrore, neque ullarn, IS/Te voluptatem liquidam puramque relinquit, Nam, quôd faepc homines mdrbos magis efïc timendos JnFamemque ferunt vitam, quàm Tartara lethi 3 £t fe fcire animi naturam , fanguinis cfTe 5 Ncc piorfum quidquam noftra? ratjonis egere : Hinc licet advertas animum, magis omnia laudis^ Aut etiam venti, fi fcrt ita forte voluntas , Ja&ari causa, quàm quod rcs ipfa probetur. Çxtorres iidem patriâ, Iongèque fugati Confpeâu ex hominum, fœdati criminç turpi ^ Omnibus aerumnis afFe&i denique, vivunt: £ t ? quôcunque tamen miferi vçnêre, parent tant 5 Et nigras mâchant pecudes 5 & Manibu* divis Inferias mittunt 5 multôque in rébus acerbis Acfiiis advertunt animos ad Relligionem. Quo magis in dubijs hominem fpe&are péridis Convertit , adverfifque in rébus nofcere qui fît, ï^ara verç YOçCS tum demum pe&orç ab imQ n^ tï f*R£ iïl- m queîdoe jour fur la nature de l'efprit & de l'ame * & portera les derniers coups aux fantômes de fAchéron, à ces fombfes chimères qui empoisonnent le bonheur dans fa fource, qui donnent à toutes nos idées la teinte lugubre de la mon * & qui,ne nous laiflent jouir d'aucune volupté pure* Vous trouverez fans doute des hommes qui '" vous diront que la douleur & l'infamie font plus _ à craindre que les abymcs de la mort, qu'ils n'ignorent pas que l'ame eft de la nature mémo ;. du iâng, & qu'ils n'ont pas befoin des leçons ï de notre philofophie. Mais voulez-vous être .» convaincu que c'cft le deux de la gloire, ou plutôt d'une vaine fumée, & non pas la perfuafion, qui leur diète ces difcours ? Confidércz ces mêmes hommes bannis de leur patrie, prof| crits de la fociété, flétris par des accufations infamantes , en proie aux peines les plus ame» tes y ils vivent pourtant $& en quelque lieu [u'ils traînent leurs malheurs, ils y célèbrent des funérailles, ils égorgent des brebis noires, ils Xacrifient aux Mânes, & l'advcrfité réveille encore plus vivement dans leurs efprits toutes les ridées religieufes. Ce font donc les dangers qui filous apprennent à juger les hommes. La fecouffe •y èa malheur chafle la vérité de leur ame, fak Kiij ! m LUCRECE Ejiciunturj & eripitur perfona, manet res. Denique avarities, & honorum œcacupido, <r Quae miferos homines cogunt tranfcendere fines « Juris, & interdum focios fcelerum atque mi- -j niftros, No&es acque dies niti praHtante labore Ad fummas emergere opes : haec volnera vita? Non minimam partem mortis formidine-aluntur, il Turpis enim fama & contemptus & acris egef- j5 tas, Semota ab dulci vitâ ftabilique videntur ; Er quafî jam lethi portas cunctarier antc : Unde homines, dum fe , falfo terrore coacti, •* Réfugiée volunt longe, longèque recêfle, p Sanguine civili rem confiant 5 divitiafque j Conduplicant avidi, caed'em cxài accumulantes 5 $ Crudeles gaudent in trifti funere fratris 5 £t confaMguineûm menlas odcre timentquc. Cenfimili ratione ab eodem faepe timoré Macérât invidia : ante oculos illum efTe potentem , Illum afpectari , claroque incedere honore ; Ipfi fe in tenebris volvi cœnoque queruntur. Intereunt partimftatuarum& norainis ergo : Et fxpe ufque adeo, mortis formidine, vitx Percipit humanos odium lucifque videndas, i •f^'' t î ? RE IIJ. ix, tomber le mafquc, & montre l'homme à nu. Enfin l'avarice & l'aveugle dcfir des honneurs , ces pallions adirés, qui forcent l'homme à franchir les bornes de l'équité, qui lui font entreprendre ou partager des crimes, qui l'affujettiiïent nuit & jour aux plus durs travaux pour s'élever à la fortune ; ces poiforis de la fociécé ; c'eft en grande partie la crainte de la mort qui les verfe dans nos âmes. L'ignominie, le mépris & l'indigence paraiiTent incompatibles avec une vie douce & tranquille. On les regarde Comme le cortège de la mort, C'eft pour fe dérober à ces lugubres avant-coureurs que l'homme en proie à fes fauûes allarmes, cimenre fa fortune du fang de fes concitoyens, accumule des tréfors en accumulant des crimes, fuit avec joie les funérailles de fon frère, & redoute les fcftiûs dç fes parens. Ceft la même crainte de la mort qui ronge le cœur de l'envieux. Elle lui répète que les diftinâions & la puiflance font pour les grands de la terre, & pour lui la fange & l'aviliffemcnt 5 une partie de ces malheureux s'immolent au defir d'un vain nom & d'une ftarue. La crainte de la mon infpire à d'autres un tel dégoût pour la vie , que fouvent le défefpoir les Kiv .* *- 224 LUCRECE Ut fîBi confcifcant mœrenti pectore lethum : Obliti fontem curarixm hune efTe timorcm ; Hune rexare pudorem , hune vincula amicitiaï Rumpcre, & in furamâ pietatem evertere fundo : Nam jam faspe homines patriam, carofque parentes Prodiderunt, vitare Acherufia templa petentes» Nam, veluti pueri trépidant, atque omnia caecis In tenebris metuùnt : fie nos , in luce, timemus Interdum, nihiloquae funt metuenda magis, quàm Quae pueri in tenebris pavitant,finguntquefutura. Hune îgiturterrorem animi tenebrafque, neceiTc eft, Non radii Colis neque tucida tela diei Difcutiant, fed nature fpecies ratioque. Primùm animum dico 9 mentem querû farpe vocamus, In quo confilium vitae regimenque locatum eft, Efle hominis partem, nihilà minus ac manus & pes Atque oculi, partes animantis totius extant. Quamvis multa quidem Sapientur» turba putârunt, Senfum animi certâ non e/Te in parte locatumj Yerùm habitum quendam vitalem corporis elfe , 11 r R E m. 225 arme contre eux-mêmes. Hélas ! ils ignoraient que la fourcc de leurs peines était cette crainte même de la mort 5 que c'eft elle qui perfécute . l'innocence, qui brife les liens de l'amitié, & qui foule aux pieds la nature elle - même. En effet n'a-t-on pas vu fouvent des hommes trahir leur patrie, leurs parens, leurs devoirs les plus .faims pour éviter la mon l Les enfans s'effrayent de tout pendant la nuic, & nous-mêmes en plein jour, nous fommes les jouets de terreurs auffi frivoles. Pour bannir ces allarmes j pour diffiper ces ténèbres, il eft befoin non des rayons du foleil, ni de la lumière du jour, mais de l'étude réfléchie de la nature* •', Etabli (Tons d'abord, ô Mcmmius, que l'esprit humain, ce principe de nos actions, auquel ^ nous donnons fouvent le nom & intelligence , j eft une partie de nos corps aulîi réelle que les s mains, les pieds & les yeux. Envain une foule ,'. de Philofophes nous affûte que le fentiment n'a point dans l'homme de fîege particulier, qu'il n'eft qu'une habitude virale du corps, nommée v • par les Grecs Imrmonie , parce qu'elle anime la Kv n6 LUCRECE Jlarmoniam Graii quam dicunt 5 quod faciat nos ViYere cum fenfu, nuliâ ciim in parte fiet mens. Uc bona faspe valetudo cùm dicitur efTe Corporis, & non eft tamen haec pars ulla valentis: Sic animi fenfum non certâ parte reponunt : Magnopere in quo mî diverfi errare videncur. Szpe utique in promptu corpus, quod cernitur, segrit, Cùm tamen ex aliâ lsetamur parte latenti > Et rétro fit, uti contra fit faepe vicirfim , Cùm mifer ex animo, Jaetatur corpore teto : Non alio pa&o, quam fi pes cum dolet aegri, In nullo caput interea fit forte dolore. Prarterea molli fomno cùm dedita membra , EfFufumque jacet fine fenfu corpus onuftum -, Eft aliud tamen in nobis, quod tempore in illo Multimodis agitatur, & omnes accipit in fe Laetitia; motus & curas cordis mânes. Nunc animam quoque ut in membris cogno£cere pofiis EfTe, neque harmoniam corpus retinere folere j Principio fie uti, detracto corpore multo, Saepè tamen nobis in membris vita moretur; Atque eadem rursiis, cùm corpora pauca caloris #• LIVRE III. 227 machine, fans y occuper un lieu déterminé, & que comme la fanté eu une manière d'être, & non pas une partie de nos corps 5 il ne faut pas non plus afCgner à l'ame un fiege particulier. Cette opinion s'écarte infiniment de la Tenté. Car nous voyons fouvent le corps, l'enveloppe extérieure foufFrir , quand le principe intérieur eu fatisfait 5 fouvent au contraire l'ame eft rongée de maux dans un corps fain & vigoureux. Jfinft quelquefois les pieds fentent de la douleur , faus que la tête en reçoive l'atteinte. D'ailleurs, quand nos membres appefantis f~ livrent au fommeil, dans ces momens de calme où le corps eft privé de featiment, il y a eu nous un autre principe qui éprouve à fa place , ou le trefïaillement de la joie, ou le tourment de l'inquiétude. Mais pour vous faire connaître que l'ame refte dans nos membres, lors même que F harmonie eu eft troublée, confîdérez qu'après la pêne d'une partie du corps , le fentiment anime toujours U machine , tandis que quelques particules de chaleur de moins, ou la ample expiration de l'air Kvj à* 11$ LUCRECE DirFugêre, foràfque pcr os eft editus aër,* Dcferit extemplô vcnas, atque o(Ta reiinquit ; Nofcere ut hinc pofïis , non aequas omnia partes Corpora habere, neque ex aequo fuie ire falutem ; Sed magis hjec , venti quae funt calidique vapoiis Semina , curare in membris ut vita moretur. Eft îgitur calor ac ventus vitalis in ipfo Corpore, qui nobis moribundos deferit amis. Quapropter, quoniam eft anïmi natura reperta Atque anima:, quafi pars hominiss redde harmo~ niai No ni en ab organico faltu. delatum Heliconis, Sive aliunde ipfi porro traxêre & in illam Tranftulerunt, proprio qua: tum resnomine egebat : Quidquid id eft, habeant : tu caetera percipe dicta. Nunc ammum atque animant dico conjuncta teneii Iner fe , atque unam naruram confîcere ex fe ; Sed caput efle quafi, & dominari in corpore toto Confilium, quod nos animum mentemqut vocamus ; Idqu. fitum média regione in pectoris ha?ret. Hic exfukat enim payor ac metus : hxc loca circum ijetitice mulcent : hîc ergo mens animufque eft. mr LITRE III. 219 fufit pour châtier la vie de nos organes. D'où vous pouvez conclure que toutes les parties de nos corps n'y jouent pas le même rçle , ne font pas également efTeuticllcs à notre confervatiort ; que la chaleur & l'air font les principaux foutiens de la vie, & les derniers élcracns qui £e • retirent de nos membres mourans. Puifquc vous ne doutez point que Tefprit Se l'amc ne faifent partie de nos corps, rendez aux Grecs leur mot d'harmonie , que le befoin, fans doute, leur a fait emprunter du mélodieux HcT»con, ou de quelqu'autre fourec. Qu'ils le gardent . pour eux, qu'ils s'en repaifTcnt, & , vous, fui-: vcz le fil de mes raifonnemens. Je dis que lefprit & Vame (ont étroitement ; mnis, & forment une même fubflance. Mais le / jugement cft, pour ainfi dire, le chef. C'efl loi - qui commande au corps, fous les noms (Tefprit \ & &intelligence, il habite au centre de la poi~ r irinc. C'efl là qu'on fent palpiter la crainte & la terreur. C'efl là que le plaiûr fait éprouver •• (es doux treflàillemens > c'efl donc là le fîege ? de la fcnfibilité. Lame, fubflance fubaltcrnc, répandue dans tout le rcfle du corps > attend ,L 23o LUCRECE \ Caetera pars animae, per totum difïita corpus, Paret, & ad numen mentis momenque movetur; Idque fibi folum per fe fopit & fibi gaudet, Cùm neque res animam, neque corpus comraovet ulla. i Etquafi, cdm caput aut oculus, tentante dolore,. * Laeditur in nobis 3 non omni concruciamur '\ Corpore : (ic animus nonnunquamtaedituripfe , [| Laetitiâque viget j cùm caetera pars animai ii Per membra arque artus nullâ novitate cietur. Verdm ubi vehementi magis cft commota meta 1 mens, Confentire animam totam per membra videmus : Sudores itaque & pallorem exiftere toto Corpore, & infringi linguara, vocemque aboriri, Caligare oculos y fonere aures , fuccidere artus. Denique concidere ex animi terrore videmus Sarpe homines ; facile ut quivis hinc nofeere poiîît, : Elfe animam cum animo conjunctam , q.uar cùm animi vi l FercufTa eft, exin corpus propellit & icit. J | Hxc eadem ratio naturam animi, atque animai \ Corpoream docet efTe : ubi enim propellere mera- < bra, Corripere ex fomno corpus, mutareque voltum, S Atque hominem totum regere ac verfaie vidstur : -' [ Quorum nil fîeri fine ta&u poffe videmus 5 ^T • L I F R E III. ij» . pour Ce mouvoir le lignai de l'efprit. L'efprit feul a le privilège de s'entretenir avec lui-même , & de jouir de Ton être dans les momens où l'a, me Se le corps n'éprouvent aucune impreflion. £t de même que la tête ou l'œil peut re(Tcnur . une douleur particulière, fans que la machine entière en foit affrétée -y aind l'efprit eft fouvent abattu par le chagrin, ou animé par la joie, fans que l'ame change fa manière d'être - dans nos membres. Mais quand l'efprit eit faid i d'une crainte plus violente, nous voyons auffi-tôt l'ame entière y prendre part, le corps fe couvrir de fueur & de pâleur , la langue bégayer, la voix s'éteindre, la vue fe troubler , les oreilles tinter, les membres s'arfaifler , & fouvent le trépas eft la fuite de ces terreurs iou' daines. Tant e(t intime l'union de l'efprit & de k l l'ame , puifque celle-ci ne frappe k corps que du même coup qu'elle a reçu de l'efprit. < De cette expérience vous pouvez encore con-}. dure que l'efprit & l'ame font d'une nature corvjporelle. Car s'ils font mouvoir nos membres» ',s'ils nous arrachent des bras du fommeil, s'ils ^altèrent la couleur du vifage, & gouvernent à ' ' leur gré l'homme entier 5 comme ces opérations iji LUCRECE Nec ta<5hlm porro fine corpore : ] nonne fatefiH dum eft Corporeâ natiwâ animum cônftare animamque l Praeterea pâriter fungi cum corpore, & unL Confcntire animum nobis in corpore cernis. Si minus ofFendit vitam vis horrida lethi, Ofiibusac nervis difclufis intàs ada&a j Attamen infequitur languor, terraeque petitus l Suavis, & in terra mentis qui gignitur aeftus, t Interdumque quafî exfurgendi incerta voluntas» Ergo corpoream aaturam animi e£Te necefîe I eft: Corporeis quoniam telis, ictuque laborat. Is tibi nunc animus quali fît corpore, & unds Conftiterit, pergam rationem reddere diclis. Principio elle aio perfubtilem-, atq.ue minutis Perquàm corporibus factum cônftare 5 id ita cfie s Hinc licet advertas animum ut pernofcere poilis» Nil adeo fie ri céleri ratione videtur , Quàm fi mens fiexi proponit & inchoat ipfa. Ociùs ergo animus, quàm res fe percict ulla, Ante oculos quarum in promptu Natura videtur. At quod mobile tantopere eft , cônftare rotundis Perquàm feminibus débet perquàmque minutis j Mormne uti parvo poiïlnt impulfa moverL r. >n X / r R E III. i}j /luppofent on contact, & le contact une fubftancc corporelle , voiis ne pouvez refufer à Te/prit Se '^à lame la nature de la matière. t . •u & D'ailleurs ne voyez-vous pas Famé partager Ses fondions du corps , & les impreliions qu'il ixeçoit ? Si le coup neft point mortel, fi le ckoc 'endommage point les os & le ti/Tu des nerfs, en réfulte néanmoins une défaillance'gênée, un doux abandon des membres, une pente licîeufe à tomber , fuivie d'efforts combattus par une volonté indécile de ie relever. La nature Ojde lame eft donc corporelle , puifque nous lui îtoyons éprouver toutes les impreilions du corps. S Mais quels (ont les élémens de cette ame ? )e quelle efpece d'atomes eft - elle compoféc ? ,a fuite va vous l'apprendre. Je dis d'abord juelle rélulte de principes très-fubtils & trèsÊliés. Vous en conviendrez, fi vous réfléchirez l'étonnante promptitude avec laquelle l'ame fe lécide & agit. La Nature ne nous montre point le corps plus actifs 5 or cetre grande mobilité fuppofe des élémens arrondis & déliés qui la >rcent de céder aux plus légères impulfions. Si *cau fe meut avec facilité, fi la moindre caufe met en agitation, c eft qu'elle a des atomes 1J4 LUCRECE Namque movetur aqua & tantillo momine iîutaf $] Quippe volubilibus parvi{que creata fîguris : At contra mellis conftantior eft nâtura, Et pigri latices magis, & cun&antior aclus 5 Hasret eilim inter fe magis omnis mâteriaï Copia 3 nimirum quia non tam Isevibus extat Corporibus, neque tam fubtilibus atque rotundis» Namque papaverum, aura poteft fufpenfa levifque Cog ère, ut ab fumma tibi diffluat akus acervus | At contra lapidum conjectura fpiclorumque, Nenu peteft. Igitur parviffima corpora quanta Et lseviffimafunt, ita mobilitata feruntur : At contra quo quasque magis cum corpore magna Afperaque inveniuntur, eô habilita magis iumv Nuac igitur, quoniam eftanimi natura repertai Mobilis egregiè ; perquàm conftare necefle eft Corporibus parvis & lasvibus atque rotundis : Quae tibi cognita res in multis , ô bone, rébus Utilis invenietur , & opportuna cluebit. Ha?c quôque res etiam naturam deliquat ejus , Quàm tenui conftet texturâ, quàmque loco fe Contineat parvo, fi pofîit conglomerari j Quodfimulatque hominem lethi fecura quies eil Indepta, atque animi natura animaeque receflit $ Nil ibi limatum de toto corpore cernas •t w r< t i r RE III. 2?5 plus fubtils & plus divifés. Au contraire le miel eft plus tardif, fa liqueur plus knte, (on écoulement moins facile, parce que fe's parties fe lient & s'embarrafïent , étant moins lifTes , ijnoins fubtiles & moins arrondies. Le foufflc le ;jflus inknfîble diflîpc en un moment un amas >Hj4e graines de pavots, mais il ne peut rien fur jQm monceau de pierres, ou fur un faifceau de jances. La mobilité des corps eft donc propor/ donnée à leur petitefTe & au poli de leur furJ face. 'y Se ils ont d'autant plus de coniiftancç , (que leurs élémens font plus girofliers & plus aniguleux» v, Ainfî Famé, cette iubftance fi mobile , doit î • être formée des atomes les plus petits , les plus Ulifles & les plus arrondis. Vous fentirez plus {Vd'une fois, Memmius, l'importance & l'utilité & j • • rfj ée ce principe. Une autre expérience vous convaincra de la nature de cet invifible agent, de la finefTe de »'£on tifïu, du peu d'elpace qu'il occuperait, fî. îrl*on pouvait le condenfer. Quand l'homme r après la retraite de l'efprit & de l'ame , jouit ., du repos de la mort, les membres ne perdent H é U A M ^ i$6 LUCRECE Ad fpeciem, nihil ad pondus : mors omnia praeftat^ Vitalem pneter fenfum calidumque vaporem. 3 . Ergô animam totam perparvis efTe necefle eft Seminibus, nexam pervenas, vifcera, neivos :• Quatinus omnis ubi è toto jam corpore ceffit, Extima membrorum circum-cajfura tamen fe Incoîumeai prsftat, nec défît ponderis hilum : Qaod genus eft Bacchi cùm flos evanuit ; aut cùm Spiritus unguenti fuavis difFugit in auras 5 Aut aliquo cùm jam fuccus de corpore ceffit j Nil oculis tamen efle minor res ipfa videtur Propterea, neque detra&um de pondère quidquam : Nimirum, quia multa minutaque femina Caccos Efficiunt, & odorem in toto corpore rerum. Quare etiam atque etiam mentis naturam anima?que, S:ire licet perquàm pauxillis efîe creatam Seminibus ; quoniam fugiens ni! ponderis aufert. \ Nec tamen hase fîmplex nobis natura putanda * eft: Tenuis enim quasdam rnoribundos deferit aura , Mifta vapore 5 vapor porro trahit aëra fecum j Nec calor eft quifquam, eut non fîtmiftus & ae'r: Rara quod ejus enim eonftat natura, nece/Te eft Ae'ris inter eum primordia multa cieri. Jam triplex animi eft igitur natura reperta, '6/ '> • L I F HE III. 237 lien ni de leurformeni de leur poids. La mort, en étant le fentiment Se la chaleur, ne touche point au refle, Ainfi cette précieufe iubftance que la -Sature a liée à nos veines, à nos nerfs, à nos ^Sfceres, eft compofée de molécules infiniment ttetites ; puifque fa fortie ne caufe aucune diminution , ni dans la furface, ni dans la malle des Ébrps. Àinfi le -vin après avoir perdu fon efjrit, les parfums après avoir difïïpé leur odeur , Us corps favoureux épuifés de fucs , ne paraif» |bnt ni moindres à la vue, ni plus légers au poids $ gttree que les fucs & les odeurs ne font que les jjorties les plus fubtiles des corps. Je le répète Sànc L'efprit Se l'ame font les atomes les plus Jégers de la machine, puifqu'en. la quittant, H$ patent rien à fon poids. f: :&Ne croyez pas cependant que l'ame foit une ice fimple. Les mourans exhalent un foufléger mêlé de chaleur. La chaleur ne peut ftfter farls air, parce «que Tes parties n'étant étroitement liées , il eft impoflible qu'il ne glifle quelques molécules d'air dans les interfaces. Voilà donc déjà trçis élémens de l'arac $t trouvés, *5S LUCRECE B Nec tamen hxc fat funt ad fenfum cun&a tij creandum : ^ Nil horura quoniam recipit mens pofle creare j| Senûferos motus, quaedam qui mente volutent. * Quarta quoque his igitur quxdam natura neceffe l eft Attribuatur : ea eft omnino nominis expers ; :< Quâ neque mobilius quidquam, neque tenuius j extat, Nec magis è parvis aut laevibus ex démentis ; Senfiferos motus quae didit prima per artus : Prima cietur enim, parvis perfeclafiguris5 îndè calor motus, & venti caeca poteftâs Accipit ; indè aër 5 indè omnia mobilitantur ; Tum quatîcur fanguis 5 tum vifceia perfentifcunt Omnia ; poftremo datur offibus atque medullis Sive voluptas eft, five eft contrarius ardorNec temerè hue dolor ufque poteft penetrare, • neque acre Permanare malum , quin omnia perturbentur ; Ufque adeo ut vitae défit locus atque animai Difrugiant partes per caulas corporis omnes : 5ed plerumque fit in fummo quafi corpore finis Motibus : hanc ob rem vitam retinere Yale- < mus, Nunc ea quo pa&o inter CcCc mifta, quibufque. r LIVRE III. 159 fi Mais ce n'en cft pas encore aflez pour produire £fe fentiment ; & l'on ne conçoit pas qu'aucun 'eux pui(Te créer ces mouvemens de fenfation mettent J entendement en jeu. Il faut donc joindre un quatrième principe. Nous en rons abfolument le nom : mais rien n'égale mobilité, la finefle & le poli de fes élémens. cft cet agent inconnu qui le premier imprime nos membres le mouvement de la vie. Il doit la petite/Te de fes atomes d'être mis le premier agitation. Aufli-tôt le mouvement fe cornunique à la chaleur, au fouf&e & à l'air. Alors utc la machine cft en action. Alors le fang t dans nos veines, les vifceres deviennent nfibles , les os & la moelle éprouvent l'im* preflion du plaifir ou dç la douleur. % Mais la douleur, ni aucun mal violent ne peut fnétrer jufqu'à ce quatrième élément, fans eau[jter dans toute la machine undéfordre tel, quç vie ne trouve plus d'afyle, & que l'ame dé>mpofée fe fauvç du corps par toutes les itfues. jHeureufement la plupart de ces chocs deftrucr i leurs bornent leur impreuion à la fur face de >s corps > précaution de la Nature à laquelle lnous devons notre confervation. Maintenant* ô Memmius, par quel lien fer 240 LUCRECE Compta modis vîgeant, rationem reddere aven* tem Abftrahit invitum patrii fermonis egeftas : Sed tamen, ut porcro fummatim attingere, tangam. Inter enim curfant prîmordia prîncipiorum Motibus inter fe j nihil ut fece'rnier unum Poflit, nec fpatio fieri divifa poteftas : Sed quafî multas vis unius corporis extant. Quod genus, in quovis ànimantum vifcere volgo Eft odor Se quidam calor & fapor 5 & tamen ex his Omnibus eft unum perfe&um corporis augmen. Sic calor atque a'ér & venti caeca poteftas Mifta, créant unam naturam, & mobilis illa Vis , initum motûs ab fe quas dividit ollis, Senfifer unde oritur primum per vifcèra motus. Nam penitiis prorfum latet hxc natura fubeftque 5 Nec magis hâc infrà quidquam eft in corporc noftro; Atque anima eft animae proporro totius ipfa : Quod genus in noftris membris & corpore toto , Mifta latens animi vis eft animaeque poteftas j Corporibus quia de parvis paucifque creata eft : Sic tibi nominis haec expers vis, facta minutis Corporibus, latet -y atque Animai totius ipfa Proporro eft anima, & dominatur corpore toto : Çonfimili ratione neceffe eft ventus & aër, Et r^ LIVRE III. 141 ' cret, ptr quel mélange intérieur, ces 3 ucre ; éléméns peuvent-ils fc combiner & tai»e uu toac feofîble \ La difette de notre langue m'interdit _ V ces détails ; je me borne donc a -vous en tracer ' de mon mieux une légère efqui/le. Les atomes *<lc ces quatre, principes , mêlés enfemble , fc fr meuvent de concert, fans pouvoir jamais fe ^ feparer , ni exercer leurs facultés à part, mais t comme diverfes pui/Tances d'un feul Se même ^tout ; Se comme dans les vifeercs des animaur Iji-on diftingue à la fois une odeur, une couleur , r Se une faveur propre-,quoique de la réunion de faces trois qualités réfuke une feule Se même fubf7tance : ainfi la'chaleur, l'air & le foufHe, cet agent (ècret forment un même tout, conjointement avec cet élément aâif qui leur donne le principe du mouvement, de qui fait naître'le fentiment dans toute la machine. C'cft au centro de nos corps qu'eft caché cet agent principal. Nous n'avons point de parties plus intimes ; c'cft famé de notre ame : Je de même que l'efprit SC 'ame fc mêlent en fecret dans nos membres > arce qu'ils font formés /d'un petit nombre d'ato* es déliés:,de même ce principe qui n'a pas de m, Se qui doit fon exiftence à des corpufcules cs-fubtils, eft caché au fonds de nous-mêmes, ilcft tout à la fois , je le répète, Se lame de tre ame, Se le mobile de nos corps. Le fouffle. Tome L i L %4% LUCRECE Et calor inter fe vigeant, commifta per artus $ Atque aliis aliud fubfît magis emincatquc, Ut quiddam fieri yideatiir de omnibus unum ; Ne calor ac ventus feorfum, feorfumque potestas Acris interimant fenfum didu&aque folvant. Eft etiam calor ille animo, quem fumit iu - A ira ; t û m fervifcit, & ex oculis micat acribus ardor : Eft & frigida multa cornes formidinis aura, Quas ciet horrorem in membris, & concitet artus : Eft etiam quoque pacati ftatus aè'ris ille , Pérore tranquillo qui fit voltuque fereno : Sed calidi plus eft illis , quibus acria corda/ ïracundaque mens facile eflfèrvifcit in ira : Quo génère in primis vis eft violenta leonum, Pe&ora qui fremitu rumpunt plerumque gementes t^ec capere irarumflu&usin peétore poflunr. At ventofa magis cervorum frigida rneos eft , Et gelidas citiùs per vifcera cencitat auras, Quac tremulum faciunt membris exiftere motum., At natura boum placido magis aëre vivit, JNec nimis irai fax unquam fubdita percit Fumida fuffundens caecae caliginis umbras,* T*?' . / ]| LIVRE III. *4$ :•• l'air & la chaleur ,nc peuvent de même produire r ç la vie dans nos membres qu'à l'aide d'un pareil % mélange ; & bien que chacun de ces élémens puifTe dominer fur les autres, ou en être dominé, leur j. affemblage n'en doit pas moins former un feul tout. S'ils agiflent à part, c'en eft fait du featiment j leur fépararion rompt tous les liens de la vie. Néanmoins ils ont chacun leurs fondions particulières. C eft la chaleur qui allume la colère^ qui fait bouillonner le fang,& étincelle r les yeux. Le foufHc, vapeur froide, accompagne la crainte , fait frûTonner & trenaillir les membres. Enfin x'eft à l'air le plus tempéré des quatre principes, que nous devons cet étatpaifîble de lame , qui répand la férénité fur le vifage. La chaleur domine dans les cœurs bouillans , colères', faciles à s'allumer. Tel eft fur-tout le lion, quadrupède . fougueux , dont les flancs font émus & gonflés - fans cefle par d'affreux rugnTemens, & dont fa poitrine ne peut contenir les tranfports furieux, C'eft le vent qui glace lame des cerfs , qui fait circuler rapidement dans leurs vifeeres un air froid, & qui excite dans leurs membres un tremblement général. Le bœuf doit la vie à un air j plus tempéré. Son ame inacceifible aux feux 4e la colère, & aux traits de la crainte, n'eft mais ni orfii£quce par de noires vapeurs, ni enY i " • 2.44 LUCRECE Nec gelidi torpct telis perfixa pavoris : Inter utrofque iîta eft, cervos fsevofquc leones. ..Sic hominum genus eft : quamvis doétrina politos €onftituat pariter quofdam j tamen illa relinquit Naturas cujufque animas veftigia prima : Nec radicitùs evelli mala pofTe putandum eft j Ouin procliviiis hic iras decurrat ad acres, Ille meru citiùs pauio tentetur, at îlle Tertius accipiat quaedam clementiùs a?quo : Inque aliis rébus multis differre neceiTe eft Naturas hominum varias morefque fequaces : Quorum ego nunc ncqueo cascas cxponerc eaufas; Nec reperirefigurarumtôt nomina, quot funt Principiis , unde hxc oritur variantia rerum. IHud in his rébus vidcorfirmarepotefle > Ufque adeo naturarum veftigia linqui Parvola, qua? nequcat ratio depellcre di&is 5 V; nihil impediat dignam Djis degere vitam. Hacc igimr natura tenetur corpore ab omni ; Ipfaque corporis eft euftos , & caufa falutis. Nam communibus inter fe radicibus narrent 5 Nec fine pernicie divelii pofTe videntur. Quod genus è thuris glebis evellere odorem Haud facile eft, quinvntereatnatura quoque ejus; w L I V R E III 145 -> gourdic par un froid péûétranr. Elle tient le mi; lieu entre celles du lion cruel &.du cerf timide, ù Il en eft de même des hommes. L'éducation , l>; en perfectionnant quelques âmes, ne peut effa*| «er ces traits dominans que la main de la Na~ T tare elle-même y a gravés. N'efpérez pas pou*r[ Toir extirper les germes des vices, guérir celui-ci ij de fon penchant à la colère, celui-là de fa timidite , un autre de cette faibte/le qui le rend e.n quelques circonstances plus indulgent qu'il ne H faut. Il y a des différences effenticlles dans les caractères., comme dans les mœurs qui-en font la fuite. Je ne puis maintenant en développer les caafes fecretes , ni trouver aflez de noms pour les figures des principes d'où réfuke cette diversité ; mais je crois pouvoir anurer que l'étude & la réflexion, fans faire difparaitre ces traces primitives , les affaiblirent- à un tel point, que fien ne nous empêche d'afpirer à l'heureux câline dont jouiflent les immortels. Notre corps eft donc l'enveloppe de l'ame , qui de fon côté en eft la gardienne & la protectrice : ce font deux arbres qui tiennent aux 'mêmes racines, deux fubftances qu'on ne peut :fé parer fans les détruire. Il eft impoûible doter l'encens fon odeur, fans détruire en mêmeLu] . 1 1^6 LUCRECE Sic animi atque animae naturam corpore tôto EAtrahere haud facile eft, quin omnia diflblvantur : Implexis ica principiis, ab origine prima , Ititer le fiunt, conforti pœdita vira : Nec fine vi quid^uam alterius fibi polTe videtur Corporis , atque animi ieorfum fentire poteftas > Sed communibus inter eos confîatur utrinque Motibus accenfus nobis per vifcera fenfus» Praeterea corpus per fe nec gignitur unquar»; Nec crefcit, nec poft mortem durare videtur i Non enim, ut humor aquae dimittit f«epc vaporern, Qui datus eft 5 ncque ab hâc causa convellitwr ipfe , Sed manet incolumis : non, inquam, fie animaî Difcidium poffunt artus perferre reliai : Sed penitùs pereunt convolfî conque puttefeunt s Ex ineunre aevo fie corporis atque animait Mutua vitales difeunt contagia motus 5 Maternis etiam in membris,, alvoque repofto Difcidium ut neqaeat fîcri fine pefte maloque : Ut videas, quoniam conjun&a eft caufa falutis » Conjunctam quoque naturam confiftere eorum. Quodfupereft, fi quis corpus fentire renutat> Atque animam crédit permiftam corpore toto Safcipere hune motum, quem Stnfum nominiu^ mus 1 II 7. t V AS î 11. i4? tems Ta nature. Vous ne pouvez non plus arracher famé & l'efpritdu corps, fans la difTolution des deux fubftances. La Nature a lié intimement kurs principes, dès le premier moment de leur formation, & les a fournis à la même deftinée. Ili ne peuvent ni agir , ni fentir fans le fecours l'un de l'autre; & ceftIa.réunion de leurs mouvemens, qui allume en nous leflambeaude la vie. En effet le corps ne naft point fans lame 5 il ae croît point fans "elle $ il ne peut lui furvivre. les particules de feu dont fe pénètre l'eau bouillante- peuvent s'évaporer fans que l'eau elle-même fe décoxnpofe pour cela. Mais les membres délaiiTés ne peuvent foutenir le départ de lame j leur tiflu fe brife & fe putréfie. Exercées dès l'âge le plus tendre à porter conjointement le fardeau de la vie, ces deux fubftances font unies ^intimement, que, dans le fein maternel même, elles ne peuvent fe féparer, fans périr. Et quand Ictus confervarioos réciproques font ainfi liée», fouriendrea-vous que leurs natures «e le font pas ? Ainfi refluer le Sentiment au eo«ps, pour en revêtir lame-qui eft répandue dans nos membres, f'eft combattre l'évidence. Comment démontrer Lir 248 LUCRECE Vel manifestas res contra verafque répugnât, Qurâ ni eniiii corpus fentire y quis afferet unquam , Si non infa pakmquod res dédit aç docuft nos ? A", dinufsâanima, corpus caret undique fcnfu: Perdu e.ïim qiod non proprium fuit ejus in aevo 5 M-iltaque praeterea perdix , cum expellitur xvo. Dicere porro ocnlos nultim rem cernere porTe$ 5ed per eos aninvarn ut forieus (pedare reclufis 5 De^îpere eft 5 corurà cùm fenfus dicat eorum : Scnfus enira trahit arque acies dctrudk ad ipfas ; Tulgida prafcrtira cura cerner* faepe nequimus , Lurwina luminibus quia nobis prcpediuntur : Quod foribus non fit j ncque cnim, quà cernimus ipfi, Oftia fufjipiunt ullum reclufa laborem. Praetetea, fi pro fonbus funt Iumina noftra, . Jam iiiagis , exemptis oculis, dcbere videtur Cernere res animas, fublatis pôftibus ipfis. Illud in bis rébus ncquaquam fumcre poflis ^ Democriti quod fanc"ta viri fcntentia ponit j Corporis atquc animi primordiafingulaprimis Appofita alrernis variare , ac ne&erc membra : Nam cùm mukofintanimai elemcnta minora, Quam quibus è corpus nobis & vifcera confiant^ T u ^ numéro quoque concedunt, & rara per arcu« f L I F R E 111. 149 • là fenfîbilité du corps, fi non par Ton union intime avec lame que nous venons d'établir » Mais après la retraite de l'amc ,. le corps de** -' meure privé de fentiment. C'eft qu'ayant perdu ^ pendant la vie un grand nombre de chofcs qui h ne lui étaient point propres , la mon lui en gt enlevé encore beaucoup d'autre*. < Prétendre que les yeux ne voient point, qu'ilf j, ne font que des ouvcnurcs a travers lefquelles l'ame apperçoit les objets, c'eft une folie que -dément la nature même de notre fens. Le fens pompe & ramafte les fimula:rss dans l'organe. Quand il ne peut fixer les objets éclatant, quand une lumière trop vive trouble fes fondions, il faudra donc dire que les portes, par ou flous regardons , éprouvent des fenfacions pénibles ? Mais en admettait votre fup^ofîcion, l'ame verra encore mieux , fi o* la débarrafle des yeux T de ces portes qui la gênent* Mais ne croyez pas avec fc fager Démocrite, ' qu'à chaque élément du corps réponde un élément: de Tarne, & que ce mélange alternatif fort le tien R i e nos organes. Car fi les principes de l'ame font ~ s déliés que ceux dtr .corps & dis vifeeres*, ils ffon: aufli en plus petit nombre. La Nature les a eme* avec économie; & toux ce que vous ferie* Lv i$o LUCRECE Diflita funt ; duntaxat ut hoc proniitterc pofîîs. » Quantula prima queant nabis injeclra ciere Corpora fenflferos motus in corpore, tant* IntervalLa tenere cxordia prima animai : Kam neque puLveris interdum féminins adhafr» fum Corpore ; nec membris inculTam infîdere creta m ; Nec nebulam noctu ; nec arancï tenuia fila Obvia fentimus, quandô obrerimur eûmes > Nec fupra caput ejufdem cecidifTe vietam Vcilem, nec plumas avium, pappofque volantes, Qui nimiâ levitate cadunt plerumque gravatim. s, Kec repentis itum cujufvifcunque animantis Sfenrimus s nec priva pedum veitigia quaeque* Corpore quae in noftro cuUces, & caetera ponuntt Vfque adeo priùs eft in nobis muka ciendun» Semina» corporibus noftris immiftâ- per artus,, Quàm primordia (entifeant. concufTa animai ', ï t quàm intervaUis tancis tuditantia peflint Concurfare, coire, & dimiltare vicifUni» Et magis eft-animus vitar ctauflra cœrcens » Et do mi nanti or ad vitam, quàm vis animai : Kam fine mente animoque nequit reiîderc per attus , Temporis exi guam partem pars ulla animai' $ ^ iirRË itï. £5t *fr dr*ît <frtfTûrer , c'eft qu'encre les plus petits *i des premiers corps, autant il y en a qui peuvent fT exciter en nous de la fenCation, autant il y a de £ parues d'âme dilTominées dans nos membres. En effet nous ne Tentons point la poufGere qui s'attache à nos membres, ni le fard appliqué fur notre'posa, ni la rofée de la nuit, ni les fils de l'araignée, ces lacs imperceptibles qui nous enveloppent en marchant, ni la vieille dépouille que Je même infeerc lai/Te tomber fur nos têtes , ni les plumes des oiféau*, ni cette efpece de coton que produit le chardon; & qui, après avoir flotté dans l'air, s'abaifiè lentement à caufe de Ton er~ t^mciégéreté, ni la marche de l'infecte qui rampe, ni enfin la trace diftinétedes pieds du moucheron, ou des autres animalcules qui Te promènent fur nos membres. Ilcft donc néceifarrequ'un* certain nombre d'étémens du corps feient ébranlés , avant que les atomes de 1 ame, placés à de* diftances fi confidérables ., puiffent fenrir l'impreûlon, (e réunir, fc choquer & £c rejetter réciproquement^ Au- refte, réiprk eft le princfpai (ouricrr de ht Yift? notre conferrationdépend plus de lui que de lame. En- erïet, l'âme ne peut refrer un ftui inftanr dans nos membres (ans l'efprit 6c te É jugements eHe (cdifllptrjufquala moindre par- I 2$i LUCRECE Sed cornes infequitur facile, & difcedit in auras , Et gehdos artus in kthi frigore linquit. At manet in vitâ, cui métis animufque remanfit;. Quamvis eft circum-casfis lacer undiquc membris Truncus, ademptâ anima circùm, mcmbrifque rcmotis, Vivit, & serherias vitales (ufcipit auras 5 Si non omnimodis, at magna parte animai Privatus . tamen in viiâ cun&atur, & h«erct. U t , lacerato oculo circùm, fi pupula manfit Incolumis, ftat" cernendi vivata poteftas 5 Dummodo ne totum corrurrrpas luminis orbem, 5ed circumcidas aciern, folamque relinquas j Id quoque enim fine pernkie confier eorum : At (i rantala pars oculi média rlla perfefa eft, Incolumis quamvis ahoqui fplendidus orbis , Occidk extemplo lumen , tenebraeque fequun-» tur: , Hoc anima atqueanimus vinc*ti funt fœdere femper. Nunc âge-, nativos anirnantibus, & mortaîej ïife animos animafque leyes ut nofcere poffis; Conquilîra diu, dukique reperta labore , Digna tua pergam difponere carmina vitâ. Tufac utrumque uno fubjungas nomcn connue L I VR E III. 2jj .tkuie ; eHefuit fon guide dans les airs, & ne laiiîs aux membresflétrisque le froid de la mort. IV1 aïs • l'homme refte vivant, tant qu'il conferveTefpric '• & le jugement 5 fon corps pourra être mutilé, H ! :" perdre en partie Ton ame & fes membres-yce tronc Vf informe reipirera toujours, & confervera te ien£_. timent : fi vous ne le dépouillez pas de fon ame " toute entière , quelque faible portion que vous t. en lardiez fubûfter, ce fera un lien fuffifant par ^ lequel il tiendra encore à la vie. Ainfi quand mê5 me les parties qui environnent L'oeil feraient dé• chirées , fi la prunelle demeure intacle, la fai culte de voir fe conferve dans toute fa vigueur > 1 pourvu que la fphere entière de l'organe ne foii V pas affectée, coupez ks panies voifines, & laif.] fez la prunelle ifoiée, la vue ne fera point en danger. Mais lï vous endommagez le centre de l'oxgane qui n'ed qu'une fi petite partie de l'oeil, i «yiand même k rede de l'orbite ferait pur & tranfparent ,. la lumière s'éteint tout-^-coup t & ,' ks ténèbres lui fuccedent. Telles (ont les loiz inf variables de l'union de l'efjprit & de l'âme. Apprenez maintenant, è Mexnmîus, que VcCprit & l'ame natflent & meurent avec le corps *, i fujet digne de vous occuper ; heureux finât d'une " longue recherche. Mais comme ces deux • fubf'< tances, à caufe de kur intime union , n'en for- 254 LUCRECE Arque animam, verbi causa, cùm dicere pergait^i Morcalem effe docens, animura quoque dicere credas Quatinus eft unum inter fe, conjundaquc rès erb Principio, quoniam tenuem conftare minutis Corporibus docui 5 multoque rainonbus eife Principits factam, quàmliquidus humor aquaï eit,, Aut nebula, aux fomus : nam longé mobiiitatc Fraeftat, & à tenui causa magis i&a moYctur : Quippe ubi imaginibusfumi,nebul2tqne moverur : Quod genus-, in fomnis fopiti ubi cernimus ait» Exhalare vapore akaria, ferrequc fumum : CNam- procul hacc dubio nabis fimulacra gcnun~ tur^) Kunc igitur , quoniam quanatis? undlque rafifDifÏÏucre humorern, & kticem difcedere cernis y Et nebula ac fumus quoniam difcedit in auras : Crede animam quoque difiimdi, multoque perire Ociiîs , & citids diifolvi corpora-prima, Cùm fcmcl omnibus è membris abiata receffit : Quippe etenira corpus, quod vas quafi conftitit ejus, Cdm cohibere nequit conquaffatum ex aliquâ re >. Ac rarefadrum, detracto fanguine venis : Aère qui credas pofle banc cohibcrier ollo, Cojrpore qui aoitro rarus magis am cohibeilit* w :\ LITRE III. tu ment qu'une feule, réuniiTex-lcs fous la m«mc dénomination; Je ce que je dirai de la mortalité h de l'une , n'oubliez pas de l'appliquer à l'autre. L'âme, comme je vous Tai en(êigné*, eftfbiv née de molécules imperceptibles y beaucoup plu* déliées que les élémens de l'eau, des nuages & de la fumée, puifquelk fc meut avec plus de vî~ •eue de de facilité , & que les fimulacres des nuages & de la fumée agiûenc eue-mêmes fur elle : la vapeur des autels, & la fumée des facrifices que nous voyons en fonge, ( nefont,,comme on n'en peut douter, que les fimukeres de ces objets. ) O i , fi l'onde s'échappe de toute pare d'un vafe mis en pièces ,files nuages & la funue fe diûipeut dans les airs, doutez-vous que lame féparée des membres ne s'évapore deroemeaprès ùt retraite, que (a îublrance ne périûe encore plus promptement, que (es principes ne £e difiblvent en beaucoup moins de tems 2 Et quand le corps , qui eft,. pour ainfi dire» le vaille a a de fcme , décomposé par une attaque mortelle ou raréfié par la perte du fang, n'eft plus capable d'arrêter (à fuite, fcra-t-clk retenue par Tak» flnide moins dénie & plus facile à périé- k i5£ LUCRECE fruterea, gigni pariter cum corpore, & ûnà Crefcere fentimus, pariccrque fenefcere menteniw . Nam velue infîrmo pueri teneroque vagantar Corpore : fie animi fequitur fententia tenuis ; Inde, ubi robuftis adolevit viribus a?tas, Canfilium quoque majus, & auctior eft animi vis : Poft ubi jam validis quarTatum eft viribus aevi Corpus, & obtufis ceciderunt viribus artus ; Claudica-ingenium, deliratlinguaque menfque: Omnia deflciimt, arque uno tempore défunt. Ergo difTolvi quoque convenit omnem animai Naturam, ceu fumus in altas aëris auras : Quandoquidem gigni pariter, pariterque videtirr Crefcere, &., u: docui, fîmul arvo felTafatifein. Hue accedit uti videmus, corpus ut ipfum Sufcipere immanes morbos durumque dolorerrr: Sic animum curas acres ludtumque metumque : Quare participerai lethi quoque convenit elfe* Quin etiam morbis in corporis avius errat Sarpe animus : démentit enim , deliraque fa~ tur ; Interdumque gravi lethargo fertur in alrun> «Arernumqae foporem, oculis nutuque cadenti i Vado. neque exaudit voces, neque Bofcere vultus I LIVRE IIL 157 D'ailleurs, noas la voyons naître avec le corps, croître & vieillir avec lui. Dans l'enfance, une machine fréle 8c délicate fert de berceau à un • cfprit auflî faible quelle. Lage , en fortifiant les •) membres mûrit auflî l'intelligence, & augmente *Cla vigueur de lame. Enfuite , quand l'cfforc •'"} puisant des années a courbé le corps, émoulTé i^Jes organes ,•& épuife les forces, le jugement Hchancelle, & l'cfprit s'embarrafie comme la lanrgue. Enfin tous les reiîbrts de la machine manfcquçnt à la fois- N'eft-il pas naturel que l'amt Tfc dtcompofc alors, & fe diflîpe comme une | fumée dans les airs , puifquc nous la voyons ; comme le corps naître, s'accroître, & fuccomfber à la fatigue des ans ? Ajoutez que l'efprir étant tourmenté par Ici yfoucis, la triftdTe & l'effroi, comme le corps L par la douleur & la maladie, doit, comme lui, , -participer à la mort. T| Ne voyons-nous pas même fouvent dans les maladies du corps, la raifon s'égarer, la démence Se le délire s'emparer de l'ame ? QuelqueDfois une violence léthargie la plonge dans un gaûoupinrement profond & éternel. Les yeux fç •ferment, la tête n'a plus de foatien. Le malade (n'entend point la voix , ne reconnaît point les 1 i58 L V C RE CE Illorum potis eft, ad vitam qui revotantes Circumftant, lacrymis rorantes ora genaftjue î Quare animum quoque diflblvi fatearc necefie eft : Quandoquidem pénétrant in eum contagiamorbi. Nam dolor ac morbus Uihi fabricator uterque tfl : Multorum exiiio perdodi quod furaus aittè. Denique cur hominem cilm vini vis peneçravit Acris, & in venas difceflit diditus ardor, Confequitur gravitas membrorum ? praepediuntur Cruxa vacilîanti ? tardefcit lingua ? madet mens? Nant oculi : clamor , fîngultus , jurgia gli£cunt? Et jam cetera de génère hoc quxcunquc fequuntur? Cur ea funt, nifi quôd vehemens violentia vini Conturbare animam confuevit corpore in ipfo ? At quaecunque queunt conturbari inque pediri, Signifîcant, paulo fi durior infinuârit Caufa, foie ut peieant, xvo privata future Quin etiam, /ubitâ vl morbi faepe coaftus, Ante oculos aliquis noftros, ut fulminis i&\is Concidit, & fpumas agit, inge«it, & trémie anus, L i r* E in. i 59 traits de Tes parens en larmes qui entourent Ton lit, & s'efforcent de réveiller en lui le fentiment. Puifque la contagion du mal gagne ainlî l'ame, doutez-voue qu'eue ne Toit aulïi fujette à la dif; lolution î Une expérience trop fouvent répétée , > ne vous a-t-elle pas appris que la doultur & la v maladie font les deux mini fit es de la mort ? • ; Enfin » lorfque le vin, cette liqueur a&ive , * s'eft rendu maître de l'homme, & a fait couler 2 fon feu dans fes veines brûlantes, pourquoi fes : <t membres font-ils pefans ? fa démarche inecr£ taine ? fes pas chancelans ? ia langue embarraf£ fée ? fon ame noyée ? fes yeux fiottans ? Pourquoi ces clameurs ? ces hoquets impurs ? ce» • querelles Se ces difputes ? enfin tous les défer* dres que TivrerTe traîne à fa fuite ? Que figni» fient-ils î finon que la force du vin attaque lame elle-même au fond de nos corps. Or, toute fubftance qni peut être troublée & altérée, fera néceflaircment détruite & privée de l'immortalité % j fi l'on iuppofe une caufe plus forte à l'action ds laquelle elle foie expofée* Mais voici un autre fpeéracle : c*eft un mal1. heureux , attaqué d'un mal fubit, qui tombe tout-à-coup à vos pieds , comme frappé de la \ foudre j dont la bouche écume/dont la poitrine 1 iéo LUCRECE Deûpit, externat nervos, torquetur, anhelat ïnconftanter & in ja&ando membra fatigat : Nimiram, quia vis morbi diftra&a per arois Tuxbat agens animara, fpumans ut in asquore faifo Ventorum validis fcrvefcit viribus unda : Exprimitur porrô gemitus, quia membra dolorc îftificiunmr, 5c omninô quod femina vocis Ejiciuntur, & ore foras gloraerata feiuntur, Quà quafî confuêrunt, & funt munita viaï : Dcfîpientia fit, quia vis animi atque animai Conturbatur, & , ut docai, divifa feorfum Disje&atur, eodem ilio diltracta veneno. Inde, ubi jam morbi fe flexit eau fa, reditquc In latebras ater corrupti corporis humor ; Tum quafî talipedans primùm confurgit, & omnés Paulatim redit in fenfus , animamque receptat. Hzc igitur tamis ubi œorbis corpore in ipfo Ja&ctur, miferifquc modis diftra&a laboret j Cur eandem credis fine corpore, in aëre apertOj Cum validis ventis, setatem degere pofTe i Et quoniam mentem fanari, corpus ut xgram, Cernimus, 6c fleeti, rnedicinâ pofle videmus.: Id quoque praefagit mortalem vivere mencem : A L i rd s m. i<?i ,\ gémit, dent les membres palpitent. Ceft un frénétique qui Ce roidit, qui fc débat, qui Ce met hors d'haleine, tant il fe tourmente , s'év ^ puifefies'agite en tout fens s c'eft que la violence' ; du mal répandue dans les membres, pénètre jufuqu'à l'ame, fie la trouble, comme le fouifle d'un ^ vent impétueux fait bouillonner lesflotsécumans i de la mer. Ces gémilTcmens qui TOUS attendriffent, c'eft la douleur qui les arrache ; c'eft que tous les élémens de la voix, chaHes à la fois, fe précipitent en foule par le canal qu'ils trou»* vent ouvert, le que l'habitude leur a rendu familier. La démence naît du trouble de 1 cipric fie de l'ame, qui féparés par la violence du mal exercent en détordre, leurs facultés. Mais quand les humeurs qui caufaient la maladie ont repris an autre cours 5 quand le noir poifon cft rentré dans fes réfervoirs cachés, le malheureW fe relevé d'abord en chancelant, fie recouvre peuà«-peu l'ufagc écs fens & de la raifon. Voilà les maladies auxquelles l'ame cft en proiç dans lé corps même. Pouvez-vous donc croire que fortie de ce corps , elle fubfifte dass^ l'air au rj milieu des vents fie des orages ? D'ailleurs , puifque nous voyons l'ame fc guécomme un corps malade, Se fe rétablir avec fecours de la médecine, n'eft-ce paslinc nou- i£z L UCRECE Addere enim partes, aut ordine trajicere arquura eft, Aut aliud prorfùm de fummâ detrahere illum, Commuta re an imumquicunque adoritur, & infit, Aut aliam quainvis naturam fleure quarrit : At neque transferri fîbi partes , nec tribui vult, Immortale quod eft quidquam , neque deiluere hilum. Nam quodcunque fuis mutatumfînibusexic, Continué hoc mors eft illius, quod fuit antc. Ergo animus fîve atgrefcit, mortalia fîgna • Mittit, uti docui, feuflcétiturà medicinâ : Ufque adeo falfas rationi vera videtur Res occurere, & efFugium prascludere eunti, Ancipitique refutatu convincerc falfum ! Deni]ue faspe hominem paulatim cernimus ire , Et membratim vitalem deperdere fenfum : In pedibus primiîm digitos livefcere & un gués 5 Inde pedes & crura mori ; poft indè per artus Ire alios tractim geiidi veftigia lethi. Scinditur atqui anima; quoniam natura , nec uno Tcmporefinceraexiftit ; mortalis habenda eft. Quod fi forte putas ipfâm fe poCe per artus Introrfum traherc & partes conducere in unum, Atque i^eo cunctis fenfum deducere membns s # II V RE III. 26) •elle preuve de là mortalité ? En effet il en cft de l'àme, comme de toutes les fubftances connues. Vous ne pouvez-changer Ton état, qu'en •;lui ajoutant des parties , en hii en citant, ou en ; les tranfpofànc Mais une fubftance immortelle ,nc fourfre point qu'on change l'ordre, qu'on >vaccroi/Tc ou qu'en diminue le nombre de Tes <f«ilémens ; parce que tout être qui franchit les î" bornes de fon eflence par voie de tranfmuta» Atioâ, celle auffi-tot d'être ce qu'il était. Ainû £ l'ame, foit dans la maladie , foit dans la cou* )) yalefeence vous donne des lignes de mortalité, fr Ainfi la vérité heurte de front l'erreur, lui in;. terdit tout fubterfuge, & par des raifonnemens ? /ans réplique triomphe de fes vains fophifmes. ;, Enfin nous voyons quelquefois des hommes s'éteindre par degrés, & leurs membres perdre l'un après l'autre le fentiment. D'abord les onîj glcs & les doigts des pieds deviennent livides; ^ enfuite la mort gagne les pieds, les jambes» i Se laide fes traces fur toutes les autres parties •; qu'elle parcourt fucceffivement. Fuifque l'ame cft alors divifée, & n'exifte pas toute entière à la ; fois, nous devons la regarder comme mortelle. •V Si vous dites qu'en fe ramaftant intérieurement, k en ramenant à elle fes.parties difTémiaécs, elle ij jjeot concentrer en elle-même le fentiment i i6"4 LUCRECE At locus ille tamen , quo copia tanta animai Cogitur, in fenfu débet majore videri. Qui quoniam nufquam eft j nimirum 3 ut dixi-* mus a n t è , Dilaniata foras difpergitur ; interit crgô. Quin etiam, fi jam libeat concedere falfum, Et date , pofle animam glomerari in corporc eorum, Lumina qui linquunt moribuadi particulatim 5 Mortalem tamen efle animam fatearc necefrVeft: Kec refert, utrùm pereat difpcrfa per auras, An contractis in fe partibus obbrutefcat ; Quando hominem totum magis ac magis undique fenfus Déficit, & vitac minus , 8c miniis undique reilat. Et quoniam mens eft hominis pars una3 locoquc fixa manet certo , velut aurcs atque oculi funt, Atque alii fenfus , qui vitam canquc gubernant : Et veluti manus atquc oculus naiefve , feorfum Sccretaà nobis nequeant fentire, neque efie : Sed tamen in parvo liquuntur tempore tabi : Sic animus per fe non quit, fine corpore, & ipfo Efie homine, illias quafi quod vas efle videturj Sive aliud quidvis potis es conjun&ius eii Eingere j quandoquidem conncxus corpori adha> ret. Denique corporis atque animi vivata pcteftas Inter L I V/R E I IL 16$ particulier de chaque membre, il femble que -le lieu où fc raflerable cette foule d'atomes animés ,~ devrait être doué dun fentiment bien '«exquis. Or, puifqu'on n'apperçoit rien de fenvblable , il faut, comme nous l'avons déjà dit, ,'tjue l'ame arrachée à elle-même fe diflîpe au deihors, c'eft-àrdire, qu'elfe péri (Te. Mais en vous «accordant même votre fauile fupppfition, qu'elle * rapproche fes parties quand on meurt par dejgrés , fa mortalité n'en ferait pas moins cer*fcaine. Qu'importe qu'elle fe diffipe dans les airs ; lcn périmant, ou qu'elle s'étouffe en maffe, puif. .que nous voyons le fentiment s'éteindre, & ht me fe perdre par degrés ? D'ailleurs, Tarne étant une partie du corps ^ *y occupant une place déterminée, ainfî que les reilies, leVyeux & les autres fens, nos guides nos maîtres ; puifque la main, l'oeil & le nez' >arés du corps ne peuvent ni fentir , ni exif:r, mais deviennent en peu de tems la proie de corruption 5 famé ne peut vivre non plus fans lile corps qui en eft le vaifTeau, & même quelque ]>chofe de plus intime, puifqu'il ne forme qu'une île &bftance avec elle. If* ji Enfin le corps & l'ame ne doivent ^u a km Tonu / . M \*L. i66 LUCRECE Inter Te conjuncla valent, vitâque fruuntur, i Nec iîne corpore enira vitales edere motus Sola poteft animi per fe natura j nec autem Caiîum anima corpus durare & fenfibus uti. Scïliczt avolfus radicitus ut riequit ullam Difpicere ipfe oculus rem, feorfura corpore toto : Sic anima atque animus per fe nij porTe videntur : Nimirum quia per venas & vifcera rniftim, Per nervos atque ofla tenentur corpore ab omni j Nec magnis intervallis primordia poflunc Libéra diflultare > ideo conclufa moventur Scnfiferos motus, quos extra corpus, in auras A'eris, haud pofTant poft mortem eje&a moverij Propterea quia non fîmili ratione tenentur : Corpus enim atque animans erit aèr, (i cohibere Sefe anima, atque in eos poterit concludere motus, Çuos antè in nervis & in ipfo corpore agebat. Quare etiam atque etiam, rçfpiutq corporis omnj. Tegmine , & eje&is extra vitalibus auris, Diflolvi fenfus animi fateare necelTe eft Atque animam, quoniarn copjunAa eft caufgj duobus. Denique cùm corpus nequeat perferre animajk Difcidiuin, quin id tetro tabefcat odore 5 Quid dubitas , quin ex imo penitùfque coorta I4nanar.it, uti furnus, diifufa aj&iraap vis y * | * S t] jj i I LITRE III. i£7 nnion leurexiftence & leur çonfervation. Lame ieparée du corps eft incapable de produire couce feule les mouvemens de la vie j & le corps puVé de Ton arae ne peut ni fubfifter, ni ufer de Tes organes. L'œil arraché de fon orbite , & 'ftparé du corps ne voit plus les objets : de même l'efprit & l'ame ne peuvent rien par eux-mcmes ; C eft que leurs élémens diiTéminés parmi les veilles , les vifceres, les nerfs & les o s , & retenu» £ar le corps entier ne peuvent s'écarter à de Crandes difiances ; & cet obftacle à leur difperj£on facilite les mouvemens de la vie qui ne peuvent plus avoir lieu, Jorfqu'après la retraite 4e lame fes principes ne font plus de même i|flujettis dans 1'atmofphere. Ea effet l'air pourjÇjit devenir un corps animé, (î l'ame y était «uflï à l'étroit, & la fphere de fon a&ivité auflt gjftflerrée qu'elle l'était auparavant dans notie Jjprps. Je le répète donc. Après la diflolution de fcnveloppe corporelle, & l'expiracion du fou/fle irai, il faut que le fentiment s'éteigne dans 1e, puifque ce font deux effets fournis à la te caufe. I L.Enfin puifque les membres ne peuvent foutemt le départ de l'ame, (ans fe corrompre, fans flhaJer une odeur fétide, pouvez-vous douter Up» l'ame décompofée jus fe Çoit hhappéz du i i£8 LUCRECE Arque ideo tantâ mutatum putre ruina Conciderit corpus penitiis , quia mota loco fu$| Fundamcnta foras animae manantque per artus, Perque viarum omnes flexus a in corpore quji funt, Atque foramina ? Multimodis ut nofeere poflls Difpertitam animae naturam exifTe per artus 5 Et priris e/Te fîbi diftraclam, corpore in ipfo, Quàm prolapfa foras enaret in aëris auras» Quin etiam , fines dum vitse vertitur intra } -Saepe aliquâ tamen è causa labefatta videtur Ire anima, & toto folvi de corpore membra, Et quafi fupremo languefeere temporc voltus, Molliaque exangui cadere omnia corpore mera bra. Quod genus eft , animo maVefatfum cùm perhi betur , Aut animam liquifTe ; ubi jam trepidatur, & omn< Extremum cupiunt vires reprendere vinclum : ConquaiTatur enim tum mens animaeque pote Omnis, & haec ipfo cum corpore conlabefîunt ; P t gravior paulo polîit difTolvere caufa. Quid dubitas tandem, quin extra prodita corpu Imbecilla foras , in aperto, tegmine dempto Non modo non omaem poflit durare per aevu $ed miuimum quodvis nequeat c o n f è r e tempmli LIVRE III. i£«> tçnd de nos corps, comme la fumée de Tintépeur du bois ? Cette altération des membres , çaufée par la putréfaction, cet écroulement général de l'édifice corporel n'annoncent-ils pas gue l'ame qui lui fervait de bafe a été déplacée , |fc que fes parties fe font difllpées par toutes les fifres , tous les conduits de la machine ? Ainû tput prouTC que l'ame fort des membres dans un £at de divilîon, & qu'elle ne nage dans lefluidede tair, qu'après avoir été décompofée dans le corps. - Souvent même, fans quitter le féjour de la vie, rame ébranlée par une violente fecoufTe , paraît fat le point de s'en aller Tout le fyftéme de la Jbachine fe relâche, le vifage devient languif£ n t comme au moment du trépas, & les membres flottans femblent prêts à fe détacher d'un Ê D D C où le fang ne circule plus. Tel eft l'état un homme qui tombe en défaillance, & qui ^ d la connaiflance ; aflau: terrible dans lequel te la machine fait un dernier effort contre la blution. Car alors l'ame entière tombe abatt e avec le corps, & périrait fi le choc devenait •lus violant. Et vous croyez que fortie des memjjkes, impuiffante contre les attaques extérieures, s abri, fans défenfe, il lui foit pofllble de fifter, je ne dis pas pendant l'éternité, mais on feul iaftant? M iij ijo l U CR E C E Nec fibi enim quifquam moriens fentircTidctor Ire foras animam incolumem de corpore toto j Nec priùs ad jugulum & fuperas fuccedere fauces : Veriim deiicere in ccrtâ regicrae locatâm 5 Ut fenfus alios in parti quemque fûa fcit Diffoivi. Quod fi immortalis nôftra/oret m e n s , Non jam fe moriens diflblvi conqucreretur $ Sed magis ire foras , veftemque relinqucre, u t anguis, Gauderet, praelonga ienex aut cornua cervus. Denique cur animi nunquam mens conflliumque Cignitur in capite, aut pedibus, manibufvc 5 Ccâ unis Sedibus, & certis regionibus omnis inhasret 5 Si non certa Ioca ad nafcendum reddita cuiqùc Sunt, & ubi quidquid pofïit durare creatum^ Atque ita multimodis pro totis artubus etfc, Membroium ut nunquam euftat prepafterus ordo ? Ufque adeo fequitur res r e m , neque flamma creari in Fluminibus folita eft, neque in igni gignicr a Igor. Praeterea, fi immortalis natura animai eft, Et fentire poteft fecreta à corpore noftro, « Quinque, ut opinor, eam faciundum eft fenfibus au&am j L i r& E i IL tft D'ailleurs an mourant ne fent pas Ton ame forcir faine U fauve de ion corps, & monter fucceffivemeat du gofier au palais. Elle s'éteint à fon tour, comme les autres fens, à l'endroit dé . la machine où la Narore l'a placée. Si elle était immortelle, bien loin de gémir de Ta difTolulion , elle s'ôô irait avec joie. Elle fort irait dtt corps , comme le ferpent quitte fa dépouille, comme le cerf fe défait de Con vioux bois. Enfin pourquoi la fenfibilité & le rai fermement ne nailTent-ils jamais dans la tête , les f icds, ou les mains î pourquoi font-ils affectés à un feul endroit, à une région fixe ? (mon parce que la Nature a affigné à l'une & à l'autre un lieu particulier pour y naître, & s'y conferverj c'eit amfi qu'elle en a ufé en une infinité de diTerfes manières, pour tous les membres du corps, entre le (quels elle n'a jamais permis que l'ordre fut perverti. Tel eft l'enchaînement invariable des effets & des caufes. Ainfi la flamme ne s'engerrdrc point dans le»fleuves, ni la glace dans le feu. Mais fi Famé eft immortelle de fa nature; fi, dégagée du corps , elle a la faculté de fentir, il faut, ce me femble, que vous lui donniez cinq Miv *7* LUCRECE Nec ratione aliâ nofmet proponere nobis Poffumus infernas animas Acherunte vagafc : Picrores itaque, :& fcrrptorum faxla priera Sic animas introduxerunt fenfîbus au&as : At neque feorfum oculi, neque nares, nec manus ipfa ECe poteft animas 5 neque feorfum lingua, nec aures Abfque anima per fe poflunt fentire , nec efle. Et quoniam toto fentimus corpore ineffe Vitalem fenfum, & totumerfe animale videmus: Si fubitô médium céleri praeciderit ic~tu Vis aliqua, ut feorfum partem fecernat utramque 5 Difpertita procul dubio quoque vis animai, Et difci/Ta, fîmul cum corpore disjicietur : At quod feinditur, & partes difeedit in ullas , Scilicet aeternam fibi naturam abnuit erreFalciferos memorant currus âbfcindere membra S^epe ita defubito permiftâ cxàe calentes, Ut tremere in terra videatur, ab artubus id quod Decidit abfcinum, cùm mens tamen , atque hominis vis, Mobilitate mali, non quit fentire dolorem ; Et fimul, in pugnas ftudio quod dedita mens eft, Corpore cum reliquo pugnam caedefque ped/ïït: ^ LIVRÉ I IL îTJ èrganes. Il eft impoffible de vous la rc pré ferrer fur les rives d? l'Achéron fans la dojer de fe:is , comme out fait les Peintres & les Poë*es anciens. l i a i s lame ne peut fans corps , avoir.des yeux , *n n e z , des mains, comme l i langue & les iéreilles ne peuvenc fans a m e , ni fenùr , ni rjèxiiier. D'ailleurs, comme nous éprouvons que le fen^ vtiment de la vie eft répand 1 dans toute l i m a échine, que toutes les parties en font animées ; (On coup prompt & violent, en féparant le tronc (par Je milieu, diviferait fans doute l'a me elle-même , & la ferait tomber , comme le corps , ^coupée en deux moitiés. O r , toute fubftance diIriilble ne peut prétendre a l'immortalité. On dit qu'au fort de la mette, des enars ar\]més de faax tranchent ii rapidement les mem|bres J J g-erriet a:iiaié au carnage, que fouvent ^*la parcie coupée palpite lai l: Cajk, avant que ^J*4rne fuit avertie le cc:te perce par la do-Jear 5 Jlbic que h promptitude da mil e.î dérobe, U. jjfcatimuK, ion qje J'ame , irviie coir^ wiiriere/ rh l'ardeur d'i conVsac, n'o.jcape ce tin lu re^.c &U wor^s q4*a fouet, oa a parer des J t,. J n :(•" iviv ' '. » x?4 LUCRECE Ncc tenct, ami/Tarn laevam cum tegmiriê (£$t Inter equos abftraxe rotas falcefque rapaccs ; N e j cecidifTe alius dextram, cùm fcandir & i n £ tat. Inde afius conatur ademptô furgere crure, Cùm digitos agitât prapter moribuadus humi pes : Et caput abfcinura, calido viventeque trunco, Servat humi voltum vitalem oculofque patentes , Donec reliquias animai reddidit omnes» Quin etiam tibi lî Hnguâ vibrante minantis Serpentis caudam, procero corpore, utrinquc Sit libitum in multas panes difcinderc ferro > Omnia jam feorsum cernes amcifa recenti Volnere tortari, & terram confpergere tabo 5 Ipfam feque rétro partem petere ore priorem , Volneris ardenri ut morfu premat ic"fca dolore* Omnibus efTe igitur totas dicemus in illis Parciculis animas ï An eà ratione fequetur, Unam animantem animas habuifTe in corpprc multas. Ergô divifa eft ea qua» fait u n a , fimul oum Corpore : quapropter mortale utrumque putandum èft -, In multas quoniam partes difcinditur a?què. îl^fiï Iîï. t7% Autre né fçaît pas que fdn bouclier & Ton bras gauche perdus au milieu des courtiers , ont été . broyés par ks roues, & emportés par les faux* Celui-ci en prefTant l'ennemi, & en efcaladant les murs, ignore que fa main droite cft détachée dé Ton bras. Celui-là cherche à s'appuyef fur la cuiflè qu'il n'a plus , tandis qu'à Tes côtés fort pied mourant remue encore les doigts fur le Table. Fnân lorfqué la tête e(t féparée du corps, le troni conferve la chaleur Si k vie, le vifago demeure animé, & les yeux ouverts, jafqu*à ce que les refies de lame fe fuient diiïlpés dans las aitt* r Coup** en pfu/ïeurs tronçons la queue de cet énorme ferpent dont le dard vous menace, voua i terre* chaque partie féparée fe tordre & diftiller fur la terre un noir venin , tandis que là partie antérieure, furieufe de fi bkflure, s'attaque eile-métrte par-derrière avec fes propresdents. Dirons-nous que chaque tronçon a une ame entkce 3 C'eft en donner plulïcurs à un feul atuniaL II n'y en avait donc qu'une qui % été divïfée avdC ic corps» Ainft ils font {dus les deux mortels > puifqu'iis font tàu* k s deux diviiîbk* AÏYJ %76 I V C R E C E Prarrerea, fi iinmorralis natura animai' Conftac, Se in corpus nafcentib as infinuatur : Cur faper aiKeactuui aei.acem meminifle nequimis, N e : vckisya çeftarum rerum ulla tenemus? Nam n taiKopere eft animi matata poteftas, Garnis ut aftarum exciderit retinentia rerum : N o n , ut opiner, id ab letho jam longiter errât. Quapropter fateare necefle eft, eparfuit antè , lateriifle, & , q u s mine eft, nunc elle créa* taiiu Prarcrea fi, jam perfeSlD corpo-e, nobis Inferri folira eft aiimi vivata porefias , Tum cùm g gai .nu r , 5c vira: ciim li nen inimus % H.iad ira convw.iieba: uri, ciun coipore & unà C'im meaibris vid^arur in ipfo fanguine crêfle ; Se I velue in caveà, per fe liai vivere folam Convenir, ne feufu corpus tamjn a Huât omne : Quare e iam arque etiam nec origiais elle putan» d un eft Expertes animas, nec Iedii lege fobtas, Nam neque tantopere adnecH poraifTe putaa* du m eft Corportois noftri- ex:rinf^-tis infinuatas: Quod fisri cocum :o:i.rj4mi-iifcira docet res: * Kamq-ie i:a conaexa eit per v'enas > vifçera, neivjs. L i v R e ri T. i i77 - Mai* (î lame elV immortelle r fi elle s'infinuc dans le corps au moment qail naic, pourquoi <mc poivo.is-noJi nous nppeller notre vie palliée; pj arquai-ne coiferv ans-nous aucune ttà^G ••de nos aa:ienncs acho.is ? Si fes facultés To u li «ort al-érées qa'elle aie e.uiéremenc perdu le Ljbuvemr de> événera^ns precédens, cet éeze difîiére, ce m- fem ^le, b«e i peu de jel 11 de la more ? Avouez, don- q le les aaiss d'autrefois font mort e s , & que celles d'aajeurd'hui foac d'une nou,?Velle formation» >• D'ailleurs, lî farar s'inStïiiic err nnus*, îor£^qu'après la'formation di corps noas microns, vpoar aiuî dire, le pied far le feail de la vie, ;la verrions nous croître avec les membres dans le faag même ? M>idevrait-elle pas„ cornue loi» '\leaa prifoimer dans fa cage , vivre pour clic ft/ejb, indépendante dtr corps qu'elle anime ? Ri* ;^ pétons-te donc fans cène ; les âmes ne font ni -> exemptes docigine , ni affranchies des lois du trépasi Eft-11 croyable en effet qu'une (ubftance étr4ff«» jlgere eut pa fe lier a,uïïî intimement, que nôu» t|le voyous , a nos organes, fe répandre dans nos î'veines , nos nerfs y nos vifjeres 3c nos os , & ^.communiquer du fentiaienc aux dents même , l Li' 1 V CR %7S ECU Opaque* , Uti dentés quoquc fenfti participent rur; Morbus ut indicat, & geiidaï ftrirjgor aquaï, Et lapis oppremis fabitis è frugibus afper. Nec, tam contexta; ciim fint, exire videntui Incolumes poiïe, & falvas exfolvete fc-fé Omnibus è nervis atque offibus articuhfquc. Quàd C\ forte putas ctcrinfeciis infînuàtam Permanare animarri nobi* per raembra folere 5 Tantô quaeque magis cdnr corpore fufa peribit, Quod permanat enim, difïolvitur : interit ergo. Dfifpemtur enim per caillas corporis omnes. Ut cibus in membra atque artus cùna diditur 01»* nés, Difpefit, atque aliara nararara fufficit et Ce : Sic anima atque animas, qnamvis intégra recens iûF Corpus eunt, tamen k\ mânando diiTolvuntur } Dam qùafï per carias omnes diduntur in artus Particule, <jmbus haec animi naturacreatur, Quae mine in noitro dominatur corpore, nataEx illâ, quae tune périra: partira per artus* QaaprOpter neqîie natak priva ta Videtur Eile die natura anima:, ncque funeris expers. Semina praeterea linquunrar, neene, animai Corpore m exanimo ? quod fi Unquuntur & in-funt, I / f RÉ III. 279 gui dotre leurs maladies propres > font encore bk/rées , & par Vimpreflion de l'eau glacée, & par le froifTement imprévu <fun caillou mêlé •aux alimens qu'elles triturent? Ajoutez qu'étant adffi étroitement unie à la machine , l'ame ne peur, fans une diflblution- totale, le dégager des nerfs, des os , des articulations. / Faire de l'ame unfluideétranger qui coule dant nos membres, & qui les pénétre, c'eft multiplier & accélérer les caufes de fa deftruction Car la fluidité eft un état de diffolution , un état de mort. Il faut qu'alors l'ame fê diftribue dans tods les conduits de la machine. Or, fi les alimens , en fe filtrant dans nos membres , perdent leur nature pour fe changer en une nouvelle fûbftance , l'ame aufli , quoique entière à fon entrée dans le corps qui vient d'être formé , doit fe décompofer en y circulant, & fes parties éparfês dans tous les canaux de la machine doivent former une nouvelle ame, une nouvelle reine de nos corps, produite par la première qui périt pour lors en fe divifant dans les membres. L'amê a donc eu le jour de fa naiiTance, Scelle aura celui de fa mort. Hefte-t-iî, ou non, après la mort, quelque! molécules de l'ame dans les membres ? S'il en *<»a I V C R E C E Haud erit, ut mentô immonalis pofïît haberi % PAttikus amilîîs qaoniam liba-a recemV Sin, ira (mceris membris, ablaca profugit, Ut uuilas partes in corpore liqucric ex fe ; U n i e cadavera , rancenti jam vifccrfr , ver* mes Exjûrantj/itq'ic unde animantu-m copia tant}} Exos 3c exfaagaiS turaidos pernu&uat artus l j Quôd ti forte animas exrrin&ciis infïnuari Vermibus, Se privas in corpora po(Te venire Credîs j nec réparas eut millia m il:a a n m i r u m Coaveniaiît, unde anarecellerit ; hoc tamen eft ut Quaercndum videatur & in difcrinvea agenda m ; Utrù-.ii tandem anima? vioencur femina qjje ^xz Vermuulorura , îplj^ae tibi fabricencur , ubî tint ï An jam corponbus perfecïis infînuentuï ? At neque y cur facianr. ipfae, quarjve laboienr, Dicere fappeiitac > neque emm , tine corpore cùm funt, Sotlicit3C volit'a it morbis aîgoque fameque. Corpus enim magi? his viciis adfîne lajora: \ Et mali mut a a a m u s conragi fungicar jjus : Szl came •> his e :o q amvis facere unie cornus , Q a o i fù>ca.it : a; j.ià p o i i a : , via liUiU Vide* tur. i î r R E m. 181 Jcfte s TOUS ne pouvez la regarder comme immortelle , puifqu'elle fe retire appauvrie par cette diminution de parties * Si au contraire elle ne ^buifre aucune pêne j fi Je corps lui reftitue fidèlement tous Tes élémens, pourquoi la putréiàction des vifeeres donne-t-ellc le jour à un peuple de vermifTeaux r D'où vient ce flux continuel d'infeâes privés d'os & de fang, qui s'agitent au milieu des chairs gonflées ? - Si vous regardez les âmes de ces animalcules * comme autant de fubftances étrangères qui fc font jointes à leurs corps ; fi l'arrivée fubite de tant dames, après le départ d'une feule , n'eft pas pour vous un fujet de réflexions ; vous ne jfourez cependant vous difpenfer de répondre à *ne queftion : chacune de ces âmes choiût-elïe Jcs germes qu'elle veut animer, pour y conftruire fa demeure } ou font-elles reçues-dans des organes déjà formés î On ne voit pas pourquoi «lies fe tourmenteraient à fe bâtir une prifon, elles qui, fans organes, volent à l'abri des maladies , du froid, de la faim, de tous les maux qui font le partage du corps, & que lame neleflent que par ion union avec lui. Mais fuppoibns qu'il lui foit avantageux de fe conftruire un corps pour y entrer, on ne voit pas au moin» par quel moyen elle pourrait y réuulc Ne dite» L i§i LUCRÈCE Haud igitur faciunt animas fibi eorpora & af* tus. Nec tameii eft, ut jam perfe&is infmuentur Gorpotibus 5 nequô enirri poterunt fubtiliter elfe Connexae, iieque cônfenfu1 eontagia fient. Denique cur acris violentia trifte leonum Seminium fequitur ? dolu' volpibus, & fuga cer* vis A patribus datur, & patrius pavor incitât artus ? Et jam caetera de génère hoc, cur omnia membris Ex ineunte asvo ingenerafcunt inque genuntur j Si non certa fuo quia femme feminioque Vis animi pariter crefcit cum corpore toto ? Quod lî immortalis foret & mutare foleret Corpora ; permiftis animantes moribus eurent J ErFugeret canis Hyrcano de femme fsepe Cornigeri incutfum cervi, tremeretque per auras A'éris accipiter fugiens, vénienic columbâ : Defiperent homines, faperent fera faecla ferarum. Illud enim falsâ fertur ratione, quod aiunt, Immortalem animam mutato corpore fledi. Quod mutatur enim, diifolvitur 3 ânterit ergo. Trajiciuntur enim partes , atque ordine mx<grant; I;"/ V R E lu. itf «loné pas que lame fê conftruit elle-même un corps & des membres. Ne dites pas non plus qu elle entre dans* des membres tout formés ; ou expliquez cette liaifon intime, cet accord parfait entre les deux fubftances. Enfin pourquoi le lion conferve-t-il toujours la férocité de fon efpece ? pourquoi la rufe eftelle héréditaire aux renards, comme la fuite & ; la timidité l'eft aux cerfs ? En un mot, pourquoi cette uniformité d'affections fpirituelles qui naiffent avec nous ? fînon* parce que l'efprit ayant, comme le corps, fon germe & fes élémens particuliers, les qualités de l'ame croifleut & fe développent par degrés en même-tems que la machine. Si elle était immortelle, fi elle parfait d'un corps dans un autre, les mœurs des animaux feraient mélangées : on verrait fouvenc le chien d'Hyrcanie fuir la rencontre du cerf 5 le vorace épervier trembler dans l'air à la vue de la colombe, les hommes perdre lai raifon, & les fcetes féroces acquérir la fagefle. Envain, pont réfbudre ces difficultés, foutient-on que l'ame, (ans cefler d'être immortelle , change de nature en changeant de corps: tout être fujet au changement eft fournis à la diilblution, & ne peut manquer de périr pat 11 2.S* L V C R E C Ê Quare diflblvi quoque debent poffe per artu$V Denique ut intereant u;ià cum corpore cundtee. Sin animas hominum dicent in corpora fera** per Ire humana ; tamen quaeram cur è fapienti Stulta queat fieri 5 nec prudens fît puer ullus ; Nec tam doctus equae puilas, qukm fortis equi vis : Si non certa fuo quia femine feminioquc Vis ammi pariter crefcit cum corpore toto. Ssilicet in tenero teaerafcere corpore mentem Confugient 5 quod fi jam fit, fateare necefTe eft , Moi talc m effe anima-m , quoniam mutata per artus Tantopere amittit vitam fenfumque priorem, Quove modo poterit pariter cum corpore quoique Confîrmata, cupitum xtaris tangere £orem Vis animi ; nifi erit confors in origine prima ? Quidve foiàs fibi vuk membris esire fenectis ? An metuit conchifa manere in corpore putri , Et domus setat's fpatio ne fefla vetufto Obruat ? at non funt immortali ulla pericla. Dcniq^e connubia ad Veneris partufque ferarura Effe aniiuas prafto, deridiculum efTe videmr $ * I I V R E III. i*s h. tranfpofition & le dé (ordre de Ces parties ; l'ame doit donc fe diiïbudre dans les membres, & mourir toute entière avec 4e corps.. Si vous dites que les âmes humaines ont toujours des corps humains pour domiciles, je vous demanderai comment de fages elles deviennent déraifonnables-s pourquoi l'enfant n'a pas la prudence en partage , ni le poulain de la jument les qualités du courfier belliqueux , (mon parce que l'ame a Ton germe propre qui (e développe en même-tems que le corps. Vous direz donc pour dernière refSource qu'elle rajeunit dans les enfans ? Mais c'eft avouer fa mortalité. Elle ne peut fubir un changement fi considérable , fans perdre la vie & le fentiment dont elle était douée auparavant* •Mais comment pourra-t-dje fe fortifier avec le corps , atteindre en même-tems que lui à fa perfection , fi rinitant de leur naifTancc n'a pas été Je même ? pourquoi dans la vieillefiè , fe hâte-t-elle d'abandonner fes membres ? craintelle de relier enfermée dans un corps putréfié î a-t-eUe peux que fon vieux domicile ne s'écroule fur elle ? mais quel rifque court une fubftaaeç immortelle ? Enfin il eft ridicule de s'imaginer que les âmes fc rendent au moment précis de l'accouplement zM LUCRECE Et fpectare immortales mortalia membra Innumero numéro, certareque prseproperanter 'Inter fe, quize prima potiffimaque infinuetur : Si non forte ita funt animarum fœdera pa&a , Ut, quae prima volans adveaerit, infinuetur Prima , neque inter fe contendant viribus lulum» Denique in acthere non arbor, mon asquorc in alto Nubes efTe queunt, nec pifces vivere in arvis, Nec cruor in lignis , nec faxis fuccus inefTe : Certuni ac difpofitum eft , ubi quidquid crefcat & infit: Sic animi natura nequitfinecorporc oriri, Sola, neque à nervis & faaguine longids efTe ; Hoc fi pofTet enim, mulco priiis ipfa animi vis In capite, âut humeris, aut imis cakibus elfe Pofiet, & innafei quâvis in parte foleret ; Tandem in eodem homme, atque. in code m vafe maneret. Quod quoniam in noftro quoque conftat corporc certuni, Difpofitumque videtur, ubi e(Te & crefeere poffit Scorfum anima atque animu> : tantQ magis infîciandum Totum pofie extra corpus durarc genique. Quare, corpus ubi interiit, peiHiTe neeerreeft Confiteare animara difba4tam in corpore t»to# LIVRE III. 187 $Ç- de. Ja naifTance des animaux , qu'un nombreux elTaim de fubftançes immortelles s'empref-r £nt autour d'un germe mortel, & fe difputeat l'avantage d'être introduite la première, à moins que, pour prévenir la difcorde, elles ne coru•fiennent entr'elles de céder la place à la pluç, jljligente. Voyez-vous des arbres dans l'air, des nuages dans l'Océan, des poifTons dans les plaines, du j?ng dans le bois, des Tues dans les cailloux? non fans doute. Chaque être a Ton lieu marqué pour exifter Si. pour croître. L'a me ne peut noi* *lus naître ifolée *_ ni vivre indépendante <fy jang Se des nerfs. Si elle avait ce privilège, elle pourrait à plus forte raifon fe former dans la jeté, dans les épaules, dans les talons, ou dans, foute autre partie du corps, puifqu'enfin elle resterait toujours, dans le même homme, dans le Inéme vaiflçauf Or û nous fommes fiirs que l'ç(V jpit #. l'ame ont dans le corps un fiege marqué pour leur exiltençe & leur accroifTement , nç (bmmes-nous pas bien plus autorifés à nier qu'ils puiifent naître Sç fubfiftçr fans lui ? Ainfi quan4 a machine périt, il faut que, i'amç eUç-m^m£ #t decom.^ofee^ t. i88 L U C R ECS Qiïippe etenim mortàk asterno jungere, & unà T Confentire putare, & fungi mutua pofTe, Befîpere eft. Quid enim diverfîus elfe putandimr eft, Aut magis inter fe dîsjunctum difcrepitanfque, Quàm mortalequod eft, îmmortali atque perennî ? Junctum , in concilio f^evas tolerare procellas ? " Praeterea, qusecunque marient aîterna^ necefTe eft* Aut, quia funt folido cum corpore, refpuerei&us,Kec penetrare pati fibi quidquam, quod queat ar&as Diflbciare intris partes ; ut materiaï Corpora funt, quorum naturam oftendimus amèa Aut ideo durare secatem pofTe per omnem, Plagarum quia lu'nt expertia ; fîcut înane eft, Quod manet inta&um, ne^ue ab iclu fungituir iiilutn : ' Aut ideo, quia nulla loci fit copia circùm , Q u o qualî res poflint difccdere difToîvique 5 Sicut fummarum fumma eft alterna j neque extra Quis iocus eft, quo difFugiat 5 neque corpora » i funt, quas Poflint incidere & valida difïblvere plagâ. At neque, u'ti docui, folido cum corpore mentis Naturaeft j quoniam admiftum eft in rébus iriarie : Nec tamen eft ut irune 5 neque autem corpora défunt, Ex r LIVRE III 289 Quelle folie d'unir le mortel à l'immortel, de (uppofer entr'eux un accord mutuel, une communauté de fonctions ! Qu'y a-t-ilde plus diflel- rent, de plus diftinct, & de plus o'ppofé que ces deux fubftances, l'une périflable & l'autre indef*. trudible que vous prétendez allier, pour leur - faire fapporter conjointement mille accidens fouettes.? Enfin un corps fubfîfte éternellement, ou parce ; que fa folidité réfifte au choc , à la pénétration, fi à la diûolution , comme les principes de la ma? tiere , dont nous avons ci-defïus fait connaître . la nature : ou parce qu'il ne donne pas de prife H au choc, comme le vuide, cet efpace impalpa1 ble, dans lequel fe perd toute aétion deftrudtive : ji ou enfin parce qu'il n'eft point environné d'ua efpace qui puifle recevoir fes débris, après fa diûolution, comme le'grand'tout hors duquel il n'y a ai lieu ou fe diûipent fes parties, ni corps pour les heurter & les féparer. Or l'ame n'eft pas immortelle en tant que folide , puifque je vous ai enfeigné qu'il y a du vuide dans la nature 5 elle ne l'eft pas non plus comme vuide > il n'y a que tr«p de corps dans cet univers infini, dont l'irruption foudaine ébranle ion être, & l'expofc Tome L N %9o LUCRECE Ex infinito qux poflint forte coorta , Proruere hanc mentis violento turbine molcm ; Aut aiiam quamvis cladcm importare pericli j Nec porro natura loci, fpatiumque profandi Déficit, expergi quo poilît vis animai, Aut aliâ quâvis poflir vi pulfa perire : Haud igitur lethi praclufa eft janua menti. Quôdfiforte ideô magis immonalis habenda eft, Quôd lcthalibus ab rébus munita tenetur : Aut quia non veniunt omnino aliéna falutis j Aut quia qua: veniunt, aliquâ ratione recedunt Pulfa priùs, quàm, quid noceant, (èntire queamus ; Scilicet à verâ longe ratione remotum eft. Piaeter enim quàm quod morbis tum corpori s aigrir, Advenir id, quod eam de rébus faepe futuris Macérât, inque metu malè habct, curifquc fatigat; Prasteritifque admifTa annis peccata remordent. Adde furorem animi proprium, atque oblivia rcrum 5 Adde quod in nigras lethargi mergitur undas. Nil igitur mors eft, ad nos neque pertinet hilum, Quandoquidcm natura animi mortalis kabetui % Et velut anteaclo nil tempore fenfîmus a;gri, Ad confhgendum yenientibus undique Pœnis, Omnia ciira belii crepido coacuHa cumula* LITRE III. i9i au danger de périr. Enfin il ezifte des efpaces immenfes où Ces parues élémentaires peuvent fe difperfer, & fa fubftance périr de quelque ma-» jiierc que ce foit. Ce n'eft donc* pas pour elle qu'ont été fermées les portes du trépas. Jinvain fonderiez-vous fon immortalité fur l'avancée qu'elle a d'être à l'abri des caufes de deitruétion : ou parce qu'elles n'arrivent pas jufqu'à elle, ou parce qu'elles font repouuees de quelque manière que ce foit avant que nous fendons le mal qu'elles pourraient lui faire. Car fans compter les maladies du corps dont l'ame reuent l'atteinte, l'inquiétude de l'avenir la mine & la tourmente par des allarmes & des foucis continuels : le fouvenir de fes crimes. pa/Tés eft un ferpent qui la ronge. Ajoutez le délire , maladie propre à l'ame, la perte de la mémoire , & le fommeil lugubre de la léthargie. Qu'cft-ce donc que la mort, & que nous importent fes terreurs, fi l'ame doit périr avec le corps î Etions-nous fenfibles aux troubles de Rome, dans les ïîecles qui ont précédé notre nai£ &ace-, lorfque l'Afrique entière vint heurter i'Em« pire y lorfque les airs ébranlés retentirent au loin Nij k i9i LUCRECE Hornda contrcmuêre, fub altis aetheris auris j In dubioque fuit fub utrorum régna cadendum Omnibus hunaanis effet, terrâque manque. Sic ubi non erimus , cùm corporis atque animai Difcidium fuerit, quibus è fumus uniter apti, Scilicet haud nobis quidquam, qui non erimus tum, Accidere omninô poterit, fenfumque movere 5 Won fi terra mari mifeebitur, & mare coelo. Et fi jam noftro fentit de corpore , poftquam Diftracta eft animi natura animaîque poteftas 5 ** Nil tamen hoc ad nos, qui coetu conjugioque Corporis atque animas confiftimus uniter apti : — Nec, fi materiam noftram conlegerit aetas Poil obitum, rurfumque redegerit, ut lîta nunc eft, Atque iterum nobis fuerint data lumina vita? ; fcrtineat quidquam tamen ad nos id quoque factum, Interrupta femel cùm fit repetentia noftra. Et nunc nil ad nos de nobis attinet, antè Qui fuimus 5 nec jam de illis nos afficit angor, Quos de materiâ noftrâ nova proferet aetas. Nam cùm refpicias immenfi temporis omnc Praneritum fpatium, tum motus materiaï JAwltimodi quàmfint? facile hoc aderçderç pof- LIVRE III. 295 du bruit de la guerre, lorfque le genre humain attendit en fufpens fur la terre & l'onde duquel des deux peuples il allait devenir la.conquête. Hé bien ! quand nous aurons cefTé de vivre, quand la mort aura féparé les deux fubftances dont l'Union forme notre être, nous ferons de même à l'abri des événemens s ou plutôt nous ne ferons plus , & les débris mêlés du ciel, de la terre & de la mer ne pourront réveiller en nous le fentimcnr. Mais quand mêmel'efprit & lame, après leiïf retraite, auraient encore des fenfations, quel intérêt pourrions-nous y prendre, nous qui ne fommes que le rcfultat de l'union intime du corps Se de l'efprit ? & quand.même après le trépas, le terris Tiendrait à bout de rancmbler toute la matière de nos corps, de remettre chaque molécule dans l'ordre & la Situation qu'elle a préfentement, 6c de nous rendre une féconde fois leflambeaude la vie, cette renahTance ne nous regarderait plus, la chaîne de notre exiftence ayant été une fois interrompue. Qui de nous s'inquiète maintenant de ce qu'il fut jadis, ou de ce que le tems.fera des débris de fon cadavre ? En effet, en confidérant te nombre infini des fîecles panes, & l'étonnante variété des mouvemens de la matière, on concevra aifémeat que les atomes fe font trouvés Niij i94 LUCRECE Scmina faepe in eodem, ut nunc funt, ordinc pofta : Nec mernori tamcn id quimus deprendere mente. înter enim je&a eft vitaï paufa , vagèque Deerrârunt paffim motus ab fenfibus omnes. Débet enim, miferè quoi forte aegrèque futurum eft, Ipfe quoque efle in eo tum temporc, edm malè pofîît Accidere. At quoniam mors eximit im, prohibetque Illum a cui poffint incommoda conciliari Ha?c eadem, in quibus & nunc nos fumus, antè fuifle : Scire licet nobis nihil elfe in morte timendum ; Nec miferum fieri, qui non eft, po/fe5 nequc hilum DifFerre, an nullo fuerit jam tempore natus, Mortalem yitam mors cui immortalis aderait. Proinde ubi fe videas hominem indignaricr ipfum Poft mortem fore, ut aut putrefeat corpore pôfto, Àut flammis interfiat, malifre ferarum 5 Scire licet, non fùicerum fonere, atque fubefle Caecum aliquem cordi ftimulum 5 quamvis neget ipfe LITRE III. i?$ plus d'une fois arrangés comme ils font aujourd'hui : mais il cft impoflible que la mémoire noms en inibuife > parce que, pendant la longue panle de notre vie , les principes de nos âmes fe font égarés dans des mouvemens tout-à-fait étrangers à la fcnfibilité. On n'a rien à craindre du malheur, û l'on n*exifte dans le tems où il pourrait fe faire fentir. Mais puifque la m o n , en faifant difparaitre l'homme, fur qui pourraient fondre les maux auxquels nous femmes expofés, l'empêche, pour ainu* dire, d'avoirexûtéauparavant, qu'a-t-il à redouter ? Eft-on malheureux quand on n'exifte pas ) Et celui qu'une more éternelle a délivré de la vie, n'cft-il pas au même état que s'il ne fit jamais né ) Àiftfi, quand vous entendez un homme fe plaindre du fort qui le condamne à fervir de pâture aux vers, aux flammes, aux bétes féroces s foyez fur qu'il n'eft pas de bonne foi, qu'il a e fe rend pas compte des inquiétudes mal développées dont fon cœur eft le jouet. A l'en-. Niy i96 LUCRECE Crederc fe quemquam fibi fenfum in morte fu- *> turum. Non, ut opinor, enim dat, quod promittit 5 & indè Nec radicitûs è vitâ fe tollit & e^pit ; Sed facit effe fui quiddam fuper, infcius ipfèVivus enim fîbi cdm proponit quifque , futurum Corpus uti volucres lacèrent in morte feraeque 5 îpfe fui mifèretj neque enim fe vindîcat hi« lum, Nec removet fatis à projecto corpore 5 & illud Se fingit, fenfuque fuo contaminât adftans. Hinc indignatur fe mortatem efTe creatum j Nec videt, in verâ nullum fore morte allum le , Qui pomt vivus fibi fe lugere peremptum, Stanfque jacentem 5 nec lacerari, urive dolorer. Nam li in morte malum eft, maîis morfuque ferarum Tra&ari 5 non invenio qui non fît acerbum Ignibus impolîtum calidis, torréfcere flammis 5 Aut in melle fitum fufFocari, atque rigerc Frigore, cdm in fummo gelidi cubât asqupre faxij Urgerive fupernè obtritum pondère terre, At jam non domus accipiet te laîta, nequc uxor Optirna, aec dulces occuxrent ofcula nati L I r R E I I L 297 tendre , il ne doute pas que la mort n'éteigne en lui le fentiment j mais il ne tient point fa parole. Il ne peut fe faire mourir tout entier , &c fans le fçavoir, il lailTe toujours fubfifter une partie de fon être. Quand il fe repréfente pendant la vie , que fon cadavre fera déchiré par les monftres & les,,oifeaux carnaciers , il déplore fon malheur : c'eft qu'il ne f~ dépouille point de lui-même , il ne fe détache point de ce corps que la mort a terraflc, il croie que c'eft encore lui , & debout à fes côtés, il l'anime encore de fa fenfibilitc. Voilà pourquoi il s'indigne d'être né mortel : il ne voit pas que la vraie mort ne Jaiflcra pas fibfifter une autre luimême , un être vivant pour gémir de fa mort, pour pleurer debout fur fon cadavre étendu, pour être déchiré par les bêtes , & confumé par la douleur. Car fi une des horreurs de la mort eO: de fervir d'aliment aux hôtes des bois , je ne vois pas qu'il foit moins douloureux d'être confumé par les flammes, d'être étouffé par le miel, ou tranfi de froid dans un tombeau de marbre-, ou d'être écrafé fous le poids^de la terre par les pieds des paflans* Mais, dites-vous , cette famille dont je faifais le bonheur > cette époufe yertueufe , ces cher* NT *o8 LUCRECE Preripere, & tacitâ pe&us duicedinc tangent : Non poteris fa<5Us tibi fortibus cfTe, tuifquc Prxfîdio : mifer ! ô mifer ! aiunt, omnia ademit Una dies infefta tibi tôt praemia vitar. Illud in his rébus non addunt $ nec tibi earum Jam defiderium infidet rerum infuper unà. Quod bene fi videant animo , di&ifque fcquantur ; Biflblvant animi magno fe angore metuque. Tu quidem, ut es letho fopitus, fie eris aevi Quod fiipereft, cundis privatu' doloribus asgris i At nos horrifico cinefaclum te propè bufto Infatiabiliter deflebimus, aeternumque Nalla dies nobis mœrorem è pe&ore démet. Illud ab hoc igttur quxrendum eft, quid fit amari Tantopere -> ad fomnurrifires redit atque quictem> Cur quifquam aeterno poffit tabefeere lo&u ? Hocetiamfaciunt, ubidifcubuêre, tenentque Pocula (sepe hommes, & inumbrant ora coronis , Ex animo ut dicajit : brevis hic eft fructus homullis y Jam fuerit, neque poft unquam revocare licebic: Tasnquam in morte mali cumprkrifs hoc fit eorum, Quod fîtis exurat miferos atque arida torreat y Aut aiix cujns defiderium iafideat rei, i L 1 1P R E 1 IL ±9$ tnfans qui volaient au-devant de moi pour s'emparer de mes premiers baifers, & qui pénétraient mbn coeur d'une joie intérieure & fecrete , une gloire qui n'eft pas encore à fon comble, des amis à qui je puis être utile. O malheureux , malheureux qiie je fuis l un feul jour, un inftant fatal me ravit toutes les douceurs de la vie. Sans doute ; mais vous n'ajoutez pas que la mort vous en ôte aufli le regret. Si on était bien convaincu de cette vérité, de combien de peines & dailarmes ne le délivrerait-on pas ? l'afToupifTement de la mon a fermé vos paupières : vous voilà pour lerefte des (îecles à l'abri de la douleur j & nous, à côté d'an bûcher lugubre, nous ver^ fons fur vos cendres des flots de larmes, & la i tems n'effacera jamais les traces de notre douleur. Infenfés ! pourquoi nous deffécher dans le deuil Se dans les pleurs ? Un fommeil paifîblc , un repos éternel > ne voiià-t-il pas un grand fujoic d'àfflîaiôftl Ô mes amis, livrons-nous à la joie, le plaifïr eft fugitif! bientôt il va nous quitter pour ne plus revenir : c'eft ainfi, que la coupe à la main ; des' convives* couronnés de fleurs , s'animent à la gaieté. Ils craignent donc , après la mort , d'être dévorés par la foif, épuifés par la féche*cû*e, ou tourmentés par d'autres defîrs ; Nvj 3oo LUCRECE Nec fibi enim qujfquam tum fe, vitamque re^ quiiitj Cùm pari ter mens & corpus fopita quiefcunt : Nam licet aecernum pet nos fie elle foporemr Nec defiderium noftri nos adtigit ullum 5 Et tameh haudquaquam noflros tune illa per artus Longé ab fenfiferis primordia motibus errant, Quin conreptus homo ex fomno fe conligit ipfe. Multô igitur mortem minus ad nos efTe putandum ; Si minus efTe poteft, quàm quôd nihilefTe videmus. Major enim turbae disjedus materiaï Confequitur letho, nec quifquam expergitus exftat, îrigida quem £emel eft vitaï paufa fecuta» Denique fî vocem rerum Natura repente Mitcat j & hoc aliquoi noftrûm fie increpet ipfa •, 3j Quid tibi tantopere eft , Mortalis, quod nimis aegris « Lu&ibus indulges ? quid mortem congemis, ae fies? y> Nam fi grata fuit tibi vita antea&a priorque 5 » Et non omnia, pertufum congefta quafi in vas, » Commoda perfluxêre^ atque ingrata interiêre : » Cur non, ut plenus vitae conviva, recedis , v iEquo apimoque capis fecuram , ftulte, quietem ? «LSinea, quas fm&us cujique es, periêre profufa, LIFRB III. 3.0 r Quand le corps 6c Famé repofent dans les bras du (brameil, on ne s'inquiète ni de foi, ni de la vie. Et bien que cet état dç calme puiile durer éternellement, il n'eft jamais troublé par le regret de notre exiftence. Néanmoins les mouvemens de la fenfibilité ne font pas tellement égarés pendant le fornmeil, que le réveil ne puiffe aifément les ramener à kur direction. La mort cfl donc encore moins que le fornmeil, fi ce qui n'eft rien peut avoir des degrés : elle caufc plus de défordre & de confufïon dans les principes , & interdit pour toujours le réveil à quiconque a une fois fenti fou froid repos. Sj la Nature élevait tout-à-coup la voix, Se nous faifait entendre ces reproches : «Mortel, aa pourquoi te défefpérer ainfî immodérément?. » pourquoi gémir & pleurer aux approches de la ' » mon l Si tu as paiTé jufqu'ici des jours agréa» blés, fi ton ame n'a pas été un vafe fans fond n où fe Xbient perdus les plaifirs & le bonheur, » que ne fbrs-tu de la vie , comme un convive M ralfaûé, comme un voyageur qui touche au » port ? Si au contraire tu as laide échapper » tous les biens qui fe font offerts , fi la vie ne 302 LUCRECE » Vitaque in ofFenfu eft : cur ampliùs addere qua^ ris, >J Rurfum quod pereat malè, & ingratiim occidac omne ? » Nec potiùs vitse finem facis, atque laboris ? » Nam tibi prasterea quod machiner, inveniamque 35 Quod placeat, nihileft : eadem funtomnia femper. » Si tibi non annis corpus jam marcet, & artus v Confeâi languent : eadem tamen omnia restant , 5» Omnia fi pergas vivendo vincere fascla; » Atque etiam potiùs, fi nunquamfismoriturus, Quid refpondeamus , nifi juftam interidere litcm Naturam , & veram verbis exponere caufam 5 At qui obirum lanientetur, miferampliùs sequo, Non merito inclamet magis, & voce increpet acri ? n Aufer ab hinc lacrimas, barathro, Se compefce querelas. Grandior hic verô fi jam, feniorque queratur : » Omnia perfru&us vitaï prœmia, marces ! 3> Sed quia femper aves, quod abeft, praeféntia temnis, >? Ifhperfecla tibi elapfa eft ingrataque vita* L 1 V R E 111. |oj » t'offre plus que des dégoûts, pourquoi voudrais« tu multiplier des jours qui doivent s'écouler » avec le même défagrément, & .s'évanouir à » jamais fans te procurer aucun plaifir ? Que ne , » cherche-tu dans la fin de ta vie un terme à » tes peines ? Car enfin quelques efforts que je r » faffe, je ne peux rien inventer de nouveau qui » te plaife ; je n'ai toujours à t'ofrrir que le même » enchaînement. Ton corps n'eft pas encore ufé J> par la vieilleffe, ni tes membresflétrispar les » ans : mais attends-toi à voir toujours la mêrnfe = » fuite d'objets, quand même ta vie triomphe* » rait d'un grand nombre de fiecles, & bien plus n encore fi jamais elle ne doit finir. » Eh bien ! qu'aurions - nous à répondre à la Nature, finon que le procès qu'elle nous intente eft jufte ? 17 Mais fi c'eft un malheureux plongé » dans la irriiere qui fe lamente au bord de la » tombe y n'aurait-elle pas encore plus de raifon » de l'accabler de reproches, & de lui crier d'une » voix menaçante, infenfé, va pleurer loin d'ici, » ne m'importune plus de tes plaintes ? » Et à ce vieillard accablé d'années, qui ofe encere murmurer: » Homme infatiable, tu as parcouru la car» riere des plaifîrs, & tu t'y traînes encore : moins n riche de ce que tu as, que pauvre de ce que tu n'as » pas, tu as toujours vécu fans plaifir» tu a as vécu 3 (H LUCRECE -» Et nec opinanti mors ad caput adftitit amc » Quàm fatur ac plenus poflîs difcedere rerum. » Nunc aliéna tuâ tamen setate omnia mitte j » ./Equo animoqae, ageduci, jam aliis concède : nece/Te cfL Jure, ut opinor, agat, jure increpet inciletque*. Cedit enim rerum novitate extrufa vetuftas Semper 5 & ex aliis aliud reparare necefTe eft ; Nec quidquam in barathrum, nec tartara decidit atra. Materies opus eft ut crefcant portera faecîa : ' Qux tamen omnia t e , Yitâ perfuntla, fequentuf. Nec minus crgo ante hxc, quàm nunc, cecidere cadentque. Sic alid ex alio nunquam dcfiftet o r i r i , Vitaque mancupio nulli datuij omnibus ufur Refpke item â ^ r n nilad nos anteacta vetuftas Temporis aeterni fuerit, quàm nafcimur antè. Hoc igitur fpeculum nobis Natura futuri Tempo-ris exponit : poft mortem denique noftram, Num quid ibi horribile apparet-? nura trifte videtur Quidquam ? nonne omni fomno fecurius exftat î Atque ea nimirum, quaecunque Acherunte profundo Prodita funt ciTe, ia vitâ funt oranu nobis. v L I V R E III. 305 » qu'à demi, & la mort vient te furprcndre avant » que ton avidité foit aflbuvie. L'heure eft venue, » renonce à mes préfens > ils ne font phis de ton * 9 âge ; lai/Te jouir les autres, & fais le facrifice » de bon gré , puifqu'il eft indifpenfable. » Ces reproches ne (ont-ils pas Juftes ? n'eft-ce pas une loi de la Nature que la vieilleiTe cedc la place au Jeune âge, & qu'ainû les êtres fe perpétuent les uns par les autres ? rien ne tombe dans l'abyme du tartare. Il faut que la génération . préfente férve de femence aux races futures. Elles j paieront bientôt elles-mêmes, & ne tarderont pas £ à te fuivre : les êtres actuellement exiftans difparaîtront comme ceux qui les ont précédés. Cha* con fournit fa part aux reproductions de la nat ture-y& nous n'avons que l'ufufruit de la vie» f fans en avoir la propriété. JjÊT Quel rapport ont eu avec nous les fiecîes (ans * nombre qui ont précédé notre nainance ? C'eft un | miroir où la Nature nous montre les tems qui î fuivront notre mort. Qu'ont-ils donc de fi trille, ; & de fi effrayant ? N'eft-ce pas la tranquillité du ! plus profond fommeil £ Toutes les horreurs qu'on raconte des enfers, c eft dans la vie que nous les trouvons, Ce Tan- ïo£ LUCRECE Nec mifer impendens magnum ttmet acre faxuxa | Tanralus, ut fama eft, cafsâ formidine torpens : Sedraagisin vitâ Divûm mctus urget inanis Mortales, cafumque timcnt, quemcunque ferai Fors. Nec Tityum volucres ineunt Acherurite jacentem : Nec, quod fub magno fcrutentur pectore, quid* quam Perpetuam «tarem poterunt reperire profedo, Quamlibet immani projeclu corporis exftet, Qui non fola novem difpenfîs jugera membris Obtineat, fed qui terrai totius orbem î Non tamen aetermim poterit perferre dolorem j Nec prasberc cibum proprio de corpore femper. Sed Tityus nobis hic eft, in amore jacentem Quem volucres lacérant, atquo excft aoxius angor. Aut aliâ quâvis feindunt cuppedinc curas. Sifyphus in vitâ quoque nobis ante ocuîos eft , Qui petere à populo fafees, faevafquc fecures Imbibit, & femper vic"his, triftifque recedit. Nam petere imperium, quod inane eft, nec datur t unquam, Atque in co femper durum fufFerre laborem 5 Hoc eft adverfo nixantem trudere monte Saxum, quod tamen à fummo jam vertice rurîum Yolvitur, & plani raptim petit aequora carapû 1 I F RE III. 3o7 taîe glace d'effroi tous l'énorme rocher qui menace ruine, c'eft l'homme livré à la fuperftitioa, qui redoute le vain courroux des Dieux dans tous les événemens qu'amené le hazard. Il n'eft pas vrai que Tirye couché fur le bord de l'Achéron (bit dévoré par des 01 féaux. Trouvejaient-ils pendant l'éternité de quoi fouiller dans ÙL vafte poitrine, quand même l'énorme étendue ; de Ton corps couvrirait la terre entière, au lieu de >tneuf arpens ? Pourrait-il d'ailleurs fumre à une {douleur éternelle, & fournir d'éternels alimens à l i a voracité de fes bourreaux ? Le vrai Tirye eft celui que l'amour a terrafle* » que rongent les foucis dévorans, & dont te coeur cft en proie à tous les (ourmens des paûlons. i *w Le vrai Sifiphe e(V celui qui s'obftine à deî*' mander au peuple les haches & les faifeeaux , & V* u qui fe retire toujours avec des refus, & la triftefle I» 1- dans le cœur. S'épuifer en travaux continuels pour un honneur qui n'eft rien, & qu'on ne peut obtenir, voilà ce que j'appelle pouffer avec effort vers la cime d'un mont un énorme rocher qui retombe auflfi-tôt, & roule précipitamment dans la plaine. 308 LUCRECE Deinde animi ingratam naturam pafcere fempef â Atque explere bonis rébus, fatiareque nunquamj Quod faciunt nobis ànnorum tempora, circùrn Ciim redeunt, fœtufque ferunt, variofque lepores, Nec tamen explemur vitaï fru&ibus unquam : Hoc, utopinor, ideft, aevoflorentepuellas, Qaod memorant, iacicem permfum congererc in v a s , ' Qaod tamen expleri nuliâ ratione poteftur. Cerberus & Furiae jam verô, & lucis egenus Tartarus, horriferos erudans faucibus seftus , Hxc neque funt ufquam, neque poflunt efTc profedô. Sed mecus in vitâ pœnarum pro malefac'tis Eft infîgnibus infîgnis, fcelerirque luela Carcer, & horribilis de faxo jactu deorfum Verbera , carnifices, robur, pix, lamina, txàx. Quae tamen & fî abfunt : at mens fïbi confcia facli Praemetuens, adhibet ûimulos, torretque flagel, lis y Nec videt interea, qui terminus eiTe malorum Poflit, nec quae fît pœnarum denique finis ; Atque eadem metuit, magis hxc ne in morte gravefcant, Hinc Acherufïa fit fhiltorum denique vita, Hoc ctiam tibi tute interdum dieere poflîs ; LITRE III. 3©$ . ( Hcpaître à chaque inftant la faim de fon ame, la combler de biens , fans jamais la raflafîcr , voir le retour annuel des faifons, en cueillir les fruits, s'cnyvrer de leurs douceurs, & n'être pas encore content de tous ces avantages, n'eftcc pas le fupplice de ces jeunes princefTes qui fburniflcnt fans cène de l'eau à un vafe faxxt fond, fans pouvoir jamais le combler ? Ce Cerbère , ces Furies, ce tartare ténèbre» Mont les bouches vomiffent la flamme, font au* Liant d'objet j fabuleux qui n'exiftcnt point, & |«c peuvent exifter. Mais les malfaiteurs font [punis dans cette vie, par Ja crainte des peines j proportionnées à leurs crimes. Tels font les cachots, la cime du Capitole, les faifeeaux, les tortures, les poteaux , la poix, les lames, les >rches. Et fi les bourreaux manquent, la confâenec elle-même en fait la fonction ; elle dél/chire le cœur de fes fouets, elle le perce de fes [jiiguillons. Joignez à ces tourmens l'incertitude Le l'état futur. On ne fçait quel doit être le terme [lies maux qu'on endure : on craint que la mort [lie les aggrave encore. Ainfi la vie préfente eft fonfèx des iafenfés. Homme injufte, ne devrais-tu pas quelquefois ?io LUCRECE Lumina fis oculis ctiam bonus Ancu' reliquit, /^ Qui melior mukis, quàmtu, fuit, improbe, rebus^Sç Inde alii multi reges rerumque potences •*_ Occidcrunt, magnis qui gentibus imperitârunt. y Jile quoque ipfe , viam qui quondam pcr marejf magnum $ Stravit, iterque dedit legionibus ire per altum, Ac pedibus falfas docuic fuper ire lacunas, ï t contempfit, aquis infultans, murmura ponti, ' Lumine adempto , animam moribundo corporc> fudit. J Seipiades , belli fulmen, Carthaginis Korror, '•) OiTa dedit terras, proinde ac famul infîmus effet, j Adde repertores doctrinarum, atque leporum : 1 Aàâe Heliconiadum comices j quorum unus Ho-; naerus Sceptra potitus; eâdem alii s fopitu* quiète eft. Denique Democricum poitquam macura vetuftas Admonuit me more m motus languefeerc mentis â Sponte fuâ letko caput obvius obtulit ipfe. Ipfe Epicurus obît decurfo lumine vitar, Qui genus humanum ingenio fuperavit, Se omnefï, Praeftinxit, {relias exortus uti gtherius fol. - •'•• • ** Tu vero dubitabis, & indignabere obire, . { Mortua quoi vita cft propè jam vivo atque yits denti ? fc Qui fomno partera majorcm cpAteris *vi i * $ l * • " . - • • L I V RE III. 311 .te dire ? Ancus lui-même eft mon, ce bon Prince, gfupérieur à moi par Tes venus. Les rois , les \ grands de la terre , après avoir gouverné le monde, ont tous difparu. Ce Monarque de l'A* .. ûc, qui s'ouvrit jadis une route dans l'immenfité ,' des mers, qui apprit à Tes légions à marcher fur : Fabyroe profond, bravant le vain courroux de ; Jélément captif qui frémiiTait fous fes pieds , il eft mort lui-même, & fon ame a quitté fes membres défaillans. Scipion, ce foudre de guerre , la terreur de Carthage, a livré fes offemens à la terre, comme le plus vil de fes efclaves. Joignezy les inventeurs des feiences & des arts, les com, pagnons des Mufes , & Homère leur fouveraiq. I qui repofe comme eux dans la tombe. Enfin Dé; mocrite averti par lage que les reports de foa ; efprit commençaient à s'ufer, alla pré Tenter lui\ même fa tête à la mort. En un mot, Epicure | Jui-même a vu le terme de fa carrière, lui qui plana bien au-deftus de la fphere commune, fie 1 qui éclipla les plus brillans génies, comme l'éclat du foleil levant fait difparaître la lamjer£ des étoiles. Et tu balances , tu t'indignes de mourir, toi dont la vie eft une mort continuelle, qui te 1 y Vois mourir à chaque inftant, toi qui livres au h ïommeii la plus grande partie de tes jours , qui 1 $n LUCRECE Et vigilans ftcrtis , nec fomnia cernere ce/Tas, j | Sollicitamque geris cafsâ formidine mentem ? *| Nec reperire potes, quid fit tibi fsepe mali,\ cùm Ebrius urgeris multis mifer undique curis, Atque animi incerto nuitans errore vagaris ? Si poflent homines, proinde ac fentire videntur Pondus inerte animo, quod fe gravitate fatiget. Et quibus id fiât caufis cognofcere, & unde Tanta maii tanquam moles in pectore conftet : Haud ita vitam agerent, ut nunc plerumque vi* de mus, Quid fibi quifque velit nefcire , & quasrere femper> Commutare locum , quafi onus deponere poflît. Exit faepe foras magnis ex asdibus ille, ,1 Eue domi quem pertaefum eft, fubitôque revertit : Quippe foris nihilô meliiîs qui fentiat eue. Curritagens mannos ad villam hic praecipitanter.^ Auxihum te&is quafi ferre ardentibus inftans : g Ofcitat extemplo, tetigit cùm limina villae 5 f Aut abit in fomnum gravis, atque oblivia quserit y& Aut etiam properans urbem petit 9 atque revifiu. I Hoc fe quifque modo fugit : at, quem fcilicet & ut fit, r Eftugere haud potis eft, ingratis haeret & angir^i Propterea| I I FS»tetr<»'.TPcilJa»t, & dan* les idées fonc jes fongea^floi qui toujours en proie aux préjugé^,aux terreurs chimériques, aux inquiétu~ |r des, dévorantes,, ne fçais pas en démêler la caufé, it fax J'ame eft toujours incertaine, jactance , / % a i 6 u . , : , - ; - . . : . . ? ! - : • : T . _ _ . l'UrSi les hommes connaiflaîent la caufe & fdri' £ine des maux qui af&egent leur ame, comme ils fentent le poids accablant qui s appefanrit fur eux » leur rie ne ferait pasfiraalheureufc ! jOn ne les: verrait /as : chercher toujours , (an* Ravoir ce qu'ils défirent, & changer fans cefic place h : comme £+ far icenê oscillation g a melle, ils pouvaient fc délivrer du fardeau hjui les-ofpriinfcv •-•-;' •....•.: .; . . . . : c '» Celui-ci quitte Ton riche palais pour fe déà~ (ennui; Rimais il y , rentre un moment nés, lie J* trouvant pas: plus heureux ailleursL & fauve à toure bride dans lies terres* ;iim£fcjqa'il acqourt y /teindre nn incendiée [niais à peine en a-t-il touché les limites 3 qu'il jénnnifJftjfcaMnhe au tbmmeil ; & [cherche à s'oublier loi-même. Dans un moment# rouf ftjkftje/v^iftgagiifj: J* viHe avec la même ij&pfîffdfr £?«& ainÊime chacun fe fuit fans ^;**ais pjfcste ffeK s'éviter. On fe retrouve, L O t 514 LUCRECE' \ Propterea morbi quia caufam non tënet acger f ; Quambenefiyideat, fîlift rfebas quif^aè reli^if • Naturam primantftudeatéeg&ofcere rerura ; j Te tnporis «terni quqniam, non unius hors , i Arabigitur ftatus, ja cpiofîtffiof^àjibusomnis ^Etas poft mortem, qua? rèftat çunquç, manendaï ; Deoique tantbperè iij dubiis trepidarc peri-j çlis, ' Qux mala nos fubigit Yitaï tanta ctipido ? • Ccrta quidem finis viffc moftalibus adftat j Kec devitari Jetbum poïe, quiû obtfàmus, , Prarterca, verfâffiaï ibidem , atquç infamu$ oifque; 'n $Jcc nova vivendo procuditur ulfct volupras. j $çd dum abeft , quod avemus, id exfuperarc yi-j î Caetera : poftaliud, tùm comigit illudr a?emu$£' |it fitis xqua ceaet vitaï fçrftpter hisntés 3 J>ofteraque in dubioeft fortaaatt! tjuam vehatactas^ ftuidve fera* nabis caïUs, qttire exitas iaftec. Ncç pi:ofË»J&, yi«m daa^ndo, demimus k&j luw •--••' î ' • Rempote de mortisjtt^Cdçlibm^vdlêâm« » Quo minus çfle dk pofliâiu^iîidrtè perëmptï. ©roinde lieet «juomt vivôô^ $ftt4$!? £ f ^ | •!••' * S Il'L -jtj •imittfwiiiiiili oiifettritmcosctoujours. C c e qutan ighsdrit* catofe de fon m*l. Si oa la con•attfàit^ renonçant à toas ces Tains remèdes* on Ce tixmaût à l'étude de la nature, puifqsiïi tft queftion , non pas du fort d'une heure , mais de l'état étemel ijtf dc*r tuecéder à la mort. ' Quefîgnifientces allarmes qu'on amour malentendu 4e la vie vous infpire dans les dangers ! Apprenez donc* 6 mortels, que vos jours (ont comptés, & qutf, ffccuje fatale Tenue, il faut partir £?ns délai* Et en vtvanV$ltt»loa&-t«mt, *c (cfez-vous pas toujours habïtjms de la même terre 2 La Nature inventera-t^dle potn* TOUS de nouveaux plaints î Non (ans doute. Mais le bien qu'on n'a pas paraît toujours le bien fuprême. En jouit-on ? c'eft pour (bupirer après un autre; le les defirs en fc fuccédant entretiennent dans | l'ame la foif de la vie. Ajoutez l'iacertitude de ravenir Je du fort que l'âge futur nous prépare. Ne croyez pas an refte que la durée de votre vie fera retranchée., de celle de votre mort. Vous n'en ferez pas moins de tems victime du trépas. Quand même vous verriez la révolution de fiecles , il vous refiera toujours une Oij $i* L u c R E <re Mors xterna tamen nihilominusilla manebit? Nec minus ille diu jam non erit, ex hodierno Lumine quifînemvitaï fecit, & ille > Menûbus atque annis qui multis occiditamè» finis Liprf Ttrtui •> 7 •h '• . : >' , ' • l m , ..'if ttrMB î11. M mort éternelle ^attendre > & celui que la terre tient de rcccVbrr, ne fera pas moins long-temsmort, que celui dont elle enferme les dépouillet depuis on grand nombre d'années. T- » * Fin au Zfrïe TroiJUme. -rf V •> - î . ' . J î : ^r ill .''..•'. 'V.<\ • i J. C-vo- « iirt.V*' JJ.'V c!.; :•_• I \* • . v. ;,J . .1L..I Kit. « / . . J U 0 3 VJ ^ , OiiJ . . ' 3 iS ,*5 NOTES DU PREMIER LIVRE. •V. t P A 6 E J. T. %• KJ N a beaucoup raifonné fur cette Invoca* tion de LucVe$e. Biyle ne^M rtgafde <jue comme un pur jeu3refprir, cefoût*ies*enBôC£ïl ajoute que tous les. poètes inTo<Jua^t la Divinité qui préfide au genre de poéûe qu'ils tmteat, Lucrèce devaitlnvoquer Vénus comme la IHvinité des poètes phyfkiens. MaisBayIenav«q»ela moitié du tableau. D'autres" onf regardé cette invocation comme un hommage involontaire que Lu* crece rend malgré lui à la Divinité. Ils ne méritent pas d être réfutés Lucrèce explique lui-même fon invocation par ces vers du premier livre. Quando atîd ex alio reficit Natura , neque ullam Kern gigni patitur, ni& morte adjutam aliéna. était la Déefte de la génération, Mars le Dieu de la deitruftion ^ & tout devient clair VENUS iTS-r."' 7} ' îfO TEn$ pU UFR£ X $i* fta moyiWivde jcettc; cxplicatioil que nous foarnic Plutarque We J&L & Ofit* U H affùlhH; *, *Af**ç Affwim ysyàrerai pvhhoywlett. êh 0 fj.'v 2?* Vc&tTc rerb & Marte harmoniam natamfabw* lantur ; quorum aller fitvus & contentiojus É akera verè mus & facwd4. EH général il faut diftinguer dans Lucrçco un double caracbere, celui de poète & celui du philofophs. De même 411e les philosophes an-, tiens avaient deux do&rinej, l'une publique, externe» cxot£riqae qu'ils débitaient au peuple* j'autxcfecrctc, interne» éfoterique qu'ils rifervaisnt pour leurs «kfciples particuliers ; de même lucrêcç, comme poète, parait quelquefois adopter les idées TMptogiqacs de Ion teins, tandis jjgue comme philosophe Epicurien, il s'arme çoo-» ft'eUçs$clejjs9int>at^m^ ^fcaâion , p|nfiejM? cadrât? dft fj^J^ffft deviennent abjôlument inintelligibles, Far ex$çpie , comme philolbphe il fç montre dans to?t fon poâne l'ennemi déclaré de la providence , jfc conta* fajfee,il paraît k fceonaattre dans le ciayitme isvae par ce* :;JL Ùfquc adeo res humanas vis abdita quxdam 0tom Kpddttbfa* «*/ &*tf<pc fêlures JftKIlfefft* jcj|4ftfift»%îtebere vident; Oir : 3io 1 NOTES E N un mot Lucrèce par Vénus & Mars ne désigne évidemment que les facultés d'engendrer & de détruire, perfooifiées par la mythologie. P A G E IO* V .%• parle ici des intermondes y interimmâia, où Epicure avait rélégué les Dieux , & qu'il appelle /4STctKo<spicL. La railon qtfen apporte Cicéron & Séneque , était la crainte que Tes Dieux rie furent enveloppés dans- les ruines du •monde , lors de ia deftrucHon future. Procter metitm ruiriarum Cic. de Divin. L*i°. in medfo bitervâîlo hiijus & alrerius call êefertns ( Deus ) fine animait, fine homine, fine re, ruinas mundorum fitprà fe, circàque fe cadentium évitât\ Mais ils n'ont pas vu que dans les principes d'Epicure > les Dieux ne pouvaient pas être en fûireté dans ces rntermondes j puifque c'était pat» «uliérèment dans ces eipaces intermédiaires d'un monde à l'autre, que devaient fe porter le» débris de l'univers. LUCRèCE » Ne, vojucrum rituflammarum,mcerriamundi Difrugiant Cubitô , magnum per inane foluta» Lucr. L z. L £ but d'Epicure était donc de dépouiller les Dieux du gouvernement de notre monde, ta nw1 1ïfR DU-LIVRE I. ,ii les pkçSwKlfcrt de la fphcre des événement. hu~> \ mains ^e^èftfâ le vrai (en» de ee 'vers qu'on n'a p^jjti%fititonçuaflezclairement. . ^ Semott ab noftris rebùs fecretaque longe. B I tU V, 5. £ I l y avait des philofopbcs qui (bttenâient [ -^ue Dieu était faiceptible des panions de faveur & de bienveillance , mais ils niaient tous qu'il 'fut acceflible à la colère. Omnes philofophï de ira confentiunt, de gratta difireparu, dit Lactance. C'était an principe généralement adopté par tontes les (ecres anciennes; quelles qu'elles fuffent. » Les Dieux, dit Séneque, Epift. jf. ne ( 9» peuvent ni fairte ni recevoir aucune injure. t » Car ce font deux choiês+euentiellement liées j»que d'offenfèr & d'être ofFenfé. La Nature • s» fuprême & admirable des Dieux en les élevant k » au deflus du danger, n'a pas voulu qu'ils fufc»fent dangereux eux-mêmes, a C'était de ce - dogme univerfellement reçu que partaient tous Us philosophes poux nier les peines d'une autre * vie, comme nous aurons occafion de le remar• quer ailleurs^ Ce, principe & cette conféquence - onr extrêmement embarrafTé les premiers défen•^Ifeurt de la religion Chrétienne ; ce qui prouve I que ce n'était pas un principe obfcur de fpécula- Or 3zt & O T E S tion, mais-qu'il était an contraire uaiveïfeKcnient reçu. & adopté. Laâance pour coupes cette difficulté par la racine, composa un difeour» qu'il intitula <fe & colère de Dieu, » Car j'ai arobiervé , dit-il, qu'un grand nombre de périr Tonnes penfent que Dieu neft pas capable de » colère, furpris ei* ce point par les faux argu» mens des phitofopbes. « jf/amadvern pturîmos exifiimare non ira/ci Dtum $ udem tamen àpkilofopkis iTrtthi&fatfa àrptmentatiomluseapti. Vi«L diûertations tirées de M. Warburton, par M« de Silhouette. DiC Xi. Ç r que Luctece appelle ici #i»ae immenfum* il le nonuae ailleurs*?*?*!»* rerum, fumma tota, fummai totius fumma ; comme Epicure lui donne les noms de To IlaV omne, ro cA»r totum > rm Hxw pvm umvtrforum naturam, ro* u»lu,v tpôc rerum naturam ; expreffion* que nous rendons ' en français par te grand-tout, l'univers, la Nature y la fomme de tous les atomes , la collc&iott de tous les êtres. Il faut bien £e garder de confondre toutes ces façons de parler, avec le mot monde dont la lignification était bien- plus restreinte dans les principes d*£picure. Il n'entendait par ce mot, que la çolkàiou des corps «jui iç^-n- ît E I. D V\%tr ji; <cempoA*# notfg 4yâpme 5 tels que la tetre, le Cokil* & km*, les plantes, les étoiles s quil 4étigpr ifucUpièfois par cette expreflip» géneri•que, à00fitmmanrum » lacolle&io» 4es corrs qui nous environnent. Mais il croyait qu'au déjà 4e jpgffg «ond^^l y avait encore une infinité &urtt« cpUeclions ou fyftêmes 4e Ja même na* -turu» fc js'eft.la ibmme de toutes ces çolleéfcions qu'il ««prend fous le.» terme* f univers , 4e rgrand-t*ut. Au contraire Jes pjùlofophcs qui croyaient comme les Pythagoriciens , les Platoniciens, les Ariftotélicitos, qu'il n'y avait rien autre cqofe dans la Nature que notre fcul monde, coofondair»* ce terme avec celui d'univers: Ces jnemes pbilofbpbcs devaient regarder le monde Comme éternel & indeitru&ible à caufç du princtpic, ciTnihUû9 nikUy in mhilum ml pojfe r<yerti. En conséquence de ce même principe , Epicuxe n'attribuait l'éternité & rinde/tru&ibilké qu'à l'univers, à la Ibmme des atomes , croyant que chaque forme ou chaque mondt particulier naiflaient 6c £e détrài&ieat» > • G E 1 * . T . 2 . 3 . Ce pa(Tage pourrait avoir un autre feus que li que je lui ai donné, & fe traduire ainfi. •* yow-mdmcftqorridans iesfictionseffrayantes O vj 5.Mt 1 NOTES f nàes poètes, vous fermerez peut-être l'oreille à -jjj » mes leçons 5 mais ne pourrais-je pas aufïï-bien Û » qu'eue, inventer d& fonges lugubres & trois- | » bler tout votre bonheur par de» craintes chi- | » menques l * i C'EST-là le iens adopté par* tous les commentateurs & par tous les traducteurs ; mais XEt mtritè qui vient immédiatement après ne s'entend plus avec cette verfïon, & la marche des, idées du pocteeft entièrement bouleverfée. P A G E 14. v* 2.0» peu qu'on (bit initié dans la philosophie des anciens y on voit clairement que, félon' leurs principes, ce ne pouvait être ni les corps ni les efprifs qui defeendiflent dans Tes enfers, Le corps consume par la flamme ou décompofé par la putréfaction était rendu à fes principes élémentaires 5 l'atne , fuivant les uns , mourait avec le corps, fe corrompait comme lui, & fervait à former d'autres âmes , comme le corps- à former d'autres corj* j fuivant les autres , elle allait fe rejoindre à l'ame univerfcHe dont elle tirait fon origine, après avoir préalabRment. paiFé par un certain nombre de corps d'animaux plus ou moins coniidérable, félon certaines loix que je n'examine pas. Ce ne pouvait donc eue 4 PQVK » , j !j D zr tirRE /. 515 y '«Mes «mes1 ni ks Mfps qui habitaient ks enfers Mai» qtt'entstMkicftt les anciens par ces' fimult• '«HRS légers qui n'étaient ni corps- ni efprits ? Il me paraît allez probable qu'ils n'entendaient par cesfimuîacres,que cette efpece de membrane» de pellicule déliée que ks Pythagoriciens & les Platoniciens donnaient pour enveloppe à Fame# 4k qu'ils appcllaient du nom de véhicule. Si les anciens n'ont eu aucune idée d'immatérialité, comme le penfent la'piùpart des fçavans, il fenv ble au moins qu'ils Font crucompofée d'élémens £ fubtils, que de là à l'immatérialité, il n'y a qu'un bien petit intervalle à franchir. Or, ne concevant pas qu'une fubftance auflî déliée êc auni délicate pût immédiatement agir fur le corps & recevoir I'imprcmon des objets extérieurs* ils ont eu recours à une efpece de fubftance mitoyenne , qui fut en quelque façon ua mélange de corps & d'efprit* ou au moins un point de contaû commua, à la faveur duquel «iaéhon & la réaction put avoir lie» entre ces deux fubftances qu'ils paraifTaient regarder comme étrangères Cane à l'autre par leur nature. C'était cette efpece d'Epidémie, moitié corps & moitié ame, qu'Us faifaient descendre dans ks enfers. P A 6 E II. t - .**•". : « On regarde communiât cet axiome, f* jié ira r è s! fiihilo mh'ly comme an principe ttnîver&lleifteat adopté par les anciens. On cite l'autorité dé Ci- \ téron qui dit, lib. IL de Divin, érit aliquïd quod i. ex nihilo orïatur , aut innïhïlum fuhïto occidat ? Quis koe phyficus dïxit unquam? Celle d'Ariftote qui dit formellement que tous les phyficiens ':' xeconnaiiTent unanimement ce principe : opoyvaftomt THç fefyç ôifewhç oi rnîf>) yuçsoç. Enfin cel de Bafnet dont Voici les paroles , creatio & ' annihilâtio hodierno fenfu . funt voces fi&itia i ' ne que enim occurrit afud Hcbr&os, Gracos & > Latinos yox ulla JmguUris, qiut vim-iftam olim ,-. habuerit. On ajoute que le mot Hébreu Barak 8c le mot Chaldéen Jat\ar font rendus dans les Sep- '; tantes par s-noun 5 que Kri%etï eft la même chofe que 7roielr , & que Sr« Jérôme regarde comme , fynonyflies les mots creare , eonderc , formare. Malgré ces autorités , j ai bien de la peine à | me perfuader, que les anciens n'aient pas eu f i - 1 dée de la crUtïçn dans le fens même que nous s l'entendons. S'il n'y avait pas eu des philofophes | qui foutinûent que quelque choie peut fortir du néant, pourquoi Lucrèce fe ferait-il cru obligé d'établir le principe contraire fur un fi grand nombre de preuves ? pourquoi tout cet appareil pour prouver une chofe dont tout le monde ferait convenu ? D'ailleurs, que veut dire Séné* que , lorfqu'ti met en problême fi. Dieu a fait • V ou s'il a travaillé fur une matière pr4exj$àMC \ Materkm ipfifikiforma^ an, Jstf utamr \ Nat» quacft. Hb. L i* prsef. . . . « • $ * 1S, P A 6 S l/, T. LA oortfamftion de cm vsmn'eft pas omnes (ai^ fores) poffentferreouvris ^ tous Us arbres pour» ' rasent produire des fruits de toute efjpece , parce !" qu'alors il faudrait omnes (fru&os) & non pas omnîa ; mai» la conftra&ion eft omnia ( corpora ) ' poffentferreomnes {fhUtus}, ce qui eft plu»phifophique & plus grammatical. P A < e ' « - 1 e . ' • . " « • - C l mot fitdonte a beaucoup embarnuTé' les commentateurs : Lambin y fuppléefiutdente$ Saamaife lit fua danu qu'il explique ainfi : ver fua dat cum dat rofas ; Creecb conferre fudanee auquel il donne la £gntfîcation de humidus , fit< dorer etUiems. Il me femble qu'il était tout fin*< pie de dériver ce mot de ï*&)t&\£fndus employé -fi (auvent dan» Virgile pour exprimer un tenas pur Se Cessa*., Voila pourquoi fai cru devoir tsadaire auruosnofitdauUpar lis beaux purs de : £ automne $ ccxjai pséieate un l a » datant plus ttmi, qae/ÏMWÔa peaoètt&icitamême figoifioatmoii qms ÉbtWP«ftr frfciffûi tourner § & que 3zS v NOTES Lucrèce veut peut-être dire, que les chaleurs de? l'automne font tourner le raiûa. P A 6 £ 21. v. 15. IL faut que l'^é de ce vers foit gouverné par fatendum efi qui eft cinq vers plus haut 5 à moins <ju'on ne regarde videîicet comme une abréviation de videre lieu. V A fc E 14. Tv IJ. Aussi-TôT que les hommes commencèrent à s'adonner à la phyfïque, ils divisèrent le monde en deux parties, le ciel & la terret A peine fortis des forêts ou ils rampaient, pour ainfi dire, ils ne lèvent la tête vers le firmament, cette -\ riche enveloppe de la Nature, que pour s'en ^ regarder comme le centre. Tant il eft vrai que l'orgueil & la barbarie fe touchent de bien près. Chacun de ces termes de divilîon fut fubdivifé -E en deux autres, le globe en terre-ferme & en -j mer, le ciel en air & en région éthérée. Comme l'on vit que la terre était habitée par les hom- f mes, les quadrupèdes, les reptiles -, les eaux :& par les poiflbns, les airs par les volatiles de toute $ efpece 5 on fe crut en droit d'en conclure que li région éthérée devait être peuplée comme le refte, & ayoir auili fes animaux. Et comme les •!*'" D V L VVK 2 1. 11$ ftres avalent avec les animaux que nous connai/Tom> j un point de conformité, fçavoir la Faculté de fe mouvoir & de changer de place , on ne douta pas que te ne Ment-la les habitant que la Nature lv£it donnés au ciel. Pe là ces figures d'taimaUx fous lefquelks font repréfenF tés les (ignés du Zodiaque. De là un nouveau | monde que la Mythologie alla remplir de C& | fables. Neu regio foret ulla fuis animalibus orba Aftra tenent cœlefte felum. Qvid. Mer. lib. I. CE$ affres qui bientôt furent adorés comme autant de Divinités, avaient befoin pour vivre, d'alimens analogues à leur nature. On iuppoà <i qu'ils fe nourriraient des particules ignées qui Vi'élevcnt fans ceflé de notre globe -vers les réIgfpns fupérieures > & que réciproquement la 'chaleur qui nous vient d'en haut n'eft qu'une émanation, &, pour ainfi dire, une tranipiranon de ces corps de feu. C'était probablement ce commerce continuel du ciel avec la terre £ cette efpece cTecnange aufti ancien que, le monde „ qui avait donné à Empedodcs la première idée; de fbn fyfteme. P A G i $8. v.. 4. QvQiqpi Iaioecc n'ait pas employa une fcuW 35© NOTES I fois dans Ton poème le mot êCatoMe, fâï cftjj devoir m'en fervir, i*. pour éviter les périphrafcs^ le parce que c'eft an motcaaiacré daas notre lan-^i gue s *• parcequ'Epkure n«n-feulenient a employé ? ce terme pour défigruer les principes de la matière»^ mais a été le premier <|tti l'ait introduit dans la philofophie corpufculairç. Démocrite avait ap-» I pelle les élémensmr a//<«*, parce qu'ils ne fonfr •< mêlés d'aucun vuide ; Métrodore de Scio les avait nommés a^\'a//>s7«, indivijîbilia, parce qu'ils fertf* *\ fuient à toute divifîon. Mais Epicure fils de Nêo* i des (dit Théodoret 4 Therap,) donna le nomy d'atomes aux dorpufcules que ces philofophea avalent difignès fous les noms de pleins & fin* divifiblesé rs ôviKsirw vxr<x> £ «/«Wf«7* *M7«VK arc/ut irpoîctyopsvszv* .]_ v • « s j i * Y ; I ^ . .1 L'ESPACE peut être confîderé » ou comme dè*| fiué de corps, ou comme occupé par un corps, | ou comme parcouru par un corps. Dans lc-pre-f mier cas, il s'appelle vuide, dan» le fécond j \ lieu y dans le troi/ïeme, région. Cette définitionwi qui eft néceflaire pour l'intelligence de la £a-j meute queftion du vuide, nous cft fourni* pat& Sextus Mmpiricus. 1. plac. zo. M <tvfà yvait, dit-» i l , s'fH|U0ç A*èV xaraç-MJ*/* 'mâfloç etojuahç , Xf»or. ai •*AI *S"^ t./ 7tnt1u*N0tm* *adm vacutfaCU éb omni f/f4Mt 4&*y*tur » •cçufat* A çorpore r Mdiâmt f*rv*4tntikiu ipfm fetfrik*4 tétât Rmi0 ; . E«g4ninUi^C|lC^nd»TO<fepf^rentedeirt :e* Pa de^aft<k Sabord fi ^ delà de l'uni, «1J * & •§»*& ; on demande en («coud lie» dans l'univers même il y | de petits interface» difiénynét dans tons les corps, JSur la preriere queftion point de dilpute. Ceux qui regar* tient rnnivets comme un tout limité, ëtaiene tligés de reconnaître an delà de Ces bornes oo> fpaeequi neratoccupé par rien. Ceux au con* qui lai refofaiew des limites, ne pon&. admettre un eipacc nhérieur. Un y avait tac que le (écond point dit vuide différante* •les corps qui fodfrfr de la difficulté s sois contéftàtkm tient fi pcw au vrai fyftême Ut nature, que parmi les atomiftes mêmes {outêtiait le pour & le contre. Ajoutez que airpttfg août' ancienne que la phiioiàphié eutfàinâh êtrefrèTeine. EHe ne donne point: de fitfe àTcfjkirî c»e feconduir&ns une 4%pÉtfcefesV od ta fatfofr dénuée dé , ne rjxjçv* ajscsnt point «TapucL Elle fédaaâ le* qpeftkuK à, jamais infblublcs de ^ f a g c u r , 4 * fthgtBitg *-<temonvcjncju, $$i # 6 TE i 6c elle l'éloigné toujours de plus en plus* de {^ toute , en le faifant remonter à la caufe de ces propriétés, aii lieiï d'un envifager les effets. Oi cft revenu aujourd'hui de ces vames fubtilitéitj qu'on a abandonnées aux écoles, pour attaquer Nature d'un autre côté; 0 n ne doute plus qud| le pbilofoplle ne puiffe, entre le plein & \èl Yuide, marcher aux plus grandes découvertes] & reculer les limitée de l'efprit humain, fan* Tavoir auparavant éclairé fur ces fpéculatiwai inutiles. P A G E 38. V, I. . CET endroit que perfonne n'a entendu» '& vient clair, en en faifant la conftruction & en distinguant les difFérens tems dont parle L*4 crece. SI forte aliquis , chm corpora dijjîluêre^ putat id ( nempè ut omnia pojjtdeantur ) fieri quia aer fe Cêndenfcat ( in inflanti concurfâs ) » f » Ton croit qu'au moment de la féparation, l'ef 19 pace intermédiaire fe remplit auiH-tôt fan 17 refter vuide un feul inftanr, parce que l'air fe tf condenfe dans le choc , ou plutôt * parce qui » l'air qui s était condenfe lors du choc, fe dilate » lors de la féparation» on eit dans l'erreur, Si P A G £ 4e; v; if. O N a inféré de ce paiTage de Lucrèce qui plaa u y* •\ ',3 i Ht | a matière &k~vuide'fur la même ligne, qu'il les regarde l'un 9ç Ttotre comme deux principes xécls, concourant également à la formation & à entretien du grand-tout. Plutarque & d'autres avaient déjà fait le même reproche à aua If* grande raifcn fur laquelle on ft k, iéâit que Leucippe', Démocrits 5c MéiEdne) 4e IScû» «vaienti aoflt fait intervenir dans comppQtioti «Je l'Univers le vuide ctmmç agent aéHf $ jfto&if. Quand cela ferait (ce nie Çauçncti ) aurau-pn droit d'imputer UL lémc opinion à Epicuce , lai qui -s'eft éloigné pjafcurs points eifçnrieJs de ]a;4pétiine de Sr préd^cortctifs , qui a. dépouillé les atomes jk fcnfibiKté quefeu?attribuait pémochte, qui appuyé leur folidité un une .toute autre bafe celle que leur donnait Leucippç, & qui enfin piquait de ae. fuivre d'autre maître que ion hic ! Peut-on concevoir qu*Epicurp, cet enmi déclaré des êtres abitraits, qui avait ôté Tenu (a réalité, qui avait banni jie Ja phifopbie les nombres de Pjrtfragorç» les idées de , & lesformerd'Acjûote . eût réalifé le jfefqn'} çA faire un-*sf 4ncigc? de J'yn|* O M I. " C w fer* ULtepbffiqac, quj eft , fonr aiofi M *t 0 T t S dire, aux modifications de la matière, ce qi f'cfpace eft à la matière même, cette ligne idéale que la faiblefie de notre imagination fuppofe] parallèle aux événemens, cet être-fans conûT4] tance & (km réalité od s'abyrae Tefprit humaii itvide de ce qu'il ire conçoit pas; ce phatnôme£j en un mot5 qui n'étant rien par lui-même devient par les diverfcs manières de l'eavifager; ou l'éternité, pu un inftant fugitif, le Tems été la première Divinité de ia Théologie païenne , à caufe du caractère d'infinité qu'il fembk porter avec lui. Saturne, le Giel & le Tei étaient un feul 6c même Dieu, on vieillard territrie, fous la faux duquel tombaient l'aigle & le moucheron, les ptllai* & les cabanes. La phi-i lofophie ancienne qui a plus emprunté qu'on nel croit de la Théologie, avait puifé dans ces fa-] blés les notions du Terne» Platon le regai comme une image de féterniti, créé au même;j inftant que le Ciel } félon d'autres, c'eft la fphete 9 le Ciel même. Le Tems fut donc réalifé. j On lui donna un corps & des parties qui étaient] le paffé, le préfent & l'avenir» On le reganjd * comme un êtjre difttnc> , mai* dépendant did monde, qui avait été créé en même tems quçi fui, & qui finirait avec lui. Bt de même qud certains philofophes prétendaient que Dieu pour' créer on«duvtaum«nde, ferait oblige de cléer D V 1*1, K R£ T. „f nouvel cjpace » on (ôutint aoJE qu'après la éf funivers un nouveau Tenu ferait pproduit pour préfider au nouveau monde qui ipjaccrair le premier. C'cft contre cette opi* extravagante que s'arme ici J-ucrece, perque Tenace * 1e «m$, ces deux îajùuf \9 ont été pour )e»feommes|a {bure* grandes erreurs. I I I P . r» IJ; & a grammaire, elk-mlme femblait awir >pté ces fautfçe notion* du Tesns r & par ia dpatetta capjimait jet f$fit des ver* , c0e fembjaic leur de**** ••* exiftence ;. Lucres* qui £prvait combien lp langage furies opinions des nommes, n'a pas déde réfuter un fopbiûne fondé uniques mt fur une équivoque, de gangue. Pour enten»dona ce qu'4 veut dire s *i Aut &ppofor 'on mi fait cette objection : kn ffBum rjjjL «/.Ngus afrvons pas préci&tteu k rnéme iu$ #s» fttsfais » parce que pour exprimer prétérits det vefbos paft&, nous cmfJoyoa* à la Tenté, comme les latins, le participe ces Ycrbefx suais nous y joignons le préréric, non pas Je préfent du verbe auxiliaire. Cepeof à y f d i j ^ î f t n r j o& remarque que Docte *$* " NOTES cxpreflïon n'eft pas exa&e, & que nous mettonfjj 4eux prétérits ou il n'en faut qu'un» P A G E 5e. y. S. des atomes parfaitement fo*1 lides, tels que les fuppofe Epicure, ne pourraient J &re divifés, ni brifés, ni décompofés, nifimple->* ment endommagés ; mais ils ne pourraient pas j même fe comprimer Se fe reftituer. Car c'eft un principe de phyfique ; que 1 elafticité n exifte pas plus dans des corps parfaitemeni folides que dans des corps parfaitement, mois. Epicure ne pour-# rait donc pas expliquer la communication dit * mouvement ; puifqu'il eft impoffible que le mou- • vement fe propage d'un corps à un autre, fans jj paffer par les atomes élémentaires. Je ne fçais • -comment ce pbilofophe fe ferait tiré de cette ? ©bje&ion qui me paraît infoluble. Au refte , ', -ceux qui fou tenaient la matière divifible à Tin-.' iîni ? ^expliquaient pas mieux la communica* ' tion du mouvement, puifqu'iis étaient obligés/) de faire pafier l'irapulfion donnée par un nombre ';de molécules infini non pas feulement virtualt~*l ter± comme on parle dans les écoles, mais même J •a&ualiUr* •• _ ^ NON-SEULEMENT y •*-' P A G\E ; l . - Y»1 I . >'<! U eft clair gue Lucrèce ue parle pas ici 4 W * L » corps,f| 7 >\| DU LIVRE I. iu corps, d'un aggrégat, d'un compofé d'atomes* On n'entendsait plusrienni à Ton raisonnement, ni fur-tout a (à concluûon » font igitur folids PRIMO RDI A Junplichau. Il ne peut parler que de l'atome 5 il n'y a que l'atome, dans les principes d'Epicurp, dont les parties ne puiflènt être feparces,- ni exiiler Ublées, ftrft nequcunt confiare. L'extrémité d'un corps en état de compagnon peut exiiler à pan, puilque les simulacres dont les Poètes développent la théorie dant Je quatrième chant « ne (ont évidemment que, la pellicule extrême des corps ; & puilque d'ailleurs un corps , quoique poujTé jufqti'à Ton der-4 nier cerme de 4"iuon > n'eft pas encore réduit f. l'état d'atome» comme il le dit, iib. II. Nofcere ut hinc pouls t/rids omacm cflUrc colorera ^articulas * auàm diieedant ad femina reram# P • A G x jf. Y. XX. * *••••{• difciple d'Hyppafe qui enfcignait pour 1er* lapbilolbphie de Pythagore dé>uillée de (es Toiles, commença fa carrière ^arj'exercice de la première Magistrature d'Efe ÙL patrie.. Mais la méchanceté des hommes égqpta de les gouverner. Il refufa à plus fprtc,iajjCon ks invitations de Darius qui l'apTçm l P HIXACUTI, ; $3* N Q T I~S pcllait à fa Cour, bien éloigné de vouloir fervir,* Jui qui dédaignait de commander. Il préféra d'habiter le creux d'un rocher & de vivre de légumes 5 genre de vie auquel il ne put être arraché que par une attaque d'hydropifie, qui le ramena dans fa parrie, ou il mourut âgé de foixante ans, après avoir inutilement tenté de fe guérir en fe faifant couvrir de fumier dans Une étable. On lui reproche d'avoir pleuré fur les maux que les vices eaufent aux hommes; Sans doute il eût été plus du goût de notre nation de tourner la choie en plaifanterie. Le langage obfcur qu'il .afFe&ait dans (es ouvrages , & que Lucrèce lai reproche-ici ,lui rît donner le furnom 4e ZHûJWQ'ç> [f téfiébnux. L'axiomefondamental de fa phyfiquç était que le feu eft principe de tout, principe des âmes qui ne font que des particules ignées principe des corps dont les élémens font des rnolécutes dé feu fîmpfés,"éternelles» inaltérables & indivisibles. Çesaçomcs ignés ont formé l'air, en fe condensant ; un air plus denfe a produit l'eau, une eau plus rerferrée à formé la terre. L'ame n'étant, qu'un feu, Heraclite en concluait que le comble du malheur eft de fe noyer , parce qtt'âfors Vaine «éteignant dans l'eau, l'on meurt toutçntiçr/ \£pïla probablement pourquoi dans Homère, Achille ce héros <jui affrpntait Ja mort fur terrç, tremblait e$ rrTT D U t ïV RE L iù combattant fur Teau. Voila encore fur quoi font fondés ces pleurs qu'on reproche tant à £née, lors qu'accueilli par urle violente tempête, il décrie. O terque quaterque bcati, Queis ante ora patrum, Trojx fub mœnibusj altis, Contigit oppeterei erreur n'a pas été ignorée même daiis le Chriftianifme. Synéfius, Evéque de Ptolémaïde au quatrième fîede, raconte naïvement la frayeur dont il fut pénétré en faifant naufrage» fur les cotes de la Lybie $ cette frayeur, difait-il, était fur-tout caufée partesvives impreffions que j'avais reçues dans ma jeune/Te, que ceux qui fe noient, meurent tout entiers. H E R A C L I T E eut quelques difciples. Platon . jeune alors étudia la philofopkie fous les yeux. On dit ^u'Hippocrate & Zenon élevèrent aufîi : leurs fyflëfnas aux dépens du (kn. En effet, le fyftéme d'Heraclite était celui des Stoïciens. Vos . Stoïciens , dit Cicéron, defin.lib. II, qui rapportent tout à Un efpriz tpU^finventla do&rihe L (Fiférackte. Voila probablement pourquoi Lu• crece traitefi<nal ce philoÉbphe. On trouve encore une grande conformité entre les principes , d'Heraclite & cet» des anciens Perfes/ qui, félon CETTE 340 NOTES la doctrine de Zorpaftre, regardaient tellement le feu comme la fource de tous les êtres , qu'ils en f]rçnt une Divinité nommée Orgma^es , donnant le nom à'Arimane aux ténèbres qui lui font pppofées, P A G E 64. v» z$. tous les anciens philofophes reconjiaifiaient les élémens vulgaires pour principes $u grand-tout j mais ils notaient pas d'accord. jLes uns n'en prenaient qu'un feul, dont la conden fanon & la raréfaction formaient les trois autres, & la combinaifon l'univers entier. Ainfi. Jléraçlite, cqmrnç nous venons de le voir, donnait à la Nature pour bafe le feu, Anaximène l'air, Thaïes l'eau, Ehérécjrdes la terre. D^autres en youlaient deux, par la condenfation & la raréfidion defquels ils prétendaient expliquer la . formation du monde. Ainfi Xenophanes mêlait Ja terre avec l'eau, Parmenides%le feu avec la terre, JEnopides de Scio le feu avec l'air, Hippon de Rhege le feu avec l'eau. Il y en avait très-peu qui fifîent intervenir trois de ces élémens dans la composition de l'univers. On ne cite qu'Onomacritç , qui admettait pour principes le feu, l'eau & la terre combinés enfemble. tes autres , fous la conduite d'Empedocles, ne PRESQUE fcconnaiflaient pas d'autres élémens que les élér mens vulgaires. Cependant, quoique ce philofo|>hc admît lés quatre élémens, il prétendait que ces élémens étaient compofés eux-mêmes d'atomes ou de corpufcules, comme on le prouve paf des partages de Stobée 8c de Plutarque* P A o £ 7*. v. S. la conftruâioh de cts deux vêts qui ne paraiûent pas avoir été entendus, & qui ion£ pourtant fortfimples.At rervm principia pojjunt adhiberê plura ( id eflplures circumftantias ) undc var'ut res creari queant. Les élémens de la matière (ont fournis à un grand nombre d'autres circonstances qui doivent jette* une plus grande variété dans la formation des êtres. Et ce raisonnement cft clair. Les 14 lettres de l'Alphabet, en vertu de leur fcul arrangement, varient à l'infini les mots de la langue. Quelle variété doivent donc jette* dans les diverfès productions de la Nature les élémens de la matière , qui, outre l'arrangement , ont encore bien d'autres circonftances dont les élémens des mots font privés ? Ces cîrconftances font celles dont il parle fi fouvént dans le cours de fon ouvrage, concurfus, motus, pondtrs, pfaga, fçur*. VOICI \^ NOTES I B I D. V. 10. né à Clazomene d'une famille riche & noble , fut difciple d'Anaximene. La pafilon de l'étude éteint communément le defîr d'amaffer. Elle conduifît plus loin Anaxagore y elle lui fît abandonner tous fes biens à fes parens, pour fe livrer fans entraves à la contemplation de la Nature. Il eut pour difciples deux hommes célèbres dans des genres différens, Péricles & Euripide, auxquels on joint aufli Socrate. Anaxagore fut le premier qui hazarda l'idée brillante & féconde d'une lune habitée. Il ne raifonna pas fî jufte au fujet du foleil qu'il regardait comme une marie de feu de la grandeur du Péloponnefe. C'était une grande vue à Anaxagore d'avoir fend que tous, les corps doivent être formés de, principes hétérogènes 5 mais par fes Ho* mœomeries il. avait ôté à cette idée une partie de fon étendue. Ce fut lui qui» au rapport d'Atiftote, fit le premier çréfider une Intelligence à l'arrangemeqt de l'univers : nam 6> Anaxagoras tanquam machina utitur intelUBu ad mundi generatwpcm. Et cum dubïtat propur quam caufamnecejfaùb ejt, tune cum attrahit. In eateris vero3 magis ucuta omnia, quam inullc&um, Oaufam eorum quafunt, ponit. de metaphyfîcâ lib. I. cap. 4. D. pag. 844, edit. ©uval coin. II, Mais ANAXAGORE, D V L1r R E L j4j il ne fallait pas reconnaître une matière piéexif* tente fur laquelle cette Intelligence ne pouvais s'arroger aucun droit. Il eft remarquable que là premier bomme qui fit entrer la Dtvinké dans le fyftéme 4e l'univers, fc mêla de prédire, fi le fait de .cette pierre dont il avait annoncé la chute » & d'autres biftoires pareilles font vraies t mais ce qui eft plus remarquable, c'eft que ce même philofophe à qui fes idées Thcologiques avaient valu le furnafedsi/*?, mens, ait été accule* d'Atbéiûse à Atkç&ç* 3. & ce qu'on aura peine à croire, c'eft quaprès avoir été aceufé d'Athéifmc pendant fa vie , on lui ait érigé des autels après fâ mort. Il eft le premier pbilofopbe gui ait, publié <k* livres. t%. Y. P A G t » £. * t IL eft bienfingulier que Gaflendi, en citant ce pafiàge de Lucrèce, ne fafie aucune réflexion qui le combatte ou le confirme. Bernie*fon<&£ciple rapporte des. raits qui paraifTcnt tendre à •PPW^^fW"^* G'^ft encore pout cette même j) r-aifon, dit,-il, que le* cordes des machines v artificielles, qu'on £*& mouvoir avec beaucoup 3» de violence, fontfiâtes às'eaflammer; qu'un » certain, bois, des Inge* me%te.feu à la poudre, »quarii il, eft U&Q-tzm. fc fertpmeat tourné F ÏY «44 N O T E £ » avec elle dans un même trou. « Maigre l'induction que M. Bernicr paraît vouloir tirer de ces faits , il n'y a perionne qui ne convienne que le vent qui eft très-propre à propager un incendie , ne peut pas le faire naître, & enflammer des arbres : il eft très-probable que dans certaines faifons de l'année, & fur-tout en Italie, les grands vents étant afTez communément accompagnés de tonaerres, on aura attribué à la première de ces caufes ce qui était l'effet de la* féconde. Il était plus merveilleux de faire naître l'incendie de l'arbre même, que du feu élémentaire de la foudre. Voila comme on étudiait alors la nature. Les arbres s'enflammaient d'eux=jnémes 5 bientôt on ks fit patkr, on en fit de* Oracles. & des Dieux. P A « E Stf, • V. Ifw encore une dé ces queftions métaphysiques auxquelfcs la philofophie ancienne fe livrait avec d'autant plus de plaifir, qu'elle donne moins de prife à la raifon. Elle préfente deux faces que Lucrèce diftmgue foigneufement, l'infinité de ïefpace & l'infinité de la matière, La première queftion ne fou fixait gueres de difficult tés. Prefque tous les phitofophes admettaient un efpace infini, & c'était k fewiment non-feuleVOILA D V L1 V R E I. }45 Aient des Païens, mais même des Docteurs Chrétiens. » Qu iis-conçoirent, dit Saint Auguftin, » au delà du monde des efpaces infinis, dans Jtlefquels û quelqu'un dit que le Tout-puîfiant » n'a pas pu créer , ne s'cnfuivra-t-il pas, Sec,. • 3) & ailleurs j Oferont-ils anirrner que la fubf» tance Divine qu'ils confefTent are toute nacre » par fa préfence incorporelle , éft abfente de » ces grands efpaces qui font au delà du monde, • M qui n'eft qu'un point en comparai Ton de cette » infinité, « II s'eft néanmoins trouvé des Théo* logiens plus pointilleux, qui donnant à lefpace île la réalité , le concevant comme un corps étendu en longueur, largeur & profondeur, ont craint d'en faire un Dieu , s'ils reconnaifiaient fon infinité 5 ce qui les a conduits-à croire que Dieu ne pourrait créer d'autres corps au delà du monde, fans être obligé de créer en même tems un autre efpace pour les recevoir. Quant à l'infinité de la matière, il eft remarquable que les philosophes anciens, qu'on prétend avoir tous regardé la matière comme éternelle, n'ofaient pas tous la croire infinie, ce qui cil certainement une inconféquenee. Tandis que parmi les Docteurs Chrétiens, ;qui rejértaient l'éternité ds la matière, & qui l'aifyjettiiiaicnt à la cri.ition , il s'en eft trouvé qui a/Iuraient que Dieu pouvait créer une matière, infinie non-feulement en grinPv 54^ NOTES DU LIVRE L deur, mais même en nombre. Ils n'en excluent que l'infinité qu'ils appellent (TeJJencc, qui , n'étant autre chofe que l'efîence Divine, ne peut pas plus être créée que Dieu même. Vid. Ga£fendi , Tom. I. p. 1^5. P A G E 88. r. 4, CES desj£vers font difficiles, mais ils s'entendent clairement, au moyen de la conftru&ion que voici. Nullius extremum videtur poffe effe nififit ultra {illud) ( aliquid) quodfiniat, (ita) ut videatur, quo, non lonçtks , hac fensûs natura, ( oculus) fequatur (illius cor péris fuperficitm ) 5 mot à mot : un corps ne peut avoir d'extrémité, à moins qu'il n'y ait au delà de lui quelque chofe qui k borne, de manière qu'on voie jufqu'où & non plus loin, l'oeil peut fe porter fur ce corps 5 c'eft-à-dire, de façon qu'on voie que l'étendue de ce corps va jufques-là & non pas plus loin. La virgule que j'ai ajoutée après qub3 & que ne porte auctm texte, eftabfolument eflentielle pour entendre le fejas de ce vers, •ktSCfc. «*3&2fe *sïï£êH *s3Sié. 5 «^SCUc 5 ^ 3 G 5 , ' , T 3 G 5 * ^ 3 * ? ^ ^«OG ^ ^SG : NOTES DU S E C O N D LIVRE. P A G E lia. v. 6. V Oxci la conitruétion de ces trois vers que perfosfae ne paraît avoir biea entendus. Norme videre efi Naturam rùhil aliud latrarc , rûfi ut\ cùm dçlor ahfit à corpore, ipfa. ( Natura ) /nwtur mente, ( praeditâ ) jucundofinfu,femota ( ireriim Natura ) cura & mttu ? » Ne voyez-vous » pas que la Nature ne demande rien, fînon » que, le corps étant à l'abri de la douleur, elle r> joiiiïTe d'une ame affectée de fenfations agréa* wbles 3ç exempte de fouçis & de craintes ?» Cette conftruAion eft claire. Natura, eft évidemment te nominatif de fruatur, & le fubftantif de femota. Il ne fallait .pas fe mettre à la torture, comme ont fait tous les commentateurs en fuppléant ut qui on ut cuïï ut cum, menfque à meàèêy Se femota** femota. C E vers ne gourijMt-U.pa*fignifîeranffi, que Pvj 34$ NOTES les atomes continueraient de defccndre dans- le vuide pendant l'éternité, fans jamais s'arrêter, s'il ne furvenait d'autres atomes qui en lès choquant latéralement, les détournaient de leur direction perpendiculaire l C'était là en effet la doctrine d'Epicure $ voila pourquoi il combattait avec tant d'opiniâtreté pour l'infinité de l'efpace. Il fcntait de quelle conféquence il était pour ion fyftême que les atomes ne pufTent jamais ni perdre tout-à-fait , ni même rallentir tant foit peu leur mouvement. Aufïï prétendaitil non-feulement que les atomes abandonnés à eux-mêmes, continueraient de tomber dans le vuide pendant réternité , mais encore , que poufles par un choc étranger, ils ne cefferaieat point de fûivre cette direction accidentelle, à moins qu'une nouvelle impulfîon ne les fît changer de route. j{ faut remarquer que mohilitas ne fignifie proprement que la faculté de fe mouvoir , quoique fouvent il s'emploie pour exprimer la rapidité du mouvement 5 & c'eft dans ce dernier fens que Lucrèce s'en fervira plus bas , p. n o . v. 14. Nunc qux mobilitas fit rçdditt materia* Gorporibus. 1 B 1 LUCRICE D« Y. 19: combat ici Ariftote qui fuppofaïc DU L1 r R E IL 349 la matière inerte, comme il la croyait fans forme, 0c qui attribuait à cette même inertie la caufe de toutes les tranfor mations de la Nature. Epieure au contraire veut que la matière Toit toujours en mouvement. • Kimirum nuila quies ed Rcddita corporibus primis per inane profundum. lib. II. p. né. v. i j & 14. IL en*distingue de deux efpeces , le mouvement de pefanteur ou la gravitation, qui s'exerce de haut en bas, & qui eft une qualité inhérente à la nature même de l'atome 5 & le mouvement de réflexion, qui u'cft qu'accidentel, qui s'exerce en tout fens, & qui tient, félon Epieure, à la folidité & à la dureté des atomes, Keque enim mirum, durifCma qoae (Int. lib. II. p. né. v. j . Iâ raifon même qui devrait empêcher les atomes de fe réfléchir, cft précifément celle fur laquelle on appuie leur élafticité, Chacun de ces deux mouvemens fe fubdivifait _çn deux autres, comme nous aurons occafion de le remarquer par la fuite. AINSI P A G E C'EST là là né. u, \é. foWivifion du mouTemcut reflet j 550 NOTES elle n'eft relative qu'à la diftance plus ou moins considérable à laquelle les atomes font renvoyés par le choc. Quand la répercuffion eft confidérable, elle s'appelle T*M yn j quand elle n'écarte que peu les atomes, & les réunit fous le choc, elle fe nomme TTX^:C C'eiV Epicure lui-même qui donne cette diilinction. Vid. Diog. Laê'r. lib. X. Vid. etiam GaiTend. tom. I. pag. zi6. P A G E 124. V. 4* développe cette idée au coinftiencçment du cinquième chant. LUCRèCE P A G I 1X6. V. 7, . CE ne n'eft pas pour fe conformer au langage populaire que Lucrèce fait tomber les étoiles. U ne parle pas ici comme poète , mais comme phyficienm>Se c'eft mai entendre fa doctrine, que de rendre, comme quelques-uns , flellas par des feux notfurnes. Epicure était réellement dans cette opinion. Perfuadé que le foleil, la lune & les étoiles ne font pas plus gros qu'ils ne nous le paraiflent, il devait en conclure que ces vapeurs enflammées que nous voyons tomber la nuit font de vraies étoiles. Cette Phyfîque fî miférable pour un génie comme Epicure , & dont GafTetidi le juftifîe aflez mal, eft combattue par Pline le Naturalise & par Séneque. Jtfcçt DU Lï V R E 11. 551 aîiqtum cxtingmi dccidua fignificant II!a jùmio alimento fraSi humons igneam vim abundantia reddunt, ciun déciderc crcdu/itur ; ut apud 90s quoqut id Luminibus accenfis , liquore olci notamus accidere. Plin. lib. II. cap. VIII. lllud enim ftultiffimum efi exîftimarc. aut jlellas dteiderc , 4Ut tranfilire , atit aliquid Mis auferri & abradi ; namfi hoc fuijjet, jam défiaient. Senec Jïat. quxft. lib. L un des côtes tes plus faibles du iyftêmc d'Epicure : Auffi-cft-ce par là que tous Tes adverïaires l'ont attaqué. Vid. Cie. 1. de fin. . . de fato. Ils avaient à la. vérité beau jeu : ils combattaient une fuppolition gratuite que Lucrèce n'appuie fur aucune raifbn , finon que la déclinaifon des atomes cil nécdTaire à Ton fyftêmc , que fans elle il ne peut expliquer la formation d'aucun être. Mais lés adverfaires d'Epicure étaient-ils en droit de faire fonner fi haut leur victoire 2 navaient-ils pas à craindre qu'il n'usât de ffcpréfatUes SC ne les attaquât eux-mêmes fur la tendance vers un centre commua, qu'ils fuppo(aient dans les corps tout aufli gratuitement. Si, comme on le croit communément x les ancien* reconnaîtraient tous une,raaticreptée*iftcnte, ne Rêvaient-ils pas 4&lois mçrae avouer fon inûVOICI 35i NO TES nité, puifque ne devant l'être qu'à elle-même l elle ne pouvait être bornée par rien. L'univers devait donc être infini, félon leur doétrine. Admettre le principe & rejetter la conféquence eût été folie ou mauvaife foi. Si donc Epicure le» eût prefles fur cette tendance vers un centre commun, if auraient-ils pas été auffi embarrafles à expliquer ce que c'eft que ce centre ? qu'Epipicure l'était à rendre laifon de la déclinaifon des fes atomes 3 * P A G E 1-30. v. 4. ON eft furpris quTpicure fonde la liberté humaine fur la déclinaifon des atomes. On de* mande Ci cette déclinaifon eft néccfiaire, ou fi elle eft Amplement accidentelle. : nécefTaire , comment la liberté peut-elle en être le réfultat} Accidentelle, par quoi eft-elle déterminée ? Mars on devrait bien plutôt être furpris, qu'il lui fort venu en idée de rendre L'homme libre dans un fyftême qui fuppofe un enchaînement néceflaire de caufes & d'effets. C était une recherche aflez curieufe que la raifon qui a pu faire d'Epicure l'apôtre de la liberté. Ne trouvant pas cette raifon dans Ces principes mêmes, il fallait la chercher hors de fbn {yftême. Je crois en entrevoir quelques traces dans la définition que donne ici Lucrèce de la liberté, & en particulier dans Ce D V t 1 V & E 11. J5J vers fatis avlfa yolumas , cette volonté arra~ \ chcc au DejBn* Le bur d'Epicure était de rendre l'homme indépendant du Deftin. Le Deftin, Cet . être abftraic, moitié philofophique & moitié théologique , dont les païens n'avaient que des idées fort confufès, qa'on prenait, s'il en faut croire Séneque, tantôt pour un Dieu , tantôt pour la Nature elle-même, était dans toutes les* anciennes religions une -Divinité deftruétive du libre arbitre, qui déterminait irréfiftiblcment les volontés humaines, & qui puniffaït avec une févérité barbare les crimes qu'elle-même avait fait commettre. C'était pour détourner le cours* 4t cette fatalité, que les hommes immolaient des victimes , .élevaient des autels , conftruifaient des temples, inftimaient tous les jours de nouvelles cérémonies religieufes, quoique bien -• perfuadés qu'il ne pouvaient avec leurs facrinces* 1 changer les arrêts irrévocables de la deftinée» r On était donc efclave dans toutes ces religions. Voila pourquoi Epicure regarda le dogme de la liberté comme un des dogmes diftin&ifs de l'Athéifme, et voulut remporter la victoire fur le Deftin , en lui ravinant, pour ainfi dire, la li^ berté humaine dont il s'était emparé. Voila ce que yeat dire Lucrèce par ces mots s tvollâ voluntaa. 554 NOTES P A G E 13^. v. îjJ ayant déjà traité de quelques-unes des qualités des atomes 5 fçavoir de leur folidité, de leur indiviiîbilité & de leur éternité dans le premier livre, & dans celui-ci, de leur pefanteur & des loix de leurs moavemens 5 il ferait ridicule de lui faire dire , pajfùns maintenant aux qualités des atomes, qui eft le fens qu'on donne communément à ces deux vers. Voici comme on doit en faire la conftruction. Nunc âge, percipe jam qualia fint deinceps cunftarum, rerum exordia ; que je traduis, pajfons mainte* nant aux autres qualités des atomes. LUCRèCE I B î B. V. 17. LUCRèCE dit ici que les atomes font doués d'une multitude incroyable defigures.Quelques pages plus bas (p. 1 fo) il ditprécifément le contraire, & allure que des corpufcules aufli petits que les atomes, ne peuvent pas erre fufceptibles d'un grand nombre de figures. Namque in eâdem unâ cujufcujus brevitate Corporis, inter fe multùm variare figure Non poflunt. deux pafiages contradictoires entre Xefquels il faut opter., Gafiqndi qui sûrement enVOILA I>U L IVRE IL )5f tendait bien la philofophie d'Epicure, foutiene que.le nombre des figures cft incroyable dans les atomes 5 mais le paflage du premier livre, dont il s'appuie principalement At reram qu* funt primordia, plura abhiberc Polïunt, undè queant varia; res quxque creari. ne fignifîe pas , comme nous l'avons déjà va , ( p . 141. not. du 1. 1. ) que lesfiguresdes atomes font en beaucoup plus grand nombre que les lettres de l'Alphabet, mais que les atomes, outre la figure, font encore aidés, pour la formation des corps, par un grand nombre d'autres circonfiances, qui doivent jetter une grande variété dans les résultats. Quant auxfiguresdes atomes, Lucrèce bien loin d'en reconnaître un grand nombre , ne paraît pas même en admettre plue de trois ou quatre efpeces. Fac enim minimis c partibus efle Corpora prima tribus, vel paulo pluribus auge; Lib. II. page 150. v. 8 & 9. la raifon qu'apporte Lucrèce de la différente configuration des atonies ne prouve rien du tout, fi l'on veut y faire attention : puifque tous les corps qui nous afFectent, quelque délies qu'on les (np(ofe, font déjà dans D ' à I L LEUAS 35* NOTES - un état de composition. C'eft la doctrine d'Épi-* cure. Les élémens de la lumière même, ce corps5 fi fubtil, ne font, fuivant Lucrèce, que de peti** tes malles, de petits faifceaux d'atomes^ Nec fingillatim corpufcula quaeque vaporis, Sed complexa meant inter fe conque globata* lib. II, p . H o . y. 15. J i ne parle pas d'une autreraifon qu'Épicure ne foupçonnait pas, & qui par conféquent ne peut être d'aucun poids pour déterminer quels ont été Tes fentimens s c'eft qu'avec une matière homogène, telle que l'admettait Epicure, il cft né ceflairenon-feulement que les atomes aient la même figure, mais encore que toutes leurs autres circonstances foient communes, qu'ils fe pénètrent, qu'ils s'identifient, &c« ON peut oppofer la même difficulté au fyfténre de Spinofa, qui n'admettait qu'une feule fubftance dans l'univers ; fentiment contraire à l'expérience & à la raifon. Y01 LA en peu de mots les raifons pour lesquelles je me fuis cru en droit de choifir celle des deux opinions énoncées par Lucrèce, qui m'a paru la plus conforme au fyftême d'Epicure. J'ai réduit lesfiguresdes atomes à un petit nombre, & je me fuis permis d'omettre dans ma traduction le quàm longé & le multigenis de Lucrèce. 1>V L I V RE I B I D . T. IL 35f I$. Le feus du premier de ces deux vers demande «ne virgule après multa Se non pas après parùm9 comme en la trouve dans toutes les éditions de Lucrèce : la cooftrudion eft non qubd multa pr&*, jlaafintforma parum fimili (dijjimili.) QUANT au fécond vers , Il eft très-embarratfant, & contredit manifeftement toute la doctrine d'Epicure, fi on le fait rapporter aux atomes, comme la conftru&ion & Tordre grammatical de la parafe parai/fent l'exiger. Car alors ce vers lignifierait que les atomes ne font jamais parfaitement femblables en tout. D'où il réfulterait qu'Epicure admettait l'hétérogénéité* de la matière , & croyait qu'il était impoûiblo» que deux atomes enflent jamais une parfaite conformité. Ce qui eft entièrement oppofé à fc$ -principes. Il était perfuadé au contraire, que ce. font les mêmes atomes qui diversement arrangés, forment le ciel, la mer, terre, les fleuves, k folcil, les moiflons* les arbres & les animaux, Namqueeademccdum, mare, terras* flumina, folem Çonftituuat^ea^cmfruges, aibufta, animaa}ib. Lpag. 74. y, i i t î58 NOTES CE ne peut donc pas être aux atomes que fe rapporte ce vers ; il eft néceflaire que Lucrèce parle des ccTrps mêmes, des aggregats d'arômes. Cette conjecture qui éclaircit cet endroit fi obfc u r , eft appuyée fur un autre pafTage de ce même livre p. 16%. v. 10. oii le même vers fed quia non volgb paria omnibus omnia confiant, eft répété & fe rapporte manifeftement aux corps. En général ces quatre vers nunc âge 3 jam deinceps 9 &c. . . font très-embrouillés 5 ils préfentent un grand nombre de contradictions que les commentateurs n'ont pas fenties, bien loin de les avoir éclaircies. Je crois que de la manière dont je les ai traduits, ils préfentent un fens raifonnable , & fatisfont à tous les points de la, doctrine d'Epîcure. P A G E 138. •; 3; LOCAUtantia aquarum ne veut pas dire autre chofe que les lieux où il-y a de l'eau, loca que, lœtantur aquis , comme Horace a dit amices. baccho colles, . P A G E 144. v. ip; LA Fécule, fax, lie, eft une fubftance'réduite en poudre, lavée pMeurs • fois* & féchéé , telle que la fécule de la racine de Bryoïie, VAmidon qui eft la fécule du froment. Comment v D V II r RE IL H* Une pareille fubftance, privée d'une grande partie de Tes principes aâifs & favoureux , peut-elle produire ce chatouillement agréable que décrit ici le Poc"te ? Faut-il fuppofer le texce corrompu, & lire Ferula au lieu de Facula ? On ne fera pas plus avancé. La plante nommée férule eft fade» dégoûtante , & par conféquent incapable de produire l'effet dont parle Lucrèce. ENFZN eft-il féant de traduite avec ljj baron des Coutures, facula par la fiente, & de dise que les particules qui s'en exhalent, chatouillent agréablement l'organe ? Je doute qu'on veuille fe prêter au goût de ce afâdûdeur. L'AULNIE, Inula ou ÉnuU campana eft à ta vérité une belle plante dont la tige s'élève foit haut, & dont la fleur de couleur d'«r a la forme d'une cloche ; mais elle eft en même tems d'une odeur défagréable, d'une faveur acre & amerd, tomme le dit Horace, lib. II. Sât. IL v. 41. Mala copia quando JEgrumfollicitatftQroachum.cdmrapula pleao* . Atque acidas mavult Inulas, le Sat. VIII. v- $u tracas virides , Inulas ego primus amaxas Monftravi iucoquere. Ç'ïIT un fort bon ftomaehiquc, mais an fort c 5fe NOTES mauvais manger. Convenons donc franchemen* que nous n'entendons point ce que veut dire ici Lucrèce, QU plutôt que nous n'entendons rien du tout à la Botanique non plus qu'à la Chymie des anciens. P A G E 150. v. 6. CE partage paraîtrait faire entendre, que Lucrèce fuppofe tous les atomes de la même grandeur, tomme il les fuppofe de la même matière. Mais il vaut mieux croire ce vers altéré & corrompu , que d'en tirer une induction aufîi contraire au fyftême d'Epicure. Il fuffit d'avoir lu ce qu'a dit précédemment Lucrèce de la manière dont les objets agiifent fur nos organes, pour être convaincu qu'il eft néceflaire dans fes principes , qu'il y ait des atomes plus grands & d'autres plus petits. Cç n'eft que par leurs différentes grofleurs qu'il explique pourquoi la lumière pénètre le verre, tandis que l'eau ne peut s'ouvrir un partage à travers fes pores. On verra dans la fujte que les élémens de l'a me font, fuivanr, lui, les plus petits atomes de la nature , & que ceux dont réfultent lesfimulacresde la viiion , font d'une ténuité inconcevable. On doit même avoir remarqué que la différence des figures des atomes tient, dans les principes d'Epicure, ? la différence de leur grandeur, c'çft 4ans ce ftns- 1» D u - i ; • • / V R E là qu'on do^t entendre les jets même page. I L j É i S 3c j de U Fac enim mihimis é partibus c/fè Corpora prima : tribus, vcl paulo pluribus auge. Au RESTE, fî on objeâe à Epicure que les •tomes les plus gros deviennent diviûbics &z perdent dès-lors Jeux qualité d'atomes , il répond que bien que les atomes foient des corpufculcs infeniibles à l'œil, & d'une ténuité incroyable , ce n'eft pourtant pasprécifément fur leur petitetfe qu'eft fondée leur indiviïïbilité*, comme le pré' tendaient les Atomiftes Ces prcMcccffcurs, mais fur leur Solidité, leur privation de vuide. Si on lui objecte en fécond lieu , que les différente* figures des atomes nuifent encore à leur indivisibilité ,. parce que leurs pointes , leurs angles, leurs ramufcules peuvent plus facilement fc brifer à caufe de Jeux petite/Te j il répond que ces particules Éuliamcs étant dépourvues de vuide, r gant-bien que la maue même de l'atome, ne rourent aucun rifqac , puifque ce n'eft qu'à la faveur du vuide que la dHTolution des corps peut £c faire, P A c i if** Y, }* J'AI été obligé de m'écarter ici du texte, parce ^ue, Quoique ce début fouit l. Q 1 4 f 5^ NO TES ^)uod quonîàm dfccui, nuhc fufcvilotjtfis, âge, paucis •••";' Verfibus oftendam , paraifle annoncer En nouvel objet, Une nouvelle vérité à prouver 5 ce n'eft pourtant que la fuite du même raifonnement , une féconde preuve fur laquelle Lucrèce appuie l'infinité des atomes dans chaque clâlTe de figures. Cette féconde raifon, ç'eft que les atomes ne fufKfent à l'entretien de l'univers qu'en vertu de leur infinité, ex infinito. Car c'cft-là le fens S ex ihfinito. Le rendre par ex œterno, comme ont fait les commentateurs, c'eft ôter au raifonnement du poëte le mot le plus fflenticl5 on n'entend pliis rien à ce qu'il veut dire. P A G E 160. v. 1. L A Terre , dit Lucien , fut la première qui rendit des oracles à Delphes. Le langage des oracles était obfcur & érrigmatique. Lucien ne voudrait-il pas «ous apprendre par-là que ce fut la manière fecrete & myftérieufe dont la terre procède dans fes différentes productions, qui porta les hommes à en faire une Déefle, & à lui adrefîer leurs hommages ? N'eft-ce pas-là te que veut dire Lùcrere par-ce Ver s "fi fublime que nous expliquerons dans une note de ce liyre f i pag.368. Munificat taciu mortales muta falute. il! D U LIVRE IL )6t N*aTAiT-CB pas-là enfin la caufe de ce ûlcncc myitéricux qui régnait dans les cérémonies fccrêtes de la bonne Dée/Iè ? En oflfèt, en y réfléchiûant, on Ce convaincra que ce fut plus l'i•gnorance qae la crainte, qui multiplia Ci fort les Dieux du paganifme. L'homme, né orgueilleux, fe confole , poux ainfi dire, de fa faibJc/Tc, en regardant comme furnarurcl tout ce qu'il ne conçoit pas. Les premiers hommes , barbares , greffiers, occupés de l'unique foin de fe procurer leur nourriture, jouiraient des • productions de la terre, (ans lui demander par quel mécoanifine intérieur elle avait accru de développé les germes abandonnés à fa fécondité. Ne voyons-nous pas encore aujourd'hui que les laboureurs , ces hommes infatigables , qui coopèrent tous les jours avec la terre pour lafubfiftance du genre humain, font de tous lec hommes ceux qui connailTent le mieux les réfultats, & qui ignorent le plus les procédés intérieurs ? Mais quand .la philo£>pfiie, qui n'était dans l'origine que la Théologie même> eut corn, mencé l'étude de la nature par l'examen des objets les plus voifins 6c les plus familiers > quand elle eut remarqué dans toutes les productions terreftres un enchaînement de caufes & d'effets ^concourant à un même but, fournis à des loix coûtantes & fmukkks, & portant le carac- $ $4 NOTES tcic d'un plan fage & réglé ; quand ," voulant fonder plus avant , elle le fut apperçue que la faibleife des organes humains ne pouvait fuivre une marche aufli fine & aufli délicate, ni furHre à tant de détails compliqués, à tant de nuances imperceptibles ; l'intelligence divine devint alors, pour ainfi dire , le fuppléinent de l'intelligence humaine. On crut que la terre était douée d'une raifon furnaturelle. On l'adora comme une divinité bienfaifante , qui daiguait préfider à tant eVopérations admirables , pour le bonheur des mortels. Son intelligence fut révérée fous les noms de forme, de Nature plajlique, d'à me divine. Bienrô: elle fut fubdivif^c en autant d'intelligences particulières, qu'elle renfermait de différentes productions dont le méchanifme était ignoré. De là les Nymphes, les Faunes, les Sylyains, &c . . De là enfin les Métamorphofes, ti la Métempfycofe qui n'eft elle-même qu'u^ç métamorphofç renverfée. I B i D. v. 17. LES Galles étaient des Prêtres de Cybcle dont la Phrygic inondait tout l'Empire Romain. Les anciens nous les ont repréfentés cpmme des vagabonds , des fanatiques & des miférables dont on craignait fouvent la fureur. Ils portaient tous J# petite image de la mère 4es Pieux-?ils ^Uaiçrij; DU LIVRE IL 56*$ quêter ^our la DéeiTc ; ils jouaient des gobelets & fa i fa te nt le métier de devins ou de dileurs do bonne aventure. Leur caftration*, ou , fi l'on veut, leur circoncition en l'honneur d'Àtys, ôc leur point de réunion à Hiérapolis , les font regarder comme un refte de quclqu'ancien ordre *e pénirens*, s'il en faut croire l'Auteur de l'Antiquité dévoilée, tom. I. Jib. II. Ch. 1. I B 1 D. v. II» 1E Tympanum était un cuir mince, crendtt fur un cercle de bois ou de fer, que l'on frappait à peu prés de la même manière que fonc encore à préfent nos Bohémiens. Quelques auteurs dérivent ce mot de yjimJ* frapper. VoiTîus le tire de l'Hébreu toph. II eft du moins certain que l'invention des tympanum vient de la Syrie, félon la remarque de Juvénal. Jampridem Synis in Tiberim demixit Orontes Et lingoam & mores & cum tibicine chordas Obliquas, nec non gentilia tympana fecum Vexir. ILS étaient fort en ufage dans les fêtes de Baccbus & de Cybele, comme l'on voit par ces vers de Catulle. Cybeles Pfarygi* ad nemora Dca? Ubi cymbakm fonat, ubi tympana reboant. Qiij 2,66 NOTES parlant d'Héliogabale , dit qu'il lui prenait fouvcnt des fantaiûes de faire jouer des flûtes , & de faire frapper des tympanum, «omme s'il avait célébré les Bacchanales» HIROBIEN I B I D. Y. 21. que les Latins appelaient Cymbalum & les Crées Kv^axor , était d'airain comme nos cymbales, mais plus petit, & d'un ufage différent 5 CafHodore & Ifidore les appellent acètabule , c*efl-à-dire , l'emboîture d'un os, la cavité ou la finuofité d'un os dans laquelle un autre os s'emboîte 5 parce qu'elle refTemblait à cette finuofité. C'eft encore pour cela que Properce les appelle des initrumens d'airain qui font ronds, & que Xénophon les compare à la corne «l'un cheval, qui eil creufe. Les Cymbales avaient un manche attaché à la cavité extérieure, ce qui fait que Pline les compare au haut de la cuifle, & d'autres à des fioles. On les frappait Tune contre l'autre en cadence , & elles formaient un fou très-aigu. Selon les païens, c'était une invention de Cybele. De là vient qu'on en jouait dans fes fêtes & dans fes facrifices. Hors del* il n'y avait que des gens mois & efféminés qui jouaffent de cet infiniment. On en a attribué l'invention aux Curetés & aux habitans L'INSTRUMENT * du mont Ida dans l'aie de Crète, Il cfl certain D V 11 P A £ IL tff que ceux-ci , de même que les Corybantcs , milice qui formait la garde des Rois de Crcce, les Telchiniens, peuple de Rhodes, 8c ks Samothraces ont été célèbres par le fréquent ufage qu'ils faifàieist de cet infiniment, 6c leur habileté à en joAOf Wd. Encyclopédie, au mot ÇymI 1 I D. T. 11. I t LE Cornet était un infiniment a vent dont lu anciens fè (erraient àcfatguerre ; les cornets faifaient marcher les enfrignes fans ks foldats, 6c les trompettes les foldats (ans les enfetgnes. Les cornets 6c les clairons fonnaient la charge 6c la retraite. Les trompettes 8c cornets animaient les troupes pendant k combat* Ceux qui font eu* rieux 4c connaître la facture de cet infiniment, peuvent confuher ^Encyclopédie, à lVuticlc O r $it dont cette note cfl-tirée, IllS. T. &)• \*L s f t # Ftojgto eft. tm des quatre princîpMH* jlAfbtWfM w 4 f * de la mufique des, Qtfict, l * caja%fe.cn fou $cr, ardent, impé»eux, WhtofSjMtfr&k. ^uÂl é>ait-ce, felon^ Adqcné*. fcfc lf tonou mp4c Phrygien que Ion (#Mai«. ks wofnpcttç* 6ç les autres inflruraens lwUwc*nÇs\#Wo^Wcn^^di^on, par MarQiv li $6% fr O T E S fyas Phrygien, occupe le milieu entre le Lydieit & le Dorien, & fa finale était à un ton de distance de l'un & de fautre. P A G E 161+ v. ^:. C E vers eft d'une noblefïe & d'une énergie qu'il eft bien difficile de faire parler en fiançai?. Si je n'ai pas réuffi à 1: faire fentir, j'eflaierai du moins de le faire entendre» Munus était un terme confacré dans la langue Latine pour désigner les fpe&acles gratuits qu'on donnait autrefois au peuple Romain. Ainfi par le mot munificare, qui eft la même chofe que munus facere, Lucrèce veut dire que la terre préfente de grands Ipectacles aux hommes. LES mots tacitâ & muta qui prélentent une idée fi oppofée , font avec nunificatxm contrafte plein de fens & de vérité. Voici donc les deux tableaux que Lucrèce réunit dans un même vers. D'un côté la terre femble faire parade des biens qu'elle prodigue aux hommes par la magnificence avec laquelle on la voit revêtir les prairies de verdure, émaiiler les gazons de fleurs, étendre par-tout les tapis les plus riches & les plus variés, colorer du plus vif incarnat les fruits de toute cfpece , élever jufqu'aux cieux la cime des plus grands arbres, enfin s'étudier, pour ainfi dire, a parer tous les points de fa furface avec ïvmt DU L I V R E 11. $<r9 k plus recherché. Mais d'an autre côté les moyens qu'elle emploie pour opérer toutes ces merveilles, elle nous les cache avec le plus grand foin. Nous ne voyons ni les progrès lents des*racines dans le fèia delà terre, ni le développement des germes, ni la fecrétion des molécules nutritives, ni l'introduction des fucs nourriciers dans les conduits des végétaux, ni la circulation de ces mêmes fucs dans la tige des plantes ou le tronc des arbres. La terre a donc, pour ainfi dire, comme la phi' lofophie ancienne, fa partie exotérique qu'elle étale avec fafte aux regards de tout le monde , & fa partie erotérique qu elle tient en réferve, Se cache à l'œil même le plus attentif. VOILA probablement'la raifon pour laquelle dans le culte de Cybele il y avait à la fois Se des fêtes d'appareil , telles que la proceflion folemnelle que décrit ici Lucrèce, & des myftercs cachés dont les prophanes étaient exclus, & dont le fecret était la première loi, I B X D. • V. $.. - - LES Curetés étaient regardés comme les plus Anciens Miniftres de la religion:' On les repré* fenre comme des*hommes Urréshl* conterriptar tion. Ils étaient, dit-on , en Creté >ce que les Mages étaient en Perfe, les Druides dans, les Gaules, les Saliens & les'Sabins chez les RoQy 27* NOTES mains. On leur attribue l'invention de quelques* arts & de quelques danfes facrées, qu'ils fan faienc tout armés au bruit des cris tumultueux des tambours, des flûtes, des fonnettes. Us frappaient avec des épées fur des boucliers > ce qui les remplirait d'une fureur divine qui en imposait au peuple épouvanté. C'eft-là , félon Strabon, ce qui leur fit docner le nom de Corybantes. Il y en avait en Crète, en Phénicie* ea Phrygic, à Rhodes, & par toute la Grèce. Lucien dit qu'ils le faifaient des incitions. Les.uns couraient échevelés par les précipices, d'autres hurlaient & frappaienr fur des tambours & des tymbales. Enfin ils fe mutilaient en l'honneur de Cybele défefpérée de la mort de Con Atys. Ils obfervaient outre cela des jeûnes rigoureux , dans le (quels ils ne fe permettaient pas même de manger du pain. Vid. Antiq. dévoilée, tom, I» kb. IL ch* u P A G X 172. V. 21. C E vers qui eft écrit avec toute la précifion & la propriété d'expreffioa poflîble, veut dire mot à mût : Après vous avoir convaincu <pit celé srriyt, jtvAÏs vous prouver qut ttU efteffentieh Le mot fieri a rapport à l'expérience qui juge par les f*ks. Lé mot ejfe a rapport au raifonnement qui calcule les pofftbilités d'après l'cHcpce connue D U t I F R B I L i7i descfeofcs* YW° convifW encore à l'expérience qui con,yai»< les çfprits, qui triomphe de laffeotimeot, $ 4fic*h 4 k marciic méthodique, du iaifp#nf<acnt, • # P a « i 178. v. 16. Ci ne*, eft.rcmarquayc en ce qu'il fait voit; qg/jEjjbnpg ne regardait la vifion que comme un taâ d-wif certaine efpece. On verra dans le qua~ tries** livre que les autres fenfuions font aufli rapportées, au ta# dans Ton fyftcmc. Le tad cil donc, fuira** lui, le fens par excellence, le piuigcVfRl<ktouslt* fent. h%effet, parmi les éjsfctqaiesit, on «««quels nous attribuons de la fenfibiltsi, il y en a qui paraient privés de la vue, d'autres qui femblcnt dépourvus d'ouïe & d'odorat. Mais il n'y en a pas un fcul auquel la Nature ait refjifif le ta& Voila probablement la raifon pour laquelle Lucrèce s'ecric avec tant daataouilafme dans ce même livre, p. 14*. •• i. .* > Tairas enim , taâas, proh Div^m namina (anclai Çorpops eft fenius. , P i f i lia, T. 14. • I i T t i les fyûêmes fans nombre imaginét pas les anciens pour la folution du fameux problème de lafonM'bikcé,i\ y ta a (ùr-touc deux 37* NOTES qui méritent d'être remarqués , celui d'Ariftore ; & celui de Yharmonie que réfute Platon dans fon Timée , & dont nous aurons occafion de parler plus.amplement dans le troifîeme livre* A R I S T O T E imbu du principe de la grande ame du monde , perfuadé que les aftres , le foIeil, la lune , la tevre , les étoiles , tous les grands corps de la nature font animés, & que leur ame ou leur forme ( car l'une & l'autre font sûrement la même chofe dans les principes de ce philofophe ) eft une fubftance-, ou, comme on parle dans les écoles , une entité diftin&e d'eux-mêmes, reconnut ces deux chofes, la ma• titre & la forme, non-feulement dans les grandes parties du monde, qu'il regardait comme autant de Divinités , non-feulement dans les hommes & les autres animaux , mais encore dans les végétaux , dans les minéraux, dans les corps les plus brutes & les plus étrangers à la fenfibilieé. Cette forme fubftantielle dont on a fait un fi grand crime à Ariftote , n'était donc pas , comme on Ta entendu communément, la figure ou la difpofition extérieure des parties 3 mais one ame, comme lame que Thaïes donnait à l'ambre & à l'aiman : une portion de cette grande âme du monde, dont la fenfîbilité, efTcntiellement parfaite, puifquc c'était la fenfîbilité élémentaire même, était plus ou moins leftreime DULIFREII. m fuivant t'Organifation des corps où elle fe trouvait captive. Je le répète , le fyftêmc d'Ariftote n'était pas auflï abfurde qu'on l'a fait. Il partait a la vérité cfun principe faux : mais il marchait de conféquences en conféquences à une erreur qui ne pouvait être que celle d'un homme de génie. DANS le fyftéme de l'harmonie an contraire, on regardait la fenfibilité, non pas comme la propriété d'un être diftinct de la matière , mais comme une modification de la matière même, qui ne fe manifeftc pas à la vérité dans tous les corps, mais qui cft contenue virtuellement, qui, femblable à la pefanteur, cft quelquefois arrêtée par des obflacles, mais qui lutte toujours & n'eft jamais anéantie. D'après ce principe on croyait que les élémens de la matière étaient fufceptiblcs de fenfibilité, mais que cette fenfibilité n'étant pas développée ni mife en jeu par une aggrégation, était comme nulle : que dans les ancres corps brutes il y avait bien une aggrégation , mais qu'elle n'était pas telle que la fenfibilité pût en éclorre ; qu'il n'y avait que dans les animaux, les hommes & les Dieux, que l'organisation fut tellement tempérée , qu'il en réluttât une fenfibilité qu'on nommait harmonie. ' CÉTAiENT-là les deux fcnls fyftêmes qai prefçrivifTcnt à la Nature une marche régulière 6c 374 NOTES uniforme ; l'un en faifant décroître, petit à petit la fenfibilité depuis le premier être jufques dans le dernier, de façon qu'elle ae fut pourtant pas. nulle dans celui-ci 5 l'autre en la. fajfant naître par degrés depuis l'atome brute, jufqu'à ce quelle parvint à fon comble dans les êtres les plus parfaitement organifés. Ces deux fyftêmes avaient plus de rapport entr'eu* qu'on ne croit. Ils admettaient tous les deux un principe de fenfibilité dans tous les êtres. Ils ne différaient qu'en ce que dans l'un cette fenfibilité était le ré fui tac d'un être diftinét de la matière, dans l'autre elle n'était que la matière même modifiée. Voila ce que pouvaient imaginer de plus raifonnable des hommes qui n étaient pas éclairés par la révélation , qui ne fçavaient pas que Dieu ayant créé l'homme à fon image , & les autres êtres pour fon ufage, il a tiré en quelque façon une ligne de démarquation entre lui & eux , en animant l'homme d'un fouffle de fon efprit,divin, & en ne lai (Tant aux autres créatures qu'une matière brute & inanimée. \ P A e E 184. v. 21» JE me fuis totalement écarté du fens qu'on donne communément à cçt endroit. Voici l'interprétation de Creech. Tum porro quid demum efi quod menum tuam impcllit, quod dubitare & DU LIVRE IL 575 diverfam fententiam ampleâi cogU ? Ainfi pour dire quelle tfi la raifon qui vous fait refufer à des corpufcules infenfibles la faculté de produire une fubflance fenfible , il fait dire à Lucrèce ; Quelle efl donc la raifon qui fait unefiforte im~ prtjfion fur votre efprit* qui vous rend flottant* & vous force à embraffer une opinion différente de la mienne ? Que de verbiage pour dire la chofe du monde la plus fimpk * Lucrèce a-t-il jamais parlé de ceftyle ? D'ailleurs, fi Ton veut y faire attention, on verra que cette ridicule interprétation n'a pas même le mérite de rendre îe texte. On n'entend ni Vipfum ni le varios fenfus de Lucrèce. Car il y a une grande différence entre varios fenfus & diverfam fententiam. II me fembie que ma verfion eft plus naturelle , plus fenfée & plus voifine de l'original. P A e i i%6, v. i. Au lieu de ne que portent plufieurs éditions, je lis nî qui eft néceflaire pour le fens, & adopte par plufieurs commentateurs. I B- x. B. v. ;• JE me fuis permis ici une correction que le fens exige abfolument, 8C qu'en trouvera une bien petite liqeûcej f f 00 foagcque quoque «'écrit par abhféviatieit fMftf ><fou il aura po fe 1 $-]6 NOTES faire par l'inattention des copiftes, que le q ait é:é changé en ds ce qui aura donné quod avec deux points que les commentateurs auront fait difparaîrre comme une faute de copiftes. Au refte ce quoque n'eft pas un mot inutile, parce que Lucrèce vient de dire plus haut que la terre produit dans certaines circonstances des êtres animés. I B i ©. v. 17. C E vers outre le fens que je lui donne dans ma verfion, peut encore s'expliquer de deux autres manières. i ° . En fous-entendant judicando, & en mettant après fucus une virgule au lieu de deux points, on aura, du moins s'il en faut juger par Us fubflanc es fenjlbles que nous conna'ijfons déjà. i ° . Sans faire aucun changement dans ce vers, mais en s'en permettant un léger dans le précédent, on aurait encore un fens tout-à-fait différent. Si au lieu d'exjenjîlibus par deux mots, 011 n'en faifait qu'un fcul. exfenfilibus comme exanimis, on aurait cette explication qui n'eft point du tout déraifonnable : Dire que Vinfenfible peut devenir fenjïble par fon union avec un aggrégat fenjïble. Aucun de ces fens n'a été vu par les commentateurs. P A G E GASSENDI 188. •. 4* & d'autres commentateurs lifent DU LIVRE IL $77 mtirus ; Creech lit omnium, & cette leçon eft fa 1 vie par quelques textes. Lune & l'autre font un ferrf intelligible. Dans le premier cas, la conirruction eft fin/us aliorum membrorum refpuit omnes (fubaud. partes avulfas à corpore) ; dans le fécond, cctkfenfus omnium aliorum mem~ brorum refpuit (fub. partes avulfas à corpore. ) Refpuit eft . j'en conviens, une expreffion bien hardie , pour dire que la fenfîbilité des autres membres ne fe communique pas aux panies fé» parées de la machine. Mais il fait un fens plus clair Ôc plus raiionnabie que tes petit omnis, qu'y fuppléenr je ne fçais quels commentateurs» J B I D. V. l?. IL y a des commentateurs qui prétendent qae » • fkgereeft un terme de pratique, qui lignifie affirmare. C'eft dans ce fens que je l'ai pris. F A G 1 196, T. 3. LES habitans de l'Indoftan n'enterrent point leurs morts, mais les brûlent. On les expofe à terre fur le bord d'une rivière, & le Bramine qui préfide à la cérémonie, prononce cette prière. » O terre, nous te recommandons cet homme » qui fut notre frère pendant fa vie ; tu faifais » partie de fon être ; il fut forme de ta fubf» tance, & nourri de tes fucs 5 le voila mort, 578 NOTES » nous te le rendons. Enfuite on environne le., corps de matières combuftiblejs qu'on allume à laide de l'huile, & fur lesquelles on répand des parfums. Alors le Bramine dit : » O feu, tant v que cet homme a vécu, il a été fournis à tçn »> action y c'eft ta chaleur bienfaifante qui l'a s» animé, reprends & purifie fa dépouille. Quand le cadavre eft confumé, on en difperfe les ceiv» dres dans les airs, & le Bramine continue ainfi fa prière : n 6 air, c'eft par toi que cet homme » a vécu & refpiré ; maintenant qu'il a rendu le «[dernier foupir, nous t'en reftituons les reftes. Enfin, lorfque les cendres font tombées dans > l'eau, le Prêtre finit en ces termes, » Eau falu9> taire , ton humidité foutenait les membres dé » notre frère pendant fa. vie $ reçois la partie » de leurs cendres qui t'appartient. Vid* Lgi;d* liift. de la religion dçs Banian^., Ch. y. I B 1 r>. v. 6, CES trois vers fe trouvent dans, toutes les éditions de Lucrèce, placés dans cette même page/ après le vers & quos dent interfe motus accipiant*. que. Il eft évident qu'à cet endroit ils coupent le.. raifonnement de Lucrèce par une parenthefe qui ne fignifie rien du tout 5 au lieu qu'à la place •à je lésai reftitués, ils fe lient fi parfaitement avec les vers qui précèdent & ceux qui fuivent, r DU LIVRE IL m qu'oa ne s'appcrccvrait pas du changement que je me fuis permis, fi je n'en avertirais. P A6 E ici. v. 18. GENU-sommtiz pourrait-il pas auffi lignifier r univers, U genre par excellence ? & ferait-ce faire mai raisonner Lucrèce que d'interpréter ainfi ce morceau ? Le fêleil, la lune, la terre , la mer, tous Us autres corps de la nature , bien •loin a9être des individus uniques, conJHtuent des ejpeces nombreuses , puisqu'ils font fournis à la âtjbu&on fr à la- na'rflnncc , comme le grandtout lui-mime, qui eft la collcQxon de toutes ces ejpeces* I l I D . T. 1 8 , 1^. les vers 18 & 19. C*cft ici qu'on place le morceau que j'ai rejette à la fin du livre qua bene cognita fi tentas , & c . . . . C'eft une récapitulation de tout ce que le Poète a dit, qui eft par conféquent fort déplacée ici, puifqu'il n'a pas encore fini de prouver qu'il y a une infinité de mondes. Cette tranfpofition vient de ce qu'oa n'a pas entendu, cet endroit qui eft d'une pjiilofbphie profonde. Pour prouver que notre monde n'eft pas un individu unique, Lucrèce prétend qu'il^'y a pas dans la nature d'animal unique de Ion efpece, ce qui le conduit à comparer ENTRE 1 $3o NO TE S notre monde à un grand animal qui ayant be&iït d'aliniens pour fe conferver, doit néceflaire^ ment périr , quand les réparations ne feront plus proportionnées aux pertes. Pour peu qu'on y fafle attention , on verra que tout ce morceau multaque poft mundï &c.... n'eft que le développement des deux vers précédens quandoquiiem vita & c . . . . dc^fiji par conféquent le morceau intercalé qua benc co'gmta &c... qui jette un» confufion lî horrible dans les idées du Poe'te, n'a fubfîfté fi long-tems à la place d'où je l'ai ôté , que parce qu'on n'a rien entendu au raifonnement de Lucrèce. I B i D. v. 19. un pafTage que GaflTcndi & les autres commentateurs de Lucrèce n'ont pas afTez remarqué , & qui le méritaîc pourtant, parce qu'il e(l fondamental, & qu'il fert à expliquer plufïeurs points de la pliilofophic corpufculaire. Épicure croyait que non-feulement notre monde, mais encore tous les autres mondes dont il fuppofait le nombre infini, étaient environnés d'une efpece d'atkmofphere, d'atomes extérieurs, comme notre globe cft environné par l'air. Ces atomes extérieurs placés dans les intermondes, c'eft-àdire , dans les intervalles d'u» monde à l'autre, avaient difTérens ufages. Le premier était d'aliVOICI DU LITRE II. ? 8i inenter les mondes mêmes , en s'incorporant à leur fubftance, pour en réparer les pertes, comme nous voyons l'air Te di/Tcminer dans tous les corps de notre globe. Nam fua cuique locis ex omnibus omnia plagis Corpora diftribuuntur, & ad fua Çrcla recedune LE fécond ufage était d'empêcher par leurs chocs continuels la diifolution des atomes confticutifs de chaque monde, qui fans cette preffion extérieure fe feraient déliés, féparés, & difpcrfçs dans le vuide. Voila le fens de ces vers du premier livre que perfonne n'a entendus. Nec plag£ pofTunt extrinfeciis undique fummam •; Confcrvarc omnem, quxeenque eil conc&ata, nç nie pas que le choc des atomes ne puifTe retenir le monde, mais il prétend qu'il faut que la matière foit infinie pour qu'il puiile y fufEre. Le troiûeme ufage de ces atomes extérieurs était d'être , pour ainfi dire, un milieu pour la communicatiqn d'un monde à un autre p en fexvant de véhicule à leurs émanations réciproques. C'eft dans ce fens qu'il faut entendre le paûage du fixieme chant, où Lucrèce dit que jpous avons peut - être quelquefois dans notre LUCRèCE 3$i NOTES monde des nuages qui nous viennent d'un monde étranger. Fit quoque ut hune veniant in 'cœtum extrinr fecùs illa Corpora qux faciunt nubes nimbofque volantes. en paifant que la do&rine de l'infinité des mondes plaifait tant à Lucrèce qu'il parle, pour ainfi dire, d'un monde étranger, comme il aurait parlé d'une province de l'Empire Romain. REMARQUONS Sed quidpoiîît fiatque per omne In variis mundis varia ratione creatis. lib. y . Et magis id pofïîs facTurm tontendere in ornai In variis mundis varia ratione creatis. lib. V. probablement cette perfuafîon où il était de l'infinité des mondes, qui le rendait fi peu difficile fur les fyftêmes de phyfique, croyant que la combinaifon qui n'a pas lieu dans notre monde, peut avoir lieu dans un de ces mondes infinis. C'éTAIT PAGE PRESQUE XQ6. v. IJ. toutes les fe&es des philofophf* D V 11' F R EU. JSJ fc réunifiaient à croire non-feulement que le monde devait périr un jour , mais encore qu'il approchait de fon terme. Le fage Platon prédifait le dépérifrement du monde. Le grave Séné* que faifait fes délices de cette contemplation funèbre. Les premiers Empereurs de Rome voyant leur Capitale &. leur Empire troublés par ces idées lugubres, châtièrent de Rome & de l'Italie les philofophes , ainfî que les mathématiciens & les Chaldéens. La Religion Chrétienne faifit avec avidité ce dogme terrible. St. Cypricn ( ad Dcmetrian. ) dit prefque mot pour mot, ce que Lucrèce dit ici. Scire debesjam mundum non Mis ytribus flore quibus ontè fleterat, ntc eo robore valere <[Uo ùnte pravolebat &c De là ces calculs, ces prédictions qui ont rempli de terreur tous les ficelés à chaque renouvellement de période. On croyait devoir d'avance fe détacher des biens d'ici-bas $ on les portait aux pieds des nouveaux prédicateurs, qui annonçaient le * royaume prochain du ciel , & l'on s'imaginait imiter en cela les premiers Fidèles, qui avaient porté les leurs aux pieds des Apôtres. Cependant l'époque 6xéc pour la deftruction générale arri« 'vait. Le monde fubfiftait toujours, mais ne fe défabufait pas. On recommençait de nouveaux calculs, croyant s'être trompé dans les premiers, £ les générations ne cédaient pas de fe tranf- 3*4 NOTES mettre .des terreurs périodiques. Ce levain apocalyptique fubfifte encore de nos jours. Il y * encore dans ce XVIIIme fiecle des fanatiques qui déterminent la venue du grand prophète Eiie, & celle de l'Antcchrifr, La fin du monde çft fixée aux années 1789, 1800, 19^4. Cette attente ne manquera pas alors d'agiter encore quelques efprits, fi une police éclairée que le fanatifme élude fouvent, ne réprime un ferment capable de changer la face des focié.tçs. Vid. Antiq. dév. P A G E 108. v. 4. LES premiers Théologiens Grecs peafaient que les hommes étaient nés de la mer* Platon dit dans fon Théotus que cette doctrine était fort ancienne o-rt .TFOLVIOL ex,ywct çonç TS $ Kiyv que tout tire fon origine du flux & du mouvement. En effet c'était celle de Thaïes le premier des fept Sage.s de la Grèce. Voila pourquoi Homère fait naître tous les Dieux de l'Océan, c'eû-à* dire, de la matière liquide. Oceanumque Deorum originem & macrem Thethin. VOILA l'opinioa fur laquelle itait fondes^ la fable D U L*rr R E IL 3$5 fable de Vénus fbrtant de l'écume des eaux. Voila l'étymologie du nom de Rheaou Rhée ,' cette Dée/Te de l'âge d'or, c'eftrà-dire, de la première génération des hommes. Ç'cft encore parlà qu'on peut expliquer le culte que piefque tous les peuples de la terre ont rendu à l'eau. Les Egyptiens avaient un Dieu Eau, qu'ils repréfemaient par un vafe qu'on remplirait d'eau à certaines folemnités, que l'on ornait avec foin , & que l'on plaçait fur une efpece d'eflrade ou d'autel, pour l'cxpofer à la vénération des peuples. Les anciennes nations de l'Italie fe rendaient une fois l'an fur les bords du lac Cutilic. Us y faifaient des faciifices, & y célébraient des myiteres ou cérémonies fecretes. A Rome les Pontifes marchaient accompagnés des Veiralcs vers les rives du Tibre, & faifaient des facriu** ces à Saturne le plus ancien des Dieux. Enfin voila la raifon pour laquelle l'eau eft .entrée dans toutes les cérémonies religieufes des anciens peuples. On s'en fervait pour faire des cfufions, des libations» des Mutions, des purifications ZL des expiations ; ufages qui fe confervent «ncore chez une infinité de nations. Aiufi dans l'étude de l'antiquité on trouve les opinions philofophiques mêlées avec les ufages, les ufages aves les opinions, philofophiqqes , & la Théologie avec tous les denx. Tome U K. jSo* mi!ft f f o A& (?i<* ttfïï fVfa .tàCâ** 5 5 ttâfà** ^ 3 C ^ ^ J G ^ ^ 3 C ^ ^qDG ^ ^SSFV NOTES P U TROISIEME LIVRE. 1 I P A G E to2. v. 13. J E m'écarte totalement du fcns qu'on donne communément g cet endroit. Je fais rapporter aux Dieux ce que les commentateurs entendent des feûateurs de la philofophie d'Epicure. L'une & 1 autre interprétation s'accordent également avec le texte • mais la mienne me paraît dairç & raifonnable, au lieu que l'autre eft abfolument inintelligible. Il eft faux en effet que la terre ne nous empêche point de diftinguer fous nos pieds ce qui fe paiTe dans le vuide ,. même en prenant la chofe métaphoriquement ; au lieu que les Dieux placés dans leurs intermondes t dans cçs régions élevées, d'où notre globe n'eft qu'un point pour eux , ^peuvent librement pro-» mener leurs regards fur ce vuide immenfe, dans lequel fe forment & agiflent les êtres. Voila ce qu'à voulu dire Lucrèce. C'eft avec cette majçftç qu'il affeéfcc de parler des Dieux. Lib. V, Çiim benè pr*fertim multa, aç divinitùs, jj>(îs NOTES DU UFRE III. jS 7 îamorralibot de dnris dare di£a fucrit P A G E rzo. T. 9, L A confbnâioa de ce rers* fur lequel on s'eft mis à la torture , eft tonte (impie > & fe frire animi naturam ejfe ( naturam ) fanpiinlt. Rien de plus clair. Lucrèce defigne ici le fyftcme 4*£mpedocles, qui regardait nos âmes comme le plus pur fang de nos corps. Empedocles autem animum tffè een/et cordifitfitfumfanguinem. Cic Tufc. qujeft. i # . C'eft peut-être dans le même (cas que Virgile dit, lib. IX, •. J49, Purpuream vomit ille antmam, Sec . . . C'était encore f opinion de Crttias, au rapport d'Ariftote, de an. lib. I. cap. *. 'rtpot Ai ?ipx %ct/ai.irtf K^/r/atç. TO cu&eiit&eu rnt; 4"X*€ ôittlrrcrfor irwtXxfiZctrorleç Ttrro é\4 v-woLpxtit <fict w TV aûfXctr^ yutstr- AUi vero fanguinem, ut CritUs, exiflimanteefendre effe mtximè proprium MMM, hoc vero accider* propier fanguinit naturam. Mais eette opinion date en«are de plus loin. Les livres (acres donnent la •antre do fang aas âmes des bétes. Garder-vous, défait Motfe ans Juifs , de manger du fang. Car U fang de* bkes leur tient lieu dame. Ceft pourquoi TOUï ne mangerez^ pat leur amc avec leur chair. Hoc folitm cave , ne fanguinem comedas : fânguis enim forum pro anima efi : & ideirco non Jeta animam comederc cum carnitut. Deut. Rij $8§ NOTES cap. i i . v. 3.3. Quia anima carnis in fanguinè eft. Anima enim omnis .carnis in fanguine efl ; unie dixifiliis Ifra'èl : Sanguine m univerfa carnU non comedetis, quia anima carnis in fanguine efl, Levjt, cap. 17, v. 11 & 14, P A G E 211. v. %• CE magnifique morceau de Morale que les; commentateurs ont tous admiré Tans l'entendre, eft difficile à faifir au premier abord. On ne conçoit pas aifément comment la crainte de la mort fait naître dans les hommes l'avarice , l'ambition , l'envie, tous les yices en un mot, $ç fubjugue les cœurs , au peint d'infpirer à quelques hommes J'averfion de la vie & le projet de fe tuer : Idée que Plutarque attribue aufïï à Arcéfilas. Mortem , qua malum dicitur, id peculiare e$ omnibus qua, dicuntur mala habere quoi neminem unquam fui prafentid affecerii, folamque ejfe animi abjeâlionem calumnlafque in mortem fufas , quç abfentem faciant formidabilem, prœjlentque ut etiam aliqui mortem oppetani ne mariantur. Pour entendre ces idées , il faudrait fe tranfpQrter dans les fiçcles de i'ancienne Mythologie, &• fe pénétrer des deferiprions dgs enfers, faites par les poe'tçs. Alors ce moçcpiu, bien loin d'être regardé comme une vainc acclamation, paraîtra plein de fçns & de philo- D V LIVAE m . 389 fopbie. En effet l'ignominie , le mépris & là pauvreté étaient réellement regardés comme U. cortège de la mon. C'était un des axiomes fon* damentaux de la Théologie païenne. Voila pourquoi Virgile dans fon fîxieme chant placô en fentinclle à la porte des enfers, non feulement le deuil, les foucis, les maladies, la vieille fle & la crainte, mais encore la faim & la pauvreté, v. 173. & fuiv. Veftibulum antè ipfum, primifque in faucibus orci Luétus & ultrices pofucre cubilia curas : Pallentefque habitant morbi, triftifque fenec* tus, Et metus & malefuada famés Be triftis egéftàs, Terribiles vifu formas. ces fauffes idées puifées dans la fable, qui donnaient naiffance à tous les crimes que Lucrèce décrit fi éloquemment, CITAIENT Sanguine civili rem confiant, divitia(que Conduplicant avidi, &c. pour détruire des préjugés fi funeftes an bonheur des fbciétés, que tous les moralistes de concert publiaient hautement que la more ne Éait point acception des rangs ni des dignités > Riij C'éTAIT 35>o NOTES quelle frappe également & les chaumières des pauvres & les palais des rois. Pallida mors aequo pullat pede pauperum tabernas Regumque turres. Hor. lib. I. O. 4. CE que Lucrèce dit en d'autres termes , lib. IL pag. 110. v. 23* & fuiv. Nec calidaz citius decedunt corpore febres, Textilibus fi in pic~hiris oftroque rubenti Jaclaris, quàm fi plebeiâ in vefte cubandum eft. P A G E xit. Y. I. CE fyftcme mal pré fente & mal attaqué par Platon dans fon Phédon, était un des plus ingénieux que pufTent imaginer des païens abandonnés à leurs propres lumières. Ce n'était pas famé, comme on l'a cru, mais la penlee qu'on appellait harmonie dans ce fyftême. Voila déjà une contradiction de moins. Le nom d'harmonie vient de ce que le corps était regardé comme un grand infiniment dont le jeu donnait la penfée. On croyait, comme je l'ai déjà fait remarquer ailleurs , que tous les aggregats de la nature étaient plus ou moins capables de fentir , félon le plus ou moins de perfection de leur D tf LIVRÉ III. w orgaaîfation ^ les arbres plus que les pierres » les bétes plus que les arbres, & les hommes plus que les bêtes ; de même que tous les corps étant naturellement fonores, font pltfs ou moins harmonieux félon la différence de leur conformation. Mais ce qu'il faut fur-tout remarquer, c'eft qu'on entendait par le mot harmonie , un group* pe de fons quelconques & non pas feulement Taccord parfait, comme l'ont entendu Platoa & Lucrèce» Cette diftin&ïon réfout bien des difficultés , rend le fyftême beaucoup plas fécond, & fufceptible d'un parallèle au moins aflez fpédeux. C'eft pour avoir négligé cette même diftin&ion , que Platon combat faiblement un fyftéme dont il n'avait pas compris toute l'étendue. Il fallait que Lucrèce ne l'entendît pas bien non plus, pour attaquer une hypothefe dans laquelle on fait la penfée le réfultat du jeu de la matière. Pourquoi s'ebftinait - il à vouloir une féconde fubftance inclufe dans la machine même, & qui n'étant pas immatérielle, ne pouvait rien expliquer , que le corps n'expliquât tout feul ! N'était-ce pas multiplier les êtres fans néceflîté ? Le fyftême de l'harmonie ne marchait-il pas au but plus directement & par la voie la plus courte ? N'était-il pas la conféquence la plus naturelle de TEpicuréifme ? Car enfin , puifqu'Epicure pour produire les couleurs, les fons, les odeurs ; &c... V Kiv $9i N O T ES n'admettait pas une efpecc de corps particuliers, une fubftance particulière confacrée à cet ufage, mais croyait au contraire que les mêmes atomes arrangés direrfement produifaient les couleurs , les fons , les faveurs ; & c . . . . Il ne devait pas non plus, pour expliquer la penfée , admettre une fubftance particulière , fcnfible& penfante , mais faire réfulter des atomes même du corps, la penfée qu'il regardait comme la modification d'un tout matériel. Cela, quoique faux, eût été plus conféquent» PAGE 130^ v. 10. on y réfléchit, plus on a de peine à le perfuadei que les anciens n'aient pas eu quelqu'idée de la fpiritualkè, de ïincorporéité, de Vimmatérialité de i'ame» Non que lajraifôn leur ait fourni des notions- aufli nettes & aufli préctfes, que celles dont nous fommes redevables à la révélation. Mais ils avaient tant fubtilifé j ils avaient tellement atténué, pour ainfi dire , la nature de l'ame, qu'il ne ferait pas furprenant qu'ils en fuflent venus au dernier degré de ténuité. Ce qu'il y a de sûr, c'eft qu ils étaient déjà fur la voie. Ils avaient reconnu une matière première, dénuée defigure& d'étendue : ils admettaient des idées qui ne peuvent nous venir par les feus, & qui n'ont point leur archétype PLUS DU LIVRE III. i9i dans la nature corporelle. Ils avaient imaginé Un véhicule de l'ame, une fubftancc mitoyenne , nécefïaire pour faciliter l'action 8c la réaction entre i'efprit & le corps. Enfin", pourquoi Lucrèce fc croyait-il obligé de prouver que l'ame cft matérielle, fi l'opinion contraire n'eût été adoptée par quelques philofophes ? Les idées généralement reçues font des principes qu'on ne prouve pas, mais dont on tire des conféquences. Je n'ignore pas ce qu'ont dit tous les Sçavans fur ce point de la philolophie ancienne. Je n'ignore pas, qu'on fe prévaut d'une foule de partages de Timée de Locres , de Platon, d'Ariftote, 8cc.... qui donnent à l'ame du corps 8c de l'étendue. Mais je fçais en même tems, que la fpiritualité cft une idée fi fugitive & fi délicate, que , pour peu qu'on s'y arrête, on ne tarde pas à la mélanger. On fait trop d'honrieur aux anciens & à Tefprit humain en général. On n-'ofe fuppofer qu'ils fc foient contredits. Cependant leurs ouvrages font pleins de contradictions. Ge devait être naturellement là le fort des premiers métapbyficicns. Il y a plus : il faut, ou les fuppofer tans Athées, ou reconnaître qu'ils fe font contredits, qu'ils n'ont pas fënti toutes les conféquences de leurs principes. Qu'il me foit permis de le dire. On a donné trop d'importance à cette queftion de fait for 394 NOTES rhiftoire de la fpiritualité. Les Chrétiens le fcme imaginés que le dogme de l'immatérialité acquerrait un nouveau degré de force „ en prouvant qu'il leur avait été tranfmis par les anciens : comme fi la révélation & l'autorité infaillible dcr l'Eglife n'étaient pas une bafe aflez folidc. Les incrédules au contraire fe font figurés que leur caufe ferait meilleure , en tâchant de prouver que l'idée de l'immatérialité eft une idée nouvelle , uniquement due au Chriftiamfme. lis devaient ks un* & ks autres fentir, que l'autorité des anciens ne fait pas plus pour ce Ï g m e y que pour un grand nombre d'autres ,. nt la raifon avait fait entrevoir quelques lueurs aux païens, avant que k faint Efprit eut exigé pour ces mêmes dogmes le facriiîce de notre raifon» P A G I 23*, W 7. de ces trois vers qui ne font difficiles qu'a traduire, fut regardée dansk fiecle dernier comme une découverte. Un Anonyme écrivit de Londres en 16%rj r une kttre à Bayk » pour le prier 4'inférex dans for* journal l'explication de ce pafTage, qui n'avait y dit-il, jufqu'alors été entendu de perfonne. Si M* Bayle s e jugea pas cette explication indigne de trouver place dans Ca. République des kttres, on ne me blâmera pas non plus de traafcrire ici l'endroit dcr L'INTELLIGENCE £> U LITRE I IL 395 cette lettre, qui a rapport au partage de Lucrèce. » Si vous voulez que je commence, je vais vous » envoyer l'explication de deux partages qui 43 n'ont point encore été entendus. L'un eft de *> Lucrèce au livre III. v. 175, ou environ. Ah 9» tamen infequitur languor , terraque petitus 6> r> in terra mentis qui gignitur aftus. Monfieur le » Fevre renverfe tout le texte pour l'expliquer j v & cependant il n'y a rien de plus naturel, ce » qui paraîtra par cette traduction verbale, cen pendant une langueur & une envie de fe cou» cher avec une inquiétude d'efprit lefuivent tout> jours. Petitus lerra n'eft autre chofcque fenvie itdcfe mettre a terre, & c'eft ce que nous voyons t) tous les jours, particulièrement dans les pay9> fans : même la plupart des dames ne fe trou» vent bien, que lorsqu'elles font fur le. foyer, 91 & qu'elles ont la tête fur un couffin un peu 9» élevé , ce qui eft précisément petitus terra. 9} JEflus mentis ne peut lignifier que les bouilli lonnemens de Vefprit, que je traduis par Fin» quiétude de tefprity comme le vers fîiivanr » le demande, interdumque quafi exurgtndi inT> certa voluntas.,.. Voyez Nouvelles de la Kéfw tfes Lettres, Fev. 16S7. pag. 11;. ' • 1 A G % ï}6. . . • \ T. 19, - I l n'y a peribnac qui ne Tente combien toute Rvj 39^ NOTES cette théorie de l'ame humaine eft fauflfe & inintelligible. Qu'eft-ce que le fouffle ", (mon l'air mis en agitation 1 Spiritus quem Gnzci Noflrique eodem vocabulo aéra appellant, dit. Plin. Nat, hift. lib. II. c. 5. Qu*eft-ce que la chaleur, finor» la modification d'un fujet chaud 1 Cependant Lucrèce paraît en faire des êtres à part 5 il femble vouloir réaliler les formes, d'Ariftote. Telle était îa métaphyfique dé ces tems là. Avant d'en venir à l'idée d'une fubftance non-étendue, les philosophes avaient parle par tous les degrés de la matière la plus fubtile. Les uns avaient recours a l'air : c'était l'opinion de Pythagore qui appellait Tarne aVoVae/<a 'Albspoç 3 un détachement de Tair. C'était auflî la doctrine d'Hippocrate qui la défini (Tait, fpintum tenuem per corpus difperfunu Maçrob. lib. II , Sect. i . Saint Auguftin qui avait des idées infîaiment plus relevées fur la nature de l'ame humaine, reconnaît pourtant, que Tair modifié d'une certaine manière peut produire dans les bêtes le ientiment & la mémoire. Spiritum- corporeum voco aèrem, vel potius ipiem, qui pro fui fuhtiîitate videri non potefi > & corpora inferiùs vegetando vivificat : qu&dam au te m vivifient tantkm & non fenfîficat, Jicut arbores & herbas & univerfa in terra germinantia ; quœdam autem fenfifiedt & végétât ficut omnia bruta animalia, de Spiriqi & ai*, cap. 23».. BU LLY RE III. 597 Vita brutorum eflfpiritus vitalis conflans de aère & fangu'me animalis , fed fenfibilis , memorïam habcns, inselleclu carens, cum carne moriens, in aère evanefcens. de Scientiâ vers vita?, cap. 4. • D'autres philofophes regardaient lame comme on feu rapide. C'était le fenriment d'Heraclite, Hcradïtus phyjïcus dixït animam fcintillam fîellaris ejfentia. Macrob. in foin, Scip. iib. I : d'Epi charme , itaquc Epicharmus de igné mentent humanam dicit, iflic efl de foie fumptus ignis. Varro de ling. Sab. lib. IV : de Zenon, Zenoni Stoico animus ignis videtur. Cic Tuf. quarfh lib. I. D'autres philofophes trouvant ces matières encore trop groffieres, ont donné carrière à leur imagination , & font devenus encore plus inintelligibles. C'eft un Critolaiïs Péripathéticien , qui, au rapport de Macrobe, formait lame d'une quintejfence ; ua Thaïes qui la définit fubflantiam femper motam & per fe motam ; un Pythagore qui la nomme numerum fe ipfum noventem ; un Platon qui l'appelle fubflantiam intelligentem ex fe mobilem ; juxta numerum harmonieum motam; & enfin un Àriftote qui par fon mot d'Enthélcchie efl encore plus inintelligible & plus barbare. •— P A G E IJ8. V. Z. LA conitru&ion de ce verseft, quoniam ment rêctpit nihil korum pojfe entre, motus fenfiferos $98 NOTES qui yolutent quœdam mente ; parce que l'esprit n'admet pas qu'aucun de ces principes pui/Te créer ces mouvemens intellectuels qui portent des idées dans lame. Voila mot à mot la fîgnifîcation de cette phrafe qu'on n'a pas entendue, p )ur n'avoir pas fentî que ncipere èft la même chofe qaadmittere ou concipere 3 8c que par quadam qui mente volutent, Lucrèce parle ici des idées qui fuivent nos fenfations. P A G S 238. T. IX» Tentait que l'unité**doit être le principe conftirutif de lame , de ce moi myftérieux qui compare, qui juge, qui raiionne, &c,..» Voila pourquoi Lucrèce ne veut pas que les principes de Famé fe féparent , ni qu'ils agilTent chacun de Ton coté , nihïl ut fecernier unum pof~ fit y nec /patio fieri divifa poteflas. Il tâche de fimplifîer le plus qu'il peut l'afTemblage grofïîer de ies quatre élémens. Mais comme d-'un autre côté il dira plus bas, que la différence des caractères & des tempéramens vient de ce qu'il y a quelqu'un des élémens qui domine plus que l'autre, il fe voit obligé de troubler un peut ce concert & cette proportion. Voila le îens de ce vers qu'on n'a pas entendu, ut quiddam fukfit magis emineatque , qui n'eft évidemment qu'une reftxtâîon* Cependant il ajoute, que malgré cette * EPICURE DU LIVRE 11L 599 inégalité , l'harmonie fe. conierve toujours, Se que l'unité ne s'altère pas pour cela ut quiddam *fierivideatur dt omnibus unum. Lucrèce eft trèsobfcur dans tout ce morceau ; il s'en prend à fa langue : mais la vraie raifon eft qu'il ne s'en* tendait pas lui-même. P A G E 144. y. il. . V o 1 c 1 la conftruction de ces trois vers qui présentent un double fens , vejiïgia naturarum qua nequeat ratio di&is depcllere linqui ufque adeb parvula , ut nïhil impediat degere vitam dignam Dis. Ces traces naturelles que la raifon ne peut effacer par Ces inftruclions, fubfiftenc à la vérité toujours, mais fi, faibks , que rien ne nous empêche de mener une vie digne de* Dieux. Ce même pafTage eft entendu tout différemment par quelques commentateurs qui font ainû la conitraétion. Vefligia parvula naturarum ïmqui y qua ratio nequeat di&is depcllere ufque adeb , ut nihil impediat vitam Dis dignam degere, » Il fubfifte toujours dans lame des traces im» perceptibles que la raifon ne peut faire difw paraître au point, «jue rien ne nous empêche » de mener une vie digne des Dieux. » Il nreft pas befoin d'avertir, que cette dernière conftxuâion eft forcée & préfente un fens louche» 400 NOTES P A G E 148. v. 1. le fens de ces deux vers qui font fort clairs, malgré les efforts que les commentateurs ont faits pour les embrouiller. Lucrèce vient de prouver que lame ne peut fentir toute feule , ni le corps tout feul, que ce n'eft que par leur union que nous jouifTons du fentiment, communibus inter eos conflatur utrinque motibus accenfus nobisper vifcera fenfus. D'où il s'enfuit évidemment , que c'eft le corps qui fent par le moyen de famé ; ainfi , dire que le fentiment eft la modification de l'ame feule, de cette fubftance intellectuelle qui eft difTéminée dans nos membres, c'eft combattre l'évidence 5 car comment peut-on prouver que le corps fent, quid fit enim corpus future quisajferet unquam ? Sinon par les principes que l'évidence elle-même nous1 a fait établir, fi non ipfa palàm quod res dédit ac do cuit nos ; c'eft-à-dire, finon par l'union intime de l'ame avec le corps -, que nous venons de prouver fans réplique. VOICI I B 1 r>. v. 7. attaque ici Epicharme & Ariftotc, qui penfaient que ce n'étaient pas les yeux , mais l'arae elle-même qui Voyait par les yeux.* LUCRèCE DU LIVRE 111. 401 KVç ùp* ,r?ç iwu, mens videt, mensaudit, dit Ariftote , prohl. 32. Se&. II , & ailleurs, de Scnfu & Senfîbili, c. II. Non anima ipfa in oculi txtremo, fed in parte interna cxîftit* I I I D . r. io. CE vers que je traduis par ces mots, tefens pompe & ramajfe les fimulacres dans Vorgane , eft clair & très-conféquent à la doârine que Lucrèce établit dans le quatrième livre. Il a rapport évidemment à la manière dont la vifion s'opère dans le fyftême d'Epicure par le moyen des fimulacres. Cependant les commentateurs non-feulement ne Tont pas entendu , mais fe font tous accordés à le rejetter comme un vers fuppofé ou altéré. P A G E 2jo. v. 1. CE païTage , qui eft très-embarraiTant, pourrait encore être expliqué d'une autre manière plus littérale 3 les intervalles qui féparent les élémens de rame, font proportionnés à la grojfeur des premiers petits corps qui peuvent exciter en nous de lafenfation. Mot à mot : Tanta intervalla tenerc exordia prima animai, quantula corpora prima nobis injeHa queant ciere fenfiferos motus in cor-* pore. Le fens que j'ai adopté dans ma verfion cil plus clair. Il eft yrai que tantus & quantust 40i NOTES font ordinairement employés en latin pour 4é* £gner un rapport de grandeur plutôt qu'un rapport de nombre. Cependant il y a des exemples de quantus pris dans ce fens» Caius in L. Si ità legatumfit»D. de Legatis primo. Si ita Ugatutn fit y Se'jo fervos decem do ^ prêter cas decem, quos Titio legavi : fi quidem decem tantitm inve~ niantur in hereditate i inutile eft legatum. Si verb améliores ; poft eos, quos Titius elegit, itk cœteris valet legatum i fed non in ampliores » quàm decem, qui legati funt, quod fi minus in tantos , quanti inventant ur. On.peut remarquer que dans ce pafTage non-feulement tant us, quantus , fïgnifïc tôt, quot, (sais encore qii'ampliores eft mis pour plures* I B I D. V. 6. parle ici du fard dont les femmes ; & même les jeunes libertins fe peignaient pour fe blanchir la peau. Le mot incutere ne vient pas de quatére, fecouer > quoiqu'il ait fouvent cette acception : il ne peut être ici compofé que de in & cutis : ainfi incutere eft la même chofe que in cutem mittere. On ne fçaurait douter que les Romains ne connurent l'ufage du fard. On peut lire dans Pétrone la defcription énergique d'un jeune libertin dont le blanc délayé par la fueur , coulait le long de fes joues. Perfluebant pcrfron-* LUCRèCE DU LIVRE III. 40« ttm fuiamis acacia rivi, 6» intcr rugas malaruni tantiim trot CRET/Ey ut putares detraBum parie" tcm nimbo laboraroHorzcc dit à peu près la même chofe d'une vieille femme .qui lui en voulait , rue illijam manet hunùda creta. Epod. XIL P A G I Xfl. V. 18. I L n'eft pas permis de douter qu'un grand nombre de philofophes anciens n'aient reconca l'immortalité de l'ame. Ce defîr de vivre après la mort & de prolonger fon exiltcnce- au delà des bornes naturelles ; cette noble ambition qui cara&érifc les âmes ficres , & qui cft le plus pmuant aiguillon de la vertu, avait pénétré ces cœurs généreux & dignes d'une autre vie, allez profondément, pour fe réalifer en eux, & leur perfuader qu'ils jouiraient (bus la tombe des honneurs qu'on rendrait à leur mémoire. Une pareille idée qu'on prouvait moins qu'on ne la Tentait, était trop relevée , pour la proftituei au peuple incapable de porter fes vues dans un avenir aùffi (ublime, uniquement propre à défigurer ce tableau par fes terreurs, fes fables 8c fes préjugés. Auflî cette doctrine fut-elle tenue long-tems fecrete. Platon fut le premier qui ofa dans fes ouvrages divulguer ce fecret. La manière dont ce dogme fut reçu, prouve combien xi était doux U (édoifaat dans ion origine. Il 4ô4 NOTÉS fut accueilli avec un enthoufiafme qui tenait dd fanatifme. Cléombrote d'Ambracie ne fçait pas plutôt que fon ame eft immortelle, qu'il fe précipite du haut d'une tour, pour arriver plus promptement à la vie future. Le philofophe Hégéfias ayant tenu école fur la même matière à Cirene, fes difciples fe tuèrent pareillement, pour fortir de cette vie malheuréufe & pafTagere , & parvenir à celle que leur maître leur promettait. Enfin en moins d'un fîecle cette fu-» blime do&rine produifït une maladie épidémie que fi dangéreufe , que Ptolomée Philadelphe défendit de l'enfeigner de peur de voir fes états dépeuplés. Qu'arriva-t-il alors ? la politique crut devoir autorifer les fables redoutables du Tartare , du Styx, de i'Achéron , des Furies , de Cerbère , &c... qui devenaient le contrcpoifon naturel du dogme de l'immortalité. On regarda le fuicidc comme un crime qui était puni dans l'autre vie. Proxima deinde tenent mœfti loca, qui fibi lethum * Infontes peperêre manu, lucemque perofi Projecêre animas. Quàm vellent asthere in alto Nunc & pauperiem & duros perferte labores 1 Virg. lib. YI. iE. Y. 434. & fui Y. . . "* DU L I*F RE III. 405 C i ne rut qu'avec de pareilles précautions que la do&rine de l'immortalité continua d§ s'enfeigner. Au rcfte il eft fingulier que deu* dogmes prefque contradictoires p l'un doux & çonfolant, l'autre terrible & redoutable, le dogme, ^e l'immortalité 4c l'âme, & celui de la deG» tru&ioa du monde, aient produit à peu près les mêmes effet? dans la fociété, & aient été défendus l'un & l'autre par les princes, comme des do&rines capables de troubler le repos pu-r f>lic. P A 9 E 174* 7* x 4* la cpnftrudion de ces deux vers qu'au* çun commentateur n'a faifîe, quoiqu'elle fois fort (impie. Et ipfam partent priorem petere fi pre retrb, ut iÇîa arde/iti dolort vulneris ptemat fe morfu. Pars prior, veut dire dans ]a bonne latinité la partit de devant, & non pas la partie Quelle avait auparavant, comme quelques - uns. J'ont entendu. VOICI P A 6 E 27*. T. t. C E n eft pas {ans raifpn que Lucrèce réunie. ici les deux dogmes de l'immortalité Se de h préexiftencç des âmes, pour tâcher de les renverfer du même coup. C'eft que de tous les phi* Jofophes qui ont yécu avant le Chriftianifme, T. 4o6 NOTES aucun n'a feu te nu l'immortalité de l'ame, (ans établir préalablement fa préexiftence ; l'un de ces /dogmes était regardé comme la conféquence naturelle de l'autre. On croyait que l!ame devait toujours exifter , parce qu'elle avait toujours exifté 5 & l'on était perfuadé au contraire qu'en accordant qu'elle avait été engendrée avec le corps , on n'était plus en droit de nier qu'elle dut mourir avec lui. Notre ame, dit Platon , exiftait quelque part avant d'être dans cette forme d'homme : voila pourquoi je ne doute pas qu'elle ne foit immortelle. Synéfîus , quoique Chrétien , ayant été inftruit dans cette philofophie , ne put être déterminé par l'offre d'un Evêché à défaprouver cette doctrine, à/us MI ( ditil ) T « / ^vyyv M ot^icàsa) *no1s CU/UOLTOç vGrspoysviï vouloir. Je ne croirai jamais que mon ame foit née après mon corps. M. le Clerc ajoute, qu'on était alors fî indulgent fur ces matières, ou qu'on avait tant d'envie d'avoir de beaux parleurs dans les chaires , que non-feulement on lui pafTa cette doctrine, mais qu'on le confacra, quoiqu'il témoignât ne pas croire à la réfurreâion des corps. Quoique le fyftêmç de la Métemplycofe ne foit pas fpécialement condamné par la religion Chrétienne , le Concile de Trente décide néanmoins formellement que Dieu crée chaque ame, quand le corps qu'elle doit habiter çft fufftTanimea£ I>U LJFRE III. 407 ©rgnanifé, anmtm crcando infundifcinfun* dçndo crcw. Ainfi, dans notre religion , c'eft uniquement fur la volonté de Dieu qu'eft fondée l'immortalité de l'ame , qu.'il ne faut pas confondre avec l'incorruptibilité. P A Q B 180. V, $* LES ph/fîciens dç nos jours ont nié» comme un préjugé populaire , que la putréfaction pût donner le jour à des êtres vivans ; ils ont regardé comme un axiome incontestable, que tous les animaux qu'on voit naître préexiftent dans ua germe, & que toutes ces générations fortuites qu'on objecte, font occafionnées pal des oeufs, que fait éclorre la fermentation des corps putréfiés. Mais ce principe de phyfique, ainfi que bien d'autres qu'on regarde comme au/fi fuis, eft démenti par l'expérience. Tout le monde connaît celle de M. Néedham, qui découvrit, à l'aide du microfeope, des anguilles dans de la farine délavée avec dt l'eau. Cette même expérience a été répétée avec de nouvelles précautions en Allemagne, par M. Dellius, qui non-feulement apperçut les anguilles de M, Néedham, mais encore diftingua jufqu'aux parties les plus imperceptibles de leurs corps, jusqu'aux organes mime de la génération. Pour s'a/Turer de plus # en plus d'une vérité aufli importance, il fit un 40$ NOTES autre efiai 5 ce fut de garder du bouillon de mouton dans un vafe fermé hermétiquement. Au bout d'un mois il découvrit dans ce bouillon des animalcules afTez femblables à ceux que M. Leder Muller avait apperçus dans la femence de carpe. On ne dira sûrement pas qu'il foit venu des infectes dépofer leurs œufs dans le bouillon , puifquç le vafe était fermé hermétiquement, ni qu'ils exiftaflent auparavant dans le bouillon , qui avait reçu un degré de chaleur aflez confîdérable , pour faire mourir tout animal vivant. Le même obfervateur répéta fon expérience fous toutes les faces poflîbles, & fe convainquit de plus en plus 3 que c'était uniquement par la putréfaction, & le développement des fucs, & non par des œufs préexiftans, que ces animalcules avaient été engendrés. Il remplît trois vafes du même bouillon, avec les mêmes précautions. Il trouva dans le premier, au bout de quatorze jours, le bouillon gâté & fétide 5 dans le fécond, au bout de trois femaines, l'odeur était moins forte : dans le troifîeme, au bout d'un mois, il n'y avait plus d'odeur, mais une peuplade d'animalcules tout vivans. Vid. Comment, de reb. in Scient, nat. Sç medic. geft. yoL X I , pag. 531,. part. XX3ÉIII. Il n'y a rien à ajouter à une expérience aufli pofîtive, finon que je me fuis apperçu en la tradiùfant, combiçn c'eft une opir ' mm D U LIVRE III. 405 nion ancienne, que celle de la production des animalcules par la corruption. Car les mors /œUns. & fœtus , dont l'un fignifîe l'odeur d'un corps qui fc corrompt, & l'autre -un être vivant qui commence à fe former, ont évidemment une étymoiogic commune. P A G E 191. y. 1$. paraît faire ici aliufion à la grande année , l'année périçdique , doctrine redoutable & extravagante, qui doit fon origine à l'aftro-? logie , & 4 u i eft prefqu'aujdi ancienne qu'elle. Toutes les fedes de philosophes étaient imbue? de cette opinion. Née chez les Chaldéens, elle s'était répandue dans toute TAfîe, elle avait pénétré dans l'Egypte, elle avait été reçue avec tranfport par les Druides & les prêtres du Nord, à qui elle fourriifTait un nouveau frein pour affervir les efprits > les Grecs l'avaient communiquée aux Romains ; & plut à Dieu, que les découvertes utiles nous euffent été tranfmifes aufll fidèlement, que ce dogme abfurde le fut par une tradition confiante, perpétuée de fiecles en fiecles ! Qn entendait par cette année la révolutjpn entière <Ju ciel , c'eft-à-dire, le retour de tous les aftres à un même point fixe du firmament. On n'était pas d'accord fur la durée de ce période. Les uns le restreignaient à cinq mille Tome I. S LUCRèCE i* 410 N O T E S ans 5 d'autres lui en donnaient dix milles, cent milles, quelques millions. Mais on fe réunifiait à croire, qu'à la fin de cçtte grande année le monde devait fe renouveller , & recommencer à exifter non-feulement avec les mêmes loix, mais encore avec la même formç & les mêmes circonftances qu'auparavant. Les mêmes hommes devaient être reproduits de nouveau, pour reprendre une vie femblable à celle qu'ils avaient déjà menée, pour rejouer le même rôle fur la (erre, & être fournis au même enchaînement de eirconftances. Ceft-là le fens que quelques interprètes donnent à ce pafiage de l'Eccléfiaftc ; Quid ejl quodfuit ? ipfum quod futur um ejl, Quid tfi quod faciendum ejl ? ipfum quod faclum ejl. Nihil fub foie novum, nec valet quifquam dicere: hoc recens ejl. Jam enim pmcejjit in fœculis quœ fuerunt antè nos. L'hiver de cette grande année était un déluge, & fbn été devait être un embrafement. On voit, comme le remarque l'Auteur de l'Antiquité dévoilée, que cette divifion: était empruntée de l'année folaire, dans laquelle le capricorne eft le premier figne de l'hiver, faifon communément pluvieufe , & l'écrevifTe le premier figne de l'été , faifon de chaleur & çle fécherefïe» ON diVI fait encore cette grande année en auatre £ges? comme pn divife l'aançç commune V DU L i rRE m. 4it en quatre faifons. On comptait un âge d'or, un âge d'argent, un âge d'airain, & un âge de fer. On comparait ce phénomène à ceux de la vitf humaine. La Nature renouvelle était d'abord dans un état de faiblefTe & d'enfance « d ou ella parvenait par degré à un état de perfection Se de beauté, fuivi d'un état de vigueur & dé force, auquel fuccédait la vieille/Te & enfin la deftru&ion. Il en était du moral comme du phvfîque. Le genre humain commençait par l'innocence, s'élevait aux vertus les plus héroïques, Ce perfectionnait dans les feiences & dans les arts, fc corrompait enfuite, dégénérait, devenait fans force , fans génie , fans vertu , état funefte qui fini/Tait par. la diAblution. Voila pourquoi oa s'autorifait de la corruption du £ecle pour annoncer la fin du monde. Mundus ipfe jam loquitur, dit faint Cyprien, & occafutn fut rerum labinùum prohationé tefiatur. Decrefcit in arvis dgricola, in mari nauta, miles in caflris, innocenua inforo, juflitia in judicio, in amicitûs concordia y in artibus péritia, in moribus dif ciplina. Virgile préfente un tableau tout contraire, mais conforme aux mêmes idées dans ces vers de la quatrième Egloguç. Ukima Cunuci venit jam carminis aetas : Magnus ab integro fxclorum nafeitur ordo ; Jam redit 8c Virgo, redeunt Satura* régna. Fin du premier Volume. T A B L E . Comme on na pas jugé à propos de chiffrer les vers, ce qui Jurcharge dêfagréablement les marges , on y Jupplée par cette table, qui indique U quantième du vers initial de chaque page, LIVRE Pag. vers. 4 i 6 13 8 . . * . • • 39 î O . . . . . 6 I il 86 1 4 . . . . 107 16....131 18....I54 20....175 21....197 14....H8 26....243 i8....2é6 3 0 . . . . 292 31....316 34....339 36 . . . . 362 pag. vers. vers. Î08 .;...! 110 12 111.....37 114 61 116 82 I18....IQ4 pag. 38. ...385 4 © . . . . 406 4 2 . . . . 431 44....454 40....476 4 8 . . . . 499 5 0 . . . . 522. 52....54J 54....569 51....594 $8....6l8 60....641 61....666 6 4 . . . . 688 66....7©9 68....734 7 0 . . . . 75 ji LIVRE Pag. I. pag. vers. 71. ...776 74... .800 7 6 . . . . 821 78....843 80....866 8x....88& 8 4 . . ..912. 86. ...?37 88....558 90....981 £2...100f . 54...1018 p6...iOfi ^8...ioyi I00...1094 1O2...1110 II. vers. 120. ... Ï18 m....153 114....179 Ii6....103 118. ...215 130....248 pag. vers." I31 ... . 272 I34 s * • •2-5fy 136....319 138....342 140....366 142....385 TABLE pag. v*p vers. 144-- . . 4 1 2 146.. ••434 1 4 8 . . •-4J6ïyo.. ••477 1 5 2 . . . . 501 i | 4 . . . . 516 156.. •-547 1 5 s . . ••57? vers. Pag- 168 . . . . 6 8 4 1 9 2 . . -949 1 7 0 . . . . 706 172..1.717 1 5 4 . . • •97* 196.. ..996 198 . . . 1 0 2 2 . 174 748 176 774 178....7M 180 . . . . 820 1 8 1 . . . . 841 184....865 1 8 6 . . . . 886 188 . . . . 907 190 . . . . 517 1 ^ 0 , . ..598 1 6 2 . . . . 621 1 6 4 . . •**43 1 6 * . . ..66$ •ers. 200.. 202.. 204*. 206.. 208.. 210.. . 1048 . 1071 Pag- •ers.' . 1093 . II17 .1137 . 1158 • Pag. I I I. LIVRE « vers.' ...14 1 1 0 . ••••35 2 1 2 . .. . ^ . 5 8 2 2 6 . . . . 101 218. ...12) IJO . . . . M 4 2J*. v - i * 7 234- . . . 1 9 0 236. . . . 2 1 $ 2 3 8 . . . . M* 2 4 0 . . . . l60 241. ...284 244. . . . 3 0 6 2 4 6 . ...33<» 2 4 8 . •••35+ pag. vers. 250 . . . . 378 2 5 2 . . . . 401 254 4*3 ij6....446 2 5 8 * . . . \6j 2 6 0 . # . - 489 2 6 2 . . . . 512 264....53) 2 6 6 . . . . 558 168....583 2 7 0 . . . . 606 272... .627 1 7 4 . . . 649 276. . . 670 2 7 8 . ^ . 69% 2 8 0 . . . 715 1 8 1 . . . 737 2 8 4 . . . 758 286. • • 77* 288. . • 801 2 9 0 . . . 823 2 9 2 . • . 847 294. . . 870 2 5 6 . . . 888 2 9 8 . . . 909 300. • • 532 302. • • 954 3 0 4 . •.-5>72 306. • • • 9 9 } 308. . . 1 0 1 6 3 1 0 . ..1038 312. ..1061 3*4- . . 1083 316. . . 1 1 0 4 chacun des contrevenatis, dont un tiers à N o u s , un tîeft à l'Hôtel-Dieu de Paris, & l'autre tiers audit Expofant, ou à celui qui aura droit de lui, &de tous dépens, dommages & intérêts, à la charge que ces Préfentes feront enregiftrées tout au long, fur le regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Libraïres de Paris, dans trois mois de la date d'icelles ; que l'impremon dudit ouvrage fera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en beau papier & beaux caractères , conformément aux Réglemens de la Librairie , 8c notamment à celui du dix Avril ,f mil fept cent vingt-cinq , à peins de déchéance du préfent Privilège; qu'avant de l'cxpoier en vente, le ma. nuferit qui aura lervi de copie à l'impreffion dndit ouvrage , fera remis dans le même état où l'Approbation y aura été donnée» es mains de notre très-cher & féal Chevalier, Chancellier de-France , le Sr» DB LA a t o i G N O N , & qu'il en fera enfuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un dans celle de notre Château du Louvre, un dans celle de notredit Sieur DE L A X O I G N O N , & un dans celle de notre très cher 8c féal Chevalier, Vice-Chancelier Se Garde des-S:caux de France, le Sieur DH M A U P I O U ; le tout à peine de nullité des Préfentes. Du contenu defqueiles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expofant s & fes ayans caufes, pleinement & paifiblement, fans fouffrir qu'il leur «foit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie àes Préfentes qui fera imprimée tout au long, au commencement ou à la 6n dudit Ouvrage, foit tenue pour duement lignifiée , & qu'aux copies coU lationnées par Vna de nos. amés & féaux Confeilleis, Secrétaires, foi foit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huiffier ou Sergent fur ce requis , de faire pour l'exécution d'icelles, cous a&es requis & néceflaires, fans demander autre permiiîlon , & nonobftant clameur de haro, charte normande & Lttres à ce contraire ; car tel eft notre plaifir. Donné à laris le feiïieme jour du mois de Mars, l'an de grâce mil fept cens foixante-huit & de notre Règne le cinquante-troifieme. Par le Roi en Ibn ponfeil. LE B E G U E . Hegiftré fur le Re&ftre X'Vil. de la Chambre Royale, & Syndicale des Libraire s & Imprimeurs de Paris s K°. 1362, folio 387 , confort*ément au Règlement de 1723. A Paris ce 21 Mars 1768. G A N E A U , Sjndiç*