de - Notes du mont Royal

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Notes du mont Royal
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Ceci est une œuvre tombée dans le
domaine public, et hébergée sur « Notes du mont Royal » dans le cadre d’un
exposé gratuit sur la littérature.
SOURCE DES IMAGES
Canadiana
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LUCRECE,
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DES
CHOSES.
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LUCRECE,
TRADUCTION
AVEC DES
NOUVELLE,
NOTES,
j£>ao oM. x * a * *.
TOME PREMIER.
Chez BLEUET, Libraire» fur le Pont Saint-Miche!
M. D C C. L X V I I I.
AVEC APPXOBATION, ET PRIVILEGE DU
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AVERTISSEMENT.
KJ N é traduction de Lucrèce était un
ouvrage qui manquait à notre littérature.
L'abbé de Marolles en donna une, écrite
en ftyle barbare , dans le tems * où la
langue Françaife commençait à acquérir
de l'élégance & de la pureté. Celle du
baron des Coutures, quoique poftérieurë, n*a pas mieux rempli les vœux des
gens de lettres. Ces deux traducteurs ne
connaîtraient pas aiTez la philofophie d'Epicure , le génie de la langue Latine ni
celui de leur propre langue. Mais le premier a au moins le mérite d'avoir fenti
quelquefois les beautés poétiques de fon
original, & d'avoir eflayé de les rendre
dans fon langage Gothique. On ne peut
attribuer l'efpecfe de réputation dont a
Joui quelque temps la traduction du fe* En iéf&,
a 11)
cond , qu'aux éloges de Bayle crus fur
parole, & les éloges de Bayle * ne peuvent s'expliquer que par une prévention
aveugle, dont les plus grands hommes ne
font pas toujours exempts. On n'a donc
trouvé aucune reflburce dans les traductions Françaifes de Lucrece.Celle deMarchetti, eftimce avec raifon des Italiens,
n'a été non plus d'aucun fecours , parce
que leur langue fe prête avec tant de
docilité à tous les tours de la Latine ,
que les endroits les plus difficiles de Lucrèce , rendus mot à mot, ne font pas
plus intelligibles dans la traduction que,
dans l'original.
On a donc été réduit aux commentateurs , reflburce pénible ôc trop fouvent infructueufe. Quoiqu'on fe foit impofé la loi de les confulter tous % l'édi^
tion de Creeeh eil celle qu'on a. fuivie
de préférence dans le cours de cette tra* Voyez Nouvelles de la Rép. des Let. tom. IV»
pag. 851.
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L
7
du&ioft Ce fçavant Anglais était â ta
fois pôëf? êc philofophe. -Sa paraphrafe
eft claire* toutes les fois qu'il a entendu
le texte. Ses notes font un choix raifonné
de toutes celles qui avaient paru avant
lui ; mais celles qu'il a ajoutées de fon
propre fonds» & dont l'objet eft de développer Tordre & l'enchaînement des
idées de Lucrèce, font infiniment plus
utiles que route l'érudition des commentateurs. GafTendi, ce reftaurateur de la
philofophie eorpufcutaire , ce vertueux
prêtre, fi confommé dans l'étude de la
philofophie ancienne, a fait plus lui feul
pour l'intelligence de Lucrèce, que tous
les commutateurs réunis. Et fi ta lecture de trois volumes in-folio j écrit* en
longues périodes latines, dont quelquesunes ont une page, eft un travail faftidieux, on en a fouvent été dédommagé
par les lumières qu'on reconnaît avoir
tirées de cette fatigante ledure.
Malgré ces fecours, combien ne reftair-il pas encore de difficultés à vaincre ?
a iv
s
La meilleure édition de Lucrèce était
bien éloignée de la perfection qu'on s'eft
propofé de donner à celle-ci. Des partages tronqués & altérés qu'il fallait rétablir , des ponctuations incorrectes qu'il
fallait rectifier, des vers & des morceaux entiers déplacés qu'il fallait tranf»
pofer, voila la tâche qu'avaient encore
laiflee les travaux fans nombre des commentateurs. On n'a rien négligé pour la
remplir ^ on s'eft afllijetti à toutes les
recherches qu'exigeait ce genre de travail. Les partages les plus difficiles ont
été difcutés par des perfonnes éclairées,
qui ont bien voulu nous aider de leurs
lumières. Les explications lej plus généralement adoptées , après un mûr examen, ont été fuivies dans la traduction y
celles qui ont tenu quelque tems la balance en équilibre , ont été mifes en
notes, afin que le lecteur fût en état de
Juger lui-même de nouveau le procès»
Mais on ne s'eft permis de faire aucune
correction ni aucune tranfpofition, fans
en avertit pat une note, où Ion expofe
les motfës qui ont porté à cette innovation Avec ces foins & ces fecours, on
ofe fe natter de donner au Public le texte
le plus correcV & le plus clair qui ait
encore paru de Lucrèce.
C:Qûant à la traduction , on s'eft proposé deux objets, lafidélité& l'élégance.
Tant que le génie de la langue Françaife
l'a permis, on a copié trait pour trait
l'original. Cette méthode, la plus fûre
pour réuflîr, a encore procuré l'avantage
de difpenfer d'un grand nombre de notes.
Car la langue Françaife ayant au deffus
de la Latine l'avantage de la clarté, fouvent un pa(Tage obfcur en latin, rendu
mot à mot dans notre langue, eft devenu
affez clair pour n'avoir plus befoin d'être
expliqué.
Enfin les argumens de chaque livre,
qui dans un poeme philofophique ne font
pas un objet indifférent, ont été travaillés avec le plus grand foin. S'ils excédent
quelquefois la mefure ordinaire, c'eft
av
IO
qu'on s'eft moins propofé d'indiquer les
matières que traite le poète ", que d'en
fuivre le fil & d'en montrer l'enchaînement 'y de forte que ces iix argumens
réunis feraient une analyfe de la doctrine d'Epiçure.
ABRÉGÉ
DE LA VIE
DE LUC
RECE.
KJ N Poëte philofbphe, livré par goût
i la retraite , éloigné par principes de *
Padminiftration publique, & dont les
actions ne font liées avec aucun des évémens de l'Etat, ne peut être connu de la
pcftérité, que par les ouvrages qu'il lui
rranfmet. Auili l'on ignore prefque tous
les détails de la vie de Lucrèce. On n'eft
pas même d'accord fur la date de fa naiffance (i)* On fçait uniquement, qu'il
( i > Eufebe de Pamphilie le fait naître Ut
ij\ Oiymp. fous le coufiUai de CX Damit. Aiie,- *
II
reçut dans les tems les plus orageux àV
la République, lorfque Rome commençait à s'inftruire & à fe corrompre, à fe
foutnettre au joug de la tyrannie & à
l'empire dès arts, à perdre à la fois fa
barbarie 9c fa liberté. La nobleûe de fa
famille (t) l'aurait mis en état de jouer,
au milieu de ces troubles, un auffi grand
file que Cicéron , s'il avait eu autant
d'ambition que l'Orateur Romain. Mais
fon averfion pour les affaires publiques,
le fit toujours refier dans l'ordre des Chevaliers , quoiqu'il eût pu afpirer au rang
de Sénateur. On croit qu'il alla à Athènes,
puifer fous Zenon une* connaiflânce pro*
Bobaifcus & de L. Caflîus Longinus , Fan de
B>. 656. D'autres rapportent fa nainaace à la 172.
Qlymp. fous le conlulat de L. Licinius Crafius
& de Q. Mucius Scxvola , Tan de R. 6$j.
( i l La famille de Lucrèce était ancienne.
Cicéron parle de Q. Lucretius Vefpillo, fameux
Jurifcontulte , & de Q. Lucretius Ofella qu'il die
avoir été plus propre à être Juge qu'Orateur. Velleius Paterçulus fait mention d'un autre Vtfip'ûUr,
dont parient auffi Cicéron & Céfar, & auquel
et dernier donne le titre de Sénateur.
a vj
i*i
fonde du fyftême d'Epicure, qu'il regardait comme la feule philofophie digne
de fes concitoyens. Quelle perfection
n'aurait-il pas donnée à fon poëme, quel
monument n'aurait-il pas laiffe à la poftérité, fi fa fanté lui avait permis de déployer tout le génie qu'il avait reçu de
la Nature ! Mais iLéut avec le plus grand
poëte de l'Italie moderne (^) le rapport
fijigulier d'avoir compofé fon poëme ,
dans les intervalles que lui laifTaient de
fréquens accès de folie. Que cette folie
ait été caufée par un philtre amoureux que
lui donna Lucilia, fa femme ou fa maîtrefle, c'eft un conte ridicule que fe font
tranfmis fucceflivement tous ceux qui
ont écrit la vie de ce Poëte. L'époque de
fa mort n'eft pas mieux fixée que celle
de fa naifTance (4). On convient gêné( 3 ) Voyez la vie du Tailê, à la tête de la
traduction de la Jérufafem délivrée, par M. Mirabaud.
( 4 ) Les uns difent qu'il mourut à 41 ans ,
Tan de Rome 701 , fous le troiûeme confulat
15
ralement, qu'il fe tua lui- même dans un
âge peu avancé ; mais on difpure fur le
morif qui lui infpira cette funefte réfolution. Les uns l'attribuent aux troubles
qui agitaient la République : mais y prenait-il aflez de part, pour en être affecté
jufqu à ce point ? D'autres prérendent
qu'il ne voulut pas furvivre à l'exil de
Memmius. Le furnom de Carus que portait Lucrèce prouve qu'il était fenfible à
l'amitié. Mais un exil qui rendait au
repos, a la retraite & à la méditation
un ami éclairé & philofophe, pouvait-il
être regardé par Lucrèce comme un coup
bien terrible ? H eft plus probable, ou
qu'il fe tua dans un accès de frénéfie, ou
que l'ennui d'une vie troublée fans cefle
par le délire & la douleur, le détermina
à y renoncer. Voila le peu de lumières
de Cneius Pompeius Magnus. Donac veut qu'il
foit mort à 35 ans (bus le confulac de Cn. Pompeius Magnus, & de M. Licinius Craflus pour
la fecouae fois. Eufebc le fait vivre jufqu'à
44 ans. Propriafe manu interfecit anno cttatis qua*
dragefimo quarto, 4 " S. Jérôme in Chrome. Eufeb.
1 4
que l'hiftoirë nous fournit fur la perfonne
de Lucrèce. Finiffbns par un pafTage de
Vireile bien glorieux à la mémoire de
notre Poète, & dont l'application eft fort
{impie, quoiqu'elle n'ait encore été faite
par perfonne,
Pelix , qui potuit rerum cognofcere caufas 5
Atque metus omncs & inexorabile fatum
Subjecit pedibus , ftrepitumqué Acberontis
avari!
Fbrtunatus & ille, Deos qui novit agreftes,
Panaque Sylvanumque (ènem, Nymphafquc
forores.
Georg. lib. II. v. 490.
Il eft clair que Virgile dans ce partage fe compare à Lucrèce j c'eft comme s'il
difait : un autre avant moi s'eft immortalifé en approfondiflfant les caufes des
phénomènes de la Nature , en foulant
aux pieds les terreurs de la fuperftition >
& en bravant le vain bruit de l'avare
Achéron j mais celui qui a célébré les
Divinités champêtres , P a n , le vieux
Sylvain & les Nymphes fes^œurs* n'eft*
pas non plus fans mérite.
»5
DE
Xâ CAMILLE
MEMMIENKE,
pocme de Lucrèce étant dédié à
Memmius , on à cru néceffaire de faire
connaître en peu de mots cette famille
fur laquelle Gifanius nous a laide une
longue differtation. La famille des Memmius était très-ancienne , s'il faut en
croire Virgile qui la fait remonter jufqu'à Mnefthée , mox% Italus Mnefthcus >
gcnus à quo Nomine Memmî j jEneid.
lib. V. Mais avec une origine auffi ancienne, cette famille eût elle été plébéienne ? Or c'eft un fait dont on ne peut
douter, puisqu'il y a eu des Memmius ,
tribuns du peuple.
Le premier Memmius dont il foifc
parlé dans l'hiitoire, eft C. Memmius *
qui fut Préteur de Sardaigne fous le confinât de O Qaudius Pulcher & de T.
Sempronius Gracckus > fix ans avant la
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* Yid; Tiu LiT. lib. 41...42,
i6
guerre de Perfée, Se qui quatre ans après
fous le confulat de C. Popilius Laenas Se
de P. itlius Ligur, fut Préteur en Sicile.
Il eut deux fils , C, & L, Memmius,
Orateurs qui fleurirent du tems de Jugurtha Se de Sylla, Se dont parlent Cicéron Se Salluïte. Le premier fut afTommé
à coups de bâton dans le champ de Mars
par Saturninus, tribun du peuple, fon
ennemi, fous le confulat de C. Marius
pour la fîxieme fois , Se de Val. Flaccus.
Ce fut ce C. Memmius qui accufa de
concuilion L. Calpurnius Beftia , qui ,
pendant fon confulat, envoyé en Numidie à la tète d'une armée, s'était laifle
corrompre par l'argent de Jugurtha , Se
avait pillé celui des Alliés. Ce fut encore
lui qui pendant fon confulat ordonna par
une loi de faire venir Jugurtha à Rome >
enfin on croit qu'il fut l'auteur de la
fameufe loi Mttnmia 3 par laquelle i[
était défendu de citer en juftice les citoyens abfens pour les affaires de la RéA
publique, Se ordonné d'imprimer la lec-
*7
tre K fur* le front des calomniateurs &
des accufateurs fubornés. On ne dit rien
de Lucius frère de Caius. L'hiftoire parle
encore d'un M. Memmius, qui fut, dans
la guerre de Serrorius, Quefteur de Pompée dont il avait époufé la fœur. On
foupçoime qu'il était frère ou coufin-germain de ceux-ci.
Enfin C. Memmius Gemellus , celui
auquel Lucrèce a dédié fon pocme, étaic
fils de Lucius. On croit qu'il étudia à
Athènes fous les mêmes maîtres que Lucrèce* A fon retour à Rome il obtint la
préture & eut le gouvernement de Bithynie. Il mena avec lui le poète Catulle,
Curtius Nicetas , grammairien célèbre,
auxquels on foupçonne que fe joignit
auffi Lucrèce. A fon retour il fut accufé
par Céfar, mais on ignore quelle fut Tiffue du jugement. Quelque tems après,
fous le confulat de L. Domitius & d'Ap.
Claudius, il accufa à fon tour de concuffion Gabinius, & la même année C. Ra~
birius Pofthumus, défendu par Ciccron
dont nous avons le plaidoyer. Il brigaa
inutilement le çonfulat, & ayant été con*
damné en vertu delà loi Pompeia de Ambituj il fe retira en exil dans la Grèce *
où il mourut peu d'années après. Il faU
lait que ce Memmius fût un homme
recommandable par fes lumières , pour
avoit mérité l'amitié de Lucrèce & la
dédicace de fon poème. Cicéron le loue
lettres Grecques , mais lui reproche
de fa profonde connaiflance dans les
fon trop de mépris pour les Latines. Il
lui accorde de la finefle dans l'efprit 3c
de la douceur dans i'expreflion, mais il le
blâme d'avoir craint la fatigue de parler
& même de penfer, ajoutant que fes ta^
lens fe rouillèrent peu à peu par le défaut
d'exercice. C Memmiusy Luciifilius; perfecius litterisjfed Gratis : fajlidiofus fane
Latinarum : argutusorator, verbifquedul*
cis y fed fugiens non modo dicendi veràm
etiam cogitandi laborem y tantùm fibi de
facultatc detraxit _, quantum imminuit in-*
dujlr'u. Cic. de Clar, Orat. ad Brutum*
I*
•^^
A V I S D^J LIBR.AIRE.
Comme desperfonnes éclairées ont paru
defirer de trouver ici la célèbre invocation
d'Hefnaultj qu'Un ejlpas aifédefe
procurerj on a cru devoir déférer à leurs avis.
JLJ s E s s s , dont le fan g a formé nos aïeux ,
Toi qui fais le plaifir des hommes & des Dieux,
Qui par un doux pouvoix régnant fur tout le
monde
Rends Se la mer peuplée Se la terre féconde,
Je t'invoque, ô Vénus, ô mère de l'Amour ;
C'clt par toi qu'eft conçu tout ce qui voit le jour ;
Un feul de tes regards écarte les nuages ,
Chaûe les aquiloas, diffipe les orage*,
Redonne un air riant à Neptune irrité ,
Et répand dans les airs une vive clarté.
Dès le premier beau jour que ton aftre ramené ,
Les zéphyrs font fentir leur amoureufe haleine ;
l a Terre orne fon fein de brillantes couleurs ,
Et l'air cft parfumé du doux eiprit des fleurs.
On entend les oifeaux frappés de ta puifiance,
Par mille tons lafeifs, célébrer ta préfence.
Pour la belle genifle on voit ks fiers taureaux,
Ô* bondir (Uns fe, plaine ou traverser les eaux.»
Enfin les habitans des bois & des montagri«s,
Des fleuves & des mers & desVertes campagnes *
Brûlant à ton afpecl: d'amour & de defïr,
S'engagent à peupler par l'attrait du plaifïr;
Tant on aime à te fuivre, & ce charmant empire
Qu'exerce la beauté fur tout ce qui refpire.
fronce puifque la nature eft toute fous ta loi,
Que rien dans l'univers ne voit le jour fans toi,
Que fans toi, rien n'eft beau, rien n'aime Se
n'eft aimable 3
Vénus, deviens ma Mufe, & fois-moi favorable.
Je vais de l'univers étaler les fecrets ;
J'écris po*ur un Héros comblé de tes bienfaits,
Memmius eut de toi les grâces en partage;
Fais-les en fa faveur briller dans cet ouvrage.
Cependant des mortels arrête les terreurs,
Ecarte loin de nous la guerre & fes horreurs*
Tu peux tout mettre en paix & fur mer & fut
terre 5
Car que ne peux-tu point fur le Dieu de la guerre %
Souvent ce Dieu û fier , vaincu par tes appas ,
Dépofe fa fierté pour languir dans tes bras.
Sa tête eft fur ton fein nonchalamment penchée ,
Et l'amour tient fon ame à ta bouche attachée ,
Ses yeux étincelans errent fur ton beau corps,
Et nourrifient fes feux en pillant tes tréfers :
Tant tu lais avec art bien placer tes «are/Tes,
Allumer.les dciîrs, provoquer les tendiefles.
a
Parle pour kl Romains dans ces momensfidoux.
Nous demandons la paix, demande-la pour nous.
Le defTein que je prends veut un cfprit tranquille s
Puis-je le pofTéder dans ce tems difficile,
Et de tant de Héros Memmius digne fils ,
Peut-il donner des foins qu'au bien de fon pays t
Non, brave Memmius » n'apporte à cette étude
Qu'un efprit affranchi de toute inquiétude ;
Autrement tous mes foins feraient hors de faifon*
En vain j'entreprendrais d'éclairer ta rai fon ,
Bien loin de pénétrer ce que je vais t'apprendre,
Tu te rallentirais avant que de l'entendre,
Je vais d'un vel hardi m'élever dans les cieux ;
Et là te faire voir quel eft l'emploi des Dieux ,
Te ramener après dans la fource des chofes ,
Et des plus grands effets te dévoiler les caufes.
Tu fauras de quel fonds la Nature fait tout,
Pc quoi tout s'entretient, en quoi tout fe réfout j
Quels font ces (impies corps, cettefimplematière
Qu'on nomme premiers corps & matière pre«
miere :
Parce que tout vient d'eux 8c qu'ils font éternels.
Car loin de notre efprit ces penfers criminels
Qui dégradent des Dieux l'immortelle nature,
Et les font ouvriers de chaque créature.
Si ces Dieux ne vivaient dans la tranquillité,
A quoi leur rervirait leur immortalité ?
A tien cjoTà ks livrer à d'éternelles feinot,
1%
C'eft trop les intriguer dans les chofes humaines;
Ils font toujours puiflans, toujours heureux fans
nous,
Et ne Tentent jamais ni pitié ni courroux.
On a vu les mortels traîner long-tems leur vie
Sous la Religion (a) durement alTervie.
Long-tems du haut du ciel ce phantôme cifrayant
A lancé fur la terre un regard foudroyant.
Mais un Grec le premier, plein d'une fage audace,
Lofa voir d'un œil fixe & l'infulter en face.
Tout ce qu'on dit des Dieux ne put l'en détourner;
La Terre eut beau frémir, le Ciel eut beau tonner ,
Il n'en fut que plus vif à percer l'impollure,
Et plus prompt à s'ouvrir le fein de la Nature.
Dans l'enceinte du monde il fe crut trop ferré ;
Le ciel ne fut pas même affei vafte à Côn gré :
Rien ne lui fit obftacle , & ce puiffant génie
Courut de l'univers la carrière infinie.
Après avoir fu tout, il nous a tout appris :
Nul être, nul pouvoir ne furprend nos efprits ;
On fait jufqu'ou s'étend tout pouvoir & tout être,
Et ce qai le termine & ce qu'il en peut naître.
Ainfi par la raifon il furmonta la peur ;
(*) Le Polytbéifme.
Ainfi ferrent mourante aux pieds de Ton vainqueur.
Et la Religion (h) terraffée avec elle,
Attire à ce mortel une gloire immortelle.
Peut-être, Memmius, peut-être croiras-m
Que ma philofophie attaque ta vertu i
Que de l'impiété je ronde les maximes,
Et qu'enfin je ne veux qu'ouvrir la porte aux
crimes:
Mais regarde plutôt quels crimes odieux
A produit autrefois ce vain culte des Dieux »
On maltraite en Aulide une jeune Princcflc ,
Et qui font les bourreaux ? tous les chefs de la
Grèce,
Son père» Mais Diane a foif de ce beau fang :
Agamemnon le livre, & Calchas le répand.
La belle Iphigénie au temple cft amenée ,
Et d'un voile auffî-tôt la viétime eft ornée.
Tout un grand peuple en pleurs s'empreifc poi*
la voir j
Son père eft auprès d'elle outré de défpefpoir *
Un Prêtre auprès de lui couvre un fçr d'une
étole.
A ce fpedade affreux elle perd la parole,
S'aganouille en tremblant fefoumet àfonfort,
Et s'abandonne toute aux horreurs de la mort.
0) l'Idolâtrie,
uM^T*r^*
J$*
*4
Il ne lui fert de rien , à cette heure fatale,
D'être le premier fruit de la couche royale ,
On l'enlevé de terre, on la porte à l'autel 5
Et bien loin d'accomplir un hymen folemnel,
Au l.ieu de cet hymen, fous les yeux de fon père ,
On legorge, on l'immole à Diane en colère ,
Pour la rendre propice au départ des vaifleaux :
Tant la Religion (c) peut enfanter de maux ?
(c) Ceft-à dire la fuj»erfticjon,
SUJET
; v •r~'-.-**.r- "*
1r-
es
U'JET
D U
P.REM1ER
LIVRE.
E Poète débute par unejwigniiqueinvocation à Vénus ; viennent9
vçnfuite, i°.la dédicacp defon poème
m Memmius ; 2 0 . Vexpofition dufufàet ; 3°, réloge •t/'Épicure ; 40. la
réfutation^ des objections générales
f\ qu'on pourraitfairc contre la docL trine du Philofophe Grec, & contre
|fla hardujfe du Poète Latinr dJofer
ht rendre enfa langue. Après cette
tfpeçe de Préface éloquente, Lucrece entre en matière, & établit pour
remier principe que l'être ne peut
Jbrtir du néant ni y rentrer. / /
Tome I.
A
2.
txifte donc des corpufcules priml*tifs , dont tous les corps font for*
mes y & dans lefquels ils Je réfoU
yent ; quoiqu' invifibles 3 leur exif*
tence n'en eflpas moins incontejla-,
»ble. mais ils ne pourraient agir ,
fe mouvoir, ni même cxijler fans
vuide. L'Univers efl donc le réfuU
tat de ces deux chofes, la matière
& le vuide. Tout ce qui n'ejl ni
Vun ni Vautre 3 en efl propriété ou
.accident, & non pas une troifiemc
clajfe d'êtres à part. Les corps pre^
miers étant la bafe des ouvrages de
la Nature , doivent être parfaitement folides
y
indivifibles & éter-
nels. Cejl donc à tort qu'Heraclite
donne aux corps pour principe le
f
3
• feu i d}entres Philofophes, Veau,
l\air €0 ta terre, & Empedocles
&jp quatre élémens. L'Homœome.- 4~
rie d'Anaxagore n'explique pas
mieux la formation des êtres. Le
Grand tout indeflruclible dansfes
•^ principes, eji infini dans fa majfe.
t* Il n'y a donc pas de centre où ten1
dent les corps graves y la doctrine
\ des Antipodes efi donc une folie.,
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LVCRETII CARI
D E
R ER U M
LIBER
N A T U R A.
PRIMUS.
YX-j N E A D u M genetrix, hominum divûmquci
voluptas >
Aima V^nus, cœiifubter labentia fïgna ,
Quae mare navigerum, qua: terras frugiferentes
Concélébras j per te quoniam gcnus omne anir
mantûm
Concipitui, vifîtque exprtum lumina folis :
7 e , Dea, te fugiunt venti, te nubila cœli,
Adventumque tuum j tibi fuaves ctaedala tellus
Summittit flores 5 tibi rident acquora ponti %
Placatumque nitet difFufo lumine coelura.
Namfimulac fpecxes patefacta eft verna diei,] *
JEt referata vîgct genitabilis aura Favonî 5
^ëriae primrim vçlucres teA Diva, taumque
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NATURE DES CHOSES.
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L 0 R E PREMIER.
MEift des Romains, charme des hommes
.%*
& des fclcux; 6 Venus, ô Dédie bienfai&ntt,
<fa hauc^ls \SL lovtc.boAèc 9 m répands la £&o*?
dite fur les meii qui portent les navires, fur les
terres <pû donnent les moifïbns. Ceft par coi
que les^j^ibaint de tonte efpece font conçus &
oOTçeAjDBB yeux^à la lumière. Ta parais Se
les *tw4en&icnt, les nuages font diflîpés, la
ten* o&Uie la variété de fes tapis : l'Océan
pren# une ace riante 5 le ciel devenu ferein
répand an loin la pms vive fplendeur. A peine
le prînçemsa ramené les beaux jours, à peine
le zéphir a recouvré £bn haleine féconde, déjà
habitant 'de l'air xeflement ton atteinte > 8c
• * > • • • • -
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A IIJL
•'•Ci* *i . . M
G
LUCRECE
Signifîcanr initum , percufTas corda tuâ vi :
Inde fera? pecudes perfultant pabula Leta,
Et rapidos tranant amnes ; ita capta lepore
Ilkcebrifque cuis , omnis natura animantûm
Te fequitur cupide, quo quamquc inducere pergis :
Denique per maria ac montes fluviofque rapaccs
Erondiferafq; domos avium campofq; vkentes,
Omnibus incutiens blandum per pectora amorem,
Efricis uc cupide generatim faecla propagent.
Quae quoniam rerum naturam fola gubernas,
Kec fine te quidquam dias in luminis oras
Exoritur, neq; fit betum, nec amabile quidquam $
Te fociam ftudeo fcribundis verfibus efle ,
Quos ego de RERUM N A T U R A pangere conor
Memmiada? noftro , quem t u , Dea, tempore in
omni,
Omnibus ornatum voluifti exdeltere rébus :
Quo magis arternumda di&is, Diva, leporem.
Efficc ut interea fera moenera militiaï
Per maria ac terras omrfes fopita quiefeant :
Nam tu fola potcstranquitl a pace juvare
Mortales ; quoniam belli fera moenera Mayors
Armipotens régit, in gremium qui faepe tuum fè
Reiicit, aeterno devinctus volnere amoris ;
Àtque ita fufpiciens, tereti cervicc repôftâ, *
Pafcit amore avidos , inhiacs in te, Dea, vifus ;
Eque tuo peadet refupiai fpiritus- ore.
I
%i r R£ L
|fi le prcûcnt fttanonar ton retour ; auflî-tôt tes
troupean* èsifiammés bondiûent dans leurs pâtuliges*flrtràverfent ks fleuves rapides. Epris de tes
^•^naùnès, faifis de ton attrait, tous les êtres vivans
S
brûlent de te Cuivre, par-tout où :u les entraines.
Enfin dans les mers, fur les montagnes, au milietr
desfleuvesimpétueux, des bocages touffus, des
vertes campagnes, ta douceflammepénètre tous
ks eccurs, anime toutes les efpeces de defir de fe
perpétuer. Puifque tu es Tunique Souveraine de la
nature, la créatrice des êtres, la fource des grâces
écdu plaifir, davgne, ô Véùus, t'aiTbcier a mon
travail,ftcm'infpirer ce Pocrae fur la NATURE.
J î t ît confacre à ce Memmius que tu as orne
en tout tems de tes dons les plus rares, & qui
nous eft également cher à tous deux. Ceft en
fa faveur que je te demande pour mes vers ua
charme qui ne fe flétnflc jamais.
Cependant aiToupis 8c fufpends fur la terre 5c
Tonde les fureurs de la guerre. Toi feule peux
taire goûter aux mortels les douceurs de la paix.
p u (ein des allarmes le Dieu des batailles fo
. jtejette dans tes bras. Là , retenu par la bief4foe d'un amour éternel, les yeux levés vers toi,
% tête pofée fur ton fein, la bouche entrouverte,
il repaît d'amour fes regards avides, & fon amc
[fp&e comme fofpcnduc à tes lèvres. Dans ce
Àiv
tr >/.
LUC
*
RE
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Hune tu, Diva, tuo recubantem corpore rancTo ;
Ciicumfufa fuper, fuaves ex ore loquelas
JFunde, petensplacidam Romanis, Inclita, pacem.
Nam ne.que nos agere hoc, patriaï tempore iniqîiD,
PorTumus aequo animo 5 neque Memmî clara proFgo >
Talibus. in rébus, communi dee/Te falutL
Quodfupereft, vacuasauresmihi, Memmiad a , & te
Semotum à curis adhibe veram ad rationem j
Ne mea dona, tibi ftudio difpôfta fîdeli,
Intellecla priùs quàm fint, contempta relinquas :
Nam tibi de fummâ cœli rarione Deûmque
DifTerere incipiam, & reram primordiapandam > ,
Undè omnes Natura creet rei, auctet alarque :.
Quôve eadem rurfum Natura perempta refolvat L
Quae nos materiem, & genitalia cor para rébus
Reddundâ in ratione vocare, Scfimina rerum
Appellare fuemus, & hase eadem ufurpare
Corp ora prima 9 quod ex illis funt omnia primisOmnis enim pçr fe Divûm natura necefTe eft
Immortali asvo fummâ cum pace fruatur,
Semota ab noftris rébus, fejunctaque longé ;
Nam privata dolore omni, privata periclis,
Ipfa fuis pollens epibus, nil indiga noftrî ^
-t I V R E L
i
Cornent d'ivrefle où tes membres facrés le foutiennent, .6 Déefle , panchée tendrement fur
lui, abandonnée à fes embraflemens, verfe dans
foa a a e la douce perfuafion^ & fois la puiflante
médiatrice de la paix. Hclas ! Dans les troubles
de ma patrie m'eft-il permis de chanter, & l*il—
luftre Memmius manquera-t-il à la défenfe de
l'Etat, pour prêter l'oreille à mes fons l
Puifllez-vous donc bientôt, 6 Memmius, délivré de ces trilles foins, apporter un efprit libre
à l'étude de la fagefle, & ne point rejette r ces
fruits d'une étude pénible avant de les avoir connus. Je vous dévoilerai le fyftème du ciel, & la nature des Dieux ; je vous ferai connaître les principes à l'aide defqueb la Nature forme, accroic
& nourrit les êtres , & dans lcfquels elles les réduit après leur deftru&ion : parties élémentaires,
auxquelles je donnerai dans le cours de cet ouvrage les noms de Matière, de Corps générateurs,
de Principes & de Corps premiers, parce qu'ils
précèdent & produifent tour.
En effet les Dieux, par le privilège de. leur
L nature doivent jouir dans une profonde paix de
| leur immortalité ; hors dt la fphere de nos événemens;, éloignés de notre, monde , à l'abri de la
tdoukur & da danger, fefufEfans à eux-mêmes»
i-«i
p-.'
io
LUCRECE
Nec bene promeritis capitur, nec tangitur ira.
Humana ante oculos fœdè cùm vita jaceret
In terris, opprefla gravi fub Relligione,
Qux caput à cœh regionibus obftendebat,
Horribiii fuper afpectu mortalibus inftans ;
Primiim Graïus homo mortales tollere contra
Eft oculos aufus, primufque obfiftere contra :
Quem nec famaDeûm, nec fulmina, necminitanti
Murmure comprefïit cœlum 5 fed eo magis acrerrt
Virtutem inritât animi, confringere ut arda
Naturae primus portarum clauftra cupiret.
Ergo vivida vis animi pervicit y & extra
Proceflît longe flammantia moenia mundi,
Arque omne immenfum peragravit mente am>
moque
'y
Unde refert îiobis viétor, quid poffit oriri,
Quid nequeat ; finita poteftas denique quoique
Quânam fit ratione, atque altc terminus haerens»
Quare Relligio pedibus fubjeclra viciflim
Obteritur, nos exaequar vi&oria cœlo.
Illud in his rébus vereor, ne forte rearis;
împia te rationis inire elementa, viamquc
Endogredi fceleris ; quod contra, faepiùs olirr*
Relligio peperit fcelerofa atque impia fa&a ;
Aulide quo pacto Triviaï virginis acam a
~Z / V R £
L
n
\ indépendant* de nous, ils ne font ni TenUblcs à
nos vert**, ni acccfllbles à la colère.
#
Dans le tems oii l'homme avili rampait foirV
les chaînes pesantes du fanatifme, ce tyran farouche* qui , du milieu des nues, montrai:
fa tête épouvantable , & dont l'œil erFrayanf
menaçait d'en haut les mortels ; un homme
né diQS la Grèce ofa le premier lever contre
lai (es regards , de refufa de s'incliner. Ni
ces Dieux fi vantés, ni leurs foudres , ni le
bmit menaçant du ciel en courroux ne purent
l'intimider. Son courage s'irrita par les obstacles»
Impatient de brifer l'étroite enceinte de la Nature , fon génie vainqueur s'élança au-delà des
bornes enflammées du monde, parcourut à pas
de géant les plaines de l'immenfité , & eut U
gloire d'en&igner aux hommes ce qui peut on
ne peut pas naître, 6c comment la puifïancc des
corps cft bornée par leur efTence même. Ainfi ix
fûpcrmkiofi fut à fon tour foulée aux pieds, Se
fk défaite nous rendit égaux aux Dieux»
6 Mcmmius, que vous ne m'a Gentiez de vous ouvrir une école d'impiété, &
fe conduire vos pas dans la route du crime. C'eil
WL contraire la fupcrftition , qui, trop fouvent
[Tiojfira des a&ojw Impies & criminelles. Aux&
Avj
il
LUCRECE
IphianafTaï turpârunt fanguine fœdè ,
Du&ores Danaiim deletti, prima virorum.*
Cui fimul infula virgincos circumdata comptus ,
Exutrâque pari malarum parte profufa eft,
Et mœftum fimul ante aras adftare parentcm
Senfit, & hune propter ferrum- celare miniftros ,
Afpec"hique fuo lacrymas efFundère cives 5
Muta metu , terram genibus fummifla petebat j
Ncc mifcra prodefTe in tali tempore quibat,
Quôd patrio priaceps donârat nomine regem.Nam fublata virûm manibus tremebundaque, ad
aras
Dcdu&a eft, non ut, folenni more facrorum*
Perfe&o, pofTet claro comitari Hymenjeo 5
5ed cafta , inceftè , nubendi tempore in ipfo „
Hoftia concideret ma&atu mœfta parentis 5
Exitus ut clafli felix fauftufque daretur.
Tantùm Rclligio potuit fuadcre. malorum I.
Tutemet à nobis jam quovis tempore vatura
Terriloquis vi&us di&is defcifcere quaeres :
Quippe etcnim quam multa tibi jam-fmgere po£fum
Somoia, qaae rira? rationes rertere poflîat,
ifJSùit des ffcafede la Grèce, les premiers héros
dirmonàVi^rfimillcrent jadis en AuUde l'autel de
d'Iphigenie. Quand le bandeau
^xurabre y eut paré la chevelure de la jeune Priacette, &flotté'le long de Tes joues innocentes';.
14 quand elle vit Ton penj, au pied de l'autel, de'lïbmit, l'œil trifte, & l'air morne 5 à côté de lui
' ks Sacrificateurs cachantfousleurs robes le couV tcan (àcré 5 8c un grand peuple en larmes autour
à* ^ y ^ . ^ tt fpc^dç y muette d'effroi , elle
â combe fur (es genoux, comme une fuppliante..
F- Que lui fervatt, dant cet inftant fatal, d'avoir
•:^ la .première donné le nom de père au Roi de
; Myceacs ? Des Prêtres impitoyables la foule; s'„ vent ML la portent tremblante à L'autel, non pour
'{;, la reconduise au milieu d'un pompeux conegc
1 après la cérémonie de £Hy menée, mais pour la
.- Sûre expirer (bus les coups de fon père, au
moment même que l'amour deftinait à fon ma*
% siage. Bt pourquoi ? Afin dk>btenir un heureax
départ- pour la flotte écs Grecs. Tant la fuperf»•
attion infpire aux hommes de barbarie I
Vous-même, 6 Memmius, fatigué par Tes
£éck& enrayant des Poètes de tous les fiecles,
*uus me fuirez peut-être craignant de trouver
• «uni dans? mon Pocmc des fonges lugubres, ca<k troubles tout le fyftcmc de voue
V m
i4
LUCRECE
lortunafque tuas omnes turbare timoré ?
Et merito 5 nam Ci certain finem eiTe vidèrent
jErumnarura. homines , aliquâ ratione valurent ,
Relligionibus , atque minis obfiftere vatum.
Nunc ratio nulla eft reftandi, nulla facultas ;
jEternas quoniam pœnas in morte timendum;
Ignoratur enim quae fit natura animai 5
Nata fit, an contra nafcentibus infinuetur 5
It fimul intereat nobifcum morte dirempta ,
An tenebras Orci vifat vaftafque lacunas,
An pecudes alias divinitds inflnuet fe 5
Ennius ut nofter cccinit, qui primus amœno*
Detulit ex Helicone perenni fronde cotonam >
Per gentes Italas hominum quar clara clueret y
Etfi practerea tamen efle Acherulîa templa
Ennius «ternis exponit verfibus edens ;
Quo neque permanent animas, neque corpora
noftra,
Sed quaedam fîmulacra modis pallentia miris :
Undè fibi exortam femperflorentisHomeri
Commémorât fpeciem, lacrymas & fundere faites
CœpiiTe, & rerum naturam expandere dictis.
Quapropter bene, cùm fupexis de rébus habenda
Nobis eft ratio, folis lunasquc meatus
Qua fiant ratione-, & qui vi quaeque genantus
t IVRE
L
15:
Tic , & d*csnpeUbnner votre bonheur par la
crainte* Et vous -auriez raifon : car fi l'homme
voyait on terme fixe à Tes maux, il aurait au
moins quelque reûource contre les menaces de
la Giperitition & dt$ Poctes/f&ais quel moyen
loi refte-t-il de ie défendre aujourd'hui qu'il a
des peines éternelles à redouter après la mon ?
[">
C'eft que la nature de Ton ame eft un problème
pour lui. Il ignore fi elle naît avec le corps»
ou s'y infirme au moment de la naiûance > fi
elle meurt avec nous par k diûolution de Tes
parties ; ou fi elle va vifiter ks (ombres bords ;
ou fi enfin l'ordre des Dieux la fait paffer dans
des corps d'animaux, ainfi que Ta chanté Ennius ,* le premier, qui du riant fommet de l'HéUcon foitdefcendu dans le Latium, le front ceint
"S d'une couronne immortelle. Néanmoins il décrit
dans ion poeme divin un (ejour habité, non
par des corps ou des efprits, mais par des ombres•y.
pâles & légères, entre lcfqueUcs le phantôme
de l'immortel Homère lui apparut , verfa des
larmes ameres à ùL vue, & lui dévoila les fe«rets de la nature.*
" Avant donc de porter nos regards aç defTur
de nos têtes, de fuivre le cours du (bleil & de
la lune, & d'approfondir la caufe des phénomoI > iftes terrcfbes \ il cft cflcnriei avant tout de rechex-
16
LUCRE
CE
ïn terris 5 tum cumprimis , ratione fàgacî,
Unde anima atque acimi conflet natura yiden*
du m ,
Et quae res nobis vigilantibus obvia, mentes
Terrificet morbo arFeâiis fomnoque fepultis j
Cernere uti videamur eos, audireque coram ,.
Mor:e obitâ, quorum tellas amplectitur ofla.
Ncc me animi fallit, Graïorum oblcura reperta^
Difficile illuftrare Larinis verfibusefTe 5
Multa novîs verbis prasfertim cdm fit agendum ,.
Propter egeftatem linguae & rerum novitatem.
Scd tua me virtustamen, & fperata voluptas
Suavis amicitiae, quemvis perferre laborem
Suadet, ic inducit no&es vigilare ferenas,
Quxrentcm di&is quibus, & quo carminé demura,
Clara tua? poflim praepandere lumina menti ,
Res quibus occultas penitùs convifere poflis.
Hune igitur terrorem animi tenebraïque, necciTe
eft
Non radii folis, neque Iùcida tela diei
Difcutiant, fed naturae fpecies ratibque.
Principium hinc cujus nobis exordia fumer,,
Nullam rem è nihilo gigni dlvlnitus unquam y
Quippe ita formidô mortales continet omnes , *
Q u o i multa in texris fieri, cœioque tuentur ,
11 r RE i.
t?
let les principes conftitutifs de l'efprit Se de
lame, 8c la nature d«s objets , qui après l'avoir
frappée pendant le jour , l'effraient de nouveau
IQS le iommeil ou la maladie, avec une telle
ité, qu'on croit voir de entendre ceux que la
>rt a moitionnes * & dont la terre enferme les
[dépouilles.
*
Je n'ignore pas d'an autre côté que notre langue
e fe prête qu'avec peine aux recherches obfcures
la Grèce. La difette des mots & la nouveauté
fejet m'obligeront feuvent de créer des terMais votre mérite, mon cher Memmius»
le plaifîr que me promet une amitié Ci douce
rendent capable des travaux les plus pénibles*
'aime à chercher, dans le calme d'une nuit
anquille, des tours heureux, des images bril[fiantes, qui pui/Tcnt porter la lumière dans votre
, & vous dévoiler le fyfterae entier de PUÎTers. Car pour dilfîper les terreurs dz la fution & les ténèbres de l'ignorance, il eft
ibin, non des rayons du folcil, & de la lumière
jour , mais de l'étude réfléchie de la nature..
Ecoutez donc ia voix.. Elle vous apprendra
fjbord que la Divinité même ne peut tirer l'être
fondant. La crainte iubjugoe tellement les cœur»
mortels, qu'à la f uc des phénomènes du ciel
ti» U
ïS
L UC R E C È
Quorum opèrum caufas- nullâ racione viderd
PoiTlmt, ac fieri divino numine-rentur.
Quas ob res , ubi viderimus nil pofTe creari
De nihilo , tum quod fequimur jam redtiùs
indè
Perfpiciemus, & unde queat res qu*eque creari ,
Et quo quxque modo fiant opéra fine Divûni.
Nam fi de nihilo fièrent, ex omnibu* rebu$
Omne genus nafci pofiet 'y nil femine egerer.
E mare primiim hommes, è terra polTet oriri
Squammigemm genûs & volucres , erumpere
cœlo
Atmenta arque alia; pecudes , genus omne ferarum,
Incerto parcu, culta ac deferta teneret :
Nec fructus iidem arboribus conflare folerenc,*
Sed mutarentur : ferre omnes omnia pofTent,
Quippe , ubi non efTent genitalia corpora cuique ,
Quî pofTet mater rébus confiftcre ceita ?
At nunc, feminibus quia certis quidque créa*
tur j
Indè enafcitur atque oras in luminis exit,
Materies ubi ineft cujufque & corpora prima.
Atque hâc re nequeuntex omnibus omnia gigni ,
Quod certis in rébus ineft fecreta facukas.
X / T R E I.
10
['& de la cent dont ils ne pouvaient pénétrer les
-caufes , ils ont fournis la nature à des Dieux
î créateurs. Quand nous nous ferons aûurés que
ifeien ne fe fait de rien , nous di flingue ions plus
jaifément le bue où nous tendons, la fource d'où
| louent les êtres, 9c la manière dont chaque chofe
peut fe former fans le fecours des Dieux.
Si quelque chofe s'engendrait de rien, les êtres
de toute cfpccc pourraient naître indifféremment
4e toute forte de corps fans avoir befoin de gc
mes particuliers. L'homme pourrair naître d;
['•les ondes : les poiffons & les 01 féaux fc former
k dans la terre : les troupeaux s'élancer des nues :
k les bêtes féroces, enfant du hazard , fe plaire
également dans les lieux cultivés ou dans les dé-»
ferts. Les arbres n'offriraient pas conitamment
ks mêmes fruits : ils en changeraient chaque
jours tous les corps pourraient produire des fruits
de toute efpece : car s'il n'y a point de germes ,
dès-lors plus d'ordre ni d'uniformité dans Tes
générations. Mais comme toutes les productions
['•' de la nature ont pour bafe des femences déterminées 'y elles ne naiffent qu'à l'endroit où fe
-trouve la matière qui leur eft propre, les élé~
mens qui leur conviennent. Et c'eft cette énergie,
'différente félon les principes, qui circonferit les
générations Se entretient l'ordre dans la nature»
io
LUCRECE
Praterea cur vere rofam , frumentâ calore ,•
Vîtes autumno fundi Codante vidtmus ?
Si non , certa fuo quia tempore femina rcrum
Cùm confluxeruat , patefît quodcunque créa-*
tur ;
Çum tempcftates adfunt, & vivida tellus
Tuto res teneras eiTert in luminis oras.
Q u o i fi de nihilo fièrent, fubito exorerectur,
Incerto fpatio, atque alienis partibus aoni $
Quippe ubi nulla forent primordia, quae ge,#
nitali
Cbncilio pofTent arceri tempore iniquo.
Nec porro augendis rébus fpatio foret u&s
Seminis ad coitum, è nrhilo fi crefcere po£fent:
Nam fièrent juvmes fubito ex infantibu' parvis *
E terrâque exorta repente arbufta falirent :
Qaorum nil fieri manifeftum eft-?omnia quanda
Paulatim crefcunt, ut par eft, femine certo ;
Crefcendoque genus fervant 5 ut nofcere po£fis,
Quxque fuâ de mareriâ grandefcere alique.
Hue accedit u t i , fine certis ïmbribus anni»
4 X-aetiîTcos nequeat fœtus fummittere tellus ;
Nec porro fecreta cibo natura animantûm 3
Propagare genus pofiit Yitamque tueri ;
I
Ivl
l I F R E I.
tt
Ne voyez-vous pas la rofe naître au printems,
s moi/Tons jaunir en été, U vigne mûrir dans les
aux jours de l'automne ; C'cft que, dans le tems
Exe, les femences fe ratfemblent, les productions
ie développent, & la terre au moment marqué
par la faifon, expofe avec afTurance Tes tendres
AoarriiTons àttrapreflionde l'air. Mais fi l'être
K {orrait du néant, elles naîtraient tout-à-coup, dans
i- des tems indéterminés, dans des faifons contrai^
jes s puisqu'il n'y aurait pas d clé mens dont le vice,
4es faifons put empêcher l'aifcmblage.
^ Allons plus loin ; les corps tirés du néant
'T n'auraient pas hefoin pour croître du tems & de
j la réunion de leurs germes. L'enfance ne ferait
i pas féparée de l'adolefcence 5 & l'arbuitc à peine
'+ éçlos s'élancerait tout-à-coup vers la nue. Ce n'eft
m pas là la marche de la Nature. La foi té des clé' meas aiTujettit les corps à de« progrès lents, &
), leur impriment un caractère fpécifîque qu'ils
«. tonfervent en croUTant : preuve évidente que
.chaque être à fâ matière propre qui fert à le
.nourrir & à le développer,
Si vous confidérez d'un autre côté que, fans les
pluies réglées de l'année, la terre ne vous offrirait
pas fes utiles productions, & que les animaux,
ivés d'alimens, ne pourraient fe conferver ni
i±
LUCRECE
Ut potiùs multis communia corpora rébus .
Multa putes efle , ut verbis elementa vide-*
mus,
Quàm fine principiis ullam rem. exiftere pofTc.
Denique cur homines tantos Natura parare
Non potuit, pedibus qui poncum per vada polfent
Tranftre , & magnos manij>us divellere montes ,
Multaque vivendo vitalia vincere fxcla ?
Si non matcnes quia rébus reddita certa eft
Gignundis , è quâ conftat quid poflic oriri :
Nil igitur fieri de nilo pofle fatendum efl:,
Semine quando opus cft rébus, quo quasque crcatas
Ae'ris in teneras poflint proferrier auras.
Poftremo , quoniam incultis praeftare videmu s
Culta loca, & manibus meliores reddier fœtus;
EfTe videlicet in terris primordia rcrum ,
Quae nos, fcecundas vertentes vomere glebas ,
Terraïque folum fubigentes, cimus ad ortus :
Quod fi nulla forent, noftro fine qua»que labore,
Sponte fuâ multo fieri meliora videres.
Hue accedit uti quidque in fua corpora rurfum
Diflblvat Natura, nequead nihilum interimat res.
*r.
11 r
Rs
i.
it
Ce propager : bien loin de re&fer des principes
uz corps , TOUS reconnaîtrez des élémcns communs à pluûeurs individus comme des lettres
communes à plufieurs mots.
Enfin pourquoi la Nature n'a-t-cllc pas p*
faire des hommes aflez grands pour patfer à gué
l'Océan » aflez forts pour déraciner de la main
les plus hautes montagnes, allez robuftes pour
/îirvivre à la révolution de pluûeursficcies? Sinon
1 parce que la nature fixe des élémens, détermine
S Jet qualités des individus. Avouons donc que
rien ne fe peut faire de rien, puifquc chaque
'Corps a Dcfoin pour naître d'un germe particulier,
Il En un mot ne voyons-nous pas les terres culj tjvées plus fertiles que les défères, & les produo
v. fions de la nature s'améliorer fous la main dq
laboureur ? il y a donc dans le fol des parties
/lémentakes dont nous excitons l'énergie en rejouant les glèbes s & en déchirant le flanc de la
.terre. Sans cela qu'aurions-nous befoin de nous
tourmenter i'Tous les êtres tendraient d'euxêmes à la perfection.
A cette vérité joignons-en une autre 5 c'elr
Jk Nature R anéantit rien, mais réduit fimchamic tout en fes parties élémentaires ;
14
LUCRECE
Nam fi quid mortale è cun&is partibus cfTcr,
Ex oculis res quaeque repente erepta periret ;
Nullâ vi foret ufus enim, quas partibus ejus
Difcidium parère, & nexus exfolvere poifet :
At nunc, seterno quia confiant (cmine quxque ;
Donec vis obiit, quje res diverberet i&u ,
Aut inius pénétrer per inania diflblvatquc,
Nullius exitium patitur Natura vùdcri.
Praeterea, quaecunque vetuftate amovet artas,
Si penims perimit confumens materiem omnemj
Unde animale genus generatim in lumina vitx
Redduci: Venus ? aut redduétum dœdala tellus
Undc alit atque auget, generatim pabiila pracbens ?
Undè mare, ingenui fontes externaque longe
Flumina fuppeditant ? Unde a::herfiderapafeit ?
Omnia enim débet, mortali corpore quas funt>
Infinita «tas confumpfe anteacta diefque :
Quod fi in eo fpatio atque antea&â astate fuére,
E quibus hxc rerum confiftit fumma refecta ;
Immonali funt naturâ praedita cercè.
Haud igitur polfunt ad nilum qussque reverti.
Denique res omnes eadem vis caufaque volgo
Conficeret, nifi materies aeterna, teneret «'
Inter fe nexas, minus aut inagis endopedit^
JaChis enim lechi fatis effet caufa profedtôj^jr
Quippe,
L I V R E
I.
15
fi Jcs élémens étaient destructibles , les cerps
di {paraîtraient en un moment ; il ne ferait pas
nécefiaire qu'une action lente troublât l'union
des principes, en rompit les liens : au lieu que
ia Nature , ayant rendu éternels les élcmcns de la
matière, ne nous prélente l'image de la deftruc*ipn, que quand une force étrangère a frappé
la maife ou pénétre le tiffu-des corps.
D'ailleurs, f\ le tems anéanti/Tait tout ce qui
difparaît à nos yeux , dans quelle fource la
Nature puiferait-ellc fes reproductions ? Comment la terre pourrait-elle nourrir les cfpcccs
-régénérées ? De quel réfervoir les rivières & les
fontaines tireraient-cllcs ce tribut continuel qu'elles viennent de fi loin payer à l'Océan ? De quels
alimens fe repaîtraient les feux du ciel ? Si les
élcmcns étaient péri/Tables , la révolution de
tant de ficclcs écoulés devrait en avoir tari la
fource. Si au contraire aufli anciens que les tems,
ils travaillent de toute éternité aux reproductions
de la Nature, il faut qu'ils foient immortels, 8c
que rien dans l'univers ne puifle s'anéantir.
Enfin la même caufe ferait périr tous les
corps, fi leurs élémens n'étaient éternels, Se liés
par des nœuds plus ou moins ferrés. Le tact fcul
fuifixait pour les détruire. Quelle réfiftance opTome L
B
16
LUCRECE
Quippe, ubi nulla forent aeterno corpore, eorum
Contextura vis deberet diflolvere quxque.
At nunc, inter fe quia nexus principiorum.
Difïimiles confiant, asternaque materies cft 5
încolumi rémanent res corpore , dum fatis acris
Vis obeat pro texturâ cujufque reperta.
Haud igitur redit ad nihilum res ulla, fed omnes
Difcidio redeunt in corpora materiaï.
Poftremo pereunt imbres, ubi eos pater JEthzr
In gremium matris Terrai prcecipitavit î
At nitidae furgunt fruges, ramique virefcunt
Arboribus 5 crefcunt ipfae , fœtuque gravan-»
tur.
Hinc alitur porrô noftrum genus, atque ferarum :
ïrL'mc laetas urbes pueris florere videmus,
Trondiferafque novis avibus canere undique filvas:
Hinc fefïse pecudes pingues per pabula Iceta
Corpora deponunt, de candens lacteus humor
Uberibus manat diftentis : hinc nova proies
Artubus infirmis teneras lafeiva per herbas
Ludit, lacle mero mentes pereufla novellas.
Haud igitur penitùs pereunt quaecunque videntur :
Quandà alid ex alio reficit Natura, nec ullam
Rçm gigni patitur, aifi morte adjutara aliéna.
JLI
V
R
E
"•/.
-
*
7
p>ferait un frêle aficmblage de parties deitructibles l Au lieu que les différcns liens des corps
é ant dinemblables & la matière éternelle, chaque être fubuite, jufqu'à ce qu'il éprouve un
chpc proportionné à l'union de Tes principes 5
rien donc ne s'anéantit, & la deftrodion ncft'
que la difiolution des élémens.
Ces pluies que l'air fécond verfe à grands flots
dans le fem de notre mère commune vous paraiûent perdues î Mais par elles la terre fe couvre de moiflbns , las arbres reverdiflent, leur
cime, s'élève , leurs rameaux fe courbent fous le
poids des fruits. Ce font ces pluies falutaires qui
fourniiïeiit aux hommes leurs alimens & aux
animaux leur pâture. Delà cette jeune (le floriÇfa a te qui peuple nos villes, ce nouvel e (Ta ira de
chantres harmonieux qui font retentir nos bois.
Voyez les troupeaux repofer dans les rians pâturages leurs membres fatigués d'embonpoint, des
ruifleaux d'un lait pur s'échapper de leurs mam~
melles tendues. Enivrés de cette douce liqueur,
les tendres agneaux s'égaient fur le gazon, &
ciTaient eotr'eux mille jeux folâtres. Les corps
jie font donc pas anéantis en difparainanr à nos
yeux* La Nature forme 4e nouveaux êtres de
leurs débris ; & ce n'eft que par la mort des uns
qu'elle accorde la vie aux autres.
*Bij
28
LUCRECE
Nu ne âge, res quorriam docui non pofTe crearii
De nihilo , neque item genitas ad ml revocari ,
Ne quà forte tamen cœptes diffidere di&is ,
Quod nequeunt ocalis rerum primordia cerni ;
Accipe prxterea 9 quas corpora rate necefle eft
Çonfiteare eife in rébus, nec polie videri.
Trinripio, venti vis vcrber.it incita pontum ;
Ingentifque ruit navis, & nubila dilFert :
Interdam rapido percurrens tuibine carapos
Arboribus magnis fternit, montefque fupremos
Sy lvifragis vexât flabris : ita perfurit acri
Ctim fremitu, faevitque minaci murmure poatus. .
Sunt igitur venti nimirum corpora caeca ,
Quae mare, quae terras, quae denique nubila cceli
Verront, ac fubitô vexantia turbine raptanc.
Nec xaiione âuunt aiiâ, ftragemque propaganc.
Ac cùm mollis aqu£ fertur natura repenti
Plumine abundanti, quod largis imbribus auget
Montibus ex altis magnus decurfus aquaï,
Fragmina conjiciens fylvarum, arbuftaque tota,
Nec validi pollunt pontes venientis aquaï
Vim fubitam tolerare . ita magno turbidus imbri,
Molibus incurrens, validis cum viribus amnis, .
Dat fonitu magno ftragem, voivitque iub undis
Grandia faxa, ruit quà quidquid fluctibus obftat.
Sic igitur debent venti quoque flamina ferri,
LIVRE
L
29
Vous êtes convaincu maintenant, Memmius,
que l'être ne peut fortir du néant ni s'y perdre :
mais pour diiîîper les doutes que pourrait Lnifcc
dans votre efpriti'invifibilité àz% atomes , apprenez qu'il eft des corps que l'œil n'apperçoit pas,
& dont toutefois la raifon reconnait l'exigence.
Tel eft le vent 9 cet élément terrible, donc la
fureur fouleve les ond^s, fubmcrge la malle des
vaifléaux & difpçrfe les nuages ; dont les tourbillons rapides s'c'lancent dans les plaines & couvrent la terre de la dépouille, des plus grands
arbres 5 dont le fouffle deftru&eur tourmente la
cime des monts , & fait bouillonner l'Océan
avec un affreux murmure. Le vent , quoi*
qu'invifible , eft donc un corps , puifqu'il balaye à la fois le ciel, la terre & la mer, Se
parfeme l'air de leurs débris. C'eft un fluide
fcmblable à un fleuve, dont le lit tranquille eft
gonflé tout-à-coup par les pluies abondantes qui
roulent en torrent du haut des monts charges
de la dépouille des forêts. Les ponts les plus folides ne peuvent foutenir le choc de l'onde déchaînée. Ces redoutables malTes d'eau heurtent les digues , les font écrouler avec bruit,
en emportent les rochers flottans , & renverfent
tous les obftacles qui s'oppofent à leur fureur.
C'eft ainiî que les vents en courroux font tout
Biij
3o
LUCRECE
Quse , veluti validum fïumen, cdm procubuere l
Quamlibet in partem trudunt res antè, ruuntque
Impetibus crebris ; interdum vertice torto
Corripiunt, rapidoque rotantia turbine portant.
Quare etiamatqueetiamfunt venti corporaca:ca :
Quandoquidem factis ac moribus > asmula magnis
Amnibus inveniuntur, aperto corpore qui funt.
Tum porro varios rerum fentimus odores :
Nec tamen ad nares venientes cernimus unquam :
Nec calidos aeftus tuimur, nec frigora quimus
Uiurpare oculis, nec voces cerncre fuemus :
Qux tamen omnia corporeâ conftare neccfle eft
Naturâ : quoniam ienfus impellere poflunt.
TANGERE
ENIM
ET
TANGI,
P U S , NULLA P O T E S T
NISI
COR-
RES.
Denique flu&ifïago fufpenfx in littore veftes
Uvcfcunt, exdem difpanfa; in foie ferefcunt.
At neque quo paclo perfederit humor aquai
Vifu eft, nec rurfum quo pa&o fugeriu acftu 5
In parvas igitur partes difpergitur humor ,
Quas oculi nullâ pofïunt ratione videre.
Quin etiam, multis folis redeuntibus annis >
Annulas in digito fubtertenuatur habendo :
Stillicidî cafus lapidem cavat : uncus aratri
Fcrrsus occulté decrefcit vome'r in arvis :
L I V R E
I.
31
plier fous l'effort de leur haleine. Ils chaflent
leur proie devant eux, la terraient, lui livrent
mille alTaurs, l'enveloppent dans leurs tourbillons , & la font tourner rapidement dans le vague
de ratmofphere. Je le répète donc, le vent quoi• qu'invifible cft un corps, puifqu'il reffemble dans
fa nature & dans fes effets aux grands fleuves,
dont l'exiftence eft fcnûblc à tous les yeux.
Nous n appercevons pas les molécules délices
qui viennent frapper l'odorat ; nous fcntons
pourtant les odeurs. L'oeil humain ne faifit point
la chaleur, le froid, le fon. Toutefois on ne
.peut leur refufer la nature des corps , puifqu'ils
agilTent fui les fens, & que LES CORPS SEULS
ONT LE POUVOIR DE TOUCHER ET D*£XRE TOUCHES.
Expofez une étoffe au bord de la mer; l'humidité la pénètre j étendez la au foleil s l'humidité s'en
évapore. Cependant vous n'avez pas vu de fluide
pénétrer le tifTu de l'étoffe, ni s'en dégager à
l'aide de la chaleur ; c'eft qu'alors l'eau divifée
en parties infcnfîblcs échappe à la vue la plus
perçante. Après un certain nombre de folcils,
l'anneau qui brille à votre doigt s'amincit, les
gouttes de la pluie cavent la pierre fous nos toits,
le foc de la charrue s'émoufTe dans le fil Ion,
Biv
)*
LUCRECE
Strataque jam volgi pedibuj detrita viarum
Saxea confpicimus : tum portas propter aliéna
Signa m anus dextras oftendunt attenuari
Sxpe falutantûm ta&u, praeterque meantûm.
Hxc igitur minui, cùm fïnt detrita, videmus :
Sed qiiGE corpora décédant in tempore quoque ,
Invida praeclufïr fpcciem Natura videndi.
-Poftremo , quaecunque dies, Naturaque rébus
Paulacim tribuit moderatim crefcere cogens ,
Nulla potefl: oculorum acies contenta tueri :
Nec porro quaecunque asvo, macieque fenefcuni: :
Nec mare quae impehdent vefco fale faxa'percfa,
Qaid quoque amittant in tempore, cetnere poïïîs.
Corporibus caecis igitar Natura gerit res.
Nec tamen undique corporeâ ftipata tenenrur
Omnia natura ; namque efl: in rébus inane.
Quod tibi cogno/le in mufris erit utile rébus :
Nec finet errantem dubirare , & quauere femper
De fummâ rerum , 6c noftris difRdere dictis.
Quapropterlocus eftintaftus, inane, vacanfque :
Quod ii non effet, nullâ ratione moveri
Res portent : namque officium, quod corporis exrac,
Ofàcere, atqueobftare., id in omni tempore adefe
L I F R E
I.
3
j
les pierres dont nos rues font pavées s'ufeut fous
les pas du peuple, &: aux porte» de la ville la
main droite its ftatues d'airain diminue fous
les baifers continuels de la foule qui entre & qui
fort. Nous remarquons avec le tcms que c:s
corps ont fouffert des pênes. Mais des par::.s
qai s'en feparent à tout moment, laNnure j.*.loufe nous en a interdit la vue. Elle dérobe à nos
yeux , & les molécules infcnfîblcs qui font croître lentement les corps , & les parties fubti'c;
que leur ôcc la viciilcfTc , & les atomes i;npcrceptibles que le fcl rongeur de la mer enlevé à ces rochers orgueilleux qui menneen: ton
onde. La Nature n'agit donc qu'à l'aide \z cerps
imperceptibles.
Ne croyez pas cependant que tout l'cfparc Col"
rempli par la matière. Il exifte du vu:-Je , moii
cher Mcmmius. C'cft une vérité dont -'o::r. fenrirez plus d'une fois l'importance , qui ilxcra
vos doutes, préviendra vos difficultés 6c vous
inspirera une jufte confiance en mes ccrir.
Il y a donc un :fpace impalpable qu'on ao renie
le vuide , (ans lequel on ne peut concevoir 's
[! - mouvement. Car le propre des corps étan: de
réfUter, ils ne cefleraient de fe faire obftacic ,
Bv
34
LUCRECE
Omnibus : haud igitur quidquam procedere poffct,
Principium quoniam cedendi nulla daret rcs.
Ar nunc pcr maria, ac terras, fublimaque ccrli 3
Multa modis mulcis varia ratione moveri
Cernimus ante oculos : qu# , fi non effet inaue ^
Non tara follicito motu privata carerent,
Quàm genita omnino nullâ ratione finirent ;
Undique materies quoniam ftipata quieflet.
Prxterea quamvis fblidas res efle putentur ,
Hinc tamen elfe licet raro cum corpore cernas :
In faxis, ac fpelimcis permanat aquarum
Liquidus humor, & uberibus flent omnia £uctis :
Diflupat in corpus fefc cibus omne animanrum ;
Crefcunt arbufta, & fœtus in tempore funduiit ;
Quod cibus in totas ufquc ab radicibus imis
Per truncos, ac per ramos difrunditur omnes :
Inter fepta meant voces, & claufa domoruirt
Tranfvolitant : rigidum permanat frigus ad offa.1
Quod, nili inania mit, quà polTent corpora qmeque
Tranfire? haud ullâ fîeri ratione videres.
i
Denique cur alias aliis praeftare videmus «
Pondère res rébus , nihilo majore figura ?
Nain, fi tanttindem, eft in lanse glomere quantum
L I F R E
I.
55
& le mouvement ferait impoilible, parce qu'aucua corps ne commencerait à fe déplacer. Cependant for la terre , dans l'onde , au ciel, mille
mouvemens divers frappent nos yeux j & fan?
vuide non-feulement les corps feraient privés
de cette continuelle agitation 5 mais ils s'auraient pas même pu être engendrés, parce que
la matière comprimée de toute parc aurait langui
dans une éternelle inertie.
D'ailleurs les corps les plus compactes ne fontils pas pénétrables ? L'eau s'ouvre une illuc à
travers les rochers, & les voûtes des grottes font
humectées de larmes abondantes. Les alimens fe
répandent dans toutes les paràes du corps de
l'animal. Si les arbres croiffent & fe couvrenc
de fruits au tems marque, c'elt que par des canaux invilîbles les fucs nourriciers fe font diftribués des racines à la tige & de la tige à tous
les rameaux. Le Ion pénecre les murs, & p;rce
l'enclos des maifons. Le froid fe fait fentir jufqu'aux os. Pourrez-vous expliquer tous ces effets,
fans admettre des vuides par où les fluides s'in«
Cnucnt?
Enfin pourquoi cette différence fenfible de
pefanteur foiis le même volume ? Si un âocoa de
laine contient autant de parties folides qu'une
B vj
36
LUCRECE
Corporis in plumbo eft, tantundem pcndere par
eft:
Corporis otrlcium efl; quoniam premere omnta
deorfum :
Contra autem natura manet fine pondère inanis..
Ergo quod magnum eftaequè, Ieviufque videcur^,
Nimirum plus elTe libi déclarât inanis :
At contra gravius plus in fe corporis efte
De licat, &c multo vacui minus intus habere.
Eft igitur nimirum id , quod ratione fagnci
Quxrimus, admiftum rébus quod inane vc camus,
Illud in his rébus, ne te deducere vero
Pofïit, quod quidam fingunt, praccurrere c^gor.
Cedere fquammigerrs lacices nitentibus a: LU: ,.
Et liquidas aperire vias j quia poftloca piL.;s
Linquant, quo poflînt cedentes confluere v.ndx :
Sic alias quoque res inter fe polîè moveri,
Et mutare locum, quamvis fint omnia pUma.
Scilicet id faisâ totum ratione receptum efl:.
Kam quo fquammigeri poterunt procédure tandem ,
Ni fpatiurn dederint latices ? concedere porrô
Quo poterunt undae, cum pifees ire nequibunt;?.
Aut igitur mom privandum efl: corpora quaequcj
Aut cfle admiftum dicendum eft rébus inane ;
Undeinitum primuracapiat res quarque movendi
L I r R E I.
37
naaflc de plomb, elle doit tenir la balance en
équilibre 5 puifque le propre de la matière eft
de tendre en bas, & que \t vuide feul efc par ta
nature dépourvu de pefanteur. Ainft, de deux
corps compris fous la même furfacc , le plus
léger eft celui qui renferme le plus de vuide ,
& le plus pefant celui qui a le moins d'intetitices & le plus de denlité. La raifon vous montre
donc clairement eu eux l'exiftençç d'un vuide
diiféminé.
Mais pour ne vous laifler aucun nuage, je me
hâte de prévenir un raisonnement captieux dont
s'appuyent quelques Philofophes. Ils foutienncnt
que, comme l'onde ouvre au poinon une voie
liquide, en luifuccédanc dans l'efpace qu'il abandonne , les corps peuvent fe mouvoir de la même
manière & fe déplacer au milieu du plein.
Mais ce reflux de l'onde fuppofe un premier
mouvement. Car comment les poiilbns pourronr-ils avahcer, û" ks eaux ne leur ont laiiîé un
efpace vuide ? Et où les eaux refluer on t-dL-s,
fi les poiflons n'ont pu avancer ? Il faut donc
ou priver les corps de leur mouvement, ou reconnaître on efpace vuide qui en foit le principe.
38
LUCRECE
Poftremo duo de concurfu corpora làta
Si cita difïiliant, nempe aer omne neceife eft
Inter corpora quod fuvat, poflidat inane.
Is porro, quamvis circiim celerantibus auris
Confluât, haudpoterittamenunotemporc totum
Compleri fpatium : nam primum quemque neceffe eft
Occupet îlle locum , deinde omnia poiTidcantur.
Qubd fi forte aliquis , cùm corpora difTilucrc,
Tum putat id fleri, quia fe condenfcat aer ,
Errât: nam vacuum, tune fit, quod non fuit a:;t:,
E: repletur item, vacuum quod conftitit ante j
Ncc tali ratione poteft denfarier aê'r :
Nec , fi jam poffet, fine inani poiïet, opinor,
Se ipfe in fe traherc , & partes conducere in
unum.
Quapropter , quamvis caufando multa moreris ,
Elfe in rébus inane tamen fateare iiecefTe efi.
Multaque prxterea tibi pofTum commemorando
Argumenta, fidem dielis conradere noftris.
Verùm animo fatis hase veftigia parva fagaci «
Sunt, per quas polTis cognofeere caetera tute.
Namque canes ut montivagje peifa:pe ferai
P
T"
l I V R E I.
39
Séparez rapidement deux furfaccs planes appliquées l'une fur l'autre ; il fe forme cntr'cllcs un
vuidc que l'air ne peut remplir tout entier à la
fois. Maigre la vîtefle de cet élément fubtil, il
n'occupe tout l'cfpacc , qu'après s'être emparé
d'abord des extrémités.
Envain prétendrez-rous qu'après la réparation
des deux furfaccs, l'cfpacc intermédiaire ne fe
remplit qu'en vertu d'une condenfarion anrericurc. Car il fe forme un vuidc qui n'exiftait
pas auparavant , & le vuide déjà cxiflmt fe
remplir. D'ailleurs l'air ne peut fe condenfer,
comme vous le fuppofez ; & quand cela ferait
pofliblc, il ne pourrait fans vuide rapprocher les
parties, & les ramafler fous un volume beaucoup
moindre. Ainfi par quelques objections que vous
cherchiez à vous échapper, vous ne pouvez méconnaître i'cxiftcncc du vuidc.
Je pourrais à ces preuves joindre d'autres raifons qui donneraient un nouveau poids à la vérité. Mais ces traces légères fuffifent à votre
pénétration, & vous pourrez fans moi découvrir le rcfte. Ainfi que l'animal élevé pour la
chaffe , après avoir faiiî la trace de la proie ,
4©
LUCRECE
Naribus inveniunt inteclas fronde quiètes ,'
Cdm femel inftiterunt veftigia certa viaï:
Sic alid ex alio per te tute ipfe videre
Talibus in rébus poteris, caecafque latebras
înfinuare omnes, & verum pronahere inde.
Quod fi pigrâris, paulùmve abfcefleris ab r e ,
Hoc tibi de piano pofTum promiccere, Mcmmi :
U«fque aJeo largos hauftus, de fontibu' magnis,
Lingua meo fuavis diti de pefrore fundet ,
Ut verear, ne tarda priùs per membra feneclus
Scrpat, & in nobis vitaï clauftra refelvat,
Quàm tibi de quâvis unâ rc verlîbus omnis
• Argumentorum lit copia mifla per aures.
Sed nunc jamrepetam coeptum pertexere di&ls.
Omnis, ut eft, igitur per fe natura duabus
Confiflit rébus ; nam corpora finit, & inane ,
HJEC in quo fita funt, & quà diverfa moventur.
Corpus enim per fe communis dedicat efTe
Setifus : quo niiï prima fîdes fandata valebit,
Haud erit occultis de rébus quo références ,
Confirmare animi quidquam ranone queamus.
Tumporro locus^ac fpatiuniquodi/ztfrtcvocamus,
Si nuiium foret, haud ufquamfita corpora porTcnt
EfTe, neque omnino quàquam diverfa meare :
Id quod jam fuperà tibi paulô oftendimus antè>
Prxterea nihii eft, quod poffis dicere ab ornai
L I r R E I.
41
va la furprcndre fous 1 épais feuillage qui lai
fert d'afyle ; de même en marchant de conféquences en conféquences, vous pénétrerez tous
les fccrets de la nature, & vous forcerez la vérité dans fes retraites. Mais fi votre cfprit héfite à me fuivre , & fc refufe encore à la conviction, apprenez à quoi s'engage votre ami. Les
grandes fources où mon génie s'eft abreuve s'ouvriront pour vous. La vérité coulera de mes
lèvres à grands flots, & la vieillcflc à pas i^ncs
aura gagné nos membres Se délié les principes
de notre vie, fans que j'aye épuifé cette multitude de chofes qu'il me relie à vous développer.
Mais reprenons la chaîne de nos raifonnemens. La nature refaite donc de deux principes
exiftans par eux-mêmes , le corps & le vuide
où nagent les corps, & à l'aide duquel ils fe
meuvent. L'cxiftence des corps nous eft démontrée par le témoignage des fens, fondement inébranlable de la certitude , fans lequel la raifon
/ «abandonnée à elle-même nous égare dans ua
dédale d'obfcurirés. Quant à l'efpace que nout
t appelions vuide, s'il n'e liftait pas , les corps ne
feraient fituét nulle part Se ne pourraient fe mouToir, comme je viens de TOUS en convaincre.
Outre l'efpace Se le ynide nous ne connaifTons
*
4i
LUCRECE
Corpore fejunchim, fecretumque effo ab inani r
Quod quafi tertia fit numéro natura reperta.
Nam quodcunque eric, efle aliquid debcbit id
ipfum
Augminevelgrandi, velparvodenique, dumfit j
Cui fi ta&us erit, quamvis levis cxiguufquc,
Corporum augebit numerum, fummamque fequetur ;
Sin inta&ile erit, nullâ de parte quod ullam
Rem prohibere queat per fe tranfîre meantcm ;
Scilicet hocid erit vacuum, quod inane vocamus.
Praeterea, per fe quodcunque erit, aut faciec
quid,
Aut aliis fungi debebit agentibus ipfum,
Aut erit, ut poflint in eo res efle, gerique :
At facere & fungi fine corpore nulla poteflres:
Nec prcebere locum porro, niiî inane vacanfquc. Ergo proeter inane, & corpora, tertia per fe
Nulla poteft rerum in numéro nacura relinqui 5
Nec, qua? fab fenfus cadat ullo tempore noftros,
Nec, ratione animi, quam quifquam poflit apifei.
Nam queecunque cluent, aut his conjuncla
duabus
*
Rébus ea invenies, aut horum éventa videbis.
LonjunEîum eftid, quod nunquamimeperuiciaii II
Difcidio potis eft fejungi, feque gregaiï :
I IV RE
I.
4î
point dans la nature une troificmc claiTc d'êtres
indépendante de ces deux principes. Car tout ce
qui cxiftc a néccfTaxrcmcnt une étendue grande
ou petite , fans quoi il n'cxiltcrait pas. Cette
étendue eft-cllc fenfible au toucher ? Quoique
déliée & imperceptible, clic fera rangée au nombre des corps, clic en Cuivra les loix. Si au contraire clic cft impalpable , fi aucun de fes points
ne réfute à la pénétration , nous l'appelions
vuide.
En général tous les êtres connus font actifs
' on fournis à l'action des autres, ou fourniuent
on efpace à l'exiitcnce & au mouvement. Il n'y
a que les corps qui foient actifs ou paffifs. Il
n'y a que le vuide qui ouvre un champ à leur
activité. Il n'exifte donc pas dans la nature un
troificmc ordre d'êtres. Les fens ne peuvent l'ap> percevoir, ni l'cfprit humain s'en former une
; idée.
Tout ce qui n'eft ni matière ni vuide clt propriété ou accident de l'un ou de l'autre. Les
propriétés font inféparablcs du fujet, & ne cefY fent que par fa deftruction. Telle eft la pefantcur dans les pierres, la chaleur dans le feu,
44
tj/j/i
,.
LUCRECE
Pondus uti Taxis, calor ignibus, liquor aquai ,
Tactus corporibus cunclis, inra<ftus inani.
Servitium contra, libertas, divitiarque,
Paupertas, bellam, concordia, cetera quorum
Adventu manit incolumis natura , abituque ,
K$c foliti fumus t ut par efl, éventa vocare.
Tcmpus item per fe non eft, fed rébus ab ipfîs
Confequitur fenfus, tranfa&um quid fit in xvo,
Tum qua: res inftet, quid porro deinde fcquatur^Nec pcr fe quemquam rempus fentire fatendum
eft
Semomm ab rerum motu, placidâquc quiète,
Denique Ty ndaridem raptam, belloque fuba&as
Trojugenas gentes cdm dicunt tfîc, videndum efl,
Ne forte haec per fe, cogant nos efle fateri : Jy
Quando ea fccla hominum, quorum haec éventa
fuêre,
Irrevocabilis abftulerit jarh prxterita actas. {[
Namque aliud rébus, aliud regibnibus ipiîs
Eventum dici potent, quodcunque erit a&um. r
Denique materies Ci rerum. nulla fuiflet,
Nec locus, acfpatium, res in quo quaequc serunrur,
Nunquam Tyndaridis forma? conflatus amore
Ignis Alexandri Pbrygio fub pedore gliuens
L I VRE
I.
*5
. la fluidité dans l'eau, la tangibilité dans les corps,
fa négation dans le vuide. Les accïdtns comme
la fervirude & la liberté , les lichetfcs 8c la
pauvicrc, la paix & la guerre, ne font que des
manières d'être dont la prétenec ou l'abfcncc
n'altèrent pas le fond de la fubftance.
Le tems n'eft pas non plus un être fubfiftant
par lui-même. C'cft par l'exiftence continuée des
corps que l'cfprit s'accoutume à diftinguer le
pa/Tc du préfent & de l'avenir. Perfonnc ne conçoit la durée ifolée & indépendante du mouvement ou du repos de la matière.
Enfin quand on vous parle de l'enlèvement
d'Hélène & du fort malheureux des Troyens ,
obfcrvcz qu'il ne s'agit pas d'êtres actuels, puifque le tems a englouti fans retour les fîecïes marqués par ces événemens, & que les accidens fe
•rapportent tous ou aux corps ou à l'efpace.
•*
Sans matière & (ans vuide jamais l'amour
i*eût embrâfé le cœur du Prince Phrygien ;
îais la beauté l'Hélène n'eût allumé l'incendie
leux d'une guerre cruelle 5 & jamais une maie énorme construite à l'in/çu des Troyens
4S
LUCRECE
Clara accendiffet frvi certamina belli :
Nec clam durateus Trojanis Pergama partu
Inflammalfet equus no&urno Grajugenarum ;
Perfpicere ut pollîs res geftas funditiïs omnes,
Non ira uti corpus per fe conftare, nec eue :
Nec ratione cluere eâdem , quâ confiât inane :
Sed magis ut merito pofTis éventa vocare
Corporis , atque loci rcs in quo quoique gerantur.
Corpora funt porro partim primordia rerum ,
Parti m concilio quas confiant principiorum.
Scd qua: funt rerum primordia , nulla poteft vis
Stringere : nam folido vincunt ea corpore demum.
Etfi difficile effe vidctur credere, quidquam
In rébus folido reperiri corpore pofTe.
Tranflt enim fulmen cœli per fepta domoru.-i <
Clamor u t , ac voces : fcrrum candefcit in igné :
Diiïiliuntque fero ferventia faxa vapore ,
Conlabefadlatus rigor auri folvitur a^ftu :
Tum glacies sris flammâ dévida liquefcit :
Permanat calor argentum , pcnetraleque frigus,'
Quandè utrumque, manu retinentes pocularitè>
Senfimus infcfo lympharum rore fupernè
Ufque adeo in rébus folidi nihil effe videtur.
L I F R E I.
47
H*eât vomi de Ton flanc des bataillons armes
pour la deftru&ion de Pergame. 'Vous voyez
K
donc que tous ces événemens qui troublent notre
i globe n'ont pas une exiftence réelle comme les
corps , ni la même nature que le vuide ; mais ce
font de (impies modifications de ces deux prin= *ipes.
(
r
|
Nous comprenons fous le nom de corps, Toit
Mes élémens de la nature, foit les compofés qui
j^en reluirent. Les élémens font inaltérables &
•jindcftruûiblcs, leur folidité triomphe de toutes
L
jes attaques.
.;. On aura peut-être de la peine à concevoir
• dans la nature, des corps parfaitement foliées 5
«•fur-tout enconfidéramquela foudre ainfi que
le fon perce lépaifleur des murs, que le fer
rtanchit dans la fournaife, que la pierre vole en
clats du fein des volcans, que lor pe.d fa
lureté & devient fluide dans le creufet, que
'airain dompté par la flamme fond comme la
Jlace, que la chaleur & le froid des liqueurs fe
Hnt fentir à travers les parois dune coupe d'arnt, qu'enfin nous n'avons reipénence d'aucun
«p» parfaitement folide.
&
4S
LUCRECE
Sed quia vera tamen ratio, Naturaquc refum
Cogit, a i e s , paucis dum verfibus expediamus.
Efîe ea,qu2e folido,atquc aeterno corpore conftent,
Seminaquae rerum, primordiaque eue docemus:
Uride omnis rerara nunc conftet fumma creata.
Principio, quoniam duplex natura duarum
Difllmilis rerum longé conftare reperta eft,
Corporis atque loci, res in quo «jusque geruntur:
Elle utramque fibi per fe , puramque necene eft.
Nam quàcunque vacat fpatium, quod inane vocamus,
Corpus eà non eft : quà porro cumque tenet fe
Corpus, eà vacuum nequaquam conftat inane,
Suut igitur folida , ac fine inani corpora prima,
Praeterea quoniam genitis in rébus inane eft,
Materiem circdm folidam conftare necefîe eft :
Nec res ulla poteft verâ ratione proban
Corpore inane fuo celare , atque intùs kabere ,
Si n o n , quod cobibet, iolidum conftare relinquas.
Id porro nihil eue poteft, nifi materiaï
Concilium, quod inane queat rerum cohibere.
Materies igitur, folido quae corpore confiât,
Eue alterna poteft, cùm caetera diiïblvantur,
Tum porro fi nil effet, quod inane vacaret,
Onuie
L I V R E
I.
49
Mais puifque la Philofophie ou plutôt la Na.tnre elle-même nous mené à cette vérité , apprenez en peu de mots que les principes de la matière , les élémens du grand tout font folides &
jéternels.
D'abord comme le corps & f efpace font entièrement oppofés par leur nature, il eft néceffaire qu'ils cxiftcnt l'un & l'autre purs & fans
mélange ; il n'y a donc point de matière ou.
s'étend l'elpace , ni de vuide dans le lieu qu'occupe la matière. Les élémens des corps ne renferment donc pas de vuide dans leur tiflu, c'eftà-dire qu'ils font parfaitement folides.
Comment les compofés pourraient - ils être
mêlés de vuides, fi ces vuides n'étaient environnés de parties folides ? Ne ferait-ce pas une
contradiction de fuppofer du vuide dans les
'corps, & de refufér la folidité aux cloifonsqui
environnent les vuides ? Or ces cloifons que
] font-elles , finon I'afTemblage des élémens de
(T la matière ? Ainfi tandis que les compofés fe
détruifent, les élémens , en vertu de leur folidité, fubfiftent éternellement.
En troifieme lieu s'il n'y avait pas de vuide y
Tome I.
C
r'
i
à
50
L U C R E C E
Omae foret folidum ; nid contra corpora cxca
Eifent, quae loca complerent, quaccunque tenerent,
O.-'.ne quodeflfpatium, vacuum conftaret inane»
Alternis igitur nimirum corpus inani
Diftinfti'in eft ; quoniam nec plénum naviter
exiar,
Nec porro vacuum : funt ergo corpora cxca. ,
Q u ^ f^-atium pleno poffint diftinguere inane.
Hxc neque diiîblvi plagis extrinfecus i&a
Pofïunt : nec porro penitus penetrata retexi :
Nec ratione queunt aliâ tentata labare :
Id quod jam fuperà tibi paulo oftendimus antè.
N a m neque conlidi mie inani pofTe v'idetur
Quidquam, necfrangi, necfindiinbinafecando,
Nec capere liumorem , neque item manabile fri-
g us >
Nec penetralem ignem ,'. quibus omnia confîciuntur.
Et quàm quasque magis cohibet res intùs inane ,
Tam magis his rébus penitus tentata labafeit.
Ergo , fi folida, ac fine inani corpora prima
Sunt, ita uti docui, fuit hase asterna necefTe elL
Praeterea , nifl materies seterna fuifTet,
Antehac ad nihilum penitus resquaequeredifTent,
De nihiloque renata forent quaecunque videnaus.
At quoniam fuperà docui 3 nil pofTe creari
L 1 V R E
L
51
( ce grand tout ferait un folide parfait ; & au
contraire s'il n'cxiftait pas des corpufculcs qui
remplirent exactement le lieu qu'ils occupent,
l'univers ne ferait qu'un vuide immenfe. Le
corps Se l'cfpace font donc rcfpectivement difl tin ers , puifqu'il n'exifte ni plein ni vuide par< fait. Or ce font les élémens de la matière, qui
par leur folidité forment cette diftindtion.
ï
h
|
'
;
.
•.
La furface de ces corps premiers ne peut être
endommagée par le choc , ni leur tiflu par la *
pénétration. Nulle action étrangère ne peut les
altérer, comme je vous l'ai enfeigné. En effet
on ne conçoit pas que fans vuide un corps puilfc
erre brifé, décompofé , ou même Amplement
divifé. Il cft inacceffible à l'humidité , au froid,
& à la chaleur , qui font les agens ordinaires
de ia delrruction. Auffi remarquons - nous que
les corps font d'autant plus en prife à ces cauies
de dépériflement, qu'ils renferment plus de vuide
dans leur tinu. A in fi, de la fohdicé des élémens,
foit néceuairement leur éternité.
S'ils n'étaient éternels, le monde ferait déjà
. plus d'une fois tombé dans le néant, & en ferait
. plus d'une fois reflbrti. Mais comme je vous ai
enfeigné que le néant ne produit & n'engloutit
Cij
5i '
LUCRECE
De nihilo , neque quod g^nitum eft , ad nil revocan 5
Effe immortali primo-rdia corpore debent,
Diflblvi quo quseque fuprcmo tcmpore poflint, '
Materies ut fuppeditet rébus reparandis.
Sunt igitur folidâ primordia fimplicitate :
Nec ratione queunt aliâ fervata per xvum
Ex infînko jam tempore res reparare.
/
Denique , fi nullam fine m Natura paralîet
Trangendis rébus ; jam corpora maceriaï
Ufque reda&a forent, aevo frangente priore,
Ut nihil ex tUis à certo tempore poflet
Conceptum, fummum xu:is pervadere florem.
Nam quidvis citivis difiblvi poffe videmus,
Quàm rurfus refici ; quapropter longa diei
Infinitx aetas antea&i temporis omnis
Quod frégiiTet adhuc, difturbans diflblvenfque,
Id nunquam rcliquo reparari tempore pofTet.
At nunc nimirum frangendi reddita finis
jCerta manet : quoniam refici rem quamque videmus ,
Et fînita fimul generatim tempora rébus
$ tare , quibus poffint aevi contingere florem.
Hue accedit uti, folidiffima materiaï
Corpora cùm confiant, poflinttamen omnia reddi
Mollia, qux fiant a«r, aqua, terra, vapores,
LIVRE
I.
5Î
point les êtres ; il eft néce(Taire que les élémens
foient éternels, étant le ternie de toute diiïblutioa 9c le principe de toute reproduction. Us
. font donc (impies & folides, fans quoi ils n'auraient pu fe coiiferver pendant tant de ficelés,
bien loin de fournir de toute éternité à la renaiffance des êtres.
Enfin fi la Nature n'avait preferit des borne»
à la divifibiliré de la matière : les élémens du
grand tout, minés par la révolution de tant de
ficelés écoulés, feraient réduits à un tel degré
d'épuifcmcnt, que les corps réfultans de leur
union ne pourraient parvenir à la maturité. La
diflblution des corps étant plus prompte que leur
reproduction, fes pertes que lesfieclesprécédons
leur auraient fait fubir,ne pourraient être réparée*
par les tems qui fuivraient. Mais comme dans la
nature nous voyons conilamment les réparations
; proportionnéesaui pertes, & tous les êtres arriver
dans des tems fixes à leur degré <le perfection ;
- il faut en conclure que ia divisibilité de la ma*
tierc a des limites invariables & nécefiaires.
!
Malgré cette folidité des élémens , comme
tous les corps font mêlés de vuide, il n'y en a
pas un qui ne puiHe s'amollir, & prendre la
x
ii.
Ciij
54
LUCRECE
Quo paclo fiant, & quâ vi cumque gcnantur ;
Admiflum quoniam fïmul efl in rébus inane.
At contra, fimoJlia fint primordia rerum ,
Unde queant validi filices, ferrumque creari ,
Non poterit ratio reddi : nam funditùs omnis
Principio fundamenti Natura carebit.
Sunt igitur folidâ pollentia fimplicitaee,
Quorum condenfo magis omnia conciliatu
Ar&ari pofTunt, validafque oflendere vires.
Denique jam quoniam generatim reddita finis
Crefcendi rébus confiât : vitamque tuendi
Et quid quaeque queant per foedera Naturaï ,
Quidporro nequeant, fancitum quandoquidcm
exflat :
Mec commutaturquidquam ; quinomnia confiant
Ufque adeo, varias volucres ut in ordine cundlac
Oiterudanf :maculas générales corpori inefTe ;
ïmmutaHile materia: quoque corpus habere
Debent nimirum. r^am fi primordia rerum *
Commutari aliquâ pofTent ratione revicia ,
Jncertum quoque jam conflet, quid pofïit oriri „
Quid nequeat j finira poteflas denique cuique
Quânam fît ratione, atque altè terminus hxrens >
Nec tories pofTent generatim fascla referre
Na*uram 3 motus > victum, morefque parentum.
Tum porro, quoniam extremum cujufque cacumcu
w
L l F R E
L
,5
sature de l'eau, de l'air, de la terre , & du
feu. Au contraire, avec des principes mous , il
'*. ferait tmpo&ble d'expliquer la formation des
cailloux & du fer. La Nature n'aurait plus de
\ bafe folide dans fes ouvrages. Les l'iémens de
fi la matière font doncfimples& fohdcs ; &: ceft
.. leur union plus ou moins étroite qui donne aux
v corps leur dureté & leur réiùlance.
j£
\
l
?i
'-'
Enfin 2aNature a prefcrtt des bornes à laccroi/Tement & à la durée des corps. Elle a réglé
la mefure de leur pouvoir. Les efpeces ne changent jamais; les générations fe fuivent fans altération ; les différentes claûes d oifeaux ont confcamment certaines taches affectées à leur efpcce
«jui la caraftérifent. Pourquoi les élémens ne fesaient-ils pas immuables comme les efpeces ? Si
une force étrangère peut en triompher, on n'entend plus rien à la marche de la Nature. On ne
feait ce qui peut ou ne peut point être produit,
oomment la puinance des êtres - eft bornée par
leur,nature même, ni pourquoi les fîecles ramènent les mêmes tempéraroens, les mêmes mouvemens, la même manière de vivre & les mêmes
raceurs dans les générations différentes.
? - l a un mot l'extrémité d'un atome, étant un
Civ
ij.
5*
LUCRECE
Corporis eft aliquod, noftri quod cernere fenfus
Jam nequeunt ; id nimirum fine partibus exftat ,
Et minimâ confiât naturâ : nec fuit unquam
Per fe fecretum, neque pofthac eflê vàlebit :
Alterius quoniam eft ipfum pars, primaque, &
ima :
Inde alise atque alise finales ex ordine partes,
Agmine condenfo naturam corporis expient.
Quae quoniam per fe nequeunt conftare, necefTe eft
Haerere, ut nequeant ullà ratione revelli.
Sunt igitur folidâ primordiafimplicitate:
Quae minimis ftipata cohacrent partibus arclè,.
Non ex ullorum conTentu conciliata-,
Sed magis aeternâ pollentiafimplicitate:
Unde neque avelli quidquam, neque deminui jam»
Concedit Natura referv-ans femina. rébus.
Praeterea nifi erit minimum, paTviflimaquaequc
Corpora conftabunt ex partibus infînitis.
Quippe ubi dimidiae partis pars femper habebit
Bimidiam partem, ne: res perfiniet ulla.
Ergo remm inter fummam , minimamque quid
efeit ?
Non erit ut diftent : nam quamvis funditùs omnis
Summafitinfinita > tamen parvifïima quae £\int*~
Ex infînitis conftabunt partibus aequè.
Quoi quoniam ratio réclamât vera, negatque
L I F R E
!.
'•
y
I.
57
point déliée* qui échappe aux fens , doit être
dépourvu de parties. C'eft le plus petit corps de
la nature , ou plutôt ce n'eft pas un corps,
puifqu'il n'a jamais exifté & n'exiftera jamais
ifolé. Ce n'eft qu'une partie extrême, qui, jointe
à d'autres parties de même nature, forme la
ma/Te de l'atome. Si donc les éléraens de l'atome
ne peuvent exifter à part, il faut que leur union
foit fi intime, qu'aucune force ne les puiiTe réparer. Aimi les éléraens de la matière font (impies & folides, étant compofés de parties infiniment déliées, dont 1 union eft le fruit, non pas
d'un aflemblage hétérogène, mais de l'éternelle
{implicite des atomes. Ainfi la Nature, voulant
eu faire la bafe de les ouvrages, n'a pas permis
qu'aucune partie pût fe détacher ou s'échapper
de ces corps fi efTentiels à fes vues.
D'ailleurs fi vous n'admettez dans la nature
un dernier terme de divifion, les plus petits corps
feront compofés d'une infinité de parties, puifqu'il y aura un progrès de moitiés divifibfcs ea
d'autres moitiés, jufqu'à l'infini. Quelb différence y aurarjt:jil donc entre la niafTe la plus
énorme & le plus petit corps : Quand vous fuppoferiez d'un coté le grand tout, l'atome imperceptible ne lui cède en rien, étant lui-même
çompofç d'une infinité de parties. Mais connuCv
5$
LUCRECE
Credere pofTe animum, yi&us fateare necefTe eflv
EfTe ea quas nullis jam prédira partibus exftent,
Et minimâ confient naturâ : quae quoniam funt'^.
Illa quoque effe tibi, folida atque alterna faten.dum.
Denique ni minimas in partes cun&a refolvi
Cogère confuê/Tet rerum Natura creatrix ;
Jam nihil ex illis eadem reparare valeret :
Propterea quia, quse multis funt partibus aucla ^
Non pofTunt ea, quae débet genitalis habere
Materies, varios connexus, pondéra, p k g a s ,
Concurfus, motus, per quae res quaeque g^rucn»
tur.
Porro, fi nulla eft frangendis reddita finis
Corporibus, tamen ex aeterno tempore quaxLirs*
Nunc etiam fuperare necefTe eft corpora rébus x
QJCE nondum clueant ullo tentata periclo.
At quoniam fragili naturâ praedita confiant 0.
Difcrepat acternum tempus potuifïe mancre,
Lmurcerabilibus piagis vexata per aevum.
Quapropter qui materiem rerum e(k putarunr
Ignem, atque ex igni fummam confîftere Cvlo y
Magnopere à verâ lapii ratione videntur.
Heraclitus init quorum dux praelia primas ,
Clariis ob obfcuram-lingaam, magis inter inantS"-
•I
•
1 I V RE
I.
s,
, la raifon fe récrie contre une conféqucncc aufU
,?' infcnfée, vous êtes force de reconnaître des ccrpufcules fimplcs, qui foicnt les derniers termes
de la divifion, & cet aveu vous conduit à celui
de leur fohdité & de leur éternité.
*• £nfm fi la Nature en détruifant les êtres ne les
réduifait en leurs parties extrêmes, ces débris
ne pourraient lui feivir à former d'autres corps ;
car étant encore fufceptibles de divifion, ils
n'auraient pas la forte de liens, de pefanteur,
de choc, de rencontres & de mouvemens, qui
convient à la matière générante, & fans laquelle
I il ne peut y avoir de compofition.
>'
Mais fuppofons que la divifibilité des élcmens
n'ait pas de bornes : au moins vous ne pouvez
* nier qu'il n'exifte de toute éternité des corps qui
n'ont jamais reçu d'atteinte. Mais s'ils font fragiles de leur nature, comment ont-ils pu réfif• ter aux aifauts continuels que les ficelés leur ont
Ivres?
»
Ainfi ceur qni ont regardé le feu comme fe
. feul élément de cet univers étaient bien éloignés
J
v
( des principes de la raifon: A là tête de ces Philosophes marche Heraclite , à qui un langage obf« u attira 1* vénération, des hommes fupcrfktel**
C vj
60
LUCRECE
Quarade graves inter Graïos, qui vera requinmt.
O M N I A enim ftolidi magis admirantur amantque,
Invertis qus fub verbis latitantia cernunt :
Vcraque conftituunt, qux belle tangere pofïunt
Aures, & lepido quae funt fucata fonore.
Nam cur tam varia: res porfent efTe, requiro»
Ex vero fi funt igni puroque creatse.
Nil prodeflet enim calidum denfarier ignem ,'
Nec rarefieri 5 fi partes ignis eandem
Naturam, quam totushabet fuper ignis, baberentAcrior ardor enim condu&is partibus effet,
Languidior porro disjectis, difque fupatis.
Amplius hoc fieri nihil eft quod pofTe reaiis y
Talibus in caufis : nedum variantia reruni
Tanta queat denfîs rarifque ex ignibus eiTc.
Atque hi fi faciant admiftum rébus inrme ,
Denfari poterunt ignés, rarique reJinqui :
Sed, quia multa fibi cernunt contraria , muffant,
Et fugitant in rébus inane relinquere purum, &
Ardua dum metuunt, amittunt vera viaï :
Nec rurfum cernunt, exempto rébus inani,
Omnia denfari, fierique ex omnibus unum
Corpus , nil ab fe quod poffit mittere raptim,
iEftifer ignis uti lumen jacit, atque vaporem ;
Vc videas non è ftipatis partibus eflç„
1 1 V R S
L
6*i
nais non pas de ces fages Grecs accoutumés à
réfléchir. Car LA STUPIDITé n'admire que les
opinions cachées fous des termes myftérieux.
Une harmonie agréable & un coloris brillant
font pour elle le fceau de la vérité.
Je demande donc à Heraclite comment le feu
feul, avec les propriétés que nous lui connaiffons , peut avoir produit cette variété de corps
qui frappent nos yeux ? Condenfez ou raréfiez
le feu tant que vous voudrez, fi les parties ont
. la même nature que le tout, vous n'en obtiendrez
qu'une chaleur plus con/idérablc en rapprochant
les élémens, ou moins fenfîble en les éloignant j
bien loin de former tant de corps divers par la
; condenfation ou la raréfaction du feu.
1
Encore fi ces Philofophes reconnaiffaient le
vuide, on leur accorderait la condenfation &
la raréfaction du feu. Mais comme ce principe
heurte de front leur fyftcme & les conduit à des
contrariétés, ils n'ofent l'admettre, & ils s'écartent du vrai chemin par les difficultés qu'ils y
rencontrent. Ils ne voient pas qu'en bannifTant
le vuide de la nature, tous les corps n'en forment
plus qu'un , dont les parties fortement condens e s , ne peuvent s'échapper comme la lumière Se
la chaleur, qui en s'élançant du feu, détruifent évi*
dominent le fyftême de la Omdcnfation abfolue.
6i
LUCRECE
Quod fi forte ullâ credunt ratione potefle
Ignés in cœtu ftingui, mutareque corpus ,
Scilicec ex ullâ facere id fi parce reparcent f
Occidet ad nihilum nimirum funditùs ardor
Omnis, & ex nihilo fient qusecunque creantur.
Nam quodcunque fuis mutatum finibus exit,
Continua hoc mors eft illius, quod'ïuit antè :
Proinde aliquid fuperare necefTe eft incolume ollis,
Ne tibi res redeant ad nilum funditùs omnes,
Be nihiloquc renata vircfcat copia rerum.
Nunc igitur,quoniam certiffima corpora qusedara
Sunt, quae confervant naturam fcmper eandem ,
Quorum aditu, aut abicu, mucatoque ordine a
mucant
Naturam res, & convertunt corpora fefe :
Scire licet non elfe hxc ignea corpora rerum.
Nil refFerret enim quaedam decedere, abire ,
Àtque alia attribui, mutarique ordine quidam ,
Si tamen ardoris naturam cunda tenercnr.
Ignis enim foret omnimodis, quodcunque créarent.
Yerûm, ut opinor, ira:eft ;fiint quaidam corpora , quorum
Concurfus, motus, ordo , pofîtura, figuras,
EfEciunt ignés, mucatoque ordine y mucant
Y
ft
*
t
t?
D'un atm* coté s'obftiner à foatenir que les
parties du feu s'éteignent & changent de nature
en fe reuniflaat, c'eft anéantir vifiblcnicnt le
feu élémentaire, & par conféquent faire fortir
les corps du néant ; puiiqu'un être ne peut franshir les bornes de fon cfience par voie de tranfmutation, fans céder d'être ce qu'il était auparaTant. Il faut donc conlerver aux clcmens
du feu leur nature , (ans quoi tous les corps
auront été anéantis» & ce grand tout fera le
produit du néant.
Puis donc qu'il exifte dans la nature des corpufculcs donc TciTence eft immuable, dont l'augmentation , la diminution & les différentes corabinaifons font changer d'e/Tence aux corps ; on
peut en conclure que ces corpufcules ne font pas
le feu. Qu'importerait d'y ajouter, d'en retrancher > ou d'en changer l'ordre, puifqu'ils n'en
conferveraient pas moins leur brûlante nature»
9L ne pourraient engendrer que du feu >.
Voici donc comment on doit concevoir la formation des êtres. Il exifte des corps qui par leur»
sencontres, leurs mouveraens, leur ordre & leur
fituation forment le feu, ou en changent la
noire en changeant eux-mêmes de combinai-
*4
LUCRECE
Naturam : neque funt igni fimulata, nequc ullx
Praeterea rci, quae corpora mittere poflit
Senfibus , & noftros adje&u tangere tactus.
Diccrc porro igncm rcs omncs cfTc, nequc
u 11 ara
Rem verarn in numéro rerum conftare,nifi ignem,
( Quod facit hic idem ) perdelirum efle videtur.
Nam contra fenfus ab fenfibus ipfe répugnât,
Et labefaclat eos, unde omnia crédita pendent,
Undehic cognitus eftipfi, quem nominat igncm.
Crédit enim fenfus ignem cognofccre verè 5
Cxtera non crédit, nihilo qux clara minus funt :
Quodmihicdmvanum, tum dclirum elfe videtur.
Quo referemus enim ? quid nobis certius ipîîs
Senfibus elfe poteft, quo ycra ac falfa noteinus ?
Praeterea, quare quifquam magis omnia tollat,
Et velit ardoris naturam Jinquere folam ,
Quam neget effe ignis, fummam tamen effc relinquat ?
iEqua videtur enim dementia dicere utrumque.
Quapropter qui matericm rerum efle putârunt
Ignem, atque ex igni fummam confiftere pofle :
Et qui principium gignundis aëra rébus
yX I r R E I.
5
6)
fous. Cet élémens ne tiennent ni de la nature
du feu, ni de celle d'aucun des corps dont les
émanations frappent les fens & affectent nos
organes,
v
Dire avec Heraclite que le feu eu tout, que
le feu feul mérite le nom de corps, me paraît le
comble de la folie* C'cft combattre les fens par
y les fens mêmes. Ccft ébranler ces inébranla] blcs fonderoens de la certitude, à la faveur desquels il a connu lui-même ce feu dont il abufe.
î Pourquoi ajoute-1-il foi au témoignage des fens
quand il s'agit du feu, s'il le réeufe pour les autres corps aufn fcnfïbles ? Dans quelle foui ce
faut-il donc puifer la vérité ? Qui , mieux que
les fens, n#us fait diftinguer le vrai du faux î
D'ailleurs pourquoi recc anaître l'exigence du
feu au préjudice de celle des aut.es corps, plutôt
;quc l'exiftence des autres corps au préjudice de
le du feu ? Je ne vois pas qu'il y ait plus d'abUTurdité dans la féconde de ces excluions, que
[dans la première.
C'eft donc s'écarter de la vérité que de donner
fie feu pour principe du grand tout. Portons le même jugement des Philofophes qui ont regardé l'air
GG
LUCRECE
Conftituérc : aut humorem quicunque putârunt
Fingere res ipfum per fe : terramve creare
Omnia, &c in rerum naturas vercier omnes :
Magnopere à vero longèque errâfle videnmr.
Adde etiam, qui conduplicant primordia rerum »
Acra jungeates i g n i , terramque liquori :
Et qui quatuor ex rébus pofTe omnia rentur,
Ex igni, t e r r a , atque anima procrcfcere , ôC
imbri.
Quorum Acragantinus cumprimis Empcdoclc*
eft,
Infula quem triquetris terrarum geffit in oris,
Quam fluitans circùm magnis amfra&ibiis xquo*
Ionium, glaucis afpergtt virus ab undis :
Anguftoque fréta rapidum mare dividit undis
Italiae terrai oras à flnibus ejus.
Hîc eft vafta Charybdis, & hic JEtnxz minantuf
Murmura fiamraaruni rurfum fe colligere iras ,
Faucibus cruptos iterum ut vis evomat ignes,
Ad ccelumque ferar flammaï fulgura rurfum.
Quae ciim magna, modis mubis miranda videtut
Gentibas humanis regio, vifendaque fertur ,
Rébus opima bonis , multâ munira virûm vi ;
Nil tamen hoc habuifTe viro praeclanus in fe ,
Necfanc~tummagis, «3c mirum, cammque videtur*
Carmina quin etiam divini pectoris ejus
Vociferantur, & exponunt praeclara reperta :
11 r R M L
é7
îélément de la nature, de ceux qui ont
^cra que l'eau était la fource des êtres , de ceux
qui ont enfeigné que la terre peut prendre la
rme & la nature de tous les corps. Mettez
[Nencore dans la même claflc ceux qui doublent
lies élémens, joignant l'air au feu, & l'eau à la
{«terre, & ceux enfin qui/les prennent tous les
' quatre , perfuadés que la terre , l'eau, l'air 8c
le feu réunis peuvent produire tous les êtres.
A la tête de ces derniers eft Empedocles d'AJgrigente, né fur les bords triangulaires de certe
fameufe que l'azur des flors Ioniens baigne
en ferpentant, &fëparede l'Italie par un canal
:étroit & rapide. Là mugit l'implacable Charybde;
là bouillonnant au fond de Tes abymes, l'£tna
! donne le lignai d'une nouvelle guerre, menace
de vomir un nouveau déluge de flammes , 8c
de lancer encore au ciel les éclairs de fa bouche. Certe région féconde en prodiges, digne à
is de la curiofité des voyag.-urs Se de l'admiration du genre humain, ce féjour enrichi de tous
Us biens , défendu par un rempart de héros ,
n'a pourtant rien produit de plus cftimable, de
plus étonnant, de plus grand qu'Empedocles.
Les vers qu'enfanta (on génie divin font retentir encore aujourd'hui l'univers de fes fublimes.
découvertes, & laiiTcnt en doute la poftérité s'il
6%
LUCRECE
Ut vix humanâ v-ideaturftirpecreatus".
Hic tamen , & fuperà quos diximusy infcriorcs
Partibus egregiè multis , multoque minores ;
Quanquam mufca bene ac divinitds inveaientes,
Ex adyto tanquam cordis, refponfa dedêre
San&iùs, & multô certâ ratione magis, quàm
Pythia, quaetripodeexPhœbi, lauroque profatur j
Principiis tamen in rexum fecére rainas ,
Et graviter magni magno cecidêre ibi cafu.
Primùm, quod motus, exempto rébus inani,
Conftituunt, & res molles rarafque reliuquunt,
Aéra, folem, ignem , terras, animalia, triages ;
Nec tamen ad mi (cent in corum corpus inane.
Deinde quod omnino fînem non effe fecandis
Corporibus faciunt, neque paufamftarefragori,
Nec prorfum in rébus minimum coniîftere quidquam ;
Ciim videamus id extremum cuj.ufque cacumen
EfTe, quod ad fcnfusnoitros minimum eue vide*
tur i
Conjicere ut poffis, ex hoc quod cernerenon quis
Extremum quod habent, minimum confîftere rébus.
Hue accedit item, quod jam primordia rerum
L I F R E I.
69
ït «ne origine mortelle. Cependant ce fameux
Se d'aoûts beaucoup moins illuftres que lui,
oracles plus (urs & plus refpcâables'que la Sirlle couronnée de lauriers, fur le trépied d'À>ny après avoir étonné le monde par la grande leurs découvertes ont erré dans l'cxplicaIon des principes de la matière, écucil fatal pu
génie fit un naufrage mémorable.
D'abord ils fuppofcnt le mouvement en rejetit le vuide ; ils reconnaiflent des corps mous
rares , tels que l'air, le foie il, le feu, la terre,
animaux , les végétaux, fans mcler de vuide
leur ri/Tu.
Enfuite ils ne bornent point la divisibilité de
matière, ni la fection des corps, & ne recon»
iflênt pas dans la nature de parties extrêmes*
)r û l'extrémité des corps nous paraît leur
rnier terme de divifion , l'extrémité de cette
rémité , que nous ne pouvons appercevoir ,
doit-elle pas être regardée comme le dernier
dç divifion de la Nature >
L'Ajoutez que ks principes qu'il* donnent à la
.
i
7o
LUCRECE
Mollia confKtuunt, quse nos nativa videmus
EiTe, & mortali cum corpore funditils ; atqui
Debeat ad nikrlum jam rerum fumma reverci,
De nihiloque rcnata virefccre copia rerum :
Quorum utrumque quid à vero jam diftet, habebas.
Deinde inimica modis muîcis fant, atquc vcnena
Ipfa libi inter Te ; quare aut congre/Ta pcribunt,
Aut ita difrugicnt, u t , tempeftate coortâ ,
Tulmina dirrugere atque imbres ventofque videmus.
Denique quatuor ex rébus fi cuncta crcantur,
Atquc in eas rurfum res omnia difTolvuntur,
Qui magis îlla queunt rerum primordia dici,
Quàm contra res iilorum, rctroquc putari ?
Alterms gignuntur enim, mutantque colorem,
Et totam inter fc naturam, temporc ab omni.
Sin ita forte putas , ignis, terrxque coire
Corpus, & aenas auras, roremque liquorum,
Nil in concilio naturam ut mutet eorum :
Nulla' tibi ex illis poterit res e(Te creata,
Non animans, non cxanimo quid corppre, ut arbos 5
Quippe fuam quidque in cœtu variantis acervi
II
V R E I.
71
matière font des corps mous, donc la nature
cft de naître & de périr. Ainfî ce grand tout
aurait déjà été anéanti & retiré de l'abymc du
néant, deux erreurs que nous avons folidement
réfutées.
D'ailleurs ces élémens font ennemis & fe détruifent les uns & les autres. Ainlî en fe choquant ils s'anéantiraient , ou fe diftîperaicnt ,
comme la foudre , les vents & la pluie poulies
par un orage impétueux.
Enfin Ci les quatre élémens Cont le centre de
Ja formation 6c de la diiîolution des etres ,
quelle raifon avez-vous de les donner pour principes des corps , plutôt que de leur donner les
corps mêmes pour principes ? Ne s'engendrentils pas tour-à tour ? Ne changent-Us pas tourà-tour de nature, de forme, 6c d'e^enec ? '
• Si TOUS prétendez au contraire que le feu ;
l'eau, la terre & l'air fe réunifient fans chan\ ger de nature , il n'en pourra réfulccr aucun
* être, foit animé , foie végéunt. Vous n'aurez
U qu'un mélange confus d'air, d'eau, de terre 6c
\ 4e feu, fubftances incompatibles qui déploycrons
à
7
i
LUCRECE
Naturam oftendet, miftufque videbitur aër
Cum terra fîmul, atque ardor cum rore manere :
At primordia gignundis in rébus oportet
Naturam clandeftinam , cxcamque adhibere 5
Emineat ne quid, quod contra pugnct, & obftet
Quo minus elle queat propiïè, quodcunque créa'
tur.
Quin etiam repetunt à ccelo, atque ignibus
ejus,
Et priraùm fatiunt ignem fe vertere in auras
Ae'ris : hinc imbrem gigni : terramque creari
Ex imbri : retroquc à terra cuncta reverti,
Humorem primdm, poft aê'ra 3 deinde calorem :
Nec cerTare hase inter fe mutare, meare
De ccelo ad terram , de terra ad fïdera mundi :
Quod facere haud ullo debent primordia pa<5to.
Immutabile enim quiddam fuperare nece/Te eft j
Ne res ad nihilum redigantur fiindiciis omnes.
Nam quodcunque fuis mutatum finibus exit,
Continua hoc mors eft illius , quod fuit antè.
Quapropter, quoniam, quaspaulodiximus antç
In coirjmutatum veniunt, conftare neceffe eft
Ex aliis ea, quae nequeant conyertier unquam ;
Ne tibi res redeant ad nilum funditùs omnes.
Quin potiùs tali naturà praedita quaedam
Corpora conftituass ignem (i forte crearint ,\
Poife
L I r R E I.
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:
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>
75
chacune en particulier leurs proprietéi. Or il effc
néceflaire <juc les principes agirent d'une m a niere (êcrette 8c invifible, de peur que leur n a cure dominant trop, n'empêche les corps qui en
font formés d'avoir un cara&ere propre & fpéci(que.
Mais fuirons la marche de leur fyfrême. Le
premier é l é m e n t , félon eux , eft le feu qui prend
fa fource au ciel & fe change en air. De l'air
cil formée l'eau qui s'épailïït & devient terre.
D e la terre naifTent en rétrogradant les autres
élémens 5 l'eau d'abord, enfuite l'air & le feu.
Cette chaîne de métamorphofes n'efr jamais interrompue; 8c les élémens ne cefTcnt de v o y a ger du ciel à la terre, 8c de la terre au ciel.
O r ces changemens de formes font i n c o m patibles avec la nature des principes. Le fonds
doit en être immuable, fi on n'aime mieux précipiter l'univers dans le néant ; puilqu'un corps
n e peut franchir les bornes de fon ctfence fans
ce/Ter aufG-tôt d'être ce qu'il était. Ainfi vos quatre élémens fubiffant, comme nous venons de le
d i r e , des métamorphofes continuelles , il faut
qu'ils foient eux-mêmes compofés d'autres élémens immuables, ou que le monde tombe anéanti. Reconnai/Tez donc plutôt des corps tels ,
qu'après avoir formé le f e u , en augmentant 8c
Tome I.
+m
D
74
LUCRECE
Poire eadern demptis pauçis, paucifquc tribu*
tis,
.Ordine mutato, & motu, facere a'exis auras : .
Sic alias aliis rébus mutarier omnes.
At manifefta palam res indicat, inquis, iû
auras
Aëris è terra res omnes crefcere, alique ;
Et nifi tempeftas indulget tempore faufto,
Imbribus , & tabe nimborum arbufta vacillant ,
Solque fuâ pro parte fovet, tribuitque calorem :
Crefcere non pofîunt fruges, arbufta, animantes.
Scilicet & nifi nos cibus aridus, & tener humor,
Adjuvet j amifîo jam corpore, vitaquoque omnis
Omnibus è nervis atque oiîibus exfolvatur.
Adjutamur enim dubio procul , atque alimur
nos
Certis ab rébus, certis alix atque alia: res ;
Nimirum quia multa modis communia multis
Multarum rerum in rébus primordia mifta
Sunt : ideo variis varias res rébus aluntur.
Atque eadem magni refer: primordia faspe
Cum quibus, & quali pofiturâ contineantur :
Et quos inter fe dent motus , accipiantque.
Namque eadem cœlum, mare, terras, flumina,"
ibiem
i
LIVRE
I.
75
diminuant leur nombre , en changeant leur
fîtuation on leur mouvement, de cette nouvelle
.combinaifon puifle naître le fluide de l'air ou
toute autre fubftance.
Mais il cft évident, dites-vous , que tous les
; corps naiilent de la terre , fe nourrifTcnt de fes
Tues, & que, G. la faifon ne communique à l'air
une température favorable, f\ la cime des arbres
ji'eft mollement agitée par des pluies rafraîchiffantes, û le foleil à fon tour n'échauffe de fes
feux les productions de la terre 5 ni les grains,
ni les arbres , ni les animaux ne peuvent croître
& fe fortifier. J'en conviens ; & nous-mêmes, û
une nourriture folide détrempée dans une boiffon falutaire ne nous foutient, ncs membres
s'é^uifent bientôt, & le fentiment s'éteint dans
tous les reflbres de la machine. Il faut à l'homme*
aiali qu'à tous les autres corps , des alimens
propres à fe nourrir j & fi dans cet univers la
moitié des êtres vit aux dépens de l'autre, c'eft
que chacun renferme en foi des principes corn*
muns à plusieurs. Il importe donc de confidérer
non-feulement la nature des élémens , mais
encore leur mélange , leur iituation , & leurs
roouvenjcns réciproques : car les principes à
l'aide dcfqucls ont été conftruitsle ciel, la mer,
la terre, lesfleuves& le foleil, font les mêmes
Dij
76
LUCRECE
Confticuunt : eadem frugcs, arbufta, animantes:
Verum aliis, alioquc modo commifta moventur.
Quin etiam paflim, noftris in verfîbus ipfîs ,
Multa elementa vides multis communia verbis :
Cùm tamen inter fç verfus, ac vcrba neceflc
eft
Confîteare & re, & fonitu diftare fonanti.
Tantùm elementa queunt permutato ordine fclo.
At rerum quae funt primordia, plura adhibere
Poiîunt, unde queant vari$ res quaeque creari,
Nunc & Anaxagorae fcrutemur Homœomeriam,
Quam Grxci memorant, nec noftrâ dicere linguâ
Concedit nobis patrii fermonis egeftas :
Se J tamen ipfam rem facile eft exponere verbis à
Principium rerum quam dicit Homœomeriam,
jOiîa videlicet è pauxiljis atque minutis
Ofîibu , fie $t de pauxillis atque minutis
Yifceribus vjfcus gignij fanguenque creari
Sancuinis inter fe multis coeumibu* çuttis ;
Ex aurique putat micis confïftere poiTe
Aurum, & de terris terram concrerçere parvis :
ïenibus ex ignem, humorem ex*huincribus efTe j
Catera coniimiii fingit ratione, putatque.
J
L I V RE
I.
77
£ ^ut mêlés avecd'autres & diverfcment arrangés,
pont formé les grains , les arbres & les animaux.
^Ne remarquez-vous pas dans ces vers que vous
rïtifez les mêmes lettres communes à plusieurs
•mots ? Cependant les vers 6c les mots différent
beaucoup, foie par les idées qu'ils préfentent,
(bit par le fon qu'ils font entendre. Telle eft la
.'différence que met entre les corps l'arrangement
fetil des éJémens. Mais les principes de la matière ont encore mille autres circonftances qui
doivent jetter une variété infinie dans les réful- *
tats.
<. Approfondirons maintenant Vffomaomerie d'A*
naxagore : c'eft le nom que lui donnent les Grecs :
9c la difette de notre langue ne nous en fournit
-. point. Mais il eft facile de donner une idée claire
«le fon fyftême, de ce principe de la nature qu'il
appelle Homctomcric. Les os , fuivant lui , font
vformés d'un certain nombre de petits'os, les vifres d'un certain nombre de petits vifeeres :
lufieurs gouttes de fang réunies donnent naifnce au fluide qui coule dans nos veines. Pilleurs molécules d'or compofent ce méral pr<fieux ; le feu 6c l'eau nailfent de partielles
feu & d'eau ; & tous les corps en ua mot
l'affemblage d'élcmçns fimilaires.
Diij
7S
LUCRECE
* Nec tamen efTe ullâ parte idem in rébus inane
Concedit, neque corporibus finem eflfe fecandis,.
Quare in urrâque mihi pariter ratione videtur
Errare , atquc illi, fuperà quos diximus antè.
Adde qnod imbecilla nimis primordia fingir^-.
Si primordia funt, fimili quae pxasdita confiant
Naturâ, atque ipfas res funt, aequèque laborant,
Et pereunt, neque ab exitio res ulla refrénât.
Nam quid in opprefîu. valido durabit eorum,
Ut mortem efïugiat, lethi fub dentibus ipfîs ?
Ignis ? an humor ? an aura? quid horum ? fanguis : an ofïa }
Nil j ut opinor , ubi ex aequo res funditùs omnifr
Tarn mortalis erit, quàm quae manifefta vidcmusEx oculis noilris aiiquâ vi vicia perire.
At neque recidere ad nihilum res pofTe , nequc
autem
Crefcere de nihilo, teftor res antè probatas.
Prsctcfea quoniam cibus auget corpus , alitque:
Scire licet, nobis venas , & fanguen , & ofiTa-,
Et nervos alienigenis ex partibus efTe :
Sive cibos otnnes commifto corpore dicent
Efle , & habcrc in fe nervorum corpora parya ,
Oflaque, & omninô venas , partefque cruoris :
Piet, uti cibus omnis & aridus , & liquor ipfc,
i
11 r RE i.
19
Mais ce même Philofophe ne donne pas d'acces au vnjdt , ni de bornes à la divifibilité des
•^ corps : deux erreurs qui lui font coftimunes avec
y k$ Philofophes que nous venons de réfuter*
Ajoutez que Tes élémens font trop fragiles ;
• £ pourtant le nom d élémens convient a des
$ corpufculcs de même nature que les corps, dont
t ks re/Torts font aufli faibles & le tiiîu auffi ex£ foCé à la deflru&ion. Suppofez une attaque viaj; * lente, & dites-moi lequel de vos élémens réiif[ tera au choc, fe fou tiendra contre les aifaucs dit
j; trépas ? Sera-ce le feu ? l'air ? l'eau ? le fang ? les
| ©s ? Non fans doute, puifque tous ces corps font
JVféri/Tablcs comme ceax qui difparaifTeut »us
les jours à nos yeux. 11 ne me refte don.: qu'à
Tous renvoyer aux raifonnemens par iciquçls
j'ai prouvé que rien ne naît de rien & ne fc
féduit à rien.
?
D'ailleurs puifque les alimens accroifTjnt le
corps en le nourri/Tant , il s'enfuit néceflairement que nos veines, notre fang, nos os &
nos nerfs font formés de parties hétérogènes^
Si vous prétendez que les alimens font des
fubftances mélangées, qui contiennent en petit
des nerfs, des os, des veines, & des gouttes
de fang 5 alors ce feront nos nourritures & nos
Div
8e
LUCRECE
Ex alienigenis rébus conftare putetur 3
Oflibus, & nervis, venifque, &fanguine mifto.
Prêterea quaecunque è térrâ corpora crefcunt,
Si funt in terris, terras conftare necefTe eft,
Ex alienigenis quae terris exoriuntur.
Transfer item , totidem veibis utare licebit :
In Iignis fiflamma latet, fumufque, cinifque,
Ex alienigenis conflftant ligna necefle eft.
Linquitur hîc tenuis latitandi copia quxdam,
Id quod Anaxagoras fibi fumit : ut omnibus omnés
Res putet immiftas rébus latitare j fed illud
Àpparere unum , cujus fînt pluria mifta,
Et magis in prornptu, primâque in fronte locata :
Quod tamen à verâ longe ratione repulfum eir.
Conveniebat enim fruges quoque fa:pè minutas,
Robore cùm faxifranguntur, mittere /ïgnum
Sanguinis, autaliûm, noftro qua? corpore aiuntur :
Cùm lapidi lapidem terimus, manare cruorcm.
v Confimili ratione herbas quoque faspe decebat,
Et laticis dulces guttas, fimilique fapore
Mittere, lanigère quali funt ubera la&is :
Scilicet & glebis terrarum fxpc friatis
L I F R E
I.
81
boiiîbns elles-mêmes qui feront compofées de
parties hétérogènes.
\
' Enfui te fi tous les corps qui naiiïcnt de la
terre font renfermés en petit dans fon fein , voilà
donc la terre compoféc -d'autant de parties diverfes , quelle enfante de différentes productions.
Vous pouvez raifonn-r de même de tous les
autres compofés. Si la flamme, la fumée & la'
cendre font contenues dans le bois, les élémens
du bois font évidemment hétérogènes.
Anazagore n'a plus qu'un moyen de fe mettre
à couvert. Il en ufe Se prétend que les corps
renferment en eux les élémens de mille autres ;
mais que ceux-là feuls paraifTentà l'œil, qui répandus en plus grand nombre dans les corps 8c
placés à la furface , font par cette raifon plus
expofés à la vue. Mais cette reffourec lui ett interdite par la faine philofophie. Car il faudrait
" que les grains bioyés par la meule , laifTailent
appercevoir des traces ou de fang ou des autres
• parties de notre corps auxquelles le bled s'unit s
il faudrait que deux cailloux heurtésfillene jaillir du fang : Se que • les herbes diftillaifent un
lait auffi pur & aufli favoureux quecelui de nos
brebis. Il faudrait en divifaat les glèbes y trouver
en petit des herbes , des grains, & des arbres s
Dr
îi
LUCRE
CE
Herbarum gênera, & fruges, frondefque vidcri.
Difpemta, arque in terris latitare minute ;
Poitremo , in lignis cincrem fumumque vidcri ?
CiLn prjefracta forent, ignefque latere minutos..
Q-.-.otmn mil rleri quoniam manifefta docet rcs v
Sein; iicet non efTe in rébus res ita miftas :
Verùm femina multimodis immifta latere
Mukarum rerum in rébus communia dcbent,
At fa^pe in magnis fit montibus, inquis, ut
altis
Arboribus vicina cacumina fumma terantur
Inter fe , validis facere id cogentibus Aufnris ,
Donec fulferunt flammae, fulgore coorto :
Scilicet, & non eft lignis tamen infïtus ignis $
Verdm femina funt ardoris multa, terendo
Qux cùm confluxêre , créant incendia filvîs.
Quod fi tanta foret filvis abfcondita n'anima,
Non portent ullum tempus celarier. ignés :
Conficerent vulgo filvas , arbuftar cremaxenr,
Jamne vides igitur, paulo quod dixirrras antè
Psrmagni referre, cadem primordia faepe
Cum quibus, & quali pofîturâ. contineantur l
Et qûos inter fe dent motus, accipiantque 1
Atque eadem paulo inter fe mutata creare
Ignés è lignis ? quo pacfco verba quoqiic ip(a»
r
i
i i r k
E
i.
s
ic en bri&nt le bois, en tirer des parties " : l perceptibles-de famée, de cendre, & de fîamme. Mais comme l'expérience fê refufe à ces
phénomènes , avouons que les élémens, fans
être ainfî mélangés dans les corps , font communs à tous, de arrangés diverfement dans les
êtres divers.
l
*
Cependant, dites-vous , fur le fommet des
hautes montagnes, les arbres pouffes par un vent
impétueux , çntre-choquent Couvent leur cime »
prennent feu, Sr font briller au loin des tourbillons deflamme.J'en conviens. Mais il n'y a
pas pour cela du feu dans le bois $ feulement un
grand nombre de parties inflammables qui, raffemblées par le frottement, caufent l'incendie des
forets. Si le bois renfermait tant de flamme, fon
ardeur ne pourrait un moment fe contenir : tous
les jours elle confumerait les arbres & réduirai?
les forets en cendre.
Sentez «vous maintenant k vérité que j'étaBliflais tout-à-l'heure , qu'il eft important de
confidérer le mélange des élémens, leurs difpofitions , leurs môuvemens réciproques ; puifqu'avec un léger changement les élémens du
bois formeront le feu 5 comme les mots latins
Dvj
24
LUCRECE
Inter fe paulô mutatis funt elementis,'
Ciim ligna, atque ignés diftin&â voce notemus >
Denique jam quaecunque in rébus cernïs apertis,
Si fïeri non pofTe putas : quin materiaï
Corpora confiraili naturâ prasdita fingas ;
Hâc ratione tibi pereunt primordia rerura,
Fiet uti ri/u tremulo concufTa cachinnent,
Et lacrymis fallîs hume&ent ora, genafque.
Nunc âge 9 quod fupereft cognofee, & clariu3
audi.
Nec me animi fallit, quàm fint obfcura ; fed acri
Percuflit thyrfo laudis fpes magna meum cor 3
Et fîmul ineuflit fuavem mî in pe&us amorem
Mufarum : quo nunc inftin&us, mente vigenti
Avia Pieridum peragro loca, nullius antè
Trita folo : juvat integros accedere fontes >
Atque haurire ; juvatque novos decerpere flores,
Infignemque meo capiti petere indè coronam ,
Undc priùs nulli velârint tempora MuCx ;
Primiim, quod magnis docco de rébus, & arAis
Relligionum animos nodis exfolvere pergo :
Deinde, quod obfcurâ de re tam lucida pango
Carmina, Mufaeo contingens cunda lepore.
Id quoque enim non ab nullâ ratione videtur :
Sed veluti pueris abfinthia tetra medentes
Çum dare cojwntur, priùs oras pocula ciraim
1 I V R E I.
85
ligna & ignts, conipofés prcfque des mêmes
lettres forment cependant deux fons très-diftinds?
Enfin E vous ne pouvez expliquer les différens
phénomènes de l'univers, qu'en attribuant aux
élémens la nature des êtres qu'ils compofent, c'en
eft fait des principes de la matière. Il faudra
que vos élémens rient, comme vous, & fc bai*
gnent de larmes ameres.
Apprenez maintenant, 6 Memmius, les véxités qui me relient à vous découvrir. Je n'ignore pas qu'une nuit épaitfe en dérobe la connaiflancc. Mais l'efpérance de la gloire aiguillonne mon courage, & verfe dans mon ame la
paillon des Mufes , cet enthoufiafme divin qui
jn'élevé fur la cime du ParnaHe, dans des lieux
jufqu'alors interdits au* mortels. J'aime à puifer dans des fources inconnues ; j'aime à cueillir desfleursnouvelles & à ceindre ma tête d'une
couronne brillante, dont les Mufes n'ont encore
paré le front d'aucun Poète ; d'abord parce que
mon fujet eft grand & que j'affranchis les hommes du joug de la fupcrftition ; enfuite parce que
je répands desflotsde lumière fur les matière* les
plus obfcures, & lesfleursde la poéfie fur les épines d'une philofophie aride. Et n'ai-je pas rai Ton
d'imiter ces Médecins habiles, qui pour enga-
M
LUCRECE
Contingunt mellis dulciflavoqueliquore,
Ut pueroruin aetas improvida ludifketur,
tabrorum tenus 3 interea perpotet amarum
Abfinthî laticem, deceptaque non capiatur,
Sed potids tali fado recrcata valefcat :
Sic ego nunc, quoniam haec ratio plerumque Yîdetur
Triflior efTe, quibus non eft tra&ata , retroque
Volgus abhorret ab hâc : volui cibi fuaviloquenti
Carminé Pierio rationem êxponere noftram ,
Et quafi Mufaîo dulci contingere melle 5
Si tibi forte animum tali ratione tenere
Verfibus in noftris porTem, dum perfpicis omnem
Naturam rerurn, quâ conftet compta figura.Sed quoniam docui, folidifïima materiaï
Corpora perpetuo volitare invida per arvum ,
Nunc âge , fummaï ecquaenam fit finis eorum,
Nec ne fit, evolvamus : item, quod inane repertum eft,
Seu locus, ac fpatium, res in quo quaeque genantur,
Pervideamus utriîm finitùm funditiis omne
.Confier, an iramenfum pateat vel adufque pro~
fundum.
Omne quod eft igitur nullâ regione viarum
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LIVRET.
%T
gcr lès joues cnfans à boire l'abfynthe amere ,
dorent d'os miel par les bords de la coupe ,afin que leurs lèvres réduites par cette douceur
trompeufe , avalent fans défiance le noir breuvage, innocent artifice, qui rend à leurs jeunes
membres la vigueur de la famé. Àinfi le iujet que
je traite, étant trop fërieux pour ceux qui n'y
ont pas réfléchi, & rebutant pour le commun
des hommes, j'ai emprunté le langage des:Mufes , j'ai corrigé l'amertume de la philofophie
avec le miel de la poéfie. Heureux fi féduit par
les charmes de l'harmonie, vous ne quittez mon
ouvrage qu'après y avoir puifé une profonde
connaifianec de la nature l
Je vous ai enleigné que les folides élémens
de la matière fe meuvent de toute éternité à
l'abri de la deftru&ion. Examinons maintenant fi la fomme de ces élément eft infinie
ou limitée ; fi le vuide dont nous avons établi
Ixxiftence, ce lieu, cet efpace, ce théâtre éternel de l'action des cerps eft fini, ou fi fon immenfité & (à profondeur n'ont point de boi>
€ e grand tout cil infini 5 car autrement il
S8
LUCRE
CE
Finitum eft : namque extremum debebat habefe >
Extremum porro nullius polTe videtur
Effe, nifî ultra fît quod flniat, ut videatur,
Q u o , non longiùs, hxc fensûs natura fequatur.
Nunc extra fummam quoniara nihil elfe fatendum eft ,
Non habet extremum : caret ergo fine, modoque :
Nec refert quibus afîiftas regionibus ejus.
Ufque adeo quem quifque locum poiTedit, iû
omnes
Tantùndera partes infînitum omne relinquit.
Praeterea, fi jam finitum conftituatar
Omne quod eft fpatium : fî quis procurrat ad oras
Ulrimus extremas, jaciatque volatile telum ;
Id validis utrùm contortum viribus ire,
Ouô fuerit miflum , mavis, longèque volare ,
An prohibere aliquid cenfes, obftareque poffe ?
Alrerutrum fatearis enim, fumafque neceffe eft :
Quorum utrumque tibi efFugium prascludit, &c
omne
Cogit ut exempta concédas fine patere.
Nam five eft aliquid, quod proliibeat, officiatquc
Quo mimi', quo miflum eft veniat, fînique locet
fe;
Sive foras fertur : non eft ea fini' profe&ô.
Hoc pa&o fequar , atque oras ubicunqus locâris
Ixtremas, quaeiam quid telo denique fiât.
L I r R E /.
«9
Serrait avoir une extrémité. Mais un corps ne
peut avoir d'extrémité, s'il n'a hors de lui quelque chofe qui le termine , de manière que l'œil
; voie clairement qu'il ne peut fe porter plus loin
l fur ce corps. Or, comme vous êtes forcé d'a. vouer qu'il n'y a rien au-delà du grand tout,
< Tous ne pouvez non plus lui affigner d'extre, \inité, ni par conféquent lui prefcrire de Bornes,
; U n'importe donc en quel lieu du monde vous
-< foyez placé , puifque de tous côtés vous avez
un efpace infini en tout fens à parcourir.
v
En fécond lieu fi l'efpace eft borné, & ^uc
V quelqu'un placé à Tes limites, lance avec force
uneflècherapide, penfez-vous que le trait après
'-' avoir fendu l'air fuivra fa dirc&ion, ou aimez'. vous mieux qu'un obftaclc extérieur lui ferme
C le paflage U fufpende fon vol ? Car vous ne
pouvez vous difpenfer de choifir dans cette alter', native. Or , quelque parti que vous preniez,
'f vous êtes forcé d oter au grand tout les limites
que vous ofez lui alfigner. Car foit qu'un obftade extériedt empêche le trait de parvenir au
[bat, foit qu'il s'élance plus loin , il eft évident
que vous n'avez pas trouvé l'extrémité. Je vous
f pourfuivrai de cette manière, & par-tout oii
£ vous fixerez des bornes , je vous demanderai ce
^ que deviendra 11flèche.Ainfi jamais vous ne trou*
5>o
LU C R E C É
Fiet, uti nufquam poflît confiftere finis',
EfFugiumque fugas prolatet copia femperv
Pbeterça fpatium fummaï totius omne
Undique fi inclufum certis confifterer oris,
Jinituïnque foret, jam copia materiaï
Undique ponderibus fblidis confiuxêt ad imuni %
Nec res ulla geni fub cœli tegmine pofîct :
Nec foret omnino coelum , neque lamina folis ;
Quippe ubi materies omnis cumulata jaccret,
£x infinito jam tempore fulnd'jndo.
At nunc nimirum repaies data princ ipiorum
Corporibus- nulta eft : quia nil eft furditù? in/am,
Quo quan confluerc, & fedes ubi pouere çoC~
fint;
Semper î< a/Iîduo motu rcs quaeque genuntur
Partibus in cunclis , asternaque fuppeditantur
Ex infinito cita corpora materiaï.
Poftremo ante oculostem res finirc videtur ?
Àër difTepif colles, atque aëra montes :
Terra mare, & contra mare terras terminât omnés.
Omne quidem verô nihil eft quod fïniat exïra,
Eft igitur natura loci, fpatiumque profundi,
Quod neque clara fuo percuriere flumina curfu
Perpetuo pofïint aevi labentia tractu :
Nec prorfura facexe, ut reftet miniis ire, meando i
1 I F RM
L
9i
Yercx IesCmites du monde. Son immenfité laif*
fera toujours au trait un cfpace à parcourir.
Outre cela fi la Nature avait environné de bor*
nés le grand tout, la matière par fa pefanteur fe
;
^ (irait rafièmblée dans les lieux les plus bas. D&ï. lors plus de productions fous la voûte des cieux ;
nous ne verrions plus ni l'azur du firmament,
S? ni la lumière du foleil : la matière afFaitTée depujf
"* tant de ficelés ne ferait plus qu'un amas d'ato} mes fans énergie. Au contraire les principes
1 élémentaires ne connaiflent point le repos, parce
•j - qu'il n'y a point de lieu inférieur, ou ils puif| : fent fe rafièmbler & s'établir dans l'inaction.
:* Ainfî
Amli un mouvement continuel- crée' à chaque
F inftant
ïnfta àts êtres dans tous les points de l'efpace,
nfini cil la fource qui fournit fans-ce/Te^det
flots d'une matière active & éternelle.
Enfin nous voyons tous les corps bornés par
d'autres corps ; les montagnes par l'air, & l'air
par les montagnes ; la terre donne des rivages
à la mer, qui à fon tour environne les contisens : mais ce vafte univers n'a rien hors de
lui qui le termine. • TcUe eft donc la nature
'" de l'efpace & du lieu, qu'un grand fleuve après
avoir coulé pendant Téternité , bien loin d'armer aux bornes de l'univers , ne ferait pas
5>i
LUCRECE
Ufque adeô paffim patet ingens copia rebùs,"
Finibus exemptis, in cun&as undique partes.
Ipfa modum porro fibi refum fumnia parare
Ne pofïit, Natura tenet ; quia corpus inani,
Et quod inane au te m eft, finiri' corpore cogit :
Ut fie âlternis inflnita omnia reddat.
Aut etiam , altcrutram mfi terminée alrerum
eorum
Simplice naturâ & pateat tantùm immôderatum :
Nec mare, nec tellus, nec cœli lucida templa,
Nec mortalc genus , ncc Divûm corpora fan&a
Exiguum poAent horaï fîftere tempus.
Nam difpulfa fuo de ccetu materiaï
Copia ferretur magnum per inanc foluta,
Sive adeo potiùs nunquam concreta creâiTet
Ullam rem, quoniam cogi disje&a ncquifTet.
Nam certè neque confîlio primordia rerum
Ordine fe quaeque, atque fagaci mente locârunt :
Nec quos quarque darent motus pepigêre profe&o :
$ed quia multimodis multis mutata, per omne,
Ex inhnito , vexantur percita plagis ,
Omne genus motûs, & cœtûs experiundo ,
Tandem deveniunt in taies difpofituras,
Qualibus hxc rébus confîftit fumma creata :
I I F R £
I.
9j
plus avancé qu'au commencement de Ton cours.
Ainfi ie monde, dégagé de limites, s'étend à
l'infini en tout fcns.
D'ailleurs l'eûence même de l'univers ne lui
g permet pas d'être fini. La Nature a voulu que
V, la matière fut bornée par le vuide, & le vuide
fr par la matière , afin de rendre ainfi tout Ton
Jv ouvrage infini. Si le vuide feul était fans bornes
fc it que la matière en eût s ni la mer, ni la terre 9*
V, ni le palais brillant du ciel, ni l'cfpece humai*- ne, ni le corps augufte des Dieux ne pourraient
j un in/lant fubtiftçr. La matière n'étant plus a/Tujettie fe difpcrferair dans l'immenfité du vuide ;
ou plutôt jamais elle ne fe fut réunie : jamais
la fomme des atomes n'eût acquis la confiftance nécefiaire pour former un corps.
O r vous ne direz (urement pas que les principes de la matière Ce foient placés avec intelligence dans l'ordre où nous les voyons, ni qu'ils
aient concerte entr'eux-les mouvemens qu'ils
voulaientfiecommuniquer. Mais après un grand
©ombre de combinaifons diverfes , mus de toute
éternité dins l'efpace, par des chocs étrangers, en
efiayant toute forte de mouvemens & d'ailcmblages paiticulieis > ils fe fpnt rangés dans l'ordre
94
LUCRECE
Et multos etiam magnos fervata pcr annos,
Ut femel in motus sonjecla eft convenantes,
EfUcit, ut hrgis avidum mare fluminis undis
Intègrent a unes : ?z folis terra vapore
Eota novet fœtus, fummiffaque gens animaalûm
floreat, &. vivant labentes szr-ieris ignés.
Quoi nullu faccrent p-iclo, nui materiaï
Ex inHiiito fuboriri copia porTet,
Unde ami (Ta folent reparari in temporc quoque.
Nam veluti privata cibo natura animantûm
Difflui: amirtens corpus : fie omnia dsbent
DilTolvi ; limai ac defecit fuppeditare
Materies rc&â regione averfa viaï.
Neç plagae polfent extrinfecùs undique fummam
Confervare omnem , quascunque eft conciliata.
Cudere enim crebro poiTunt, parcemque morari,
Dum veniant aliae, ac fuppleri fumma queatur.
Interdum refilire tamen coguntur , & unà
Principiis rerum fpatium, tempufque fugaï
Largiri, ut poffint à costu libéra ferri.
Quare etiam atque etiam fuboriri multa nece/Tc
eft.
Et tamen ut plagas quoque poffint fuppetere ipfac,
Inflnita opus eft vis undique materiaï.
£ I V R E
I.
5>5
me •otre monde eft le réfultat ; & c'eft en corféquerfce de cet ordre, auquel ils font demeurés
leles Repais un grand nombre de ficelés, que
is voyons conlramment les grauds fleuves
ibreuver l'immenfe Océan J'aitrc du jour renou^reller par fa chaleur les productions de la terre, lt
leur de la famé fe répandre fax toutes les cfpeccs
rivantes,fielesflambeauxétherés fc repaître de
:urs éternels alimens. Cet éclatant concert de la
lature ferait bientôt interrompu, fi une infinité
fcd'élémcus ne travaillait fans cefie à la reproduct i o n des êtres. Les animaux, privés de nourritu*
jjje, languiflent& meurent 5 ce grand tout périra de
*taiéme, aa/E-côt que la matière détournée de fon.
* fours narurcl,cciTera de fournir aux reproductions*
Ne dites pas que les atomes extérieurs, par leur
: preffion retiennent l'amas de la matière & l'em[f pèchent de fe difperfer. lis peuvent bien par des
[coups répétés arrêter la défunion d'une partie,
\fc donner à de nouveaux atomes le tems de furrenir Se de completter la ma/Te. Mais forcés de
[rejaillir après le choc, ils laifleront aux corps
un nouvel efpace à gagner & un tems fuiElanc
pour fe défunir. Il eft donc néceflaire que les
atomes fe fuccedent fans interruption. Ajoutez
que cette prcifiôn extérieure fuppofe elle-même
l'infinité de la matière.
96
LUCRECE
Ulud in his rébus longe fuge credere, Mem*
mî,
In médium fumma: [ quod dicunt] omnia nici ,.
Atque ideo mundi naturam ftare fine ullis
Ictibus extemis , neque quoquam pofTe refolvi
Summa arque ima , quod in médiumfinxomnia
nixa ,
[ Ipfum fi quidquam poflfe in fe fiftere credis :
Et quae pondéra funt fub terris , omnia fursùm
Nitier, in terrâque rétro requiefcere pôfta :
Ut per aquas quae nunc rerum fimulacra videmus : ]
Et fimili ratione animalia fubtu' vagari
Contendunt, neque pofTe è terris in loca cœli
Recidcrc inferiora magis, quàm corpora noftra
Sponte lui pofïint in cœli templa volare :
Illi cùm videant folcm , nos fidera no£Hs
Cernerc, & alternis nobifcum tempora cœli
Dividere, & no&es pariles agitare, dicfquc.
Scd vanus ftolidis haec omnia fînxerit error ,
Amplexi quôd habent perverse prima viaï.
Nam médium nihil efle poteft, ubi inane, locufque
Infinita : neque omnino, fi jam médium fit,
Poffit
L I F'R E I.
97
Car ne croyez pas, 6 Mcmmius, avec quelques Philofopnès , que tous les corps tendent
Vers le centre da monde, que l'univers n'a pas
befoin d'être retenu par des chocs extérieurs,
èc -qu'il n'eft pas à craindre que les extrêmités fupérieures ou inférieures ne s'échappent , ayaut toutes la même tendance vers un
centre commun. Qui peut concevoir qu'un être
£c foutienne fur lui-même, que fous nos pieds
ks corps pefans exercent leur gravitation en
haut, & foient portés fur la terre dan* une direction oppofee à la nôtre, comme nos images
reptcfcnices dans l'eau î C'cft pourtant d'après
de pareils principes qu'on explique comment un
monde d'animaux de toute cfpecc va & vient
fous nos pieds , (ans être plus ejpofés à tomber
lie la terre dans les/égions inférieures , que nous
ne le fommes à nous élever de nous-mêmes vers
la voûte célefte. On ajoute que ces peuples voient
Je folcil,'quand les flambeaux nodturncs nous
éclairent ; qu'ils partagent alternativement avec
nous les faifons de l'année, que leurs jours de
Jeurs nuits ont la même durée que nos nuits Se
nos jours.
* Voilà les erreurs groflieres où font tombés des
Philofophcs , pour être partis d'après de faux
principes. Ils nç comprenaient pas qu'il ne peut
Tome I,
E
k
5>S
LUCRECE
Poffit ibi quidquam hâc potiiis confiftcre causa,
Quàm quâvis aliâ longe regione manere.
Ornais enim locus, ac fpatium, quod inane vo«
camus,
Per médium, per non médium, concéda: oportet
,/Equis pondcribus, motus quàcunque feruntur.
îvec quifquamlocus eft, quo corporacùm venêre,
Pondcris amifsâ v i , poflint frare in inani :
Hic quod inanc autem eft, illis fubfiftere débet,
Quin, fua quod natura petit, concedcrc pergat.
Haud igitur pofïunt, tali ratione, teneri,
Res in concilio, medii cuppedine vi&ae.
Praeterca quoque jam non omnia corpora fin*
gunt
In médium niti, Ccd terrarum, atque liquorum ,
Humorem ponti, magnifque è momibus uudas,
Et quaû tcrreno qusc corpore contineantur ;
At contra, tenues exponunt aëris auras >
£t calidos fïmul à raedio difTerrier ignés,
Atque ideo totum circumtremere aethera fignis ,
Et folis flammam per cœli caerula pafci 5
Quod calor à medio fugiens ibi colligat ignés.
Quippe etiam vefci è terra mortalia Cxch :
Nec prorfum arboribus fummos frundefcere ramos
PoiTe, ni(i à terris paulatim cuique cibatum
•?
L I V R E 1.
99
avoir de milieu dans une écendue infinie . Se
^ o e quand il y en aurait, les corps ne feuent
>toas plus néceflkés à s'y arré.cr, que. dans -oute
Iturre partie de Pefpare. En effet la nature do
^ruide cft de céder aux corps graves , quelque pari
Qu'ils tendent, an centre ou ron. II n'y a point
.{fie .lieu dans l'univers, où les corps une fois
.irrivés s'arrêtent & perdent leur pe(ànteur. Le
^ruide ne ceiTcra jamais d'ouvrir un paflage à leur
rechute, parce qu'ainfi l'exige fa nature. Cet amour
ijùppofé du centre ne fuffit donc pas poux empd*
. ' cher la défunion du stand tout.
Une autre contradiction ef^que, fuivant let
^ mêmes Philofophes la tendance vers le centre
tin'cft pas commune à tous les corps, 8c n'a lieu
que dans ceux qui (ont compofés de terre ou
;
<h:au, tth que Je fluide de l'Océan, les fleuves
qui jailliflènt des hautes montagnes, & tous les
êtres qui participent à la nature terreihe. A*
contraire l'air fubtil & la flamme légère tendent
à s'éloigner du centre ',&. Ci nous voyons toute
la voûte du ciel étinceller de feux, 9c la féconde
lumière du foleil fe nourrir au milieu de l'azur
éthéré, c'eft que les clémens de la flamme s'y
~ réunifient fans celte en fuyant le centre ; de
même que fans les fucs nourriciers qui s'élevent de la terre , les animaux feraient privés
Eij
à.
ioo
LUCRECE
Terra det : At fupra circdm tegere omnia ccev
lum;
Ne, volucrum ritu flammarum, mcenia Mundi
Diffugiant fubito, magnum per inane foluta,' •
Et ne caetera confimili ratione fequantur :
Neve ruant cœli tonitralia templa fupernè ,
Terraque fe pedibus raptim fubducat, & omnc*
Inter permiftas terrai cœlique ruinas ,
Corpora folventes, abçant per inane profua»
dum:
Temporis ut pun&o nihil exftet relliquiarum,
Pefertum prêter fpatium & primordia cxca,
Nam qaâcunquc priùs de parti corpore cêfle
Conftitues, haec^rebus erit pars janua lethi ;
Hàc fe turba foras dabit omnis matcriaï.
Hase fi pernofees, parvâ perfun&us opeilâ ,
( Namque alid ex alio clarefeet ) non tibi caeca
Nox iter eripiet , quin ultima naturaï
^çryideas j ita res accendent lumina rébus,
finis Libri Pritnis
: ^
w.
!
LITRE
ï.
ioi
j'alimens & les arbres de verdure. Au - dciTm
des étoiles les mêmes Philofophes placent le
firmament , enveloppe impénétrable , fans.laquelle les feux du ciel, pour s'éloigner du centre , franchiraient les limites du monde. Le
même défoirdre gagnerait toute la nature 3 le
ciel avec fes foudres s'écroulerait fur nos têtes ;
la terre s'ouvrirait fous nos pieds, & nos corps
décompofés tomberaient engloutis dans l'abyme,
avec les débris mêlés du ciel Se de la terre.
Bientôt il ne refteraie plus de ce vafre univers
qu'un amas d'atomes fans énergie, une vafte
iblitude. Car en quelque lieu que commence la
diflblution, ce fera une porte de deftruétion toujours ouverte par' où tous les atomes en foule fc
bâteront de s'échapper.
Si vous avez compris ces premières vérité»
que vous offre ma faible mufe, la philofophie
n'aura plus de ténèbres, la nature plus de fecret9
pour vous. Vos principes s'éclaircirom l'un par
l'autre ; & les connaifTances acquifes vous fer"Vlront de flambeau pour en acquérir de nouvelles.
Fin du Livre Premier»
$
Eii)
102
S U J E T
D U
SECOND
LIVRE.
JLèE Poète après un éloge magnî~
fique de la philofophie , à Vétude
de laquelle il invite Memmius ;
continue a traiter des qualités des
atomes y & en particulier de leur
mouvement. Les changement continuels que fhfyijfenî tous les corps,
ne nous permettent pas defuppofer
la matière immobile. Ainfi i°. le
mouvement ejl ejfentiel aux atomes,
parce qu'il n'y a pas de centre où
ilspuijfent jamais s'arrêter. 2°. Ce
mouvement ejl de la plus grande
fi *
IO
3
TJrapidité, parce qu'ayant le vuidt
our théâtre, il n'efi gênépar aucun
>obJlaclc. 30. ha direction en ejl de
haut en Bas } &Ji nous voyons des
r corps s'élever comme la flamme ,
\<%ejl un étatforcé, contraire à leur
'^tendance naturelle. 4°. Il ne faut
£ pourtant pas croire que la chute des
J* atomes foit rigourcuferncnt perpefo*
)\ diculairc. Parallèles entr'eux, ils
jv Sauraient jamais pu s9unir en maf
fe : affujettis à une direction néceJfaU
re, ils n'auraientjamais pu former
des anus libres. Ilfaut donc qu'ils
s'écartent un peu, ( mais le moins
pofjible) delà directionperpendiculaire. Tels font les mouvemens
£ dont les atomes ont toujours joui <&
Eiv
1* *
IO
4
jouiront toujours , parce que l&
quantité de mouvement ejl toujours
la même dans la Nature. Voila ce
que la raifon nous fait découvrir $
car les fens ne peuvent pas même
apercevoir Vatome, bien loin dyen
diflinguer les mouvcmens. C'efl encore la raifon qui nous éclaire fur
les figures des atomes y elle nous dit
que les corps dont nous fommcs environnés y ne pourraient agir fur
nos fens de tant de manières dif~
férentes , fi leurs atomes n'étaient
diverfement configurés. Mais elle
nous apprend en méme-tems, que,
quoiqu'il y ait une multitude infinie dyatomes dans chaque clajfe de
figures ? le nombre de ces clajfe $ ejl
!f
?
porné : il ne pourrait être in fiai>
Jans que Vatome fût immenje , 6'
les qualités fenjibles des corps pro*
grejfives à Vinfini. Ce nombre peu
ùonjidérable défigures, combiné diverfement dans tous les corps, fu{fit
pour établir entr'eux cette variété
s
que nous y remarquons. La jolidite, Vindivifibilitéy l'éternité} le
mouvement & lafigurefont hs feules qualités qui conviennent•»à'- des
corps /impies tels que les atomes1.:
, Quant aux qualités qui ont rap*
iê •
port à la vue , Vouie ,. le goût &
^ Fodoraty elles ne font que le réfultat
hiïune-aJfoèiàtion V en ravètir de*
^attwks ^ ckjidonnèr à la^NàtitfÇ
~ Une bafe trop fragile. Les atomes
•;
Ev
IOG
nefont donc pas non plus fenfibhs,
& ce n'ejl qu'à leurfituation
& à
leurs mouvemens refpeclifs qu'ejl
due la fenfibilité dont jouiffent certains ajfemblages. A l'aide de ce
petit nombre de qualités que le
Poè'te ajfignc aux atomes, ils ont,
fuivant lui, produit
nonfeulemtnt
notre monde, mais encore une infinité d'autres. Car Une veutpas qu'on
borne la puiffance de la Nature.
Il
prétend qu'ayant à fes ordres un
nombre infini d'atomes , ce qu'elle
fait ici pour nous, elle le fait pour
d'autres dans d'autres régions de
Vefpace y & que notrïmonde
qu'un individu particulier
n'ejl
d'une
çlaffe nombreufe3 un grand animal
[fournis tàmtfUi lés autres à la naïffanec, àPaccroiJfementj au déclin,
& àla mort.
\
E vj
TITI
LUCRETII CARI
D E
RERV.M
LIBER
N A T U R A.
SECUNDUS.
v E , mari magna, turbantibus xquorz
SU Aventis,
E terra, magnum alterius fpe&are laborem :
Non quia vexari quemquam eft jucunda voluptas,
Sed, quibusipfe malis careas, quiacernere fuavc
eft.
Saave etiam belli certamina magna tueri
Per campos inftruda, tua fine parte pericli.
Sed nil dulcius eft, bene quam munita tenerc
Edita doétrinâ fapientûm templa ferenâ :
Defpicere unde queas alios, paffimque viderc
Errare, atque viam patentes quaerere vit«e,
Ccnaïc inzenio, contcndcre nobilirate,
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Horriilre jtrruir iiivnitt? J l a t r i s
JMnd.SaJt
imago
w
LUCRECE,
DE
LA
NATURE DES CHOSES.
LIVRE
SECOND.
T
,JL L EST força de contempler du rivage les flots
foulevés par la tempête de le péril d'un malheureux qu'ils votft engloutir. Non pas qu'on prenne
-plaiûr à l'infortune dîautrui ; mais parce que la
vue des maux qu'on n'éprouve point eft canfolantc. JleAfdomx encore, à l'abri du péril, de promener Ces regards fur deux grandes armies rangées dans la plaine. Mais de tous les fpe<£hclcs,
le plus- agréable y eft de considérer du faîre de
la philofophie, âfyfe des feiences & <k la paix,
les mortels épais s'égarer à la pourfuite du bonaeur, fedifputer la palme du génie ou la chimère de la naifiance , & fe foumcttiw unie &.
no
LUCRECE
Noctes atque dies niti prenante laboFC,
Ad fummas emergere opes rerumque potiri.
O mi feras hominum mentes ! ô pe&ora exca!
Qualibus in tenebris vita?, quantifque periclis
Degitur hocxvi, quodcunque-eft:I Nonne videre
Nil aliud fibi Naturam latrare, nifi ut, ciîm
Corpore fejunctus dolor abfit, mente fruatur
Jucundo fenfu, cura femota metuque ?
Ergo corpoream ad naturam pauca videmus
Eflc opus omnino, quae demant cunque doiorem,
Delicias^ quoque uti multas fubfternere poflint >
Gratius interdum neque Natura ipfa requirit.
Si non aurea funt juvenumfimufacraper a:des
Lampadas ignifcras manibus retinentia dextris,
Lumina no&urnis epulis ut fuppeditentur ;
Nec domus argento fulget, auroque renidet;
Nec citharis reboant laqueata aurataque templa :
Attamen inter fe proftrati, in gramine molli,
Propter aquas rivum, fub ramis arboris altaî,
Non magnis opibus, jucundè corpora curant :
Praefertim cùm tempeftas arridet > & anni
Tempora confpergunt yiridantesfioribusherbasj
Nec calida? citius decedunt corpore febres,
Textilibus fi in piduris , oftroque rubenti
Jactaris, quàm fi plebeiâ in •vefte cubaadam cft.
p
LIVRE
IL
m
['jour aux plus pénibles travaux, pour s'élever à
la fortune ou à la grandeur.
Malheureux humains ! cœurs aveugles ! Au
milieu de quelles ténèbres, & à quels périls vous
expo ici ce peu d'inftans de votre vie ! Ecoutez
le cri de la Nature. Qu'cxige-t-elle de vous ?
Un corps exempt de douleur : une ame libre de
terreurs & d'inquiétudes.
Et les befoins du corps ne font-ils pas bornés ? Ne
pouvez-vous pas à peu de frais le garantir de la
douleur & lui procurer un grand nombre de fenfations agréables? La Nature n'en demande pas davantage. Si vos feftins noclurnes ne font point
éclairés par des flambeaux que foutiennent de
magnifiques ftatues ; fi l'or & l'argent ne Brillent
point dans vos palais : fi le fon de fa lyre ne retentit point fous vos lambris ; vous en êtes dédommagés par la fraîcheur des gazons, lccryûal des fontaines , & l'ombrage des arbres, au pied desquels vous goûtez des plaifirs qui coûtent peu,
fur-tout dans la riante faifon , quand le printems feme à pleines.mains les fleurs fur >a verdure. Lafièvrebrûlante ne quitte pas plus promptement h riche étendu fur la pourpre & la broderie , que le malheureux couché fax l'étoiie la
plus commune.
n%
LUCRECE
Quapropter,quoniamnilnoftro in corpofe gazae
ProEciunt, neque nobilitas, neque gloria rcgni,
Quod fupereft, animoquoque nilprodeife putandum.
Si n o n , forte tuas legiones per loca campi
Pervere cùm videas , belli fimulacra cientes ;
Fervere cùm videas claflem , latèque vagari j
His tibi tum rébus timefacbe Rellisjiones
EfFugiunt animo pavidae, mortifque timorés
Tum vacuum peclus linquunt cuiâqae folutum.
Quod firidicula hxc3 ludibriaque efTe videmu?,
Pveveràque metus hominum,, curarque fequaces,
Nec metuunc fonitus armorum, nec fera tela 5
Audacte-rque inter reges, rerumque potenres
Verfantur; neque fulgorem reverentur ab a u r a , '
Nec clamai veitis fplendorem purpureaï :
Qaid dubitas, quinomne fit hoc rationis egelas,
Omnis cùm in tenebris praefertim vira laborcr ?
Nam velutipueri trépidant, atqueomniacx'cis
In tenebris metuunt : fie nos in luce timemus
Interdum, nihilôquaefuntmetuendamagis. quam
Quas pueri in tenebris pavkant, finguntque fa:uia.
Hune igitur teriorem a n i m i , tenebrafque ne :eiîe
eft
Non radii folis , rieque lucida tela dieî
Difcuriant, fed Natur*e fpecics raiioque.
w
r^ N
**^
L I r R S
I L
113
^ Si la fortune, la naiûance & le trône même ,
'»Jlc contribuent point au bonheur des corps j aflu*
i [ rent-ils à l'ame un fort plus heureux ? Quand
3TOS nombreufes légions font voler leurs dr \\ peaux dans la plaine , quand la mer écume fous
*.vlc poids de vos vaifTeaux j la iuperftition eft;' elle effrayée de cet appareil, & les terreurs de
?1SL mon laiflent-clks votre cœur en paix l
Vaine illufîon ! le cliquetis des armes n'en
impofe point aux foucis rongeurs. Ils fe préfen'• tent fièrement à la cour des rois, ils s'afleyent
à leurs côtés fur le trône, fans refpect pour la
i! pourpre ni pour le diadème. Ces vaines terreurs
; font donc le fruit de l'ignorance & des ténèbre*
ou nous vivons plongés,
î ' Les enfans s'allarment de tout pendant la nuit,
jSfc nous en plein jour nous fommes le jouet de
' craintes aufli frivoles. Pour calmer ces terreuts,
;ji four diffiper ces ténèbres , il n'eft befoin , ni
fc des rayons du foleil, ni de la lumière du jour,
mais de l'étude réfléchie de la Nature.
i
JI4
LUCRE
C £
Nunc âge, quo motu genitàlia materiaï
Corpora res vaiias gigaant, genitafque KCOU
vant,
Et quâ yi facere id cogantur, qua?ve fît ollis
Reddira mobiiitas magnum per inane meandi,
Expediam : tu te di&is praebere mémento.
Nam certè non intcr fe ftipata cohaeret
Materies 5 quoniam minui rem quamque vide*
mus,
Et quafî longinquofluereomnia cernimus xvo f
Ex oculifque vetuflatem lubducere noftris :
Cùm tâmcn incolumis videatur fumma manere;
Propterea quia,.] me decedunt corpora cunque ,
Unde abstint, minuunt : quo vénère, augminc
donant:
Illa fenefcere, at haec contra florefcerc cogunt ;
Ncc rcmoranxur ibi : fie rerura fumma novatur
Semper, & inter fe mortales mutua vivunt :
Augefcunt alise genres, aliae minuuntur
-,
Inque brevi fpatio mutantur faecla animantum ,
Et, quafî curfores, vitaï lampada tradunt.
Si ceffare putas rerum primordia poffe,
CeiTandoque novos rerum progignere motus 5
Avius à verâ longe ratione vagaris.
LIVRE
II.
115
Ne TOUS laûtz point, 6 Memmius, de fuiTes traces. Apprenez par quel, mouvement
les élémens de la matière forment & détruifcnt
les corps ; par quelle impuMion & avec quelle
«apidité ils volent (ans celle dans l'efpacc immtnfc.
t'v
Ne croyez pas en effet que la matière forme
une malle immobile : nous voyons tous les corps
diminuer, & leurs émanations continuelles les
«& épuifer à la longue, jufqu*à ce que le tems les
| dérobe à nos yeux. Cependant la ma (le gené5 'tfalcne fooffre point de ces perces particulières :
^ les élémens, en appauvriflant une partie, vont
/f en enrichir une autre, & ne lai/Tent d'un côcé
les rides de la décrépitude , que pour porter
ailleurs la fraîcheur du jeune âge. Ainfi leur
inconstance ne peut jamais fe fixsr : l'univers
jic renouvelle tous les jours : les mortels Ce prêtent la vie pour un moment : on voit des cfpeces
le multiplier, d'autres s'epuifer : un court intervalle change les générations : &, comme aux
courfes des jeux facrés, nous nous pafTons de
main en main le flambeau de la vie.
Si vous penfez que les principes de la matière puiuent fe repofer, & par leur inaction
donner lieu à de nouveaux mouvemens , vous
IK?
LUCRECE
Nam, quoniam per inane vagantur cuncta, r?eceiTe eft
Aut gravitate fuâ ferri primordia rerum ,
Aut idu forte alrerius : nam, cita fupernè ,
Obvia cùmflixêre, fît, ut diverfa repente
Difiiliant : neque enim mirum, duriflrma quas Çmt3
Ponderibus folidis, neque quidquam à tergis
obftet.
Et quô jaftari magis omnia materiaï
Corpora pervideas, reminifeere Totius imum
Nil effe in fummâ 5 neque habere ubi corpora
prima
Confîftant 5 quoniam fpatium fine fine modoque
efts
Immenfumque patere in oindras undique partes,
Pluribus oftendi, & certâ rationc probatum eft,
Quod quoniam confiât 5 nimirum nulla quies eft
Reddita corporibus primis per inanc profundum j
Sed magis afîiduo, varioque exercita raotu ,
Partim intervallis magnis conrlicta refukant 5
Pars etiam brevibus fpatiis nexantur ab ictu.
Et quaecunque, magis condenfo conciliatu,
Exiguis intervallis connexa, refultant,
Endopedita fuis perplexis ipfa fîgaris ;
H*ec validas faxi radices, & fera ferri
Corpora conftituunt, & cetera dégénère horum
LIVRE
II,
117
ES dans l'erreur. Les atomes mus dans le vuide
|doivent obéir, foitàla direction deleurpcfan^teur, foit à l'irapulfion d'une caufe étrangère,
[n fe précipitant des régions fupérieures, ils
rencontrent d'-autres atomes qui les écartent de
[leur route : effet très-naturel, puifqu'ils fonc
jpefans, durs, folides, & que rien derrière eux
ijie leur fait obftacle.
'
JAah pour vous convaincre encore plus dii
mouvement général des atomes j rappellez-vous
qu'il n'y a point dans l'univers de lieu inférieur
iOii les corps arrivés s'arrêtent $ parce que l'ef*
pace eft infini, & n'a de .toute part d'autres bornes que Piramenfité. C'eft une vérité que j'ai
établie fur des preuves certaines,
Àinlî les atomes ne fe repofent jamais dans
le vuide. En proie à un mouvement continuel
par fa nature & varié par fes directions, les
nns font renvoyés à une grande diftance $ les
.autres s'écartçnt moins & s'unifient fous le choc*
: Quand leur union eft intime, leur répulfîon peu
1
confidérable , & leur tiiïu étroitement lié , ils
ferveat de bafe aux rochers folides, au fer &
à un petit nombre d'autres fubftances de la même
mature. Quand au contraire le choc les rejette,
.iï.8
LUCRECE
Paucula : Quaeporrô magnum pcr inane vaganturv
Ec cita diffiliunt longé, longèque rccurfant
In magnis intervallis ; haec aëra rarum
SufRciunt nobis, & fplendida lumina folis,
Multaque prxterea magnum per inane vagaiv»
tur,
Conciliis rerum quae funt rejecta, nec ufquam
Confociare etiam motus pocuêre recepta :
Cujus , uti memoro, rei fimulacrum & imago
Ante oculos femper nobis verfatur & infiat.
Contemplator enim, cùm folis lumina cunque
Infertim fundunt radios per opaca domorum ;
Multa minuta, modis multis, per inr.te, T Id'.bis
Corpora mifceri, radiorum lumine in ipfo j
Et velut aeterno certamine prœlia, pugnafquc
Edere turmatim certantia ; nec dare paufam,
Conciliis & difcidiis exercita crebris :
Conjicere ut poflls ex hoc, primordia rerum
Quale fit in magno jactari femper inani.
Duntaxat rerum magnarum parva poteft res
Exemplare dare & veftigia notitiaï.
Hoc etiam magis haïe animum te advertere par
Corpora , quae in folis radiis turbare videntur $
Quod taies turbx motus quoque materiai
Significanc clandeftinos, cxcqfque fubeifc.
JWvr ?^r*
I i r R J! t T.
n9
difperfc & les fait flotter dans l'efpace ,
L
fiious leur devons le fluide rare de l'air & la
t
punucrc échttnte att folcil.
{ II y ea a encore un grand nombre qui nagent
^tttt hazard dans le vuide, qui ont été exclus de
tout aiTçmblage , ou y ont été incorporés (ans
'. pouvoir participer au mouvement général. Vous
- ea avez tous les jours une image fenfîble fou*
les yeux. Quand les rayons du folcil s'inunuenc
.parles ouvertures d'un appartement ténébreux,
fie voyez-vous pas une infinité de corpufcules
l'agiter de mille manières, dans le fillon lumineux ? On dirait qu'ils Te font déclarés une
guerre éternelle. Ils ne celTent de fc livrer des
^combats & des allants ; tantôt ils Ce divifent,
>. tantôt ils fe rallient. Leur activité qui ne £t
rallentit jamais , doit vous donner une idée du
\i r mouvement àcs atomes dans le vuide. Ainfi l'effet
^ le plus commun fert fouvent de modèle & de
4 £uide dans la recherche des plus grandes vérités.
Ces corpufcules mus rapidement aux rayons
fhi folcil méritent d'autant plus votre attention ,
que leur mouvement eft la preuve d'un choc
fecret & inviûblc des atomes. Ce font les atomes qui par des corps imperceptibles les écar-
no
LUCRECE
Multa videbis enim plagis ibi percita csecis
[
Commutare viam, retroque repulfa, reverti
Nunc hue, nunc illuc, incundtas denique partes^
Scilicet hic à principiis eft omnibus error.
Prima moventur enim per Te primordia rerum j
Inde ea quse parvo funt corpora conciliatu,
Et quafî proxima funt ad vires principiorum,
I&ibus illorum csecis impulfa cientur 5
Ipfaque, qua3 porro paulo majora , laceffiint.
Sic à principiis afeendit motus, & exit
Paulatim noftros ad fenfus, ut moveantur
Illaquoque, in folis quse lumine cernere quimusj
N e c , quibus id faciant plagis , apparet apertè.
Nunc , quse mobiiitas fit reddita materiaï
Corporibus, paucis licet hinc cognofcere, Memmi,
Priraum Aurora novo cùm fpargit lumine terras ,
Et varias volucres nemora avia pervolitantes,
Aëra per tenerum liquidis loca vocibus opplent î
Quàm fubito foleat fol ortus tempore tali
Conveftire fuâ perfundens omnia luce,
Omnibus in promptu, manifeftumque elfe videmus.
At vapor i s , quem fol mittit lumenque ferenum^
Non per inane méat vacuum 5 quo tardiiis ire
Cogitur, aërias quafï cùm diverberet undas :
Nec fmgillatim corpufcula quseque vaporis,
Sed
LITRE
I î.
izx
•fit de leur route , les repouflent en arrière ,
les chaHeat a droite & à gauche, dans tous les
fens, dans.toutes les directions. •
En effet les élémens, mus par eux-mêmes,
[impriment leur mouvement aux corpufculcs donc
fia malle eft la plus déliée & la plus analogue à
leurs faibles efforts. Ceux-ci yont attaquer des
corps un peu plus -groffiers. Ainû* le mouvement
né des atomes £e communique de proche en
proche jufqu'à ce qu'il devienne fenfible dans les
corpufculcs mus au folcil, quoique la caufe de
leur agitation fe dérobe à nos yeux.
Apprenez maintenant en peu de mots jufqu'à
'guel point les élémens de la matière font mobiles. Quand L'Aurore verfe Tes premiers feux fur
} la terre : quand les oifeaux dans les forêts, volxigeans de branche en branche, remplirent l'air
«le leur douce harmonie» vous voyez avec quelle
promptitude le Dieu du jour répand les flots de
4a lumière , & couvre la nature d'un voile éclatant. Cependant ces briUans corpafcules émanés
du foleil n'ont point un efpace vuide à trayjçr.Ter-,leur inarche fe rallentit fans çeûe ep4iv|faut le fluide de l'air. D'ailleurs n'étant point
{impies ni ifolés, mais des faifeeaux & des oufTome I.
F
«i
LUCRECE
Scd complcxa mcant inrer fe, conque glcbara» Ç
Quapropter fîmul inier fe retraliuntur ; & extra
Officiuntur, uti cogantur tardiùs ire.
At, quae funt folidâ primordia fîmplicitate,
Cùm per inane meant vacuum, nec res remoratut
Uila foris , atque ipfa fuis è partibus unum,
Unum in quem cœpêre locum connixa feruntur :
Debent nimirum praecellere mobilitate,
£t multô citiiis ferri, quàm lumina lolis *,
Multiplicifque loci fpatium tranfcurrere eodcra
Tempore, quo folis pervolgant fulgura cœftim :
Nam neque confilio debent tardata morari,
Nec perfcrutari primordia fingula quasque ,
Ut videant, quâ quidque geratur cum ratione.
At quidam contra hxc, ignari, materiaï
Naturam non polTe, Deûm fine numine, rentar
Tantopere humanis rationibus, ac moderatis,
Tcmpora mutare annorum, frugefque create ;
Nec jam cxtera, mortales quàe fuadet adiré, _
Ipfaque deducit du-x vitae dia Voluptas,
- XJt res per Vencris blanditim fxcla. propagent,
Ne genus occidatbumanum 5 quorum omnia causa.
ConftituifTe Deos fîngunt : fed in omnibu' rébus
Magnopeie à verâ lapfi ratione videntur.
Kam, quamvis rerum ignorem primordia qup?
fint,
Hoc tamen ex ipfis cceli rationibus auHaù
W '' ' 1 I V R E
I I.
IIJ
fes ; ils trouvent en eux-mêmes & hors d'eux des
caufes de retardement. Au lieu que les jélémcns
de la matière lolides Se (impies* mus dans le
vuide, à l'abri des obftaclcs extérieurs, formans
«n feui 8c même tout, & réuni/Tans les efforts
de toutes leurs parties vers l'unique bue de leur
première impulfion, doivent fans doute être plus
a&ifs, 8c parcourir un efpace infiniment plus
confîdérable, dans le même tems où les feux du
ciel s'élancent du foleil à nos yeux. Car vous ne
direz furement pas que les'atomes s'arrêtent par
réflexion, ni qu'ils aient concerté entr'eux un
plan régulier de mouvement.
Il y a pourtant des Philofophes qui croient
que la matière ne peut, Tans le Recours des Dieux
produire tant d'effets réglés 6c analogues à nos
befoins, varier la icene des faifons, couvrir la
terre de végétaux 8c reproduire les efpeces. Infenfés ! ils ne voient pas que la Volupté , fille
du ciel 8c mère de tout ce qui refpire, invite les
animaux à engendrer leurs femblablés, & que
les carefTes de Venus font les divinités bienfaifantes qui perpétuent les êtres. Voilà pourtant
les raifons qui leur ont fait imaginer des Dieux
créateurs , fyitéme étroit démenti par tous lss
détails de l'univers. Oui. Quand même je ne
connaîtrais pas la nature des élémens, le fpec-
t*4
l
UÇ R E Ç E
-Confirmare, aliifque ex rébus redderc multis,
Nequaquam nobis divinitùs eiTe creatam
,Naturam mundi, quae tantâ eft prasdita culpâ;:.
jQux tibi pofterhîs, Memmi, faciemus aperta..
JJunc id, quod fupereft de motibus, expediemuç,
Nunc locus eft,utopinor,in his îllud quoque rébus
lEonfîrmare tibi, nullam lem porTe fuâ vi
.Corpoream furs.iim ferri, fursdmque meare.
hiz :ibi dent in coflammarumcorpora fraudem:
Sursusenimvorsùsgignuntur,&augminafumunt$
jE: fursùm niridac frugcs, arbuftaque crefcunt,
fondera, quantum infe eft, çùm^eprfum cundlg
ferantur.
Nec cùm fubiîliunt ignés ad te&a domorum,,
•Et céleriflammâdeguftant tigna, trabefque ,
Sponte fuâ facereid, fine_vi_fubigente, f>utaadum eft :
Quod genus, è noftrocùm miflus corpore fanguis
Smicat exfultans altè, fpargitque cruorem.
Nonne vides etiam, quanta vi tigna trabefque
Refpuat humor aquas ? Nam quam magi' merfijnus altum
Eire&a, & magnâ vi muiti prefllrnus aegrè ,
Tarn cupide fursdm revomic magis,atque remktit,
plus ut parte foras emergant, exfîliantque.
Nec tamen h$c, quantum eft in fe, dubitamuç ^
ppinor 9
Quin Yâcuum per inane deorsum cun&a ferantur.
w*;
* tacle du ciel & les phénomènes du monde me
;* prouveraient afTcz'qu'un tout auffi défectueux ne
,7 peut être fouvrage de la divinité. Mais referions ces vérités pour la fuite de ce Poème, &
continuons à traiter du mouvement des atomes.
Ceft ici, je crois, le lieu dé vous prouve*
qu'il n'y a point de corps qui par fa propre force'
tende en haut. Ne vous laiflez point abufer par'
la flamme qui naît & s'augmente toujours e i
s'élevant. Les arbre* & les moiffons ne croiflene
non plus qu'en s'éloignant de la terre , quoique
la nature des corps graves les en rapproche autant qu'il cft poûible. Ceft donc par une impu!-^
Con étrangère & non par fa propre tendance
que la"flammeélevée au faîte des maifons dévore les poutres de nos toits -, comme le fan g
en s'échappant de la veine lance en l'air un jet'
de pourpre. Ne voyez-vous pas encore avec quelle
force l'eau repoufle les plus énormes pilotis »
En vain mille bras nerveux s'efforcent de les enfoncer. L'onde fe hâte de rejetter ces mafTcs
étrangères dont la plus longue moitié flotte à fec
au-défais du niveau. Cependant vous ne doutez
pas que tous ces corps ne defeendent dans le
vuide autant qu'il eft en eux. Laflammene s'élève noa plus que par l'impumon d'une force
Eiij
•«ï
116
LUCRECE
Sic igitur debentflammaequoque pofTe per auras
Aê'ris expreife fursilm fuccedere 5 quanquam
Pondéra, qiantùm in fe eft , deorsiim deducerè
pugnent.
Noclurnafyue face:; cœli fublime volantes,
Nonne vides longos fîammarum ducere tra&us ,
In quafcunque de.dit partes Natura meatum ?
Non cadere in terram ftcllas, & fidera cernis *
Sol etiam fummo de vertice diflfupat omnes
Ardorem in partes, & himine conferit arva.:
In terras igitur quoque folis vergitur ardor.
Tranfverfofque volare per imbres fulmina cernis :
Nunc hinc , nunc illinc abrupti nubibus ignés
Concurfant 5 cadit in terras visflammeavclgo*
Illud in his quoque te rébus cognofeere avemus :
Corpora cùm deorsiim redtdm per inane feruntur,
Pondcribus propriis, incerto tempore ferme,.
Incertifque locis, fpatio decedere pauhim,
Tautum quod nomen mutatum dicere poffis.
Qu6d nifi declinare folerent, omnia deorsùm,
Imbris uti gutta;, caderent per inane profundum :
Nec foret offenfas natus, nec plaga creata
Principes ; ita nil unquam Natura creâffet.
1't « «f
t i r RE
IL
117
étrangère, tandis que fa pefanteur la fait descendre autant qu'il dépend d'elle. Ne voyez-vous pas
• les météores nocturnes tracer de longs filions
\ de feu par-tout où la Nature leur ouvre un paf! !?_ fàge ? Ne voyez-vous pas les étoiles & les aftres
tomber fur la terre ? Le foleil lui-même du Commet des cieux répand par-tout fa chaleur , &
feme les champs d'une lumière brillante : fes
feux tendent donc aufli en bas. Ne voyez-vous
pas enfin la foudre s'ouvrir une route à travers les nuages , s'élancer avec impétuofité do
toute part, & trop fouvent éclater fur notre,
globe î
Malgré cette tendance perpendiculaire des éléjnens vers les régions inférieures, fçachez néanmoins , ô Memmius, qu'ils s'écartent tous de la
ligne droite dans des tems & des efpaces indéterminés. Mais ces déclinaifons font fi peu de
chofe, qu'à peine elles en méritent le nom.
Les atomes , fans ces écarts, feraient tombés
parallèlement dans le vuide, comme les gouttes
de la pluie : jamais ils ne fe feraient, ni rencontrés , ni heurtés , & jamais la Nature n'eue
rien produit,
î iV
xi*
1 U CR E C E
Quôd Ci forte aliquis crédit graviora pote/ïc*
Corpora, quo citiiis rectum per inane ferunturv
Incidere è fupcro Ievioribus, atque ita pJagas
Gignere, quas po-ffint génitales reddere motus :
Avius à vcrâ longe ratione recedit.
Nam per aquas quaecunquc cadunt, atque aéra:
deorsiim ,
Ha?c, pro ponderibus, caius celerare necefTc eft^
Proprerea, quia corpus aquac, naturaque tenuis
Acris haud pofliint a»quc rem quamque morari :
Sed citiiis cedunt gravioribus ezfuperata.
Àt contra nulli de nullâ parte ; neque ullo
Tempore inane poteft vacuum fubfiftere reî,
Quin, fua quod natura petit, concedere pergati
Omnia quapropter debent per inane quietum
jEquè ponderibus non aquis concita ferri*
Haud igitur poterunt ievioribus incidere unqiram
Ex fupero graviora ; neque ictus gignere per Ce,
Qui varient motus, per quos Natura genat res.
Quare etiam atque etiam paulum clinare nece/Te eft
Corpora, nec plus quàm minimilm , ne fingere
motus
Obliquos videamur, & id res vera réfuter.
Namque hoc in promptu, mamfe/himque efTe v:»
demus ^
Pondéra, quantum in fee/t, non po/Te obliqua
nieajç *
TJ^1
t i r RE
11.
iz?
Sî Ton fuppofe que les corps ks plus graves
mis plus ytre dans feux ligne droite, tombent
fur les plus légers, & enfantent 'par leur choc
des mouvement créateurs, on s'écarte des principes de Ta raifon. Il cft vrai que dans l'eau ou
dans l'air, les corps accélèrent leur chute à proportion de leur pefaateur, parce que les ondes
& te ttaide léger de l'air n'oppofenr pas à tous
la même réûftance, mais cèdent plus aifément
aux plus graves. Il n'en cft pas de même da
vuide. Il ne réfîfte jamais aux corps : il leur
ouvre .également* à tous,, un paffage. Ainfi les
atomes malgré l'inégalité de leurs m a (Tes doivent
fe mbuvoir avec une égale vfcefle dans le vuidc
théâtre oiûf de leur activité. Les corps les plus
graves ne peuvent donc tomber fur les plus légers, ni les heurter, ni en changeant l.-urs directions , faciliter à la Nature la formation de»
étres^
& le répète donc. TI cft néceftaire qae fei
atomes s'écartent de la ligne droite : mais n'oubliez pas que cet écart doit être le moindre poCfible**& ne m'aceufez point d'rntroduire dans
la nature des mouvemens obliques que réprouve
la "faite philbiophie» Il eft évident fins doute ,
le Tx-il fenl nous en inftruft, que tes corps graves dans leur chute ne fui vent pas une direction
i5o
LUCRECE
Ex fupero cùm précipitant; quod cernercpoiîîs.
Sed nihil omninô redtâ regione viaï
Dcclinare, quis eft, qui poffit cernere, fefe ?
Denique fi feinpcr motus conne&itur omnis ,
Et vetere exoritur femper novus ordine certo 5
Nec dcclinando faciunt primordia motûs
Principium quoddam, quod fati fœdera rumpat,
Ex infinito ne caufam caufa fequatur :
Libéra per terras unde ha?c animantibus extat,
Unde eft hase, inquain , fatis avolfa voluntas ,
Per quam progredimur, quô ducit quemque voJuptas ?
Declinamus item motus, nec tempore certo,
Nec regione loci certâ, fed ubi ipfa tulit mens.
Kam dubio procul, his rébus fua cuique voluntas
Pxincipium dat 5 & hinc motus per membra rigantur.
Nonne vides etiam , patefactis tempore puncto
Carceribus, non pofTe tamenprorumpere cquorum
Vimcupidamtam defabito, quàm mensavetipfa?
Omnis enim totum per corpus mareriaï
Copia conquiri débet, concita per artus
Omues, ut ftudium mentis connexa fequatur ;
Ut videas initum motûs à corde creari,
Ex animique voluntate id procedere primtim ;
Inde dari porjo per totum corpus & artus.
wr
1 I V R EU.
f
I$I
oblique : mai» qu'ils ne s'écartent point du tout
de la ligne perpendiculaire , quel organe aflez
iur ofera le décider ?
Enfin fi tous les mouveraens font enchaînés
dans la nature j fi un ordre nécefiaire les fait
naître les uns des autres ; fi la déclinaifon des
élémens ne produit une nouvelle combinaifon
qui rompe la chaîne de la fatalité & trouble la
fucceffion éternelle des eau Tes motrices , d'où
vient cette liberté dont joui lient tous les animaux , ces déterminations indépendantes du
deftin, ce pouvoir d'aller ou nous appelle le
plaifir ? Car nos mouvemens ne font affectés, ni
à des tems, ni à des lieux déterminés : c'eft la
volonté qui en eft le principe, & la fourec d'où
ils fe répandent dans tout le corps. Ne remarquez-vous pas, au moment où s'ouvre la barrière,
les courtiers frémifians de ne pouvoir s'élancer
aflez-tôt au gré de leur bouillante ardeur ? Il faut
que toutes les molécules éparfes dans les membres fe foient rafTcmblées & mifes en jeu pour
obéir aux déterminations de lame. Ce qui vous
fait voir que le -principe dn> mouvement eft dans
le cœuc, qu'ii par*, de la volonté, & de-là fe
communique à tout le corps.
ïvj
ip
LUCRECE
Necfimile eft, utcum impulfi procedimusi&ui
Viribus alterius magnis, magnoque coactu :
Nam turn matcriam totius corporis omnem
Perfpicuum eft 3 nobis invitis, ire rapique,
Donicum eam refrjenavit per membra voluntas.
Jamne vides igitur, quanquam vis extera multoiPellit, & invitos cogit procedere faepe ,
Prxcipitefque rapit , tamen efTe in pe&ore noftny
Quiddam, quod contià pugnare, obftareque pof~
fit:
Cujus ad arbitrium quoque copia flaateriaï
Cogitur intcrdum £e<5ti per membra, per artus,
Et proje&a refœnatur, retroquc refîdit î
Quare in feminibus quoquc idem fateare nece (Te eft,
Efle aiiam praeter plagas, & pondéra , caufanv
Motibus , undè ha:c eft nobis innata poteftas :.
De nihilo quontam fieri nil poffe videmus.
Pondus enim prohiber ne plagis omniafiant9..
Externâ quafi vi 5 fed ne mens ipfa neceflunj
îtiteftihum habeat cun&is in rébus agendis
Et dévida quafi cogatur ferre 3 patique :
là facit exiguum CLIN AMEN principiorum^
Kec regione loci ceitâ, nec tempore certo.
Nec ftipata magis fuit urtquan» matériau
L t r R E II.
r??
H n'en eft pas de même quand une force écran*
gère nous poaûe & nous fubjugue. Il eft évident
qu'alors la maffe de nos corps eft emportée malgré: nous , jufqutà ce que la volonté ait fçu réprimer ces. mouvemens étrangers» Vous voyez
donc que malgré les caufes extérieures qui agi£
fènt fouvent fur l'homme & le meuvent malgré
lui, il y a au fond de fon cœur une puiflancer
qui combat ces irnpreiTîons involontaires & qui
fçait à fon gré, ou détourner le cours de la matière , ou mettre un frein à fes tranfports, oir
|a faite retourner fur fes pas.
Cette vérité vous force de reconnaître dam?
les principes de- la matière, une affection différente: de ta pefanteur & dû choc, de7laquelle
naifle la liberté, fans quoi vous admettez un effet:
fans caufe. Par la pefanteur vous empêchez à
ta vérité que tous les mouvemens ne (oient l'effet*
du choc & d'une force étrangère ; mais- fi famé
n'eft pas déterminée dans toutes Ces actions par
•une néceflité intérieure, & fi elle n'eft pas une.
fubftance purement paflive, c'eft l'effet d'une légère DéCLINAISON des atomes dans des tems Se
des efpaces iadéterminéV
Sgachez. encore que la fomme des élémcns n a
y
134
LUCRECE
Copia, nec porro majoribus intervallis.
Nam neque adaugefcit quidquam, ncque dépérit
indè.
Quapropter, quo nunc in motu principiorum
Corpora funt, in eodem antea&â aetate fuêre,
Et pofthac femper finaili ratione ferentur :
Et quae confuêrunt g i g n i , gignentur eâdem
Conditioner & erunt, & crefcent, inque valebunt,
Quantum cuique datum eft per fcedera Naturaï.
Nec rerum fummam commutare ulla poteft vis.
Nam neque quo poflit genus ullum materiaï
EfFugerc ex O m n i , quidquam eft 5 neque rurfus
in Omne
Unde coorta queat nova vis irrumpere, & omncnj Naturam rerum mutare, & vertere motus,
Illud in his rébus non eft mirabile : quare T
Omnia cum rerum primordiafint in motu,
Summa tamen fummâ videatur ftare quiète,
Praeterquam fi quid preprio dat corpore motus,
Omnis enim longé noftris ab fenfîbus infrà
Primorum natura jacet : quapropter, ubi iiia
Cernere jam nequeas, motus quoque fùrpere debent :
Praefertim cùm, quse poffimus cernere, cèlent
Sjepe tamen motus , fpatio didu&a locorum.
Nam faepe in colli tondentes pabula Ixta
ï,anigcrae reptant pccudes, quo quamque vocantes
:
LIVRE
II.
i35
Jamais été plus denfe ni plus rare qu'aujourd'hui,
v parce que leur nombre ne peut augmenter ni
. diminuer. Ainfi le mouvement dont ils font doués
'] aujourd'hui eft le même qu'ils ont eu dans les
' fiecles précédens, & qu'ils conferveront à jamais.
Les corps qui ont coutume d'être produits le
feront encore fuivant la même loi. Il reparaîtront fur la feene des êtres 5 ils croîtront $ ils.
acquerront les qualités propres à leur nature. Ne
craignez pas qu'aucune force vienne à bout de
changer ce grand tout. Il n'y a pas d'endroits
par où des élémens fugitifs puiflent s!échapper
' de la malTe, ni par où des atomes étrangers ,
'- par une incurfion fubite , puiflent troubler l'ordre de la nature & en détourner les mouvemens.
r1
_
;'
"j
,-:'
i:
y
-
Vous ne devez pas erre furpris que, malgré ce
mouvement continuel des atomes, l'univers paraiHe immobile , à l'exception des corps qui ont
lin mouvement propre. En effet les élémens de
la matière échappent à nos organes : & fi leur
ma/Te eft infenfible, leur mouvement ne doit-il
pas l'être à plus forte raifon, puifque la diftance nous dérobe le mouvement des corps même
les plus fenfibles ? fouvent les brebis en paifiant
les verds gazons (e traînent fur le dos des coîlinés où les appelle une herbe fraîche & brillante
des perles de la rofée , tandis que les tendres
i,
r}6
LUCRECE
Invitant nerba* gemmantes rore recetiti :
Et (adati agni ludunt, biandèque" coiiifcant $
Omnia qtiac nobis longé confufa videntur,
Et veluti in viridi candor confiftere colli.
Praîterea magnas legiones ai m loca curfu
Gamporuni comptent , belH fimulacra cien*
tes :
Et circumvolitant équités , medtoique repente
Trarmttunt valido <juatientes impete campos j
ïulgur ibi ad cœlum fe tollir, totaque circùnv
jCre renidefeit tellus, fubterqae virûm vi
Excitur pedibus fonitus, ckmoreque montes
I&i rejetant voces ad fidera mundi ;
Et tamen eft quidam locus altis montibus ;.
unde
Starc videcur, & in campis confiftere fulgur,
Nunc , âge, jam dèinceps cim&amm exordiâ
rerum,
Qualia fint, & quàra iongè diftantia formis,
Bercipe , miïltigenis quam fiic variata figuris y
Non quôdmiilca, parûm finit h tînt prasdita formât
Sedquia noa volgo paria om.iibus omnia conftanti
>ïec rairam : nani càm fit eorum copia tanta ,
Ut neqie finis, uddocui, neqje fummi fit ullâl
Deb;nt nimirum non omnibus omnia prorfura
Eire^axifilo, fimilique. affecta figura*
1TWP'
T.IFRË II
ii7
peaux rafTafiés d'un lait purs'égayent à côté
de leurs mères, & exercent leurs jeunes fronts
à des lutte» innocentes. Ce- tableau mobile vu.
de loin Ce confond7 pourtant & ne faifle diftîngot£ à l'œil que la verdure contraftée par la
blancheur des troupeaux. Voyes une armée nombreuse couvrir la plaine & fui vrc à' grands pas
V fes drapeaux nottans , la cavalerie tantôt vol-»
*< tiger autour des légions, tantôt franchir en un
f moment des espaces immenfes. L'acier renvoyé
: Jfes éclairs au ciel, les campagnes font coloréesr
par le reflet de l'airain, la terre retentit foui les'
c pas des foldats, & les monts veifîns repouffent
: leurs cris guerriers jusqu'aux voûtes du monde >
•'• cependant du fommet d'une montagne cette
•1 multitude parait immobile, & fon éclat femblc.
j£ appartenir à là terre;
,
Pàûons maintenant aux autres qualités de?
T; atomes, à la différence de leurs formes, à la va\ riété de leursfigures: non qu'il y en art un grand
p.nombre doués de formes difTemblables ; maisparce que les êtres qu'ils çompofent ne font jamais parfaitcmenrfcmblabks. Et vous n'en ferez
pas étonné fi vous vous rappeliez que le «ombre
des atomes cft illimité, comme je fai prouvé :
vous fentirez qu'ils ne peuvent avoir exa&emera
ks mêmes formes ni être terminés rigoureufe.ment par les mêmes contours..
,
v\
138
LUCRECE
Prasterea gcnus humanum, mutaeque natantcs
Squammigfmm pccudes, & keta arbufta, fera>
que,
Et varia: volucres, latantia quar loca aquarum
Concélébrant circum ripas, fontefque , lacu£que.
Et quas pervolgant nemora avia pervolitantes :
Horum unum quodvis generatim fumere perge :
Invenies tamen inter le diftare figuris.
Nec ratione aliâ proies cognofcere matrem ,
Nec mater poflfet prolem : quod poffe videmus *
Nec mimis atque homines inter fe nota cluere*
Nam faepe ante Deûm vitulus delubra décor*
Thuricxemas propter madtatus concidit aras,.
Sanguinis exfpirans calidum de pedrore flumen :
Aï mater virides falcus orbata peragrans,
Linquit humi pedibus veftigia prefTa bifulcis y
Omnia convifens oculîs loca, fi qaeat ufquam
Confpicere amirlum fœtum 5 completque querelis
Frondiferum nemtfs adfïftens , & crebra revint
Ad ftabulum, defîderio perfixa juvenci.
Nec teneroe faiices , atque herbaî rore vigentes ,
Pluminaque ulla queunt, fummis labentia ripis,
Oble&are animum, fubitamque avertere curam ;
Nec vitulorum aliae fpecies per pabula Leta
Derivare queunt alio, curâque levare :
LITRE
IL
i}?
J-' Confidércz l'cipece humaine, les muets haf bitans de l'onde, les reptiles armés d'écaillés ,
les rians arbriflèaux, les monftrcs fauvages, les
v oifeaux de toute elpece , tant ceux qui Te plaifent au bord des eaux, des fleuves, des fontat\ nés», & des lacs, que ceux qui volent dans les
f bois folitaires j comparez les individus de cha; que eipece, vous y trouverez des différences :
f fans ces nuances variées , comment les mères
,}' & les enfans pourraient-ils le reconnaître ? CeZ. pendant l'inflinct ne les trompe jamais $ & les
3 hommes ne £ê diftinguem pas plus fùrcment.
t
.£. Quand la bâche facrée a fait tomber aux pieds
*{ de l'autel un jeune taureau baigné dans fen fang,
ùL mère ( qui a déjà ceiTé de l'être ) parcourt à
-grands pas les forêts. & empreint furie fable la
trace profonde de fes pieds. Ses regards inquiets
demandent à tous les lieux voifîns le tendre nourri flon qu'elle a perdu. Souvent elle s'arrête dans
l'obfcurité des bois qu'elle fait retentir de fes
plaintes. Souvent elle retourne à l'établc, elle y
{ refte immobile, occupée de fa perte. Les tendres faules, les herbes rajeunies par la rofée ,
les bords rians des larges fleuves, n'ont plus de
charmes pour la détourner de fa douleur. Les
£-jeunes troupeaux qu'elle voit bondir fur le gazon
ne peuvent faire illufion à fa tendrefle. Ce n'eft
Hà
t U C RE
C £
Vfque adeo quiddam proprium , notumquc &-•
quirit.
Praéterea teneri tremuKs ciim Vocibus hxdi
Cornigeras nôrunt matres, agnique petulci
Balantum pecudesj: ita, quod Natura repofcit l
Àd fua quifque ferè decurrunt ubera lactis.
Poftremo quodvis frumentum, non tarrien omnc,'
Quoaque fuo in gfcnere inter fe lîmile effc videbis,
Quin intercurrat quacdàm diftantia formi?:
Concharumque genus parili râtione videmus
Pingere telluris gremium, quà mollibus undis
Lictoris incurvi bibulam pavit sequor arcnam.
Quare etiam atque etiam limili rationc neceflç
eft,
Nacurâquoniam confiant, neqne fada manu funr
Uàiius ad certain formam primordia rerum\
Diiïlrnili inter fe quaedam volitare ngurâ.
Perfacile eft jam animi ratione exfolvere nobis *Quare fulmineus muko peneualior ignis,
Qviam nofter rluat è taedis terreftribus ortus.
Dicere emm poflîs cœlettem- fulmmis ignem
Subr^em magis è parvis conftare figuris :
Atque ideo tranlîré foramina-, quae ncquit ignis'
Noder hic è lignis ortus , tacdâque creatus. *
Pœierea lamen per cornu tranfît 5 at imbec
i i r n s
IL
141
pas là l'enfant qu'elle cherche. Ses yeux & Ton
.cœur fcavent trop Sien le diftinguer. Les agneaux
bondiffans, les chevreaux dont la voix eft encore
? 'tremblante, fcavent auili reconnaître leurs mcrcs,
<
& guidés par ja Nature , ils courent aux mammelies qui doivent allaiter leur enfance.
ChoimTez un épi dans la plaine , malgré la
Tcflemblance des grains, vous y. remarquerez
des nuances différentes : elles font encore plus
ieniîbles dans les coquillages qui colorent le
feia de la terre , aux endroits on le fable s'eft
abreuvé des flots de l'Océan. Pourquoi les éléjnens ne .différeraient-ils pas comme les corpsJ
Ils font l'ouvrage de la Nature : & puifque l'art
41c les a pas fondus dans un moule commun,
ils doivent nager dans le vuide fous des formes
diverfes.
Par ce principe vous expliquerez pourquoi le
feu du tonnerre eft plus pénétrant que la flamme
des matières terreftres : vous direz que les feux
<!bi ciel, forcés d'élémens plus fubtils, s'inilnuent dans des pores où ne peut pénétrer notre
gamme grofficrç;
Ppurquoi Uk Çorn^ permet-elle le partage à la
i4i
LUCRECE
Refpuitur : quare ? nifi luminîs îlla minora
Corpora finit, quàm de quibus eft liquor almus
aquarum.
Et quamvis fubito per colum vina videmus
Perfluere : at contra tardum cun&atur olivum ,
Aut quia nimirum majoribus eft elementis,
Àut magis hamatis inter fe , perque plicaris.
Atque ide6 fit uti non tam dedu&a repente
Inter fe poflïnt primordia fingula quasque,
Singula per cujufque foramina permanare.
Hue accedit, uti mellis la&ifque liquores
Jucundo fenfu linguas tractentur in ore >
At contra tetra abfinthi natura, ferique
Centauri, fœdo pertorquent ora fapore :
Ut facile agnofeas è lxvibus, atque rotundis
Elfe ea, quae fenfus jucundè tangere poffunt.
At contra quas amara, atque afpera cunque videntur,
Hxc magis hamatis inter fe nexa tencri j
Proptereaque folere vias refeindere noftris
Senfibus, introituque fuo perrumpere corpus.'
Omnia poftremo bona fenfibus, & mala ta&u, j
DifTimili inter fe pugnant perfecla figura : „
Ne tu forte putes ferrae ftridentis acerbum
Horrorem conftare elernentis lxvibus «que
X I V R E I I.
i4î
'lumière, tandis qu'elle le refufe à l'eau ? Sinon
parce que la lumière eft compofée d'atomes plus
^déliés que les gouttes de la pluie.
Le vin s'échappe en un moment' du filtre ;
h, îhuile au contraire n'en fort que goûte à goutte.
Pourquoi ? parce que la liqueur parefleufe de
l'olivier formée de principes plus denfes , plus
liés, & plus entrelaflés, ne fe divife pas aflez
vite , & ne fe répand que lentement dans les
jK>res du filtre
Si TOUS confidérez d'un autre côté que le lait
Je le mielflattentdélicieufement le palais, undis
qu'il eft bleuté par l'abunthe amere & la fauvage
centaurée , vous reconnaîtrez que les faveurs
agréables réfultent d'atomes lifles & iphériques ,
que famertume & 1 apreté naiftent au contraire *
de l'auemblage de principes recourbés, qui fortement unis, ne peuvent pénétrer au (îege du fen;tinjent, qu'en brifant lesfibresde nos organes;
En un mot le plaifir &1a douleur qu'excitent
en nous les corps dépendent de la configuration
de leurs principes : fi vous n'aimez mieux croire
que l'aigre fixement de la feie foit produit par
144
>
LUCRE
C Es
Ac Mufea mêle, per chordas organici quas
Mpbilibus digicis expergefacta figurant.
"Neu fimili penetrare pures prirnordia forma
In naresliominum, c-dmtetra cadavera torrent,.
Et cdm fcena croco Cilici perfufa recens eft >
Araque Panchaeos exhalât propter odores.
Neve bonos rerum fimili conftare colores
5emine conftituas , oculos qui pafcerc pofTunt-;
JEt qui compungunt aciers, lacrymareque coguntj
Aut fœdâ fpecie tetri , turpefque videntur.
Omnis enim, fenfus quas mule et caufa juvatque ,
Haud fine principiali aliquo la»vore creata eft :
At contra, quaecunque molefta, atque afpera
confiât y
Non aliquo fine materias fqualore repet ta eft.
Sunt etiam, quse jam nec hevia jure putantur
îfTe, neque omnino flexis mucronibus unca :
Sed magis angululis pauium proftantibus, & quge
Titillare magis fenfus, quàm hedere pofTunt,
Faecula jam quo de génère eft-, Inulaeque fapores.
Denique jam calldbs ignés, gelidamque pruinam ,
Diffiraili dentata modo eompungere fenfus
Corporis, indicio nobis eft taftus uterque.
Tactils
, .
L I V RE
I I.
14$
\jjfcs é lé mens auflS polis que les accords rouchans
îdcla lyre fous les doigts agiles d'un HarmoiiiLc.
Vous ne donnerez pas non plus la même forme
«ux atomes fétides d'un cadavre brûlé , & à ceux
qu'exhalent les temples des Dieux, ou nos théâtres embaumés des parfums de Cilicie.
Vous ne donnerez pas les mêmes principes
aux couleurs bienfaifantes dont l'œil aime à fe
repaître & à celles qui bleflent l'organe , lui
arrachent des larmes & le forcent de fe détourner avec horreur. Je le répète donc, les corps
amis de nos organes (ont formés d'atomes polis
& (phérîques, & les compofés malfaifans d'élémens plus rodes Se moins parfaits.
Il y a encore des atomes qui ne font, ni
absolument liflcs, ni entièrement recourbés ,
s mais hérilTés de pointes taillantes qui chatouilt; lent l'organe plutôt qu'ik ne le déchirent. Tels
\- font la Fécule & l'Aulnéc.
Enfin que les flammes ardentes & les glaces
de rfryver piquent nos organes avec des aiguillons d'une ftrucrure différente , c'eft une vérité
dont le tact nous force de convenir 5 le tact,. 6
Tome I,
G
0,6
LUCRECE
Ta&us enim , tactus , proh Divûm numina
fancta ,
Corporis eft fenfus, vel cùm res extera CcCç
Jnfïnuat , vcl ci}m laedit, qua? in corpore nata
eft.
Aut ,'uvat egrediens génitales per Veneris res :
Àut ex oifenfu cum turbant corpore in ipTo
Semina, confunduntque inter fe concita fenfum :
U t , fi forte mana quamvis jam corporis ipfe
Tute tibi partem ferias, a?què experiare.
.jQuipropter longé formas diftare necelTe eft
.Principes, varios quae pofftnt edere fenfus,
Denique, quas nobis durata ac fpifTa videntur,
Hase magis hzmatis inter fefe e(Te necefTe eft,
•Et quafî ramofis altp compacta teneri.
In quo jam génère in primis adamantina faxa
Prima acie confiant, i&us contemnere fueta ,
Et validi filices, ac duri robora ferri ;
braque, qua? çlauftris reftanria voeiferantur.
Illa autem debent ex laevibus atque rotundis
JLfTe magis, fluido qnaecorpore liquida confiant:
Nzc retinentur enim inter fe glomeramina qua>
que;
JLt procurfus item in prodiye volubilis extat.
«
Otmnia poftremo quae punc'to tempqre cernis
.
Lï Fit Ë IL
147
Dieux , ceica» du corps entier, qui Te mam~
fefte, foit quand un objet étranger pénètre la
machine, foit quand une cauie intérieure en
dérange l'organtfation , ou quand la mère des
amours en exprime fes germes créateurs, oa
locfqu'enlîn le choc en troublant l'harmonie des
principes y porte la douleur avec la confufîon.
Vous en ferez f expérience à chaque inftant, en
frappant de la main quelque partie de votre
corps. On n'explique donc les différentes imprefiions des objets que par les différentes figures de leurs élémens.
r
•
-
*
Les corps durs & compactes doivent avoir
des atomes plus recourbés , plus intimement
unis 8c entrelaûes comme des rameaux. Tels
font entr'autres corps de ce genre, le diamant
qui réûftc aux plus terribles coups, les durs cailloux, le fer inflexible ic l'airain-qui gémit aux
gonds de .nos portes.
Mais tous les liquides fermés d'un corps fluide,
ne peuvent être compofés que de parties liftes
,, & fphériques.' Des globules de cette nature ne
t pouvant fe lier enfemWe, roulent plus aifément
I fur un plan incliné.
Les fluides que nous voyons fe difïîper en un
* Gij
Ï48
LUCRECE
DifFugere, ut fumum, nebulas flammafque neccfà eft,
Si minus omnia funt c lasvibus atque rotundis ,
Ac non efle tamen perplexis indupedita,
Pungere uti poflint corpus, penetrareque Taxa.
Nec tamen haerere inter fe, quod quifque videmus
Sentfous efTc datum : facile ut cognofeere pouls
Non è perplexis, fed acutis effe démentis.
Sed quod amara vides eadera , qua? fiuvida
confiant,
Sudor uti maris eft,minimè id mirabile habendum.
Nam quodfluvidumeft, è larvibus atque rotundis
Eft : at laevibus, atque rotundis mifta doloris
Corpora j nec tamen haec retineri hamata neceffum eft y
ScilicetelTe globofa,tamencum fqualida confient,
Provolvi fimul ut poflint, & laedere fenfus.
Et quo mifta putes magis afpera lâsvibus effe
Principiis , unde eft Neptuni corpus acerbum :
Eft ratio fecernundi, feorfumque videndi.
Humor dulcit, ubi per terras crebriàs idem
Pefcolatur, ut in foveam fluat, ac manfuefcat.
Linquit enim fupcrà tetri primordia viii
Afpera , quo magis in terris hxrefcere pofïunt.
>
LIVRE
IL
149
moment comme là fumée , les nuages & la flamme , ne (ont pas formés d'atomes entièrement
,polis & globuleux puifqu ils déchirent nos orga*
BCS : mais comme en méme-tems ils pénètrent
les rochers, leurs élémens ne doivent pas être
recourbés & enibarraflés. Vous leur donnerez
donc une figure moyenne, & vous les armerez
de pointes plutôt que de crochets.
Ne foyez point furpris de rencontrer des corpt
à la fois amers &fluides, tels que les eaux de
l'Océan. Comme fluides ils réfuitent d'atomes
polis & fphériques, auxquels, comme piquans»
font mêlés des élémens propres à exciter la doiw
leur : mais il ne faut pas qu'ils foient liés par'
des crochets. Il fuffit qu'ils foient en même-tems
fphériques & raboteux pour pouvoir à la fois £c
soûler dans leur lit & bleflcr nos organes.
t
v
•h
'
*
Voulez-vous une preuve convaincante de ce
mélange d'élémens polis & anguleux qui donne st
l'Océan fon amertume ? il Vous eft poffible d'en
examiner les partiesféparées.L'eau de la mer dcvient douce en fefiltrantdans le fein de ta terre ,
pour fe rendre à de nouveaux réfervoirs, parce
que fes principes amers moins polis & plus rabo-»
ceux fe font arrêtés & dépofés dans les canaux
par ou l'onde a coulé.
Ciij
IJO
LUCRECE
Quod quôniam docui, pergamconne&ere rem,
quse
Ex hoc apta fidem ducir 5 primordia rerum
Finira variarefigurarurnratione.
Quod fi non ita fit, rurfum jam femina quasdan*
Elfe infinito debebunt corporis aucfcu.
Namquc in eâdem unâ cujufcujus brevitate
Corporis inrer fe mukdm variare figuras
Non pofïunt. Fac eniirwninimis è partibus ciTe
Corpora prima : tribus, vel paulô pluribus auge :
Nempe ubi eas partes unius corporis omnes,
Samma arque ima locans, tranfmutans dextera
lxvis,
Omnimodis expertus eris, quam quifque det ordo
Formai fpeciem totius corporis ejus :
Qupd fiipereft, fi forte voles variare figuras,
Àddendum partes alias erit 'y indè fequetur
Adiimili ratione, alias ut poilu le t ordo,
Si tu forte voles etiam variare figuras.
Ergo formai novitatem corporis augmen
Suofequitur : quare non eft ut credere poffis,
Efic infinitis diftantia femina formis ,
Ne quaedam çogas immani maximitate
E(Te : fuprà quod jam docui non pofTe probari.
Jam tibi barbaries veftes, Melibœaquefuîgens
Purpura Theifaiico concharum tincta colore, Se
Aurca navonum ridenti imbuta lepôre
TT".
i
L t F RB
I I.
x5i
, A cette vériti Joignons en une autre qui y
cft liée , & dont elle eu la preuve, c'eft que
' Jesfiguresdes âémens font limitées 5 (ans quoi
, nous verrions des atomes d'une grandeur infinie*
En effet des corps auifi petits ne font pas fufcepri*
blés d'une grande variété defigures.Imaginez-les
«Ivifés en trois ou un peu plus de parties très*
petites : arrangez ces parties de toutes les ma-r
xiieres poffibks : placez-les en haut, en-bas : eban*
gez-les de droite à gauche ; vous aurez bientôt
épuifé toutes les combinaisons ; & fi vous voulez
varier lesfigures, il vous faudra fuppofer dz
nouvelles parties jufqu'à l'infini. Vous ne pouvez
donc multiplier les formes des atomes fans en
augmenter le volume, ni par conféquenr Lur
; attribuer une infinité defigures,fans leur donner
une grandeur infinie, ce que j'ai démontré iuv*
- noûïble.
En effet les brillantes étofTès de l'orient, la
pourpre de Mélibée, que la Thefialie exfprira:
de Tes coquillages , & le fpc&acle pompeux qu'étale l'oifçau de Junon, ferait bientôt éclipfé par
des' couleurs plus éclatantes. On dédaigneiaic
Giv
i5i
LUCRECE
Sxcfa, novo rerum fuperata colore jacerent *.
Et contemptus odor myrrhae, mellifque fapores ,
Et cycnea mêle, Phœbeaque dzdala chordis
Carmina confimili ratione opprefla filèrent.
Namque aliis atïud preftantius exoreretur.
Cedere item rétro pofTent in détériores
Omnia fie partes, ut diximus ia meliores.
Namque aliis alhid rétro quoque tetrius effet
Naribus , auribus, atque oculis orifque faporJ„
Q u 2 quoniam non funt in rébus reddita, certa 5c
Einis utrinquc tenet fummam : fateare necefTe eft
Materiam quoque finitis differre figuris.
Deuique , ab ignibus ad geHdas, hiemifque
pruinas
ïinitum eft, retroque pari ratione remenfam eft.
Pinit enim cak>r , ac frigus , mediique tepores
Inter utrumque jacent explsntes ordine fummam*
Ercro fmitâ diftant ratione creata :
Ancipiti quoniam mucrone utrinque notantur ,
Hinc flammis , illinc rigidis infefla .pruims»
Quod quoniam docui, pergam connectere rem,
quae
Ex hoc apra fîdem ducit : primordia rerum ,
Inter fe fimili quae funt perfecta figura ,
Infinita cluere : etenim , diftantia ctinrrlt
ïormarum finira , necefï^ eft, qua* fimiîes fine,
W"
2*7P*RE
I T.
153
rôdeur de la myrrhe & la faveur du miel. Le
cigné harmonieux & le Dieu même de l'harmonie feraient réduits à un honteux filence,
puisqu'on nouvel ordre de feofations plus agréa' blés les unes que les autres fe fuccéderaient fans
interruption. Le même progrès à l'infini au taie
encore lieu pour les qualités défagréables. Les
yeux, l'odorat, l'ouie & le goût auraient toujours à craindre des fenfations plus choquantes.
Mais comme ces efFcts font contraires à l'expérience , & que les qualités fenfibles des corps
ont des bornes invariables, vous ne pouvez non
plus en refufer à la figure des atomes.
»
•j\
"~
,;
C]
Enfin depuis la flamme dévorante jufqu'amc
glaces de l'hyver & réciproquement, il y a un
efpace borné. Le froid & k chaud occupent les
limites ; & la tiédeur qui tient le milieu entre
ces deux extrémités , remplit par degrés "tout
l'intervalle. Gonvencz^donc que les qualkés Ccnfibles des objets (ont finies , puisqu'elles ont
pour bornes d'un coté les feux brûlans, & de
l'autre les frimats glacés.
:t
J*
Comme les figures des atomes font limitées,
ft; il eft neceflaire que leur nombre (bit infini dans
fi chaque chlle de figures. C'eft une coafe^jucice
•^> naturelle des principes dJja établis. Sans cela
Gv
i54
l U C RE C 4 |
Elfe infînitas : aut fummam materiaï
liiùtam conûare : id quod non efle probavi.
Quod quoniam docui, nanc fi$aviloquis, âge ,
paucïs
Verfibus oftendam, cor pu feu la materiaï
Ex infînito fummam rerum ufque tenerc,
Undique protelo j>lagarum continuato.
Nam quod rara vides magis efle animalia quaedam,
Foecundamque minus nacuram cernis in illis ;
At regione, locoque alio, terrifque remotis
Multa licet gencre elîe in eo, numerumque repleri.
Sicuti quadrupedum cum primis e& videmus
In génère anguinianos elephantos, India quorum
Millibus è multis vallo munitur eburno 5
Ut penitiis nequeat penetrari : tanta ferarum
Vis eft, quarum nos perpauca exempla videmus.
Sed taraen id quoque uti concedam, quam lib e t , efto
Unica res quaedam, nativo corpore fola,
Cui fimilis toto terrarum non fit in orbe :
Infinita tamen nifi erit vis materiaï,
Unde ea progigni poffit concepta : creari
Non poterit, n^que, quod fupereft, procrefeere,
aLque.
r
•
L
J
F
R
E
I L
155
' -l'univers ferait |x>fné, & nous avons folidemenc
réfuté cette erreur.
•
Mais allons-plus loin , 6 Mcmmjus, & apprenez en peu.de mots que ce n'eftqu'à l'aide de
leur infinité-que les atomes par des chocs continuels fumTcnt à l'entretien du grand tout.
Si vous remarquez des efpeces moins nom-»
breufes & la. Nature moins féconde à les produire , fçachez qu\en daurres pays, dans des climats lointains , elle les multiplie & en coniplette le nombre. Tel eft l'énorme quadrupède
que la Nature arma d'une trompe ; à peine en
voyons-nous un féal dans nos contrées, & fin Je
en nourrit une fi grande quantité qu'il! forment
autour de fes murs un rempart d'y voire impénétrable. . - ; • . . • „
Mais quand même je vous accorderais qu'il
y eût dans la nature un corps unique dont le
rembkblc n'exiftitpo^datw le refte Si monde 4
néanmoins fi les atomes deftinés à le former ac
font infinis en nombre , jamais cet individi
privilégié ne pourra ni être produit, ni s'accroître' te fe nourrir.
Gvj
1 ;
i$6
LUCRE
CE
Quinpe etenim fumant oculi, flnita per omne
Corpora ja&ari unius genitalia rei 5
Undc, ubi, quâ vi, & quo.pa&o congrerïa coibant
Materix tanto *n pelago, tutbâque aliéna ?
Non , ut opinor, habent rationcm çoaciliandï :
Sed quafi, naufragiis magnis malrifque coorcis,
Disjec"tare folet magnum mare tranftra, guberna,
Antehnas, proram , malos , tonfafque natantes ,
Per terrarum omnes oras fluitantia apluftra $
U t videantur, & indicium mortalibus edant,
Infidi maris infidias, virefque dolumque
Ut vitar; velint r- neve.ullo temporc credanr,
Subdola ctim ridet placidi pellacia ponri :
Sic tibt, fi finita femel primordia quxdam
Conftitues, aevum debebunt fparfa per omne
Disje&are aeftus diverfï materiaï :
Nunquarrî in conciHum ut poflint compulfa coire,
Nec remorari in concilie, nec crefeere adaucla.
Quorum utrumque palam fieri manifefta docer
res :
Et res progigni, & genitas procrefeere poiTe,
Èfleigitur, génère in quovis, primordia rerun»
Iniinita palam eft, unde omnia fuppeditamur.
Nec fuperare queunt motus utique exitiales
Perpétué -, nçque in seternum fepelire faiutem ;
N e : porro rerum génitales, auclificique
Mc:.:3 perpsuio poflunt feryare creata»
ÏJFRE
IL
157
Suppoiez en effet les élémens de votre corps
Unique finis & difpcrfés dans le grand tout. Au
milieu de cet océan d'atomes, comment pour'. romvilsrfe raflembler ? Par quelle force, & dans
quel lieu fe réuniront-ils ? Il vous eft impoffible
d'en trouver le moyen. Au contraire, comme
l'on voit après une violente tempête la mer rejetter au loin des bancs, des gouvernails, des antennes , des proues, des mais Se des cordages
- flottans fur la vaiïc étendue de Tes ondes, leçon
terrible pour apprendre aux mortels à fuir les traînions d'un élément perfide & à fe défier même de
fon attrait au milieu du calme : de même les clé- mens dont vous fuppofez le nombre fini, repoulfés
tf^ar les flots de la matière, nageront difperfés
' pendant.l'éternité ; jamais ils ne fe raflemble, xont 5 ou. fi le hafard leur procure un moment
• de réunion, jamais cet afiemblage ne pourra
: s'accroître & fe nourrir. Mais comme une expé\ - rience journalière nous rend témoins de la for; mation & du progrès de tous les corps, vous
\ êtes obligé de convenir que chaque efpcce eft
l, entretenue par un nombre infini d'élémens.
*
F
•
Voilà pourquoi les mouvemens deitru&eurs
ne peuvent tenir les corps dans un état de diiîblution continuelle , ni les mouvemens créateurs
fcteuraflurer une éternelle durie. Ces principes
\
15&
LUCRECE
Sic aequo geritur certamine principiorum
Ex infînito contractum tempore bellum.
Nunc hîc, nunc illic fuperant vitalia rerum,
Et fuperantur item : mifcetur furtere vagor ,
Quem pueri tollunt vifentes luminis oras :
Nec nox ulla diem, neque noclem Aurora fecuta
eft,
Quae non audierit miftps vagitibus xgris
Ploratus, mortis comités, & funeris atri.
Illud in his obfignatum quoque rébus habere
Convenir, & memori mandatum mente tenere :
Nil eHe in promptu, quorum natura tenetur,
Quod génère ex uno confiftat principiorum j
Nec quidqQâm,quod non permifto femine confier. *
Et quàm quidquc magis multas vis pofiidet in fe ,
Atque potcftares ; ita plaria principiorum
,
In fek gencua, ac varias doçet eiTe figuras.
Principio tellus habet in fe coipora prima,
Unde mare immepfum volventes flamina fontes
Afïlduè rénovent : habet, ignés unde oriantur.
Nam mulris fuccenfa locis ardent fola terrée :
Eximiis vero furit ignibus impetus JEtnx.
Tum porro nkidas fruges, arbuftaque tea
Gentibus humanis habet unde extollere poiîit.
Unde eriam Guidas frondes, & pabali Ix:a *
Montivagc generi po/ïit prxbere fsrariiav.
*?*»
L I V RE
IL
159
ennemis fe font la guerre avec des fuccès à-peupjès égaux. C'cft nne alternative continuelle de
victoires & de défaites ; vous voyez des ëcres
fonir de la vie au moment où d'autres y font
leur entrée, & jamais la tendre Aurore ni la
fombre nuit n'ont vificé ce globe fans entendre
les cris plaintifs de l'enfant au berceau , & de
trilles fanglots autour d'un cercueil.
Mais une vérité qu'il faut graver dans votre
mémoire en traits ineffaçables, c'eft que de tous
les corps dont la nature nous cft connue, il n'y
en a aucun qui foit formé d'une feule efpece
de principes, aucun qui ne réfulcc d'un mélange
d'élémens ; & plas un corps a de propriétés ,
» fjhs fes atomes conftitutifs différent en nombre
& en figures.
j Commençons par la terre. La terre contient
'• les élémeBs des grands fleuves qui vont fans
i ce/Te renouvellcr la mer , elle contient hs priaV ripes des feux fouterrains qui la dévorent, dç
i. ces flammes bouillonnantes que l'Etna vomit
â dans fa fureur ; elle contient enfin les germes
ft;des grains & des fruits qu'elle offre à l'homme,
î:& des pâturaees dont elle nourrit les habicans
A des montagnes.
160
LUCRECE
Quare magna Dtûm mattr,
mater que fera-
rum,
Et noflri genitrix haec di&a eft corporls una.
Hanc veteres.Grajûm docli cecinêre poê'rat
Sublimem in curru bijugos agitare leones :
A'ëris in fpatio magnam pendere docentes
Tellurem : neque pofle in terra fîftere terram.
Adjunxêre feras s quia, quamvis criera, proies
OfEciis débet molliri vida parentum.
Muralique caput fummum cinxêre coronâ ;
Eximiis manita locis quôd fuftinet urbes :
Quo nunc infîgni per magnas prardita terras
Horrificè fertur divina? matris imago.
Kanc varias genres, antiquo more facrorum ,
Hœarn vocitant matrem, Phrygiafque catervas
Dant comités, quia primàm ex illis fïnibus edunt
Per terrarum orbem fruges cœpiiTe creari.
Gallos attribuunt $ quia, numen qui viplannt
Matris, & ingrat! genitoribus inventi fînt,
Significare volunt indignos erTe putandos,
Vivam progeniem qui in oras luminis edant.
Tympana tenta tonant palmis , & cymbala circiîm
Coïicsva, raucifonooue minantur cornua cantu ;
. Hc Pluy^io ui.nuiat numéro cava tibia mentes,
w.
^L 1 V RE
II.
\6\
Voilà pourquoi on lui a donné les noms Diiilans de mire des Dieux, de nourrie» des hommes
ér des animaux. Les anciens Poètes Grecs la
repréTentaient aflife fur un char traîne par des
lions, nous enfeignant que, fufpcndue dans
îefpace, elle no pourrait avoir pour baie une
autre terre 5 les animaux furie Je Coumis au joug
figflifient que les bienfaits des parc as doivent
triompher des caractères les plus farouches. Ils
lui ont ceint la tête d'une couronne murale ,
parce que (a iurfacc eft couverte de villes & de
fortcreÏÏcs. Cette couronne guerrière infpire encore aujourd'hui la terreur aux peuples chez qui
on promené la ftarue de la Dée/Tc. Les nations
4e tout pays, fuivant un ufage antique 8c folemHel, l'appellenc Idéenne , Ôc lui donnent pour
."'cortège une troupe de Phrygiens, parce que le
genre humain doit à l'induitrie de ces peuples
la culture des,grains. Des Prêtres mucilcs c<£le~
• Jbrcnt des facrifiecs, pour enfeigner aux mortels
.'que ceux qui manquent de rcfpcct envers leurs
iincres, ces images de la diviniré\ oa de re:onïfiai/Tanceenvers leurs percs , font indignes euxjnémes de revivre dans une poftérité. Ces vils
iniitres font réfonner dans leurs mains des
ibours bruyans , des cyrribales repenti flantes,
le cornet au forï rauq le Se menaçant, & la
fiàtt donc les acceus Phrygiens excitent la fureur
)
tGi
LUCRECE
Telaque prâportant violenti ligna furorh 5Ingratos animos, arque impia pérora volgi
Cônterrere metu qux pofllnt numine Divx.
Èrgô cihn primùm magnas iûve&a pcr u&
bes
Munifîcat tacitâ mortales muta falute :
JErc a:que argenté ftemunt iter omne viarura
Largifîcâ fripe ditantes ; ninguntque rofarum
Eloribus, umbrantes macrem, comitumquc catervas.
Hîc armata manus [ Cureta* nomine Graii
Quos memorant Phrygios ] inter fe forte cate*
nas
'Xudunt, in numerumque exfukant, fanguin©
lxti i 8c
Terrifîcas capitum quatientes numine criftas ,
Di&aeos referuiit Curttas, qui Jovis illum
Vagitum in Cretâ quondam occultâfle feruntur ,
Cùm pueri circum puerum pernice choreâ
Armati in numerum pulfarent aeribus aéra §
Ne Saturnus eum malis mandaret adeptus ,
iEternumque daret matri fub pe&ore volnus.
Propterea magnam armati matrem comitanmr ,
Aut quia figniHcant Divam pr^dicere, ut,armis,
Ac virtute velint patriam defendere terram ;
Pia:£dioque parear, decorique paremibus elle.
w
IIP
RE
IL
16)
4ans les âmes. Leurs bras font auftï armés de piques , initrumens de la mon, pour jetrer l'épou*
Vante dans les coeurs impies fie dénaturés.
m
Aufîi tandis que la flatue muette de la Décile,
foxtée dans les grandes villes, répand en fecref
iur les monels les effets de#£a munificence 5
on enrichit cous les chemins d'or fie d'argent :
on verfe à pleines mains les tréfors les plus pré-*
cieux : une nnée de rieurs odorantes ombrage la
jnere des Dieux fie ù. brillante cour.
Alors une troupe armée que les Qrecs nomripent Cureta Phrygiens , jouent fie fe frappent
Cntr'eux avec de pefantes chaînes ; ils danfent
£c regardent avec joie le fang qui coule de leurs
:ftorps, fie les aigrettes menaçantes qu'ils agitent
fur leurs têtes rappellent ces anciens Curetés qui
couvraient dans la Crète les cris de Jupiter,
tandis que des enfàns armés exécutaient des
fjdanfes rapides autour de Ton berceau, frappant
J|n mefure l'airain bruyant, de peur que Saturne
dévorât le Dieu de Ci dent cruelle , fie ne
>rtât une éternelle bleflure au cœur de fa divine
;re. Voilà pourquoi la Dée/Te eft environnée
_._ gens armés. Peut-être auflî veut-elle avenir
j»ar-là les hommes d'être prêts à défendre leur
atrie les armes à la main, fie d'être à la fois la
jloirefiele foutien de leurs parens.
{
i*4
LUCRECE
Qax bene, & eximic, quamvis difpôftâ fera ntur,
Longé funt tamen à verâ ratione repulfa.
Omnis enfm per fe Divûm natura necelîe eft •
Immortali xvo fummâ cum pace fruatur ,
Semota à noftris rébus, fejunctaque longe.
Nam privata doloreomni, privata periclis ,
Ipfa fuis pollens opibus, nihil indiga noftri,
Nec bene promeritis capitur, nec tangitur ira.
Terra quidem vero caret omni tempore fenfu:
SeJ quia multarum potitur primordia rerum ,
Muka modis rnultis etfert in lumina folis.
Hic naquis mare Neptunum , Ccrer<mque v o ca re
Conftituet fruges , & Bacchi nornine abuti
Mavolt, quàm laticis proprium proferre vocamen :
Concedamus ut hic terrarum dicticet orbem
EiTe Deûm mftrem, dum re non fit tamen apfe.
Saepe ïtaque ex uno tondentes gramina campo
Lanigerae pecudes & equorum duellica proies,
Buceriaeque greges, fub eodem tegmine cceli,
Ex unoque faim fedantes Humine.aquaï,
Diiîîmili vivunt fpecie , retinentque parenrum
Naruram , & mores generatim quaeque imitantw ;
-»7>
L I V R E
IL
16-j
Ces fiâions, quelque le fruit d'une imagination brillance, la philofophic les reprouve.
Elle içair que les Dieux au haut du ciel jouiffent en paix de leur immortalité. Ceft la plus
belle prérogative de leur nature ; peu touchés
4e nos faibles intérêts j à l'abri de la douleur 8c
fty danger ; Ce fuififans à eux-mêmes 5 indépen.dans de nous ; nous ne pouvons les gagner par
nos vertus ni les irriter par nos crimes.
Quant à la terre, elle n'a été de tout tems
qu'un amas de matière privée de fcnrrmcnt ; &
Jes productions que nous lui devons, elle les doit
çjle-même à la multitude d elémens divers ou'elle
A
contient» Néanmoins fi l'on veut appeller la mer
Neptunt, 8ç les moi/Tons Cerks : fi l'on préfère
le nom de Bacchus au mot propre de notre
langue ; on eft maître de do/iner au/fi à la terre
la qualité de mcre des Dieux , pourvu qu'en eifec
file ne le foit pasf
\ Mais revenons à notre fujet. L'animal qui
forte la laine, le quadrupède né pour la guerre,
Jlt les troupeaux armés de cornes, nourris dans
mêmes pâturages» abreuvés aux mêmes four, expofés au même air, n'en font pas moins
Mts efpeces différentes, confervant chacune les
Jteois de fes pexes 6ç foo caractère fpécifique.
£
I.
\66
LUCRECE
Tanta eft in-quovis génère herbae materia?
P.ilCmilis ratio, taitta elt in flunùne quoque>
Jara vero quamvis animantem ex omnibut
imam
OfTa, cruor, venae, calor, humor, vifcera, nervi
Conftituunt, quae funt porro diftantia longé
Diflimili perfecta figura principiorum.
Tum porro quaxunque igniflammatacreman*
tur i
Si nii prseterea, tamen ex fe ea corpora tradunt,
Unde ignemjacere, & lumen fummittere poflmt,
Scintiilafque agere, ac latè differre favillam.
Caetera confimili "mentis rarione peragrans,
Invenics intus multarum femina rerum
Corpore celare, & varias cohibere figuras.
Denique multa vides, quibus & odor, & fapor
unà,
Reddita funt cum adcles : imprimis pleraquç il
dona ,
Reliigionc animum turpi ciirn tangerc par-to,
Haec igitur variis debent conflare figuris :
Nidor enim pénétrât, quà fuccus non it in ar-»
tus :
*
Succus item feorium & rerum fapor inunuatur
•?*•
I IV RE
11.
tif
H y a donc & dans les herbes de nos champs
£c dans les caox de nosfleuresdes molécules de
âiàézçmc nature*
•
Ajoutez que tout animal eft compofé d'os A
iiefang, déveines, de chaleur, d'humidité, de
ràceres & de nerfs, fubitances qui ne diirerenc
facr'clles que par la diveruté dç leurs élémens.
D'ailleurs les corps combuftiblcs contiennent
jeu moins les principes de la flamme, de la
lumière, des étincelles, de la cendre 8c de la
filmée ; considérez avec attention toutes les fubftaaces exiitantes, vous leur trouverez les germes
M mille autres;
. Enfin un grand nombre de corps fe font fenpx a la fois au goût 8c à l'odorat : telles font
Lies vi&imes expiatoires que le criminel pour
jjpppaifcr fes remords , immole à la divinité.
*eft-il pas évident que les élémens de ces corps
H vent différer entr'eux ? Les odeurs s'introjifent dans nos organes par des palïàges inédits à la faveur, & la faveur s'y rend par
àcs voies fermées a u odeurs $ ces deux qualités
i68
LUCRECE
Senfibus, ut nofcas primis differre fîguris.'
Diflimiles igitùr formas glomeramen in unum
Conveniunt, & res permifto-femme confiant.
Quin etiam paflim noftris in verfibus ipfîs
Multa elementa vides multis communia verbis :
Cdm tamen inter le verdis, ac verba necefle cil:
Confiteare alia ex aliis conftare démentis.
Non quod multa pariim communis littera currat,
Aut nulla inter fe duo fint ex omnibus îfdem :
Sed quia non volgo paria omnibus omnia conftant.
Sic aliis in rébus item communia multa
Multarum rerum cdm fint primordia , longe
Diffimili tamen inter fe confiftere fummâ
Poilunt : ut merito ex aliis conftare ferantur
Humanum genus , ac fruges, arbuftaque lxta.
Ncc tamen omnimodis connecli porte putandum eft
Omnia : nam volgo fieri portenta videres :
Semiferas hominum fpecies exiftere : & altos
Interdum famos egigni corpore vivo :
Multaque connedi terreftria membra marinis :
Tum flammam tetro fpirantes ore Chimsras
Pafcere naturam per terras omniparentes.
Quorupi
11 r
RE
ii.
\69
aaiffent donc de, la différence configuration des
atomes. Àinfi le même amas de matière renferme dans fbn tiûu des formes différentes, &
les corps réfultcnt d'un mélange d'élémens.
Dans ces vers que vous lifez^ vous appercevez
fcuvent les mêmes lettres communes à plufïeurs
mots. Cependant vous êtes obligé de reconnaître
une différence entre les élémens des vers & des
mots i non qu'ils n'aient plusieurs lettres communes y non qu'ils ne foient quelquefois coràfoCés précifément des mêmes élémens, mais
parce que la totalité n'eft pas le résultat d'un
même atfemblage. De même,quoiquc les diffcrens
corps de la nature aient des atomes communs,
les mafTes peuvent différer, & on aura rai Ton de
dire que les hommes, les moiffons & les forêts
ne font pas le produit des mêmes élémens.
Ne croyez pourtant pas que les atomes de
toute efpece puiflent fe lier enfemble. Les monftres feraient plus communs dans la nature. Vous
* verriez tous les jours des corps humains terminés en bêtes féroces , des branches touffues s'élever du corps d'un animal vivant, des fubftances
rcxreltres unies à des fubftances marines ; & des chimères redoutables, dont la gueule armée de feux
[ï dévasterait toute* les productions de la terre. Si
\*
Tome I.
H
%7o
L*U C R E C E
Quorum nil fieri manifeftum eft : omnia quand©
Seminibus ccrtis, certâ génitrice, creata
Coniervare genus crefcentia pofle yidemus.
Scilicet id certâ fieri ratione necefTe eft,
Kam fua cuique, cibis ex omnibus, intùs in artus
Corpora difcedunt, connexaque convenientes
Eïficiunt motus : at contra aliéna videmus
Rejicere in terras Naturam : multaque caecis
Corporibus fugiunt è corpore percita plagis,
Quas nequc conne&i çuiquam potuêre, ncque
intra
yicales motus confentire, atque animari.
Sed ne forte putes animalia fola teneri
Jx^ibus his : eadem ratio res terminât omnes^
Nam veluti totâ naturâ difiïmiles funt
Inter fe geniiae res quaeque ; ita quamque neceffe
eft
Diflimili eonftarefiguraprincipiorum :
Non quod multa pariimfimilifintprasditaforma 5
$ed quia non vplgo paria omnibus omnia con£tent.
Semina ciim porro diftent, differre nece/Te eft
Intervalla, vias, connexus , pondéra, plagâs ,
Concurfus, motu§ ; qux non animalia folùm
't.
L 1 V R E IL
i7x
ces prodiges n'ont pas lieu dans la nature, c'eft
qie tous les êtres formés de certains élémens,
par une certaine force génératrice , confervent
en s'ficcroiûant leur efpece particulière.
Cet ordre ne peut jamais s'interrompre, parce
que chaque animal tire des alimens , les fucs les
plus analogues à fa constitution, qui s'unifient
au corps, 8c contribuent au mouvement Se à la
vie de la macbine. Au contraire les molécules
qui n'ont pu s'unir à la mafle , recevoir l'impreftion de la vie , & concourir aux mouvemens
créateurs , la Nature les rend à la terre, ou s'en
Àébarraffe par une a&ion infenfible.
Ne croyez pas au refte que les animaux fc ils
foient aûujettis à cette loi. Elle s'étend à toutes
les productions de la terre. Comme elles différent toutes entr'elles, il faut que leurs élémens
foient doués de figures différentes, non qu'il y
ait beaucoup d élémens de différentes figures,
mais parce que les touts qu'ils compofent, ne
peuvent jamais être femblabies en tout.
Cette différence entre les élémens en établit
une néceffaire entre leurs diftances, leurs directions , leurs liaifons, leurs chocs, leurs ren~
Hij
17*
LUCRECE
Corpora fejungunt, fed terras, ac mare totum
^eccrnunt, cœlumque à tsrris prune retentant,
Kunc âge, di&a meo dulci quajfita labore
Percipe : ne forte hase albis ex alba rearis
Principiis elle, ante oculos qux candida cernis :
A ut ea y quae nigrant, nigro de femine nata :
Neve, alium quemvis qua; funt induta colorem ,
Propterea gerere hune credas, quod materiaï
Corpora confîmili fint ejus tincta colore.
jNullus enim color eft omnino materiaï
Corporibus , neque par rébus, neque deniquc
difpar.
In quz corpora ii nullus tibi forte videtur
porte animi inje&us fieri, procul avius erras.
Nam cùm cascigeni , foîis qui lumina nun-»
quam
Afpcxêre, tamen cognofeant corpora ta&u ,
£x ineunte a;vo, nullo contin&a colore :
Scire licet, menti quoque noftrae corpora porTc
yerci in notitiam nullo circumlita fuco.
penique nos ipfi caecis quaecunque tenebris
Tans^mus, haud ullo fentimus tincta colore.
*
Quod quoniam vincofieri, nunc elfe docebo.
w
L I F R E 11.
I7J
contres 6c leurs mouvemens , qualités relatives , à l aide defquelles nous diitinguons nonfeulement ks animaux d'avec les animaux, mais
encore l a mer d'avec la terre, & la terre d'avec
le ciel*
Continuez, ô Mcmmius, à recueillir le fruit
de mes doux travaux, & gardez-vous de croira
que les corps ne vous paraient blancsou noirs,
ou teints de toute autre couleur, que parce quo
leurs élémens font doués de la même qualité.
Les élémens nom aucune couleur, ni femblablc>
«i différente.
•1
Si vous peniez que les acomer dépouillés <fo
couleur ne peuvent plus fe concevoir, vous êtes
dans l'erreur. Les malheureux, dont les yeux n'ont
jamais été ouverts à la lumière, ne s'accoutument-ils pas dès l'enfance, à connaître au toucher
les objets dont ils ne voient pas la couleur ?
Nous pouvons de mime nous former une idée
des corps primitifs', (ans qu'ils (oient colorés»
Enfin nous ne fentons pas la couleur des corps
que nous touchons pendant la nuit.
Mais joignons le raisonnement à l'expérience.
Hiij
i74
LUCRECE
Omnis enim color omnino mutatur in omnes 5
Quod facere haud ullo debent primordia paéto :
Immutabile enim quiddam fuperare necefle eft ,
Ns res ad nibilum redigantur funditiis omnes.
Nam quodcunque fuis matatum finibus exit,
Continue) hoc mors eft illias, quod fuit ante.
Proindc colore cave contingas femina rerum :
Ne tibi res redeant ad nilum funditùs omnes.
Pnrterea , fi nulla coloris principiis eft
P*eddita natura : at variis funt prxdita formis ,
E quibusomnigenosgignunt, variantque colores»
Propterea magni quod refert femina quaeque
Cum quibus , & quali pofiturâ contineanrur 5
Et quos inter fe dent motus accipiantque :
Perfacilè extémplo rationem reddere poffis,
Cur ea, quae nigro fuerint paulo antè colore,
Marmoreo âeri pofïînt candore repente :
Ut mare, cùm magni commôrunt xquora venti,
Vercitur in canos candenti marmore fludus.
Dicere enim poffis nigrum, quod faepe videmus ,
Mate ries ubi permifta eft illius, & ordo
Principiismutatus, & addita, demptaque quxdam,
Continué idfieriut candens videatur, & album:
Quod fi caeruleis conftarent aequora ponti
Seminibus, nullo po/Tent albefeere pa£to.
Kam quoeunque modo perturbes, caerula qu«r iînt,
11 r
R ê
11.
i75
11 n'y & pas de couleur qui ne puiûc Te convertir
en toute antre. Or les atomes ne peuvent fubir
de pareils changemens. Leur nature exige qu'ils
/oient immuables ; fans quoi l'univers ferait
anéanti $ puifqu'un corps ne peut franchir les
bornes de (à nature, fans cefler detre ce qu'il
était. Gardez-vous donc de croire que les élémens de la matière (oient colorés, ou ce grand
tout tombe dans le néant.
La Nature néanmoins en refufant des couleur*
aux atomes, leur a donné différentes formes
propres à les produire & à les varier à l'infini.
11 importe donc de confidérer le mélange, la
fimation, 6c le» moaremens rcfpe&ifs des clémens $ par ce moyen vous expliquerez pour-'
quoi les corps teints il n'y a qu'un moment donc
couleur noire, la changent tout-à-coup en une
blancheur éblouiuante ; pourquoi la mer battue
par les vents , fe couvre d'une écume blaachinante. Vous direz que & les élémens d'un
corps qui paraît noir fe troublent 8c i e confondent, fi leur ordre primitif s'altère, fi quelques
atomes s'échappent pour faire place à d'autres ,
la furface de ce corps peut fe revêtir d'une
couleur blanche ; au lieu que fi les élémens
de la mer étaient azurés, jamais ils ne blanchiraient, & de quelque manière qu'on en déranHiv
*•.
*7*
LUCRECE
Nunquam in marmoreum pofTunt migrarc colo^rcm.
Sin alio , atquc alio funt feraina tinéta colore ,
Quae maris efficiunt unum purumque nitorem :
Ut faepe ex aliis formis, variifque figutis,
Ifficitur quiddam quadratum, unaeque figura :
Conveniebat, uti in quadrato cernimus elle
Diflimiles formas, ita cernere in asquore ponti ;
Aut alio in quovis uno puroque nitore
Diflimiks longe inter fe, variofquç colores.
Practerea, nihil officiunt, obftantque figuras
Diflimiles, quo quadratum minus omnefitextra :
At varii rerum impediunt, prohibentque colores ,
Quo minus efie uno pofilt res tota nitore.
Tumporrô, qu#ducit& inlicit, ut tribuamus
Principiis rerum nonnunquam, caufa 9 colores >
Occidit 5 ex albis quoniam non alba creantur :
Nec quae nigra cluent, de nigris > fed variis de.
Quippe etenim multô procliviiis exorientur
Candida de nullo , quàrri de nigrante colore ,
Aut alio quovis, qui contra pugnet, & obilet.
LIVRE
II.
i77
gcat Tordre,- ils ^'acquerraient jamais l'éclatante
couleur du marbre.
Si TOUS dires que la couleur de la mer, quoique pure & fans mélange, réfulte d'élémens diverfement colorés î comme de l'alTcmblagc de
figures différentes, on peut faire un tout quarté
le uniforme \ i! faudrait, puifqu'on diftingue
dans le quarré les différentes figures qui le compofent, qu'on diftinguât auflî, Toit dans la mer,
foit dans les autres corps dont la couleur eft pire
& fans mélange, ces couleurs fi difTcmMabltt
dont réfulte la couleur totale,
v
D'ailleurs, la différence des figures particulières n'empêche point le tout produic au-dehors
d'être un quarré 5 au lieu que la dirTcuncc des
couleurs élémentaires nuic à l'unité de la cot*. leur totale^
>
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J"
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De plus , puifque faivant cette explication lia
noirceur & la blancheur ne réfultent pas d'atomes
blancs ou noirs, mais d'un mélange d'élémens
diverfement colorés, la raifon qui TOUS obligeait
de fuppofcr les clémens colorés ne {ubfîfte» plus ;
car la biaucheur fera plus aifément produite par
des atomes defti:ués de couleur, que par des atomes
noirs, ou doués d'une autre couleur auilî oppof J *.
HT
k
178
LUCRECE
Praeterea, quoniam nequeunt fine luce colores
Elfe , neque in lucem exiftunt primordia rerum :
Scirc licet quàm fint nullo velata colore.
Qualis enim carcis poterit color efTe tenebris,
Lumine qui mutacur in ipfo, propterea quod
Rc&â aut obliqua pereuffus luce refulget ?
riuma columbarum quo paéto in foie videtur,
Qux fita cerviecs circum , collumque coronat j
Namque alias fit uti rubro fit clara pyropo :
Intcrdiun quodam fenfu fit, uti videattfr
Inter cxruleum virides mifeere fmaragdos.
Caudaque pavonis , largâ edm luce repleta eft ,
Confimili mutât ratione obverfa colores.
Qui, quoniam quodam gignuntur luminis idn ,
Scilicet id fine eo fieri non polie putandum eft.
Et quoniam plagx quoddam genus excipit in fe
Pupula , cùm fentire colorem dicitur album ,
Atquealiud porrô, nigrum edm, & caetera, fenrir,
Nec refert ea, qux tangis , quo forte colore
Prxdita fint 3 verùm quali magis aptafigura:
Scire licet, nii principiis opus cfTe colores ;
Sed yariis formis variantes edere taclus.
Praeterea, quoniam non certis certa fîguris
Eft natura coloris, & omnia principiorum
Tormamenta queunt in quovis efTe ni tore :
Cur ea, qux confiant ex illis , non pariter funt
-
T
L l pr R E
11.
i79
Enfin les agtmts ne font pis colorés, parce
qu'ils ne Reçoivent pas l'imprculon de la iumicre.
C'eft la lumière qui produit les couleurs. Comment cxi/Vtraicnt-cIlcs dans les ténèbres, puifque
fouvent même en plein jour, elles fe changent
& s'altèrent, foivant que les objets font frappés
par des rayons dirc«5ts ou obliques ? Ainfi le brillant collier qui orne la gorge des colombes, réfléchit cantot les feux des rubis, cantot le vcrd
de l'émeraude avec l'azur du firmament Ainlî
la queuedapaon, frappée d'une vive lumière»
change di cdulen*, fcldn tes différentes exportions. l*f couleurs dépendent donc de la chûre
des rayons, de. ne peuvent par conséquent exiger
fans lumière.
Conftdéfcsc encore que l'organe eft autrement
affecté parla couleur blanche que par la couleur
noire, ou toute autre couleur. Et comme dans les
objets fournis au tact la figure feule eft efTentielle,& la couleur indifférente, avouez que les
atomes n'ont pas befoin de couleurs, mais de
figures analogues aux fenfattons qu'ils excitent.
Ne conVeriéi-vous-pas outre cela que les cou*T; leurs des atomes ne dépendent pas de leurs f?•'. gurcs, que quelque foie leur forme ils font fuî' ccptibles de toutes les couleurs ? Pourquoi donc
i8o
L V C R E C E
Omnigenis perfufa coloribus in génère omni ?
Conveniebat enim corvos quoque faepe volaittes
Ex albis album pennis jadarc colorem ,
Et nigros fieri nigro de femine cycnos,
Aut alio quovis uno * varioque colore.
Ouin etiar» quantoin partes res quaequc minutas
Diftrahitur magis, hoc magis eftut cernere poffis
Evanefcere paulatim, ftinguique colorem.
Ut fit, ubi in parvas partes difcerpitur aurum ,
Purpura, Pœniceufque color clartflimu' mu ko +
ïilatim cùm diûractus difperditur omnis :
NoCccre, ut hinc poflis, priiis omnern efflarc colorem
Particulas, quàm difcedant ad ferrana rerum.
Poftremô, quoniam non. omnia corpora vocem
^ittere concedis, neque odorem ipropterea fîr,
Ut non omnibus attribuas ionitus, & odores.
Sic, oculis quoniam non omnia cernere quimus,
Scire licet, quaedam tam conftare orba colore t
Quàmfineodore ulloquxdam, fonituqueremota j
Nec minus hsec animum cognofcere pofle Is^icem,
Quàm n-:x Tant alus rébus privata, nctifque.
L I F R E I L
i*i
les corps qui en réfultcnt n ont-ils pas le même
privilège ? Pourquoi leur efpece détermine-: elle
leurs couleurs ? Pourquoi le corbeau du haut des
airs n'éblouit-il pas Couvent nos yeux par une
blancheur éclatante ? Pourquoi les élémens du
cygne ne le rcvêtcur-ils pas quelquefois d'une
couleur noire, ou d'une autre couleur l
D'ailleurs en divifant les corps, vous remarquez que plus les parties font atténuées, plus
les couleurs s'éteignent & s'évanouifient. Ainii
l'or réduit en poudre, & la pourpre en fils déliés perdent tout leur éclat. L'expérience vous
eofeigne donc que les élémens de la matière fe
dépouillent de leurs couleurs, avant même d'être
réduits à l'état d'atomes.
Enfin vous n'êtes pas tenté d'attribuer du fon,
ni de l!odeur à tous les.corps, parce que tons
ne frappent point les organes de l'ouie, ni de
l'odorat. De même, de ce que tous. 1rs corps
ne font pas perceptibles i,l'œil, vous .devez en
conclure, qu'il y en a fans couleurs, cqrnrue il
y en a qui n ont ni odeur, ni fon. Et, un efpnt
pénétrant peut concevoir des corps fai>s couleur , comme il les conçoit fans les autres qualités.
i
•i8i
IV
C
R E
C
&
Seâ ne forte putes folo fpoîiata colore
Corpora prima manere : etiam fecreta teporis
Sunt, ac frigoris omnino, calidique vaporis :
Et fonitu fterila, & fucco jejana feruntur 5
Nec jaciunt ullum proprio de corpore odorem*
Sicut amaricini blandum, fta&aeque îiquorem ,
Et nardi florem, ne&ar qui naribus halant,
Ciim facere infirmas : cum primis quaerere par eft,
Quoadlicet, acpotises reperire, inolentis olivi
Naturam , nullam quae mittat naribus auram :
Quàm minime ut pofîlt miftos in corpore odorés,
Conco3:ofquc, fuo contactes perdere viro.
Propterea demum debcnt primordia rerum
Non adhibere fuum gignundis rébus odorem,
Nec fonîtura, quoniam nihil ab fe mittere poffunt •":
Nec fimili ratione faporem denique quemquam ;
Nec frigus ; neqae item calidum, tepidumque
l
valorem : &r
i
à.
'
Cetera : qus ciim ica! fiïn* tandem , ut mdrtalia
:
conftenr,
Molli lents, fragofa putti, cava corpore r a r o ,
Omnia ïïnt à principiis fejun&a" neceffe eft,
J
Immortalia fi volumus fubjufigere rébus
Fundamenta, quibus nitatur lutïirha falutis :
Ne tibi res redeant ad nilum funditus omucs.
Nunc ea, GUSC fentirs vidcmus cunque neceiFc eîY
IFVT
LIVRE
IL
îS 3
Mais ne croyez pas que les couleurs foicnt
la feule qualité fenfible refufée par la nature
aux atomes. Ils (ont encore inaccefïibles au froid,
au chaud, à la tiédeur, privés de fons, dénués
de focs, & incapables d'exhaler aucune odeur.
Ainfi lorfque vous cotnpofez une effence de marjolaine , de myrrhe & de nard précieux, vous
lui donnez pour bafe l'huile la moins odorante,
d? peur que fa vapeur échauffée ne corrompe le
parfum des fleurs.
Enfin les atomes qui entrent dans la composition des corps n'ont point d'odeur, ni de fon ,
parce qu'il n'en émané point de parties : pour la
même raifon, ils ne Çoxit ni favoureux, ni froids,
ni chauds, ni tiedes : quant aux autres qualités
1 qui caufent la ruine des corps , telles que la
•i mollene & la fouplefle, la fragilité & la cor ru p. tibilité, le mélange de matière & de vuide, gardez-vous d'en revêtir les atomes, fi vous voulez
donner à la nature des fondemens inébranlables,
affurer QL confervation, & la fauvet de l'aiiéantiiTement,
• :
n
• •
Vous êtes encore obligé de reconnaître que tous
i*4
LUCRECE
Ex infenfîlibus tamen omnia confiteare
Principiis conftare: necnie id manifefta réfutant,
Nec contra pugnant, in promptu cognita cuise
funt :
Sed magis ipfa manu cîucunt, & credere cogunt.
Ex iafeniilibus, cjuoddico, animalia gigni.
Quippe videre Hcet, vivos exiftere vernies
Stercore de tetro, putrorem cûm fibi na&a efl
Intempeftivis ex imbribus humida tellus,
Praeterea cunctas itidem res vertere CcCc.
Vertunt le fluvii, frondes, & pabula keta
In pecudes : vertunt pecudes in corpora noftra
Naturam y Se noftro de corpore Crpe ferarum
Augefcunt vires, & corpora pennipotentuau
Ergô omnes Natura cibos in corpora viV£
Yertit, & hinc fenfus animantum procréât om*
nés :
Non àliâ longe ratione, atque arida ligna
Explicat in flammas, & in ignés omnia verfat,
Jamne vides igitur, magni primordia re-rum
RefFerre in quali fînt ordine cmarcHie locata :
Et commifta quibus dent motus, accipiantque ?
Tum porro quid id eft animum quod pexcucit
ipfuin?
r
LIVRE
IL
185
•jjes corps doués de fêntiment font pourtant forc é s d'atomesinfenfîbles. L'expérience, loin de
combattre cette vérité , femble vous y conduire
v far la main, en vous montrant des animaux né»
^de femencts inanimées.
Ne Voyez-vous pas le vermifleau trouver la
^vie au fein de la fange , quand la terre a été
jjputrénce par des pluies trop abondantes ? Tous
*j}es corps éprouvent de femblables métamorphos e s . Les fleuves, les feuillages, les riantes praijries fe changent en troupeaux -y les troupeaux
yjjeviennent des corps humains ; & trop fouvent
tfbos membres eux-mêmes ont accru les forces des
-•*-*£
onftres fauvages, Se des oifeaux carnaciers.
Ainfi la Nature convertit en fubftances vivants & animées les alimens de toute efpece $
>mme elle fçait changer enflammespétillantes
bois aride , Se d'autres matières fans activité.
fous fentez donc de quelle conféquence il eft de
>nfidérer la fituatioQ refpe&ive des atomes,
mélange & leur foliation réciproque;
£h ! de quelle nature font donc les objets qui
fent fur votre ame elle-même 2 qui 1 emeu-
X
i8£
LUCRECE
Quod movct ? & varios fenfus expromere co«;.
g ic ?
Ex infenfîlibus ni credas fenfile gigni.
Nimirum, lapides, & ligna, & terra quoque
unà
Mifia, ramen nequcùnt vitalera rçddere fenfum>
Ulud in his igitur fœdus meminiffe decebit ;
Non ex omnibus omnino, quaecunque créant res>,
.Senfilia cxtemplo , & fenfus me dicere gigni :
Sed magni referre, ea primùm quantula confient,
Senfîle quae faciunt, & quâ fïnt prasdita forma
Motibus, ordinibus, pofiturrs denique quarfint:
Quarum ni! rerum in lignis, glebifque videraus%
Et ramen hase cura funt quan* putrefaâa per ia*bres,
Vermiculos pariunt ; quia corpora materiaï
Antiquisex ordinibus, permota nova re
Conciliantur ita, ut debent animalia gigni.
A.
Deinde ex fenfïlibus cùm fenfile porTe creari
Conftituunt, porro ex aliis fentire fuetis ;
Mollia tum faciunt : nam fenfus jungitur omnts
Vifcéribus , nervis , venis , quaecunque videmus
Mollia mortali confiirere corpore creta.
S<zà tamen eflo jam polTe hase alterna manere :
ÎT"
ZIKRE
II.
187
Snt ? qui ta expriment mille (ènfations diverses ? fi vous refufez à la matière infenfible la
faculté de produire des êtres fenfibles ?
.
. î
•
Il eft vrai que les pierres, le bois & la terre
e-méme mêlés cnfemble, ne peuvent engener le (èntimeit & la ?ie : auffi n'al-je pas préu que tous les atomes fans réfraction fuflent
-propres à produire en un moment des êtres fen;ibles, puifque je vous ai prévenu d avoir égard
À leur grandeur, leur nombre, leur figure, leur
uvement, leur ordre & leur fituation, circes qui n'ont pas la combinaifon requife
les arbres de nos forêts, & dans les glèbes
nos champs : & cependant ces corps mêmes»
trèfles par la phiie,, font éclorre des vermifux, parce que leurs élémens, déplacés par cette
vellc circonflance, acquièrent la combinaifon
•ce/Taire pour engendrer des animaux.
^Dire que la fenfibilité refaite d'atomes fenfï» , formés eux-mêmes d'autres atomes fenfi;, c'eft en faire des fubftances molles , puif}e la fenfibilité eR liée aux vifeeres , aux nerfs
aux veines qui font des corps mous Se deftrucries.
Mais quand même ces principes pourraient
i8S
LUCRECE
Ncmpe tamen debent aut fenfum partis haberft t
Aut fimilia totis animalibus efTe putari.
At nequeant per fe partes fçntire, nec efle^
Namque aliûm fenfus mernbrorum refpuit omnes.
Nec manus à nobis pôtis eft iecreta, neque ulla
Corporis omnino fenfum pars fola tenere.
Linquitur, ut totis animalibus adfîmilentur j
Vitali ut pofïînt confentire undique fenfu.
Qui poterunt igitur rerum primordia dici,
Et letki vitare vias 3 animalia cum fmt,
Atque animalibu fint mortalibus una, eademque î
i
Quod tamen ut poffint, ab cœtu, concilioque ,:
Nil facient, praeter volgum, turbamque animantum :
Scilicet utnequeunt hommes, armenta, ferscque ,
Inter fefe ullam rem gignere conveniendo
PerVeneris res, extra homines, armenta 3 ferafque»
1
Quod fi forte fuum dimittùnt corpore fenfarrr,
Atque alium capiunt j quid opus fuit atttribui,
quod
Dctrahitur ïTum prasterea, [ quod fugimus antè ]
Quatinus in pullos animales vertier ova
:
'TO»(
:.
L i r R E
IL-
189
ïcccnellement {ùbûfter, n'auront-ils que la icnfebilité d'une partie, ou en ferez-vous des aniCalcules ? La première fuppofition ne peut avoir
>|ku, parce qu'une partie ifolée ne fenr point
<|iar elle-même, & que le fentiment des autres
membres ne peut lui être communiqué. Ainfî
' jfn main féparée du corps, & les autres membres
^iiiolés demeurent infenfibles ; il ne vous refte
Jjlonc qu'à faire de vos atomes des animalcules »
leur donnant une fenfibilité totale : mais alors
éritent-ils le nom d'élémens, & la porte du
^Crêpas leur eft-elle fermée , s'ils font des aair
fipxaux fcmblables à ceux que nous voyons péris
HSpus les jours ?
A
fô. Mais quand même cela ferait polfible , leur
[pmblage formera-t-il autre chofe qu'un peu*
te nombreux d'animaux > de même que les
tmmes , les troupeaux & les bêtes féroces ,
is par la volupté, ne peuvent engendrer que
hommes , des troupeaux & des bêtes fé-
Si vous dites que les atomes dans leur anem*
Ige fe dépouillent de leur fenfibilité propre ,
fe revêtir de la fenfibilité commune, que:-ii befbin de leur donner une qualité que
leur ôtez ? Vue qualité qui leur eft d'ail-
i9o
LUCRECE
Cernimus alituum j vermefque effervere, ter*
ram
Intempeftivos cum putror cepit ob imbres :
Sçire licet gigni pofTe ex non fenfibu' fenfus.
Quod fi forte aliquis dicet, duntaxat oriri
PofTe ex non-fenfu fenfus, mutabilitate
Antè aliquâ , tanquam partum , quàm proditur
extra :
Huic fatis illud erît planum facerc, atque probare,
Nonfieri partum , nid confilio ante coacto :
Nec commutari quidquam fine conciliatu
Primorum, ut nequeunt uilius corporis etfe
Senfus ante ipfam gcnitam naturam animantis.
Nimirum quia materies disjeâa tenetur
Aère , fluminibus, terris, flammâque creatis :
Nec congrefTa modo vitales convenienti
Contulit inter fe motus, quibus omnituentes
Accenfi fenfus animantem quamque tuentur.
Praeterea quamvis animantem gfandior ictus j
Quàm patitur natura, repente adfligit, & omnes
Corporis, atque animi pergit confundere fenfus.
Diflblvuntur enini pofîturae principiorum j
Et penitùs motus vitales impediuntur j
Donec materies omnes concuiTa per artus
I
v»
L IVRE
I I.
i9%
leurs inutile î Car en voyant les œufs des oiTeaux fc changer en volatiles, & la putréfaction
. donner la vie à un peuple de vermificaux, pou*
feons-nous douter que les êtres fenfibies ne foicnt
rJbraés d'atomes non-fenfibles}
-0
Si vous prétendez que le fenfible résulte du
Bon-fenfible par un changement qui fe fait,
jpomme dans la naîu'ance de l'animal, avant qu'il
ic produite au - dehors : il fuifira de prouver
•qu'il n'y a aucune naiûance, finon poftérieure
a une formation, & qu'il ne fe fait point de
changement faut' une aflociation antérieure ;
r,*nfoTtc qu'il n'y a aucun fens avant la formal~#o% âc l'animal. Car avant cette formation les
iémens font épais dans l'air, les eaux, la terre &
flamme. Ils ne fe font point rencontrés, unis,
oqués de la manière qui convient pour ailu*
er ces gardiens éclairés de tout être vivant*
^ Suppofez en effet une attaque trop violente
la constitution de l'animal, le voilà ter*
tout-à-coup, & les facultés de fon ame 8C
(on corps à la fois confondues. Que s'enfuit*
? Les élément fe déplacent ; les mouvement
itiels à la vie font fufpendus ; jufqu'à ce que
matière ébranlée dans tous les membres romps
*9*
LUCRECE
Vitales animae nodos è corpore folvit,
Difperfamque foras per caulas ejicit omnes.
Nam quid prxterea facere ictum pofîè reamur
Oblatum, niû* difcutere, ac ditfblvere quoique Y
Fit quoque, uti folearit minus oblato acriter j
ictu
\
Reliquias motûs vitalis vincere faepe ,
1
Vincere, & ingcntes plagx fedare tumultus,
Inque fuos quidquid rurfus revocare meatus,
Et quall jam lethi dominantem in corpore raotum
Difcutere, ac penè ami£fos accendere fenfus.
Nam , quare potiùs lethi jam limine ab ipfo
Ad vitam pofHnt conleétâ mente reverti,
Quàm quo decurfum prope jamfiet,ire, & abirç }
Prseterea, quoniam dolor eft, ubi raateriaï
Corpora vi quâdam pcr vifcera viva , per artus
Soliicitata fuis trepidantyin fedibus intiis ;
Inque locum quando remigrant, fit blanda voluptas :
Scire licet, nullo primordia pofle dolore
Tentari 5 nullamque voluptatem capere ex fe :
Quandoquidem non funt ex ullis principiorum
Corporibus , quorum motus novitate laborent :
Aut aliquem fru&um capiant dulcedinis almae.
Haud igitur debent elfe ullo pradita fenfa.
Déni que ,
I IF RE
I I.
195
les liens de l'amc, 9c la chafic du corps par toutes
^ les itfucs. Voilà le fcul effet que produit un pareil
choc. U Secoue, il décoœpofc la machine, & ne
fait rien de plus.
Quand l'attaque eft moins violente, le mouvement de la vie triomphe quelquefois de cet
afTaut, en calmant le défbrdre excité pat le choc,
en rappellant chaque molécule dans fes conduits
naturel», en fubjuguant les mouvemens deftrlicteurs déjà maîtres de la machine , en rallumant
ainû" leflambeauprefqu éreint du fentimcnt. Car
- c'eft-là tout le méchanifme qui s'opère , & la
..feule raifon pour laquelle lame revient des port tes du trépas au fejour de la vie, au lieu de céder
à, l'impulûoa fatale qui l'entraînait.
r
1*.
• D'ailleurs, comme nous n'éprouvons la douleur , que quand les principes de nos corps, trou[blés par une force étrangère, fe meuvent en dé>rdre dans les vifeeres, & dans les membres 3 Se
volupté, que quand ils rentrent dans leurs
iftes 3 il s'enfuit que les atomes neTentent n^
douleur, ni le plaifîr, n'étant point compofés
parties dont le déplacement puiffe , ou lés
rmenter, ou les flatter agréablement : ils ne
donc pas doués de fentimene.
A1
$f
Tome / .
vç4
LUCRECE
Denique, uti pofllnt fentire animalia quasqutf y
J'rincipiis fi etiam eft fenfus tribuendus eorura :
Quid : genus humanum propritim de quibu fac«
tum eft,
. •
Scilicct & rifu tremulo concufTa cachinnant,
St lacrymis fpargunt rorantibus ora, genafque,'
Mukaque de rerum mifturâ dicere callent j
Et fibi proporro quse fint primordia quaerunt :
Quandoquidem totis mortalibus adfimulata,
Ipfa quoque ex aliis debent conftare eletnentis ;
Inde alia ex aliis, nufquam confiftere ut aufîs.
Quippe fequar, quodeunque loqui, ridereque dices,
Et fapere , ex aliis eadem hase facientibus, ut fit.
Q u o d fi deliia haec, furiofaque cernimus efTe ,
Et ridere poteft ex non ridentibu' factus,
Et fapere , & doctis rationem reddere di&is,
N o n ex feminibus fapientibus, atque difertis :
Q u i minus eue queant e a , quae fentire videmus f
feminibus permifta carentibus undique fenfu }
|jj
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Denique cœlefti fumus omnes femine oriundi ? g
Omnibus ille i.dem pater eft, unde, aima liquentes I
Humorum guttas mater cùm terra recepit,
ii
Fœta parit nitidas fruges , arbuftaque lasta ,
j
J.% genus humanum 5 parit omnia fascla ferarum i
Pabula cilm prxbet, quibus omnes corpora*pafr "
çunt ?
!
L IV R E I I.
^5
En un mot, fi les animaux pour feu tir ortr
befoin d'élémens fenfibles , il faudra donc que
les atomes conititutifs de l'homme rient & pleurent , qu'ils méditent les grands objets de la phiJofophie, & qu'ils analyfent les élémens dogt
ils (ont compofés eux-mêmes. Car enfin puisqu'ils font en tout femblables à l'homme , ils
doirent comme lui réfulter de principes divers,
formés eux-mêmes d'autres élémens, fans que
TOUS ofîez jamais vous arrêter. Car je ne me
lafierai point > & toutes les fois que vous me
citerez un être capable de rire , de parler & de
raifonner , il faudra que fes atomes aient ks
mêmes facultés : mais fi une pareille prétention
cft évidemment le comble de la folie 5 fi l'on
peut rire fans principes rians j fi l'on peut raifonner (agement, & s'exprimer iloquemmeflt
>4; fans atomes pmlofopaes & orateurs, pourquoi
les êtres fenfibles ne pourraient-ils pas de même ré*
fiiktx d'atomes entièrement dénueVdc (èaiîbilko»
\
En un mot nous (ommes tous ensaas de l'air.
L'air eft notre père commun. La terre notre mère
commune : fécondée parles gouttes liquides qu'elle
reçoit d'en haut, elk produit à la fois Icsarbrif£easx, les moifibos, les hommes & tous les aai, t^maox, puifque c'eft elle qui leur fournit à tous
V ksakmen*, à t'aide defquels ils nourri&nt lcu/i
î*
r^
LUCRECE
Et dulcem ducunt vitam, prolemque propagantf
Quapropter merito maternum nomen adepta eft»
Cedit item rétro , de terra quod fuit antè,
i n terras > & quod miffum eft ex aetheris oris,
Id rurfum cœli rellatum templa reccptant :
Neve putes alterna minus refidere potefTe
Corpora prima," quod in fummis fiuitare videmus
Rébus, & interdum nafci, fubitôque perire.
Nec /le interimit mors res, ut materiaï
Corpora confîciat, fed coetum difîupat ollis :
Inde aliis aliud conjungit, & emeit, omnes
Res ut convenant formas , mutentque colores,'
Et capiant fenfus, & punctb tempore reddanu
Ut nofeas referre, eadem primordia rerum
Cum quibus, & quali poflturâ contineantur,
Et quos inter fe dent motus, accipiantque.
Namque eadem ccelum, mare, terras, flumina ;
folem
Significant j eadem fruges, arbufta, animantes $
Quin etiamrefert noftns in verfîbus îplîs,
Cum quibus 3 & quali fïnt*>rdine quasque locata ;
Si non omnia fint, at muko maxima pars eft
Condmilis : veriim poflturâ diferepitant hase.
Sic ipfîs in rébus item jam materiaï
Intcrvaha, viac, connexus, pondéra, plaças,
CCDC:;.UIS, motus, ordo, pofitura, figura*
Cdm permutantur â mutarj res quoquç debenj.
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$ ••Fps, jouiflentdc la vie, & la partagent avec une
génération nombreufc. C'eft pour cela que nous
lui avons donné avec raifon le nom de were. Les
corps fortis de fon fein y rentrent une féconde
fois, 5c la matière defeendue de l'air eft reçue
4e nouveau dans les plaines éthérées. Si les atomes fe détachent fans cefle de la furface des
. corps > s'ils vous paraiûent naître & mourir à
chaque inftant, ne doutez pas pour cela de leur
éternité. La mort en détruifant les corps ne touche point aux élémens. Son pouvoir fe borne à
rompre les tiflus, à former de nouveaux affem? blages, à changer les formes & les couleurs,
v à donner ou à reprendre à fon gré le fentiment. D'oii vous devez concevoir combien il
eft effeniiel d'avoir égard au mélange , à l'ar•' rangement & aux mouvemens réciproques des
atomes \ puifque les mêmes élémens dont réfultent le ciel, la mer, la terre, les fleuves & le
foleil, concourent auffi à former les grains Se
les animaux. Ainû dans ces vers , l'ordre & la
combinaifon des lettres font enentiels , parce
que les.mots compofés en partie des mêmes élémens, ne différent que par l'arrangement. Il en,
eft de même des corps de la nature. Changez
lesdiftances, les directions, les liens, lespefantears, les chocs, les rencontres», l'ordre, l'arrangement & la figure des atomes, vous aurez
des rélultats difrerens.
Iiij
i^S
£ U CR B C E
Nimc aniraum nobis adhibc vcram ad rationem
Nam tibi vehementer nova res molitur ad au-res
Accidere, & nova fe fpecies oftendere rerum.
Scd neque tam facilis res ulla eft, quin ca primiim
Difficilis magis ad credendum conftet : itemque
Nil adeô magnum, nec tam mirabile quidquam
Principio , quod non minuant mirarier omnes
Paulatim j ut cœli clarum purumque colorem ,
Quemque in fe cohibent palantia lîdera paflîm 9
Lunxque, &: folis prxclarâ lucc nitorem :
Omnia qua? fi ntinc primiim mortalibus adfînt ,
Ex improvifo ccu fint objecta repente j
Quid magis his rébus porerac mirabile dici,
Au: minusantè quod auderencfore credere gentes \
Nil, ut opinor 5 ita base fpecies miranda fuiffet j
Ci;m tibi jam nemo fefTus fatiate videndi
Sufpicere in cœli dignatur lucida templa.
Ikfîne quapropter. novitate, exterritus ipsâ r
Exfpuere ex animo rationem : fed magis acri
Judicio perpende . &, fi tibi vera videtiir,
Dede manus : aut, fi falfa eft, accingere contra.
Quaerit enim ratione animus, ciim fumma loci fit
Infinita foris, hsec extra mœnia mundi 5
Quid fit ibi porro, quo profpiccre ufque velit
mens.»
Atque animi jaftus liber quô pervoret ipfe.
Principio, nobis in cun&as undique partes ,
•TJT"
tïVKÊ
î t.
iM
, îâaiottpgat, 6 Memmins, prêtez l'oreille k
* la voix dç la pfcilofophie $ elle brûle de vous faire
entendre des vérifiés inconnues, & d'expofer à
Vos jeux un nouvel ordre de chofes. Néanmoins
comme il n'y a pas d'opinion fi firople qui ne
foie difficile à adopter au premier abord, il n'y
'•* pas non plus d'objets fi admirables qui ne
ceffent avec le tems de nous furprendre. Si
l'azur des cieax Se les brillans flambeaux de
la nuit, la lune 8c le dtfque pompeux du foleil
préfentés aux humains pour la première fois,
étonnaient leurs regards par une apparition fou>i .daine , que pourrait offrir la nature de corri> : |>arable à ce fpecracle ? Et quelle nation eût ofé
-le croire poflible ? Cependant de ces merveilles
.^Hous en fommes raffafiés : à peine daignons<; nous jetter un coup d'œil fut la voûte brillante
i s des cieux. Ainfî, Memmius, la nouveauté de*
objets que je vous offre, au lieu de vous rebuter,
doit réveiller votre attention, afin de pefer me§
idées, de les embraffer G. elles font vraies, &
de vous armer contr'elles 11 elles font fauffes.
.J'examine ce qu'il y a au-delà des limites de
mtre monde , éaos ces immenies régions od
! J'cfprit libre d'entraves aime à s'égarer fur les
ailes de l'imagination.
•v '
>
Je l'ai déjà dit 5 ce grand tout eft infini* À
Iir
2OQ
LUCRECE
Et latere. ex utroque, infrà , fuperàque, pcr orrrae
Nulla eft finis, uti docui, res ipfaque perfc
Yociferatur, & elucct natura profundL
Nullo jam pa&o verifîmile efle putandum eft,
Undique cùm vorsùs fpatium vacet infinitum,
Seminaque innumero* numéro , futnmaque profundâ
Multimodis v éditent aeterno percita motir,
Huncunumterrarura orbem, cœlumque creatum y
Nil agere illa fpris tôt corpora materiaï,
Citm pracfertim hic fit naturâ fac"tus-,& ipfa.
Sponte fuâ forte offenfando femina rerum
tylultimodis , temere , incaiTum , fruftraqoc
coa&a, .
Tandem colârint ea, quae conjecta repente
Magnarum rerumfièrentexordia fempcr,
Terrai, maris y & cœii, generifque animantum.
Quare etiam atque etiam taies fateare necefTe eft
Elfe alios alibi contenus materiaï,
Qualis hic eft, avido compkxu quem tenet asther.
Praeterea, cùm materies eft multa parata,
Ciim locus eft prxftô 3 nec res, nec caufa mora*-;
i
tur
"Ulla y geni debcnt nimirum, & confîeri res.
Nunc & feminibus fi tanta eft copia, quantam
£numerar« astas animantum non queat omnis-£
LirRE
IL
loi
, Croire , à gauche, (ur votre tête, fous vos pic Js ,
i>il n'y a point de limices. Ainli l'acteftent, &. la
voix de l'évidence, & la nacure même de l'infini.
Si donc un cfpace fans bornes s'ecend en tout
Cens , û des germes innombrables , mus de
toute éternité, nagent fous mille formes dans
ces plaines immeufes , eft-il probable qu'il n'y
«it eu que notre globe & notre firmament de
^eréés, & qu'unfigrand nombre d'atomes refrène
tfàififs dans les efpaces ultérieurs , fur - tout fi
! vous confidérez que notre monde eft l'ouvrage
, de la nature, que les principes des corps, pat
jlcur feule tendance naturelle, fans d'autre guide
4<jue le bafard , après mille mouvemens & mille
'^chocs inuules, fe font enfin réunis, & ont conférait les maûes particulières auxquelles ta mer,
la terre, le ciel & les animaux doivent leur origine ? vous êtes donc forcé de convenir qu'il a
dû fe former ailleurs, d'autres aggrégats femblablés à celui que l'air embraiTe dans fon enceinte
itxunenfe»
K
ITailleurs , toutes les fois qu'il y 2 de la
[fliatiere en abondance, un efpace pour la re~
:voir, nul obftacle pour arrêter fon mouve~
:nt, il doit néceilairement fe former des
:s : & fi avec cela le nombre des élémens eft
que cous les âges des animaux ne paillent
*
loi
LUCRECE
Vifque eadem, &naturamanet, quae feminâ rt^
rum
Conjicere in loca quaeque qucat, fimili ratione,
Atque hue fint conjecta : necefTe eft confîtearc
Efle alios aliis rerrarum in partibus orbes ,
Et varias hominum gentes , & faecla ferarumJ
Hue aceedit, ut in fummâ res nulla fît una ^
Unica quae gignatur, & unica , folaque crefeat :
Quin cujufque fient faecli, permultaque eodem
Sint génère : imprirais animalibus injice mentem $
Invenies fie montivagum genus efTe ferarum ,
Sic hominum genitam prolem, fie denique mutas
Squammigerûm pecudes, & corpora cuncla volantum.
Quapropter cœlum fimili ratione fatendura eft ,
Tcrramque , & folem, lunam, mare, estera ,
quae funt,
Non efo unica, Ccâ numéro magis innumcrali $
Quandoquidem vita? depaclus terminus altè
Tarn manet his, &. tam nativo hxc corpore conftant ,
Quàm genus omne, quod his generatim rébus
abundat.
Multaque poft mundi tempus génitale, diemque
Primigenum maris, & terra?, folifque coortum,
Addira corpora funt extrinfecùs : addita circùm
Semina , qure "magnum jaeulando contulit omne ;
w
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Y R E
IL
i6f
Bflfee Hes compter; s'ils ont pour fe réunir ailleurs 4es mêmes facultés & la même nature que
les atomes de notre monde , vous êtes obligé
d'avouer que les autres régions de l'efpace ont
ftnffi leurs mondes , leurs hommes & leurs animaux divers.
Ajoutez qu'il n'y a point dans la nature d'in-*
«ttvkkt uniq le de fon e(pece, qui naifTe & croiûe
ifolé, & qui ne faue partie d'une clatTe nombreux
fç : c'eft ce que vous remarquez dans les animaux,
ksférocesbabitans des montagnes & les hommes,
lés muets citoyens'de l'onde & les volacilles. La
même raHbn doit nous perfuader que lé ciel, la
lerre, le foleil, la lune, la mer & les autres corps
de 4a nature, bien-loin d'être des individus uniques , font infinis en nombre , puifqrc leur duré:
&ft limitée , & qu'ils font fournis à la naiflance
jflooimé toutes les efpeces'que, nous voyons gênent compo fées d'un grand nombre d'inrWua,
En effet après la naifTance du monde', *& k
rmatîotf de : la .terré, J3c Krmer & cfo Tôlzil,
: grand tout, parTes émiffions*, dépofa un grand
IÎ0mbre<fatomes & de fèmsrrces autour de notre
>v
204
LUCRECE
Unde mare, & terra: pofTent augefcerc ',&C\Uiâe\
Adpar^re fpaiium cœli domus, altaque tec*ta
To'lecet a teins proçul, Scconfurgcret ae'r.
Nam fua cuique locis ex omnibus omnia plagia
Corpora diftnbuuntur, &adiuafaeclarecedunt; :
Humor ad humorem , tcrreno corpore terra.
Creicit $ &. ignem ignés producunt, sctheraquc
azther :
Donicum ad extremunv cfcicendi perfica fînem ,
Ornnia perduxit rerum Narara creatrix :
Ut fit, ubi nihilo jam plus eft, quod datur intra :
Vitales venas, quàm quod fluit, atque recedit*
Omnibus his aetas débet çonfiftere rébus :
;
His Natura fuis reirasnat viribus audum»
Nam quxcunquc vides hilaro grandefccfc ,
adauclu,.
,
Paulatimque gradus astatis (eandere adulta:,
Piara fibi adfurount, quàm de fe corpora mitrunt r
Dam facile in venas cibus omnis diditur 5 & dum 1
Non ita funt latè difperfa,. ut multa remittant j
Et plus difpendi faciant, quàm vefcitur aetas»
Nam certè fluere, ac dccedere corpora rébus
Malta, manus daridum eu ; fcd plura axcedexç
debent,
D jnicum olefcendi fummttm tctigére cacumen*
Inde minaratim vires y Se robur adulrum
îxangit à & in j>atf em pejoEem. liquitur astas.
r
LJVRE
IL
iaj
<lOMMle>2chQCsde Tes limites. C'eft de-là que l'Océan 9c la terre foiidc tirent leur accroiffamenu
C'eftdc-là quele ciel emprunte kt matière dont il
entretient les palais fi élevés aa-deffus de notre
globe. C'eft enfin de-là que l'air fe renouvelle fans
cefle. De tous les points de l'elpace, ces recrues d atomes font diftribùécs par le choc aux fubftances
analogues à leur nature, L'eatiie joint à l'eau, la
' terre à la terre, le feu au feu, Fair à l'air ; jufqu'à ce
que la Nature,cette ouvrière univer&lle, ait comduit tous les êtres à leurs derniers périodes ; ce qui
arrive quand les reftitutioos font proportionnées
aux pertes. Alors la vie refteun moment en équilibre^ la Nature met un frein à fes accroifielncns*
ï n effet les* corps <$ae vous voyez par d'heureux
progrès s'élever lentement à l'état de maturité, ac• quierent plus qu'ils ne dùtipent^. parce qu'alors,
*; . toute la fubftance des alimens circule avec raci>ilité dans les veines, parce que les porcs pea- ' • ouverts, ne laideur échapper qu'un petit nombre
y de parties, & empêchent la machine de dépenfér
plus qu'elle ne reçoit- II* faut convenir que nos.
corps font des pertes confidérables^ mais ils les réparent avecu(ure ,' jufqu'air terme de leur accrois
: lêment. Alors les forces fe perdent infenfîblemcat,
• la ligueur s'épuifc> êc l'animal va. toujours en déW
X ilinauu Ces émanations, font d'autant plus abon-
y•
io£
LUCRECE
Quippc etcnim quantô eftres amplior, augmîne
dempto,
Et quô latior eft, in cun&as undiquc partes >
PJuria eo difpergit, & à fe corpora mittit :
Nec facile in venas cibus omnis diditur eii ;
Nec fatis eft, pro quàm largos exaeftuat xftus i
Undc queat tantiim fuboriri, ac fuppeditare ,
Quantum opus eft, & quod fatis eft, Natura
novare.
Jure igitur percunt, euro rarefacta fiuendo
Sunt ; & ciim externis fuccumbunt omnia plagis :
Quandoquidem grandi cibus a:vo denique défit 5
Nec tuditantia rem cédant extrinfecds ullam
Corpora confîcere , &. plagis infefta domare.
Sic igitur magni quoque circùm mœnia
mundi
Expugnata dabunt labem , putrefque ruinas.
Omnia débet enim cibus integrare novando ,
Et fulcire cibis, ac omnia fuftentare.
Nequicquam , quoniam nec venat perpetiuntur
Quod fatis eft, neque, quantum opus eft Natura
miniftrat ;
Jamque adeô affe&a eft aetas, effœtaque tellus
Yix animalia parva créât, qux cuncla créa-*
vit
L I r R E IL
107
Nantes, que le» coq» ont plus de mafle & d'é'tendue. Les (ûcs nourriciers ne circulent plus
qu'avec perno le en petite quantité..La Nature
fcppauYiïe ne fuffit pas à réparer les flots de matière qui s'écoulent fans cerTe du corps de l'aniteal. Il faut donc alors que la machine périffè ,
étant moins denfe à caufe de Tes émanations,
•9c plus faible contre les attaques extérieures.
Car dans ra vieillerie la nourriture vient enfin
à lui manquer ; &dans cet état d'affaifTement,
•' les objets du dehors ne ce/Tçnt de la tourmenter, & de la fatiguer par leurs chocs définieleurs.
Ainfî les voûtes de notre monde , aflaillies de
..tous côtés, tomberont elles-mêmes en ruines, &
^deviendront la proie de la corruption : car tous les
| corps ont befbin d'être réparés & renouvelles par
|[des alimens, des fucs nourriciers, qui foutiennent
'édifice entier de la machine. Mais ce méchanif1e ne peut durer éternellement' : parce que d'un
té les conduits par où fe filtrent les alimens
font pas toujours en état d'en recevoir autant
[qu'il en faudrait, & que de l'autre la Nature fe
lafTe de fournir fans ccfTc aux réparations,
[élas ! ce tems n'cft-il pas déjà venu > Ne
royons-nous pas les rides de la vieillefle déjà
pavées fur ce vafte corps ? La terre épuifée n'en-
*oS
Sxchi ,
LUCRECE
dcdicque ferarum ingentia coipora
partu.
H a u d , ut opinor , enim mortalia faccla fupernè
Aurea de cœlo dernifît funis in arva ;
Nec mare , nec fluctus plangentes fara crcârunt:
Sed genuit tellus eadem , qux nunc alit ex fe»
Praeterea nitidas fruges, vinetaque beta
Sponte fuâ primùm mortalibus ipfa creavit ;
Ipfa dédit dulces fœtus, & pabula laeta :
Qux nunc vix noftre grandefcunt aucla labore
'y
Conterimufque boves , & rires agricolarura
Confîcimus, ferrum vix arvis fuppeditatur :
Ufque adeo pereunt fœtus, augentque labarcs.
Jamque caput qualîans grandis fufpirat arator
Crebriùs incaiTum magnum cecidilTe iaborem t
Et cùm tcmpora temporibus praefentia confert
Praecerkis, laudat fbrtunas faepè parentis 5
Et crepat y antiquum genus ut £ieta:e rcpletum
Perfacilè anguftis toîerârit finibus asvurrr,
Cùm minor eiTet agri multo msdus antè virtr
tim :
Nec tenet, omnia paulatim tabe(cere, & i r e .
Ad fcopulum fpauo xtatis defefla vetuilcv
1 I F R E I L
f
>»'
zo*
fante pins qu'arec peine de chétifc animaux,
elle donc le fein fécond créa jadis toutes les
cfpeces virantes, fc conftruifit lesflancsrobustes des bêtes féroces. Car je ne croirai pas
qu'une chaîne d'or ait defcendu les animaux du
ciel dans nos plaines, ni qu'Us aient é t£ produits
par lesflotsqui fç brifent contre les rochers. \A.
même terre qui les nourrit aujourd'hui, leur donna
la nauTancc autrefois. C'cft elle qui créa pour les
mortels, & qui leur offrit d'elle-même les humi»
des pâturages, les moiflbns jauniflantes & les
rians vignobles. A peine accordç-t elle aujour- •
d'fcui ces mêmes productions aux efforts de nos
bras, te taureau maigrit fous le joug, le cultivateur s'épuife à la charrue, les mines produifent
à peine aûez de fer pour déchirer le fol 5 & la récolte va toujours çn diminuant comme la fatigue
en augmentant. ]U vieux Laboureur fecouant fa
t£tc chauve, raconte çn (bupirant combien de fois
fes pénibles travaux ont été fruftrés $ il compare
le teins pallié avec le préfent ; il envie le fort de
fes pères. Il parle (ans cetfe de ces fiecles fortunés, ou l'homme plein de refped pour les Dieux
vivait plus heureux ayee moins de terres, & re*
cueillait des moiûpns abondantes de fon modique héritage. ^11 ne voit pas que tous les corps
vont en dépéri/Tant, & que le tems cft l'écueil
fatal où tous les êtres font naufrage.
iio
LUCRECE
Quae bcne cognita ffteneas, Natura videtiu
Libéra continua , dominis privata fuperbis,
Ipfa fuâ per fe fponte omnia Diis agere expers.
Nam, proli fan&a Deûm tranquillâ pc&ora pace,
Quae placidum degunt a?vum, vitamque fercnam!
Quis regere immenfi fummam, quis haberc profundi
Endo manu validas potis eft moderanter haber
cas?
Quis pariter cœlos omnes convertcre 5 le omnes
Ignibus ascheriis terras fuffire feraces ?
Omnibus inque locis efle omni tempore praefto ?
Nubibus ut teuebras faciat, cœlique ferena
Çoneutiat fonitu ? tum fulmina mittat, & xdes
Saepe fuas difturbet, & in deferta recedens
Saeviat exercens telum, quod faepe nocentes
pratterit, exanimatque indignos, jnque mereates?
Finis Libri Stcundi,
«H»
••*•;•
LIVRE
IL
m
**Si ces vérités font bien grayées dans votre
gfprit, la Nature devient libre, elle fecoue le
ioug de Ces maîtres fuperbcs, & gouverne ellemême Ton empire fans en répondre aux Dieux*
Stands Dieux, âmes auguftes, dont la paix effc
«n calme éternel î Qui d'entre vous donne des
oix à l'univers, & tient dans Tes mains les rênes
if grand tout î Qui d'entre vous fait rouler à la
tus tous les cieux, fait éprouver à la terre les
nfluences des aftres, & fuffit en tout tems à tous
«s befbins particuliers ? Qui d'entre vous fuf>end les nuages ténébreux, fait gronder le tontine, & lance la foudre, cetteflammeaveugle
«pi fouvent confume vos propres temples, exerce
finement fa fureur dans les déferts, de pa/Te à
Jfj/té des coupables pour aller frapper une tête
peente ?
r
Fin du Livre Second,
! $ $ *
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S U J E T
D U
TROISIEME
LIVRE.
C E Livre ejî employé tgut entier]
à traiter de Vame humaine. C'était]
Vobjet effentiel de la philofophie
d'Épicure.
C'ejl aujfi celui vers
lequel Lucrèce paraît
avoir réuni
tous fes efforts. .Après une efpece
d'invocation
à Èpicure,
comme
au génie de la philofophie,
dont le
fecours lui efi particulièrement né*
cejfaire dans cette partie de fort
Poème y ilfaitfentir
Vimportance
du fujet qu'il va traiter, en ce que
V ignorance où font les hommes fur
2
1
3
la Nature de leur ame, leur infpire
cette crainte de la mort qu'il regarde cqmmç, V'uniquefource de tous
Içs maux & de tous les crimes. Il
pitre cnfuite en matière, & s'efforce
de prouver ; i°. que Pâme ejl une
À'
*
partie réelle de nous-mêmes, & non
pas une affecfxon générale de la ma*
Içhine, une harmonie, comme Vont
fyoulu quelques Philofophcs ; i°.que
^Tame ne forme qu'une mêmefubf%ancc conjointement avec Pefprit
yQui réfde au centre de la poitrine 3
ndis que Famé ejl répandue dans
tout le corps ; 3 0 . qu'ils font l'un
Ç? l'autre corporels, quoique forés des atomes les plus fubtils de
Nature ;4°. que bien loin d'être
%
214
(impies, ils réfultent au contrair€
de quatre principes, le foufïle, l'air,
la chaleur, & un quatrième ( qui
paraît ri*être autre chofe que les
efprits animaux ) auquel le Poète
ne donne pas de nom, & qu'il re->
garde comme Vame de notre ame }
«5°. que ces quatre principes font
mélangés & combinés , fans
pou-
voir jamais agir À part , ri étant
pour ainfi dire, que différentes propriétés d'une mêmefubjlanct > mais
qriils peuvent dominer plus ou
moins, & que deAà naît la diffé-
rence des caractères ; 6*. que Vame
& le corpsfont tellement unis, qriils
nepeuventfubfjlerVunfans Vautre ;
mais qu'il ne faut pas croire pour*
à
an
timt, comw Pa'prétendu Démocrv
fc9 qu'à chaque élément du corps ri*
ponde un élément de l'amc. Après
fous ces détails, il vient àfon but,
& tâche de prouver que Vante naît
% meurt en même tems que le corps,
flogme impie qu'il établitfur trente
preuves, D'oùilconcludquelamort
\nyejl pas à craindre , Ç? que les
gommes ont tort de fe défefpértf
l$'un état qui les rend ce qu'il*
jetaient avant que de naîtrç*
I
•
: • & • * &
I
s
tfr- •
['.'
.''>
T ITÏ
LUCRETII CAR
DE
R E R U M
LIBER
E
N A T U R A.
TERTIUS.
tantistamclarumextollere lumca*
Q u i primus potuifti, ilîuftrans commoda vitae ,,,'
Te fequor, ô Graix gentis decus 5 inque tuis nuru$
ïixa pedum pono preflis veftigia fîgnis,
Non ita certandi cupidus, quàm proptei amorem, -,.
Quôd te imitari aveo. Quidenim contendat hi- :i
rundo
Cycnis ? aut quidnam tremulis facere artubus hîedi ?
Confîmile in curfu poflînt, ac fortis equi vis ?
Tu pater , & rerum inventor , tu patria nobis
Suppeditas prascepta, tuifque ex, inclure, chartis,.
ïloriferis ut apes in faltibus ornnia libant,
Omnia nos itidem depafeimur aurea di&a,
Aurea, perpétua femper dignilîïma yitâ.
TENEBRIS
Nam
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IVCRE
CE,
D E L A
UTURE DES CHOSES.
^ T " ^ —
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TROISIEME.
T o i -, l'ornement de la Grèce , qui le
lier portas h lumière au milieu des ténèbres*
yax éclairer l'homme fur fes vrais intérêts, j£
s tes pas, ' fofe marcher fur tes traces 5 mais
ton difciple, & non pas comme ton rival,
k' jamais l'hirondelle défier le cygne , 8C
OTèau tremblant s'élancer dans la carrière
le cottrfrer vigoureux î ô mon père ! o
lié créateur'"f quelles fages leçohs tu donnes à
enfans ! l'abeille ne cueille pas plus de miel
le?fleurs, que nous ne puifons de vérités
; dans tes divins écrits 3 dignes d'être
v
armais;
*i8
-LUCRE
CE
Nam fimul ac ratio tua cœpit vocifcrari,'
Naturam rerum haud divinâ mente coortam ,
DifFugiunt animi terrores 5 mœnia mundi
Difcedunt 3 totum video per inane geri ress
. ,,.
v
Apparet Divûm numen fedefque quieta»,
Quas neque concutiunt venti, neque nubila nim* i
bis
Adfpergunt, neque nix acri concreta pruinâ
|
Cana cadens violât, femperque innubilus xûvtt $
Integit, & large difFufo lumine ridet.
\j
Omnia fuppeditat porro Natura, neque ulla
Res animi pacem delibrat tempore in ullo :
At contra nufquam apparent Acherufia tenv»
pla$
Nec tellus obftat , quin omnia difpiciantur ,
Snb pedibus quaecunque infrà per inane gerun*
tur.
His tibi me rébus quajdam divina voluptas
Percipit atque horror, quôd fie Natura, tu*
vi,
Tam manifefta patet ex omni parte rete&a.
Et quoniam docui , cundtarum exordia re-», &rum
Qualia fint 3 & quàm yariis diftantia formis ,
Sponte fuâ volitent alterno percha motu ; ,
Quoque modo poflint ex his res quaeque creari ;, 1
t**t
LIVRE
III.
ii*
Du fein de la fageffc, tu nous* cries que l'univers n'eft point l'ouvrage des Dieux 5 aufti-tôt
les terreurs tlç la fuperilmon sevanouiffent: 5 les
bornes du monde difparaiûent $ je vois l'univers
ic former au milieu du vuide ; je veh la cour
des Dieux, dans ces tranquilles demeures qui
ne font jamais ébranlées par les vents, ni troublées par les orages , que refpe&ent les floçcons
de la neige condenfés par le froid piquant, qu'échauffe fans celle un air pur, &- auxquelles fourit
Je brillant Dieu du jour. C'eft à ces intelligences
-céieftes que la Nature prodigue tous fes biens. Rien
ne peut en aucun tems altérer la paix de leurs amesi
£ Us ne voient point le noir féjour de l'Achéron »
& la terre ne les empêche point de contempler
fous leurs pieds ,les feenes diverfes qui fc paffent dans le vuide. Ces grands objets m'infpinent une volupté divine, & j'éprouve un faine
frémiftement, en considérant par quel heureux
effort tu as fçu déchirer le Yoiic dont fe couvrait la Nature.
Jufqu'ici , Memmius , nous avons examiné
U les qualités des atomes, leurs différentes figu•f, tes, les mouvemens réciproques dont ils font
i» fins ceflê agités, & auxquels tous les êtres doil vcncrJeur exiftenec. La fuite de ce poème jettera
Kij
EL
*zo
Z U C RE
CE
Hafcc fecundùm res animi natura videtur 1
Atque animae claranda meis jam verfibus efTe 5
Jit metus ille foras prseceps Acheruntis agendus
Funditds , humanam qui vit&m turbat ab imo,
Omnia fuffimdens mortis nigrore, neque ullarn,
IS/Te voluptatem liquidam puramque relinquit,
Nam, quôd faepc homines mdrbos magis efïc
timendos
JnFamemque ferunt vitam, quàm Tartara lethi 3
£t fe fcire animi naturam , fanguinis cfTe 5
Ncc piorfum quidquam noftra? ratjonis egere :
Hinc licet advertas animum, magis omnia laudis^
Aut etiam venti, fi fcrt ita forte voluntas ,
Ja&ari causa, quàm quod rcs ipfa probetur.
Çxtorres iidem patriâ, Iongèque fugati
Confpeâu ex hominum, fœdati criminç turpi ^
Omnibus aerumnis afFe&i denique, vivunt:
£ t ? quôcunque tamen miferi vçnêre, parent
tant 5
Et nigras mâchant pecudes 5 & Manibu* divis
Inferias mittunt 5 multôque in rébus acerbis
Acfiiis advertunt animos ad Relligionem.
Quo magis in dubijs hominem fpe&are péridis
Convertit , adverfifque in rébus nofcere qui fît,
ï^ara verç YOçCS tum demum pe&orç ab imQ
n^
tï f*R£ iïl-
m
queîdoe jour fur la nature de l'efprit & de l'ame *
& portera les derniers coups aux fantômes de
fAchéron, à ces fombfes chimères qui empoisonnent le bonheur dans fa fource, qui donnent
à toutes nos idées la teinte lugubre de la mon *
& qui,ne nous laiflent jouir d'aucune volupté
pure*
Vous trouverez fans doute des hommes qui
'" vous diront que la douleur & l'infamie font plus
_ à craindre que les abymcs de la mort, qu'ils
n'ignorent pas que l'ame eft de la nature mémo
;. du iâng, & qu'ils n'ont pas befoin des leçons
ï de notre philofophie. Mais voulez-vous être
.» convaincu que c'cft le deux de la gloire, ou
plutôt d'une vaine fumée, & non pas la perfuafion, qui leur diète ces difcours ? Confidércz
ces mêmes hommes bannis de leur patrie, prof| crits de la fociété, flétris par des accufations
infamantes , en proie aux peines les plus ame»
tes y ils vivent pourtant $& en quelque lieu
[u'ils traînent leurs malheurs, ils y célèbrent
des funérailles, ils égorgent des brebis noires, ils
Xacrifient aux Mânes, & l'advcrfité réveille encore plus vivement dans leurs efprits toutes les
ridées religieufes. Ce font donc les dangers qui
filous apprennent à juger les hommes. La fecouffe
•y èa malheur chafle la vérité de leur ame, fak
Kiij
!
m
LUCRECE
Ejiciunturj & eripitur perfona, manet res.
Denique avarities, & honorum œcacupido, <r
Quae miferos homines cogunt tranfcendere fines «
Juris, & interdum focios fcelerum atque mi- -j
niftros,
No&es acque dies niti praHtante labore
Ad fummas emergere opes : haec volnera vita?
Non minimam partem mortis formidine-aluntur, il
Turpis enim fama & contemptus & acris egef- j5
tas,
Semota ab dulci vitâ ftabilique videntur ;
Er quafî jam lethi portas cunctarier antc :
Unde homines, dum fe , falfo terrore coacti,
•*
Réfugiée volunt longe, longèque recêfle,
p
Sanguine civili rem confiant 5 divitiafque
j
Conduplicant avidi, caed'em cxài accumulantes 5 $
Crudeles gaudent in trifti funere fratris 5
£t confaMguineûm menlas odcre timentquc.
Cenfimili ratione ab eodem faepe timoré
Macérât invidia : ante oculos illum efTe potentem ,
Illum afpectari , claroque incedere honore ;
Ipfi fe in tenebris volvi cœnoque queruntur.
Intereunt partimftatuarum& norainis ergo :
Et fxpe ufque adeo, mortis formidine, vitx
Percipit humanos odium lucifque videndas,
i
•f^''
t î ? RE
IIJ.
ix,
tomber le mafquc, & montre l'homme à nu.
Enfin l'avarice & l'aveugle dcfir des honneurs , ces pallions adirés, qui forcent l'homme
à franchir les bornes de l'équité, qui lui font
entreprendre ou partager des crimes, qui l'affujettiiïent nuit & jour aux plus durs travaux
pour s'élever à la fortune ; ces poiforis de la
fociécé ; c'eft en grande partie la crainte de la
mort qui les verfe dans nos âmes. L'ignominie,
le mépris & l'indigence paraiiTent incompatibles
avec une vie douce & tranquille. On les regarde
Comme le cortège de la mort, C'eft pour fe dérober à ces lugubres avant-coureurs que l'homme en proie à fes fauûes allarmes, cimenre fa
fortune du fang de fes concitoyens, accumule
des tréfors en accumulant des crimes, fuit avec
joie les funérailles de fon frère, & redoute les
fcftiûs dç fes parens.
Ceft la même crainte de la mort qui ronge le
cœur de l'envieux. Elle lui répète que les diftinâions & la puiflance font pour les grands
de la terre, & pour lui la fange & l'aviliffemcnt 5 une partie de ces malheureux s'immolent au defir d'un vain nom & d'une ftarue. La
crainte de la mon infpire à d'autres un tel dégoût pour la vie , que fouvent le défefpoir les
Kiv
.*
*-
224
LUCRECE
Ut fîBi confcifcant mœrenti pectore lethum :
Obliti fontem curarixm hune efTe timorcm ;
Hune rexare pudorem , hune vincula amicitiaï
Rumpcre, & in furamâ pietatem evertere fundo :
Nam jam faspe homines patriam, carofque parentes
Prodiderunt, vitare Acherufia templa petentes»
Nam, veluti pueri trépidant, atque omnia caecis
In tenebris metuùnt : fie nos , in luce, timemus
Interdum, nihiloquae funt metuenda magis, quàm
Quae pueri in tenebris pavitant,finguntquefutura.
Hune îgiturterrorem animi tenebrafque, neceiTc
eft,
Non radii Colis neque tucida tela diei
Difcutiant, fed nature fpecies ratioque.
Primùm animum dico 9 mentem querû farpe
vocamus,
In quo confilium vitae regimenque locatum eft,
Efle hominis partem, nihilà minus ac manus &
pes
Atque oculi, partes animantis totius extant.
Quamvis multa quidem Sapientur» turba putârunt,
Senfum animi certâ non e/Te in parte locatumj
Yerùm habitum quendam vitalem corporis elfe ,
11 r
R E
m.
225
arme contre eux-mêmes. Hélas ! ils ignoraient
que la fourcc de leurs peines était cette crainte
même de la mort 5 que c'eft elle qui perfécute
. l'innocence, qui brife les liens de l'amitié, &
qui foule aux pieds la nature elle - même. En
effet n'a-t-on pas vu fouvent des hommes trahir
leur patrie, leurs parens, leurs devoirs les plus
.faims pour éviter la mon l
Les enfans s'effrayent de tout pendant la nuic,
& nous-mêmes en plein jour, nous fommes les
jouets de terreurs auffi frivoles. Pour bannir ces
allarmes j pour diffiper ces ténèbres, il eft befoin
non des rayons du foleil, ni de la lumière du
jour, mais de l'étude réfléchie de la nature*
•',
Etabli (Tons d'abord, ô Mcmmius, que l'esprit humain, ce principe de nos actions, auquel
^ nous donnons fouvent le nom & intelligence ,
j eft une partie de nos corps aulîi réelle que les
s mains, les pieds & les yeux. Envain une foule
,'. de Philofophes nous affûte que le fentiment n'a
point dans l'homme de fîege particulier, qu'il
n'eft qu'une habitude virale du corps, nommée
v
• par les Grecs Imrmonie , parce qu'elle anime la
Kv
n6
LUCRECE
Jlarmoniam Graii quam dicunt 5 quod faciat nos
ViYere cum fenfu, nuliâ ciim in parte fiet mens.
Uc bona faspe valetudo cùm dicitur efTe
Corporis, & non eft tamen haec pars ulla valentis:
Sic animi fenfum non certâ parte reponunt :
Magnopere in quo mî diverfi errare videncur.
Szpe utique in promptu corpus, quod cernitur, segrit,
Cùm tamen ex aliâ lsetamur parte latenti >
Et rétro fit, uti contra fit faepe vicirfim ,
Cùm mifer ex animo, Jaetatur corpore teto :
Non alio pa&o, quam fi pes cum dolet aegri,
In nullo caput interea fit forte dolore.
Prarterea molli fomno cùm dedita membra ,
EfFufumque jacet fine fenfu corpus onuftum -,
Eft aliud tamen in nobis, quod tempore in illo
Multimodis agitatur, & omnes accipit in fe
Laetitia; motus & curas cordis mânes.
Nunc animam quoque ut in membris cogno£cere pofiis
EfTe, neque harmoniam corpus retinere folere j
Principio fie uti, detracto corpore multo,
Saepè tamen nobis in membris vita moretur;
Atque eadem rursiis, cùm corpora pauca caloris
#•
LIVRE
III.
227
machine, fans y occuper un lieu déterminé, &
que comme la fanté eu une manière d'être, &
non pas une partie de nos corps 5 il ne faut
pas non plus afCgner à l'ame un fiege particulier. Cette opinion s'écarte infiniment de la Tenté.
Car nous voyons fouvent le corps, l'enveloppe extérieure foufFrir , quand le principe intérieur eu fatisfait 5 fouvent au contraire l'ame
eft rongée de maux dans un corps fain & vigoureux. Jfinft quelquefois les pieds fentent de la
douleur , faus que la tête en reçoive l'atteinte.
D'ailleurs, quand nos membres appefantis f~
livrent au fommeil, dans ces momens de calme
où le corps eft privé de featiment, il y a eu
nous un autre principe qui éprouve à fa place ,
ou le trefïaillement de la joie, ou le tourment
de l'inquiétude.
Mais pour vous faire connaître que l'ame refte
dans nos membres, lors même que F harmonie eu
eft troublée, confîdérez qu'après la pêne d'une
partie du corps , le fentiment anime toujours U
machine , tandis que quelques particules de chaleur de moins, ou la ample expiration de l'air
Kvj
à*
11$
LUCRECE
DirFugêre, foràfque pcr os eft editus aër,*
Dcferit extemplô vcnas, atque o(Ta reiinquit ;
Nofcere ut hinc pofïis , non aequas omnia partes
Corpora habere, neque ex aequo fuie ire falutem ;
Sed magis hjec , venti quae funt calidique vapoiis
Semina , curare in membris ut vita moretur.
Eft îgitur calor ac ventus vitalis in ipfo
Corpore, qui nobis moribundos deferit amis.
Quapropter, quoniam eft anïmi natura reperta
Atque anima:, quafi pars hominiss redde harmo~
niai
No ni en ab organico faltu. delatum Heliconis,
Sive aliunde ipfi porro traxêre & in illam
Tranftulerunt, proprio qua: tum resnomine egebat :
Quidquid id eft, habeant : tu caetera percipe dicta.
Nunc ammum atque animant dico conjuncta
teneii
Iner fe , atque unam naruram confîcere ex fe ;
Sed caput efle quafi, & dominari in corpore toto
Confilium, quod nos animum mentemqut vocamus ;
Idqu. fitum média regione in pectoris ha?ret.
Hic exfukat enim payor ac metus : hxc loca circum
ijetitice mulcent : hîc ergo mens animufque eft.
mr
LITRE
III.
219
fufit pour châtier la vie de nos organes. D'où
vous pouvez conclure que toutes les parties de
nos corps n'y jouent pas le même rçle , ne font
pas également efTeuticllcs à notre confervatiort ;
que la chaleur & l'air font les principaux foutiens de la vie, & les derniers élcracns qui £e
•
retirent de nos membres mourans.
Puifquc vous ne doutez point que Tefprit Se
l'amc ne faifent partie de nos corps, rendez aux
Grecs leur mot d'harmonie , que le befoin, fans
doute, leur a fait emprunter du mélodieux HcT»con, ou de quelqu'autre fourec. Qu'ils le gardent
. pour eux, qu'ils s'en repaifTcnt, & , vous, fui-: vcz le fil de mes raifonnemens.
Je dis que lefprit & Vame (ont étroitement
; mnis, & forment une même fubflance. Mais le
/ jugement cft, pour ainfi dire, le chef. C'efl loi
- qui commande au corps, fous les noms (Tefprit
\ & &intelligence, il habite au centre de la poi~
r irinc. C'efl là qu'on fent palpiter la crainte &
la terreur. C'efl là que le plaiûr fait éprouver
•• (es doux treflàillemens > c'efl donc là le fîege
? de la fcnfibilité. Lame, fubflance fubaltcrnc,
répandue dans tout le rcfle du corps > attend
,L
23o
LUCRECE
\
Caetera pars animae, per totum difïita corpus,
Paret, & ad numen mentis momenque movetur;
Idque fibi folum per fe fopit & fibi gaudet,
Cùm neque res animam, neque corpus comraovet ulla.
i
Etquafi, cdm caput aut oculus, tentante dolore,. *
Laeditur in nobis 3 non omni concruciamur
'\
Corpore : (ic animus nonnunquamtaedituripfe , [|
Laetitiâque viget j cùm caetera pars animai
ii
Per membra arque artus nullâ novitate cietur.
Verdm ubi vehementi magis cft commota meta 1
mens,
Confentire animam totam per membra videmus :
Sudores itaque & pallorem exiftere toto
Corpore, & infringi linguara, vocemque aboriri,
Caligare oculos y fonere aures , fuccidere artus.
Denique concidere ex animi terrore videmus
Sarpe homines ; facile ut quivis hinc nofeere poiîît, :
Elfe animam cum animo conjunctam , q.uar cùm
animi vi
l
FercufTa eft, exin corpus propellit & icit.
J
|
Hxc eadem ratio naturam animi, atque animai \
Corpoream docet efTe : ubi enim propellere mera- <
bra,
Corripere ex fomno corpus, mutareque voltum, S
Atque hominem totum regere ac verfaie vidstur : -'
[ Quorum nil fîeri fine ta&u poffe videmus 5
^T
•
L I F R E
III.
ij»
. pour Ce mouvoir le lignai de l'efprit. L'efprit
feul a le privilège de s'entretenir avec lui-même ,
& de jouir de Ton être dans les momens où l'a, me Se le corps n'éprouvent aucune impreflion.
£t de même que la tête ou l'œil peut re(Tcnur
. une douleur particulière, fans que la machine
entière en foit affrétée -y aind l'efprit eft fouvent abattu par le chagrin, ou animé par la
joie, fans que l'ame change fa manière d'être
- dans nos membres. Mais quand l'efprit eit faid
i d'une crainte plus violente, nous voyons auffi-tôt l'ame entière y prendre part, le corps fe
couvrir de fueur & de pâleur , la langue bégayer, la voix s'éteindre, la vue fe troubler ,
les oreilles tinter, les membres s'arfaifler , &
fouvent le trépas eft la fuite de ces terreurs iou' daines. Tant e(t intime l'union de l'efprit & de
k
l l'ame , puifque celle-ci ne frappe k corps que
du même coup qu'elle a reçu de l'efprit.
< De cette expérience vous pouvez encore con-}. dure que l'efprit & l'ame font d'une nature corvjporelle. Car s'ils font mouvoir nos membres»
',s'ils nous arrachent des bras du fommeil, s'ils
^altèrent la couleur du vifage, & gouvernent à
' ' leur gré l'homme entier 5 comme ces opérations
iji
LUCRECE
Nec ta<5hlm porro fine corpore : ] nonne fatefiH
dum eft
Corporeâ natiwâ animum cônftare animamque l
Praeterea pâriter fungi cum corpore, & unL
Confcntire animum nobis in corpore cernis.
Si minus ofFendit vitam vis horrida lethi,
Ofiibusac nervis difclufis intàs ada&a j
Attamen infequitur languor, terraeque petitus
l
Suavis, & in terra mentis qui gignitur aeftus,
t
Interdumque quafî exfurgendi incerta voluntas»
Ergo corpoream aaturam animi e£Te necefîe
I
eft:
Corporeis quoniam telis, ictuque laborat.
Is tibi nunc animus quali fît corpore, & unds
Conftiterit, pergam rationem reddere diclis.
Principio elle aio perfubtilem-, atq.ue minutis
Perquàm corporibus factum cônftare 5 id ita cfie s
Hinc licet advertas animum ut pernofcere poilis»
Nil adeo fie ri céleri ratione videtur ,
Quàm fi mens fiexi proponit & inchoat ipfa.
Ociùs ergo animus, quàm res fe percict ulla,
Ante oculos quarum in promptu Natura videtur.
At quod mobile tantopere eft , cônftare rotundis
Perquàm feminibus débet perquàmque minutis j
Mormne uti parvo poiïlnt impulfa moverL
r. >n
X / r R E III.
i}j
/luppofent on contact, & le contact une fubftancc
corporelle , voiis ne pouvez refufer à Te/prit Se
'^à lame la nature de la matière.
t .
•u
& D'ailleurs ne voyez-vous pas Famé partager
Ses fondions du corps , & les impreliions qu'il
ixeçoit ? Si le coup neft point mortel, fi le ckoc
'endommage point les os & le ti/Tu des nerfs,
en réfulte néanmoins une défaillance'gênée, un doux abandon des membres, une pente
licîeufe à tomber , fuivie d'efforts combattus
par une volonté indécile de ie relever. La nature
Ojde lame eft donc corporelle , puifque nous lui
îtoyons éprouver toutes les impreilions du corps.
S
Mais quels (ont les élémens de cette ame ?
)e quelle efpece d'atomes eft - elle compoféc ?
,a fuite va vous l'apprendre. Je dis d'abord
juelle rélulte de principes très-fubtils & trèsÊliés. Vous en conviendrez, fi vous réfléchirez
l'étonnante promptitude avec laquelle l'ame fe
lécide & agit. La Nature ne nous montre point
le corps plus actifs 5 or cetre grande mobilité
fuppofe des élémens arrondis & déliés qui la
>rcent de céder aux plus légères impulfions. Si
*cau fe meut avec facilité, fi la moindre caufe
met en agitation, c eft qu'elle a des atomes
1J4
LUCRECE
Namque movetur aqua & tantillo momine iîutaf $]
Quippe volubilibus parvi{que creata fîguris :
At contra mellis conftantior eft nâtura,
Et pigri latices magis, & cun&antior aclus 5
Hasret eilim inter fe magis omnis mâteriaï
Copia 3 nimirum quia non tam Isevibus extat
Corporibus, neque tam fubtilibus atque rotundis»
Namque papaverum, aura poteft fufpenfa levifque
Cog ère, ut ab fumma tibi diffluat akus acervus |
At contra lapidum conjectura fpiclorumque,
Nenu peteft. Igitur parviffima corpora quanta
Et lseviffimafunt, ita mobilitata feruntur :
At contra quo quasque magis cum corpore magna
Afperaque inveniuntur, eô habilita magis iumv
Nuac igitur, quoniam eftanimi natura repertai
Mobilis egregiè ; perquàm conftare necefle eft
Corporibus parvis & lasvibus atque rotundis :
Quae tibi cognita res in multis , ô bone, rébus
Utilis invenietur , & opportuna cluebit.
Ha?c quôque res etiam naturam deliquat ejus ,
Quàm tenui conftet texturâ, quàmque loco fe
Contineat parvo, fi pofîit conglomerari j
Quodfimulatque hominem lethi fecura quies eil
Indepta, atque animi natura animaeque receflit $
Nil ibi limatum de toto corpore cernas
•t w r<
t i r RE
III.
2?5
plus fubtils & plus divifés. Au contraire le miel
eft plus tardif, fa liqueur plus knte, (on écoulement moins facile, parce que fe's parties fe
lient & s'embarrafïent , étant moins lifTes ,
ijnoins fubtiles & moins arrondies. Le foufflc le
;jflus inknfîble diflîpc en un moment un amas
>Hj4e graines de pavots, mais il ne peut rien fur
jQm monceau de pierres, ou fur un faifceau de
jances. La mobilité des corps eft donc propor/ donnée à leur petitefTe & au poli de leur furJ face. 'y Se ils ont d'autant plus de coniiftancç ,
(que leurs élémens font plus girofliers & plus aniguleux»
v, Ainfî Famé, cette iubftance fi mobile , doit
î • être formée des atomes les plus petits , les plus
Ulifles & les plus arrondis. Vous fentirez plus
{Vd'une fois, Memmius, l'importance & l'utilité
&
j
•
•
rfj ée ce principe.
Une autre expérience vous convaincra de la
nature de cet invifible agent, de la finefTe de
»'£on tifïu, du peu d'elpace qu'il occuperait, fî.
îrl*on pouvait le condenfer. Quand l'homme r
après la retraite de l'efprit & de l'ame , jouit
., du repos de la mort, les membres ne perdent
H é U A M ^
i$6
LUCRECE
Ad fpeciem, nihil ad pondus : mors omnia praeftat^
Vitalem pneter fenfum calidumque vaporem. 3 .
Ergô animam totam perparvis efTe necefle eft
Seminibus, nexam pervenas, vifcera, neivos :•
Quatinus omnis ubi è toto jam corpore ceffit,
Extima membrorum circum-cajfura tamen fe
Incoîumeai prsftat, nec défît ponderis hilum :
Qaod genus eft Bacchi cùm flos evanuit ; aut cùm
Spiritus unguenti fuavis difFugit in auras 5
Aut aliquo cùm jam fuccus de corpore ceffit j
Nil oculis tamen efle minor res ipfa videtur
Propterea, neque detra&um de pondère quidquam :
Nimirum, quia multa minutaque femina Caccos
Efficiunt, & odorem in toto corpore rerum.
Quare etiam atque etiam mentis naturam anima?que,
S:ire licet perquàm pauxillis efîe creatam
Seminibus ; quoniam fugiens ni! ponderis aufert.
\ Nec tamen hase fîmplex nobis natura putanda
*
eft:
Tenuis enim quasdam rnoribundos deferit aura ,
Mifta vapore 5 vapor porro trahit aëra fecum j
Nec calor eft quifquam, eut non fîtmiftus & ae'r:
Rara quod ejus enim eonftat natura, nece/Te eft
Ae'ris inter eum primordia multa cieri.
Jam triplex animi eft igitur natura reperta,
'6/ '> •
L I F HE
III.
237
lien ni de leurformeni de leur poids. La mort, en
étant le fentiment Se la chaleur, ne touche point
au refle, Ainfi cette précieufe iubftance que la
-Sature a liée à nos veines, à nos nerfs, à nos
^Sfceres, eft compofée de molécules infiniment
ttetites ; puifque fa fortie ne caufe aucune diminution , ni dans la furface, ni dans la malle des
Ébrps. Àinfi le -vin après avoir perdu fon efjrit, les parfums après avoir difïïpé leur odeur ,
Us corps favoureux épuifés de fucs , ne paraif»
|bnt ni moindres à la vue, ni plus légers au poids $
gttree que les fucs & les odeurs ne font que les
jjorties les plus fubtiles des corps. Je le répète
Sànc L'efprit Se l'ame font les atomes les plus
Jégers de la machine, puifqu'en. la quittant, H$
patent rien à fon poids.
f:
:&Ne croyez pas cependant que l'ame foit une
ice fimple. Les mourans exhalent un foufléger mêlé de chaleur. La chaleur ne peut
ftfter farls air, parce «que Tes parties n'étant
étroitement liées , il eft impoflible qu'il ne
glifle quelques molécules d'air dans les interfaces. Voilà donc déjà trçis élémens de l'arac
$t trouvés,
*5S
LUCRECE
B
Nec tamen hxc fat funt ad fenfum cun&a tij
creandum :
^
Nil horura quoniam recipit mens pofle creare
j|
Senûferos motus, quaedam qui mente volutent. *
Quarta quoque his igitur quxdam natura neceffe l
eft
Attribuatur : ea eft omnino nominis expers ;
:<
Quâ neque mobilius quidquam, neque tenuius j
extat,
Nec magis è parvis aut laevibus ex démentis ;
Senfiferos motus quae didit prima per artus :
Prima cietur enim, parvis perfeclafiguris5
îndè calor motus, & venti caeca poteftâs
Accipit ; indè aër 5 indè omnia mobilitantur ;
Tum quatîcur fanguis 5 tum vifceia perfentifcunt
Omnia ; poftremo datur offibus atque medullis
Sive voluptas eft, five eft contrarius ardorNec temerè hue dolor ufque poteft penetrare,
• neque acre
Permanare malum , quin omnia perturbentur ;
Ufque adeo ut vitae défit locus atque animai
Difrugiant partes per caulas corporis omnes :
5ed plerumque fit in fummo quafi corpore finis
Motibus : hanc ob rem vitam retinere Yale- <
mus,
Nunc ea quo pa&o inter CcCc mifta, quibufque.
r
LIVRE
III.
159
fi Mais ce n'en cft pas encore aflez pour produire
£fe fentiment ; & l'on ne conçoit pas qu'aucun
'eux pui(Te créer ces mouvemens de fenfation
mettent J entendement en jeu. Il faut donc
joindre un quatrième principe. Nous en
rons abfolument le nom : mais rien n'égale
mobilité, la finefle & le poli de fes élémens.
cft cet agent inconnu qui le premier imprime
nos membres le mouvement de la vie. Il doit
la petite/Te de fes atomes d'être mis le premier
agitation. Aufli-tôt le mouvement fe cornunique à la chaleur, au fouf&e & à l'air. Alors
utc la machine cft en action. Alors le fang
t dans nos veines, les vifceres deviennent
nfibles , les os & la moelle éprouvent l'im*
preflion du plaifir ou dç la douleur.
%
Mais la douleur, ni aucun mal violent ne peut
fnétrer jufqu'à ce quatrième élément, fans eau[jter dans toute la machine undéfordre tel, quç
vie ne trouve plus d'afyle, & que l'ame dé>mpofée fe fauvç du corps par toutes les itfues.
jHeureufement la plupart de ces chocs deftrucr
i leurs bornent leur impreuion à la fur face de
>s corps > précaution de la Nature à laquelle
lnous devons notre confervation.
Maintenant* ô Memmius, par quel lien fer
240
LUCRECE
Compta modis vîgeant, rationem reddere aven*
tem
Abftrahit invitum patrii fermonis egeftas :
Sed tamen, ut porcro fummatim attingere, tangam.
Inter enim curfant prîmordia prîncipiorum
Motibus inter fe j nihil ut fece'rnier unum
Poflit, nec fpatio fieri divifa poteftas :
Sed quafî multas vis unius corporis extant.
Quod genus, in quovis ànimantum vifcere volgo
Eft odor Se quidam calor & fapor 5 & tamen ex his
Omnibus eft unum perfe&um corporis augmen.
Sic calor atque a'ér & venti caeca poteftas
Mifta, créant unam naturam, & mobilis illa
Vis , initum motûs ab fe quas dividit ollis,
Senfifer unde oritur primum per vifcèra motus.
Nam penitiis prorfum latet hxc natura fubeftque 5
Nec magis hâc infrà quidquam eft in corporc
noftro;
Atque anima eft animae proporro totius ipfa :
Quod genus in noftris membris & corpore toto ,
Mifta latens animi vis eft animaeque poteftas j
Corporibus quia de parvis paucifque creata eft :
Sic tibi nominis haec expers vis, facta minutis
Corporibus, latet -y atque Animai totius ipfa
Proporro eft anima, & dominatur corpore toto :
Çonfimili ratione neceffe eft ventus & aër,
Et
r^
LIVRE
III.
141
' cret, ptr quel mélange intérieur, ces 3 ucre
; éléméns peuvent-ils fc combiner & tai»e uu toac
feofîble \ La difette de notre langue m'interdit _
V ces détails ; je me borne donc a -vous en tracer
' de mon mieux une légère efqui/le. Les atomes
*<lc ces quatre, principes , mêlés enfemble , fc
fr meuvent de concert, fans pouvoir jamais fe
^ feparer , ni exercer leurs facultés à part, mais
t comme diverfes pui/Tances d'un feul Se même
^tout ; Se comme dans les vifeercs des animaur
Iji-on diftingue à la fois une odeur, une couleur ,
r Se une faveur propre-,quoique de la réunion de
faces trois qualités réfuke une feule Se même fubf7tance : ainfi la'chaleur, l'air & le foufHe, cet
agent (ècret forment un même tout, conjointement avec cet élément aâif qui leur donne le
principe du mouvement, de qui fait naître'le fentiment dans toute la machine. C'cft au centro
de nos corps qu'eft caché cet agent principal.
Nous n'avons point de parties plus intimes ; c'cft
famé de notre ame : Je de même que l'efprit SC
'ame fc mêlent en fecret dans nos membres >
arce qu'ils font formés /d'un petit nombre d'ato*
es déliés:,de même ce principe qui n'a pas de
m, Se qui doit fon exiftence à des corpufcules
cs-fubtils, eft caché au fonds de nous-mêmes,
ilcft tout à la fois , je le répète, Se lame de
tre ame, Se le mobile de nos corps. Le fouffle.
Tome L
i
L
%4%
LUCRECE
Et calor inter fe vigeant, commifta per artus $
Atque aliis aliud fubfît magis emincatquc,
Ut quiddam fieri yideatiir de omnibus unum ;
Ne calor ac ventus feorfum, feorfumque potestas
Acris interimant fenfum didu&aque folvant.
Eft etiam calor ille animo, quem fumit iu
-
A
ira ;
t û m fervifcit, & ex oculis micat acribus ardor :
Eft & frigida multa cornes formidinis aura,
Quas ciet horrorem in membris, & concitet artus :
Eft etiam quoque pacati ftatus aè'ris ille ,
Pérore tranquillo qui fit voltuque fereno :
Sed calidi plus eft illis , quibus acria corda/
ïracundaque mens facile eflfèrvifcit in ira :
Quo génère in primis vis eft violenta leonum,
Pe&ora qui fremitu rumpunt plerumque gementes
t^ec capere irarumflu&usin peétore poflunr.
At ventofa magis cervorum frigida rneos eft ,
Et gelidas citiùs per vifcera cencitat auras,
Quac tremulum faciunt membris exiftere motum.,
At natura boum placido magis aëre vivit,
JNec nimis irai fax unquam fubdita percit
Fumida fuffundens caecae caliginis umbras,*
T*?'
. /
]|
LIVRE
III.
*4$
:•• l'air & la chaleur ,nc peuvent de même produire
r
ç la vie dans nos membres qu'à l'aide d'un pareil
% mélange ; & bien que chacun de ces élémens puifTe
dominer fur les autres, ou en être dominé, leur
j. affemblage n'en doit pas moins former un feul tout.
S'ils agiflent à part, c'en eft fait du featiment j
leur fépararion rompt tous les liens de la vie.
Néanmoins ils ont chacun leurs fondions particulières. C eft la chaleur qui allume la colère^
qui fait bouillonner le fang,& étincelle r les yeux.
Le foufHc, vapeur froide, accompagne la crainte , fait frûTonner & trenaillir les membres. Enfin
x'eft à l'air le plus tempéré des quatre principes,
que nous devons cet étatpaifîble de lame , qui
répand la férénité fur le vifage. La chaleur domine dans les cœurs bouillans , colères', faciles
à s'allumer. Tel eft fur-tout le lion, quadrupède
. fougueux , dont les flancs font émus & gonflés
- fans cefle par d'affreux rugnTemens, & dont fa
poitrine ne peut contenir les tranfports furieux,
C'eft le vent qui glace lame des cerfs , qui fait
circuler rapidement dans leurs vifeeres un air
froid, & qui excite dans leurs membres un tremblement général. Le bœuf doit la vie à un air
j plus tempéré. Son ame inacceifible aux feux
4e la colère, & aux traits de la crainte, n'eft
mais ni orfii£quce par de noires vapeurs, ni enY
i
" •
2.44
LUCRECE
Nec gelidi torpct telis perfixa pavoris :
Inter utrofque iîta eft, cervos fsevofquc leones.
..Sic hominum genus eft : quamvis doétrina politos
€onftituat pariter quofdam j tamen illa relinquit
Naturas cujufque animas veftigia prima :
Nec radicitùs evelli mala pofTe putandum eft j
Ouin procliviiis hic iras decurrat ad acres,
Ille meru citiùs pauio tentetur, at îlle
Tertius accipiat quaedam clementiùs a?quo :
Inque aliis rébus multis differre neceiTe eft
Naturas hominum varias morefque fequaces :
Quorum ego nunc ncqueo cascas cxponerc eaufas;
Nec reperirefigurarumtôt nomina, quot funt
Principiis , unde hxc oritur variantia rerum.
IHud in his rébus vidcorfirmarepotefle >
Ufque adeo naturarum veftigia linqui
Parvola, qua? nequcat ratio depellcre di&is 5
V; nihil impediat dignam Djis degere vitam.
Hacc igimr natura tenetur corpore ab omni ;
Ipfaque corporis eft euftos , & caufa falutis.
Nam communibus inter fe radicibus narrent 5
Nec fine pernicie divelii pofTe videntur.
Quod genus è thuris glebis evellere odorem
Haud facile eft, quinvntereatnatura quoque ejus;
w
L I V R E
III
145
-> gourdic par un froid péûétranr. Elle tient le mi; lieu entre celles du lion cruel &.du cerf timide,
ù
Il en eft de même des hommes. L'éducation ,
l>; en perfectionnant quelques âmes, ne peut effa*| «er ces traits dominans que la main de la Na~
T tare elle-même y a gravés. N'efpérez pas pou*r[ Toir extirper les germes des vices, guérir celui-ci
ij de fon penchant à la colère, celui-là de fa timidite , un autre de cette faibte/le qui le rend e.n
quelques circonstances plus indulgent qu'il ne
H faut. Il y a des différences effenticlles dans les
caractères., comme dans les mœurs qui-en font
la fuite. Je ne puis maintenant en développer
les caafes fecretes , ni trouver aflez de noms pour
les figures des principes d'où réfuke cette diversité ; mais je crois pouvoir anurer que l'étude &
la réflexion, fans faire difparaitre ces traces primitives , les affaiblirent- à un tel point, que
fien ne nous empêche d'afpirer à l'heureux câline dont jouiflent les immortels.
Notre corps eft donc l'enveloppe de l'ame ,
qui de fon côté en eft la gardienne & la protectrice : ce font deux arbres qui tiennent aux
'mêmes racines, deux fubftances qu'on ne peut
:fé parer fans les détruire. Il eft impoûible doter
l'encens fon odeur, fans détruire en mêmeLu] .
1
1^6
LUCRECE
Sic animi atque animae naturam corpore tôto
EAtrahere haud facile eft, quin omnia diflblvantur :
Implexis ica principiis, ab origine prima ,
Ititer le fiunt, conforti pœdita vira :
Nec fine vi quid^uam alterius fibi polTe videtur
Corporis , atque animi ieorfum fentire poteftas > Sed communibus inter eos confîatur utrinque
Motibus accenfus nobis per vifcera fenfus»
Praeterea corpus per fe nec gignitur unquar»;
Nec crefcit, nec poft mortem durare videtur i
Non enim, ut humor aquae dimittit f«epc vaporern,
Qui datus eft 5 ncque ab hâc causa convellitwr
ipfe ,
Sed manet incolumis : non, inquam, fie animaî
Difcidium poffunt artus perferre reliai :
Sed penitùs pereunt convolfî conque puttefeunt s
Ex ineunre aevo fie corporis atque animait
Mutua vitales difeunt contagia motus 5
Maternis etiam in membris,, alvoque repofto
Difcidium ut neqaeat fîcri fine pefte maloque :
Ut videas, quoniam conjun&a eft caufa falutis »
Conjunctam quoque naturam confiftere eorum.
Quodfupereft, fi quis corpus fentire renutat>
Atque animam crédit permiftam corpore toto
Safcipere hune motum, quem Stnfum nominiu^
mus 1
II
7.
t
V AS
î 11.
i4?
tems Ta nature. Vous ne pouvez non plus arracher famé & l'efpritdu corps, fans la difTolution
des deux fubftances. La Nature a lié intimement
kurs principes, dès le premier moment de leur
formation, & les a fournis à la même deftinée. Ili
ne peuvent ni agir , ni fentir fans le fecours
l'un de l'autre; & ceftIa.réunion de leurs mouvemens, qui allume en nous leflambeaude la vie.
En effet le corps ne naft point fans lame 5 il
ae croît point fans "elle $ il ne peut lui furvivre.
les particules de feu dont fe pénètre l'eau bouillante- peuvent s'évaporer fans que l'eau elle-même
fe décoxnpofe pour cela. Mais les membres délaiiTés ne peuvent foutenir le départ de lame j
leur tiflu fe brife & fe putréfie. Exercées dès
l'âge le plus tendre à porter conjointement
le fardeau de la vie, ces deux fubftances font
unies ^intimement, que, dans le fein maternel
même, elles ne peuvent fe féparer, fans périr.
Et quand Ictus confervarioos réciproques font
ainfi liée», fouriendrea-vous que leurs natures
«e le font pas ?
Ainfi refluer le Sentiment au eo«ps, pour en
revêtir lame-qui eft répandue dans nos membres,
f'eft combattre l'évidence. Comment démontrer
Lir
248
LUCRECE
Vel manifestas res contra verafque répugnât,
Qurâ ni eniiii corpus fentire y quis afferet unquam ,
Si non infa pakmquod res dédit aç docuft nos ?
A", dinufsâanima, corpus caret undique fcnfu:
Perdu e.ïim qiod non proprium fuit ejus in aevo 5
M-iltaque praeterea perdix , cum expellitur xvo.
Dicere porro ocnlos nultim rem cernere porTe$
5ed per eos aninvarn ut forieus (pedare reclufis 5
De^îpere eft 5 corurà cùm fenfus dicat eorum :
Scnfus enira trahit arque acies dctrudk ad ipfas ;
Tulgida prafcrtira cura cerner* faepe nequimus ,
Lurwina luminibus quia nobis prcpediuntur :
Quod foribus non fit j ncque cnim, quà cernimus ipfi,
Oftia fufjipiunt ullum reclufa laborem.
Praetetea, fi pro fonbus funt Iumina noftra, .
Jam iiiagis , exemptis oculis, dcbere videtur
Cernere res animas, fublatis pôftibus ipfis.
Illud in bis rébus ncquaquam fumcre poflis ^
Democriti quod fanc"ta viri fcntentia ponit j
Corporis atquc animi primordiafingulaprimis
Appofita alrernis variare , ac ne&erc membra :
Nam cùm mukofintanimai elemcnta minora,
Quam quibus è corpus nobis & vifcera confiant^
T u ^ numéro quoque concedunt, & rara per
arcu«
f
L I F R E 111.
149
• là fenfîbilité du corps, fi non par Ton union intime avec lame que nous venons d'établir »
Mais après la retraite de l'amc ,. le corps de**
-' meure privé de fentiment. C'eft qu'ayant perdu
^ pendant la vie un grand nombre de chofcs qui
h ne lui étaient point propres , la mon lui en
gt enlevé encore beaucoup d'autre*.
<
Prétendre que les yeux ne voient point, qu'ilf
j, ne font que des ouvcnurcs a travers lefquelles
l'ame apperçoit les objets, c'eft une folie que
-dément la nature même de notre fens. Le fens
pompe & ramafte les fimula:rss dans l'organe.
Quand il ne peut fixer les objets éclatant, quand
une lumière trop vive trouble fes fondions, il
faudra donc dire que les portes, par ou flous
regardons , éprouvent des fenfacions pénibles ?
Mais en admettait votre fup^ofîcion, l'ame verra
encore mieux , fi o* la débarrafle des yeux T de
ces portes qui la gênent*
Mais ne croyez pas avec fc fager Démocrite,
' qu'à chaque élément du corps réponde un élément:
de Tarne, & que ce mélange alternatif fort le tien
R i e nos organes. Car fi les principes de l'ame font
~ s déliés que ceux dtr .corps & dis vifeeres*, ils
ffon: aufli en plus petit nombre. La Nature les a
eme* avec économie; & toux ce que vous ferie*
Lv
i$o
LUCRECE
Diflita funt ; duntaxat ut hoc proniitterc pofîîs. »
Quantula prima queant nabis injeclra ciere
Corpora fenflferos motus in corpore, tant*
IntervalLa tenere cxordia prima animai :
Kam neque puLveris interdum féminins adhafr»
fum
Corpore ; nec membris inculTam infîdere creta m ;
Nec nebulam noctu ; nec arancï tenuia fila
Obvia fentimus, quandô obrerimur eûmes >
Nec fupra caput ejufdem cecidifTe vietam
Vcilem, nec plumas avium, pappofque volantes,
Qui nimiâ levitate cadunt plerumque gravatim. s,
Kec repentis itum cujufvifcunque animantis
Sfenrimus s nec priva pedum veitigia quaeque*
Corpore quae in noftro cuUces, & caetera ponuntt
Vfque adeo priùs eft in nobis muka ciendun»
Semina» corporibus noftris immiftâ- per artus,,
Quàm primordia (entifeant. concufTa animai ',
ï t quàm intervaUis tancis tuditantia peflint
Concurfare, coire, & dimiltare vicifUni»
Et magis eft-animus vitar ctauflra cœrcens »
Et do mi nanti or ad vitam, quàm vis animai :
Kam fine mente animoque nequit reiîderc per attus ,
Temporis exi guam partem pars ulla animai' $
^
iirRË
itï.
£5t
*fr dr*ît <frtfTûrer , c'eft qu'encre les plus petits
*i des premiers corps, autant il y en a qui peuvent
fT exciter en nous de la fenCation, autant il y a de
£ parues d'âme dilTominées dans nos membres. En
effet nous ne Tentons point la poufGere qui s'attache à nos membres, ni le fard appliqué fur
notre'posa, ni la rofée de la nuit, ni les fils de
l'araignée, ces lacs imperceptibles qui nous enveloppent en marchant, ni la vieille dépouille que
Je même infeerc lai/Te tomber fur nos têtes , ni
les plumes des oiféau*, ni cette efpece de coton
que produit le chardon; & qui, après avoir flotté
dans l'air, s'abaifiè lentement à caufe de Ton er~
t^mciégéreté, ni la marche de l'infecte qui rampe, ni enfin la trace diftinétedes pieds du moucheron, ou des autres animalcules qui Te promènent fur nos membres. Ilcft donc néceifarrequ'un*
certain nombre d'étémens du corps feient ébranlés , avant que les atomes de 1 ame, placés à de*
diftances fi confidérables ., puiffent fenrir l'impreûlon, (e réunir, fc choquer & £c rejetter réciproquement^
Au- refte, réiprk eft le princfpai (ouricrr de ht
Yift? notre conferrationdépend plus de lui que
de lame. En- erïet, l'âme ne peut refrer un ftui
inftanr dans nos membres (ans l'efprit 6c te
É jugements eHe (cdifllptrjufquala moindre par-
I
2$i
LUCRECE
Sed cornes infequitur facile, & difcedit in auras ,
Et gehdos artus in kthi frigore linquit.
At manet in vitâ, cui métis animufque remanfit;.
Quamvis eft circum-casfis lacer undiquc membris
Truncus, ademptâ anima circùm, mcmbrifque
rcmotis,
Vivit, & serherias vitales (ufcipit auras 5
Si non omnimodis, at magna parte animai
Privatus . tamen in viiâ cun&atur, & h«erct.
U t , lacerato oculo circùm, fi pupula manfit
Incolumis, ftat" cernendi vivata poteftas 5
Dummodo ne totum corrurrrpas luminis orbem,
5ed circumcidas aciern, folamque relinquas j
Id quoque enim fine pernkie confier eorum :
At (i rantala pars oculi média rlla perfefa eft,
Incolumis quamvis ahoqui fplendidus orbis ,
Occidk extemplo lumen , tenebraeque fequun-»
tur: ,
Hoc anima atqueanimus vinc*ti funt fœdere femper.
Nunc âge-, nativos anirnantibus, & mortaîej
ïife animos animafque leyes ut nofcere poffis;
Conquilîra diu, dukique reperta labore ,
Digna tua pergam difponere carmina vitâ.
Tufac utrumque uno fubjungas nomcn connue
L I VR E III.
2jj
.tkuie ; eHefuit fon guide dans les airs, & ne laiiîs
aux membresflétrisque le froid de la mort. IV1 aïs
• l'homme refte vivant, tant qu'il conferveTefpric
'• & le jugement 5 fon corps pourra être mutilé, H
!
:" perdre en partie Ton ame & fes membres-yce tronc
Vf informe reipirera toujours, & confervera te ien£_. timent : fi vous ne le dépouillez pas de fon ame
" toute entière , quelque faible portion que vous
t. en lardiez fubûfter, ce fera un lien fuffifant par
^ lequel il tiendra encore à la vie. Ainfi quand mê5 me les parties qui environnent L'oeil feraient dé• chirées , fi la prunelle demeure intacle, la fai culte de voir fe conferve dans toute fa vigueur >
1 pourvu que la fphere entière de l'organe ne foii
V pas affectée, coupez ks panies voifines, & laif.] fez la prunelle ifoiée, la vue ne fera point en
danger. Mais lï vous endommagez le centre de
l'oxgane qui n'ed qu'une fi petite partie de l'oeil,
i «yiand même k rede de l'orbite ferait pur &
tranfparent ,. la lumière s'éteint tout-^-coup t &
,' ks ténèbres lui fuccedent. Telles (ont les loiz inf variables de l'union de l'efjprit & de l'âme.
Apprenez maintenant, è Mexnmîus, que VcCprit & l'ame natflent & meurent avec le corps *,
i fujet digne de vous occuper ; heureux finât d'une
" longue recherche. Mais comme ces deux • fubf'< tances, à caufe de kur intime union , n'en for-
254
LUCRECE
Arque animam, verbi causa, cùm dicere pergait^i
Morcalem effe docens, animura quoque dicere
credas
Quatinus eft unum inter fe, conjundaquc rès erb
Principio, quoniam tenuem conftare minutis
Corporibus docui 5 multoque rainonbus eife
Principits factam, quàmliquidus humor aquaï eit,,
Aut nebula, aux fomus : nam longé mobiiitatc
Fraeftat, & à tenui causa magis i&a moYctur :
Quippe ubi imaginibusfumi,nebul2tqne moverur :
Quod genus-, in fomnis fopiti ubi cernimus ait»
Exhalare vapore akaria, ferrequc fumum :
CNam- procul hacc dubio nabis fimulacra gcnun~
tur^)
Kunc igitur , quoniam quanatis? undlque rafifDifÏÏucre humorern, & kticem difcedere cernis y
Et nebula ac fumus quoniam difcedit in auras :
Crede animam quoque difiimdi, multoque perire
Ociiîs , & citids diifolvi corpora-prima,
Cùm fcmcl omnibus è membris abiata receffit :
Quippe etenira corpus, quod vas quafi conftitit
ejus,
Cdm cohibere nequit conquaffatum ex aliquâ re >.
Ac rarefadrum, detracto fanguine venis :
Aère qui credas pofle banc cohibcrier ollo,
Cojrpore qui aoitro rarus magis am cohibeilit*
w
:\
LITRE
III.
tu
ment qu'une feule, réuniiTex-lcs fous la m«mc
dénomination; Je ce que je dirai de la mortalité
h de l'une , n'oubliez pas de l'appliquer à l'autre.
L'âme, comme je vous Tai en(êigné*, eftfbiv
née de molécules imperceptibles y beaucoup plu*
déliées que les élémens de l'eau, des nuages &
de la fumée, puifquelk fc meut avec plus de vî~
•eue de de facilité , & que les fimulacres des
nuages & de la fumée agiûenc eue-mêmes fur
elle : la vapeur des autels, & la fumée des facrifices que nous voyons en fonge, ( nefont,,comme
on n'en peut douter, que les fimukeres de ces
objets. ) O i , fi l'onde s'échappe de toute pare
d'un vafe mis en pièces ,files nuages & la funue
fe diûipeut dans les airs, doutez-vous que lame
féparée des membres ne s'évapore deroemeaprès
ùt retraite, que (a îublrance ne périûe encore
plus promptement, que (es principes ne £e difiblvent en beaucoup moins de tems 2 Et quand
le corps , qui eft,. pour ainfi dire» le vaille a a
de fcme , décomposé par une attaque mortelle
ou raréfié par la perte du fang, n'eft plus capable d'arrêter (à fuite, fcra-t-clk retenue par
Tak» flnide moins dénie & plus facile à périé-
k
i5£
LUCRECE
fruterea, gigni pariter cum corpore, & ûnà
Crefcere fentimus, pariccrque fenefcere menteniw .
Nam velue infîrmo pueri teneroque vagantar
Corpore : fie animi fequitur fententia tenuis ;
Inde, ubi robuftis adolevit viribus a?tas,
Canfilium quoque majus, & auctior eft animi
vis :
Poft ubi jam validis quarTatum eft viribus aevi
Corpus, & obtufis ceciderunt viribus artus ;
Claudica-ingenium, deliratlinguaque menfque:
Omnia deflciimt, arque uno tempore défunt.
Ergo difTolvi quoque convenit omnem animai
Naturam, ceu fumus in altas aëris auras :
Quandoquidem gigni pariter, pariterque videtirr
Crefcere, &., u: docui, fîmul arvo felTafatifein.
Hue accedit uti videmus, corpus ut ipfum
Sufcipere immanes morbos durumque dolorerrr:
Sic animum curas acres ludtumque metumque :
Quare participerai lethi quoque convenit elfe*
Quin etiam morbis in corporis avius errat
Sarpe animus : démentit enim , deliraque fa~
tur ;
Interdumque gravi lethargo fertur in alrun>
«Arernumqae foporem, oculis nutuque cadenti i
Vado. neque exaudit voces, neque Bofcere vultus
I
LIVRE
IIL
157
D'ailleurs, noas la voyons naître avec le corps,
croître & vieillir avec lui. Dans l'enfance, une
machine fréle 8c délicate fert de berceau à un
• cfprit auflî faible quelle. Lage , en fortifiant les
•) membres mûrit auflî l'intelligence, & augmente
*Cla vigueur de lame. Enfuite , quand l'cfforc
•'"} puisant des années a courbé le corps, émoulTé
i^Jes organes ,•& épuife les forces, le jugement
Hchancelle, & l'cfprit s'embarrafie comme la lanrgue. Enfin tous les reiîbrts de la machine manfcquçnt à la fois- N'eft-il pas naturel que l'amt
Tfc dtcompofc alors, & fe diflîpe comme une
| fumée dans les airs , puifquc nous la voyons
; comme le corps naître, s'accroître, & fuccomfber à la fatigue des ans ?
Ajoutez que l'efprir étant tourmenté par Ici
yfoucis, la triftdTe & l'effroi, comme le corps
L
par la douleur & la maladie, doit, comme lui,
, -participer à la mort.
T|
Ne voyons-nous pas même fouvent dans les
maladies du corps, la raifon s'égarer, la démence Se le délire s'emparer de l'ame ? QuelqueDfois une violence léthargie la plonge dans un
gaûoupinrement profond & éternel. Les yeux fç
•ferment, la tête n'a plus de foatien. Le malade
(n'entend point la voix , ne reconnaît point les
1
i58
L V C RE
CE
Illorum potis eft, ad vitam qui revotantes
Circumftant, lacrymis rorantes ora genaftjue î
Quare animum quoque diflblvi fatearc necefie
eft :
Quandoquidem pénétrant in eum contagiamorbi.
Nam dolor ac morbus Uihi fabricator uterque tfl :
Multorum exiiio perdodi quod furaus aittè.
Denique cur hominem cilm vini vis peneçravit
Acris, & in venas difceflit diditus ardor,
Confequitur gravitas membrorum ? praepediuntur
Cruxa vacilîanti ? tardefcit lingua ? madet mens?
Nant oculi : clamor , fîngultus , jurgia gli£cunt?
Et jam cetera de génère hoc quxcunquc fequuntur?
Cur ea funt, nifi quôd vehemens violentia vini
Conturbare animam confuevit corpore in ipfo ?
At quaecunque queunt conturbari inque pediri,
Signifîcant, paulo fi durior infinuârit
Caufa, foie ut peieant, xvo privata future
Quin etiam, /ubitâ vl morbi faepe coaftus,
Ante oculos aliquis noftros, ut fulminis i&\is
Concidit, & fpumas agit, inge«it, & trémie
anus,
L
i r*
E
in.
i 59
traits de Tes parens en larmes qui entourent Ton
lit, & s'efforcent de réveiller en lui le fentiment.
Puifque la contagion du mal gagne ainlî l'ame,
doutez-voue qu'eue ne Toit aulïi fujette à la dif; lolution î Une expérience trop fouvent répétée ,
> ne vous a-t-elle pas appris que la doultur & la
v maladie font les deux mini fit es de la mort ?
• ; Enfin » lorfque le vin, cette liqueur a&ive ,
* s'eft rendu maître de l'homme, & a fait couler
2 fon feu dans fes veines brûlantes, pourquoi fes
:
<t membres font-ils pefans ? fa démarche inecr£ taine ? fes pas chancelans ? ia langue embarraf£ fée ? fon ame noyée ? fes yeux fiottans ? Pourquoi ces clameurs ? ces hoquets impurs ? ce»
• querelles Se ces difputes ? enfin tous les défer*
dres que TivrerTe traîne à fa fuite ? Que figni»
fient-ils î finon que la force du vin attaque lame
elle-même au fond de nos corps. Or, toute fubftance qni peut être troublée & altérée, fera néceflaircment détruite & privée de l'immortalité %
j fi l'on iuppofe une caufe plus forte à l'action ds
laquelle elle foie expofée*
Mais voici un autre fpeéracle : c*eft un mal1. heureux , attaqué d'un mal fubit, qui tombe
tout-à-coup à vos pieds , comme frappé de la
\ foudre j dont la bouche écume/dont la poitrine
1
iéo
LUCRECE
Deûpit, externat nervos, torquetur, anhelat
ïnconftanter & in ja&ando membra fatigat :
Nimiram, quia vis morbi diftra&a per arois
Tuxbat agens animara, fpumans ut in asquore
faifo
Ventorum validis fcrvefcit viribus unda :
Exprimitur porrô gemitus, quia membra dolorc
îftificiunmr, 5c omninô quod femina vocis
Ejiciuntur, & ore foras gloraerata feiuntur,
Quà quafî confuêrunt, & funt munita viaï :
Dcfîpientia fit, quia vis animi atque animai
Conturbatur, & , ut docai, divifa feorfum
Disje&atur, eodem ilio diltracta veneno.
Inde, ubi jam morbi fe flexit eau fa, reditquc
In latebras ater corrupti corporis humor ;
Tum quafî talipedans primùm confurgit, & omnés
Paulatim redit in fenfus , animamque receptat.
Hzc igitur tamis ubi œorbis corpore in ipfo
Ja&ctur, miferifquc modis diftra&a laboret j
Cur eandem credis fine corpore, in aëre apertOj
Cum validis ventis, setatem degere pofTe i
Et quoniam mentem fanari, corpus ut xgram,
Cernimus, 6c fleeti, rnedicinâ pofle videmus.:
Id quoque praefagit mortalem vivere mencem :
A
L i rd s m.
i<?i
,\ gémit, dent les membres palpitent. Ceft un
frénétique qui Ce roidit, qui fc débat, qui Ce
met hors d'haleine, tant il fe tourmente , s'év
^ puifefies'agite en tout fens s c'eft que la violence'
; du mal répandue dans les membres, pénètre jufuqu'à l'ame, fie la trouble, comme le fouifle d'un
^ vent impétueux fait bouillonner lesflotsécumans
i de la mer. Ces gémilTcmens qui TOUS attendriffent, c'eft la douleur qui les arrache ; c'eft que
tous les élémens de la voix, chaHes à la fois,
fe précipitent en foule par le canal qu'ils trou»*
vent ouvert, le que l'habitude leur a rendu familier. La démence naît du trouble de 1 cipric
fie de l'ame, qui féparés par la violence du mal
exercent en détordre, leurs facultés. Mais quand
les humeurs qui caufaient la maladie ont repris
an autre cours 5 quand le noir poifon cft rentré
dans fes réfervoirs cachés, le malheureW fe
relevé d'abord en chancelant, fie recouvre peuà«-peu l'ufagc écs fens & de la raifon. Voilà
les maladies auxquelles l'ame cft en proiç dans
lé corps même. Pouvez-vous donc croire que
fortie de ce corps , elle fubfifte dass^ l'air au
rj milieu des vents fie des orages ?
D'ailleurs , puifque nous voyons l'ame fc guécomme un corps malade, Se fe rétablir avec
fecours de la médecine, n'eft-ce paslinc nou-
i£z
L
UCRECE
Addere enim partes, aut ordine trajicere arquura
eft,
Aut aliud prorfùm de fummâ detrahere illum,
Commuta re an imumquicunque adoritur, & infit,
Aut aliam quainvis naturam fleure quarrit :
At neque transferri fîbi partes , nec tribui vult,
Immortale quod eft quidquam , neque deiluere
hilum.
Nam quodcunque fuis mutatumfînibusexic,
Continué hoc mors eft illius, quod fuit antc.
Ergo animus fîve atgrefcit, mortalia fîgna
• Mittit, uti docui, feuflcétiturà medicinâ :
Ufque adeo falfas rationi vera videtur
Res occurere, & efFugium prascludere eunti,
Ancipitique refutatu convincerc falfum !
Deni]ue faspe hominem paulatim cernimus
ire ,
Et membratim vitalem deperdere fenfum :
In pedibus primiîm digitos livefcere & un gués 5
Inde pedes & crura mori ; poft indè per artus
Ire alios tractim geiidi veftigia lethi.
Scinditur atqui anima; quoniam natura , nec
uno
Tcmporefinceraexiftit ; mortalis habenda eft.
Quod fi forte putas ipfâm fe poCe per artus
Introrfum traherc & partes conducere in unum,
Atque i^eo cunctis fenfum deducere membns s
#
II
V RE
III.
26)
•elle preuve de là mortalité ? En effet il en cft
de l'àme, comme de toutes les fubftances connues. Vous ne pouvez-changer Ton état, qu'en
•;lui ajoutant des parties , en hii en citant, ou en
; les tranfpofànc Mais une fubftance immortelle
,nc fourfre point qu'on change l'ordre, qu'on
>vaccroi/Tc ou qu'en diminue le nombre de Tes
<f«ilémens ; parce que tout être qui franchit les
î" bornes de fon eflence par voie de tranfmuta»
Atioâ, celle auffi-tot d'être ce qu'il était. Ainû
£ l'ame, foit dans la maladie , foit dans la cou*
)) yalefeence vous donne des lignes de mortalité,
fr Ainfi la vérité heurte de front l'erreur, lui in;. terdit tout fubterfuge, & par des raifonnemens
? /ans réplique triomphe de fes vains fophifmes.
;,
Enfin nous voyons quelquefois des hommes
s'éteindre par degrés, & leurs membres perdre
l'un après l'autre le fentiment. D'abord les onîj glcs & les doigts des pieds deviennent livides;
^ enfuite la mort gagne les pieds, les jambes»
i Se laide fes traces fur toutes les autres parties
•; qu'elle parcourt fucceffivement. Fuifque l'ame cft
alors divifée, & n'exifte pas toute entière à la
; fois, nous devons la regarder comme mortelle.
•V Si vous dites qu'en fe ramaftant intérieurement,
k en ramenant à elle fes.parties difTémiaécs, elle
ij jjeot concentrer en elle-même le fentiment
i
i6"4
LUCRECE
At locus ille tamen , quo copia tanta animai
Cogitur, in fenfu débet majore videri.
Qui quoniam nufquam eft j nimirum 3 ut dixi-*
mus a n t è ,
Dilaniata foras difpergitur ; interit crgô.
Quin etiam, fi jam libeat concedere falfum,
Et date , pofle animam glomerari in corporc
eorum,
Lumina qui linquunt moribuadi particulatim 5
Mortalem tamen efle animam fatearc necefrVeft:
Kec refert, utrùm pereat difpcrfa per auras,
An contractis in fe partibus obbrutefcat ;
Quando hominem totum magis ac magis undique fenfus
Déficit, & vitac minus , 8c miniis undique reilat.
Et quoniam mens eft hominis pars una3 locoquc
fixa manet certo , velut aurcs atque oculi funt,
Atque alii fenfus , qui vitam canquc gubernant :
Et veluti manus atquc oculus naiefve , feorfum
Sccretaà nobis nequeant fentire, neque efie :
Sed tamen in parvo liquuntur tempore tabi :
Sic animus per fe non quit, fine corpore, & ipfo
Efie homine, illias quafi quod vas efle videturj
Sive aliud quidvis potis es conjun&ius eii
Eingere j quandoquidem conncxus corpori adha>
ret.
Denique corporis atque animi vivata pcteftas
Inter
L I V/R E
I IL
16$
particulier de chaque membre, il femble que
-le lieu où fc raflerable cette foule d'atomes animés ,~ devrait être doué dun fentiment bien
'«exquis. Or, puifqu'on n'apperçoit rien de fenvblable , il faut, comme nous l'avons déjà dit,
,'tjue l'ame arrachée à elle-même fe diflîpe au deihors, c'eft-àrdire, qu'elfe péri (Te. Mais en vous
«accordant même votre fauile fupppfition, qu'elle *
rapproche fes parties quand on meurt par dejgrés , fa mortalité n'en ferait pas moins cer*fcaine. Qu'importe qu'elle fe diffipe dans les airs
;
lcn périmant, ou qu'elle s'étouffe en maffe, puif.
.que nous voyons le fentiment s'éteindre, & ht
me fe perdre par degrés ?
D'ailleurs, Tarne étant une partie du corps ^
*y occupant une place déterminée, ainfî que les
reilies, leVyeux & les autres fens, nos guides
nos maîtres ; puifque la main, l'oeil & le nez'
>arés du corps ne peuvent ni fentir , ni exif:r, mais deviennent en peu de tems la proie de
corruption 5 famé ne peut vivre non plus fans
lile corps qui en eft le vaifTeau, & même quelque
]>chofe de plus intime, puifqu'il ne forme qu'une
île &bftance avec elle.
If*
ji Enfin le corps & l'ame ne doivent ^u a km
Tonu / .
M
\*L.
i66
LUCRECE
Inter Te conjuncla valent, vitâque fruuntur, i
Nec iîne corpore enira vitales edere motus
Sola poteft animi per fe natura j nec autem
Caiîum anima corpus durare & fenfibus uti.
Scïliczt avolfus radicitus ut riequit ullam
Difpicere ipfe oculus rem, feorfura corpore toto :
Sic anima atque animus per fe nij porTe videntur :
Nimirum quia per venas & vifcera rniftim,
Per nervos atque ofla tenentur corpore ab omni j
Nec magnis intervallis primordia poflunc
Libéra diflultare > ideo conclufa moventur
Scnfiferos motus, quos extra corpus, in auras
A'eris, haud pofTant poft mortem eje&a moverij
Propterea quia non fîmili ratione tenentur :
Corpus enim atque animans erit aèr, (i cohibere
Sefe anima, atque in eos poterit concludere motus,
Çuos antè in nervis & in ipfo corpore agebat.
Quare etiam atque etiam, rçfpiutq corporis omnj.
Tegmine , & eje&is extra vitalibus auris,
Diflolvi fenfus animi fateare necelTe eft
Atque animam, quoniarn copjunAa eft caufgj
duobus.
Denique cùm corpus nequeat perferre animajk
Difcidiuin, quin id tetro tabefcat odore 5
Quid dubitas , quin ex imo penitùfque coorta
I4nanar.it, uti furnus, diifufa aj&iraap vis y *
|
*
S
t]
jj
i
I
LITRE
III.
i£7
nnion leurexiftence & leur çonfervation. Lame
ieparée du corps eft incapable de produire couce
feule les mouvemens de la vie j & le corps puVé de Ton arae ne peut ni fubfifter, ni ufer de
Tes organes. L'œil arraché de fon orbite , &
'ftparé du corps ne voit plus les objets : de même
l'efprit & l'ame ne peuvent rien par eux-mcmes ;
C eft que leurs élémens diiTéminés parmi les veilles , les vifceres, les nerfs & les o s , & retenu»
£ar le corps entier ne peuvent s'écarter à de
Crandes difiances ; & cet obftacle à leur difperj£on facilite les mouvemens de la vie qui ne
peuvent plus avoir lieu, Jorfqu'après la retraite
4e lame fes principes ne font plus de même
i|flujettis dans 1'atmofphere. Ea effet l'air pourjÇjit devenir un corps animé, (î l'ame y était
«uflï à l'étroit, & la fphere de fon a&ivité auflt
gjftflerrée qu'elle l'était auparavant dans notie
Jjprps. Je le répète donc. Après la diflolution de
fcnveloppe corporelle, & l'expiracion du fou/fle
irai, il faut que le fentiment s'éteigne dans
1e, puifque ce font deux effets fournis à la
te caufe.
I
L.Enfin puifque les membres ne peuvent foutemt le départ de l'ame, (ans fe corrompre, fans
flhaJer une odeur fétide, pouvez-vous douter
Up» l'ame décompofée jus fe Çoit hhappéz du
i
i£8
LUCRECE
Arque ideo tantâ mutatum putre ruina
Conciderit corpus penitiis , quia mota loco fu$|
Fundamcnta foras animae manantque per artus,
Perque viarum omnes flexus a in corpore quji
funt,
Atque foramina ? Multimodis ut nofeere poflls
Difpertitam animae naturam exifTe per artus 5
Et priris e/Te fîbi diftraclam, corpore in ipfo,
Quàm prolapfa foras enaret in aëris auras»
Quin etiam , fines dum vitse vertitur intra }
-Saepe aliquâ tamen è causa labefatta videtur
Ire anima, & toto folvi de corpore membra,
Et quafi fupremo languefeere temporc voltus,
Molliaque exangui cadere omnia corpore mera
bra.
Quod genus eft , animo maVefatfum cùm perhi
betur ,
Aut animam liquifTe ; ubi jam trepidatur, & omn<
Extremum cupiunt vires reprendere vinclum :
ConquaiTatur enim tum mens animaeque pote
Omnis, & haec ipfo cum corpore conlabefîunt ;
P t gravior paulo polîit difTolvere caufa.
Quid dubitas tandem, quin extra prodita corpu
Imbecilla foras , in aperto, tegmine dempto
Non modo non omaem poflit durare per aevu
$ed miuimum quodvis nequeat c o n f è r e tempmli
LIVRE
III.
i£«>
tçnd de nos corps, comme la fumée de Tintépeur du bois ? Cette altération des membres ,
çaufée par la putréfaction, cet écroulement général de l'édifice corporel n'annoncent-ils pas
gue l'ame qui lui fervait de bafe a été déplacée ,
|fc que fes parties fe font difllpées par toutes les
fifres , tous les conduits de la machine ? Ainû
tput prouTC que l'ame fort des membres dans un
£at de divilîon, & qu'elle ne nage dans lefluidede
tair, qu'après avoir été décompofée dans le corps.
- Souvent même, fans quitter le féjour de la vie,
rame ébranlée par une violente fecoufTe , paraît
fat le point de s'en aller Tout le fyftéme de la
Jbachine fe relâche, le vifage devient languif£ n t comme au moment du trépas, & les membres flottans femblent prêts à fe détacher d'un
Ê D D C où le fang ne circule plus. Tel eft l'état
un homme qui tombe en défaillance, & qui
^ d la connaiflance ; aflau: terrible dans lequel
te la machine fait un dernier effort contre la
blution. Car alors l'ame entière tombe abatt e avec le corps, & périrait fi le choc devenait
•lus violant. Et vous croyez que fortie des memjjkes, impuiffante contre les attaques extérieures,
s abri, fans défenfe, il lui foit pofllble de
fifter, je ne dis pas pendant l'éternité, mais
on feul iaftant?
M iij
ijo
l U CR E C E
Nec fibi enim quifquam moriens fentircTidctor
Ire foras animam incolumem de corpore toto j
Nec priùs ad jugulum & fuperas fuccedere fauces :
Veriim deiicere in ccrtâ regicrae locatâm 5
Ut fenfus alios in parti quemque fûa fcit
Diffoivi. Quod fi immortalis nôftra/oret m e n s ,
Non jam fe moriens diflblvi conqucreretur $
Sed magis ire foras , veftemque relinqucre, u t
anguis,
Gauderet, praelonga ienex aut cornua cervus.
Denique cur animi nunquam mens conflliumque
Cignitur in capite, aut pedibus, manibufvc 5 Ccâ
unis
Sedibus, & certis regionibus omnis inhasret 5
Si non certa Ioca ad nafcendum reddita cuiqùc
Sunt, & ubi quidquid pofïit durare creatum^
Atque ita multimodis pro totis artubus etfc,
Membroium ut nunquam euftat prepafterus
ordo ?
Ufque adeo fequitur res r e m , neque flamma
creari in
Fluminibus folita eft, neque in igni gignicr a Igor.
Praeterea, fi immortalis natura animai eft,
Et fentire poteft fecreta à corpore noftro, «
Quinque, ut opinor, eam faciundum eft fenfibus
au&am j
L
i r& E i IL
tft
D'ailleurs an mourant ne fent pas Ton ame
forcir faine U fauve de ion corps, & monter
fucceffivemeat du gofier au palais. Elle s'éteint à
fon tour, comme les autres fens, à l'endroit dé
. la machine où la Narore l'a placée. Si elle était
immortelle, bien loin de gémir de Ta difTolulion , elle s'ôô irait avec joie. Elle fort irait dtt
corps , comme le ferpent quitte fa dépouille,
comme le cerf fe défait de Con vioux bois.
Enfin pourquoi la fenfibilité & le rai fermement ne nailTent-ils jamais dans la tête , les
f icds, ou les mains î pourquoi font-ils affectés
à un feul endroit, à une région fixe ? (mon parce
que la Nature a affigné à l'une & à l'autre un
lieu particulier pour y naître, & s'y conferverj
c'eit amfi qu'elle en a ufé en une infinité de diTerfes manières, pour tous les membres du corps,
entre le (quels elle n'a jamais permis que l'ordre
fut perverti. Tel eft l'enchaînement invariable
des effets & des caufes. Ainfi la flamme ne s'engerrdrc point dans le»fleuves, ni la glace dans le
feu.
Mais fi Famé eft immortelle de fa nature; fi,
dégagée du corps , elle a la faculté de fentir,
il faut, ce me femble, que vous lui donniez cinq
Miv
*7*
LUCRECE
Nec ratione aliâ nofmet proponere nobis
Poffumus infernas animas Acherunte vagafc :
Picrores itaque, :& fcrrptorum faxla priera
Sic animas introduxerunt fenfîbus au&as :
At neque feorfum oculi, neque nares, nec manus
ipfa
ECe poteft animas 5 neque feorfum lingua, nec
aures
Abfque anima per fe poflunt fentire , nec efle.
Et quoniam toto fentimus corpore ineffe
Vitalem fenfum, & totumerfe animale videmus:
Si fubitô médium céleri praeciderit ic~tu
Vis aliqua, ut feorfum partem fecernat utramque 5
Difpertita procul dubio quoque vis animai,
Et difci/Ta, fîmul cum corpore disjicietur :
At quod feinditur, & partes difeedit in ullas ,
Scilicet aeternam fibi naturam abnuit erreFalciferos memorant currus âbfcindere membra
S^epe ita defubito permiftâ cxàe calentes,
Ut tremere in terra videatur, ab artubus id quod
Decidit abfcinum, cùm mens tamen , atque hominis vis,
Mobilitate mali, non quit fentire dolorem ;
Et fimul, in pugnas ftudio quod dedita mens
eft,
Corpore cum reliquo pugnam caedefque ped/ïït: ^
LIVRÉ
I IL
îTJ
èrganes. Il eft impoffible de vous la rc pré ferrer
fur les rives d? l'Achéron fans la dojer de fe:is ,
comme out fait les Peintres & les Poë*es anciens.
l i a i s lame ne peut fans corps , avoir.des yeux ,
*n n e z , des mains, comme l i langue & les
iéreilles ne peuvenc fans a m e , ni fenùr , ni
rjèxiiier.
D'ailleurs, comme nous éprouvons que le fen^
vtiment de la vie eft répand 1 dans toute l i m a échine, que toutes les parties en font animées ;
(On coup prompt & violent, en féparant le tronc
(par Je milieu, diviferait fans doute l'a me elle-même , & la ferait tomber , comme le corps ,
^coupée en deux moitiés. O r , toute fubftance diIriilble ne peut prétendre a l'immortalité.
On dit qu'au fort de la mette, des enars ar\]més de faax tranchent ii rapidement les mem|bres J J g-erriet a:iiaié au carnage, que fouvent
^*la parcie coupée palpite lai l: Cajk, avant que
^J*4rne fuit avertie le cc:te perce par la do-Jear 5
Jlbic que h promptitude da mil e.î dérobe, U.
jjfcatimuK, ion qje J'ame , irviie coir^ wiiriere/
rh l'ardeur d'i conVsac, n'o.jcape ce tin lu re^.c
&U wor^s q4*a fouet, oa a parer des J t,. J n
:(•"
iviv
'
'. »
x?4
LUCRECE
Ncc tenct, ami/Tarn laevam cum tegmiriê (£$t
Inter equos abftraxe rotas falcefque rapaccs ;
N e j cecidifTe alius dextram, cùm fcandir & i n £
tat.
Inde afius conatur ademptô furgere crure,
Cùm digitos agitât prapter moribuadus humi
pes :
Et caput abfcinura, calido viventeque trunco,
Servat humi voltum vitalem oculofque patentes ,
Donec reliquias animai reddidit omnes»
Quin etiam tibi lî Hnguâ vibrante minantis
Serpentis caudam, procero corpore, utrinquc
Sit libitum in multas panes difcinderc ferro >
Omnia jam feorsum cernes amcifa recenti
Volnere tortari, & terram confpergere tabo 5
Ipfam feque rétro partem petere ore priorem ,
Volneris ardenri ut morfu premat ic"fca dolore*
Omnibus efTe igitur totas dicemus in illis
Parciculis animas ï An eà ratione fequetur,
Unam animantem animas habuifTe in corpprc
multas.
Ergô divifa eft ea qua» fait u n a , fimul oum
Corpore : quapropter mortale utrumque putandum èft
-,
In multas quoniam partes difcinditur a?què.
îl^fiï
Iîï.
t7%
Autre né fçaît pas que fdn bouclier & Ton bras
gauche perdus au milieu des courtiers , ont été
. broyés par ks roues, & emportés par les faux*
Celui-ci en prefTant l'ennemi, & en efcaladant
les murs, ignore que fa main droite cft détachée dé Ton bras. Celui-là cherche à s'appuyef
fur la cuiflè qu'il n'a plus , tandis qu'à Tes côtés
fort pied mourant remue encore les doigts fur le
Table. Fnân lorfqué la tête e(t féparée du corps,
le troni conferve la chaleur Si k vie, le vifago
demeure animé, & les yeux ouverts, jafqu*à ce
que les refies de lame fe fuient diiïlpés dans
las aitt*
r
Coup** en pfu/ïeurs tronçons la queue de cet
énorme ferpent dont le dard vous menace, voua
i terre* chaque partie féparée fe tordre & diftiller fur la terre un noir venin , tandis que là
partie antérieure, furieufe de fi bkflure, s'attaque eile-métrte par-derrière avec fes propresdents. Dirons-nous que chaque tronçon a une
ame entkce 3 C'eft en donner plulïcurs à un
feul atuniaL II n'y en avait donc qu'une qui
% été divïfée avdC ic corps» Ainft ils font {dus
les deux mortels > puifqu'iis font tàu* k s deux
diviiîbk*
AÏYJ
%76
I V C R E C E
Prarrerea, fi iinmorralis natura animai'
Conftac, Se in corpus nafcentib as infinuatur :
Cur faper aiKeactuui aei.acem meminifle nequimis,
N e : vckisya çeftarum rerum ulla tenemus?
Nam n taiKopere eft animi matata poteftas,
Garnis ut aftarum exciderit retinentia rerum :
N o n , ut opiner, id ab letho jam longiter errât.
Quapropter fateare necefle eft, eparfuit antè ,
lateriifle, & , q u s mine eft, nunc elle créa*
taiiu
Prarcrea fi, jam perfeSlD corpo-e, nobis
Inferri folira eft aiimi vivata porefias ,
Tum cùm g gai .nu r , 5c vira: ciim li nen inimus %
H.iad ira convw.iieba: uri, ciun coipore & unà
C'im meaibris vid^arur in ipfo fanguine crêfle ;
Se I velue in caveà, per fe liai vivere folam
Convenir, ne feufu corpus tamjn a Huât omne :
Quare e iam arque etiam nec origiais elle putan»
d un eft
Expertes animas, nec Iedii lege fobtas,
Nam neque tantopere adnecH poraifTe putaa*
du m eft
Corportois noftri- ex:rinf^-tis infinuatas:
Quod fisri cocum :o:i.rj4mi-iifcira docet res: *
Kamq-ie i:a conaexa eit per v'enas > vifçera,
neivjs.
L
i v R e ri T.
i
i77
- Mai* (î lame elV immortelle r fi elle s'infinuc
dans le corps au moment qail naic, pourquoi
<mc poivo.is-noJi nous nppeller notre vie palliée; pj arquai-ne coiferv ans-nous aucune ttà^G
••de nos aa:ienncs acho.is ? Si fes facultés To u li
«ort al-érées qa'elle aie e.uiéremenc perdu le
Ljbuvemr de> événera^ns precédens, cet éeze difîiére, ce m- fem ^le, b«e i peu de jel 11 de la more
? Avouez, don- q le les aaiss d'autrefois font mort e s , & que celles d'aajeurd'hui foac d'une nou,?Velle formation»
>• D'ailleurs, lî farar s'inStïiiic err nnus*, îor£^qu'après la'formation di corps noas microns,
vpoar aiuî dire, le pied far le feail de la vie,
;la verrions nous croître avec les membres dans
le faag même ? M>idevrait-elle pas„ cornue loi»
'\leaa prifoimer dans fa cage , vivre pour clic
ft/ejb, indépendante dtr corps qu'elle anime ? Ri*
;^ pétons-te donc fans cène ; les âmes ne font ni
-> exemptes docigine , ni affranchies des lois du
trépasi Eft-11 croyable en effet qu'une (ubftance étr4ff«»
jlgere eut pa fe lier a,uïïî intimement, que nôu»
t|le voyous , a nos organes, fe répandre dans nos
î'veines , nos nerfs y nos vifjeres 3c nos os , &
^.communiquer du fentiaienc aux dents même ,
l
Li'
1 V CR
%7S
ECU
Opaque* , Uti dentés quoquc fenfti participent
rur;
Morbus ut indicat, & geiidaï ftrirjgor aquaï,
Et lapis oppremis fabitis è frugibus afper.
Nec, tam contexta; ciim fint, exire videntui
Incolumes poiïe, & falvas exfolvete fc-fé
Omnibus è nervis atque offibus articuhfquc.
Quàd C\ forte putas ctcrinfeciis infînuàtam
Permanare animarri nobi* per raembra folere 5
Tantô quaeque magis cdnr corpore fufa peribit,
Quod permanat enim, difïolvitur : interit ergo.
Dfifpemtur enim per caillas corporis omnes.
Ut cibus in membra atque artus cùna diditur 01»*
nés,
Difpefit, atque aliara nararara fufficit et Ce :
Sic anima atque animas, qnamvis intégra recens
iûF
Corpus eunt, tamen k\ mânando diiTolvuntur }
Dam qùafï per carias omnes diduntur in artus
Particule, <jmbus haec animi naturacreatur,
Quae mine in noitro dominatur corpore, nataEx illâ, quae tune périra: partira per artus*
QaaprOpter neqîie natak priva ta Videtur
Eile die natura anima:, ncque funeris expers.
Semina praeterea linquunrar, neene, animai
Corpore m exanimo ? quod fi Unquuntur & in-funt,
I / f RÉ
III.
279
gui dotre leurs maladies propres > font encore
bk/rées , & par Vimpreflion de l'eau glacée, &
par le froifTement imprévu <fun caillou mêlé
•aux alimens qu'elles triturent? Ajoutez qu'étant
adffi étroitement unie à la machine , l'ame ne
peur, fans une diflblution- totale, le dégager des
nerfs, des os , des articulations.
/
Faire de l'ame unfluideétranger qui coule dant
nos membres, & qui les pénétre, c'eft multiplier
& accélérer les caufes de fa deftruction Car la
fluidité eft un état de diffolution , un état de
mort. Il faut qu'alors l'ame fê diftribue dans
tods les conduits de la machine. Or, fi les alimens , en fe filtrant dans nos membres , perdent
leur nature pour fe changer en une nouvelle
fûbftance , l'ame aufli , quoique entière à fon
entrée dans le corps qui vient d'être formé ,
doit fe décompofer en y circulant, & fes parties
éparfês dans tous les canaux de la machine doivent former une nouvelle ame, une nouvelle
reine de nos corps, produite par la première qui
périt pour lors en fe divifant dans les membres.
L'amê a donc eu le jour de fa naiiTance, Scelle aura celui de fa mort.
Hefte-t-iî, ou non, après la mort, quelque!
molécules de l'ame dans les membres ? S'il en
*<»a
I V C R E C E
Haud erit, ut mentô immonalis pofïît haberi %
PAttikus amilîîs qaoniam liba-a recemV
Sin, ira (mceris membris, ablaca profugit,
Ut uuilas partes in corpore liqucric ex fe ;
U n i e cadavera , rancenti jam vifccrfr , ver*
mes
Exjûrantj/itq'ic unde animantu-m copia tant}}
Exos 3c exfaagaiS turaidos pernu&uat artus l j
Quôd ti forte animas exrrin&ciis infïnuari
Vermibus, Se privas in corpora po(Te venire
Credîs j nec réparas eut millia m il:a a n m i r u m
Coaveniaiît, unde anarecellerit ; hoc tamen eft ut
Quaercndum videatur & in difcrinvea agenda m ;
Utrù-.ii tandem anima? vioencur femina qjje ^xz
Vermuulorura , îplj^ae tibi fabricencur , ubî
tint ï
An jam corponbus perfecïis infînuentuï ?
At neque y cur facianr. ipfae, quarjve laboienr,
Dicere fappeiitac > neque emm , tine corpore
cùm funt,
Sotlicit3C volit'a it morbis aîgoque fameque.
Corpus enim magi? his viciis adfîne lajora: \
Et mali mut a a a m u s conragi fungicar jjus :
Szl came •> his e :o q amvis facere unie cornus ,
Q a o i fù>ca.it : a; j.ià p o i i a : , via liUiU Vide*
tur.
i î r
R E
m.
181
Jcfte s TOUS ne pouvez la regarder comme immortelle , puifqu'elle fe retire appauvrie par cette
diminution de parties * Si au contraire elle ne
^buifre aucune pêne j fi Je corps lui reftitue
fidèlement tous Tes élémens, pourquoi la putréiàction des vifeeres donne-t-ellc le jour à un
peuple de vermifTeaux r D'où vient ce flux continuel d'infeâes privés d'os & de fang, qui s'agitent au milieu des chairs gonflées ?
- Si vous regardez les âmes de ces animalcules *
comme autant de fubftances étrangères qui fc
font jointes à leurs corps ; fi l'arrivée fubite de
tant dames, après le départ d'une feule , n'eft
pas pour vous un fujet de réflexions ; vous ne
jfourez cependant vous difpenfer de répondre à
*ne queftion : chacune de ces âmes choiût-elïe
Jcs germes qu'elle veut animer, pour y conftruire fa demeure } ou font-elles reçues-dans des
organes déjà formés î On ne voit pas pourquoi
«lies fe tourmenteraient à fe bâtir une prifon,
elles qui, fans organes, volent à l'abri des maladies , du froid, de la faim, de tous les maux
qui font le partage du corps, & que lame neleflent que par ion union avec lui. Mais fuppoibns qu'il lui foit avantageux de fe conftruire un
corps pour y entrer, on ne voit pas au moin»
par quel moyen elle pourrait y réuulc Ne dite»
L
i§i
LUCRÈCE
Haud igitur faciunt animas fibi eorpora & af*
tus.
Nec tameii eft, ut jam perfe&is infmuentur
Gorpotibus 5 nequô enirri poterunt fubtiliter elfe
Connexae, iieque cônfenfu1 eontagia fient.
Denique cur acris violentia trifte leonum
Seminium fequitur ? dolu' volpibus, & fuga cer*
vis
A patribus datur, & patrius pavor incitât artus ?
Et jam caetera de génère hoc, cur omnia membris
Ex ineunte asvo ingenerafcunt inque genuntur j
Si non certa fuo quia femme feminioque
Vis animi pariter crefcit cum corpore toto ?
Quod lî immortalis foret & mutare foleret
Corpora ; permiftis animantes moribus eurent J ErFugeret canis Hyrcano de femme fsepe
Cornigeri incutfum cervi, tremeretque per auras
A'éris accipiter fugiens, vénienic columbâ :
Defiperent homines, faperent fera faecla ferarum.
Illud enim falsâ fertur ratione, quod aiunt,
Immortalem animam mutato corpore fledi.
Quod mutatur enim, diifolvitur 3 ânterit ergo.
Trajiciuntur enim partes , atque ordine mx<grant;
I;"/ V R E lu.
itf
«loné pas que lame fê conftruit elle-même un
corps & des membres. Ne dites pas non plus
qu elle entre dans* des membres tout formés ; ou
expliquez cette liaifon intime, cet accord parfait
entre les deux fubftances.
Enfin pourquoi le lion conferve-t-il toujours
la férocité de fon efpece ? pourquoi la rufe eftelle héréditaire aux renards, comme la fuite &
; la timidité l'eft aux cerfs ? En un mot, pourquoi cette uniformité d'affections fpirituelles qui
naiffent avec nous ? fînon* parce que l'efprit
ayant, comme le corps, fon germe & fes élémens particuliers, les qualités de l'ame croifleut
& fe développent par degrés en même-tems que
la machine. Si elle était immortelle, fi elle parfait d'un corps dans un autre, les mœurs des
animaux feraient mélangées : on verrait fouvenc
le chien d'Hyrcanie fuir la rencontre du cerf 5
le vorace épervier trembler dans l'air à la vue de
la colombe, les hommes perdre lai raifon, & les
fcetes féroces acquérir la fagefle.
Envain, pont réfbudre ces difficultés, foutient-on que l'ame, (ans cefler d'être immortelle , change de nature en changeant de corps:
tout être fujet au changement eft fournis à la
diilblution, & ne peut manquer de périr pat
11
2.S*
L V C R E C Ê
Quare diflblvi quoque debent poffe per artu$V
Denique ut intereant u;ià cum corpore cundtee.
Sin animas hominum dicent in corpora fera**
per
Ire humana ; tamen quaeram cur è fapienti
Stulta queat fieri 5 nec prudens fît puer ullus ;
Nec tam doctus equae puilas, qukm fortis equi
vis :
Si non certa fuo quia femine feminioquc
Vis ammi pariter crefcit cum corpore toto.
Ssilicet in tenero teaerafcere corpore mentem
Confugient 5 quod fi jam fit, fateare necefTe eft ,
Moi talc m effe anima-m , quoniam mutata per
artus
Tantopere amittit vitam fenfumque priorem,
Quove modo poterit pariter cum corpore quoique
Confîrmata, cupitum xtaris tangere £orem
Vis animi ; nifi erit confors in origine prima ?
Quidve foiàs fibi vuk membris esire fenectis ?
An metuit conchifa manere in corpore putri ,
Et domus setat's fpatio ne fefla vetufto
Obruat ? at non funt immortali ulla pericla.
Dcniq^e connubia ad Veneris partufque ferarura
Effe aniiuas prafto, deridiculum efTe videmr $ *
I I V R E III.
i*s
h. tranfpofition & le dé (ordre de Ces parties ;
l'ame doit donc fe diiïbudre dans les membres, &
mourir toute entière avec 4e corps.. Si vous dites
que les âmes humaines ont toujours des corps humains pour domiciles, je vous demanderai comment de fages elles deviennent déraifonnables-s
pourquoi l'enfant n'a pas la prudence en partage ,
ni le poulain de la jument les qualités du courfier belliqueux , (mon parce que l'ame a Ton
germe propre qui (e développe en même-tems
que le corps. Vous direz donc pour dernière refSource qu'elle rajeunit dans les enfans ? Mais
c'eft avouer fa mortalité. Elle ne peut fubir un
changement fi considérable , fans perdre la vie
& le fentiment dont elle était douée auparavant*
•Mais comment pourra-t-dje fe fortifier avec
le corps , atteindre en même-tems que lui à
fa perfection , fi rinitant de leur naifTancc n'a
pas été Je même ? pourquoi dans la vieillefiè ,
fe hâte-t-elle d'abandonner fes membres ? craintelle de relier enfermée dans un corps putréfié î
a-t-eUe peux que fon vieux domicile ne s'écroule
fur elle ? mais quel rifque court une fubftaaeç
immortelle ?
Enfin il eft ridicule de s'imaginer que les âmes
fc rendent au moment précis de l'accouplement
zM
LUCRECE
Et fpectare immortales mortalia membra
Innumero numéro, certareque prseproperanter
'Inter fe, quize prima potiffimaque infinuetur :
Si non forte ita funt animarum fœdera pa&a ,
Ut, quae prima volans adveaerit, infinuetur
Prima , neque inter fe contendant viribus lulum»
Denique in acthere non arbor, mon asquorc in
alto
Nubes efTe queunt, nec pifces vivere in arvis,
Nec cruor in lignis , nec faxis fuccus inefTe :
Certuni ac difpofitum eft , ubi quidquid crefcat
& infit:
Sic animi natura nequitfinecorporc oriri,
Sola, neque à nervis & faaguine longids efTe ;
Hoc fi pofTet enim, mulco priiis ipfa animi vis
In capite, âut humeris, aut imis cakibus elfe
Pofiet, & innafei quâvis in parte foleret ;
Tandem in eodem homme, atque. in code m vafe
maneret.
Quod quoniam in noftro quoque conftat corporc
certuni,
Difpofitumque videtur, ubi e(Te & crefeere poffit
Scorfum anima atque animu> : tantQ magis infîciandum
Totum pofie extra corpus durarc genique.
Quare, corpus ubi interiit, peiHiTe neeerreeft
Confiteare animara difba4tam in corpore t»to#
LIVRE
III.
187
$Ç- de. Ja naifTance des animaux , qu'un nombreux elTaim de fubftançes immortelles s'empref-r
£nt autour d'un germe mortel, & fe difputeat
l'avantage d'être introduite la première, à moins
que, pour prévenir la difcorde, elles ne coru•fiennent entr'elles de céder la place à la pluç,
jljligente.
Voyez-vous des arbres dans l'air, des nuages
dans l'Océan, des poifTons dans les plaines, du
j?ng dans le bois, des Tues dans les cailloux?
non fans doute. Chaque être a Ton lieu marqué
pour exifter Si. pour croître. L'a me ne peut noi*
*lus naître ifolée *_ ni vivre indépendante <fy
jang Se des nerfs. Si elle avait ce privilège, elle
pourrait à plus forte raifon fe former dans la
jeté, dans les épaules, dans les talons, ou dans,
foute autre partie du corps, puifqu'enfin elle resterait toujours, dans le même homme, dans le
Inéme vaiflçauf Or û nous fommes fiirs que l'ç(V
jpit #. l'ame ont dans le corps un fiege marqué
pour leur exiltençe & leur accroifTement , nç
(bmmes-nous pas bien plus autorifés à nier qu'ils
puiifent naître Sç fubfiftçr fans lui ? Ainfi quan4
a machine périt, il faut que, i'amç eUç-m^m£
#t decom.^ofee^
t.
i88
L U C R
ECS
Qiïippe etenim mortàk asterno jungere, & unà T
Confentire putare, & fungi mutua pofTe,
Befîpere eft. Quid enim diverfîus elfe putandimr
eft,
Aut magis inter fe dîsjunctum difcrepitanfque,
Quàm mortalequod eft, îmmortali atque perennî ?
Junctum , in concilio f^evas tolerare procellas ? "
Praeterea, qusecunque marient aîterna^ necefTe eft*
Aut, quia funt folido cum corpore, refpuerei&us,Kec penetrare pati fibi quidquam, quod queat
ar&as
Diflbciare intris partes ; ut materiaï
Corpora funt, quorum naturam oftendimus amèa
Aut ideo durare secatem pofTe per omnem,
Plagarum quia lu'nt expertia ; fîcut înane eft,
Quod manet inta&um, ne^ue ab iclu fungituir
iiilutn :
'
Aut ideo, quia nulla loci fit copia circùm ,
Q u o qualî res poflint difccdere difToîvique 5
Sicut fummarum fumma eft alterna j neque extra
Quis iocus eft, quo difFugiat 5 neque corpora
» i
funt, quas
Poflint incidere & valida difïblvere plagâ.
At neque, u'ti docui, folido cum corpore mentis
Naturaeft j quoniam admiftum eft in rébus iriarie :
Nec tamen eft ut irune 5 neque autem corpora
défunt,
Ex
r
LIVRE
III
289
Quelle folie d'unir le mortel à l'immortel, de
(uppofer entr'eux un accord mutuel, une communauté de fonctions ! Qu'y a-t-ilde plus diflel- rent, de plus diftinct, & de plus o'ppofé que ces
deux fubftances, l'une périflable & l'autre indef*. trudible que vous prétendez allier, pour leur
- faire fapporter conjointement mille accidens fouettes.?
Enfin un corps fubfîfte éternellement, ou parce
; que fa folidité réfifte au choc , à la pénétration,
fi à la diûolution , comme les principes de la ma? tiere , dont nous avons ci-defïus fait connaître
. la nature : ou parce qu'il ne donne pas de prife
H au choc, comme le vuide, cet efpace impalpa1 ble, dans lequel fe perd toute aétion deftrudtive :
ji ou enfin parce qu'il n'eft point environné d'ua
efpace qui puifle recevoir fes débris, après fa
diûolution, comme le'grand'tout hors duquel il
n'y a ai lieu ou fe diûipent fes parties, ni corps
pour les heurter & les féparer. Or l'ame n'eft pas
immortelle en tant que folide , puifque je vous
ai enfeigné qu'il y a du vuide dans la nature 5 elle
ne l'eft pas non plus comme vuide > il n'y a que
tr«p de corps dans cet univers infini, dont l'irruption foudaine ébranle ion être, & l'expofc
Tome L
N
%9o
LUCRECE
Ex infinito qux poflint forte coorta ,
Proruere hanc mentis violento turbine molcm ;
Aut aiiam quamvis cladcm importare pericli j
Nec porro natura loci, fpatiumque profandi
Déficit, expergi quo poilît vis animai,
Aut aliâ quâvis poflir vi pulfa perire :
Haud igitur lethi praclufa eft janua menti.
Quôdfiforte ideô magis immonalis habenda eft,
Quôd lcthalibus ab rébus munita tenetur :
Aut quia non veniunt omnino aliéna falutis j
Aut quia qua: veniunt, aliquâ ratione recedunt
Pulfa priùs, quàm, quid noceant, (èntire queamus ;
Scilicet à verâ longe ratione remotum eft.
Piaeter enim quàm quod morbis tum corpori s aigrir,
Advenir id, quod eam de rébus faepe futuris
Macérât, inque metu malè habct, curifquc fatigat;
Prasteritifque admifTa annis peccata remordent.
Adde furorem animi proprium, atque oblivia rcrum 5
Adde quod in nigras lethargi mergitur undas.
Nil igitur mors eft, ad nos neque pertinet hilum,
Quandoquidcm natura animi mortalis kabetui %
Et velut anteaclo nil tempore fenfîmus a;gri,
Ad confhgendum yenientibus undique Pœnis,
Omnia ciira belii crepido coacuHa cumula*
LITRE
III.
i9i
au danger de périr. Enfin il ezifte des efpaces
immenfes où Ces parues élémentaires peuvent fe
difperfer, & fa fubftance périr de quelque ma-»
jiierc que ce foit. Ce n'eft donc* pas pour elle
qu'ont été fermées les portes du trépas.
Jinvain fonderiez-vous fon immortalité fur
l'avancée qu'elle a d'être à l'abri des caufes
de deitruétion : ou parce qu'elles n'arrivent pas
jufqu'à elle, ou parce qu'elles font repouuees
de quelque manière que ce foit avant que nous
fendons le mal qu'elles pourraient lui faire. Car
fans compter les maladies du corps dont l'ame
reuent l'atteinte, l'inquiétude de l'avenir la mine
& la tourmente par des allarmes & des foucis
continuels : le fouvenir de fes crimes. pa/Tés eft
un ferpent qui la ronge. Ajoutez le délire , maladie propre à l'ame, la perte de la mémoire ,
& le fommeil lugubre de la léthargie.
Qu'cft-ce donc que la mort, & que nous importent fes terreurs, fi l'ame doit périr avec le
corps î Etions-nous fenfibles aux troubles de
Rome, dans les ïîecles qui ont précédé notre nai£
&ace-, lorfque l'Afrique entière vint heurter i'Em«
pire y lorfque les airs ébranlés retentirent au loin
Nij
k
i9i
LUCRECE
Hornda contrcmuêre, fub altis aetheris auris j
In dubioque fuit fub utrorum régna cadendum
Omnibus hunaanis effet, terrâque manque.
Sic ubi non erimus , cùm corporis atque animai
Difcidium fuerit, quibus è fumus uniter apti,
Scilicet haud nobis quidquam, qui non erimus
tum,
Accidere omninô poterit, fenfumque movere 5
Won fi terra mari mifeebitur, & mare coelo.
Et fi jam noftro fentit de corpore , poftquam
Diftracta eft animi natura animaîque poteftas 5
** Nil tamen hoc ad nos, qui coetu conjugioque
Corporis atque animas confiftimus uniter apti :
— Nec, fi materiam noftram conlegerit aetas
Poil obitum, rurfumque redegerit, ut lîta nunc
eft,
Atque iterum nobis fuerint data lumina vita? ;
fcrtineat quidquam tamen ad nos id quoque factum,
Interrupta femel cùm fit repetentia noftra.
Et nunc nil ad nos de nobis attinet, antè
Qui fuimus 5 nec jam de illis nos afficit angor,
Quos de materiâ noftrâ nova proferet aetas.
Nam cùm refpicias immenfi temporis omnc
Praneritum fpatium, tum motus materiaï
JAwltimodi quàmfint? facile hoc aderçderç pof-
LIVRE
III.
295
du bruit de la guerre, lorfque le genre humain
attendit en fufpens fur la terre & l'onde duquel
des deux peuples il allait devenir la.conquête. Hé
bien ! quand nous aurons cefTé de vivre, quand
la mort aura féparé les deux fubftances dont l'Union forme notre être, nous ferons de même
à l'abri des événemens s ou plutôt nous ne ferons
plus , & les débris mêlés du ciel, de la terre &
de la mer ne pourront réveiller en nous le fentimcnr.
Mais quand mêmel'efprit & lame, après leiïf
retraite, auraient encore des fenfations, quel intérêt pourrions-nous y prendre, nous qui ne fommes que le rcfultat de l'union intime du corps Se
de l'efprit ? & quand.même après le trépas, le terris
Tiendrait à bout de rancmbler toute la matière
de nos corps, de remettre chaque molécule dans
l'ordre & la Situation qu'elle a préfentement, 6c
de nous rendre une féconde fois leflambeaude la
vie, cette renahTance ne nous regarderait plus, la
chaîne de notre exiftence ayant été une fois interrompue. Qui de nous s'inquiète maintenant de ce
qu'il fut jadis, ou de ce que le tems.fera des débris de fon cadavre ? En effet, en confidérant te
nombre infini des fîecles panes, & l'étonnante
variété des mouvemens de la matière, on concevra aifémeat que les atomes fe font trouvés
Niij
i94
LUCRECE
Scmina faepe in eodem, ut nunc funt, ordinc
pofta :
Nec mernori tamcn id quimus deprendere mente.
înter enim je&a eft vitaï paufa , vagèque
Deerrârunt paffim motus ab fenfibus omnes.
Débet enim, miferè quoi forte aegrèque futurum eft,
Ipfe quoque efle in eo tum temporc, edm malè
pofîît
Accidere. At quoniam mors eximit im, prohibetque
Illum a cui poffint incommoda conciliari
Ha?c eadem, in quibus & nunc nos fumus, antè
fuifle :
Scire licet nobis nihil elfe in morte timendum ;
Nec miferum fieri, qui non eft, po/fe5 nequc
hilum
DifFerre, an nullo fuerit jam tempore natus,
Mortalem yitam mors cui immortalis aderait.
Proinde ubi fe videas hominem indignaricr
ipfum
Poft mortem fore, ut aut putrefeat corpore pôfto,
Àut flammis interfiat, malifre ferarum 5
Scire licet, non fùicerum fonere, atque fubefle
Caecum aliquem cordi ftimulum 5 quamvis neget
ipfe
LITRE
III.
i?$
plus d'une fois arrangés comme ils font aujourd'hui : mais il cft impoflible que la mémoire
noms en inibuife > parce que, pendant la longue
panle de notre vie , les principes de nos âmes
fe font égarés dans des mouvemens tout-à-fait
étrangers à la fcnfibilité.
On n'a rien à craindre du malheur, û l'on
n*exifte dans le tems où il pourrait fe faire fentir.
Mais puifque la m o n , en faifant difparaitre
l'homme, fur qui pourraient fondre les maux
auxquels nous femmes expofés, l'empêche, pour
ainu* dire, d'avoirexûtéauparavant, qu'a-t-il à
redouter ? Eft-on malheureux quand on n'exifte
pas ) Et celui qu'une more éternelle a délivré
de la vie, n'cft-il pas au même état que s'il ne
fit jamais né )
Àiftfi, quand vous entendez un homme fe
plaindre du fort qui le condamne à fervir de
pâture aux vers, aux flammes, aux bétes féroces s foyez fur qu'il n'eft pas de bonne foi, qu'il
a e fe rend pas compte des inquiétudes mal développées dont fon cœur eft le jouet. A l'en-.
Niy
i96
LUCRECE
Crederc fe quemquam fibi fenfum in morte fu- *>
turum.
Non, ut opinor, enim dat, quod promittit 5 &
indè
Nec radicitûs è vitâ fe tollit & e^pit ;
Sed facit effe fui quiddam fuper, infcius ipfèVivus enim fîbi cdm proponit quifque , futurum
Corpus uti volucres lacèrent in morte feraeque 5
îpfe fui mifèretj neque enim fe vindîcat hi«
lum,
Nec removet fatis à projecto corpore 5 & illud
Se fingit, fenfuque fuo contaminât adftans.
Hinc indignatur fe mortatem efTe creatum j
Nec videt, in verâ nullum fore morte allum le ,
Qui pomt vivus fibi fe lugere peremptum,
Stanfque jacentem 5 nec lacerari, urive dolorer.
Nam li in morte malum eft, maîis morfuque ferarum
Tra&ari 5 non invenio qui non fît acerbum
Ignibus impolîtum calidis, torréfcere flammis 5
Aut in melle fitum fufFocari, atque rigerc
Frigore, cdm in fummo gelidi cubât asqupre
faxij
Urgerive fupernè obtritum pondère terre,
At jam non domus accipiet te laîta, nequc uxor
Optirna, aec dulces occuxrent ofcula nati
L I r R E
I I L
297
tendre , il ne doute pas que la mort n'éteigne en lui le fentiment j mais il ne tient point
fa parole. Il ne peut fe faire mourir tout entier , &c fans le fçavoir, il lailTe toujours fubfifter une partie de fon être. Quand il fe repréfente pendant la vie , que fon cadavre fera
déchiré par les monftres & les,,oifeaux carnaciers , il déplore fon malheur : c'eft qu'il ne f~
dépouille point de lui-même , il ne fe détache
point de ce corps que la mort a terraflc, il croie
que c'eft encore lui , & debout à fes côtés, il
l'anime encore de fa fenfibilitc. Voilà pourquoi
il s'indigne d'être né mortel : il ne voit pas que la
vraie mort ne Jaiflcra pas fibfifter une autre luimême , un être vivant pour gémir de fa mort,
pour pleurer debout fur fon cadavre étendu, pour
être déchiré par les bêtes , & confumé par la
douleur. Car fi une des horreurs de la mort eO:
de fervir d'aliment aux hôtes des bois , je ne
vois pas qu'il foit moins douloureux d'être confumé par les flammes, d'être étouffé par le miel,
ou tranfi de froid dans un tombeau de marbre-,
ou d'être écrafé fous le poids^de la terre par les
pieds des paflans*
Mais, dites-vous , cette famille dont je faifais
le bonheur > cette époufe yertueufe , ces cher*
NT
*o8
LUCRECE
Preripere, & tacitâ pe&us duicedinc tangent :
Non poteris fa<5Us tibi fortibus cfTe, tuifquc
Prxfîdio : mifer ! ô mifer ! aiunt, omnia ademit
Una dies infefta tibi tôt praemia vitar.
Illud in his rébus non addunt $ nec tibi earum
Jam defiderium infidet rerum infuper unà.
Quod bene fi videant animo , di&ifque fcquantur ;
Biflblvant animi magno fe angore metuque.
Tu quidem, ut es letho fopitus, fie eris aevi
Quod fiipereft, cundis privatu' doloribus asgris i
At nos horrifico cinefaclum te propè bufto
Infatiabiliter deflebimus, aeternumque
Nalla dies nobis mœrorem è pe&ore démet.
Illud ab hoc igttur quxrendum eft, quid fit
amari
Tantopere -> ad fomnurrifires redit atque quictem>
Cur quifquam aeterno poffit tabefeere lo&u ?
Hocetiamfaciunt, ubidifcubuêre, tenentque
Pocula (sepe hommes, & inumbrant ora coronis ,
Ex animo ut dicajit : brevis hic eft fructus homullis y
Jam fuerit, neque poft unquam revocare licebic:
Tasnquam in morte mali cumprkrifs hoc fit eorum,
Quod fîtis exurat miferos atque arida torreat y
Aut aiix cujns defiderium iafideat rei,
i
L 1 1P R E
1 IL
±9$
tnfans qui volaient au-devant de moi pour s'emparer de mes premiers baifers, & qui pénétraient
mbn coeur d'une joie intérieure & fecrete , une
gloire qui n'eft pas encore à fon comble, des
amis à qui je puis être utile. O malheureux ,
malheureux qiie je fuis l un feul jour, un inftant fatal me ravit toutes les douceurs de la vie.
Sans doute ; mais vous n'ajoutez pas que la mort
vous en ôte aufli le regret. Si on était bien convaincu de cette vérité, de combien de peines
& dailarmes ne le délivrerait-on pas ? l'afToupifTement de la mon a fermé vos paupières : vous
voilà pour lerefte des (îecles à l'abri de la douleur j
& nous, à côté d'an bûcher lugubre, nous ver^
fons fur vos cendres des flots de larmes, & la
i tems n'effacera jamais les traces de notre douleur. Infenfés ! pourquoi nous deffécher dans le
deuil Se dans les pleurs ? Un fommeil paifîblc ,
un repos éternel > ne voiià-t-il pas un grand fujoic
d'àfflîaiôftl
Ô mes amis, livrons-nous à la joie, le plaifïr
eft fugitif! bientôt il va nous quitter pour ne
plus revenir : c'eft ainfi, que la coupe à la main ;
des' convives* couronnés de fleurs , s'animent à
la gaieté. Ils craignent donc , après la mort ,
d'être dévorés par la foif, épuifés par la féche*cû*e, ou tourmentés par d'autres defîrs ;
Nvj
3oo
LUCRECE
Nec fibi enim qujfquam tum fe, vitamque re^
quiiitj
Cùm pari ter mens & corpus fopita quiefcunt :
Nam licet aecernum pet nos fie elle foporemr
Nec defiderium noftri nos adtigit ullum 5
Et tameh haudquaquam noflros tune illa per artus
Longé ab fenfiferis primordia motibus errant,
Quin conreptus homo ex fomno fe conligit ipfe.
Multô igitur mortem minus ad nos efTe putandum ;
Si minus efTe poteft, quàm quôd nihilefTe videmus.
Major enim turbae disjedus materiaï
Confequitur letho, nec quifquam expergitus exftat,
îrigida quem £emel eft vitaï paufa fecuta»
Denique fî vocem rerum Natura repente
Mitcat j & hoc aliquoi noftrûm fie increpet ipfa •,
3j Quid tibi tantopere eft , Mortalis, quod nimis
aegris
« Lu&ibus indulges ? quid mortem congemis, ae
fies?
y> Nam fi grata fuit tibi vita antea&a priorque 5
» Et non omnia, pertufum congefta quafi in vas,
» Commoda perfluxêre^ atque ingrata interiêre :
» Cur non, ut plenus vitae conviva, recedis ,
v iEquo apimoque capis fecuram , ftulte, quietem ?
«LSinea, quas fm&us cujique es, periêre profufa,
LIFRB
III.
3.0 r
Quand le corps 6c Famé repofent dans les
bras du (brameil, on ne s'inquiète ni de foi,
ni de la vie. Et bien que cet état dç calme puiile
durer éternellement, il n'eft jamais troublé par
le regret de notre exiftence. Néanmoins les mouvemens de la fenfibilité ne font pas tellement
égarés pendant le fornmeil, que le réveil ne puiffe
aifément les ramener à kur direction. La mort
cfl donc encore moins que le fornmeil, fi ce
qui n'eft rien peut avoir des degrés : elle caufc
plus de défordre & de confufïon dans les principes , & interdit pour toujours le réveil à quiconque a une fois fenti fou froid repos.
Sj la Nature élevait tout-à-coup la voix, Se
nous faifait entendre ces reproches : «Mortel,
aa pourquoi te défefpérer ainfî immodérément?.
» pourquoi gémir & pleurer aux approches de la
' » mon l Si tu as paiTé jufqu'ici des jours agréa» blés, fi ton ame n'a pas été un vafe fans fond
n où fe Xbient perdus les plaifirs & le bonheur,
» que ne fbrs-tu de la vie , comme un convive
M ralfaûé, comme un voyageur qui touche au
» port ? Si au contraire tu as laide échapper
» tous les biens qui fe font offerts , fi la vie ne
302
LUCRECE
» Vitaque in ofFenfu eft : cur ampliùs addere qua^
ris,
>J Rurfum quod pereat malè, & ingratiim occidac
omne ?
» Nec potiùs vitse finem facis, atque laboris ?
» Nam tibi prasterea quod machiner, inveniamque
35 Quod placeat, nihileft : eadem funtomnia femper.
» Si tibi non annis corpus jam marcet, & artus
v Confeâi languent : eadem tamen omnia restant ,
5» Omnia fi pergas vivendo vincere fascla;
» Atque etiam potiùs, fi nunquamfismoriturus,
Quid refpondeamus , nifi juftam interidere litcm
Naturam , & veram verbis exponere caufam 5
At qui obirum lanientetur, miferampliùs sequo,
Non merito inclamet magis, & voce increpet
acri ?
n Aufer ab hinc lacrimas, barathro, Se compefce
querelas.
Grandior hic verô fi jam, feniorque queratur :
» Omnia perfru&us vitaï prœmia, marces !
3> Sed quia femper aves, quod abeft, praeféntia
temnis,
>? Ifhperfecla tibi elapfa eft ingrataque vita*
L 1 V R E
111.
|oj
» t'offre plus que des dégoûts, pourquoi voudrais« tu multiplier des jours qui doivent s'écouler
» avec le même défagrément, & .s'évanouir à
» jamais fans te procurer aucun plaifir ? Que ne
, » cherche-tu dans la fin de ta vie un terme à
» tes peines ? Car enfin quelques efforts que je
r » faffe, je ne peux rien inventer de nouveau qui
» te plaife ; je n'ai toujours à t'ofrrir que le même
» enchaînement. Ton corps n'eft pas encore ufé
J> par la vieilleffe, ni tes membresflétrispar les
» ans : mais attends-toi à voir toujours la mêrnfe
= » fuite d'objets, quand même ta vie triomphe*
» rait d'un grand nombre de fiecles, & bien plus
n encore fi jamais elle ne doit finir. »
Eh bien ! qu'aurions - nous à répondre à la
Nature, finon que le procès qu'elle nous intente
eft jufte ? 17 Mais fi c'eft un malheureux plongé
» dans la irriiere qui fe lamente au bord de la
» tombe y n'aurait-elle pas encore plus de raifon
» de l'accabler de reproches, & de lui crier d'une
» voix menaçante, infenfé, va pleurer loin d'ici,
» ne m'importune plus de tes plaintes ? » Et à ce
vieillard accablé d'années, qui ofe encere murmurer: » Homme infatiable, tu as parcouru la car» riere des plaifîrs, & tu t'y traînes encore : moins
n riche de ce que tu as, que pauvre de ce que tu n'as
» pas, tu as toujours vécu fans plaifir» tu a as vécu
3 (H
LUCRECE
-» Et nec opinanti mors ad caput adftitit amc
» Quàm fatur ac plenus poflîs difcedere rerum.
» Nunc aliéna tuâ tamen setate omnia mitte j
» ./Equo animoqae, ageduci, jam aliis concède :
nece/Te cfL
Jure, ut opinor, agat, jure increpet inciletque*.
Cedit enim rerum novitate extrufa vetuftas
Semper 5 & ex aliis aliud reparare necefTe eft ;
Nec quidquam in barathrum, nec tartara decidit
atra.
Materies opus eft ut crefcant portera faecîa :
' Qux tamen omnia t e , Yitâ perfuntla, fequentuf.
Nec minus crgo ante hxc, quàm nunc, cecidere
cadentque.
Sic alid ex alio nunquam dcfiftet o r i r i ,
Vitaque mancupio nulli datuij omnibus ufur
Refpke item â ^ r n nilad nos anteacta vetuftas
Temporis aeterni fuerit, quàm nafcimur antè.
Hoc igitur fpeculum nobis Natura futuri
Tempo-ris exponit : poft mortem denique noftram,
Num quid ibi horribile apparet-? nura trifte videtur
Quidquam ? nonne omni fomno fecurius exftat î
Atque ea nimirum, quaecunque Acherunte profundo
Prodita funt ciTe, ia vitâ funt oranu nobis.
v
L I V R E
III.
305
» qu'à demi, & la mort vient te furprcndre avant
» que ton avidité foit aflbuvie. L'heure eft venue,
» renonce à mes préfens > ils ne font phis de ton
* 9 âge ; lai/Te jouir les autres, & fais le facrifice
» de bon gré , puifqu'il eft indifpenfable. »
Ces reproches ne (ont-ils pas Juftes ? n'eft-ce
pas une loi de la Nature que la vieilleiTe cedc
la place au Jeune âge, & qu'ainû les êtres fe
perpétuent les uns par les autres ? rien ne tombe
dans l'abyme du tartare. Il faut que la génération
. préfente férve de femence aux races futures. Elles
j paieront bientôt elles-mêmes, & ne tarderont pas
£ à te fuivre : les êtres actuellement exiftans difparaîtront comme ceux qui les ont précédés. Cha*
con fournit fa part aux reproductions de la nat ture-y& nous n'avons que l'ufufruit de la vie»
f fans en avoir la propriété. JjÊT
Quel rapport ont eu avec nous les fiecîes (ans
* nombre qui ont précédé notre nainance ? C'eft un
| miroir où la Nature nous montre les tems qui
î fuivront notre mort. Qu'ont-ils donc de fi trille,
; & de fi effrayant ? N'eft-ce pas la tranquillité du
! plus profond fommeil £
Toutes les horreurs qu'on raconte des enfers,
c eft dans la vie que nous les trouvons, Ce Tan-
ïo£
LUCRECE
Nec mifer impendens magnum ttmet acre faxuxa |
Tanralus, ut fama eft, cafsâ formidine torpens :
Sedraagisin vitâ Divûm mctus urget inanis
Mortales, cafumque timcnt, quemcunque ferai
Fors.
Nec Tityum volucres ineunt Acherurite jacentem :
Nec, quod fub magno fcrutentur pectore, quid*
quam
Perpetuam «tarem poterunt reperire profedo,
Quamlibet immani projeclu corporis exftet,
Qui non fola novem difpenfîs jugera membris
Obtineat, fed qui terrai totius orbem î
Non tamen aetermim poterit perferre dolorem j
Nec prasberc cibum proprio de corpore femper.
Sed Tityus nobis hic eft, in amore jacentem
Quem volucres lacérant, atquo excft aoxius angor.
Aut aliâ quâvis feindunt cuppedinc curas.
Sifyphus in vitâ quoque nobis ante ocuîos eft ,
Qui petere à populo fafees, faevafquc fecures
Imbibit, & femper vic"his, triftifque recedit.
Nam petere imperium, quod inane eft, nec datur t
unquam,
Atque in co femper durum fufFerre laborem 5
Hoc eft adverfo nixantem trudere monte
Saxum, quod tamen à fummo jam vertice rurîum
Yolvitur, & plani raptim petit aequora carapû
1 I F RE
III.
3o7
taîe glace d'effroi tous l'énorme rocher qui menace ruine, c'eft l'homme livré à la fuperftitioa,
qui redoute le vain courroux des Dieux dans tous
les événemens qu'amené le hazard.
Il n'eft pas vrai que Tirye couché fur le bord
de l'Achéron (bit dévoré par des 01 féaux. Trouvejaient-ils pendant l'éternité de quoi fouiller dans
ÙL vafte poitrine, quand même l'énorme étendue
; de Ton corps couvrirait la terre entière, au lieu de
>tneuf arpens ? Pourrait-il d'ailleurs fumre à une
{douleur éternelle, & fournir d'éternels alimens à
l i a voracité de fes bourreaux ? Le vrai Tirye eft
celui que l'amour a terrafle* » que rongent les
foucis dévorans, & dont te coeur cft en proie à
tous les (ourmens des paûlons.
i *w
Le vrai Sifiphe e(V celui qui s'obftine à deî*'
mander au peuple les haches & les faifeeaux , &
V*
u qui fe retire toujours avec des refus, & la triftefle
I»
1- dans le cœur. S'épuifer en travaux continuels
pour un honneur qui n'eft rien, & qu'on ne peut
obtenir, voilà ce que j'appelle pouffer avec effort
vers la cime d'un mont un énorme rocher qui
retombe auflfi-tôt, & roule précipitamment dans
la plaine.
308
LUCRECE
Deinde animi ingratam naturam pafcere fempef â
Atque explere bonis rébus, fatiareque nunquamj
Quod faciunt nobis ànnorum tempora, circùrn
Ciim redeunt, fœtufque ferunt, variofque lepores,
Nec tamen explemur vitaï fru&ibus unquam :
Hoc, utopinor, ideft, aevoflorentepuellas,
Qaod memorant, iacicem permfum congererc
in v a s , '
Qaod tamen expleri nuliâ ratione poteftur.
Cerberus & Furiae jam verô, & lucis egenus
Tartarus, horriferos erudans faucibus seftus ,
Hxc neque funt ufquam, neque poflunt efTc profedô.
Sed mecus in vitâ pœnarum pro malefac'tis
Eft infîgnibus infîgnis, fcelerirque luela
Carcer, & horribilis de faxo jactu deorfum
Verbera , carnifices, robur, pix, lamina, txàx.
Quae tamen & fî abfunt : at mens fïbi confcia facli
Praemetuens, adhibet ûimulos, torretque flagel, lis y
Nec videt interea, qui terminus eiTe malorum
Poflit, nec quae fît pœnarum denique finis ;
Atque eadem metuit, magis hxc ne in morte gravefcant,
Hinc Acherufïa fit fhiltorum denique vita,
Hoc ctiam tibi tute interdum dieere poflîs ;
LITRE
III.
3©$
. ( Hcpaître à chaque inftant la faim de fon ame,
la combler de biens , fans jamais la raflafîcr ,
voir le retour annuel des faifons, en cueillir les
fruits, s'cnyvrer de leurs douceurs, & n'être
pas encore content de tous ces avantages, n'eftcc pas le fupplice de ces jeunes princefTes qui
fburniflcnt fans cène de l'eau à un vafe faxxt
fond, fans pouvoir jamais le combler ?
Ce Cerbère , ces Furies, ce tartare ténèbre»
Mont les bouches vomiffent la flamme, font au*
Liant d'objet j fabuleux qui n'exiftcnt point, &
|«c peuvent exifter. Mais les malfaiteurs font
[punis dans cette vie, par Ja crainte des peines
j proportionnées à leurs crimes. Tels font les
cachots, la cime du Capitole, les faifeeaux, les
tortures, les poteaux , la poix, les lames, les
>rches. Et fi les bourreaux manquent, la confâenec elle-même en fait la fonction ; elle dél/chire le cœur de fes fouets, elle le perce de fes
[jiiguillons. Joignez à ces tourmens l'incertitude
Le l'état futur. On ne fçait quel doit être le terme
[lies maux qu'on endure : on craint que la mort
[lie les aggrave encore. Ainfi la vie préfente eft
fonfèx des iafenfés.
Homme injufte, ne devrais-tu pas quelquefois
?io
LUCRECE
Lumina fis oculis ctiam bonus Ancu' reliquit, /^
Qui melior mukis, quàmtu, fuit, improbe, rebus^Sç
Inde alii multi reges rerumque potences
•*_
Occidcrunt, magnis qui gentibus imperitârunt. y
Jile quoque ipfe , viam qui quondam pcr marejf
magnum
$
Stravit, iterque dedit legionibus ire per altum,
Ac pedibus falfas docuic fuper ire lacunas,
ï t contempfit, aquis infultans, murmura ponti, '
Lumine adempto , animam moribundo corporc>
fudit.
J
Seipiades , belli fulmen, Carthaginis Korror, '•)
OiTa dedit terras, proinde ac famul infîmus effet, j
Adde repertores doctrinarum, atque leporum : 1
Aàâe Heliconiadum comices j quorum unus Ho-;
naerus
Sceptra potitus; eâdem alii s fopitu* quiète eft.
Denique Democricum poitquam macura vetuftas
Admonuit me more m motus languefeerc mentis â
Sponte fuâ letko caput obvius obtulit ipfe.
Ipfe Epicurus obît decurfo lumine vitar,
Qui genus humanum ingenio fuperavit, Se omnefï,
Praeftinxit, {relias exortus uti gtherius fol. - •'••
• **
Tu vero dubitabis, & indignabere obire, . {
Mortua quoi vita cft propè jam vivo atque yits
denti ?
fc
Qui fomno partera majorcm cpAteris *vi i *
$
l
* • " . - • •
L I V RE
III.
311
.te dire ? Ancus lui-même eft mon, ce bon Prince,
gfupérieur à moi par Tes venus. Les rois , les
\ grands de la terre , après avoir gouverné le
monde, ont tous difparu. Ce Monarque de l'A*
.. ûc, qui s'ouvrit jadis une route dans l'immenfité
,' des mers, qui apprit à Tes légions à marcher fur
:
Fabyroe profond, bravant le vain courroux de
; Jélément captif qui frémiiTait fous fes pieds , il
eft mort lui-même, & fon ame a quitté fes membres défaillans. Scipion, ce foudre de guerre ,
la terreur de Carthage, a livré fes offemens à la
terre, comme le plus vil de fes efclaves. Joignezy les inventeurs des feiences & des arts, les com, pagnons des Mufes , & Homère leur fouveraiq.
I qui repofe comme eux dans la tombe. Enfin Dé; mocrite averti par lage que les reports de foa
; efprit commençaient à s'ufer, alla pré Tenter lui\ même fa tête à la mort. En un mot, Epicure
| Jui-même a vu le terme de fa carrière, lui qui
plana bien au-deftus de la fphere commune, fie
1
qui éclipla les plus brillans génies, comme l'éclat du foleil levant fait difparaître la lamjer£
des étoiles.
Et tu balances , tu t'indignes de mourir, toi
dont la vie eft une mort continuelle, qui te
1 y Vois mourir à chaque inftant, toi qui livres au
h ïommeii la plus grande partie de tes jours , qui
1
$n
LUCRECE
Et vigilans ftcrtis , nec fomnia cernere ce/Tas, j |
Sollicitamque geris cafsâ formidine mentem ? *|
Nec reperire potes, quid fit tibi fsepe mali,\
cùm
Ebrius urgeris multis mifer undique curis,
Atque animi incerto nuitans errore vagaris ?
Si poflent homines, proinde ac fentire videntur
Pondus inerte animo, quod fe gravitate fatiget.
Et quibus id fiât caufis cognofcere, & unde
Tanta maii tanquam moles in pectore conftet :
Haud ita vitam agerent, ut nunc plerumque vi*
de mus,
Quid fibi quifque velit nefcire , & quasrere femper>
Commutare locum , quafi onus deponere poflît.
Exit faepe foras magnis ex asdibus ille,
,1
Eue domi quem pertaefum eft, fubitôque revertit :
Quippe foris nihilô meliiîs qui fentiat eue.
Curritagens mannos ad villam hic praecipitanter.^
Auxihum te&is quafi ferre ardentibus inftans : g
Ofcitat extemplo, tetigit cùm limina villae 5 f
Aut abit in fomnum gravis, atque oblivia quserit y&
Aut etiam properans urbem petit 9 atque revifiu. I
Hoc fe quifque modo fugit : at, quem fcilicet &
ut
fit,
r
Eftugere haud potis eft, ingratis haeret & angir^i
Propterea|
I
I
FS»tetr<»'.TPcilJa»t, & dan* les idées fonc
jes fongea^floi qui toujours en proie aux préjugé^,aux terreurs chimériques, aux inquiétu~
|r des, dévorantes,, ne fçais pas en démêler la caufé,
it fax J'ame eft toujours incertaine, jactance ,
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l'UrSi les hommes connaiflaîent la caufe & fdri' £ine des maux qui af&egent leur ame, comme
ils fentent le poids accablant qui s appefanrit
fur eux » leur rie ne ferait pasfiraalheureufc
! jOn ne les: verrait /as : chercher toujours , (an*
Ravoir ce qu'ils défirent, & changer fans cefic
place h : comme £+ far icenê oscillation g a melle, ils pouvaient fc délivrer du fardeau
hjui les-ofpriinfcv •-•-;'
•....•.:
.;
. . . . :
c
'»
Celui-ci quitte Ton riche palais pour fe déà~ (ennui; Rimais il y , rentre un moment
nés, lie J* trouvant pas: plus heureux ailleursL
& fauve à toure bride dans lies terres*
;iim£fcjqa'il acqourt y /teindre nn incendiée
[niais à peine en a-t-il touché les limites 3 qu'il
jénnnifJftjfcaMnhe au tbmmeil ; &
[cherche à s'oublier loi-même. Dans un moment#
rouf ftjkftje/v^iftgagiifj: J* viHe avec la même
ij&pfîffdfr £?«& ainÊime chacun fe fuit fans
^;**ais pjfcste ffeK s'éviter. On fe retrouve,
L
O
t
514
LUCRECE'
\
Propterea morbi quia caufam non tënet acger f
;
Quambenefiyideat, fîlift rfebas quif^aè reli^if •
Naturam primantftudeatéeg&ofcere rerura ;
j
Te tnporis «terni quqniam, non unius hors ,
i
Arabigitur ftatus, ja cpiofîtffiof^àjibusomnis
^Etas poft mortem, qua? rèftat çunquç, manendaï ;
Deoique tantbperè iij dubiis trepidarc peri-j
çlis, '
Qux mala nos fubigit Yitaï tanta ctipido ?
•
Ccrta quidem finis viffc moftalibus adftat j
Kec devitari Jetbum poïe, quiû obtfàmus,
,
Prarterca, verfâffiaï ibidem , atquç infamu$
oifque;
'n
$Jcc nova vivendo procuditur ulfct volupras.
j
$çd dum abeft , quod avemus, id exfuperarc yi-j î
Caetera : poftaliud, tùm comigit illudr a?emu$£'
|it fitis xqua ceaet vitaï fçrftpter hisntés 3
J>ofteraque in dubioeft fortaaatt! tjuam vehatactas^
ftuidve fera* nabis caïUs, qttire exitas iaftec.
Ncç pi:ofË»J&, yi«m daa^ndo, demimus k&j
luw
•--••' î ' •
Rempote de mortisjtt^Cdçlibm^vdlêâm« »
Quo minus çfle dk pofliâiu^iîidrtè perëmptï.
©roinde lieet «juomt vivôô^ $ftt4$!? £ f ^ |
•!••' *
S
Il'L
-jtj
•imittfwiiiiiili oiifettritmcosctoujours. C c e
qutan ighsdrit* catofe de fon m*l. Si oa la con•attfàit^ renonçant à toas ces Tains remèdes*
on Ce tixmaût à l'étude de la nature, puifqsiïi
tft queftion , non pas du fort d'une heure , mais
de l'état étemel ijtf dc*r tuecéder à la mort.
' Quefîgnifientces allarmes qu'on amour malentendu 4e la vie vous infpire dans les dangers !
Apprenez donc* 6 mortels, que vos jours (ont
comptés, & qutf, ffccuje fatale Tenue, il faut
partir £?ns délai*
Et en vtvanV$ltt»loa&-t«mt, *c (cfez-vous
pas toujours habïtjms de la même terre 2 La
Nature inventera-t^dle potn* TOUS de nouveaux
plaints î Non (ans doute. Mais le bien qu'on
n'a pas paraît toujours le bien fuprême. En
jouit-on ? c'eft pour (bupirer après un autre;
le les defirs en fc fuccédant entretiennent dans
| l'ame la foif de la vie. Ajoutez l'iacertitude de
ravenir Je du fort que l'âge futur nous prépare.
Ne croyez pas an refte que la durée de votre
vie fera retranchée., de celle de votre mort. Vous
n'en ferez pas moins de tems victime du trépas.
Quand même vous verriez la révolution de
fiecles , il vous refiera toujours une
Oij
$i*
L
u c R E <re
Mors xterna tamen nihilominusilla manebit?
Nec minus ille diu jam non erit, ex hodierno
Lumine quifînemvitaï fecit, & ille >
Menûbus atque annis qui multis occiditamè»
finis Liprf Ttrtui
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mort éternelle ^attendre > & celui que la terre
tient de rcccVbrr, ne fera pas moins long-temsmort, que celui dont elle enferme les dépouillet
depuis on grand nombre d'années.
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Fin au Zfrïe TroiJUme.
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NOTES
DU PREMIER LIVRE.
•V. t
P A 6 E
J.
T. %•
KJ N a beaucoup raifonné fur cette Invoca*
tion de LucVe$e. Biyle ne^M rtgafde <jue comme
un pur jeu3refprir, cefoût*ies*enBôC£ïl ajoute
que tous les. poètes inTo<Jua^t la Divinité qui
préfide au genre de poéûe qu'ils tmteat, Lucrèce
devaitlnvoquer Vénus comme la IHvinité des
poètes phyfkiens. MaisBayIenav«q»ela moitié
du tableau. D'autres" onf regardé cette invocation comme un hommage involontaire que Lu*
crece rend malgré lui à la Divinité. Ils ne méritent pas d être réfutés Lucrèce explique lui-même
fon invocation par ces vers du premier livre.
Quando atîd ex alio reficit Natura , neque
ullam
Kern gigni patitur, ni& morte adjutam aliéna.
était la Déefte de la génération, Mars
le Dieu de la deitruftion ^ & tout devient clair
VENUS
iTS-r."' 7} '
îfO TEn$ pU UFR£
X $i*
fta moyiWivde jcettc; cxplicatioil que nous foarnic
Plutarque We J&L & Ofit* U H affùlhH; *,
*Af**ç Affwim ysyàrerai pvhhoywlett. êh 0 fj.'v
2?* Vc&tTc rerb & Marte harmoniam natamfabw*
lantur ; quorum aller fitvus & contentiojus É
akera verè mus & facwd4.
EH général il faut diftinguer dans Lucrçco
un double caracbere, celui de poète & celui du
philofophs. De même 411e les philosophes an-,
tiens avaient deux do&rinej, l'une publique,
externe» cxot£riqae qu'ils débitaient au peuple*
j'autxcfecrctc, interne» éfoterique qu'ils rifervaisnt pour leurs «kfciples particuliers ; de même
lucrêcç, comme poète, parait quelquefois adopter les idées TMptogiqacs de Ion teins, tandis
jjgue comme philosophe Epicurien, il s'arme çoo-»
ft'eUçs$clejjs9int>at^m^
^fcaâion , p|nfiejM? cadrât? dft fj^J^ffft
deviennent abjôlument inintelligibles, Far ex$çpie , comme philolbphe il fç montre dans to?t
fon poâne l'ennemi déclaré de la providence ,
jfc conta* fajfee,il paraît k fceonaattre dans
le ciayitme isvae par ce*
:;JL
Ùfquc adeo res humanas vis abdita quxdam
0tom Kpddttbfa*
«*/
&*tf<pc fêlures
JftKIlfefft* jcj|4ftfift»%îtebere vident;
Oir
:
3io
1
NOTES
E N un mot Lucrèce par Vénus & Mars ne désigne évidemment que les facultés d'engendrer
& de détruire, perfooifiées par la mythologie.
P A G E
IO* V .%•
parle ici des intermondes y interimmâia, où Epicure avait rélégué les Dieux , & qu'il
appelle /4STctKo<spicL. La railon qtfen apporte
Cicéron & Séneque , était la crainte que Tes
Dieux rie furent enveloppés dans- les ruines du
•monde , lors de ia deftrucHon future. Procter
metitm ruiriarum Cic. de Divin. L*i°. in medfo
bitervâîlo hiijus & alrerius call êefertns ( Deus )
fine animait, fine homine, fine re, ruinas mundorum fitprà fe, circàque fe cadentium évitât\
Mais ils n'ont pas vu que dans les principes
d'Epicure > les Dieux ne pouvaient pas être en
fûireté dans ces rntermondes j puifque c'était pat»
«uliérèment dans ces eipaces intermédiaires
d'un monde à l'autre, que devaient fe porter le»
débris de l'univers.
LUCRèCE
»
Ne, vojucrum rituflammarum,mcerriamundi
Difrugiant Cubitô , magnum per inane foluta»
Lucr. L z.
L £ but d'Epicure était donc de dépouiller les
Dieux du gouvernement de notre monde, ta
nw1
1ïfR
DU-LIVRE
I.
,ii
les pkçSwKlfcrt de la fphcre des événement. hu~>
\ mains ^e^èftfâ le vrai (en» de ee 'vers qu'on n'a
p^jjti%fititonçuaflezclairement. .
^
Semott ab noftris rebùs fecretaque longe.
B I tU
V,
5.
£
I l y avait des philofopbcs qui (bttenâient
[ -^ue Dieu était faiceptible des panions de faveur
& de bienveillance , mais ils niaient tous qu'il
'fut acceflible à la colère. Omnes philofophï de
ira confentiunt, de gratta difireparu, dit Lactance. C'était an principe généralement adopté
par tontes les (ecres anciennes; quelles qu'elles
fuffent. » Les Dieux, dit Séneque, Epift. jf. ne
( 9» peuvent ni fairte ni recevoir aucune injure.
t » Car ce font deux choiês+euentiellement liées
j»que d'offenfèr & d'être ofFenfé. La Nature
• s» fuprême & admirable des Dieux en les élevant
k » au deflus du danger, n'a pas voulu qu'ils fufc»fent dangereux eux-mêmes, a C'était de ce
- dogme univerfellement reçu que partaient tous
Us philosophes poux nier les peines d'une autre
* vie, comme nous aurons occafion de le remar• quer ailleurs^ Ce, principe & cette conféquence
- onr extrêmement embarrafTé les premiers défen•^Ifeurt de la religion Chrétienne ; ce qui prouve
I que ce n'était pas un principe obfcur de fpécula-
Or
3zt
& O T E S
tion, mais-qu'il était an contraire uaiveïfeKcnient reçu. & adopté. Laâance pour coupes cette
difficulté par la racine, composa un difeour»
qu'il intitula <fe & colère de Dieu, » Car j'ai
arobiervé , dit-il, qu'un grand nombre de périr Tonnes penfent que Dieu neft pas capable de
» colère, furpris ei* ce point par les faux argu» mens des phitofopbes. « jf/amadvern pturîmos
exifiimare non ira/ci Dtum $ udem tamen àpkilofopkis iTrtthi&fatfa àrptmentatiomluseapti. Vi«L
diûertations tirées de M. Warburton, par M« de
Silhouette. DiC Xi.
Ç r que Luctece appelle ici #i»ae immenfum*
il le nonuae ailleurs*?*?*!»* rerum, fumma tota,
fummai totius fumma ; comme Epicure lui donne
les noms de To IlaV omne, ro cA»r totum > rm
Hxw pvm umvtrforum naturam, ro* u»lu,v tpôc
rerum naturam ; expreffion* que nous rendons '
en français par te grand-tout, l'univers, la Nature y la fomme de tous les atomes , la collc&iott
de tous les êtres. Il faut bien £e garder de confondre toutes ces façons de parler, avec le mot
monde dont la lignification était bien- plus restreinte dans les principes d*£picure. Il n'entendait par ce mot, que la çolkàiou des corps «jui
iç^-n-
ît E I.
D V\%tr
ji;
<cempoA*# notfg 4yâpme 5 tels que la tetre, le
Cokil* & km*, les plantes, les étoiles s quil
4étigpr ifucUpièfois par cette expreflip» géneri•que, à00fitmmanrum » lacolle&io» 4es corrs
qui nous environnent. Mais il croyait qu'au déjà
4e jpgffg «ond^^l y avait encore une infinité
&urtt« cpUeclions ou fyftêmes 4e Ja même na*
-turu» fc js'eft.la ibmme de toutes ces çolleéfcions
qu'il ««prend fous le.» terme* f univers , 4e
rgrand-t*ut. Au contraire Jes pjùlofophcs qui
croyaient comme les Pythagoriciens , les Platoniciens, les Ariftotélicitos, qu'il n'y avait rien
autre cqofe dans la Nature que notre fcul monde,
coofondair»* ce terme avec celui d'univers: Ces
jnemes pbilofbpbcs devaient regarder le monde
Comme éternel & indeitru&ible à caufç du princtpic, ciTnihUû9 nikUy in mhilum ml pojfe r<yerti. En conséquence de ce même principe ,
Epicuxe n'attribuait l'éternité & rinde/tru&ibilké qu'à l'univers, à la Ibmme des atomes ,
croyant que chaque forme ou chaque mondt
particulier naiflaient 6c £e détrài&ieat»
>
•
G
E
1 * .
T .
2 . 3 .
Ce pa(Tage pourrait avoir un autre feus que
li que je lui ai donné, & fe traduire ainfi.
•* yow-mdmcftqorridans iesfictionseffrayantes
O vj
5.Mt
1
NOTES
f
nàes poètes, vous fermerez peut-être l'oreille à -jjj
» mes leçons 5 mais ne pourrais-je pas aufïï-bien Û
» qu'eue, inventer d& fonges lugubres & trois- |
» bler tout votre bonheur par de» craintes chi- |
» menques l
*
i
C'EST-là le iens adopté par* tous les commentateurs & par tous les traducteurs ; mais XEt
mtritè qui vient immédiatement après ne s'entend plus avec cette verfïon, & la marche des,
idées du pocteeft entièrement bouleverfée.
P A G E
14.
v*
2.0»
peu qu'on (bit initié dans la philosophie des anciens y on voit clairement que, félon'
leurs principes, ce ne pouvait être ni les corps
ni les efprifs qui defeendiflent dans Tes enfers,
Le corps consume par la flamme ou décompofé
par la putréfaction était rendu à fes principes
élémentaires 5 l'atne , fuivant les uns , mourait
avec le corps, fe corrompait comme lui, & fervait à former d'autres âmes , comme le corps- à
former d'autres corj* j fuivant les autres , elle
allait fe rejoindre à l'ame univerfcHe dont elle
tirait fon origine, après avoir préalabRment.
paiFé par un certain nombre de corps d'animaux
plus ou moins coniidérable, félon certaines loix
que je n'examine pas. Ce ne pouvait donc eue
4
PQVK
»
,
j
!j
D zr tirRE
/.
515
y '«Mes «mes1 ni ks Mfps qui habitaient ks enfers
Mai» qtt'entstMkicftt les anciens par ces' fimult• '«HRS légers qui n'étaient ni corps- ni efprits ? Il
me paraît allez probable qu'ils n'entendaient par
cesfimuîacres,que cette efpece de membrane»
de pellicule déliée que ks Pythagoriciens & les
Platoniciens donnaient pour enveloppe à Fame#
4k qu'ils appcllaient du nom de véhicule. Si les
anciens n'ont eu aucune idée d'immatérialité,
comme le penfent la'piùpart des fçavans, il fenv
ble au moins qu'ils Font crucompofée d'élémens
£ fubtils, que de là à l'immatérialité, il n'y a
qu'un bien petit intervalle à franchir. Or, ne
concevant pas qu'une fubftance auflî déliée êc
auni délicate pût immédiatement agir fur le corps
& recevoir I'imprcmon des objets extérieurs* ils
ont eu recours à une efpece de fubftance mitoyenne , qui fut en quelque façon ua mélange
de corps & d'efprit* ou au moins un point de
contaû commua, à la faveur duquel «iaéhon
& la réaction put avoir lie» entre ces deux fubftances qu'ils paraifTaient regarder comme étrangères Cane à l'autre par leur nature. C'était cette
efpece d'Epidémie, moitié corps & moitié ame,
qu'Us faifaient descendre dans ks enfers.
P A 6 E
II.
t - .**•".
: « On regarde communiât cet axiome, f*
jié
ira r
è
s!
fiihilo mh'ly comme an principe ttnîver&lleifteat
adopté par les anciens. On cite l'autorité dé Ci- \
téron qui dit, lib. IL de Divin, érit aliquïd quod i.
ex nihilo orïatur , aut innïhïlum fuhïto occidat ?
Quis koe phyficus dïxit unquam? Celle d'Ariftote qui dit formellement que tous les phyficiens ':'
xeconnaiiTent unanimement ce principe : opoyvaftomt THç fefyç ôifewhç oi rnîf>) yuçsoç. Enfin cel
de Bafnet dont Voici les paroles , creatio & '
annihilâtio hodierno fenfu . funt voces fi&itia i '
ne que enim occurrit afud Hcbr&os, Gracos & >
Latinos yox ulla JmguUris, qiut vim-iftam olim ,-.
habuerit. On ajoute que le mot Hébreu Barak 8c
le mot Chaldéen Jat\ar font rendus dans les Sep- ';
tantes par s-noun 5 que Kri%etï eft la même chofe
que 7roielr , & que Sr« Jérôme regarde comme ,
fynonyflies les mots creare , eonderc , formare.
Malgré ces autorités , j ai bien de la peine à |
me perfuader, que les anciens n'aient pas eu f i - 1
dée de la crUtïçn dans le fens même que nous s
l'entendons. S'il n'y avait pas eu des philofophes |
qui foutinûent que quelque choie peut fortir du
néant, pourquoi Lucrèce fe ferait-il cru obligé
d'établir le principe contraire fur un fi grand
nombre de preuves ? pourquoi tout cet appareil
pour prouver une chofe dont tout le monde
ferait convenu ? D'ailleurs, que veut dire Séné*
que , lorfqu'ti met en problême fi. Dieu a fait
• V
ou s'il a travaillé fur une
matière pr4exj$àMC \ Materkm ipfifikiforma^
an, Jstf utamr \ Nat» quacft. Hb. L i* prsef.
. . .
«
• $
*
1S,
P A 6 S
l/,
T.
LA oortfamftion de cm vsmn'eft pas omnes (ai^
fores) poffentferreouvris ^ tous Us arbres pour»
' rasent produire des fruits de toute efjpece , parce
!" qu'alors il faudrait omnes (fru&os) & non pas
omnîa ; mai» la conftra&ion eft omnia ( corpora )
' poffentferreomnes {fhUtus}, ce qui eft plu»phifophique & plus grammatical.
P
A
<
e
'
«
-
1
e
.
'
•
.
"
«
•
- C l mot fitdonte a beaucoup embarnuTé' les
commentateurs : Lambin y fuppléefiutdente$
Saamaife lit fua danu qu'il explique ainfi : ver
fua dat cum dat rofas ; Creecb conferre fudanee
auquel il donne la £gntfîcation de humidus , fit< dorer etUiems. Il me femble qu'il était tout fin*< pie de dériver ce mot de ï*&)t&\£fndus employé
-fi (auvent dan» Virgile pour exprimer un tenas
pur Se Cessa*., Voila pourquoi fai cru devoir
tsadaire auruosnofitdauUpar lis beaux purs de
: £ automne $ ccxjai pséieate un l a » datant plus
ttmi, qae/ÏMWÔa peaoètt&icitamême figoifioatmoii qms ÉbtWP«ftr frfciffûi tourner § & que
3zS
v
NOTES
Lucrèce veut peut-être dire, que les chaleurs de?
l'automne font tourner le raiûa.
P A 6 £
21.
v.
15.
IL faut que l'^é de ce vers foit gouverné par
fatendum efi qui eft cinq vers plus haut 5 à moins
<ju'on ne regarde videîicet comme une abréviation de videre lieu.
V A fc E 14.
Tv
IJ.
Aussi-TôT que les hommes commencèrent
à s'adonner à la phyfïque, ils divisèrent le monde
en deux parties, le ciel & la terret A peine fortis des forêts ou ils rampaient, pour ainfi dire,
ils ne lèvent la tête vers le firmament, cette -\
riche enveloppe de la Nature, que pour s'en ^
regarder comme le centre. Tant il eft vrai que
l'orgueil & la barbarie fe touchent de bien près.
Chacun de ces termes de divilîon fut fubdivifé -E
en deux autres, le globe en terre-ferme & en -j
mer, le ciel en air & en région éthérée. Comme
l'on vit que la terre était habitée par les hom- f
mes, les quadrupèdes, les reptiles -, les eaux :&
par les poiflbns, les airs par les volatiles de toute $
efpece 5 on fe crut en droit d'en conclure que
li région éthérée devait être peuplée comme le
refte, & ayoir auili fes animaux. Et comme les
•!*'"
D V L VVK
2
1. 11$
ftres avalent avec les animaux que nous connai/Tom> j un point de conformité, fçavoir la
Faculté de fe mouvoir & de changer de place ,
on ne douta pas que te ne Ment-la les habitant
que la Nature lv£it donnés au ciel. Pe là ces
figures d'taimaUx fous lefquelks font repréfenF tés les (ignés du Zodiaque. De là un nouveau
| monde que la Mythologie alla remplir de C&
| fables.
Neu regio foret ulla fuis animalibus orba
Aftra tenent cœlefte felum.
Qvid. Mer. lib. I.
CE$ affres qui bientôt furent adorés comme
autant de Divinités, avaient befoin pour vivre,
d'alimens analogues à leur nature. On iuppoà
<i qu'ils fe nourriraient des particules ignées qui
Vi'élevcnt fans ceflé de notre globe -vers les réIgfpns fupérieures > & que réciproquement la
'chaleur qui nous vient d'en haut n'eft qu'une
émanation, &, pour ainfi dire, une tranipiranon de ces corps de feu. C'était probablement
ce commerce continuel du ciel avec la terre £
cette efpece cTecnange aufti ancien que, le monde „
qui avait donné à Empedodcs la première idée;
de fbn fyfteme.
P
A G
i
$8. v.. 4.
QvQiqpi Iaioecc n'ait pas employa une fcuW
35©
NOTES
I
fois dans Ton poème le mot êCatoMe, fâï cftjj
devoir m'en fervir, i*. pour éviter les périphrafcs^
le parce que c'eft an motcaaiacré daas notre lan-^i
gue s *• parcequ'Epkure n«n-feulenient a employé ?
ce terme pour défigruer les principes de la matière»^
mais a été le premier <|tti l'ait introduit dans la
philofophie corpufculairç. Démocrite avait ap-» I
pelle les élémensmr a//<«*, parce qu'ils ne fonfr •<
mêlés d'aucun vuide ; Métrodore de Scio les avait
nommés a^\'a//>s7«, indivijîbilia, parce qu'ils fertf* *\
fuient à toute divifîon. Mais Epicure fils de Nêo* i
des (dit Théodoret 4 Therap,) donna le nomy
d'atomes aux dorpufcules que ces philofophea
avalent difignès fous les noms de pleins & fin*
divifiblesé rs ôviKsirw vxr<x> £ «/«Wf«7* *M7«VK
arc/ut irpoîctyopsvszv*
.]_
v
•
«
s
j
i
*
Y
;
I
^
.
.1
L'ESPACE peut être confîderé » ou comme dè*|
fiué de corps, ou comme occupé par un corps, |
ou comme parcouru par un corps. Dans lc-pre-f
mier cas, il s'appelle vuide, dan» le fécond j \ lieu y dans le troi/ïeme, région. Cette définitionwi
qui eft néceflaire pour l'intelligence de la £a-j
meute queftion du vuide, nous cft fourni* pat&
Sextus Mmpiricus. 1. plac. zo. M <tvfà yvait, dit-»
i l , s'fH|U0ç A*èV xaraç-MJ*/* 'mâfloç etojuahç , Xf»or.
ai
•*AI
*S"^
t./
7tnt1u*N0tm* *adm vacutfaCU éb omni
f/f4Mt 4&*y*tur » •cçufat* A çorpore
r
Mdiâmt f*rv*4tntikiu ipfm fetfrik*4
tétât Rmi0
; .
E«g4ninUi^C|lC^nd»TO<fepf^rentedeirt
:e* Pa de^aft<k Sabord fi ^ delà de l'uni, «1J * & •§»*& ; on demande en («coud lie»
dans l'univers même il y | de petits interface»
difiénynét dans tons les corps, JSur la preriere queftion point de dilpute. Ceux qui regar*
tient rnnivets comme un tout limité, ëtaiene
tligés de reconnaître an delà de Ces bornes oo>
fpaeequi neratoccupé par rien. Ceux au con*
qui lai refofaiew des limites, ne pon&.
admettre un eipacc nhérieur. Un y avait
tac que le (écond point dit vuide différante*
•les corps qui fodfrfr de la difficulté s sois
contéftàtkm tient fi pcw au vrai fyftême
Ut nature, que parmi les atomiftes mêmes
{outêtiait le pour & le contre. Ajoutez que
airpttfg août' ancienne que la phiioiàphié
eutfàinâh êtrefrèTeine. EHe ne donne point:
de fitfe àTcfjkirî c»e feconduir&ns une
4%pÉtfcefesV od ta fatfofr dénuée dé
, ne rjxjçv* ajscsnt point «TapucL Elle fédaaâ le* qpeftkuK à, jamais infblublcs de
^ f a g c u r , 4 * fthgtBitg *-<temonvcjncju,
$$i
# 6 TE
i
6c elle l'éloigné toujours de plus en plus* de {^
toute , en le faifant remonter à la caufe de ces
propriétés, aii lieiï d'un envifager les effets. Oi
cft revenu aujourd'hui de ces vames fubtilitéitj
qu'on a abandonnées aux écoles, pour attaquer
Nature d'un autre côté; 0 n ne doute plus qud|
le pbilofoplle ne puiffe, entre le plein & \èl
Yuide, marcher aux plus grandes découvertes]
& reculer les limitée de l'efprit humain, fan*
Tavoir auparavant éclairé fur ces fpéculatiwai
inutiles.
P A G E 38. V, I.
. CET endroit que perfonne n'a entendu» '&
vient clair, en en faifant la conftruction & en
distinguant les difFérens tems dont parle L*4
crece. SI forte aliquis , chm corpora dijjîluêre^
putat id ( nempè ut omnia pojjtdeantur ) fieri
quia aer fe Cêndenfcat ( in inflanti concurfâs ) » f
» Ton croit qu'au moment de la féparation, l'ef
19 pace intermédiaire fe remplit auiH-tôt fan
17 refter vuide un feul inftanr, parce que l'air fe
tf condenfe dans le choc , ou plutôt * parce qui
» l'air qui s était condenfe lors du choc, fe dilate
» lors de la féparation» on eit dans l'erreur, Si
P A
G
£
4e; v;
if.
O N a inféré de ce paiTage de Lucrèce qui plaa
u
y*
•\
',3
i
Ht
| a matière &k~vuide'fur la même ligne, qu'il
les regarde l'un 9ç Ttotre comme deux principes
xécls, concourant également à la formation & à
entretien du grand-tout. Plutarque & d'autres
avaient déjà fait le même reproche à
aua If* grande raifcn fur laquelle on ft
k, iéâit que Leucippe', Démocrits 5c MéiEdne) 4e IScû» «vaienti aoflt fait intervenir dans
comppQtioti «Je l'Univers le vuide ctmmç
agent aéHf $ jfto&if. Quand cela ferait (ce
nie Çauçncti ) aurau-pn droit d'imputer UL
lémc opinion à Epicuce , lai qui -s'eft éloigné
pjafcurs points eifçnrieJs de ]a;4pétiine de
Sr préd^cortctifs , qui a. dépouillé les atomes jk
fcnfibiKté quefeu?attribuait pémochte, qui
appuyé leur folidité un une .toute autre bafe
celle que leur donnait Leucippç, & qui enfin
piquait de ae. fuivre d'autre maître que ion
hic ! Peut-on concevoir qu*Epicurp, cet enmi déclaré des êtres abitraits, qui avait ôté
Tenu (a réalité, qui avait banni jie Ja phifopbie les nombres de Pjrtfragorç» les idées de
, & lesformerd'Acjûote . eût réalifé le
jfefqn'} çA faire un-*sf 4ncigc? de J'yn|*
O
M
I. "
C w fer* ULtepbffiqac, quj eft , fonr aiofi
M
*t 0 T t S
dire, aux modifications de la matière, ce qi
f'cfpace eft à la matière même, cette ligne idéale
que la faiblefie de notre imagination fuppofe]
parallèle aux événemens, cet être-fans conûT4]
tance & (km réalité od s'abyrae Tefprit humaii
itvide de ce qu'il ire conçoit pas; ce phatnôme£j
en un mot5 qui n'étant rien par lui-même
devient par les diverfcs manières de l'eavifager;
ou l'éternité, pu un inftant fugitif, le Tems
été la première Divinité de ia Théologie païenne , à caufe du caractère d'infinité qu'il fembk
porter avec lui. Saturne, le Giel & le Tei
étaient un feul 6c même Dieu, on vieillard territrie, fous la faux duquel tombaient l'aigle & le
moucheron, les ptllai* & les cabanes. La phi-i
lofophie ancienne qui a plus emprunté qu'on nel
croit de la Théologie, avait puifé dans ces fa-]
blés les notions du Terne» Platon le regai
comme une image de féterniti, créé au même;j
inftant que le Ciel } félon d'autres, c'eft la
fphete 9 le Ciel même. Le Tems fut donc réalifé. j
On lui donna un corps & des parties qui étaient]
le paffé, le préfent & l'avenir» On le reganjd
* comme un êtjre difttnc> , mai* dépendant did
monde, qui avait été créé en même tems quçi
fui, & qui finirait avec lui. Bt de même qud
certains philofophes prétendaient que Dieu pour'
créer on«duvtaum«nde, ferait oblige de cléer
D V 1*1, K R£
T.
„f
nouvel cjpace » on (ôutint aoJE qu'après la
éf funivers un nouveau Tenu ferait
pproduit pour préfider au nouveau monde qui
ipjaccrair le premier. C'cft contre cette opi*
extravagante que s'arme ici J-ucrece, perque Tenace * 1e «m$, ces deux îajùuf
\9 ont été pour )e»feommes|a {bure*
grandes erreurs.
I I I P .
r»
IJ;
& a grammaire, elk-mlme femblait awir
>pté ces fautfçe notion* du Tesns r & par ia
dpatetta capjimait jet f$fit des ver*
, c0e fembjaic leur de**** ••* exiftence
;. Lucres* qui £prvait combien lp langage
furies opinions des nommes, n'a pas déde réfuter un fopbiûne fondé uniques
mt fur une équivoque, de gangue. Pour enten»dona ce qu'4 veut dire s *i Aut &ppofor
'on mi fait cette objection : kn ffBum rjjjL
«/.Ngus afrvons pas préci&tteu k rnéme
iu$ #s» fttsfais » parce que pour exprimer
prétérits det vefbos paft&, nous cmfJoyoa*
à la Tenté, comme les latins, le participe
ces Ycrbefx suais nous y joignons le préréric,
non pas Je préfent du verbe auxiliaire. Cepeof à y f d i j ^ î f t n r j o& remarque que Docte
*$*
"
NOTES
cxpreflïon n'eft pas exa&e, & que nous mettonfjj
4eux prétérits ou il n'en faut qu'un»
P A G E
5e.
y.
S.
des atomes parfaitement fo*1
lides, tels que les fuppofe Epicure, ne pourraient J
&re divifés, ni brifés, ni décompofés, nifimple->*
ment endommagés ; mais ils ne pourraient pas j
même fe comprimer Se fe reftituer. Car c'eft un
principe de phyfique ; que 1 elafticité n exifte pas
plus dans des corps parfaitemeni folides que dans
des corps parfaitement, mois. Epicure ne pour-#
rait donc pas expliquer la communication dit *
mouvement ; puifqu'il eft impoffible que le mou- •
vement fe propage d'un corps à un autre, fans jj
paffer par les atomes élémentaires. Je ne fçais •
-comment ce pbilofophe fe ferait tiré de cette ?
©bje&ion qui me paraît infoluble. Au refte , ',
-ceux qui fou tenaient la matière divifible à Tin-.'
iîni ? ^expliquaient pas mieux la communica* '
tion du mouvement, puifqu'iis étaient obligés/)
de faire pafier l'irapulfion donnée par un nombre ';de molécules infini non pas feulement virtualt~*l
ter± comme on parle dans les écoles, mais même J
•a&ualiUr*
•• _
^
NON-SEULEMENT
y •*-'
P A
G\E
; l . - Y»1 I .
>'<!
U eft clair gue Lucrèce ue parle pas ici 4 W * L
»
corps,f|
7
>\|
DU
LIVRE
I.
iu
corps, d'un aggrégat, d'un compofé d'atomes*
On n'entendsait plusrienni à Ton raisonnement,
ni fur-tout a (à concluûon » font igitur folids
PRIMO RDI A Junplichau. Il ne peut parler que
de l'atome 5 il n'y a que l'atome, dans les principes d'Epicurp, dont les parties ne puiflènt être
feparces,- ni exiiler Ublées, ftrft nequcunt confiare. L'extrémité d'un corps en état de compagnon peut exiiler à pan, puilque les simulacres dont les Poètes développent la théorie dant
Je quatrième chant « ne (ont évidemment que,
la pellicule extrême des corps ; & puilque d'ailleurs un corps , quoique poujTé jufqti'à Ton der-4
nier cerme de 4"iuon > n'eft pas encore réduit
f. l'état d'atome» comme il le dit, iib. II.
Nofcere ut hinc pouls t/rids omacm cflUrc
colorera
^articulas * auàm diieedant ad femina reram#
P
•
A G
x
jf.
Y.
XX.
*
*••••{•
difciple d'Hyppafe qui enfcignait pour 1er* lapbilolbphie de Pythagore dé>uillée de (es Toiles, commença fa carrière
^arj'exercice de la première Magistrature d'Efe ÙL patrie.. Mais la méchanceté des hommes
égqpta de les gouverner. Il refufa à plus
fprtc,iajjCon ks invitations de Darius qui l'apTçm l
P
HIXACUTI,
;
$3*
N Q T I~S
pcllait à fa Cour, bien éloigné de vouloir fervir,*
Jui qui dédaignait de commander. Il préféra
d'habiter le creux d'un rocher & de vivre de
légumes 5 genre de vie auquel il ne put être
arraché que par une attaque d'hydropifie, qui
le ramena dans fa parrie, ou il mourut âgé de
foixante ans, après avoir inutilement tenté de
fe guérir en fe faifant couvrir de fumier dans
Une étable. On lui reproche d'avoir pleuré fur
les maux que les vices eaufent aux hommes;
Sans doute il eût été plus du goût de notre nation
de tourner la choie en plaifanterie. Le langage
obfcur qu'il .afFe&ait dans (es ouvrages , & que
Lucrèce lai reproche-ici ,lui rît donner le furnom
4e ZHûJWQ'ç> [f téfiébnux. L'axiomefondamental
de fa phyfiquç était que le feu eft principe de
tout, principe des âmes qui ne font que des particules ignées principe des corps dont les élémens
font des rnolécutes dé feu fîmpfés,"éternelles»
inaltérables & indivisibles. Çesaçomcs ignés ont
formé l'air, en fe condensant ; un air plus denfe
a produit l'eau, une eau plus rerferrée à formé
la terre. L'ame n'étant, qu'un feu, Heraclite en
concluait que le comble du malheur eft de fe
noyer , parce qtt'âfors Vaine «éteignant dans
l'eau, l'on meurt toutçntiçr/ \£pïla probablement pourquoi dans Homère, Achille ce héros
<jui affrpntait Ja mort fur terrç, tremblait e$
rrTT
D U t ïV RE
L
iù
combattant fur Teau. Voila encore fur quoi font
fondés ces pleurs qu'on reproche tant à £née,
lors qu'accueilli par urle violente tempête, il
décrie.
O terque quaterque bcati,
Queis ante ora patrum, Trojx fub mœnibusj
altis,
Contigit oppeterei
erreur n'a pas été ignorée même daiis
le Chriftianifme. Synéfius, Evéque de Ptolémaïde au quatrième fîede, raconte naïvement
la frayeur dont il fut pénétré en faifant naufrage»
fur les cotes de la Lybie $ cette frayeur, difait-il,
était fur-tout caufée partesvives impreffions que
j'avais reçues dans ma jeune/Te, que ceux qui fe
noient, meurent tout entiers.
H E R A C L I T E eut quelques difciples. Platon
. jeune alors étudia la philofopkie fous les yeux.
On dit ^u'Hippocrate & Zenon élevèrent aufîi
: leurs fyflëfnas aux dépens du (kn. En effet, le
fyftéme d'Heraclite était celui des Stoïciens. Vos
. Stoïciens , dit Cicéron, defin.lib. II, qui rapportent tout à Un efpriz tpU^finventla do&rihe
L (Fiférackte. Voila probablement pourquoi Lu• crece traitefi<nal ce philoÉbphe. On trouve encore une grande conformité entre les principes
, d'Heraclite & cet» des anciens Perfes/ qui, félon
CETTE
340
NOTES
la doctrine de Zorpaftre, regardaient tellement
le feu comme la fource de tous les êtres , qu'ils
en f]rçnt une Divinité nommée Orgma^es , donnant le nom à'Arimane aux ténèbres qui lui
font pppofées,
P A G E
64.
v»
z$.
tous les anciens philofophes reconjiaifiaient les élémens vulgaires pour principes
$u grand-tout j mais ils notaient pas d'accord.
jLes uns n'en prenaient qu'un feul, dont la conden fanon & la raréfaction formaient les trois
autres, & la combinaifon l'univers entier. Ainfi.
Jléraçlite, cqmrnç nous venons de le voir, donnait à la Nature pour bafe le feu, Anaximène
l'air, Thaïes l'eau, Ehérécjrdes la terre. D^autres
en youlaient deux, par la condenfation & la raréfidion defquels ils prétendaient expliquer la
. formation du monde. Ainfi Xenophanes mêlait
Ja terre avec l'eau, Parmenides%le feu avec la
terre, JEnopides de Scio le feu avec l'air, Hippon de Rhege le feu avec l'eau. Il y en avait
très-peu qui fifîent intervenir trois de ces élémens dans la composition de l'univers. On ne
cite qu'Onomacritç , qui admettait pour principes le feu, l'eau & la terre combinés enfemble.
tes autres , fous la conduite d'Empedocles, ne
PRESQUE
fcconnaiflaient pas d'autres élémens que les élér
mens vulgaires. Cependant, quoique ce philofo|>hc admît lés quatre élémens, il prétendait que
ces élémens étaient compofés eux-mêmes d'atomes ou de corpufcules, comme on le prouve paf
des partages de Stobée 8c de Plutarque*
P
A
o £ 7*. v.
S.
la conftruâioh de cts deux vêts qui
ne paraiûent pas avoir été entendus, & qui ion£
pourtant fortfimples.At rervm principia pojjunt
adhiberê plura ( id eflplures circumftantias ) undc
var'ut res creari queant. Les élémens de la matière
(ont fournis à un grand nombre d'autres circonstances qui doivent jette* une plus grande variété
dans la formation des êtres. Et ce raisonnement
cft clair. Les 14 lettres de l'Alphabet, en vertu
de leur fcul arrangement, varient à l'infini les
mots de la langue. Quelle variété doivent donc
jette* dans les diverfès productions de la Nature
les élémens de la matière , qui, outre l'arrangement , ont encore bien d'autres circonftances
dont les élémens des mots font privés ? Ces cîrconftances font celles dont il parle fi fouvént
dans le cours de fon ouvrage, concurfus, motus,
pondtrs, pfaga, fçur*.
VOICI
\^
NOTES
I B I D.
V.
10.
né à Clazomene d'une famille
riche & noble , fut difciple d'Anaximene. La
pafilon de l'étude éteint communément le defîr
d'amaffer. Elle conduifît plus loin Anaxagore y
elle lui fît abandonner tous fes biens à fes parens,
pour fe livrer fans entraves à la contemplation
de la Nature. Il eut pour difciples deux hommes
célèbres dans des genres différens, Péricles &
Euripide, auxquels on joint aufli Socrate. Anaxagore fut le premier qui hazarda l'idée brillante
& féconde d'une lune habitée. Il ne raifonna
pas fî jufte au fujet du foleil qu'il regardait
comme une marie de feu de la grandeur du Péloponnefe. C'était une grande vue à Anaxagore
d'avoir fend que tous, les corps doivent être formés de, principes hétérogènes 5 mais par fes Ho*
mœomeries il. avait ôté à cette idée une partie
de fon étendue. Ce fut lui qui» au rapport d'Atiftote, fit le premier çréfider une Intelligence
à l'arrangemeqt de l'univers : nam 6> Anaxagoras tanquam machina utitur intelUBu ad mundi
generatwpcm. Et cum dubïtat propur quam caufamnecejfaùb ejt, tune cum attrahit. In eateris
vero3 magis ucuta omnia, quam inullc&um, Oaufam eorum quafunt, ponit. de metaphyfîcâ lib. I.
cap. 4. D. pag. 844, edit. ©uval coin. II, Mais
ANAXAGORE,
D V L1r R E L
j4j
il ne fallait pas reconnaître une matière piéexif*
tente fur laquelle cette Intelligence ne pouvais
s'arroger aucun droit. Il eft remarquable que là
premier bomme qui fit entrer la Dtvinké dans
le fyftéme 4e l'univers, fc mêla de prédire, fi
le fait de .cette pierre dont il avait annoncé la
chute » & d'autres biftoires pareilles font vraies t
mais ce qui eft plus remarquable, c'eft que ce
même philofophe à qui fes idées Thcologiques
avaient valu le furnafedsi/*?, mens, ait été accule*
d'Atbéiûse à Atkç&ç* 3. & ce qu'on aura peine
à croire, c'eft quaprès avoir été aceufé d'Athéifmc pendant fa vie , on lui ait érigé des
autels après fâ mort. Il eft le premier pbilofopbe
gui ait, publié <k* livres.
t%. Y.
P A G t
»
£.
*
t
IL eft bienfingulier que Gaflendi, en citant
ce pafiàge de Lucrèce, ne fafie aucune réflexion
qui le combatte ou le confirme. Bernie*fon<&£ciple rapporte des. raits qui paraifTcnt tendre à
•PPW^^fW"^* G'^ft encore pout cette même
j) r-aifon, dit,-il, que le* cordes des machines
v artificielles, qu'on £*& mouvoir avec beaucoup
3» de violence, fontfiâtes às'eaflammer; qu'un
» certain, bois, des Inge* me%te.feu à la poudre,
»quarii il, eft U&Q-tzm. fc fertpmeat tourné
F ÏY
«44
N O T E £
» avec elle dans un même trou. « Maigre l'induction que M. Bernicr paraît vouloir tirer de
ces faits , il n'y a perionne qui ne convienne
que le vent qui eft très-propre à propager un incendie , ne peut pas le faire naître, & enflammer
des arbres : il eft très-probable que dans certaines faifons de l'année, & fur-tout en Italie, les
grands vents étant afTez communément accompagnés de tonaerres, on aura attribué à la première de ces caufes ce qui était l'effet de la*
féconde. Il était plus merveilleux de faire naître
l'incendie de l'arbre même, que du feu élémentaire de la foudre. Voila comme on étudiait
alors la nature. Les arbres s'enflammaient d'eux=jnémes 5 bientôt on ks fit patkr, on en fit de*
Oracles. & des Dieux.
P A « E
Stf, • V. Ifw
encore une dé ces queftions métaphysiques auxquelfcs la philofophie ancienne fe livrait avec d'autant plus de plaifir, qu'elle donne
moins de prife à la raifon. Elle préfente deux
faces que Lucrèce diftmgue foigneufement, l'infinité de ïefpace & l'infinité de la matière, La
première queftion ne fou fixait gueres de difficult
tés. Prefque tous les phitofophes admettaient un
efpace infini, & c'était k fewiment non-feuleVOILA
D V L1 V R E
I.
}45
Aient des Païens, mais même des Docteurs Chrétiens. » Qu iis-conçoirent, dit Saint Auguftin,
» au delà du monde des efpaces infinis, dans
Jtlefquels û quelqu'un dit que le Tout-puîfiant
» n'a pas pu créer , ne s'cnfuivra-t-il pas, Sec,. •
3) & ailleurs j Oferont-ils anirrner que la fubf» tance Divine qu'ils confefTent are toute nacre
» par fa préfence incorporelle , éft abfente de
» ces grands efpaces qui font au delà du monde,
• M qui n'eft qu'un point en comparai Ton de cette
» infinité, « II s'eft néanmoins trouvé des Théo*
logiens plus pointilleux, qui donnant à lefpace
île la réalité , le concevant comme un corps
étendu en longueur, largeur & profondeur, ont
craint d'en faire un Dieu , s'ils reconnaifiaient
fon infinité 5 ce qui les a conduits-à croire que
Dieu ne pourrait créer d'autres corps au delà du
monde, fans être obligé de créer en même tems
un autre efpace pour les recevoir. Quant à l'infinité de la matière, il eft remarquable que les
philosophes anciens, qu'on prétend avoir tous
regardé la matière comme éternelle, n'ofaient
pas tous la croire infinie, ce qui cil certainement une inconféquenee. Tandis que parmi les
Docteurs Chrétiens, ;qui rejértaient l'éternité ds
la matière, & qui l'aifyjettiiiaicnt à la cri.ition ,
il s'en eft trouvé qui a/Iuraient que Dieu pouvait
créer une matière, infinie non-feulement en grinPv
54^
NOTES
DU LIVRE
L
deur, mais même en nombre. Ils n'en excluent
que l'infinité qu'ils appellent (TeJJencc, qui ,
n'étant autre chofe que l'efîence Divine, ne peut
pas plus être créée que Dieu même. Vid. Ga£fendi , Tom. I. p. 1^5.
P A G E
88.
r.
4,
CES desj£vers font difficiles, mais ils s'entendent clairement, au moyen de la conftru&ion
que voici. Nullius extremum videtur poffe effe
nififit ultra {illud) ( aliquid) quodfiniat, (ita)
ut videatur, quo, non lonçtks , hac fensûs natura, ( oculus) fequatur (illius cor péris fuperficitm ) 5 mot à mot : un corps ne peut avoir
d'extrémité, à moins qu'il n'y ait au delà de lui
quelque chofe qui k borne, de manière qu'on
voie jufqu'où & non plus loin, l'oeil peut fe
porter fur ce corps 5 c'eft-à-dire, de façon qu'on
voie que l'étendue de ce corps va jufques-là &
non pas plus loin. La virgule que j'ai ajoutée
après qub3 & que ne porte auctm texte, eftabfolument eflentielle pour entendre le fejas de ce
vers,
•ktSCfc.
«*3&2fe *sïï£êH *s3Sié.
5 «^SCUc
5
^ 3 G 5 , ' , T 3 G 5 * ^ 3 * ? ^ ^«OG ^ ^SG :
NOTES
DU S E C O N D LIVRE.
P A G E
lia.
v.
6.
V Oxci la conitruétion de ces trois vers que
perfosfae ne paraît avoir biea entendus. Norme
videre efi Naturam rùhil aliud latrarc , rûfi ut\
cùm dçlor ahfit à corpore, ipfa. ( Natura ) /nwtur mente, ( praeditâ ) jucundofinfu,femota ( ireriim Natura ) cura & mttu ? » Ne voyez-vous
» pas que la Nature ne demande rien, fînon
» que, le corps étant à l'abri de la douleur, elle
r> joiiiïTe d'une ame affectée de fenfations agréa*
wbles 3ç exempte de fouçis & de craintes ?»
Cette conftruAion eft claire. Natura, eft évidemment te nominatif de fruatur, & le fubftantif de femota. Il ne fallait .pas fe mettre à la
torture, comme ont fait tous les commentateurs
en fuppléant ut qui on ut cuïï ut cum, menfque
à meàèêy Se femota** femota.
C E vers ne gourijMt-U.pa*fignifîeranffi, que
Pvj
34$
NOTES
les atomes continueraient de defccndre dans- le
vuide pendant l'éternité, fans jamais s'arrêter,
s'il ne furvenait d'autres atomes qui en lès choquant latéralement, les détournaient de leur
direction perpendiculaire l C'était là en effet la
doctrine d'Epicure $ voila pourquoi il combattait avec tant d'opiniâtreté pour l'infinité de
l'efpace. Il fcntait de quelle conféquence il était
pour ion fyftême que les atomes ne pufTent jamais ni perdre tout-à-fait , ni même rallentir
tant foit peu leur mouvement. Aufïï prétendaitil non-feulement que les atomes abandonnés à
eux-mêmes, continueraient de tomber dans le
vuide pendant réternité , mais encore , que
poufles par un choc étranger, ils ne cefferaieat
point de fûivre cette direction accidentelle, à
moins qu'une nouvelle impulfîon ne les fît changer de route. j{ faut remarquer que mohilitas ne
fignifie proprement que la faculté de fe mouvoir , quoique fouvent il s'emploie pour exprimer la rapidité du mouvement 5 & c'eft dans ce
dernier fens que Lucrèce s'en fervira plus bas ,
p. n o . v. 14.
Nunc qux mobilitas fit rçdditt materia*
Gorporibus.
1 B 1
LUCRICE
D«
Y.
19:
combat ici Ariftote qui fuppofaïc
DU
L1 r R E IL
349
la matière inerte, comme il la croyait fans
forme, 0c qui attribuait à cette même inertie la
caufe de toutes les tranfor mations de la Nature.
Epieure au contraire veut que la matière Toit
toujours en mouvement.
•
Kimirum nuila quies ed
Rcddita corporibus primis per inane profundum.
lib. II. p. né. v. i j & 14.
IL en*distingue de deux efpeces , le mouvement de pefanteur ou la gravitation, qui s'exerce
de haut en bas, & qui eft une qualité inhérente
à la nature même de l'atome 5 & le mouvement
de réflexion, qui u'cft qu'accidentel, qui s'exerce
en tout fens, & qui tient, félon Epieure, à la
folidité & à la dureté des atomes,
Keque enim mirum, durifCma qoae (Int.
lib. II. p. né. v. j .
Iâ raifon même qui devrait empêcher
les atomes de fe réfléchir, cft précifément celle
fur laquelle on appuie leur élafticité, Chacun de
ces deux mouvemens fe fubdivifait _çn deux
autres, comme nous aurons occafion de le remarquer par la fuite.
AINSI
P A G E
C'EST là là
né.
u,
\é.
foWivifion du mouTemcut reflet j
550
NOTES
elle n'eft relative qu'à la diftance plus ou moins
considérable à laquelle les atomes font renvoyés
par le choc. Quand la répercuffion eft confidérable, elle s'appelle T*M yn j quand elle n'écarte
que peu les atomes, & les réunit fous le choc,
elle fe nomme TTX^:C C'eiV Epicure lui-même
qui donne cette diilinction. Vid. Diog. Laê'r.
lib. X. Vid. etiam GaiTend. tom. I. pag. zi6.
P A G E
124.
V.
4*
développe cette idée au coinftiencçment du cinquième chant.
LUCRèCE
P A G I
1X6.
V.
7,
. CE ne n'eft pas pour fe conformer au langage
populaire que Lucrèce fait tomber les étoiles. U
ne parle pas ici comme poète , mais comme
phyficienm>Se c'eft mai entendre fa doctrine, que
de rendre, comme quelques-uns , flellas par des
feux notfurnes. Epicure était réellement dans
cette opinion. Perfuadé que le foleil, la lune &
les étoiles ne font pas plus gros qu'ils ne nous
le paraiflent, il devait en conclure que ces vapeurs enflammées que nous voyons tomber la
nuit font de vraies étoiles. Cette Phyfîque fî
miférable pour un génie comme Epicure , &
dont GafTetidi le juftifîe aflez mal, eft combattue par Pline le Naturalise & par Séneque. Jtfcçt
DU
Lï
V R E 11.
551
aîiqtum cxtingmi dccidua
fignificant
II!a
jùmio alimento fraSi humons igneam vim abundantia reddunt, ciun déciderc crcdu/itur ; ut apud
90s quoqut id Luminibus accenfis , liquore olci
notamus accidere. Plin. lib. II. cap. VIII. lllud
enim ftultiffimum efi exîftimarc. aut jlellas dteiderc , 4Ut tranfilire , atit aliquid Mis auferri &
abradi ; namfi hoc fuijjet, jam défiaient. Senec
Jïat. quxft. lib. L
un des côtes tes plus faibles du iyftêmc
d'Epicure : Auffi-cft-ce par là que tous Tes adverïaires l'ont attaqué. Vid. Cie. 1. de fin. . . de
fato. Ils avaient à la. vérité beau jeu : ils combattaient une fuppolition gratuite que Lucrèce
n'appuie fur aucune raifbn , finon que la déclinaifon des atomes cil nécdTaire à Ton fyftêmc ,
que fans elle il ne peut expliquer la formation
d'aucun être. Mais lés adverfaires d'Epicure
étaient-ils en droit de faire fonner fi haut leur victoire 2 navaient-ils pas à craindre qu'il n'usât de
ffcpréfatUes SC ne les attaquât eux-mêmes fur la
tendance vers un centre commua, qu'ils fuppo(aient dans les corps tout aufli gratuitement. Si,
comme on le croit communément x les ancien*
reconnaîtraient tous une,raaticreptée*iftcnte, ne
Rêvaient-ils pas 4&lois mçrae avouer fon inûVOICI
35i
NO
TES
nité, puifque ne devant l'être qu'à elle-même l
elle ne pouvait être bornée par rien. L'univers
devait donc être infini, félon leur doétrine. Admettre le principe & rejetter la conféquence eût
été folie ou mauvaife foi. Si donc Epicure le»
eût prefles fur cette tendance vers un centre
commun, if auraient-ils pas été auffi embarrafles
à expliquer ce que c'eft que ce centre ? qu'Epipicure l'était à rendre laifon de la déclinaifon
des fes atomes 3 *
P A G E
1-30.
v.
4.
ON eft furpris quTpicure fonde la liberté humaine fur la déclinaifon des atomes. On de*
mande Ci cette déclinaifon eft néccfiaire, ou fi
elle eft Amplement accidentelle. : nécefTaire ,
comment la liberté peut-elle en être le réfultat}
Accidentelle, par quoi eft-elle déterminée ? Mars
on devrait bien plutôt être furpris, qu'il lui fort
venu en idée de rendre L'homme libre dans un
fyftême qui fuppofe un enchaînement néceflaire
de caufes & d'effets. C était une recherche aflez
curieufe que la raifon qui a pu faire d'Epicure
l'apôtre de la liberté. Ne trouvant pas cette raifon dans Ces principes mêmes, il fallait la chercher hors de fbn {yftême. Je crois en entrevoir
quelques traces dans la définition que donne ici
Lucrèce de la liberté, & en particulier dans Ce
D V t 1 V & E 11.
J5J
vers fatis avlfa yolumas , cette volonté arra~
\ chcc au DejBn* Le bur d'Epicure était de rendre
l'homme indépendant du Deftin. Le Deftin, Cet
. être abftraic, moitié philofophique & moitié
théologique , dont les païens n'avaient que des
idées fort confufès, qa'on prenait, s'il en faut
croire Séneque, tantôt pour un Dieu , tantôt
pour la Nature elle-même, était dans toutes les*
anciennes religions une -Divinité deftruétive
du libre arbitre, qui déterminait irréfiftiblcment
les volontés humaines, & qui puniffaït avec une
févérité barbare les crimes qu'elle-même avait
fait commettre. C'était pour détourner le cours*
4t cette fatalité, que les hommes immolaient
des victimes , .élevaient des autels , conftruifaient des temples, inftimaient tous les jours de
nouvelles cérémonies religieufes, quoique bien
-• perfuadés qu'il ne pouvaient avec leurs facrinces*
1 changer les arrêts irrévocables de la deftinée»
r On était donc efclave dans toutes ces religions.
Voila pourquoi Epicure regarda le dogme de la
liberté comme un des dogmes diftin&ifs de l'Athéifme, et voulut remporter la victoire fur le
Deftin , en lui ravinant, pour ainfi dire, la li^ berté humaine dont il s'était emparé. Voila ce
que yeat dire Lucrèce par ces mots s
tvollâ voluntaa.
554
NOTES
P A G E
13^.
v.
îjJ
ayant déjà traité de quelques-unes
des qualités des atomes 5 fçavoir de leur folidité,
de leur indiviiîbilité & de leur éternité dans le
premier livre, & dans celui-ci, de leur pefanteur & des loix de leurs moavemens 5 il ferait
ridicule de lui faire dire , pajfùns maintenant
aux qualités des atomes, qui eft le fens qu'on
donne communément à ces deux vers. Voici
comme on doit en faire la conftruction. Nunc
âge, percipe jam qualia fint deinceps cunftarum,
rerum exordia ; que je traduis, pajfons mainte*
nant aux autres qualités des atomes.
LUCRèCE
I B î B.
V.
17.
LUCRèCE dit ici
que les atomes font doués d'une
multitude incroyable defigures.Quelques pages
plus bas (p. 1 fo) il ditprécifément le contraire,
& allure que des corpufcules aufli petits que les
atomes, ne peuvent pas erre fufceptibles d'un
grand nombre de figures.
Namque in eâdem unâ cujufcujus brevitate
Corporis, inter fe multùm variare figure
Non poflunt.
deux pafiages contradictoires entre
Xefquels il faut opter., Gafiqndi qui sûrement enVOILA
I>U L IVRE
IL
)5f
tendait bien la philofophie d'Epicure, foutiene
que.le nombre des figures cft incroyable dans
les atomes 5 mais le paflage du premier livre,
dont il s'appuie principalement
At reram qu* funt primordia, plura abhiberc
Polïunt, undè queant varia; res quxque creari.
ne fignifîe pas , comme nous l'avons déjà va ,
( p . 141. not. du 1. 1. ) que lesfiguresdes atomes
font en beaucoup plus grand nombre que les
lettres de l'Alphabet, mais que les atomes, outre
la figure, font encore aidés, pour la formation
des corps, par un grand nombre d'autres circonfiances, qui doivent jetter une grande variété
dans les résultats. Quant auxfiguresdes atomes,
Lucrèce bien loin d'en reconnaître un grand
nombre , ne paraît pas même en admettre plue
de trois ou quatre efpeces.
Fac enim minimis c partibus efle
Corpora prima tribus, vel paulo pluribus auge;
Lib. II. page 150. v. 8 & 9.
la raifon qu'apporte Lucrèce
de la différente configuration des atonies ne
prouve rien du tout, fi l'on veut y faire attention : puifque tous les corps qui nous afFectent,
quelque délies qu'on les (np(ofe, font déjà dans
D ' à I L LEUAS
35*
NOTES
-
un état de composition. C'eft la doctrine d'Épi-*
cure. Les élémens de la lumière même, ce corps5
fi fubtil, ne font, fuivant Lucrèce, que de peti**
tes malles, de petits faifceaux d'atomes^
Nec fingillatim corpufcula quaeque vaporis,
Sed complexa meant inter fe conque globata*
lib. II, p . H o . y. 15.
J i ne parle pas d'une autreraifon qu'Épicure
ne foupçonnait pas, & qui par conféquent ne
peut être d'aucun poids pour déterminer quels
ont été Tes fentimens s c'eft qu'avec une matière
homogène, telle que l'admettait Epicure, il cft
né ceflairenon-feulement que les atomes aient
la même figure, mais encore que toutes leurs
autres circonstances foient communes, qu'ils fe
pénètrent, qu'ils s'identifient, &c«
ON peut oppofer la même difficulté au fyfténre
de Spinofa, qui n'admettait qu'une feule fubftance dans l'univers ; fentiment contraire à l'expérience & à la raifon.
Y01 LA en peu de mots les raifons pour lesquelles je me fuis cru en droit de choifir celle
des deux opinions énoncées par Lucrèce, qui
m'a paru la plus conforme au fyftême d'Epicure.
J'ai réduit lesfiguresdes atomes à un petit nombre, & je me fuis permis d'omettre dans ma traduction le quàm longé & le multigenis de Lucrèce.
1>V L I V RE
I B I D .
T.
IL
35f
I$.
Le feus du premier de ces deux vers demande
«ne virgule après multa Se non pas après parùm9
comme en la trouve dans toutes les éditions de
Lucrèce : la cooftrudion eft non qubd multa pr&*,
jlaafintforma parum fimili (dijjimili.)
QUANT au fécond vers , Il eft très-embarratfant, & contredit manifeftement toute la doctrine d'Epicure, fi on le fait rapporter aux atomes, comme la conftru&ion & Tordre grammatical de la parafe parai/fent l'exiger. Car alors
ce vers lignifierait que les atomes ne font jamais
parfaitement femblables en tout. D'où il réfulterait qu'Epicure admettait l'hétérogénéité* de la
matière , & croyait qu'il était impoûiblo» que
deux atomes enflent jamais une parfaite conformité. Ce qui eft entièrement oppofé à fc$
-principes. Il était perfuadé au contraire, que ce.
font les mêmes atomes qui diversement arrangés, forment le ciel, la mer, terre, les fleuves,
k folcil, les moiflons* les arbres & les animaux,
Namqueeademccdum, mare, terras* flumina,
folem
Çonftituuat^ea^cmfruges, aibufta, animaa}ib. Lpag. 74. y, i i t
î58
NOTES
CE ne peut donc pas être aux atomes que fe
rapporte ce vers ; il eft néceflaire que Lucrèce
parle des ccTrps mêmes, des aggregats d'arômes.
Cette conjecture qui éclaircit cet endroit fi obfc u r , eft appuyée fur un autre pafTage de ce
même livre p. 16%. v. 10. oii le même vers fed
quia non volgb paria omnibus omnia confiant, eft
répété & fe rapporte manifeftement aux corps.
En général ces quatre vers nunc âge 3 jam deinceps 9 &c. . . font très-embrouillés 5 ils préfentent un grand nombre de contradictions que les
commentateurs n'ont pas fenties, bien loin de
les avoir éclaircies. Je crois que de la manière
dont je les ai traduits, ils préfentent un fens
raifonnable , & fatisfont à tous les points de la,
doctrine d'Epîcure.
P
A G E
138.
•;
3;
LOCAUtantia
aquarum ne veut pas dire autre
chofe que les lieux où il-y a de l'eau, loca que,
lœtantur aquis , comme Horace a dit amices.
baccho colles, .
P A G E
144.
v.
ip;
LA Fécule, fax, lie, eft une fubftance'réduite
en poudre, lavée pMeurs • fois* & féchéé ,
telle que la fécule de la racine de Bryoïie, VAmidon qui eft la fécule du froment. Comment
v
D V II r RE IL
H*
Une pareille fubftance, privée d'une grande partie
de Tes principes aâifs & favoureux , peut-elle
produire ce chatouillement agréable que décrit
ici le Poc"te ? Faut-il fuppofer le texce corrompu,
& lire Ferula au lieu de Facula ? On ne fera pas
plus avancé. La plante nommée férule eft fade»
dégoûtante , & par conféquent incapable de produire l'effet dont parle Lucrèce.
ENFZN eft-il féant de traduite avec ljj baron
des Coutures, facula par la fiente, & de dise
que les particules qui s'en exhalent, chatouillent
agréablement l'organe ? Je doute qu'on veuille
fe prêter au goût de ce afâdûdeur.
L'AULNIE, Inula ou ÉnuU campana eft à ta
vérité une belle plante dont la tige s'élève foit
haut, & dont la fleur de couleur d'«r a la forme
d'une cloche ; mais elle eft en même tems d'une
odeur défagréable, d'une faveur acre & amerd,
tomme le dit Horace, lib. II. Sât. IL v. 41.
Mala copia quando
JEgrumfollicitatftQroachum.cdmrapula pleao*
. Atque acidas mavult Inulas,
le Sat. VIII. v- $u
tracas virides , Inulas ego primus amaxas
Monftravi iucoquere.
Ç'ïIT
un fort bon ftomaehiquc, mais an fort
c
5fe
NOTES
mauvais manger. Convenons donc franchemen*
que nous n'entendons point ce que veut dire ici
Lucrèce, QU plutôt que nous n'entendons rien
du tout à la Botanique non plus qu'à la Chymie
des anciens.
P A G E
150.
v.
6.
CE partage paraîtrait faire entendre, que Lucrèce fuppofe tous les atomes de la même grandeur, tomme il les fuppofe de la même matière.
Mais il vaut mieux croire ce vers altéré & corrompu , que d'en tirer une induction aufîi contraire au fyftême d'Epicure. Il fuffit d'avoir lu
ce qu'a dit précédemment Lucrèce de la manière
dont les objets agiifent fur nos organes, pour
être convaincu qu'il eft néceflaire dans fes principes , qu'il y ait des atomes plus grands & d'autres plus petits. Cç n'eft que par leurs différentes
grofleurs qu'il explique pourquoi la lumière pénètre le verre, tandis que l'eau ne peut s'ouvrir
un partage à travers fes pores. On verra dans
la fujte que les élémens de l'a me font, fuivanr,
lui, les plus petits atomes de la nature , & que
ceux dont réfultent lesfimulacresde la viiion ,
font d'une ténuité inconcevable. On doit même
avoir remarqué que la différence des figures des
atomes tient, dans les principes d'Epicure, ? la
différence de leur grandeur, c'çft 4ans ce ftns-
1»
D
u - i ; • • /
V
R
E
là qu'on do^t entendre les jets
même page.
I L
j É i
S 3c j de U
Fac enim mihimis é partibus c/fè
Corpora prima : tribus, vcl paulo pluribus auge.
Au RESTE, fî on objeâe à Epicure que les
•tomes les plus gros deviennent diviûbics &z perdent dès-lors Jeux qualité d'atomes , il répond
que bien que les atomes foient des corpufculcs
infeniibles à l'œil, & d'une ténuité incroyable ,
ce n'eft pourtant pasprécifément fur leur petitetfe
qu'eft fondée leur indiviïïbilité*, comme le pré' tendaient les Atomiftes Ces prcMcccffcurs, mais
fur leur Solidité, leur privation de vuide. Si on
lui objecte en fécond lieu , que les différente*
figures des atomes nuifent encore à leur indivisibilité ,. parce que leurs pointes , leurs angles,
leurs ramufcules peuvent plus facilement fc brifer à caufe de Jeux petite/Te j il répond que ces
particules Éuliamcs étant dépourvues de vuide,
r gant-bien que la maue même de l'atome, ne
rourent aucun rifqac , puifque ce n'eft qu'à la
faveur du vuide que la dHTolution des corps peut
£c faire,
P A c i if** Y, }*
J'AI été obligé de m'écarter ici du texte, parce
^ue, Quoique ce début
fouit l.
Q
1
4
f
5^
NO
TES
^)uod quonîàm dfccui, nuhc fufcvilotjtfis, âge,
paucis
•••";'
Verfibus oftendam ,
paraifle annoncer En nouvel objet, Une nouvelle
vérité à prouver 5 ce n'eft pourtant que la fuite du
même raifonnement , une féconde preuve fur
laquelle Lucrèce appuie l'infinité des atomes dans
chaque clâlTe de figures. Cette féconde raifon,
ç'eft que les atomes ne fufKfent à l'entretien de
l'univers qu'en vertu de leur infinité, ex infinito.
Car c'cft-là le fens S ex ihfinito. Le rendre par
ex œterno, comme ont fait les commentateurs,
c'eft ôter au raifonnement du poëte le mot le plus
fflenticl5 on n'entend pliis rien à ce qu'il veut dire.
P A G E
160.
v.
1.
L A Terre , dit Lucien , fut la première qui
rendit des oracles à Delphes. Le langage des
oracles était obfcur & érrigmatique. Lucien ne
voudrait-il pas «ous apprendre par-là que ce fut
la manière fecrete & myftérieufe dont la terre
procède dans fes différentes productions, qui
porta les hommes à en faire une Déefle, & à
lui adrefîer leurs hommages ? N'eft-ce pas-là te
que veut dire Lùcrere par-ce Ver s "fi fublime que
nous expliquerons dans une note de ce liyre f i
pag.368.
Munificat taciu mortales muta falute.
il!
D U LIVRE
IL
)6t
N*aTAiT-CB pas-là enfin la caufe de ce ûlcncc
myitéricux qui régnait dans les cérémonies fccrêtes de la bonne Dée/Iè ? En oflfèt, en y réfléchiûant, on Ce convaincra que ce fut plus l'i•gnorance qae la crainte, qui multiplia Ci fort
les Dieux du paganifme. L'homme, né orgueilleux, fe confole , poux ainfi dire, de fa faibJc/Tc, en regardant comme furnarurcl tout ce
qu'il ne conçoit pas. Les premiers hommes ,
barbares , greffiers, occupés de l'unique foin
de fe procurer leur nourriture, jouiraient des
• productions de la terre, (ans lui demander par
quel mécoanifine intérieur elle avait accru de
développé les germes abandonnés à fa fécondité. Ne voyons-nous pas encore aujourd'hui
que les laboureurs , ces hommes infatigables ,
qui coopèrent tous les jours avec la terre pour
lafubfiftance du genre humain, font de tous lec
hommes ceux qui connailTent le mieux les réfultats, & qui ignorent le plus les procédés intérieurs ? Mais quand .la philo£>pfiie, qui n'était
dans l'origine que la Théologie même> eut corn,
mencé l'étude de la nature par l'examen des objets les plus voifins 6c les plus familiers > quand
elle eut remarqué dans toutes les productions
terreftres un enchaînement de caufes & d'effets
^concourant à un même but, fournis à des loix
coûtantes & fmukkks, & portant le carac-
$ $4
NOTES
tcic d'un plan fage & réglé ; quand ," voulant
fonder plus avant , elle le fut apperçue que la
faibleife des organes humains ne pouvait fuivre
une marche aufli fine & aufli délicate, ni furHre
à tant de détails compliqués, à tant de nuances
imperceptibles ; l'intelligence divine devint alors,
pour ainfi dire , le fuppléinent de l'intelligence
humaine. On crut que la terre était douée d'une
raifon furnaturelle. On l'adora comme une divinité bienfaifante , qui daiguait préfider à tant
eVopérations admirables , pour le bonheur des
mortels. Son intelligence fut révérée fous les
noms de forme, de Nature plajlique, d'à me divine.
Bienrô: elle fut fubdivif^c en autant d'intelligences particulières, qu'elle renfermait de différentes productions dont le méchanifme était
ignoré. De là les Nymphes, les Faunes, les Sylyains, &c . . De là enfin les Métamorphofes,
ti la Métempfycofe qui n'eft elle-même qu'u^ç
métamorphofç renverfée.
I
B
i
D.
v.
17.
LES Galles étaient des Prêtres de Cybcle dont
la Phrygic inondait tout l'Empire Romain. Les
anciens nous les ont repréfentés cpmme des vagabonds , des fanatiques & des miférables dont
on craignait fouvent la fureur. Ils portaient tous
J# petite image de la mère 4es Pieux-?ils ^Uaiçrij;
DU
LIVRE
IL
56*$
quêter ^our la DéeiTc ; ils jouaient des gobelets
& fa i fa te nt le métier de devins ou de dileurs do
bonne aventure. Leur caftration*, ou , fi l'on
veut, leur circoncition en l'honneur d'Àtys, ôc
leur point de réunion à Hiérapolis , les font
regarder comme un refte de quclqu'ancien ordre
*e pénirens*, s'il en faut croire l'Auteur de l'Antiquité dévoilée, tom. I. Jib. II. Ch. 1.
I
B
1 D.
v.
II»
1E Tympanum était un cuir mince, crendtt
fur un cercle de bois ou de fer, que l'on frappait à peu prés de la même manière que fonc
encore à préfent nos Bohémiens. Quelques auteurs dérivent ce mot de yjimJ* frapper. VoiTîus
le tire de l'Hébreu toph. II eft du moins certain
que l'invention des tympanum vient de la Syrie,
félon la remarque de Juvénal.
Jampridem Synis in Tiberim demixit Orontes
Et lingoam & mores & cum tibicine chordas
Obliquas, nec non gentilia tympana fecum
Vexir.
ILS étaient fort en ufage dans les fêtes de
Baccbus & de Cybele, comme l'on voit par ces
vers de Catulle.
Cybeles Pfarygi* ad nemora Dca?
Ubi cymbakm fonat, ubi tympana reboant.
Qiij
2,66
NOTES
parlant d'Héliogabale , dit qu'il
lui prenait fouvcnt des fantaiûes de faire jouer
des flûtes , & de faire frapper des tympanum,
«omme s'il avait célébré les Bacchanales»
HIROBIEN
I B I D.
Y.
21.
que les Latins appelaient
Cymbalum & les Crées Kv^axor , était d'airain
comme nos cymbales, mais plus petit, & d'un
ufage différent 5 CafHodore & Ifidore les appellent acètabule , c*efl-à-dire , l'emboîture d'un
os, la cavité ou la finuofité d'un os dans laquelle
un autre os s'emboîte 5 parce qu'elle refTemblait
à cette finuofité. C'eft encore pour cela que Properce les appelle des initrumens d'airain qui font
ronds, & que Xénophon les compare à la corne
«l'un cheval, qui eil creufe. Les Cymbales avaient
un manche attaché à la cavité extérieure, ce
qui fait que Pline les compare au haut de la
cuifle, & d'autres à des fioles. On les frappait
Tune contre l'autre en cadence , & elles formaient un fou très-aigu. Selon les païens, c'était une invention de Cybele. De là vient qu'on
en jouait dans fes fêtes & dans fes facrifices.
Hors del* il n'y avait que des gens mois & efféminés qui jouaffent de cet infiniment. On en a
attribué l'invention aux Curetés & aux habitans
L'INSTRUMENT
*
du mont Ida dans l'aie de Crète, Il cfl certain
D V 11 P A £
IL
tff
que ceux-ci , de même que les Corybantcs ,
milice qui formait la garde des Rois de Crcce,
les Telchiniens, peuple de Rhodes, 8c ks Samothraces ont été célèbres par le fréquent ufage
qu'ils faifàieist de cet infiniment, 6c leur habileté à en joAOf Wd. Encyclopédie, au mot ÇymI 1 I D.
T.
11.
I
t
LE Cornet était un infiniment a vent dont lu
anciens fè (erraient àcfatguerre ; les cornets faifaient marcher les enfrignes fans ks foldats, 6c
les trompettes les foldats (ans les enfetgnes. Les
cornets 6c les clairons fonnaient la charge 6c la
retraite. Les trompettes 8c cornets animaient les
troupes pendant k combat* Ceux qui font eu*
rieux 4c connaître la facture de cet infiniment,
peuvent confuher ^Encyclopédie, à lVuticlc O r $it dont cette note cfl-tirée,
IllS.
T. &)•
\*L s f t # Ftojgto eft. tm des quatre princîpMH* jlAfbtWfM w 4 f * de la mufique des,
Qtfict, l * caja%fe.cn fou $cr, ardent, impé»eux, WhtofSjMtfr&k. ^uÂl é>ait-ce, felon^
Adqcné*. fcfc lf tonou mp4c Phrygien que Ion
(#Mai«. ks wofnpcttç* 6ç les autres inflruraens
lwUwc*nÇs\#Wo^Wcn^^di^on, par MarQiv
li
$6%
fr
O T E S
fyas Phrygien, occupe le milieu entre le Lydieit
& le Dorien, & fa finale était à un ton de distance de l'un & de fautre.
P A G E
161+
v.
^:.
C E vers eft d'une noblefïe & d'une énergie
qu'il eft bien difficile de faire parler en fiançai?.
Si je n'ai pas réuffi à 1: faire fentir, j'eflaierai
du moins de le faire entendre» Munus était un
terme confacré dans la langue Latine pour désigner les fpe&acles gratuits qu'on donnait autrefois au peuple Romain. Ainfi par le mot munificare, qui eft la même chofe que munus facere,
Lucrèce veut dire que la terre préfente de grands
Ipectacles aux hommes.
LES mots tacitâ & muta qui prélentent une
idée fi oppofée , font avec nunificatxm contrafte
plein de fens & de vérité. Voici donc les deux
tableaux que Lucrèce réunit dans un même vers.
D'un côté la terre femble faire parade des biens
qu'elle prodigue aux hommes par la magnificence avec laquelle on la voit revêtir les prairies
de verdure, émaiiler les gazons de fleurs, étendre
par-tout les tapis les plus riches & les plus variés,
colorer du plus vif incarnat les fruits de toute
cfpece , élever jufqu'aux cieux la cime des plus
grands arbres, enfin s'étudier, pour ainfi dire,
a parer tous les points de fa furface avec ïvmt
DU
L I V R E 11.
$<r9
k plus recherché. Mais d'an autre côté les moyens
qu'elle emploie pour opérer toutes ces merveilles,
elle nous les cache avec le plus grand foin. Nous
ne voyons ni les progrès lents des*racines dans le
fèia delà terre, ni le développement des germes,
ni la fecrétion des molécules nutritives, ni l'introduction des fucs nourriciers dans les conduits
des végétaux, ni la circulation de ces mêmes fucs
dans la tige des plantes ou le tronc des arbres.
La terre a donc, pour ainfi dire, comme la phi'
lofophie ancienne, fa partie exotérique qu'elle
étale avec fafte aux regards de tout le monde ,
& fa partie erotérique qu elle tient en réferve, Se
cache à l'œil même le plus attentif.
VOILA probablement'la raifon pour laquelle
dans le culte de Cybele il y avait à la fois Se des
fêtes d'appareil , telles que la proceflion folemnelle que décrit ici Lucrèce, & des myftercs
cachés dont les prophanes étaient exclus, & dont
le fecret était la première loi,
I B X D.
•
V.
$..
- -
LES Curetés étaient regardés comme les plus
Anciens Miniftres de la religion:' On les repré*
fenre comme des*hommes Urréshl* conterriptar
tion. Ils étaient, dit-on , en Creté >ce que les
Mages étaient en Perfe, les Druides dans, les
Gaules, les Saliens & les'Sabins chez les RoQy
27*
NOTES
mains. On leur attribue l'invention de quelques*
arts & de quelques danfes facrées, qu'ils fan
faienc tout armés au bruit des cris tumultueux
des tambours, des flûtes, des fonnettes. Us frappaient avec des épées fur des boucliers > ce qui
les remplirait d'une fureur divine qui en imposait au peuple épouvanté. C'eft-là , félon Strabon, ce qui leur fit docner le nom de Corybantes. Il y en avait en Crète, en Phénicie* ea
Phrygic, à Rhodes, & par toute la Grèce. Lucien dit qu'ils le faifaient des incitions. Les.uns
couraient échevelés par les précipices, d'autres
hurlaient & frappaienr fur des tambours & des
tymbales. Enfin ils fe mutilaient en l'honneur
de Cybele défefpérée de la mort de Con Atys.
Ils obfervaient outre cela des jeûnes rigoureux ,
dans le (quels ils ne fe permettaient pas même
de manger du pain. Vid. Antiq. dévoilée, tom, I»
kb. IL ch* u
P A G X
172.
V.
21.
C E vers qui eft écrit avec toute la précifion
& la propriété d'expreffioa poflîble, veut dire
mot à mût : Après vous avoir convaincu <pit celé
srriyt, jtvAÏs vous prouver qut ttU efteffentieh
Le mot fieri a rapport à l'expérience qui juge par
les f*ks. Lé mot ejfe a rapport au raifonnement
qui calcule les pofftbilités d'après l'cHcpce connue
D U t I F R B I L
i7i
descfeofcs* YW° convifW encore à l'expérience
qui con,yai»< les çfprits, qui triomphe de laffeotimeot, $ 4fic*h 4 k marciic méthodique,
du iaifp#nf<acnt,
• #
P a « i
178. v.
16.
Ci ne*, eft.rcmarquayc en ce qu'il fait voit;
qg/jEjjbnpg ne regardait la vifion que comme un
taâ d-wif certaine efpece. On verra dans le qua~
tries** livre que les autres fenfuions font aufli
rapportées, au ta# dans Ton fyftcmc. Le tad cil
donc, fuira** lui, le fens par excellence, le
piuigcVfRl<ktouslt* fent. h%effet, parmi les
éjsfctqaiesit, on «««quels nous attribuons de la
fenfibiltsi, il y en a qui paraient privés de la
vue, d'autres qui femblcnt dépourvus d'ouïe &
d'odorat. Mais il n'y en a pas un fcul auquel
la Nature ait refjifif le ta& Voila probablement
la raifon pour laquelle Lucrèce s'ecric avec tant
daataouilafme dans ce même livre, p. 14*. •• i.
.*
>
Tairas enim , taâas, proh Div^m namina
(anclai
Çorpops eft fenius.
,
P i f i
lia,
T. 14.
• I i T t i les fyûêmes fans nombre imaginét
pas les anciens pour la folution du fameux problème de lafonM'bikcé,i\ y ta a (ùr-touc deux
37*
NOTES
qui méritent d'être remarqués , celui d'Ariftore ;
& celui de Yharmonie que réfute Platon dans
fon Timée , & dont nous aurons occafion de
parler plus.amplement dans le troifîeme livre*
A R I S T O T E imbu du principe de la grande
ame du monde , perfuadé que les aftres , le foIeil, la lune , la tevre , les étoiles , tous les
grands corps de la nature font animés, & que
leur ame ou leur forme ( car l'une & l'autre font
sûrement la même chofe dans les principes de
ce philofophe ) eft une fubftance-, ou, comme
on parle dans les écoles , une entité diftin&e
d'eux-mêmes, reconnut ces deux chofes, la ma•
titre & la forme, non-feulement dans les grandes
parties du monde, qu'il regardait comme autant
de Divinités , non-feulement dans les hommes
& les autres animaux , mais encore dans les
végétaux , dans les minéraux, dans les corps
les plus brutes & les plus étrangers à la fenfibilieé. Cette forme fubftantielle dont on a fait
un fi grand crime à Ariftote , n'était donc pas ,
comme on Ta entendu communément, la figure
ou la difpofition extérieure des parties 3 mais
one ame, comme lame que Thaïes donnait à
l'ambre & à l'aiman : une portion de cette grande
âme du monde, dont la fenfîbilité, efTcntiellement parfaite, puifquc c'était la fenfîbilité élémentaire même, était plus ou moins leftreime
DULIFREII.
m
fuivant t'Organifation des corps où elle fe trouvait captive. Je le répète , le fyftêmc d'Ariftote
n'était pas auflï abfurde qu'on l'a fait. Il partait
a la vérité cfun principe faux : mais il marchait
de conféquences en conféquences à une erreur
qui ne pouvait être que celle d'un homme de
génie.
DANS le fyftéme de l'harmonie an contraire,
on regardait la fenfibilité, non pas comme la
propriété d'un être diftinct de la matière , mais
comme une modification de la matière même,
qui ne fe manifeftc pas à la vérité dans tous
les corps, mais qui cft contenue virtuellement,
qui, femblable à la pefanteur, cft quelquefois
arrêtée par des obflacles, mais qui lutte toujours
& n'eft jamais anéantie. D'après ce principe on
croyait que les élémens de la matière étaient fufceptiblcs de fenfibilité, mais que cette fenfibilité n'étant pas développée ni mife en jeu par
une aggrégation, était comme nulle : que dans
les ancres corps brutes il y avait bien une aggrégation , mais qu'elle n'était pas telle que la fenfibilité pût en éclorre ; qu'il n'y avait que dans
les animaux, les hommes & les Dieux, que l'organisation fut tellement tempérée , qu'il en réluttât une fenfibilité qu'on nommait harmonie.
' CÉTAiENT-là les deux fcnls fyftêmes qai prefçrivifTcnt à la Nature une marche régulière 6c
374
NOTES
uniforme ; l'un en faifant décroître, petit à petit
la fenfibilité depuis le premier être jufques dans
le dernier, de façon qu'elle ae fut pourtant pas.
nulle dans celui-ci 5 l'autre en la. fajfant naître
par degrés depuis l'atome brute, jufqu'à ce quelle
parvint à fon comble dans les êtres les plus parfaitement organifés. Ces deux fyftêmes avaient
plus de rapport entr'eu* qu'on ne croit. Ils admettaient tous les deux un principe de fenfibilité
dans tous les êtres. Ils ne différaient qu'en ce
que dans l'un cette fenfibilité était le ré fui tac
d'un être diftinét de la matière, dans l'autre elle
n'était que la matière même modifiée. Voila ce
que pouvaient imaginer de plus raifonnable des
hommes qui n étaient pas éclairés par la révélation , qui ne fçavaient pas que Dieu ayant
créé l'homme à fon image , & les autres êtres
pour fon ufage, il a tiré en quelque façon une
ligne de démarquation entre lui & eux , en animant l'homme d'un fouffle de fon efprit,divin,
& en ne lai (Tant aux autres créatures qu'une matière brute & inanimée.
\
P A e E
184.
v.
21»
JE me fuis totalement écarté du fens qu'on
donne communément à cçt endroit. Voici l'interprétation de Creech. Tum porro quid demum
efi quod menum tuam impcllit, quod dubitare &
DU
LIVRE
IL
575
diverfam fententiam ampleâi cogU ? Ainfi pour
dire quelle tfi la raifon qui vous fait refufer à
des corpufcules infenfibles la faculté de produire
une fubflance fenfible , il fait dire à Lucrèce ;
Quelle efl donc la raifon qui fait unefiforte im~
prtjfion fur votre efprit* qui vous rend flottant*
& vous force à embraffer une opinion différente
de la mienne ? Que de verbiage pour dire la
chofe du monde la plus fimpk * Lucrèce a-t-il
jamais parlé de ceftyle ? D'ailleurs, fi Ton veut
y faire attention, on verra que cette ridicule
interprétation n'a pas même le mérite de rendre
îe texte. On n'entend ni Vipfum ni le varios fenfus
de Lucrèce. Car il y a une grande différence
entre varios fenfus & diverfam fententiam. II me
fembie que ma verfion eft plus naturelle , plus
fenfée & plus voifine de l'original.
P
A
e i
i%6, v.
i.
Au lieu de ne que portent plufieurs éditions,
je lis nî qui eft néceflaire pour le fens, & adopte
par plufieurs commentateurs.
I
B-
x. B.
v. ;•
JE me fuis permis ici une correction que le
fens exige abfolument, 8C qu'en trouvera une
bien petite liqeûcej f f 00 foagcque quoque
«'écrit par abhféviatieit fMftf ><fou il aura po fe
1
$-]6
NOTES
faire par l'inattention des copiftes, que le q ait
é:é changé en ds ce qui aura donné quod avec
deux points que les commentateurs auront fait
difparaîrre comme une faute de copiftes. Au
refte ce quoque n'eft pas un mot inutile, parce
que Lucrèce vient de dire plus haut que la terre
produit dans certaines circonstances des êtres
animés.
I B i ©. v. 17.
C E vers outre le fens que je lui donne dans
ma verfion, peut encore s'expliquer de deux autres manières. i ° . En fous-entendant judicando,
& en mettant après fucus une virgule au lieu de
deux points, on aura, du moins s'il en faut juger
par Us fubflanc es fenjlbles que nous conna'ijfons
déjà. i ° . Sans faire aucun changement dans ce
vers, mais en s'en permettant un léger dans le
précédent, on aurait encore un fens tout-à-fait
différent. Si au lieu d'exjenjîlibus par deux mots,
011 n'en faifait qu'un fcul. exfenfilibus comme
exanimis, on aurait cette explication qui n'eft
point du tout déraifonnable : Dire que Vinfenfible peut devenir fenjïble par fon union avec un
aggrégat fenjïble. Aucun de ces fens n'a été vu
par les commentateurs.
P A G E
GASSENDI
188.
•.
4*
& d'autres commentateurs lifent
DU
LIVRE
IL
$77
mtirus ; Creech lit omnium, & cette leçon eft
fa 1 vie par quelques textes. Lune & l'autre font
un ferrf intelligible. Dans le premier cas, la
conirruction eft fin/us aliorum membrorum refpuit omnes (fubaud. partes avulfas à corpore) ;
dans le fécond, cctkfenfus omnium aliorum mem~
brorum refpuit (fub. partes avulfas à corpore. )
Refpuit eft . j'en conviens, une expreffion bien
hardie , pour dire que la fenfîbilité des autres
membres ne fe communique pas aux panies fé»
parées de la machine. Mais il fait un fens plus
clair Ôc plus raiionnabie que tes petit omnis,
qu'y fuppléenr je ne fçais quels commentateurs»
J B I D. V.
l?.
IL y a des commentateurs qui prétendent qae
»
•
fkgereeft un terme de pratique, qui lignifie affirmare. C'eft dans ce fens que je l'ai pris.
F A G 1 196, T. 3.
LES habitans de l'Indoftan n'enterrent point
leurs morts, mais les brûlent. On les expofe à
terre fur le bord d'une rivière, & le Bramine qui
préfide à la cérémonie, prononce cette prière.
» O terre, nous te recommandons cet homme
» qui fut notre frère pendant fa vie ; tu faifais
» partie de fon être ; il fut forme de ta fubf» tance, & nourri de tes fucs 5 le voila mort,
578
NOTES
» nous te le rendons. Enfuite on environne le.,
corps de matières combuftiblejs qu'on allume à
laide de l'huile, & fur lesquelles on répand des
parfums. Alors le Bramine dit : » O feu, tant
v que cet homme a vécu, il a été fournis à tçn
»> action y c'eft ta chaleur bienfaifante qui l'a
s» animé, reprends & purifie fa dépouille. Quand
le cadavre eft confumé, on en difperfe les ceiv»
dres dans les airs, & le Bramine continue ainfi
fa prière : n 6 air, c'eft par toi que cet homme
» a vécu & refpiré ; maintenant qu'il a rendu le
«[dernier foupir, nous t'en reftituons les reftes.
Enfin, lorfque les cendres font tombées dans >
l'eau, le Prêtre finit en ces termes, » Eau falu9> taire , ton humidité foutenait les membres dé
» notre frère pendant fa. vie $ reçois la partie
» de leurs cendres qui t'appartient. Vid* Lgi;d*
liift. de la religion dçs Banian^., Ch. y.
I
B
1 r>. v.
6,
CES trois vers fe trouvent dans, toutes les éditions de Lucrèce, placés dans cette même page/
après le vers & quos dent interfe motus accipiant*.
que. Il eft évident qu'à cet endroit ils coupent le..
raifonnement de Lucrèce par une parenthefe qui
ne fignifie rien du tout 5 au lieu qu'à la place
•à je lésai reftitués, ils fe lient fi parfaitement
avec les vers qui précèdent & ceux qui fuivent,
r
DU
LIVRE
IL
m
qu'oa ne s'appcrccvrait pas du changement que
je me fuis permis, fi je n'en avertirais.
P A6 E
ici.
v.
18.
GENU-sommtiz pourrait-il pas auffi lignifier
r univers, U genre par excellence ? & ferait-ce
faire mai raisonner Lucrèce que d'interpréter
ainfi ce morceau ? Le fêleil, la lune, la terre ,
la mer, tous Us autres corps de la nature , bien
•loin a9être des individus uniques, conJHtuent des
ejpeces nombreuses , puisqu'ils font fournis à la
âtjbu&on fr à la- na'rflnncc , comme le grandtout lui-mime, qui eft la collcQxon de toutes ces
ejpeces*
I l I D .
T.
1 8 , 1^.
les vers 18 & 19. C*cft ici qu'on place
le morceau que j'ai rejette à la fin du livre qua
bene cognita fi tentas , & c . . . . C'eft une récapitulation de tout ce que le Poète a dit, qui eft
par conféquent fort déplacée ici, puifqu'il n'a
pas encore fini de prouver qu'il y a une infinité
de mondes. Cette tranfpofition vient de ce qu'oa
n'a pas entendu, cet endroit qui eft d'une pjiilofbphie profonde. Pour prouver que notre monde
n'eft pas un individu unique, Lucrèce prétend
qu'il^'y a pas dans la nature d'animal unique
de Ion efpece, ce qui le conduit à comparer
ENTRE
1
$3o
NO
TE S
notre monde à un grand animal qui ayant be&iït
d'aliniens pour fe conferver, doit néceflaire^
ment périr , quand les réparations ne feront plus
proportionnées aux pertes. Pour peu qu'on y
fafle attention , on verra que tout ce morceau
multaque poft mundï &c.... n'eft que le développement des deux vers précédens quandoquiiem
vita & c . . . . dc^fiji par conféquent le morceau
intercalé qua benc co'gmta &c... qui jette un»
confufion lî horrible dans les idées du Poe'te, n'a
fubfîfté fi long-tems à la place d'où je l'ai ôté ,
que parce qu'on n'a rien entendu au raifonnement de Lucrèce.
I B i D.
v.
19.
un pafTage que GaflTcndi & les autres
commentateurs de Lucrèce n'ont pas afTez remarqué , & qui le méritaîc pourtant, parce qu'il e(l
fondamental, & qu'il fert à expliquer plufïeurs
points de la pliilofophic corpufculaire. Épicure
croyait que non-feulement notre monde, mais
encore tous les autres mondes dont il fuppofait
le nombre infini, étaient environnés d'une efpece d'atkmofphere, d'atomes extérieurs, comme
notre globe cft environné par l'air. Ces atomes
extérieurs placés dans les intermondes, c'eft-àdire , dans les intervalles d'u» monde à l'autre,
avaient difTérens ufages. Le premier était d'aliVOICI
DU
LITRE
II.
? 8i
inenter les mondes mêmes , en s'incorporant à
leur fubftance, pour en réparer les pertes, comme
nous voyons l'air Te di/Tcminer dans tous les
corps de notre globe.
Nam fua cuique locis ex omnibus omnia plagis
Corpora diftribuuntur, & ad fua Çrcla recedune
LE fécond ufage était d'empêcher par leurs
chocs continuels la diifolution des atomes confticutifs de chaque monde, qui fans cette preffion
extérieure fe feraient déliés, féparés, & difpcrfçs
dans le vuide. Voila le fens de ces vers du premier
livre que perfonne n'a entendus.
Nec plag£ pofTunt extrinfeciis undique fummam
•;
Confcrvarc omnem, quxeenque eil conc&ata,
nç nie pas que le choc des atomes
ne puifTe retenir le monde, mais il prétend qu'il
faut que la matière foit infinie pour qu'il puiile
y fufEre. Le troiûeme ufage de ces atomes extérieurs était d'être , pour ainfi dire, un milieu
pour la communicatiqn d'un monde à un autre p
en fexvant de véhicule à leurs émanations réciproques. C'eft dans ce fens qu'il faut entendre
le paûage du fixieme chant, où Lucrèce dit que
jpous avons peut - être quelquefois dans notre
LUCRèCE
3$i
NOTES
monde des nuages qui nous viennent d'un monde
étranger.
Fit quoque ut hune veniant in 'cœtum extrinr
fecùs illa
Corpora qux faciunt nubes nimbofque volantes.
en paifant que la do&rine de
l'infinité des mondes plaifait tant à Lucrèce
qu'il parle, pour ainfi dire, d'un monde étranger, comme il aurait parlé d'une province de
l'Empire Romain.
REMARQUONS
Sed quidpoiîît fiatque per omne
In variis mundis varia ratione creatis.
lib. y .
Et magis id pofïîs facTurm tontendere in ornai
In variis mundis varia ratione creatis.
lib. V.
probablement cette perfuafîon où il
était de l'infinité des mondes, qui le rendait fi
peu difficile fur les fyftêmes de phyfique, croyant
que la combinaifon qui n'a pas lieu dans notre
monde, peut avoir lieu dans un de ces mondes
infinis.
C'éTAIT
PAGE
PRESQUE
XQ6. v.
IJ.
toutes les fe&es des philofophf*
D V 11' F R EU.
JSJ
fc réunifiaient à croire non-feulement que le
monde devait périr un jour , mais encore qu'il
approchait de fon terme. Le fage Platon prédifait le dépérifrement du monde. Le grave Séné*
que faifait fes délices de cette contemplation funèbre. Les premiers Empereurs de Rome voyant
leur Capitale &. leur Empire troublés par ces
idées lugubres, châtièrent de Rome & de l'Italie
les philofophes , ainfî que les mathématiciens &
les Chaldéens. La Religion Chrétienne faifit
avec avidité ce dogme terrible. St. Cypricn ( ad
Dcmetrian. ) dit prefque mot pour mot, ce que
Lucrèce dit ici. Scire debesjam mundum non Mis
ytribus flore quibus ontè fleterat, ntc eo robore
valere <[Uo ùnte pravolebat &c
De là ces
calculs, ces prédictions qui ont rempli de terreur tous les ficelés à chaque renouvellement de
période. On croyait devoir d'avance fe détacher des biens d'ici-bas $ on les portait aux pieds
des nouveaux prédicateurs, qui annonçaient le
* royaume prochain du ciel , & l'on s'imaginait
imiter en cela les premiers Fidèles, qui avaient
porté les leurs aux pieds des Apôtres. Cependant
l'époque 6xéc pour la deftruction générale arri«
'vait. Le monde fubfiftait toujours, mais ne fe
défabufait pas. On recommençait de nouveaux
calculs, croyant s'être trompé dans les premiers,
£ les générations ne cédaient pas de fe tranf-
3*4
NOTES
mettre .des terreurs périodiques. Ce levain apocalyptique fubfifte encore de nos jours. Il y *
encore dans ce XVIIIme fiecle des fanatiques
qui déterminent la venue du grand prophète
Eiie, & celle de l'Antcchrifr, La fin du monde
çft fixée aux années 1789, 1800, 19^4. Cette
attente ne manquera pas alors d'agiter encore
quelques efprits, fi une police éclairée que le
fanatifme élude fouvent, ne réprime un ferment
capable de changer la face des focié.tçs. Vid.
Antiq. dév.
P A G E
108.
v.
4.
LES premiers Théologiens Grecs peafaient que
les hommes étaient nés de la mer* Platon dit
dans fon Théotus que cette doctrine était fort
ancienne o-rt .TFOLVIOL ex,ywct çonç TS $ Kiyv
que tout tire fon origine du flux & du mouvement.
En effet c'était celle de Thaïes le premier des
fept Sage.s de la Grèce. Voila pourquoi Homère
fait naître tous les Dieux de l'Océan, c'eû-à*
dire, de la matière liquide.
Oceanumque Deorum originem & macrem
Thethin.
VOILA
l'opinioa fur laquelle itait fondes^ la
fable
D U L*rr
R E IL
3$5
fable de Vénus fbrtant de l'écume des eaux. Voila
l'étymologie du nom de Rheaou Rhée ,' cette
Dée/Te de l'âge d'or, c'eftrà-dire, de la première génération des hommes. Ç'cft encore parlà qu'on peut expliquer le culte que piefque tous
les peuples de la terre ont rendu à l'eau. Les
Egyptiens avaient un Dieu Eau, qu'ils repréfemaient par un vafe qu'on remplirait d'eau à
certaines folemnités, que l'on ornait avec foin ,
& que l'on plaçait fur une efpece d'eflrade ou
d'autel, pour l'cxpofer à la vénération des peuples.
Les anciennes nations de l'Italie fe rendaient
une fois l'an fur les bords du lac Cutilic. Us
y faifaient des faciifices, & y célébraient des
myiteres ou cérémonies fecretes. A Rome les
Pontifes marchaient accompagnés des Veiralcs
vers les rives du Tibre, & faifaient des facriu**
ces à Saturne le plus ancien des Dieux. Enfin
voila la raifon pour laquelle l'eau eft .entrée
dans toutes les cérémonies religieufes des anciens peuples. On s'en fervait pour faire des
cfufions, des libations» des Mutions, des purifications ZL des expiations ; ufages qui fe confervent «ncore chez une infinité de nations. Aiufi
dans l'étude de l'antiquité on trouve les opinions philofophiques mêlées avec les ufages, les
ufages aves les opinions, philofophiqqes , & la
Théologie avec tous les denx.
Tome U
K.
jSo*
mi!ft f f o A& (?i<* ttfïï fVfa .tàCâ**
5
5
ttâfà**
^ 3 C ^ ^ J G ^ ^ 3 C ^ ^qDG ^ ^SSFV
NOTES
P U TROISIEME LIVRE.
1
I
P A G E
to2. v.
13.
J E m'écarte totalement du fcns qu'on donne
communément g cet endroit. Je fais rapporter
aux Dieux ce que les commentateurs entendent
des feûateurs de la philofophie d'Epicure. L'une
& 1 autre interprétation s'accordent également
avec le texte • mais la mienne me paraît dairç
& raifonnable, au lieu que l'autre eft abfolument inintelligible. Il eft faux en effet que la
terre ne nous empêche point de diftinguer fous
nos pieds ce qui fe paiTe dans le vuide ,. même
en prenant la chofe métaphoriquement ; au lieu
que les Dieux placés dans leurs intermondes t
dans cçs régions élevées, d'où notre globe n'eft
qu'un point pour eux , ^peuvent librement pro-»
mener leurs regards fur ce vuide immenfe, dans
lequel fe forment & agiflent les êtres. Voila ce
qu'à voulu dire Lucrèce. C'eft avec cette majçftç
qu'il affeéfcc de parler des Dieux. Lib. V,
Çiim benè pr*fertim multa, aç divinitùs, jj>(îs
NOTES DU UFRE III.
jS 7
îamorralibot de dnris dare di£a fucrit
P A G E
rzo.
T.
9,
L A confbnâioa de ce rers* fur lequel on
s'eft mis à la torture , eft tonte (impie > & fe
frire animi naturam ejfe ( naturam ) fanpiinlt.
Rien de plus clair. Lucrèce defigne ici le fyftcme
4*£mpedocles, qui regardait nos âmes comme
le plus pur fang de nos corps. Empedocles autem
animum tffè een/et cordifitfitfumfanguinem. Cic
Tufc. qujeft. i # . C'eft peut-être dans le même
(cas que Virgile dit, lib. IX, •. J49, Purpuream vomit ille antmam, Sec . . . C'était encore
f opinion de Crttias, au rapport d'Ariftote, de
an. lib. I. cap. *. 'rtpot Ai ?ipx %ct/ai.irtf K^/r/atç.
TO cu&eiit&eu rnt; 4"X*€ ôittlrrcrfor irwtXxfiZctrorleç
Ttrro é\4 v-woLpxtit <fict w TV aûfXctr^ yutstr- AUi
vero fanguinem, ut CritUs, exiflimanteefendre effe
mtximè proprium MMM, hoc vero accider* propier
fanguinit naturam. Mais eette opinion date en«are de plus loin. Les livres (acres donnent la
•antre do fang aas âmes des bétes. Garder-vous,
défait Motfe ans Juifs , de manger du fang. Car
U fang de* bkes leur tient lieu dame. Ceft pourquoi TOUï ne mangerez^ pat leur amc avec leur
chair. Hoc folitm cave , ne fanguinem comedas :
fânguis enim forum pro anima efi : & ideirco non
Jeta animam comederc cum carnitut. Deut.
Rij
$8§
NOTES
cap. i i . v. 3.3. Quia anima carnis in fanguinè
eft. Anima enim omnis .carnis in fanguine efl ;
unie dixifiliis Ifra'èl : Sanguine m univerfa carnU
non comedetis, quia anima carnis in fanguine efl,
Levjt, cap. 17, v. 11 & 14,
P A G E
211.
v.
%•
CE magnifique morceau de Morale que les;
commentateurs ont tous admiré Tans l'entendre,
eft difficile à faifir au premier abord. On ne
conçoit pas aifément comment la crainte de la
mort fait naître dans les hommes l'avarice ,
l'ambition , l'envie, tous les yices en un mot,
$ç fubjugue les cœurs , au peint d'infpirer à
quelques hommes J'averfion de la vie & le projet de fe tuer : Idée que Plutarque attribue aufïï
à Arcéfilas. Mortem , qua malum dicitur, id
peculiare e$ omnibus qua, dicuntur mala habere
quoi neminem unquam fui prafentid affecerii,
folamque ejfe animi abjeâlionem calumnlafque in
mortem fufas , quç abfentem faciant formidabilem, prœjlentque ut etiam aliqui mortem oppetani
ne mariantur. Pour entendre ces idées , il faudrait fe tranfpQrter dans les fiçcles de i'ancienne
Mythologie, &• fe pénétrer des deferiprions
dgs enfers, faites par les poe'tçs. Alors ce moçcpiu, bien loin d'être regardé comme une vainc
acclamation, paraîtra plein de fçns & de philo-
D V
LIVAE
m .
389
fopbie. En effet l'ignominie , le mépris & là
pauvreté étaient réellement regardés comme U.
cortège de la mon. C'était un des axiomes fon*
damentaux de la Théologie païenne. Voila
pourquoi Virgile dans fon fîxieme chant placô
en fentinclle à la porte des enfers, non feulement le deuil, les foucis, les maladies, la vieille fle & la crainte, mais encore la faim & la
pauvreté, v. 173. & fuiv.
Veftibulum antè ipfum, primifque in faucibus orci
Luétus & ultrices pofucre cubilia curas :
Pallentefque habitant morbi, triftifque fenec*
tus,
Et metus & malefuada famés Be triftis egéftàs,
Terribiles vifu formas.
ces fauffes idées puifées dans la
fable, qui donnaient naiffance à tous les crimes
que Lucrèce décrit fi éloquemment,
CITAIENT
Sanguine civili rem confiant, divitia(que
Conduplicant avidi, &c.
pour détruire des préjugés fi funeftes
an bonheur des fbciétés, que tous les moralistes
de concert publiaient hautement que la more
ne Éait point acception des rangs ni des dignités >
Riij
C'éTAIT
35>o
NOTES
quelle frappe également & les chaumières des
pauvres & les palais des rois.
Pallida mors aequo pullat pede pauperum tabernas
Regumque turres. Hor. lib. I. O. 4.
CE que Lucrèce dit en d'autres termes , lib. IL
pag. 110. v. 23* & fuiv.
Nec calidaz citius decedunt corpore febres,
Textilibus fi in pic~hiris oftroque rubenti
Jaclaris, quàm fi plebeiâ in vefte cubandum
eft.
P A G E
xit.
Y.
I.
CE fyftcme mal pré fente & mal attaqué par
Platon dans fon Phédon, était un des plus ingénieux que pufTent imaginer des païens abandonnés à leurs propres lumières. Ce n'était pas
famé, comme on l'a cru, mais la penlee qu'on
appellait harmonie dans ce fyftême. Voila déjà
une contradiction de moins. Le nom d'harmonie vient de ce que le corps était regardé comme
un grand infiniment dont le jeu donnait la penfée. On croyait, comme je l'ai déjà fait remarquer ailleurs , que tous les aggregats de la nature étaient plus ou moins capables de fentir ,
félon le plus ou moins de perfection de leur
D tf LIVRÉ
III.
w
orgaaîfation ^ les arbres plus que les pierres »
les bétes plus que les arbres, & les hommes plus
que les bêtes ; de même que tous les corps étant
naturellement fonores, font pltfs ou moins harmonieux félon la différence de leur conformation. Mais ce qu'il faut fur-tout remarquer, c'eft
qu'on entendait par le mot harmonie , un group*
pe de fons quelconques & non pas feulement
Taccord parfait, comme l'ont entendu Platoa
& Lucrèce» Cette diftin&ïon réfout bien des difficultés , rend le fyftême beaucoup plas fécond,
& fufceptible d'un parallèle au moins aflez fpédeux. C'eft pour avoir négligé cette même diftin&ion , que Platon combat faiblement un fyftéme dont il n'avait pas compris toute l'étendue.
Il fallait que Lucrèce ne l'entendît pas bien non
plus, pour attaquer une hypothefe dans laquelle
on fait la penfée le réfultat du jeu de la matière.
Pourquoi s'ebftinait - il à vouloir une féconde
fubftance inclufe dans la machine même, & qui
n'étant pas immatérielle, ne pouvait rien expliquer , que le corps n'expliquât tout feul ! N'était-ce pas multiplier les êtres fans néceflîté ? Le
fyftême de l'harmonie ne marchait-il pas au but
plus directement & par la voie la plus courte ?
N'était-il pas la conféquence la plus naturelle de
TEpicuréifme ? Car enfin , puifqu'Epicure pour
produire les couleurs, les fons, les odeurs ; &c...
V
Kiv
$9i
N O T
ES
n'admettait pas une efpecc de corps particuliers,
une fubftance particulière confacrée à cet ufage,
mais croyait au contraire que les mêmes atomes
arrangés direrfement produifaient les couleurs ,
les fons , les faveurs ; & c . . . . Il ne devait pas
non plus, pour expliquer la penfée , admettre
une fubftance particulière , fcnfible& penfante ,
mais faire réfulter des atomes même du corps,
la penfée qu'il regardait comme la modification
d'un tout matériel. Cela, quoique faux, eût été
plus conféquent»
PAGE
130^ v.
10.
on y réfléchit, plus on a de peine à le
perfuadei que les anciens n'aient pas eu quelqu'idée de la fpiritualkè, de ïincorporéité, de
Vimmatérialité de i'ame» Non que lajraifôn leur
ait fourni des notions- aufli nettes & aufli préctfes, que celles dont nous fommes redevables à
la révélation. Mais ils avaient tant fubtilifé j
ils avaient tellement atténué, pour ainfi dire ,
la nature de l'ame, qu'il ne ferait pas furprenant qu'ils en fuflent venus au dernier degré de
ténuité. Ce qu'il y a de sûr, c'eft qu ils étaient
déjà fur la voie. Ils avaient reconnu une matière
première, dénuée defigure& d'étendue : ils admettaient des idées qui ne peuvent nous venir
par les feus, & qui n'ont point leur archétype
PLUS
DU
LIVRE
III.
i9i
dans la nature corporelle. Ils avaient imaginé
Un véhicule de l'ame, une fubftancc mitoyenne ,
nécefïaire pour faciliter l'action 8c la réaction
entre i'efprit & le corps. Enfin", pourquoi Lucrèce fc croyait-il obligé de prouver que l'ame
cft matérielle, fi l'opinion contraire n'eût été
adoptée par quelques philofophes ? Les idées
généralement reçues font des principes qu'on
ne prouve pas, mais dont on tire des conféquences. Je n'ignore pas ce qu'ont dit tous les
Sçavans fur ce point de la philolophie ancienne.
Je n'ignore pas, qu'on fe prévaut d'une foule
de partages de Timée de Locres , de Platon,
d'Ariftote, 8cc.... qui donnent à l'ame du corps
8c de l'étendue. Mais je fçais en même tems,
que la fpiritualité cft une idée fi fugitive & fi
délicate, que , pour peu qu'on s'y arrête, on
ne tarde pas à la mélanger. On fait trop d'honrieur aux anciens & à Tefprit humain en général.
On n-'ofe fuppofer qu'ils fc foient contredits.
Cependant leurs ouvrages font pleins de contradictions. Ge devait être naturellement là le
fort des premiers métapbyficicns. Il y a plus : il
faut, ou les fuppofer tans Athées, ou reconnaître qu'ils fe font contredits, qu'ils n'ont pas
fënti toutes les conféquences de leurs principes.
Qu'il me foit permis de le dire. On a donné
trop d'importance à cette queftion de fait for
394
NOTES
rhiftoire de la fpiritualité. Les Chrétiens le fcme
imaginés que le dogme de l'immatérialité acquerrait un nouveau degré de force „ en prouvant qu'il leur avait été tranfmis par les anciens :
comme fi la révélation & l'autorité infaillible dcr
l'Eglife n'étaient pas une bafe aflez folidc. Les
incrédules au contraire fe font figurés que leur
caufe ferait meilleure , en tâchant de prouver
que l'idée de l'immatérialité eft une idée nouvelle , uniquement due au Chriftiamfme. lis
devaient ks un* & ks autres fentir, que l'autorité des anciens ne fait pas plus pour ce
Ï g m e y que pour un grand nombre d'autres ,.
nt la raifon avait fait entrevoir quelques lueurs
aux païens, avant que k faint Efprit eut exigé
pour ces mêmes dogmes le facriiîce de notre raifon»
P A G I
23*,
W
7.
de ces trois vers qui ne font
difficiles qu'a traduire, fut regardée dansk fiecle
dernier comme une découverte. Un Anonyme
écrivit de Londres en 16%rj r une kttre à Bayk »
pour le prier 4'inférex dans for* journal l'explication de ce pafTage, qui n'avait y dit-il, jufqu'alors été entendu de perfonne. Si M* Bayle
s e jugea pas cette explication indigne de trouver
place dans Ca. République des kttres, on ne me blâmera pas non plus de traafcrire ici l'endroit dcr
L'INTELLIGENCE
£> U LITRE
I IL
395
cette lettre, qui a rapport au partage de Lucrèce.
» Si vous voulez que je commence, je vais vous
» envoyer l'explication de deux partages qui
43 n'ont point encore été entendus. L'un eft de
*> Lucrèce au livre III. v. 175, ou environ. Ah
9» tamen infequitur languor , terraque petitus 6>
r> in terra mentis qui gignitur aftus. Monfieur le
» Fevre renverfe tout le texte pour l'expliquer j
v & cependant il n'y a rien de plus naturel, ce
» qui paraîtra par cette traduction verbale, cen pendant une langueur & une envie de fe cou» cher avec une inquiétude d'efprit lefuivent tout> jours. Petitus lerra n'eft autre chofcque fenvie
itdcfe mettre a terre, & c'eft ce que nous voyons
t) tous les jours, particulièrement dans les pay9> fans : même la plupart des dames ne fe trou» vent bien, que lorsqu'elles font fur le. foyer,
91 & qu'elles ont la tête fur un couffin un peu
9» élevé , ce qui eft précisément petitus terra.
9} JEflus mentis ne peut lignifier que les bouilli lonnemens de Vefprit, que je traduis par Fin» quiétude de tefprity comme le vers fîiivanr
» le demande, interdumque quafi exurgtndi inT> certa voluntas.,.. Voyez Nouvelles de la Kéfw
tfes Lettres, Fev. 16S7. pag. 11;.
' •
1 A G % ï}6.
. . • \
T. 19,
- I l n'y a peribnac qui ne Tente combien toute
Rvj
39^
NOTES
cette théorie de l'ame humaine eft fauflfe & inintelligible. Qu'eft-ce que le fouffle ", (mon l'air
mis en agitation 1 Spiritus quem Gnzci Noflrique
eodem vocabulo aéra appellant, dit. Plin. Nat,
hift. lib. II. c. 5. Qu*eft-ce que la chaleur, finor»
la modification d'un fujet chaud 1 Cependant
Lucrèce paraît en faire des êtres à part 5 il femble
vouloir réaliler les formes, d'Ariftote. Telle était
îa métaphyfique dé ces tems là. Avant d'en venir
à l'idée d'une fubftance non-étendue, les philosophes avaient parle par tous les degrés de la
matière la plus fubtile. Les uns avaient recours
a l'air : c'était l'opinion de Pythagore qui appellait Tarne aVoVae/<a 'Albspoç 3 un détachement de
Tair. C'était auflî la doctrine d'Hippocrate qui
la défini (Tait, fpintum tenuem per corpus difperfunu Maçrob. lib. II , Sect. i . Saint Auguftin
qui avait des idées infîaiment plus relevées fur
la nature de l'ame humaine, reconnaît pourtant, que Tair modifié d'une certaine manière
peut produire dans les bêtes le ientiment & la
mémoire. Spiritum- corporeum voco aèrem, vel
potius ipiem, qui pro fui fuhtiîitate videri non
potefi > & corpora inferiùs vegetando vivificat :
qu&dam au te m vivifient tantkm & non fenfîficat,
Jicut arbores & herbas & univerfa in terra germinantia ; quœdam autem fenfifiedt & végétât ficut
omnia bruta animalia, de Spiriqi & ai*, cap. 23»..
BU
LLY
RE
III.
597
Vita brutorum eflfpiritus vitalis conflans de aère
& fangu'me animalis , fed fenfibilis , memorïam
habcns, inselleclu carens, cum carne moriens, in
aère evanefcens. de Scientiâ vers vita?, cap. 4.
• D'autres philofophes regardaient lame comme
on feu rapide. C'était le fenriment d'Heraclite,
Hcradïtus phyjïcus dixït animam fcintillam fîellaris ejfentia. Macrob. in foin, Scip. iib. I : d'Epi charme , itaquc Epicharmus de igné mentent
humanam dicit, iflic efl de foie fumptus ignis.
Varro de ling. Sab. lib. IV : de Zenon, Zenoni
Stoico animus ignis videtur. Cic Tuf. quarfh
lib. I. D'autres philofophes trouvant ces matières
encore trop groffieres, ont donné carrière à leur
imagination , & font devenus encore plus inintelligibles. C'eft un Critolaiïs Péripathéticien ,
qui, au rapport de Macrobe, formait lame d'une
quintejfence ; ua Thaïes qui la définit fubflantiam
femper motam & per fe motam ; un Pythagore
qui la nomme numerum fe ipfum noventem ; un
Platon qui l'appelle fubflantiam intelligentem ex
fe mobilem ; juxta numerum harmonieum motam;
& enfin un Àriftote qui par fon mot d'Enthélcchie efl encore plus inintelligible & plus barbare.
•—
P A G E
IJ8.
V.
Z.
LA conitru&ion de ce verseft, quoniam ment
rêctpit nihil korum pojfe entre, motus fenfiferos
$98
NOTES
qui yolutent quœdam mente ; parce que l'esprit
n'admet pas qu'aucun de ces principes pui/Te
créer ces mouvemens intellectuels qui portent
des idées dans lame. Voila mot à mot la fîgnifîcation de cette phrafe qu'on n'a pas entendue,
p )ur n'avoir pas fentî que ncipere èft la même
chofe qaadmittere ou concipere 3 8c que par quadam qui mente volutent, Lucrèce parle ici des
idées qui fuivent nos fenfations.
P A G S
238.
T.
IX»
Tentait que l'unité**doit être le principe conftirutif de lame , de ce moi myftérieux
qui compare, qui juge, qui raiionne, &c,..»
Voila pourquoi Lucrèce ne veut pas que les principes de Famé fe féparent , ni qu'ils agilTent
chacun de Ton coté , nihïl ut fecernier unum pof~
fit y nec /patio fieri divifa poteflas. Il tâche de
fimplifîer le plus qu'il peut l'afTemblage grofïîer
de ies quatre élémens. Mais comme d-'un autre
côté il dira plus bas, que la différence des caractères & des tempéramens vient de ce qu'il y a
quelqu'un des élémens qui domine plus que l'autre, il fe voit obligé de troubler un peut ce concert & cette proportion. Voila le îens de ce vers
qu'on n'a pas entendu, ut quiddam fukfit magis
emineatque , qui n'eft évidemment qu'une reftxtâîon* Cependant il ajoute, que malgré cette *
EPICURE
DU
LIVRE
11L
599
inégalité , l'harmonie fe. conierve toujours, Se
que l'unité ne s'altère pas pour cela ut quiddam
*fierivideatur dt omnibus unum. Lucrèce eft trèsobfcur dans tout ce morceau ; il s'en prend à
fa langue : mais la vraie raifon eft qu'il ne s'en*
tendait pas lui-même.
P A G E
144. y.
il.
. V o 1 c 1 la conftruction de ces trois vers qui
présentent un double fens , vejiïgia naturarum
qua nequeat ratio di&is depcllere linqui ufque
adeb parvula , ut nïhil impediat degere vitam
dignam Dis. Ces traces naturelles que la raifon
ne peut effacer par Ces inftruclions, fubfiftenc
à la vérité toujours, mais fi, faibks , que rien
ne nous empêche de mener une vie digne de*
Dieux. Ce même pafTage eft entendu tout différemment par quelques commentateurs qui font
ainû la conitraétion. Vefligia parvula naturarum
ïmqui y qua ratio nequeat di&is depcllere ufque
adeb , ut nihil impediat vitam Dis dignam degere,
» Il fubfifte toujours dans lame des traces im» perceptibles que la raifon ne peut faire difw paraître au point, «jue rien ne nous empêche
» de mener une vie digne des Dieux. » Il nreft
pas befoin d'avertir, que cette dernière conftxuâion eft forcée & préfente un fens louche»
400
NOTES
P A G E
148.
v.
1.
le fens de ces deux vers qui font fort
clairs, malgré les efforts que les commentateurs
ont faits pour les embrouiller. Lucrèce vient de
prouver que lame ne peut fentir toute feule ,
ni le corps tout feul, que ce n'eft que par leur
union que nous jouifTons du fentiment, communibus inter eos conflatur utrinque motibus accenfus nobisper vifcera fenfus. D'où il s'enfuit évidemment , que c'eft le corps qui fent par le
moyen de famé ; ainfi , dire que le fentiment
eft la modification de l'ame feule, de cette fubftance intellectuelle qui eft difTéminée dans nos
membres, c'eft combattre l'évidence 5 car comment peut-on prouver que le corps fent, quid
fit enim corpus future quisajferet unquam ? Sinon
par les principes que l'évidence elle-même nous1
a fait établir, fi non ipfa palàm quod res dédit
ac do cuit nos ; c'eft-à-dire, finon par l'union
intime de l'ame avec le corps -, que nous venons
de prouver fans réplique.
VOICI
I
B
1 r>. v.
7.
attaque ici Epicharme & Ariftotc,
qui penfaient que ce n'étaient pas les yeux ,
mais l'arae elle-même qui Voyait par les yeux.*
LUCRèCE
DU
LIVRE
111.
401
KVç ùp* ,r?ç iwu, mens videt, mensaudit, dit
Ariftote , prohl. 32. Se&. II , & ailleurs, de
Scnfu & Senfîbili, c. II. Non anima ipfa in oculi
txtremo, fed in parte interna cxîftit*
I I I D .
r.
io.
CE vers que je traduis par ces mots, tefens
pompe & ramajfe les fimulacres dans Vorgane ,
eft clair & très-conféquent à la doârine que
Lucrèce établit dans le quatrième livre. Il a rapport évidemment à la manière dont la vifion
s'opère dans le fyftême d'Epicure par le moyen
des fimulacres. Cependant les commentateurs
non-feulement ne Tont pas entendu , mais fe
font tous accordés à le rejetter comme un vers
fuppofé ou altéré.
P A G E
2jo.
v.
1.
CE païTage , qui eft très-embarraiTant, pourrait encore être expliqué d'une autre manière plus
littérale 3 les intervalles qui féparent les élémens
de rame, font proportionnés à la grojfeur des premiers petits corps qui peuvent exciter en nous de
lafenfation. Mot à mot : Tanta intervalla tenerc
exordia prima animai, quantula corpora prima
nobis injeHa queant ciere fenfiferos motus in cor-*
pore. Le fens que j'ai adopté dans ma verfion
cil plus clair. Il eft yrai que tantus & quantust
40i
NOTES
font ordinairement employés en latin pour 4é*
£gner un rapport de grandeur plutôt qu'un rapport de nombre. Cependant il y a des exemples
de quantus pris dans ce fens» Caius in L. Si ità
legatumfit»D. de Legatis primo. Si ita Ugatutn
fit y Se'jo fervos decem do ^ prêter cas decem,
quos Titio legavi : fi quidem decem tantitm inve~
niantur in hereditate i inutile eft legatum. Si
verb améliores ; poft eos, quos Titius elegit, itk
cœteris valet legatum i fed non in ampliores »
quàm decem, qui legati funt, quod fi minus in
tantos , quanti inventant ur. On.peut remarquer
que dans ce pafTage non-feulement tant us, quantus , fïgnifïc tôt, quot, (sais encore qii'ampliores eft mis pour plures*
I B I D.
V.
6.
parle ici du fard dont les femmes ;
& même les jeunes libertins fe peignaient pour
fe blanchir la peau. Le mot incutere ne vient pas
de quatére, fecouer > quoiqu'il ait fouvent cette
acception : il ne peut être ici compofé que de
in & cutis : ainfi incutere eft la même chofe que
in cutem mittere. On ne fçaurait douter que les
Romains ne connurent l'ufage du fard. On peut
lire dans Pétrone la defcription énergique d'un
jeune libertin dont le blanc délayé par la fueur ,
coulait le long de fes joues. Perfluebant pcrfron-*
LUCRèCE
DU
LIVRE
III.
40«
ttm fuiamis acacia rivi, 6» intcr rugas malaruni
tantiim trot CRET/Ey ut putares detraBum parie"
tcm nimbo laboraroHorzcc dit à peu près la
même chofe d'une vieille femme .qui lui en voulait , rue illijam manet hunùda creta. Epod. XIL
P A G I
Xfl.
V.
18.
I L n'eft pas permis de douter qu'un grand
nombre de philofophes anciens n'aient reconca
l'immortalité de l'ame. Ce defîr de vivre après
la mort & de prolonger fon exiltcnce- au delà
des bornes naturelles ; cette noble ambition qui
cara&érifc les âmes ficres , & qui cft le plus
pmuant aiguillon de la vertu, avait pénétré ces
cœurs généreux & dignes d'une autre vie, allez
profondément, pour fe réalifer en eux, & leur
perfuader qu'ils jouiraient (bus la tombe des
honneurs qu'on rendrait à leur mémoire. Une
pareille idée qu'on prouvait moins qu'on ne la
Tentait, était trop relevée , pour la proftituei
au peuple incapable de porter fes vues dans un
avenir aùffi (ublime, uniquement propre à défigurer ce tableau par fes terreurs, fes fables 8c
fes préjugés. Auflî cette doctrine fut-elle tenue
long-tems fecrete. Platon fut le premier qui ofa
dans fes ouvrages divulguer ce fecret. La manière dont ce dogme fut reçu, prouve combien
xi était doux U (édoifaat dans ion origine. Il
4ô4
NOTÉS
fut accueilli avec un enthoufiafme qui tenait dd
fanatifme. Cléombrote d'Ambracie ne fçait pas
plutôt que fon ame eft immortelle, qu'il fe précipite du haut d'une tour, pour arriver plus
promptement à la vie future. Le philofophe Hégéfias ayant tenu école fur la même matière à
Cirene, fes difciples fe tuèrent pareillement,
pour fortir de cette vie malheuréufe & pafTagere , & parvenir à celle que leur maître leur
promettait. Enfin en moins d'un fîecle cette fu-»
blime do&rine produifït une maladie épidémie
que fi dangéreufe , que Ptolomée Philadelphe
défendit de l'enfeigner de peur de voir fes états
dépeuplés. Qu'arriva-t-il alors ? la politique crut
devoir autorifer les fables redoutables du Tartare , du Styx, de i'Achéron , des Furies , de
Cerbère , &c... qui devenaient le contrcpoifon
naturel du dogme de l'immortalité. On regarda le
fuicidc comme un crime qui était puni dans
l'autre vie.
Proxima deinde tenent mœfti loca, qui fibi
lethum
*
Infontes peperêre manu, lucemque perofi
Projecêre animas. Quàm vellent asthere in
alto
Nunc & pauperiem & duros perferte labores 1 Virg. lib. YI. iE. Y. 434. & fui Y. . . "*
DU
L I*F RE
III.
405
C i ne rut qu'avec de pareilles précautions
que la do&rine de l'immortalité continua d§
s'enfeigner. Au rcfte il eft fingulier que deu*
dogmes prefque contradictoires p l'un doux &
çonfolant, l'autre terrible & redoutable, le dogme,
^e l'immortalité 4c l'âme, & celui de la deG»
tru&ioa du monde, aient produit à peu près
les mêmes effet? dans la fociété, & aient été
défendus l'un & l'autre par les princes, comme
des do&rines capables de troubler le repos pu-r
f>lic.
P A 9 E
174*
7*
x
4*
la cpnftrudion de ces deux vers qu'au*
çun commentateur n'a faifîe, quoiqu'elle fois
fort (impie. Et ipfam partent priorem petere fi
pre retrb, ut iÇîa arde/iti dolort vulneris ptemat
fe morfu. Pars prior, veut dire dans ]a bonne latinité la partit de devant, & non pas la partie
Quelle avait auparavant, comme quelques - uns.
J'ont entendu.
VOICI
P A 6 E
27*.
T.
t.
C E n eft pas {ans raifpn que Lucrèce réunie.
ici les deux dogmes de l'immortalité Se de h
préexiftencç des âmes, pour tâcher de les renverfer du même coup. C'eft que de tous les phi*
Jofophes qui ont yécu avant le Chriftianifme,
T.
4o6
NOTES
aucun n'a feu te nu l'immortalité de l'ame, (ans
établir préalablement fa préexiftence ; l'un de
ces /dogmes était regardé comme la conféquence
naturelle de l'autre. On croyait que l!ame devait
toujours exifter , parce qu'elle avait toujours
exifté 5 & l'on était perfuadé au contraire qu'en
accordant qu'elle avait été engendrée avec le
corps , on n'était plus en droit de nier qu'elle
dut mourir avec lui. Notre ame, dit Platon ,
exiftait quelque part avant d'être dans cette
forme d'homme : voila pourquoi je ne doute pas
qu'elle ne foit immortelle. Synéfîus , quoique
Chrétien , ayant été inftruit dans cette philofophie , ne put être déterminé par l'offre d'un
Evêché à défaprouver cette doctrine, à/us MI ( ditil ) T « / ^vyyv
M
ot^icàsa) *no1s CU/UOLTOç vGrspoysviï
vouloir. Je ne croirai jamais que mon ame foit
née après mon corps. M. le Clerc ajoute, qu'on
était alors fî indulgent fur ces matières, ou qu'on
avait tant d'envie d'avoir de beaux parleurs dans
les chaires , que non-feulement on lui pafTa cette
doctrine, mais qu'on le confacra, quoiqu'il témoignât ne pas croire à la réfurreâion des corps.
Quoique le fyftêmç de la Métemplycofe ne foit
pas fpécialement condamné par la religion Chrétienne , le Concile de Trente décide néanmoins
formellement que Dieu crée chaque ame, quand
le corps qu'elle doit habiter çft fufftTanimea£
I>U LJFRE
III.
407
©rgnanifé, anmtm crcando infundifcinfun*
dçndo crcw. Ainfi, dans notre religion , c'eft
uniquement fur la volonté de Dieu qu'eft fondée l'immortalité de l'ame , qu.'il ne faut pas
confondre avec l'incorruptibilité.
P A Q B
180.
V,
$*
LES ph/fîciens dç nos jours ont nié» comme
un préjugé populaire , que la putréfaction pût
donner le jour à des êtres vivans ; ils ont regardé
comme un axiome incontestable, que tous les
animaux qu'on voit naître préexiftent dans ua
germe, & que toutes ces générations fortuites
qu'on objecte, font occafionnées pal des oeufs,
que fait éclorre la fermentation des corps putréfiés. Mais ce principe de phyfique, ainfi que bien
d'autres qu'on regarde comme au/fi fuis, eft démenti par l'expérience. Tout le monde connaît
celle de M. Néedham, qui découvrit, à l'aide
du microfeope, des anguilles dans de la farine
délavée avec dt l'eau. Cette même expérience
a été répétée avec de nouvelles précautions en
Allemagne, par M. Dellius, qui non-feulement
apperçut les anguilles de M, Néedham, mais
encore diftingua jufqu'aux parties les plus imperceptibles de leurs corps, jusqu'aux organes
mime de la génération. Pour s'a/Turer de plus
#
en plus d'une vérité aufli importance, il fit un
40$
NOTES
autre efiai 5 ce fut de garder du bouillon de mouton dans un vafe fermé hermétiquement. Au
bout d'un mois il découvrit dans ce bouillon des
animalcules afTez femblables à ceux que M. Leder
Muller avait apperçus dans la femence de carpe.
On ne dira sûrement pas qu'il foit venu des
infectes dépofer leurs œufs dans le bouillon ,
puifquç le vafe était fermé hermétiquement, ni
qu'ils exiftaflent auparavant dans le bouillon ,
qui avait reçu un degré de chaleur aflez confîdérable , pour faire mourir tout animal vivant.
Le même obfervateur répéta fon expérience fous
toutes les faces poflîbles, & fe convainquit de
plus en plus 3 que c'était uniquement par la putréfaction, & le développement des fucs, & non
par des œufs préexiftans, que ces animalcules
avaient été engendrés. Il remplît trois vafes du
même bouillon, avec les mêmes précautions. Il
trouva dans le premier, au bout de quatorze
jours, le bouillon gâté & fétide 5 dans le fécond,
au bout de trois femaines, l'odeur était moins
forte : dans le troifîeme, au bout d'un mois, il
n'y avait plus d'odeur, mais une peuplade d'animalcules tout vivans. Vid. Comment, de reb.
in Scient, nat. Sç medic. geft. yoL X I , pag. 531,.
part. XX3ÉIII. Il n'y a rien à ajouter à une expérience aufli pofîtive, finon que je me fuis apperçu en la tradiùfant, combiçn c'eft une opir '
mm
D U LIVRE
III.
405
nion ancienne, que celle de la production des
animalcules par la corruption. Car les mors /œUns. & fœtus , dont l'un fignifîe l'odeur d'un
corps qui fc corrompt, & l'autre -un être vivant
qui commence à fe former, ont évidemment
une étymoiogic commune.
P A G E
191.
y.
1$.
paraît faire ici aliufion à la grande
année , l'année périçdique , doctrine redoutable
& extravagante, qui doit fon origine à l'aftro-?
logie , & 4 u i eft prefqu'aujdi ancienne qu'elle.
Toutes les fedes de philosophes étaient imbue?
de cette opinion. Née chez les Chaldéens, elle
s'était répandue dans toute TAfîe, elle avait pénétré dans l'Egypte, elle avait été reçue avec
tranfport par les Druides & les prêtres du Nord,
à qui elle fourriifTait un nouveau frein pour affervir les efprits > les Grecs l'avaient communiquée aux Romains ; & plut à Dieu, que les découvertes utiles nous euffent été tranfmifes aufll
fidèlement, que ce dogme abfurde le fut par
une tradition confiante, perpétuée de fiecles en
fiecles ! Qn entendait par cette année la révolutjpn entière <Ju ciel , c'eft-à-dire, le retour de
tous les aftres à un même point fixe du firmament. On n'était pas d'accord fur la durée de ce
période. Les uns le restreignaient à cinq mille
Tome I.
S
LUCRèCE
i*
410
N O T E S
ans 5 d'autres lui en donnaient dix milles, cent
milles, quelques millions. Mais on fe réunifiait
à croire, qu'à la fin de cçtte grande année le
monde devait fe renouveller , & recommencer à
exifter non-feulement avec les mêmes loix, mais
encore avec la même formç & les mêmes circonftances qu'auparavant. Les mêmes hommes
devaient être reproduits de nouveau, pour reprendre une vie femblable à celle qu'ils avaient
déjà menée, pour rejouer le même rôle fur la
(erre, & être fournis au même enchaînement de
eirconftances. Ceft-là le fens que quelques interprètes donnent à ce pafiage de l'Eccléfiaftc ;
Quid ejl quodfuit ? ipfum quod futur um ejl, Quid
tfi quod faciendum ejl ? ipfum quod faclum ejl.
Nihil fub foie novum, nec valet quifquam dicere:
hoc recens ejl. Jam enim pmcejjit in fœculis quœ
fuerunt antè nos. L'hiver de cette grande année
était un déluge, & fbn été devait être un embrafement. On voit, comme le remarque l'Auteur de l'Antiquité dévoilée, que cette divifion:
était empruntée de l'année folaire, dans laquelle
le capricorne eft le premier figne de l'hiver,
faifon communément pluvieufe , & l'écrevifTe
le premier figne de l'été , faifon de chaleur &
çle fécherefïe»
ON diVI fait encore cette grande année en
auatre £ges? comme pn divife l'aançç commune
V
DU L
i rRE m.
4it
en quatre faifons. On comptait un âge d'or, un
âge d'argent, un âge d'airain, & un âge de fer.
On comparait ce phénomène à ceux de la vitf
humaine. La Nature renouvelle était d'abord
dans un état de faiblefTe & d'enfance « d ou ella
parvenait par degré à un état de perfection Se
de beauté, fuivi d'un état de vigueur & dé
force, auquel fuccédait la vieille/Te & enfin
la deftru&ion. Il en était du moral comme du
phvfîque. Le genre humain commençait par l'innocence, s'élevait aux vertus les plus héroïques,
Ce perfectionnait dans les feiences & dans les
arts, fc corrompait enfuite, dégénérait, devenait fans force , fans génie , fans vertu , état
funefte qui fini/Tait par. la diAblution. Voila
pourquoi oa s'autorifait de la corruption du
£ecle pour annoncer la fin du monde. Mundus
ipfe jam loquitur, dit faint Cyprien, & occafutn
fut rerum labinùum prohationé tefiatur. Decrefcit
in arvis dgricola, in mari nauta, miles in caflris,
innocenua inforo, juflitia in judicio, in amicitûs concordia y in artibus péritia, in moribus dif
ciplina. Virgile préfente un tableau tout contraire, mais conforme aux mêmes idées dans ces
vers de la quatrième Egloguç.
Ukima Cunuci venit jam carminis aetas :
Magnus ab integro fxclorum nafeitur ordo ;
Jam redit 8c Virgo, redeunt Satura* régna.
Fin du premier Volume.
T A B L E .
Comme on na pas jugé à propos de chiffrer les
vers, ce qui Jurcharge dêfagréablement les marges , on y Jupplée par cette table, qui indique U
quantième du vers initial de chaque page,
LIVRE
Pag.
vers.
4
i
6
13
8 . . * . • • 39
î O . . . . . 6 I
il
86
1 4 . . . . 107
16....131
18....I54
20....175
21....197
14....H8
26....243
i8....2é6
3 0 . . . . 292
31....316
34....339
36 . . . . 362
pag.
vers.
vers.
Î08 .;...!
110
12
111.....37
114
61
116
82
I18....IQ4
pag.
38. ...385
4 © . . . . 406
4 2 . . . . 431
44....454
40....476
4 8 . . . . 499
5 0 . . . . 522.
52....54J
54....569
51....594
$8....6l8
60....641
61....666
6 4 . . . . 688
66....7©9
68....734
7 0 . . . . 75 ji
LIVRE
Pag.
I.
pag.
vers.
71. ...776
74... .800
7 6 . . . . 821
78....843
80....866
8x....88&
8 4 . . ..912.
86. ...?37
88....558
90....981
£2...100f .
54...1018
p6...iOfi
^8...ioyi
I00...1094
1O2...1110
II.
vers.
120. ... Ï18
m....153
114....179
Ii6....103
118. ...215
130....248
pag.
vers."
I31 ... . 272
I34 s * • •2-5fy
136....319
138....342
140....366
142....385
TABLE
pag.
v*p vers.
144-- . . 4 1 2
146.. ••434
1 4 8 . . •-4J6ïyo.. ••477
1 5 2 . . . . 501
i | 4 . . . . 516
156.. •-547
1 5 s . . ••57?
vers.
Pag-
168 . . . . 6 8 4
1 9 2 . . -949
1 7 0 . . . . 706
172..1.717
1 5 4 . . • •97*
196.. ..996
198 . . . 1 0 2 2
.
174
748
176
774
178....7M
180 . . . . 820
1 8 1 . . . . 841
184....865
1 8 6 . . . . 886
188 . . . . 907
190 . . . . 517
1 ^ 0 , . ..598
1 6 2 . . . . 621
1 6 4 . . •**43
1 6 * . . ..66$
•ers.
200..
202..
204*.
206..
208..
210..
. 1048
. 1071
Pag-
•ers.'
. 1093
. II17
.1137
. 1158
•
Pag.
I I I.
LIVRE
«
vers.'
...14
1 1 0 . ••••35
2 1 2 . .. . ^ . 5 8
2 2 6 . . . . 101
218. ...12)
IJO . . . . M 4
2J*. v - i * 7
234- . . . 1 9 0
236. . . . 2 1 $
2 3 8 . . . . M*
2 4 0 . . . . l60
241. ...284
244. . . . 3 0 6
2 4 6 . ...33<»
2 4 8 . •••35+
pag.
vers.
250 . . . . 378
2 5 2 . . . . 401
254
4*3
ij6....446
2 5 8 * . . . \6j
2 6 0 . # . - 489
2 6 2 . . . . 512
264....53)
2 6 6 . . . . 558
168....583
2 7 0 . . . . 606
272... .627
1 7 4 . . . 649
276. . .
670
2 7 8 . ^ . 69%
2 8 0 . . . 715
1 8 1 . . . 737
2 8 4 . . . 758
286. • • 77*
288. . • 801
2 9 0 . . . 823
2 9 2 . • . 847
294. . . 870
2 5 6 . . . 888
2 9 8 . . . 909
300. • • 532
302. • • 954
3 0 4 . •.-5>72
306. • • • 9 9 }
308. . . 1 0 1 6
3 1 0 . ..1038
312. ..1061
3*4- . . 1083
316. . . 1 1 0 4
chacun des contrevenatis, dont un tiers à N o u s , un tîeft
à l'Hôtel-Dieu de Paris, & l'autre tiers audit Expofant,
ou à celui qui aura droit de lui, &de tous dépens, dommages & intérêts, à la charge que ces Préfentes feront
enregiftrées tout au long, fur le regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Libraïres de Paris, dans trois
mois de la date d'icelles ; que l'impremon dudit ouvrage
fera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en beau
papier & beaux caractères , conformément aux Réglemens de la Librairie , 8c notamment à celui du dix Avril ,f
mil fept cent vingt-cinq , à peins de déchéance du préfent Privilège; qu'avant de l'cxpoier en vente, le ma.
nuferit qui aura lervi de copie à l'impreffion dndit ouvrage , fera remis dans le même état où l'Approbation
y aura été donnée» es mains de notre très-cher & féal
Chevalier, Chancellier de-France , le Sr» DB LA a t o i G N O N , & qu'il en fera enfuite remis deux Exemplaires
dans notre Bibliothèque publique, un dans celle de notre
Château du Louvre, un dans celle de notredit Sieur DE
L A X O I G N O N , & un dans celle de notre très cher 8c
féal Chevalier, Vice-Chancelier Se Garde des-S:caux
de France, le Sieur DH M A U P I O U ; le tout à peine de
nullité des Préfentes. Du contenu defqueiles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expofant s & fes
ayans caufes, pleinement & paifiblement, fans fouffrir
qu'il leur «foit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons que la copie àes Préfentes qui fera imprimée tout
au long, au commencement ou à la 6n dudit Ouvrage,
foit tenue pour duement lignifiée , & qu'aux copies coU
lationnées par Vna de nos. amés & féaux Confeilleis,
Secrétaires, foi foit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huiffier ou Sergent fur ce requis , de faire pour l'exécution d'icelles, cous a&es requis & néceflaires, fans demander autre permiiîlon , &
nonobftant clameur de haro, charte normande & Lttres
à ce contraire ; car tel eft notre plaifir. Donné à laris
le feiïieme jour du mois de Mars, l'an de grâce mil fept
cens foixante-huit & de notre Règne le cinquante-troifieme. Par le Roi en Ibn ponfeil.
LE B E G U E .
Hegiftré fur le Re&ftre X'Vil.
de la Chambre Royale,
& Syndicale des Libraire s & Imprimeurs de Paris s K°.
1362, folio 387 , confort*ément au Règlement de 1723. A
Paris ce 21 Mars 1768.
G A N E A U , Sjndiç*

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