AMarseille,lacommunautéjuivesouslechoc
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10 | france 0123 JEUDI 14 JANVIER 2016 AMarseille,lacommunautéjuivesouslechoc Après l’agression antisémite de lundi, le président du consistoire de Marseille a suggéré de renoncer à la kippa suite de la première page Cette déclaration témoigne du traumatisme que constitue, pour la communauté juive marseillaise, forte de quelque 70000 person nes, l’agression de Benjamin Am sellem, professeur à l’Institut fran cohébraïque La Source, alors qu’il se rendait, lundi matin, à son tra vail, sa kippa sur la tête. Mais elle s’est immédiatement heurtée à l’hostilité des représentants natio naux du judaïsme français, pour qui le renoncement, futil provi soire, à un signe religieux aussi symbolique, est inconcevable. L’appel de Zvi Ammar est «un cri d’émotion compréhensible», a es timé le grand rabbin de France, Haïm Korsia, mais « nous ne de vons céder à rien, nous continue rons à porter la kippa». Il a appelé « l’ensemble des supporteurs de l’Olympique de Marseille à revêtir mercredi 20 janvier un couvre chef», en signe de solidarité, lors du match qui opposera l’équipe phocéenne à Montpellier au stade Vélodrome, en seizièmes de finale de la Coupe de France de football. Ce n’est pas la première fois qu’un appel de ce type est lancé. En 2003, Joseph Sitruk, alors grand rabbin de France, avait de mandé aux juifs de «remplacer la kippa par la casquette» pour évi ter de se faire agresser dans la rue après l’incendie d’une école juive à Gagny (SeineSaintDenis). « L’émotion d’un moment » ne peut être la position des institu tions juives, estime Joël Mergui, le président du Consistoire cen tral, qui appelle à un mouvement national pour défendre la liberté de porter la kippa. « Cela traduit une attitude défaitiste, de renon cement », a reproché le président du Conseil représentatif des ins titutions juives de France (CRIF), Roger Cukierman. Ces dernières années, le port de la kippa dans l’espace public s’est trouvé mise en cause à différentes occasions. Le 22 mars 2015, lors des élections départementales, dans un bureau de vote de Tou louse, une déléguée de la liste Front de gauche avait demandé à un rabbin de retirer sa kippa, in voquant la laïcité. En septem bre 2012, dans un entretien au Monde, Marine Le Pen s’était pro noncée pour l’interdiction paral lèle, « dans l’espace public », du voile islamique et de la kippa. « Nous devons réaffirmer, nous devons garantir au quotidien, par tout sur le territoire, la liberté de chaque citoyen, sa liberté, y com pris de vivre sa croyance. C’est ça une République laïque », a réagi mardi la garde des Sceaux, Chris tiane Taubira. JeanMarie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, s’est dit «profondément bouleversé par cette décision» qui est à ses yeux « une interpellation pour tous les Français» et pour «la République [qui] n’a pas été assez vigilante». Ne pas « courber l’échine » Benjamin Amsellem est apparu très ébranlé à la sortie de l’hôtel de police, où il s’est rendu afin d’identifier le lycéen placé en garde à vue. Son avocat, Me Fa brice Labi, a souligné que l’ensei gnant avait la certitude que son agresseur voulait le décapiter. «Il m’a dit que les coups portés avec la machette l’avaient été au niveau du cou, tels des coups de hache», a til dit. La victime s’est protégée avec ses bras et ses pieds ainsi qu’une torah. Le livre détérioré a d’ailleurs été remis aux enquê teurs. Le lycéen a été transféré, mardi dans les locaux de la sous direction antiterroriste à Levallois (HautsdeSeine). Dans une communauté très dé semparée par cette agression anti sémite à la machette après deux Devant l’Institut franco hébraïque La Source, à Marseille, le 12 janvier. BORIS HORVAT/AFP autres commises à l’aide d’un cou teau cet automne, l’annonce de Zvi Ammar n’a pas été du goût de tous. «Très colère», un représentant du Conseil représentatif des institu tions juives de France (CRIF) es time qu’il «n’est pas possible de courber l’échine, de céder et de don ner une telle victoire à un groupe d’hommes qui a décidé de déstabili ser la société française. Si les autori tés nous disaient que ce jeune ly céen kurde appartient à un réseau rampant que la police a dû mal à éradiquer, j’arriverais peutêtre à conseiller de manière prudente à ne plus porter la kippa. Mais ça m’étonnerait car ce que nous avons connu, ce sont des actes isolés». Parmi les Marseillais juifs, la po sition de Zvi Ammar a très vite en flammé le débat. «Inciter à ne pas porter la kippa mais si on voulait faire monter la psychose, on ne s’y prendrait pas autrement! C’est un aveu de faiblesse », estime une Marseillaise. Des opinions diver gentes semblent s’être exprimées lors d’une réunion tenue mardi par les responsables de la com munauté. Ruben Ohana, grand rabbin de Marseille et d’AlpesPro vence, se veut mesuré, appelant « à la vigilance, pas à l’affole L’agresseur de l’enseignant à Marseille se dit «très fier» de son acte le jeune lycéen turc d’origine kurde qui a agressé à Marseille un enseignant juif à l’aide d’une machette, lundi 11 janvier, de vait être présenté dans la journée de mer credi à un juge antiterroriste en vue de sa mise en examen pour «tentative d’assassi nat aggravée en raison de l’appartenance à une religion et en relation avec une entre prise terroriste». Sa garde à vue n’aura duré que quarantehuit heures, contre un maxi mum prévu de quatrevingts heures en matière de terrorisme, en raison de son âge: il aura 16ans dans quelques jours. Le parquet a requis son placement en déten tion provisoire dans un établissement pour mineurs. Durant sa garde à vue, ce lycéen scolarisé en 2de dans un lycée professionnel des quar tiers est de Marseille s’est montré particuliè rement vindicatif. «Il a revendiqué son acte, dont il s’est dit très fier, explique une source proche de l’enquête. Il tient des propos cohé rents, particulièrement haineux à l’égard des juifs et des mécréants. Son seul regret est que sa victime ne soit pas morte. Il se présente comme un partisan de l’Etat islamique, qu’il a découvert sur Internet.» Le jeune homme, qui prétend avoir agi seul, aurait en outre évoqué son désir de partir en Syrie. L’enquête, confiée à la police judiciaire de Marseille, à la sousdirection antiterroriste (SDAT) et à la direction générale de la sécu rité intérieure (DGSI), devra déterminer s’il a effectivement tenté de rejoindre la Syrie. L’exploitation de son ordinateur n’a rien donné, mais celle de son téléphone a révélé qu’il avait consulté des sites djihadistes. Pendant son interpellation, le jeune homme a déclaré aux policiers «avoir agi au nom d’Allah et de l’organisation Etat islami que», avait rapporté lundi le procureur de Marseille. Il aurait également lancé: «Les musulmans de France déshonorent l’islam et l’armée française garde les juifs.» La radicalisation violente de ce lycéen était passée inaperçue de son entourage. Effon drés, ses parents, deux Kurdes originaires de Turquie arrivés en France il y a cinq ans, n’avaient rien vu venir, selon leurs déclara tions aux enquêteurs. Inconnu des services de police et de renseignement, le lycéen était plutôt bon élève et n’avait jamais ma nifesté de troubles psychologiques. p soren seelow ment». «Dans cette période où des fous circulent dans l’espace public, il serait préférable d’être plus dis cret, estimetil. Il y a d’autres fa çons de se couvrir la tête, avec une casquette par exemple». « Des gestes à adopter » Plus de discrétion «mais en aucun cas ne renoncer à ses propres con victions », tempère le grand rab bin qui assure «ressentir un climat très compliqué, une crainte ». A Marseille, où l’on porte très facile ment la kippa, plus qu’ailleurs en France, selon Ruben Ohana, ce dé bat sur le port de cet accessoire re ligieux est un véritable crè vecœur. «C’est un privilège de li berté religieuse et j’espère que la période n’est pas révolue», indique M. Ohana. Marseille est, selon le religieux, «un exemple du bien vi vre ensemble entre les différentes communautés qui constituent le paysage de la ville. Ce calme natu rel est un privilège à maintenir». Raison garder, c’est aussi l’appel lancé par Michèle Teboul, prési dente du CRIF Marseille Provence. «Il ne faut pas céder à la panique. Je conseille de porter une casquette pour cacher sa kippa. La décision appartient à chacun, selon ses con victions et son degré de peur.» Mi chèle Teboul préfère plaider pour un enseignement des rudiments de l’autodéfense: «Face à un cou teau, il y a des gestes à adopter, il faut les apprendre». LE CONTEXTE Depuis le 14 novembre2015, le parquet de Marseille a recensé 72 faits en lien avec les attentats de Paris, une proportion beaucoup plus élevée que sur le reste du territoire. L’apologie du terrorisme comme la glorification de l’organisation Etat islamique arrive en tête avec 21 faits. Selon le procureur de la République de Marseille, Brice Robin, on dénombre 7 menaces de crime proférées contre les militaires et les policiers et 3 provocations à la haine raciale. Concernant les violences exercées contre les personnes, deux ont un caractère islamophobe et trois un caractère antisémite. A Marseille, les juifs s’organi sent dans la discrétion pour assu rer une plus grande surveillance autour des cinquantedeux syna gogues et oratoires ainsi que des seize établissements scolaires confessionnels. «N’importe quelle synagogue, explique Ruben Ohana, met en place une protec tion à l’extérieur en plus de l’armée, qui n’est pas présente pour filtrer voire même barrer le passage à certains.» p cécile chambraud et luc leroux (à marseille) «Renonceràlakippaseraitnouspriverdenotrejudaïsme» Le président du Consistoire central, Joël Mergui, estime qu’il faut un mouvement de solidarité sur le thème «Touche pas à ma kippa» L ENTRETIEN e président du Consistoire central, Joël Mergui, évo quait la situation des juifs en France avec les représentants des consistoires locaux, mardi 12 janvier, au moment où le prési dent du consistoire de Marseille, Zvi Ammar, a incité ses coreligion naires à ne pas porter la kippa. Vous associezvous à l’appel du consistoire israélite de Mar seille à ne plus porter la kippa ? Je le comprends. C’est la réaction d’un chef de famille dont des en fants ont été blessés et qui prend des mesures pour protéger les autres. L’appel de Zvi Ammar re flète le malaise profond des juifs et le danger réel désormais de porter un signe lié au judaïsme. Ce désar roi traduit aussi un sentiment d’isolement qu’il faut rompre! Mais l’émotion d’un moment lié à un contexte local ne peut être la position générale du judaïsme français. La kippa est un des sym boles fondamentaux du judaïsme, et donc de la liberté de conscience. Il n’est pas question que les juifs qui veulent la porter y renoncent. Ce serait nous priver de notre ju daïsme. Les terroristes ne doivent pas avoir raison de notre mode de vie. Le problème, ce n’est pas la kippa, ce sont les terroristes. Si un jour le président du Consistoire central devait dire aux juifs de renoncer à la kippa, cela signifierait que la France n’est plus la France et que la place des juifs n’est plus en France. Qu’attendezvous des autres Français ? Qu’ils se sentent concernés. Qu’ils mesurent qu’il s’agit de la défense du principe même de la li berté de conscience. J’attends que la France soutienne la commu nauté juive en ayant conscience que nous soutenir c’est défendre la liberté de conscience pour tous. Depuis dix ans on a bien vu que s’attaquer aux juifs, n’est pas que le problème des juifs. On a d’abord brûlé nos synago gues et maintenant ce sont les églises qui brûlent. Après les Juifs on s’est attaqué aux militaires, aux journalistes, puis à des gens dans la rue, au restaurant ou au concert. Si les juifs devaient re noncer à la liberté de porter la kippa, tout le monde finirait par devoir renoncer aussi à la liberté, car si la liberté n’est pas totale, identique pour tout le monde, elle n’existe pas! J’appelle à un réveil, à un sursaut national de préservation de la li berté de conscience. Il ne faut plus séparer les libertés fondamenta les et les religions. Il ne faut plus que la religion en accord avec la République soit taboue. Il n’y aurait rien de contradictoire avec les valeurs laïques que des dépu tés, par exemple, portent la kippa. Ce serait même, dans le contexte actuel, un signe d’engagement, en attendant que cela devienne ba nal. Il n’est pas pensable qu’en dé mocratie porter un signe juif fasse de vous une cible potentielle, cela renvoie aux heures les plus noires de notre histoire. Le 11 janvier, il y a eu un vaste mouvement de solida rité avec « Je suis Charlie ». Aujourd’hui, il faut un mouve ment de solidarité sur le thème: «Touche pas à ma kippa». Ça veut dire «Touche pas à nos libertés». Etre en danger de mort pour l’exercice d’une liberté fondamen tale ne peut pas et ne doit pas lais ser indifférent. La solidarité qui s’est exprimée le 11 janvier 2015 était de cet ordrelà, de la rupture de l’isolement, du refus de l’indif férence sur le mode «pas touché, pas concerné». Comment a évolué l’état d’es prit des Français juifs depuis les attentats de janvier 2015 ? Il y a d’évidentes interrogations sur notre avenir en France. Beau coup de familles se posent la ques tion. On ne peut pas vivre dans la crainte, ni être obligé de choisir en tre sauver sa vie ou sauver son identité. Les deux vont ensemble. Le départ des juifs est une question qui doit se poser à toute la société française parce que cela signifie que des citoyens français ne sont plus sereins simplement parce qu’ils sont juifs. Le degré de séré nité de la communauté juive est un marqueur fondamental pour toute la société. Or aujourd’hui, elle n’est pas sereine. p propos recueillis par ce. c.