Actualité maritime L`élargissement du canal de Panama

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Actualité maritime L`élargissement du canal de Panama
Actualité maritime
L’élargissement du canal de Panama
Régis Menu
Secrétaire général de l’Institut Français de la Mer, membre de la Société de géographie
En hommage à André Vigarié1.
Brève histoire du Canal
Depuis 1552, l’idée de percer l’isthme unissant les deux Amériques a hanté de
nombreux esprits et séduit des tempéraments hardis, entreprenants ou industrieux. Ainsi
Charles-Quint, empereur du Saint Empire et roi d’Espagne, estimait qu’un tel canal pourrait
raccourcir les voyages à destination de l’Équateur et du Pérou.
Le 15 mai 1879 s’ouvre à la Société de géographie de Paris, sous la présidence de
Ferdinand de Lesseps, président du conseil d’administration de la Compagnie de Suez, le
Congrès international d’études du canal interocéanique qui devait durer deux semaines et
réunir cent trente-cinq participants, dont soixante-sept Français, notamment Gustave Eiffel.
La conclusion de ce congrès est la création en 1880 de la Compagnie universelle du canal
interocéanique de Panama (sur le modèle de celle du canal de Suez), dotée d’un capital de
600 millions de dollars, dont 300 proviennent d’un premier emprunt massivement souscrit par
des petits porteurs. Le coût de l’ouvrage est évalué par Ferdinand de Lesseps à 512 millions
de dollars, alors que le Congrès des États-Unis d’Amérique l’avait évalué à 1 milliard de
dollars.
Dès le début des travaux, il s’avère que les difficultés techniques avaient été largement
sous-estimées, en raison notamment de l’hydrographie et de la topographie des lieux,
provoquant de nombreux glissements de terrain. Aux rigueurs du climat, s’ajoutent les
maladies, la fièvre jaune et la malaria que l’on ne savait pas encore combattre, faute d’en
connaître le vecteur. La moyenne annuelle des décès entre 1880 et 1888 s’élèvera à 60 ‰. De
plus, des points de vue administratif et financier, la gestion de la Compagnie se caractérise par
une étonnante insouciance. La Compagnie lancera sept nouveaux emprunts ; l’enthousiasme
du début ayant disparu, aucun d’entre eux ne sera totalement couvert. En fait, une des raisons
de cet échec fut aussi l’entêtement de Ferdinand de Lesseps à vouloir construire un canal à
niveau sur le modèle de celui de Suez et non un ouvrage avec écluses qui aurait
considérablement réduit les volumes d’excavations et de déroctage. En faisant passer par trois
1
Dans le n° 121 du premier trimestre 2000 d’acta geographica, revue trimestrielle de la Société de
géographie, consacré entièrement à « la circulation interocéanique en Amérique centrale au
XXI e siècle », André Vigarié avait écrit un remarquable article : « Problèmes géopolitiques et
géostratégiques maritimes autour du Canal de Panama ». Le vice-président de l’IFM Bernard Dujardin
avait également participé à cette même livraison : « Le lien maritime Atlantique – Pacifique –
Problématique du Canal de Panama au XXIe siècle ». Ces 2 articles sont disponibles sur le site
internet de l’IFM dans la rubrique « Lu dans la presse ».
Décembre 2007
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La Revue Maritime N° 480
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écluses successives les navires à 26 m au-dessus du niveau de la mer, on évitait un énorme
terrassement. Ferdinand de Lesseps n’accepta qu’en 1887, le système à écluses proposé par
les ingénieurs Philippe Bunau-Varilla et Gustave Eiffel ; hélas il était trop tard. La Compagnie
fut déclarée en faillite fin 1888 et dissoute en mai 1889. Après bien des péripéties politiques
et, en application de la doctrine de Monroe qui considère l’Amérique Latine et les mers
adjacentes, comme « l’arrière-cour » des États-Unis, ceux-ci veulent signer avec la Colombie,
un traité leur accordant une concession à perpétuité sur le Canal et sur une zone adjacente de
10 milles terrestres de part et d’autre du tracé. Ils y exerceraient les pouvoirs de police et de
santé. Comme le Parlement colombien ne veut pas voter le traité proposé par le président
Theodore Roosevelt, les États-Unis soutiennent en 1903 la sécession de la province
colombienne de Panama en garantissant la souveraineté nationale à la nouvelle République.
Parallèlement, la propriété du Canal est cédée par la Compagnie universelle du canal
interocéanique de Panama aux États-Unis pour une somme de 40 millions de dollars.
Les origines de la fièvre jaune et de la malaria ayant été découvertes, des mesures de
prophylaxie rigoureuse sont prises entraînant la disparition rapide de ces deux fléaux. Un
médecin militaire américain a organisé, avant le début des travaux, une campagne
d’éradication des moustiques en répandant du pétrole sur toutes les nappes d’eau.
Les problèmes politiques, financiers et de santé réglés, les travaux reprennent
rapidement financés sur fonds publics et confiés à l’US Army Corps of Engineers. Près de
45 000 ouvriers évacueront, à l’aide de machines modernes, plus de 250 000 mètres3. Un
barrage sur le Rio Changres formera un lac artificiel de 432 km 2, le lac de Gatún. Un premier
jeu d’écluses (Gatún) amènera le navire venant de Colon (rive Atlantique), au niveau du lac
(26 m) ; deux autres jeux d’écluses (Pedro Miguel et Miraflores) le ramèneront au niveau du
Pacifique, à Panama.
L’un des plus grands défis de cette construction fut la tranchée Culebra de
12,5 kilomètres de long entre l’écluse de Pedro Miguel côté Pacifique et l’estuaire de la
rivière Changres sur le lac qui dut être creusée à la dynamite. La tranchée fut renommée
Gaillard le 27 avril 1915, en l’honneur du major David du Bose Gaillard du corps des
ingénieurs de l’armée américaine, responsable notamment de la section du milieu du Canal où
se trouvait cette tranchée. L’ingénieur militaire prit à cœur de réaliser la percée en dépit des
nombreuses difficultés. Il décéda le 5 décembre 1913 à 54 ans et ne vit donc pas l’ouverture
du Canal en 1914.
L’inauguration officielle a lieu le 15 août 1914, 12 jours après que l’Allemagne a
déclaré la guerre à la France et à la Grande-Bretagne. C’est à bord du SS Acon un vapeur de
10 000 tonneaux que le président panaméen et le secrétaire d’État américain traversent les
77 km du canal en 9 heures et 30 minutes. En raison du début de la Première Guerre
mondiale, le président Wilson a dû renoncer à y assister.
En 1977, est signé le traité Torrijos-Carter qui prévoit la rétrocession du canal. Le
31 décembre 1999 à midi, le canal est rétrocédé à la République de Panama. L’autorité du
canal de Panama (ACP) est chargée de la gestion, de l’entretien et de la modernisation du
canal.
L’impact sur le commerce maritime de la construction du canal dans l’isthme, à
l’endroit le plus étroit entre la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique a été considérable. Les
navires n’ont plus besoin de faire route par le cap Horn ou par le passage de Drake à la pointe
australe de l’Amérique du Sud. Un navire allant de New York à San Francisco par le canal de
Panama parcourt 9 500 km, moins de la moitié des 22 500 km d’un voyage par le cap Horn.
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Le fonctionnement du canal
Il est important de connaître le système de fonctionnement du canal pour comprendre
son projet d’élargissement. Le canal de Panama est un canal à écluses dont le transit total
depuis l’entrée côté Pacifique jusque la digue du côté mer des Caraïbes (océan Atlantique) est
de 76,5 km de long. C’est le point le plus étroit de l’isthme de Panama et du continent
américain. Depuis son ouverture en août 1914, 825 000 navires l’ont traversé.
Les jeux d’écluses du canal, de deux voies chacune, fonctionnent comme des
ascenseurs d’eau, chacune élève les navires à 26 mètres au-dessus du niveau de l’océan,
permettant ainsi la traversée au niveau de la division continentale, pour ensuite redescendre de
l’autre côté de l’isthme. L’eau du lac de Gatún est utilisée pour élever et descendre les navires
dans chaque écluse. Pendant les éclusages, les portes ferment et l’eau est drainée par la gravité
qui la pousse de haut en bas. Chaque éclusage utilise environ 197 000 mètres3 d’eau douce,
qui coulent ainsi vers la mer.
Toutes les manœuvres sont dirigées d’un bâtiment de contrôle situé dans la chambre
supérieure de chacune des trois écluses. Les navires utilisent leur propre propulsion au long
des écluses, mais ils sont amarrés par des locomotives électriques, qui se déplacent sur des
rails, et qui doivent les maintenir en position fixe à l’intérieur des sas. Les dimensions des
navires déterminent la quantité de locomotives à utiliser pendant la traversée, soit quatre, soit
huit locomotives.
Le lit de 12,5 km de la tranchée Gaillard est l’endroit le plus étroit du canal. Il
représente 15 % de la longueur totale de ce dernier. Des travaux menés dans la période 20002002 ont permis de l’élargir de 152 à 192 m dans sa partie rectiligne et jusqu’à 222 m dans les
virages.
Contexte international du transport maritime
Du fait de son actuelle configuration, le passage du canal est limité aux navires dit
« Panamax », c’est-à-dire ayant une longueur maximale de 295 m, une largeur hors tout de
32,25 m, et un tirant d’eau maximal de 13,50 m, soit un port en lourd maximal d’environ
65 000 tonnes. Les plus gros porte-conteneurs ont une capacité moyenne de 4 250 conteneurs
EVP (équivalent vingt pieds)2.
Aujourd’hui, 90 % des marchandises du commerce international empruntent la mode
maritime. Ce mode de transport reste le plus sûr et le plus économique, le coût moyen de plus
de 20 tonnes de marchandises transportées en conteneur de vingt pieds de l’Asie vers
l’Europe est pratiquement équivalent au prix du billet d’avion en classe économique pour un
seul passager sur le même parcours. L’augmentation du coût de construction des navires
observée actuellement, ainsi que celle du prix du pétrole pénalise fortement les trop longs
parcours maritimes.
Malgré cela, le développement des échanges de produits manufacturés, la demande de
matières premières et le rôle croissant des économies d’Asie du sud ont entraîné une forte
croissance du transport maritime. Le commerce mondial de marchandises n’a jamais été aussi
florissant, avec un accroissement moyen annuel de 5 %, du jamais vu depuis trente ans (en
2005, il a progressé de 6,6 %).
2
Le gabarit Panamax a cru au fil des ans. En jouant sur le creux du navire, en amincissant la double
coque, en réduisant la taille du château, en chargeant sur la plage arrière, la capacité maximale est
passée de 3 000 EVP en 1971 à 5 100 en 2005, mais les plus gros navires ne peuvent être chargés à
bloc que si la pontée est faite de 80 % de conteneurs vides. NDR
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Le boom du prix de l’ensemble des matières premières et le rôle croissant de l’Asie
dans l’économie mondiale, l’émergence de nouvelles puissances économiques comme la
Chine, l’Inde ou le Brésil ont poussé à la création de nouvelles offres de ligne, notamment
dans les océans Indien et Atlantique. En 2005, les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine
ont vu leurs exportations progresser de plus de 25 %. Un tel changement géoéconomique a
bouleversé la donne pour le secteur du transport maritime.
Au cours des quatre prochaines années, la flotte mondiale de cargos devrait s’accroire
de 56 % compte tenu des commandes passées depuis trois ans par les armateurs. Ceci
n’empêchera pas le mouvement actuel de consolidation de se poursuivre, car parallèlement,
de nombreux navires iront à la démolition en raison des contrôles par les États du port, qui
exigent des armateurs toujours plus de respect des normes de sécurité internationales.
Les raisons et les modalités de l’élargissement du canal
Comme il a été indiqué ci-dessus, les conditions économiques ont changé depuis la
construction du canal, « la plus belle œuvre d’ingénierie du vingtième siècle » selon Gustave
Eiffel. L’an dernier le canal a vu transiter son millionième navire. Si son succès commercial
ne se dément pas (12 515 navires l’ont emprunté en 2004, ce qui génère un chiffre d’affaires
de 1,2 milliard de dollars), il doit faire face à plusieurs défis de taille.
Le transport maritime international croît parallèlement à la croissance du commerce
mondial. On estime que l’évolution du trafic porte-conteneurs quadruplera dans les
20 prochaines années. Le canal voit actuellement transiter un peu plus de 5 % du commerce
mondial, mais il est proche de sa capacité maximale et devrait arriver à saturation entre 2009
et 2012. Aujourd’hui, des navires sont en attente de transit de chaque côté de l’isthme.
Les armateurs affrètent désormais des navires de plus en plus importants. Les porteconteneurs océaniques « Post-panamax » vise aujourd’hui une capacité de 11 000 conteneurs,
voire plus. Ainsi les chantiers asiatiques ont livré, le 16 mai 2006 à la CMA-CGM, le
CMA-CGM Fidelio de 349 m de long capable de transporter 9 415 EVP en faisant, à cette
date, le plus grand porte-conteneurs français 3 en service. De même les plus gros porte-avions
américains ne peuvent passer par le canal.
La Chine et d’autres pays d’Asie ont mis en chantier des centaines de navires pour
satisfaire la forte croissance de leurs exportations. Or, 40 % de l’activité du canal est réalisé
grâce aux exportations asiatiques à destination de la côte est de l’Amérique du Nord, en
croissance de 15 % par an. Si le canal ne peut recevoir de navires de dimensions plus
importantes, il risque alors de voir ce nouveau marché lui échapper et perdre une part
significative de ses revenus. L’élargissement est une question de survie, pour le pays. La
manne financière du Canal contribue à environ 19 % du PIB du pays, à 41 % des exportations
et surtout à 30 % de ses recettes fiscales. Plus de 10 000 personnes y sont employées tandis
que des dizaines de milliers d’autres en vivent indirectement.
Un autre problème, lié au canal lui-même, est son approvisionnement en eau en raison
de la baisse du niveau moyen du lac de Gatún, due en grande partie à la déforestation. Bien
qu’il y ait assez de précipitations pour renouveler l’eau utilisée chaque année, la saison sèche
impose de stocker de l’eau. La forêt tropicale a traditionnellement joué un rôle en absorbant
l’eau et en la relâchant progressivement dans le lac. La végétation se réduisant, les eaux
pluviales s’écoulent plus rapidement dans le lac puis dans les océans. Les produits d’érosion
s’écoulent aussi plus rapidement et s’accumulent au fond du Lac, réduisant ainsi sa capacité.
3
Le Cosco Guangzhou de 9 949 EVP a été mis en service le 25 février 2006 et l’Emma Mærsk de
11 000 EVP (conteneurs chargés à 14 tonnes) voire de 13 000 EVP plus complètement chargé, le
8 septembre 2006. NDR
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Les travaux d’élargissement
Un contexte politique favorable
Le canal est en passe d’être saturé, notamment en raison de son gabarit qui ne répond
plus aux normes de navires toujours plus gros. Son élargissement devient une nécessité. Des
travaux ont certes été effectués depuis la rétrocession, notamment l’achat de nouvelles
locomotives et de nouveaux remorqueurs, et un système de positionnement par satellite a été
installé afin d’améliorer la circulation des navires au sein du canal.
En 2004, pour répondre aux défis du XXIe siècle, Martín Torrijos, président de la
République de Panama et fils d’Omar Torrijos signataire en 1977 avec Jimmy Carter, alors
président des États-Unis de l’accord de rétrocession, annonçait dès son élection, son intention
d’élargir le canal. Il tenait ainsi une des promesses qui fut un des thèmes de sa campagne
électorale, à condition que ce projet soit approuvé par référendum par le peuple panaméen,
après avis de la Chambre des députés.
Le 15 mai 2006, à la Société de géographie, était organisée, à l’occasion d’une tournée
de promotion de l’élargissement du canal, une séance solennelle consacrée à cette perspective.
À cet événement, ont participé, outre Samuel Lewis Navaro, premier vice-président de la
République de Panama et ministre des relations extérieures, Omar Jaén Suárez, ambassadeur
de la République de Panama en France et Alberto Alemán Zubieta, administrateur de l’ACP,
suivi d’un débat autour d’André Vigarié.
Le dimanche 22 octobre 2006, près de 78 % des Panaméens ont plébiscité le projet
d’agrandissement du canal par voie de référendum. Il convient de noter que, le taux
d’abstention – 56 % sur l’ensemble du scrutin – a été particulièrement important dans les
régions à forte population indigène et dans les provinces les plus pauvres : Bocas del Toro
(62 %), Darién (66 %) et Colón (65 %), cette dernière étant la porte d’entrée atlantique du
canal. De nombreux Panaméens croient, en effet, ne pas avoir bénéficié du transfert de
propriété entre les États-Unis et le Panama.
Les modalités des travaux d’élargissement du canal
Une nouvelle page dans l’histoire mouvementée du Canal interocéanique s’ouvre à
présent. Présenté comme « le meilleur concept » par l’administration du canal, le projet
proposé par le consortium franco-belge Coynes-Bellier, a été retenu pour la première tranche
d’élargissement. Estimé à 5,25 milliards de dollars (4 100 millions d’euros), ce chantier prévu
d’une durée de 8 ans va pouvoir débuter.
Il va inclure trois principales composantes :
- une voie additionnelle d’écluses séparées par deux jeux d’écluses, de trois niveaux, affectés
chacun d’un bassin de rétention d’eau ;
- des voies d’accès aux nouvelles écluses, l’élargissement et l’approfondissement de l’actuel
chenal de navigation ;
- l’augmentation du niveau maximal d’utilisation du lac de Gatún4.
Un jeu d’écluses sera du côté Pacifique, au sud-ouest de l’actuelle écluse de
Miraflores. L’autre jeu d’écluses se situera à l’est de l’actuelle écluse de Gatún. Chaque jeu
d’écluses aura trois niveaux de sas. La configuration sera similaire à celle de l’actuelle écluse
de Gatún. Le projet créera une nouvelle voie de chaque côté pour permettre le transit de
navires d’une largeur maximale de 49 m, d’une longueur maximale de 366 m et d’un tirant
d’eau de 15 m soit pour des navires d’un tonnage maximal de 170 000 tonnes de port en lourd
4
À 27,1 mètres d’altitude. NDR
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(permettant à des porte-conteneurs de 12 000 EVP de traverser l’isthme) 5. Le canal élargi aura
une capacité maximale d’environ 600 millions de tonnes par an, suffisant pour répondre à la
demande au-delà de 2025.
Le canal continuera à fonctionner normalement durant la construction du troisième jeu
d’écluses et les écluses actuelles continueront de fonctionner après la mise en opération du
troisième jeu d’écluses. Les sas des écluses seront d’une longueur de 427 m, d’une largeur de
55 m et d’une profondeur de 18,3 m. Chacun disposera d’un bassin de récupération de l’eau
de sassage permettant par pompage d’économiser jusqu’à 60 % de l’eau utilisée à chaque
transit. Le projet comprend la construction de neuf bassins pour chaque jeu d’écluses. Chaque
bassin sera approximativement d’une largeur de 70 m et d’une profondeur de 5,5 m.
Les impacts environnementaux et sociaux ont été intégrés au projet
Signataire des principes environnementaux reconnus internationalement et établis par
le pacte mondial des Nations unies, Panama va mettre en application dans la construction de
l’élargissement du canal, les meilleures pratiques environnementales et les principes du
développement durable.
En ce qui concerne :
- l’impact sur l’eau : les lacs de Gatún et d’Alhajuela (sources principales d’eau potable pour
les villes de Panamá et de Colón) maintiendront leur capacité de fournir de l’eau douce aux
agglomérations côtières. L’ACP économisera l’eau grâce aux bassins de recyclage. Les eaux
troublées par les opérations de dragage seront localisées et seront temporaires.
- l’impact sur la flore et la faune : le projet n’affectera pas les forêts primaires ni les zones
protégées ou les zones d’intérêt scientifique. Les forêts secondaires pourront être affectées,
mais l’ACP s’est engagée à des compensations en protégeant certaines zones riches par leur
biodiversité ou en finançant un programme de repeuplement par des espèces endémiques. Le
projet ne portera pas atteinte aux espèces sauvages répertoriées. Avant le début des travaux,
des mesures sont prises pour sauvegarder la faune sauvage.
- l’impact sur les ressources archéologiques et paléontologiques : l’ACP a réalisé des études et
identifié une zone de l’ère historique précolombienne qui sera sauvegardée. Durant la
construction, des mesures seront prises pour prévenir la destruction des sites d’intérêt qui
viendraient à être mis au jour.
- le climat global et le projet d’élargissement du canal : le gouvernement du Panama considère
que le projet peut avoir un effet positif dans le climat en aidant à réduire les émissions de
carbone dès lors que la route maritime consomme moins de combustibles par tonne de
chargement que d’autres routes alternatives.
L’ACP et l’Autorité nationale de l’environnement ont prévu d’inclure dans le projet
d’élargissement un mécanisme de développement propre qui pourrait lui donner le droit de
recevoir un certificat de réduction des émissions.
- l’impact économique et social : le projet créera entre 35 000 et 40 000 emplois dont 7 000
seront directement liés aux travaux d’élargissement. Mais la majorité des emplois seront le
fait de la création d’activités liées au transport maritime. En effet, parallèlement, à
5
Il n’est pas évident que le dessin des écluses permette la traversée des porte-avions de l’US Navy. Si
leur longueur hors tout de 333 m et leur tirant d’eau de 11,3 m sont compatibles avec le projet, leurs
baux au pont de 76,8 m pour la classe Nimitz et de 78 m pour la future classe Ford, pour un bau à la
ligne de flottaison de 40,8 m, préjugent de leur compatibilité avec le nouveau système de sas. On peut
penser que le gouvernement américain est intéressé à s’assurer auprès de l’ACP de cette future
compatibilité qu’aucun document public ne confirme ou n’infirme. Le Charles de Gaulle à titre de
comparaison fait 261,5 m de long et… 64 m de large au niveau du pont d’envol. NDR
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l’élargissement du canal, il va être édifié, grâce à des investissements étrangers, notamment
américains et asiatiques, à une vingtaine de kilomètres de la ville de Panama un nouveau port
à Farfán sur plus de 20 hectares, avec un terminal à conteneurs qui vise dans les prochaines
années à s’imposer comme une plate-forme logistique majeure de l’Amérique Latine. Cette
nouvelle infrastructure, d’un coût d’un milliard de dollars, viendra renforcer les terminaux à
conteneurs du port de Colón, sur la côte Atlantique, détenu par Evergreen Marine Corp.
(Colon Container Terminal) et Hutchinson Port Holdings - HPH (Colon Port Terminal), port
disposant également d’un terminal croisières. Sur la côte Pacifique, HPH exploite également
le Panama Port Terminal, alors qu’Alireza Mobil Terminals SA opère le terminal pétrolier
Rodman Pier. Les différents opérateurs prévoient d’investir plus de 800 millions de dollars
dans leurs installations.
Conclusion
À plus long terme, si le taux de fonte des glaces de l’océan Arctique se poursuit, la
communauté internationale pourrait spéculer sur les difficultés que pourrait rencontrer le
niveau de transit par le canal de Panama, comme par le canal de Suez. En effet, ce phénomène
conduit à plusieurs spéculations sur l’utilisation de deux passages :
- la « route du Nord-Ouest » correspond à la route suivie au début du XXe siècle par
l’explorateur norvégien Ronald Amundsen dans l’océan Arctique au nord du Canada ;
- la « route du Nord-Est6 » correspond à la route suivie en 1879 par le Suédois Nordenskjöld
dans l’océan Arctique au nord de la Russie et de la Sibérie.
Si ces passages deviennent viables à moyen terme, leur utilisation fera économiser
environ 4 000 milles à la route Japon – Europe par rapport au passage par le canal de Panama,
conduisant à un report possible du trafic vers cette route pendant une partie de l’année. Ainsi
le trajet Londres – Yokohama est de 12 600 milles par Panama et de 8 600 milles par la route
du Nord-Ouest. Au 1 er mai 2007, le tarif du passage par le Canal est de 2,9 dollars la tonne
Panama7 ou de 54 dollars l’EVP pour un porte-conteneurs. En 2004, le prix moyen facturé
par navire est de 96 000 dollars8. Par contre, pour le trajet Qing-Dao (Chine) - Québec, la
distance de 10 800 milles est la même par les deux routes et la différence serait le coût de
transit par le Canal, plus l’éventuelle immobilisation du navire avant son franchissement
évalué à 35 000 dollars par jour.
Nous sommes cependant encore dans le domaine de la science-fiction, tant les
problèmes à résoudre avant l’ouverture des routes du Nord sont nombreux. Les navires ne
pourraient utiliser ces passages que quelques mois par an, avec le risque de rencontre avec des
petits icebergs, qui peuvent nécessiter l’escorte de brise-glace. Ce passage se ferait à vitesse
réduite, compte tenu de la difficulté de la navigation, ce qui intéresserait moins les porteconteneurs qui ne peuvent se permettre de prendre aucun retard. Ces passages risquent de
n’être utilisés que par des transporteurs de pondéreux (minerais, hydrocarbures) pour qui le
prix importe davantage que le délai de livraison. Ce sont, de plus, des navires à risque, si l’on
6
Cette route arctique est courte : 6 600 milles entre Hambourg et Tokyo contre 11 400 milles via Suez
et 18 600 milles via Le Cap ; 6 980 milles entre Rotterdam et Vancouver contre 8 920 milles via
Panama. NDR
7
La tonne Panama est l’unité de mesure utilisée pour la facturation des navires qui franchissent le
canal. Elle est calculée (tout comme la tonne Suez) sur la capacité marchande effective et utilisée du
navire… ce qui permet de moins taxer les navires de guerre, notamment ceux de l’US Navy.
8
Ce montant est à comparer avec le prix moyen facturé par navire à Suez qui est de 196 000 dollars en
2004. Or le coût de transit d’un Panamax de 4 250 EVP est de 246 000 dollars à Panama et de
245 000 dollars à Suez. La différence vient du fait qu’en 2004, le tonnage moyen par navire est de
21 300 tonnes à Panama et de 36 900 tonnes à Suez.
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prend en compte la matière potentiellement dangereuse transportée et les problèmes
d’environnement dans une nature encore vierge. Personne n’ose imaginer la catastrophe
écologique que pourrait provoquer le moindre incident.
Il reste également à résoudre le problème de la navigation par ces deux routes. La
Russie et le Canada estiment que ces voies relèvent de leurs eaux territoriales, et qu’en cas de
catastrophe écologique, ils seraient seuls à en assumer les conséquences. De leur côté, les
États-Unis et l’Union européenne affirment qu’elles relèvent des eaux internationales 9.
Le canal de Panama, après son élargissement prévu pour 2015, aura encore de beaux
jours devant lui. Beaucoup d’armateurs préféreront la sécurité du canal, malgré le coût du
passage, à l’aventure que représentera, s’il s’avère possible, le passage par les routes du Nord.
Le 3 septembre 2007, le lancement des travaux d’élargissement du Canal de Panama a
été marqué par une explosion et non par la pose d’une première pierre. Le Président Martin
Torrijo a fait détonner une charge de quinze tonnes d’explosif qui a entamé le morne Cerro
Paraison, réduisant sa hauteur de 136 mètres d’un tiers. Cette cérémonie s’est déroulée en
présence de Jimmy Carter ainsi que des présidents du Honduras, de la Colombie, du
Nicaragua et du Salvador.
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Ces eaux doivent être au regard de la Convention de Montego bay, soit des eaux internationales
incluses ou non dans les zones économiques exclusives (au-delà de 12 milles), soit des eaux
territoriales. S’y appliquent en conséquence l’article 17 - Droit de passage inoffensif : Sous réserve de
la Convention, les navires de tous les États, côtiers ou sans littoral, jouissent du droit de passage
inoffensif dans la mer territoriale, et l’Article 22 - Voies de circulation et dispositifs de séparation du
trafic dans la mer territoriale :
1. L’État côtier peut, lorsque la sécurité de la navigation le requiert, exiger des navires étrangers qui
exercent le droit de passage inoffensif dans sa mer territoriale qu’ils empruntent les voies de
circulation désignées par lui et respectent les dispositifs de séparation du trafic prescrits par lui pour la
régulation du passage des navires.
2. En particulier, les navires-citernes, les navires à propulsion nucléaire et les navires transportant des
substances ou des matières radioactives ou autres substances intrinsèquement dangereuses ou nocives
peuvent être requis de n’emprunter que ces voies de circulation.
3. Lorsqu’il désigne des voies de circulation et prescrit des dispositifs de séparation du trafic en vertu
du présent article, l’État côtier tient compte :
a) des recommandations de l’organisation internationale compétente ;
b) de tous chenaux utilisés habituellement pour la navigation maritime internationale ;
c) des caractéristiques particulières de certains navires et chenaux ; et
d) de la densité du trafic.
4. L’État côtier indique clairement ces voies de circulation et ces dispositifs de séparation du trafic sur
des cartes marines auxquelles il donne la publicité voulue. NDR
Décembre 2007
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La Revue Maritime N° 480
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