Le seuil de l`autre monde
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Le seuil de l`autre monde
Quinzième ► Secousse François Boddaert Le seuil de l’autre monde Tout venant de Jean-Pierre Chambon (Héros-Limite éditeur, 2014) C’est une poésie des choses vues, que le titre (Tout venant) dit assez précisément. Tous brefs (excédant rarement 8 vers), ces textes non ponctués s’approchent du haïku par leur concision, le resserrement sur l’objet du poème : petit fait vrai, pensée fugitive ressaisie, vision furtive, ou simple et pure sensation mise en vers. On connaît la phrase mélancolique de Jean-Pierre Chambon ‒ phrase ou phrasé (rythme et harmonie) ‒ souvent parleuse et qui se coule en épousant une versification complexe où le renvoi à la ligne est intrinsèquement confondu avec une ponctuation interne absente, très souvent réduite au seul point final. Mais ce livre-ci, qui garde quelque chose de cette légère morosité coutumière au poète, sauve le quotidien pléonasmiquement banal ‒ scruté dans l’épaisseur de sa banalité ‒ par l’humour constant, et très finement manié : En suspens entre le bord de la table et la main inutile et vaincue la cruche la cruche la cruche sur le carrelage éclate. On est loin, soudain, de l’alexandrin fréquent des amples poèmes du Roi errant (1995) ! Dans ce Tout venant, le poète retrouve la formulation elliptique d’une prosodie venue de l’ancien « Chant taciturne » de Territoire aveugle (1990), ou de la petite suite « L’approche du delta » qui clôt Le roi errant. Et ce qui est venu jusqu’aux pages de ce livre, tout ce non trié de la vie comme elle va (comme un léger fatras ou un moderne keepsake) compose ce mélange poétique ‒ pour un peu aléatoire, quant à la variété de l’inspiration tout au moins. C’est donc à proprement dire un recueil que Jean-Pierre Chambon nous propose, un livre de ses humeurs et regards changeants ; le monde y est perçu aussi bien à l’envers qu’à l’endroit, dans ses évidences matérielles (balançoires, arbres morts, galets…) et ses secrets les plus hermétiquement (et définitivement ?) scellés où le poème, comme une lame, tente de s’insinuer pour l’entrouvrir. Ce que dit, à sa manière initiatique, le premier poème : Au fond de la forêt obscure je soulève une branche morte dans le creux qu’a laissé son empreinte des gouttelettes de poix résineuse bordent d’une dentelle luisante le seuil de l’autre monde. 1 François Boddaert ► Le seuil de l’autre monde Quinzième ► Secousse Il est vrai que l’aventure est au coin de la rue, dans l’instant d’un battement de cils, dans la perception non commune de ce qui semble ordinaire au premier abord (leçon des surréalistes) : Cette porte n’est pas une porte précise l’affichette apposée contre la porte dépourvue de poignée à l’extrémité du couloir. Et puisque j’ai évoqué précédemment la tradition du haïku (manière aussi de montrer la variété des us et méthodes prosodiques de Jean-Pierre Chambon), il est inévitable d’en apporter la preuve : Penchée au-dessus de l’eau sur l’escalier qui s’enfonce dans le lac une femme tend le secours d’une brindille à un papillon empêtré dans le reflet des nuages. 2