Itinéraire d`une Chef de service en ITEP.

Transcription

Itinéraire d`une Chef de service en ITEP.
La part de soi
L’auteur est Chef de Service dans un Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique (ITEP) qui accueille des adolescents intelligents
troublés par le dysfonctionnement de leur comportement.
Son sujet : l’adolescent en difficulté et les équipes qui en ont la
charge.
Il s’agit d’un récit singulier qui se décline en une série d’instantanés
pris sur le vif qui alterne dans un fondu-enchaîné, expériences de vie
à caractère personnel et situations professionnelles.
L’auteur s’attache à repérer, identifier, développer et border la substance même des concepts de travail : la place de l’éducateur face à
l’enfant, le travail avec les familles, la recherche de l’équilibre dans
une équipe… Le langage simple et fluide ne négocie en rien avec un
fond scrupuleusement fouillé.
Toujours juste, sensible, un brin poétique ce livre parle à chacun
d’entre nous en tirant des fils entre les « savoir-faire » et le « savoir
être ».
Marie-Hélène Contestin-Bertin
Itinéraire d’une Chef de Service en ITEP
Itinéraire d’une Chef de Service en ITEP. La part de soi
Collection Les savoirs et les savoir-faire de l’éducateur spécialisé
Marie-Hélène Contestin-Bertin est éducatrice depuis 1976. Tout
d’abord monitrice éducatrice puis éducatrice spécialisée, elle assume
aujourd’hui la fonction de Chef de Service dans un ITEP depuis
1995.
ISBN : 2-913376-86-X
14 €
Marie-Hélène Contestin-Bertin
Itinéraire
d’une Chef de Service en ITEP
(Institut Thérapeutique
Éducatif et Pédagogique)
La part de soi
CHAMP SOCIAL ÉDITIONS
CS
COLLECTION LES SAVOIR-FAIRE DE L’ÉDUCATEUR SPÉCIALISÉ
Déjà parus :
Jeunes en souffrance, August Aichhorn, traduit de l’allemand par Marc
Géraud, préface de Sigmund Freud
Le trouble du comportement. Position du sujet et évolution des pratiques au
regard de la nouvelle législation, sous la direction de Association des Instituts
de rééducation (AIRe) et du Groupement des Instituts médico psychologiques (IMP 140, Belgique)
Jeunes en difficultés psychologiques. Penser, parler, agir en Europe, sous la direction de Association des Instituts de rééducation (AIRe) et du Groupement des
Instituts médico psychologiques (IMP 140, Belgique)
De la rééducation à la construction de soi : enjeu d’une société en quête de sens,
sous la direction de Association des Instituts de rééducation (AIRe)
De l’Acte à la Parole… Des Paroles aux Actes, sous la direction de l’Association des
Instituts de rééducation (AIRe)
Intégration scolaire et insertion socioprofessionnelle, sous la direction de
l’Association des Instituts de rééducation (AIRe)
Interdit(s) et destin, sous la direction de l’association départementale du Nord
pour la sauvegarde de l’enfant et de l’adulte (ADNSEA)
La maison d’édition reçoit le soutien
de la Région Languedoc-Roussillon
En couverture, photographie de Olivier Ferrer
© Champ social éditions, 2006
Champ social éditions – 34bis, rue Clérisseau – 30000 NÎMES
Courriel : [email protected] – site Internet : www.champsocial.com
Diffusion Les Belles Lettres
ISBN : 2-913376-86-X
Marie-Hélène Contestin-Bertin
Itinéraire d’une Chef de Service en ITEP
(Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique)
La part de soi
À Léonie, Noan, Maïa
et autres petites Princesses et petits Princes à venir…
« Vivre dans un monde où les réponses aux questions peuvent être si
nombreuses et si valables, voilà ce qui me fait sortir du lit et
enfiler mes bottes tous les matins. »
Sue Hubbel
Une année à la campagne
éd. Gallimard, 1988
Remerciements
Nombreux sont ceux et celles qui ont involontairement porté du grain
à moudre au moulin de mon écriture, qu’ils soient ici remerciés pour la
bonne idée qu’ils ont eue, enfants et adultes, de faire où de croiser ma
route. La plupart d’entre eux sont responsables de ma façon de considérer le monde.
Il en est cependant certains que j’aimerais remercier plus particulièrement.
Bernard l’éditeur, pour son indéfectible confiance qui m’a porté tout au
long de ce travail ; je n’aurai eu ni l’idée, ni le courage de me lancer
dans ce type d’entreprise, sans son solide soutien.
Bernard, directeur de l’ITEP des Garrigues a cautionné l’entreprise, il
m’a accordé d’emblée sa confiance.
Catherine, Évelyne, Roland et Marie-Claude chargés de valider mes
balbutiements d’apprentie m’ont encouragé à poursuivre cette exaltante et laborieuse activité.
Clémence, ma fille cadette, a accepté la tâche ingrate de lire et de relire
attentivement le manuscrit afin de l’alléger de ses erreurs d’orthographe
et de ponctuations.
Laurie, Clémence, Romaric et Olivier se sont lancés dans un concours
photographique pour offrir une couverture originale à l’ouvrage.
Anne-Lise, ma fille aînée, n’a pas directement participé à cette entreprise, trop occupée à transmettre à sa progéniture ce qu’elle a de plus
précieux et qui me porte aussi, le fait d’exister tous les jours avec un rare
bonheur.
Patrice, mon compagnon de route a supporté mes longues échappées et
mes grands silences.
Jo et Jean ont abrité une retraite des plus productive.
Je leur suis reconnaissante à tous.
-9
Il n’y a qu’une issue
Il n’y a qu’une issue, plonger ! Plonger suffisamment longtemps,
plonger suffisamment profond, rechercher quelques fragments,
quelques morceaux, les remonter, m’assurer de leur état et faire le choix
de la branche sur laquelle je peux les accrocher, les visser. Ce sentier va
confiner à l’étroitesse, au resserrage, il va se cogner, se tordre…
Je n’ai trouvé que ce passage, dans l’entre-deux, l’entre trois… Je
me suis dit : restes simple, fais en sorte que l’ouvrage soit accessible à
tout un chacun, pars du quotidien et raccroche sur l’histoire, la tienne,
celle des autres, de tous les autres.
Quand l’éditeur m’a proposé de participer à la collection Les
savoir-faire de l’éducateur spécialisé, je suis restée un peu sonnée, sidérée
serait même plus juste.
J’ai trimballé cette idée en rentrant chez moi et mon premier
réflexe, idiot peut-être mais le fait est là, a été celui de la ménagère d’un
peu plus de cinquante ans, toujours en activité professionnelle qui
s’évertue à concilier inlassablement la consommation conséquente d’activités choisies ou subies et la recherche de temps, pour ne rien faire, se
poser.
Deux de mes filles sont déjà autonomes et la troisième s’apprête à
quitter la maison, ce qui est censé limiter mes obligations ménagères.
Lundi. Panier de légumes, service appartement, épluchage, cuisine. Vingt une heure.
Mardi. Dix huit heure, ménage, repassage… si j’ai le courage,
vingt heures !
Mercredi après-midi. Repos. Cette année, justement, j’ai décidé
de reprendre une activité sportive !
Jeudi. Dix sept heure trente. Courses. Dix neuf trente. Soirée
plus tranquille.
Vendredi. Journée élastique. Affaires à régler impérativement, a
tendance à s’étirer dangereusement.
- 11
Soirée… Parenthèse de paradis, partition du réconfort, chant du
silence en apesanteur au-dessus des sirènes d’alarme. La soirée est occupée par un cœur à chœur. Ma respiration hebdomadaire, mon bain
d’humanité sans question et sans souffrance je le garde ! Je préfère le
terme ensemble vocal au mot chorale, peu importe le vocable, cette
activité passion participe de façon vitale à mon équilibre.
Si je complète le tableau, somme toute banal pour une femme en
activité, en saupoudrant largement les soirées de la semaine par
quelques autres engagements associatifs et en amputant trop régulièrement les samedis par les astreintes liées à la fonction… !
Quels moments me reste-t’il ?
Les week-ends !
Le programme du premier trimestre est déjà très encombré par
plusieurs invitations. Je dois aller voir ma mère, maintenant seule, plus
régulièrement que je ne l’ai fait jusqu’alors. Avec mon mari nous avons
convenu qu’il était plus que temps de bouger nos carcasses. Nous avons
déjà projeté quelques idées de grandes balades.
12 -
Alors, écrire un livre, même petit !
Où se cachaient les heures de calme, de solitude, de concentration, indispensables à ce type d’entreprise ? À quel endroit et sous
quelle pile, vais-je trouver les précieuses ?
Une fois la première question posée, non résolue, je passai à la
deuxième. Que dire et comment le dire ?
Je me sais fort capable de parler de mon travail qui, qu’elle que
soit sa forme, m’a toujours passionné, mais je me sens bien incapable
de transcrire de longues pages sur l’éducation spécialisée. Je ne suis
pas une théoricienne et je ne manipule pas les concepts avec le brio
des intellectuels. Je n’ai même pas leur langage, ce dont j’aurai plutôt
tendance à me féliciter, les langages très mode ou très complexes qui
imperméabilisent leur vocabulaire pour ne s’adresser qu’à un groupe
d’initiés, m’agacent !
Je suis une lectrice assidue, j’aime les mots, ceux qui parlent, ceux
qui résonnent et qui tintannibulent, je sais aussi apprécier le galbe
d’une phrase mais tout cela ne fait pas de moi un écrivain ! Le lecteur
fait partie d’une race intéressée, curieuse, attentive, exigeante. Il va me
pousser à la recherche et à défaut de le nourrir de théories, que puis-je
lui offrir ?
Je suis restée – souffrante – de longues semaines.
Que dire ?
Des mots ! Des mots à la queue leu leu, des mots qui se suivent,
qui tentent de se dire, et pour dire quoi ? Pourquoi cet obscur désir de
demeurer ? Trace pour les idées ? Trace pour l’objet ? Traces pour la
trace ?
Je ne suis pas dupe, rien n’est gratuit et surtout pas celui de se
dire. Sensation vertigineuse du vide, vide de moi, vide de mots, vide
des mots. Je ne sais plus rien. J’abandonne.
Je n’ai rien à dire.
Si. Je n’ai qu’une chose à dire, juste une, c’est le titre d’un livre
dont j’ai rêvé. Je n’ai d’ailleurs rêvé que le titre, il n’y a pas d’introduction, pas de chapitres, pas de déroulement ni de conclusion, un titre
c’est tout :
« Ma crasse est aussi sale que la vôtre ! »
Voilà. Quand j’ai dit cela, j’ai tout dit et je n’ai plus rien à dire.
« Lâche ! Tu abandonnes. Tu te drapes dans la dignité de celle qui
préfère être supposée, imaginée, inventée par une phrase à l’emportepièce qui ne dit rien, qui est censée laisser supposer ! Et supposer quoi !
Prétentieuse ! »
« Ou bien tu fais semblant ! Juste pour vérifier que tu aurais
peut-être une envie, une envie enfouie, celle de t’essayer à l’aventure de
l’écriture ? »
C’est tout de même plus pratique d’être imaginée, enveloppée
dans un halo de silence, que cernée par ses dires, dans ses vérités !
« Alors quoi ! Tu ne fais pas confiance à l’autre ! »
« C’est pourtant un des postulats de départ dont tu affubles la
plupart des gamins dans tes rapports. Ne fais pas confiance au monde
des adultes… »
Celui qui fait confiance, se livre, s’il se livre, (tiens !) il s’expose.
Si, il s’expose, il est pesé, soupesé, mesuré, qualifié, identifié...
« Au final, qu’est-ce que tu risques ? D’être bousculée,
chahutée ? »
« Et après ! Si cela te permet de faire un pas de plus ! »
« Suis-je prête à vous rencontrer ? À me rencontrer ? »
« Mon humanité est-elle prête à s’offrir ? »
Fil rouge, âme du cordage, nous sommes faits du même bois.
« Ploum, ploum, ploum ! Si c’est toi qui le dis, c’est toi qui l’es ! »
- 13
« Si tu ne sais pas encore comment le dire, tu as bien une vague
idée de ce que tu aimerais dire. Ta petite vie de cellule mortelle du
monde en vaut bien une autre !
Si tu ne t’estimes pas capable de faire un livre spécialisé, tu peux
parler d’un lieu spécialisé.
Allez, viens là, laisse-toi faire.
Non bien sûr, ce ne sera pas que du plaisir. Tu vas bosser un peu
plus, le temps d’une grossesse, le temps d’une immersion, le temps d’un
hiver, le temps de donner de la couleur à la sève qui circule entre tes pas
et les autres pas.
Tu bosses pour eux, mais tu bosses aussi pour toi ! C’est çà, le
deal !
Quelle place occupes-tu sur ton morceau de planète ?
Qu’est-ce qui te fait exister ?
Qu’est-ce qui te tient debout ? »
14 -
Le matin, je prends le temps
Le matin, je prends le temps du petit-déjeuner dans ma cuisine
devant la grande baie vitrée qui donne sur le jardin.
Je préfère être seule.
J’aime être assise à la table et observer les oiseaux qui cherchent
pitance et s’effarouchent. Je surveille avec attention le forsythia, à
l’angle du carré de terre qui fut, jadis, pompeusement nommé potager.
Il est mon thermomètre à saison et mon observation attentive me permet, au jour près, de repérer sa première fleur entre janvier et février.
Mon autre repère à saison est un amandier solitaire, coincé sur le
bord du boulevard périphérique, à la hauteur des grands immeubles
devant lesquels je passe tous les jours.
Je vis ici, dans la région nîmoise, dans ce qui était alors un village
et qui s’étire, malgré lui, sous les forces inexorables de la communauté
d’agglomération.
Les constructions fleurissent à tour de bras et de tous les côtés.
Une grande surface est même venue s’implanter à une cinquantaine de
mètres, à vol d’oiseau, de chez moi, il y a une douzaine d’années. Les
inondations de 1988 ont achevé de détruire la voie de chemin de fer
qui longeait mon lotissement, celle-ci est devenue une voie verte –
ouverte aux cyclistes, rolleristes et autres sportifs de la ville.
Ma maison, une fois la porte passée, reste mon refuge, ma grotte,
mon île. Mon mari et moi avons imaginé nous rapprocher de nos lieux
de travail respectifs. Après plusieurs mois de tergiversations, nous avons
fini par nous rendre compte que notre âme était, elle aussi, accrochée à
des murs !
J’ai passionnément aimé toutes nos maisons.
La première était située à l’ouest de la grande ville, un petit
« mazet » tel qu’il en existe des milliers dans notre région, qui allient le
charme de la bicoque baignée dans un nid de lilas et l’inconfort des
abris d’autrefois, prévus presque uniquement pour l’été. Plus tard poussés par la vente décidée par le propriétaire, nous avons habité pendant
- 15