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L’engagement organisationnel dans le secteur public : quelques déterminants essentiels Par Christian Vandenberghe, HEC Montréal, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en gestion de l’engagement et du rendement des employés • [email protected] L’engagement organisationnel a fait l’objet de nombreux travaux au cours des 20 dernières années (Meyer, Stanley, Herscovitch, & Topolnytsky, 2002). La pertinence de ce concept s’est imposée dans les milieux scientifiques et professionnels principalement en raison du fait qu’il présente un lien empirique démontré avec la rétention et la fidélisation du personnel. Les professionnels de la gestion des ressources humaines ont donc considéré l’engagement organisationnel comme la pierre angulaire de toute politique destinée à conserver son personnel de talent (Chaminade, 2003 ; Griffeth & Hom, 2001 ; Vandenberghe, 2004). Différents facteurs ont aussi contribué à renforcer l’importance de l’engagement dans les organisations en tant que variable centrale de la gestion des personnes. Tout d’abord, les mutations qu’ont connues les organisations dans les dernières années telles les fusions, les restructurations et autres acquisitions ont mis à mal ce qui représente le fondement même de leur réussite, à savoir le désir des employés de contribuer à la réussite de leur entreprise. C’est ce qui explique que de nombreuses opérations de restructuration se sont soldées par des échecs sur le plan financier (Cascio, 2002). D’autres facteurs, plus larges ceux-là, méritent qu’on s’y attarde. Tout d’abord, la société de la connaissance et de l’information a bouleversé les pratiques de gestion, les attentes des salariés et a créé un contexte où l’information circule plus vite, est plus proche des personnes et est généralement moins contrôlable par l’organisation. Cela a engendré l’éveil d’un nombre croissant de salariés désireux de connaître les raisons qui sous-tendent les décisions des gestionnaires. C’est ainsi que les chercheurs ont constaté que des décisions injustes sur le plan procédural (mal étayées ou mal mises en œuvre) engendraient en tant que tel un désengagement général chez les employés, et ce, indépendamment du fait que ces décisions puissent avoir un caractère distributif défavorable (p. ex., Schaubroeck, May, & Brown, 1994). Enfin, notre société connaît une transition de générations majeure dont les conséquences sont sur le point de se manifester dans le monde des organisations. Cette transition va se traduire par la cohabitation prochaine de générations d’employés aux valeurs très différentes, mais aussi par une pénurie de la maind’œuvre disponible pour assurer la relève de ceux qui arrivent à la retraite. Ainsi, Emploi-Québec (2004) prévoit que d’ici 2006, soit à très court terme, environ 640 000 emplois seront à combler au Québec. À plus long terme, l’année 2011 serait marquée par un solde négatif des entrants sur le marché du travail, ce phénomène risquant d’affecter de façon différenciée les professions, les secteurs d’activités et les régions de la province (Audet, 2004). Bref, ces éléments tendent à renforcer l’idée selon laquelle les attentes de la nouvelle génération d’employés devront être davantage considérées dans les prochaines années. Dans un tel contexte, retenir ses employés de talent et attirer ceux qui en possèdent devient un défi majeur pour nos organisations. Pour des raisons de productivité, la stimulation de l’engagement organisationnel devient donc une priorité de gestion. Le secteur public n’échappe évidemment pas à cette règle. 1 L’objectif du présent article est donc de faire le point sur le concept d’engagement organisationnel dans le secteur public, de montrer son utilité pour comprendre la relation d’emploi et d’examiner quelques-uns de ses déterminants essentiels, grâce à une revue de la littérature empirique. L’ENGAGEMENT ORGANISATIONNEL : UN ÉTAT GLOBAL, DES FORMES DISTINCTES Le concept d’engagement organisationnel peut être défini comme un état psychologique caractérisant le lien entre un individu et son organisation, pouvant couvrir plusieurs formes et ayant des implications directes sur la décision de l’employé de rester membre ou de quitter son organisation (Meyer & Allen, 1991). Plusieurs formes caractérisent donc l’engagement. L’engagement affectif renvoie à un attachement émotionnel à l’organisation, caractérisé par l’identification de l’individu aux valeurs et aux objectifs de cette dernière. Les employés engagés sur cette base restent membres de leur entreprise par désir (Meyer & Allen, 1991, 1997). L’engagement normatif réfère à un attachement basé sur une obligation morale envers l’organisation, ce qui bien souvent correspond au sentiment d’avoir une dette morale à acquitter. Les employés engagés sur cette base restent membres de leur organisation par obligation (Meyer & Herscovitch, 2001). La troisième forme d’engagement correspond à un engagement de continuité, qui se caractérise par le fait que la relation d’emploi est basée sur le coût d’opportunité lié au départ éventuel. Dans cette configuration, l’employé reste membre de son entreprise parce qu’il serait trop coûteux pour lui de partir. L’engagement de continuité reflète néanmoins deux aspects distincts, le premier correspondant à la perte d’avantages intervenant en cas de départ (p. ex. salaire, avantages sociaux), soit le sacrifice associé au départ, alors que le deuxième repose sur le manque d’alternative d’emploi à l’extérieur de l’entreprise (Bentein, Vandenberg, Vandenberghe, & Stinglhamber, 2005, à paraître ; McGee & Ford, 1987). La particularité de l’engagement organisationnel est qu’il représente un état psychologique global caractérisant la relation d’emploi, chaque forme contribuant en principe à retenir l’employé au sein même de l’organisation, mais pour des raisons différentes. 2 TÉLESCOPE • mai 2005 Néanmoins, les recherches ont montré que le risque de départ est principalement réduit par la dimension affective, alors que les autres y contribuent mais de manière moins marquée (Meyer et al., 2002). Ce modèle d’engagement a aussi pu montrer sa pertinence pour caractériser la relation d’emploi dans de nombreux milieux organisationnels, y compris le secteur public. Ainsi, dans une étude récente menée au sein des institutions européennes (Vandenberghe, Stinglhamber, Bentein, & Delhaise, 2001), il apparaît que les fonctionnaires européens éprouvaient bien chacune des trois grandes formes d’engagement à l’égard de leur organisation et que ces formes d’engagement contribuaient à expliquer de manière significative leurs intentions de rester à l’emploi. Étant entendu que l’engagement organisationnel des employés a des effets bénéfiques puisqu’il réduit le risque de départ volontaire, il faut maintenant s’interroger sur les éléments qui peuvent contribuer à le développer. Nous allons donc passer en revue les facteurs susceptibles de développer l’engagement dans le contexte du secteur public, en nous basant sur les travaux empiriques récents sur cette question. Notons que nous nous attacherons essentiellement à examiner les déterminants de la forme affective de l’engagement car très peu de travaux ont porté sur les autres dimensions, particulièrement dans le secteur public. Dans une section suivante, nous proposerons quelques hypothèses concernant les variables pouvant conduire à stimuler les autres formes d’engagement. LES DÉTERMINANTS DE L’ENGAGEMENT ORGANISATIONNEL DANS LE SECTEUR PUBLIC Le climat et les comportements politiques Une première catégorie de déterminants renvoie au climat et aux comportements de nature politique. Les comportements politiques sont définis comme des comportements dont l’objectif est de maximiser les intérêts personnels de ceux qui les émettent (Ferris, Russ, & Fandt, 1989) et qui dès lors contrarient les objectifs de l’organisation dans son ensemble ainsi que les intérêts d’autres individus à l’intérieur de l’organisation (Vigoda, 2000, p. 327). Plusieurs auteurs soulignent que les comportements politiques La gestion des ressources humaines dans les administrations publiques sont généralement perçus de manière négative par les employés et qu’ils sont souvent associés à des conduites manipulatrices destinées à servir les intérêts personnels de leurs auteurs (p. ex. Ferris et al., 1989 ; Kacmar & Carlson, 1997 ; Parker, Dipboye, & Jackson, 1995). La plupart des chercheurs qui se sont intéressés aux comportements politiques ont utilisé une mesure développée par Kacmar et Carlson (1997), laquelle contient 12 propositions qui évaluent jusqu’à quel point un employé (a) utilise des moyens d’influence informels pour faire avancer ses intérêts, (b) est encouragé à taire ses opinions profondes face aux personnes influentes, et (c) perçoit les décisions d’augmentation salariale et de promotion comme influencées par des jeux de pouvoir informels. Plusieurs caractéristiques du secteur public semblent le prédestiner à une occurrence particulière de comportements politiques en son sein. Ce phénomène semble d’ailleurs caractériser tous les niveaux de la hiérarchie (Wilson, 1999) même si ses conséquences peuvent varier en fonction du niveau hiérarchique des employés (Drory, 1993). Ainsi, Vigoda (2000) souligne que la nature des emplois et des professions ainsi que les services offerts dans les organisations publiques sont différents de ceux que l’on trouve dans le secteur privé. Il note aussi que les salaires sont souvent plus bas et non liés au rendement professionnel, et que les possibilités de promotion y sont moins nombreuses. Les organisations publiques évoluent dans un environnement relativement stable et doivent servir une clientèle étendue et aux besoins hétérogènes. Enfin, Rouillard et Lemire (2003) rapportent aussi des données comparatives suggérant que les règles et procédures sont plus standardisées dans la fonction publique, mais que la diffusion de l’information y est meilleure que dans le secteur privé. En bref, dans l’ensemble, ces différents facteurs peuvent contribuer à créer des marges discrétionnaires importantes favorisant l’émergence de comportements politiques (Vigoda, 2000). Dans une étude empirique menée au sein d’une population d’employés du secteur public en Israël, Vigoda (2000) montre que la perception d’un climat politique contribue à réduire la satisfaction au travail, l’engagement organisationnel affectif et à augmenter l’intention de démission parmi les employés. Cette étude montre aussi que le rendement professionnel est affecté négativement par la perception d’un climat politique et que la négligence au travail s’en trouve en revanche augmentée. L’impact de la perception d’un climat politique sur l’engagement organisationnel affectif semble néanmoins varier en fonction du niveau hiérarchique des employés. En effet, selon une étude menée par Drory (1993), les employés de plus bas niveau hiérarchique verraient leur niveau d’engagement organisationnel plus fortement affecté par la présence d’un climat politique que les employés occupant un poste plus élevé. Une étude plus récente (Wilson, 1999) démontre cependant que ce phénomène n’épargne pas les fonctions supérieures puisque le climat politique est un des éléments susceptibles de détériorer significativement l’engagement organisationnel des cadres supérieurs des entreprises publiques. Il reste que les cadres supérieurs, par leur position dans le système, peuvent développer des moyens d’action et d’influence permettant de limiter les effets négatifs d’un climat politique. D’autres études apportent un éclairage intéressant sur la façon dont les employés réagissent face à un climat politique, et mettent en lumière les effets de ces réactions sur des indicateurs tels que la satisfaction au travail et, par extension, l’engagement organisationnel. Ainsi, Valle et Perrewe (2000) ont mené une étude empirique démontrant que la perception d’un climat politique peut s’accompagner de la production de deux formes de comportements politiques individuels de la part des employés, à savoir les comportements politiques défensifs (p. ex. veiller à se défendre contre des menaces perçues) et les comportements politiques proactifs (p. ex. tirer parti des opportunités pour faire avancer ses intérêts). Leur recherche démontre que les deux formes de comportements politiques individuels conduisent à une aggravation des effets négatifs du climat politique sur la satisfaction au travail. Bien que les auteurs n’aient pas examiné l’impact du climat politique sur l’engagement organisationnel comme tel, on peut penser que des effets similaires auraient été observés sur cette variable, en raison de la corrélation élevée généralement rapportée dans la littérature entre l’engagement affectif et la satisfaction au travail (Tett & Meyer, 1993). En somme, L’engagement organisationnel dans le secteur public : quelques déterminants essentiels 3 le climat politique tend à encourager les employés à utiliser eux-mêmes des comportements politiques, lesquels finissent par réduire davantage la satisfaction au travail et, par extension, l’engagement organisationnel affectif. Dans une autre étude, menée auprès de 1 251 employés du secteur public, Witt, Andrews, et Kacmar (2000) montrent de façon tout à fait intéressante que les effets négatifs du climat politique sur la satisfaction au travail peuvent être réduits lorsqu’une prise de décision consensuelle existe entre les employés et leurs supérieurs. En fait, ces auteurs constatent que les supérieurs immédiats peuvent diminuer les effets néfastes du climat politique en permettant à leurs employés de participer aux décisions relatives à l’évaluation du rendement et à l’organisation du travail. Cela rejoint les résultats des travaux ayant montré que la confiance interpersonnelle – telle qu’elle peut émerger lorsque la prise de décision est consensuelle – est un déterminant important de l’engagement affectif des employés du secteur public envers leur institution (Nyhan, 1999, 2000). Le soutien organisationnel perçu Le concept de soutien organisationnel perçu a été développé par Eisenberger et ses collègues (Eisenberger, Huntington, Hutchison, & Sowa, 1986). Il renvoie à la perception par l’employé que son organisation s’engage envers lui, particulièrement qu’elle se soucie de son bien-être et valorise sa contribution à l’efficacité organisationnelle. Les travaux empiriques ont montré que le soutien organisationnel perçu est un déterminant important de l’engagement affectif (Rhoades, Eisenberger, & Armeli, 2001) et normatif (Stinglhamber & Vandenberghe, 2002) envers l’organisation. Peu de recherches ont été menées sur le soutien organisationnel perçu dans le contexte des organisations publiques. De manière indirecte, deux recherches apportent néanmoins un éclairage intéressant sur l’utilité du concept pour expliquer les attitudes du personnel dans ce secteur. D’une part, Cropanzano, Howes, Grandey, et Toth (1997) ont établi que le soutien organisationnel perçu était négativement associé à la perception d’un climat 4 TÉLESCOPE • mai 2005 politique et avait des effets positifs sur les attitudes au travail. Ainsi, le soutien organisationnel perçu augmentait la satisfaction au travail, l’engagement organisationnel affectif et l’implication au travail alors que la perception d’un climat politique avait un effet négatif sur chacune de ces variables. D’autre part, Randall, Cropanzano, Bormann, et Birjulin (1999) obtiennent des résultats comparables, mais montrent également que le soutien organisationnel perçu, contrairement à la perception d’un climat politique, est positivement lié à ce qu’il est convenu d’appeler les comportements de citoyenneté organisationnelle, soit des comportements discrétionnaires qui bénéficient à l’organisation. Si l’on considère que Vigoda (2000) a montré par ailleurs que la perception d’un climat politique contribue à réduire la performance au travail chez des employés du secteur public, il devient clair que les deux variables, soutien organisationnel perçu et perception d’un climat politique, ont des effets radicalement opposés sur les attitudes envers le travail et l’organisation. La confiance Une étude récente menée par Aryee, Budhwar, et Chen (2002) rapporte des résultats intéressants concernant l’effet de la confiance sur l’engagement organisationnel et la performance au travail au sein des organisations publiques. La confiance, définie comme la volonté d’une partie – en l’occurrence les employés – de se montrer vulnérable aux actions d’une autre partie – en l’occurrence l’organisation – sans pouvoir exercer un contrôle sur elle (Mayer, Davis, & Schoorman, 1995), peut en effet exercer un rôle essentiel dans les organisations publiques. L’étude de Aryee et al. (2002) montre qu’elle s’exerce à deux niveaux distincts, à savoir le niveau organisationnel, et à ce titre reflète jusqu’à quel point l’organisation est perçue comme honnête et intègre dans les relations qu’elle entretient avec son personnel, et le niveau de supervision direct, lequel renvoie à la compétence et à la fiabilité perçues du supérieur. Dans une organisation publique, où les centres d’autorité et de décision peuvent paraître parfois éloignés des employés, la confiance envers les superviseurs immédiats, souvent de nature interpersonnelle, peut être essentielle au maintien de comportements positifs envers l’organisation La gestion des ressources humaines dans les administrations publiques (Nyhan, 1999). L’étude de Aryee et al. (2002) montre que les deux niveaux d’ancrage de la confiance se complètent parfaitement. En effet, dans cette étude, le niveau de confiance organisationnelle influençait directement l’engagement organisationnel affectif et la satisfaction au travail alors que la confiance envers le superviseur était liée à diverses facettes de la performance au travail. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer l’importance du rôle de la confiance dans les organisations publiques. Tout d’abord, le fait que les employés du secteur public bénéficient généralement d’une sécurité d’emploi à long terme – du moins dans l’administration publique traditionnelle (voir Rouillard & Lemire, 2003, p. 5) – force à envisager la qualité des relations de travail sur de longues périodes. Or, la confiance ne peut se construire valablement sur des relations instrumentales à court terme. Au contraire, elle nécessite du temps pour que les parties puissent tirer des conclusions sur la réciprocité réelle et durable de leurs relations de travail (Mayer et al., 1995). Dans ce contexte, il est normal qu’elle émerge donc comme un déterminant majeur des attitudes envers l’organisation et des comportements au travail. Par ailleurs, la complexité des organisations publiques rend nécessaire un certain équilibre entre l’intégration globale et l’autonomie locale (Aryee et al., 2002). Dans ce contexte, les superviseurs constituent un point d’ancrage essentiel de la confiance dans les relations de travail au sein de l’organisation. L’étude de Aryee et al. (2002) révèle d’ailleurs que la confiance envers le superviseur est une conséquence des comportements justes et équitables qu’il adopte dans le cadre des relations avec ses employés. Cela démontre bien que les supérieurs immédiats représentent un maillon essentiel dans les réponses apportées aux besoins relationnels des employés dans le secteur public. Certains auteurs vont d’ailleurs jusqu’à affirmer qu’une stratégie de construction de la confiance dans les relations entre les employés et l’organisation publique devrait se construire de la base vers le sommet plutôt que dans le sens opposé (p. ex. Nyhan, 1999). Les récompenses Beaucoup d’études se sont penchées sur les liens existant entre les récompenses au travail et l’engagement organisationnel. De façon générale, les résultats accumulés tendent à suggérer que le volume et la qualité des récompenses obtenues contribuent à augmenter l’engagement organisationnel affectif. Cependant, il semble aussi exister d’importantes variations dans les effets des récompenses sur l’engagement, notamment suivant la profession et le secteur d’activité. À ce jour, les études semblent montrer que l’engagement organisationnel est plus faible dans le secteur public que dans le secteur privé (p. ex. Goulet & Frank, 2002), même si ce résultat a été récemment contesté (Rouillard & Lemire, 2003). La question est maintenant de pouvoir déterminer l’origine de cette différence. Une étude méta-analytique menée par Cohen et Gattiker (1994), portant sur les effets des récompenses sur l’engagement organisationnel, donne quelques éléments de réponse à cette question. Cette étude révèle que l’effet de la satisfaction envers la rémunération sur l’engagement organisationnel est plus important dans le secteur privé que dans le secteur public. Il faut cependant noter que l’incidence du salaire réel sur l’engagement est relativement faible dans les deux secteurs d’activité. Le rôle plus décisif de la satisfaction envers la rémunération dans l’engagement au sein du secteur privé peut être expliqué par le fait que les organisations privées utilisent le salaire comme un important levier pour gérer la motivation et l’engagement, conduisant donc à une relation plus instrumentale entre les employés et l’organisation. De plus, les augmentations salariales dans le secteur privé reposent beaucoup plus sur l’évaluation du rendement, ce qui rend plus clairs les critères utilisés pour déterminer les salaires. À l’inverse, comme le soulignent Cohen et Gattiker (1994), la détermination des augmentations salariales dans le secteur public est beaucoup plus influencée par des conventions collectives, laissant peu de marge de manœuvre aux gestionnaires. Il est cependant possible que les employés du secteur privé et du secteur public connaissent les caractéristiques générales du système dans lequel ils évoluent. Ainsi, il est peu probable qu’un L’engagement organisationnel dans le secteur public : quelques déterminants essentiels 5 individu cherchant à obtenir rapidement un salaire confortable et des chances de promotion régulières se dirige vers le secteur public. Car, il est de notoriété publique que les récompenses extrinsèques sont moins importantes dans ce secteur. L’étude de Rouillard et Lemire (2003) montre d’ailleurs que l’orientation vers la carrière est plus élevée parmi les employés du secteur privé. En somme, la différence d’impact de la satisfaction envers la rémunération entre le secteur privé et le secteur public est peut-être attribuable à des attentes ou des valeurs sensiblement différentes entre les employés de ces systèmes. Cette explication repose sur les principes de la théorie de Schneider (1987) selon laquelle les organisations attirent des employés différents suivant l’image qu’elles véhiculent à l’extérieur. Il est donc vraisemblable que les employés du secteur public soient plus sensibles aux caractéristiques intrinsèques du travail, au climat de communication, ou aux qualités du superviseur, et que ces facteurs exercent une influence plus prépondérante sur leur niveau d’engagement organisationnel (Young, Worchel, & Woehr, 1998). L’habilitation psychologique L’habilitation psychologique correspond à un état de motivation intrinsèque caractérisé par quatre cognitions complémentaires relatives à la tâche réalisée : la signification, l’autodétermination, l’impact et le sentiment de compétence (Thomas & Velthouse, 1990). La signification émane du sentiment que l’on occupe un emploi dont les valeurs sont compatibles avec les nôtres. L’autodétermination renvoie à la possibilité d’exercer son travail de façon autonome. L’impact est la capacité perçue d’exercer une influence sur les décisions dans le service dans lequel on travaille. Enfin, le sentiment de compétence est la capacité perçue de réaliser son travail efficacement. Les recherches montrent que les dimensions de l’habilitation psychologique contribuent à augmenter l’engagement organisationnel (p. ex. Liden, Wayne, & Sparrowe, 2000). Fait intéressant, la littérature, même si elle n’est pas propre au secteur public, suggère que deux aspects de l’environnement de travail contribuent à stimuler l’habilitation, et par voie de conséquence l’engagement organisationnel, à savoir les caractéristiques mêmes du travail 6 TÉLESCOPE • mai 2005 (Liden et al., 2000) et les qualités de leader transformationnel du supérieur immédiat (Avolio, Zhu, Koh, & Bhatia, 2004). Ces résultats de recherche sont intéressants car ils renforcent les conclusions de certains chercheurs ayant examiné les voies permettant de stimuler l’engagement organisationnel dans le secteur public. Ceux-ci notent par exemple que l’habilitation psychologique représente un des mécanismes les plus prometteurs pour développer l’engagement organisationnel dans ce secteur, en dehors des mécanismes plus axés sur la récompense extrinsèque du secteur privé (p. ex. Nyhan, 2000 ; Wilson, 1999). AU-DELÀ DE L’ENGAGEMENT AFFECTIF Les études recensées dans les sections précédentes portent sur la seule dimension affective de l’engagement. Nous n’avons en revanche aucune donnée nous permettant de déterminer en quoi les autres dimensions de l’engagement sont influencées par les pratiques de gestion dans ce secteur. À titre exploratoire, nous proposons quelques pistes de réflexion qui s’inspirent des travaux menés sur ces dimensions dans d’autres contextes organisationnels. En ce qui concerne la dimension normative de l’engagement, les recherches ont montré qu’elle est sensible aux mêmes déterminants que l’engagement affectif mais dans des proportions moindres (Meyer et al., 2002). En particulier, on sait que lorsque les organisations offrent un soutien socio-émotionnel à leur personnel, elles créent chez ce dernier un besoin de réciprocité, qui s’exprime par un engagement normatif plus élevé, soit un sentiment d’obligation morale. Notons cependant que les recherches montrent que le sentiment de loyauté basé sur l’obligation morale est plus élevé lorsque le soutien reçu provient d’une personne plutôt que de l’organisation elle-même. C’est le cas lorsque le soutien perçu émane du supérieur immédiat. Cet argument souligne une fois encore son rôle essentiel dans le secteur public, là où les relations avec l’organisation dans son ensemble sont plus opaques. Les conditions de travail peuvent aussi jouer un rôle majeur dans le développement de l’engagement normatif. En particulier, la possibilité d’exercer un travail significatif est susceptible d’augmenter le sentiment de loyauté car un travail qui correspond aux valeurs La gestion des ressources humaines dans les administrations publiques des employés est généralement considéré comme une récompense intrinsèque majeure. Enfin, les possibilités de promotion auront sans aucun doute un effet favorable sur l’engagement normatif, car elles expriment la considération portée par l’entreprise à son personnel. Le modèle des trois composantes de l’engagement comporte une dernière forme majeure, l’engagement de continuité. Cette dimension se subdivise en une sous-dimension traduisant un engagement basé sur le sacrifice qu’occasionnerait un départ éventuel et une sous-dimension reflétant un engagement contraint par le manque d’alternative d’emploi (McGee & Ford, 1987). Le concept de sacrifice perçu renvoie à des sources d’attachement hétéroclites, certaines étant de nature économique, d’autres de nature sociale ou psychologique. Par exemple, le salaire et les avantages sociaux de même que les promotions reçues contribuent à créer un engagement de continuité par sacrifice perçu, car si l’employé devait quitter son organisation, il pourrait perdre une partie de ces avantages. Mais le départ éventuel peut être source d’autres sacrifices, telles la perte de liens sociaux ou la perte d’un travail stimulant. À ce jour, aucune étude systématique n’a encore été menée sur cette forme d’engagement dans le secteur public. Le seul fait saillant de la recherche dans ce domaine est que l’engagement de continuité augmente avec l’âge et l’ancienneté organisationnelle. À l’inverse, les auteurs s’entendent pour dire que cette forme d’engagement serait plus faible dans la jeune génération, laquelle rejoindra en partie les effectifs du secteur public dans les prochaines années (Mir, Mir, & Mosca, 2002). L’engagement de continuité envers l’organisation peut aussi provenir d’un manque perçu de possibilité d’emploi. Cette forme d’engagement est probablement très développée parmi les employés ayant une forte ancienneté dans le secteur public. Deux raisons peuvent expliquer ce phénomène. D’une part, la sécurité d’emploi contribue à placer le personnel dans une position captive. D’une certaine manière, la sécurité d’emploi offre un avantage majeur que peu sont prêts à perdre. Par conséquent, peu d’employés chercheront un emploi à l’extérieur. Un effet pervers de cette situation est aussi que la mise à jour des compétences n’est sans doute pas aussi régulière dans le secteur public qu’elle l’est dans le secteur privé où les employés sont contraints de se remettre en question régulièrement s’ils veulent maintenir leur employabilité. Comme on sait que l’engagement par manque d’alternative d’emploi a des effets négatifs sur la performance au travail (Meyer et al., 2002) autant que sur la santé des individus (Vandenberghe & Morin, 2004), il serait souhaitable que les organisations publiques se dotent de dispositifs pour lutter contre ces problèmes. Ainsi, l’instauration d’une politique de mobilité interne dynamique pourrait aider les employés à mettre à jour leurs compétences de façon régulière et à se maintenir employables par la même occasion. CONCLUSION Les organisations publiques sont aujourd’hui confrontées à la double nécessité de devoir fidéliser leur personnel de talent et d’attirer de nouveaux employés, dans le cadre d’une crise majeure de la relève qui s’annonce dans les prochaines années. Dans ce contexte, l’engagement organisationnel des employés devient un élément central, puisqu’il permet de compter sur une main-d’œuvre souhaitant à la fois contribuer à la productivité de l’organisation et y maintenir son appartenance. Cependant, les recherches montrent que les organisations doivent surtout veiller à développer l’engagement affectif et normatif de leurs employés et à réduire les formes négatives de l’engagement, en particulier celui qui naît d’un manque perçu d’alternative d’emploi. Pour développer l’engagement affectif ou normatif, les organisations publiques devraient certainement tenter de mettre en place des moyens décourageant l’usage de comportements politiques, lesquels occasionnent bien souvent des effets néfastes sur les attitudes envers l’entreprise. Pour contrecarrer ces comportements, il est judicieux de multiplier les signes d’un soutien de la part de l’organisation envers son personnel et de favoriser la prise de décision consensuelle avec les supérieurs immédiats. De même, la pratique de la confiance interpersonnelle dans la relation de supervision semble une voie prometteuse, susceptible de conduire à un engagement affectif accrû parmi le personnel. Les systèmes de récompense peuvent aussi avoir des effets bénéfiques, particulièrement s’ils s’accompagnent L’engagement organisationnel dans le secteur public : quelques déterminants essentiels 7 de conditions de travail stimulantes. Dans l’ensemble, il semble bien qu’un défi majeur est sans doute d’arriver à établir un équilibre entre des principes de gestion s’appliquant de façon globale à l’ensemble de l’organisation avec des modes de gestion de proximité qui renforcent la qualité de la relation de supervision. Lepak et Snell (1999) ont proposé plusieurs pistes en matière de gestion des ressources humaines que peut suivre une organisation souhaitant renforcer le lien avec ses employés par l’engagement affectif. La configuration des pratiques de ressources humaines devrait reposer dans ce cas sur une relation d’emploi privilégiant le développement interne du capital humain. Les organisations publiques peuvent valoriser ce capital en définissant de manière plus souple les emplois afin de favoriser le changement et l’adaptation. Elles auraient aussi intérêt à davantage fonder les décisions d’affectation sur le potentiel des employés plutôt que sur leurs seuls connaissances et savoir-faire. Il est à cet égard intéressant de voir se développer dans bon nombre de pays occidentaux, y compris le Canada, des initiatives de développement des compétences au sein de la fonction publique, lesquelles prennent notamment la forme de programmes de mentorat et de coaching ou de groupes de codéveloppement. Comme le soulignent Lepak et Snell (1999), ces stratégies peuvent être utilement complétées par l’usage de systèmes d’évaluation du rendement axés sur le développement de l’employé, de manière telle à lui assurer un feedback utile et constructif. À long terme, ces approches permettront aux organisations publiques de développer leurs compétences collectives spécifiques, l’engagement de leurs employés, et, in fine, leur performance globale. BIBLIOGRAPHIE Aryee, S., Budhwar, P.S., & Chen, Z.X. (2002). « Trust as a mediator of the relationship between organizational justice and work outcomes : Test of a social exchange model, Journal of Organizational Behavior », 23, 267-285. Audet, M. 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