10 - Forced Migration Review

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10 - Forced Migration Review
DÉPLACEMENT EN MILIEU URBAIN
RMF 34
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Déplacement urbain et
migration en Colombie
Sebastián Albuja et Marcela Ceballos
Afin d’intervenir de manière plus adaptée auprès des PDI et
d’améliorer la planification et les politiques urbaines pour les
PDI, les migrants et les communautés locales,il est important
de comprendre le déplacement forcé vers les zones urbaines de
Colombie dans le contexte de la migration rurale-urbaine.
Selon les données existantes, 93 % des
personnes déplacées en Colombie ont
été déplacées en zone urbaine. Dans
le même temps, le pays a connu au
cours des dix dernières années une
intense migration rurale-urbaine.
La population de Bogotá est constituée
d’environ sept millions d’habitants
et comprend à la fois la plus grande
population de migrants et la plus grande
population de PDI de tout le pays - elle
abrite 270 000 personnes déplacées
de l’intérieur. Ces deux phénomènes
sont deux conséquences différentes
provoquées par un même facteur : la
migration rurale-urbaine, historiquement
entraînée par l’inégalité de l’accès aux
terres, a fait naître des tensions entre les
propriétaires terriens et les paysans et
mené finalement au conflit armé et aux
violences qui continuent de provoquer
les déplacements forcés. A ce jour, il
est difficile de différencier les raisons
économiques de la migration des
raisons liées directement aux conflits, à
la violence et aux violations des droits
humains. Cela complique le processus
d’enregistrement des PDI et explique en
partie pourquoi seule la moitié environ
des PDI de Bogotá est enregistrée.
Comme migration et déplacement
coexistent, de nombreux PDI ne sont
pas conscients qu’ils possèdent des
droits en tant que personnes déplacées
contre leur gré et, en conséquence, ne
cherchent pas à se faire enregistrer.
Le système d’enregistrement qui se doit,
selon la loi, d’enregistrer les PDI après
avoir entendu seulement un compterendu oral des causes et circonstances
du déplacement, éprouve des difficultés
à différencier les personnes qui sont
véritablement des PDI des autres qui
sont des migrants économiques. Ainsi,
en pratique, l’enregistrement des PDI
finit par ressembler au processus de
Détermination du statut de réfugié (DSR)
mené pour les réfugiés. Cependant,
il est évident que le processus
d’enregistrement des PDI n’est pas doté
des mêmes protections procédurales
que la DSR et qu’il n’est pas conçu
comme un processus de sélection,
bien qu’en pratique il en soit un. Il est
apparemment conduit avec un degré
élevé de subjectivité et d’arbitraire, ce qui
résulte dans l’exclusion de personnes qui
mériteraient en fait d’être enregistrées.
Une autre implication de ce grand
flux mixte, que l’on retrouve dans la
plupart des villes à forte croissance
abritant des PDI dans tous les pays en
développement du monde, est l’émergence
d’implantations informelles et de
marchés fonciers non officiels autour de
Bogotá. Certaines localités autour de la
ville sont devenues des implantations
florissantes qui se sont finalement
annexées d’elles-mêmes à la ville, à la
suite d’un processus d’expansion urbaine.
C’est précisément dans ces implantations
autour de Bogotá que s’établissent les
PDI. Après être restés dans leur famille
ou chez des amis pendant un court laps
de temps, les PDI cherchent à satisfaire
leurs besoins de se loger en achetant ou
en louant un abri. Pour accéder au marché
foncier et immobilier formel, un pouvoir
d’achat bien plus important que celui
dont disposent en général les PDI est
nécessaire, tandis que pour accéder aux
allocations logement, il faut faire preuve
d’un historique financier et d’antécédents
en matière de crédit que de nombreux PDI
ne peuvent démontrer. En conséquence,
la plupart des PDI gravitent par nécessité
autour des implantations informelles.
Parfois, ces processus ont entraîné des
expulsions en masse, alors que dans
d’autres cas les municipalités ont légalisé
les implantations et fourni de l’électricité
et un service de traitement des eaux usées.
Le déplacement vers de grands centres
urbains comme Bogotá signifie aussi
que les PDI mettent beaucoup de temps
à accéder à l’aide humanitaire à laquelle
ils ont droit. Une enquête a révélé qu’à
Ciudad
Bogotá, où les longues procédures
Bolívar vue
et la bureaucratie sont la norme, il
de nuit, au
sud-ouest de
peut s’écouler jusqu’à deux ans entre
Bogotá, en
le déplacement et la première aide
Colombie.
humanitaire administrée dans la ville.
Cela mine la patience des PDI, et plusieurs
d’entre eux préfèrent alors se tourner
vers des réseaux de soutien informels.
Développement et politique
humanitaire
Au niveau national, les données indiquent
que 98,6 % de la population de déplacés
vivent en-dessous du seuil de pauvreté
et que 82,6 % sont officiellement classés
comme vivant dans une pauvreté
extrême. Ces taux contrastent fortement
avec les 29,1 % et 8,7 % que l’on retrouve
respectivement pour le reste de la
population. A Bogotá, le revenu des PDI
est en moyenne de 27 % inférieur à celui
de la population résidente pauvre.
Le soutien au développement est
indispensable, à long terme, dans des
villes comme Bogotá, où la majorité des
PDI semblent avoir les mêmes aspirations
que les migrants, c’est-à-dire de s’installer
dans la ville de manière permanente.
Comme le déplacement vers Bogotá
est à la fois régulier et continu, il est
nécessaire de fournir simultanément une
assistance humanitaire aux nouveaux
arrivants et un soutien prolongé à la
grande majorité qui reste à Bogotá après
les trois mois de la phase d’assistance
humanitaire. Pour que l’installation dans
la ville de déplacement se transforme
en solution durable, il faut que les PDI
puissent exercer l’ensemble complet de
leurs droits, sans discrimination, au
moins à un niveau semblable à celui des
membres de la population non déplacés.1
La plupart des autorités municipales de
Colombie considèrent le déplacement
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interne comme un
phénomène national dont
les implications locales
doivent être traitées par le
gouvernement national.2
En conséquence les
municipalités (à part quelques
exceptions) n’incorporent
pas automatiquement le
déplacement à leurs plans
de développement local
ou municipal et ne se
considèrent pas responsables
de l’affectation des ressources
spécifiques pour répondre à
ce phénomène, en particulier
dans le domaine du
développement à long terme.
De récents changements juridiques
visant à résoudre ce problème ont
déterminé que les responsabilités
doivent être partagées entre les autorités
locales et le gouvernement national.
Néanmoins, le degré de partage des
responsabilités n’est pas clair et la part
des coûts qui doit être couverte par le
gouvernement central, en particulier
pour le soutien socio-économique
de longue durée, n’est pas définie.
Bogotá a commencé à intégrer des
programmes spéciaux destinés aux
familles de PDI qui ne bénéficient plus
du réseau de soutien d’urgence des
trois premiers mois. L’un de ces projets
comprend un programme de protection
social destiné spécialement aux familles
de PDI et intitulé « Bogotá, une ville
positive pour une vie meilleure »3,
incorporé au plan de développement
de Bogotá. Toutefois, de tels projets
restent ponctuels, et leur impact n’a
pas été évalué. Quoi qu’il en soit, il
reste encore beaucoup à faire pour
garantir que la planification municipale
et les politiques de développement
englobent la protection sociale des PDI
s’installant en ville, et pour évaluer
l’impact des programmes actuels.
En Europe, les PDI en
milieu urbain peuvent
être invisibles
Marzia Montemurro et Nadine Walicki
Dans les Balkans, le Caucase et en Turquie, certaines PDI recherchent
« l’invisibilité » pour des raisons de sécurité. D’autres deviennent invisibles
lorsqu’elles sont forcées de se déplacer de nouveau au sein d’une même
ville sous la pression des autorités municipales ou des propriétaires.
Alors que le déplacement vers les villes
représente en soi-même une stratégie
d’adaptation, les PDI préfèrent souvent
ne pas y afficher de caractéristiques qui
les différencient des autres résidents
urbains pour éviter de devenir des cibles.
Choisir de louer un logement privé
plutôt qu’un logement subventionné par
le gouvernement peut aussi contribuer
à cette invisibilité, tout comme les
obstacles à l’enregistrement. Déplacées
depuis 15 ans en moyenne, les PDI
d’Europe, par exemple, sont passées
petit à petit de locaux d’hébergement du
gouvernement à des logements privés
en ville - qu’ils louent, partagent ou ont
acheté - ou continuent de vivre dans des
établissements informels à la périphérie
des centres urbains. Tout profilage et
suivi efficaces de leurs besoins ont été
découragés par le fait qu’ils ont adopté
des comportements semblables à ceux
des autres résidents urbains, y compris
les migrants économiques, qu’ils soient
éparpillés parmi eux et qu’ils cherchent
à s’intégrer. Les logements des PDI,
en particulier s’ils sont informels ou
collectifs, sont souvent précaires ; les
PDI sont plus exposées aux expulsions,
pour cause de discrimination ou
parce que les propriétaires décident
de reprendre possession de leur
logement pour le vendre ou l’utiliser
différemment. Ce risque accru de
mobilité intra-urbaine encourage les PDI
à garder un profil bas, tandis que les
PDI expulsées disparaissent encore plus
profondément dans le paysage urbain.
Dans certains cas, les politiques
gouvernementales ont exacerbé
leur invisibilité en créant des
obstacles juridiques. Afin de gérer
le développement de l’urbanisation,
les gouvernements de Russie et
d’Azerbaïdjan, par exemple, ont limité
le droit des individus de choisir leur
lieu de résidence, transformant ainsi
souvent les PDI en « résidents fantômes ».
De la même manière, les PDI roms de
IDMC novembre 2009
http://censura20.com/2009/10/18/ciudad-bolivar/
DÉPLACEMENT EN MILIEU URBAIN
Sebastián Albuja ([email protected])
est analyste national pour l’Observatoire des
situations de déplacements internes (IDMC)
(http://www.internal-displacement.org).
Marcela Ceballos (mceballos2000@yahoo.
com) est maître de conférences à l’Institut
d’études urbaines de l’Université nationale
de Colombie (http://www.redBogotá.com).
1. Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne,
« When Displacement Ends: A Framework for Durable
Solutions » (« Lorsque le déplacement prend fin : Un
cadre pour des solutions durables »), 2007, p11.
2. Voir aussi l’article d’E lizabeth Ferris, p39.
3. «Bogotá positiva para vivir mejor »
Une femme deplacée de l’intéerieur prépare un repas dans un centre collectif, anciennement
utilisé comme centre de traitement contre la tuberculose, à Tbilissi, en Géorgie.
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