« J`en ai mare de ne pas voir d`issue, donnez

Transcription

« J`en ai mare de ne pas voir d`issue, donnez
TRADUCTION DE L'ARTICLE DE DAG ALLEMAAL
DU 30 SEPTEMBRE 2014
CONVERSATION EXCLUSIVE DEPUIS SA CELLULE
Farid le Fou veut l'euthanasie. (Grande photo de Farid)
« J'en ai mare de ne pas voir d'issue, donnez-moi une piqure. »
Après le délinquant sexuel Frank Van Den Bleeken, c'est au tour de Farid Bamouhammad (47),
mieux connu en tant que Farid le Fou, de vouloir l'euthanasie. « Je ne suis pas le monstre qu'on
fait de moi. Je veux seulement un traitement humain. Mais comme cela va maintenant, ce n'est
plus possible. »
En fait, cela fait déjà des années qu'il n'y a plus eu d'incident notable, cependant, Farid
Bamouhammad continue d'être appelé Farid le Fou, le bandit devant qui les gardiens font dans leur
culotte. Bien que l'Etat soit condamné à verser 5000 Euros chaque fois qu'on le change inutilement
de prison (voir aussi l'encadré), on continue tranquillement à le transférer. Farid en a plus qu'assez.
C'est ce qu'on comprend quand il nous appelle depuis sa cellule de Marche-en-Famenne. Ce fut la
première d'une série de conversations téléphoniques le soir.
Trop loin
« Pour moi, la mesure est pleine », dit le Français qui depuis 1986 est demeuré sans interruption
dans une prison belge et qui a récolté la fâcheuse réputation d'être le détenu le plus ingérable qui
soit. « Ils sont allés trop loin avec moi. Beaucoup, beaucoup, beaucoup trop loin. Je sais très bien
quelle est leur intention : me pousser à bout en espérant que je commette une faute – prendre en
otage un géôlier par exemple – pour me flinguer. Cela ne marchera pas. Je ne veux pas mourir
comme Farid le Fou. Je ne suis pas fou, n'est-ce pas. Et dès lors, les laisser me souffler comme une
bougie. Mais pourquoi encore attendre ? Je préfère une douleur brève. J'ai les papiers pour
demander l'euthanasie. »
Quarante ans
Farid a cumulé près de quarante ans de prison. Il a été reconnu coupable d'infractions mineures et
de l'assassinat du trafiquant de drogue qui avait violé sa fiancée de l'époque, ce pour quoi il a écopé
de treize ans. Ensuite, pour la double prise en otage de son ex-belle-famille parce qu'il ne pouvait
pas supporter le fait qu'il ne pouvait pas voir sa fille Farah, d'où six et neuf ans qu'il a réellement
effectués.
S'il devait aller à bout de peine, il ne sera libre qu'en juillet 2026. Depuis 2008, il devrait être en
mesure de profiter de congés pénitentiaires, et même depuis 2009, d'une libération conditionnelle.
Cependant, il n'en est rien. Même les permissions de sortie lui sont chaque fois refusées par le
ministre de la Justice. Dernièrement, le Directeur Andenne a encore émis un avis complet et très
positif pour lui permettre de sortir de la prison pour rencontrer un thérapeute. Le directeur y a joint
une série d'avis positifs de psychiatres, mais la Ministre ff de la Justice, Maggie De Block a dit njet.
Des amis
"Avec mes transferts incessants, j'ai très peu de relations personnelles", déclare Farid. « Mais j'ai
bien quelques amis: Gérard (ancien directeur de prison) et Marina (dentiste de prison). Ils peuvent
vous raconter ma vraie histoire. Et ils ont aussi des pièces pour la prouver. Si je la raconte moimême, vous ne me croyiez pas de toute façon ».
Essayez toutefois
Je suis constamment victime d'harcèlement. Avant même que j'arrive quelque part, c'est tout un
chambardement. Pourquoi? Prenez Andenne, ma place précédente. J'ai eu un bon contact avec le
directeur, il avait du respect et avait donné un avis très favorable pour que j'obtienne enfin une
permission de sortie - pour la première fois en près d'une décennie - Mais que s'est-il passé? Je suis
déplacé à Marche. Pourquoi? Aucun des détenus ne porte un uniforme ici, mais selon les syndicats,
je dois en porter un au cas où ma mère me rendrait visite. Pourquoi? Cette sorte de jeux doit cesser.
Ma mère a 78 ans et est malade. Elle n'y arrive pas, cela exige trop de sa santé. Pourquoi ne puis-je
lui rendre visite? Pourquoi?
Titre : "Je veux mourir comme père et être humain, non comme fou ou monstre"
Combien de fois as-tu déjà été transféré?
Pff... il semble que ce serait la 167ème fois. C'est ce que Gérard m'a dit.
Tu déménages apparemment parce que chaque fois le torchon brûle à cause de toi.
C'est ce qu'on prétend, oui. Mais comment est-ce possible? Je vis dans l'isolement. Vous savez, je
pense que je sers surtout de punching-ball pour les syndicats. Partout où je vais, il y aura plus de
personnel et il y aura plus de mesures de sécurité. Je pense que c'est cela les raisons de mes
transferts, plutôt que mon agression présumée.
Revois-tu ta fille Farah? Après que tu l'aies prise en otage en 2005, tu ne l'aurais plus vue.
(Silence). Ma fille Farah est toute ma vie. Elle est quotidiennement dans ma pensée, profondément
installée dans mon coeur. Le manque est indescriptible. Je continue à espérer le jour où je pourrai
parler avec elle.
Tu tiens à ton amie Valérie?
(Bref) Cette relation est rompue. Il n'y a rien à dire de plus.
Selon tous les rapports d'experts, tu as déjà subi, après toutes ces années, un dommage de
détention énorme.
Dans la prison, il n'y a pas moyen de ramasser le moindre grain d'amitié ou d'amour. Cela n'existe
pas ici. C'est jour après jour 23 heures de cellule avec de temps en temps un bruit de frappe sans
émotion sur la porte d'un surveillant qui crie "Farid!" et ainsi de suite. Ce n'est pas une vie. Je n'ai
pas de perspective.
Tu aurais aussi besoin d'un accompagnement thérapeutique
Naturellement, j'ai besoin d'une thérapie. J'en suis bien conscient. J'ai connu beaucoup de mauvais
moments, mais les huit mois où j'ai été fourré sans interruption dans un cachot à Nivelles m'ont
brisé. L'isolement total m'a traumatisé. Je ne demande qu'à être raité comme un homme. Un
homme blessé. Pas comme un chien.
Tu ne reçois dès lors jamais de thérapie ?
Mon avocat a pu obtenir en 2008, grâce à une brève procédure, la visite tous les quinze jours d'un
psychologue. C'étaient de bonnes conversations, mais tout à coup, elles n'ont plus pu avoir lieu à
cause de la direction de l'administration centrale des prisons. Je n'ai jamais pu savoir quelle en était
la raison.
Tu vis isolé. Apparemment, c'est ce que tu veux.
Avec d'autres prisonniers, je ne veux rien avoir à faire, non. J'ai commis des délits, c'est vrai. J'ai
assassiné le violeur de ma fiancé de l'époque et j'ai fait des prises d'otage parce que je voulais voir
ma fille. Ce sont des choses qui ont eu lieu dans la sphère privée. Je n'ai dès lors rien à dire aux
autres détenus. Qu'ils restent loin de moi.
Que fais-tu toute la journée?
Rester en cellule et faire une petite heure de sport, mais pour l'instant c'est très difficile à cause de
mes graves maux de dos, mes douleurs musculaires et la raideur de ma nuque. C'est comme ça
depuis des mois. Pour ça aussi, je voudrais depuis longtemps recevoir les soins appropriés. Dans
un hôpital.
Tu dis que tu veux l'euthanasie, même s'il y a très peu de chance de l'obtenir. Cette question
n'est-elle pas surtout un cri de désespoir?
Je ne demande pas l'amitié de la Justice. Je demande un traitement équitable et humain. Et qu'ils
respectent aussi toutes les décisions judiciaires qui ont été prononcées me concernant. Si non,
donnez-moi alors cette piqure. Je veux mourir comme Farid Bamouhammad, père de Farah et être
humain. Pas comme fou ou monstre.
Respect
Le récit de Farid a été confirmé par Marina De Backer, la dentiste de prison avec qui il téléphone
plusieurs fois par semaine. “Une consultation avec Farid devait avoir lieu avec cinq gardiens dans
les environs. Mais j'ai très vite remarqué que si tu te comportes normalement avec lui, tu reçois en
retour tout le respect. Cette surveillance n'avait plus lieu d'être pour moi. Nous sommes restés en
contact. Quand j'ai acheté son livre – “Farid le fou... d'Amour”, j'avais envie de le faire signer. J'ai
pu apporter ce livre moi-même dans sa cellule. Je m'attendais à voir des dégâts car j'avais lu qu'il
avait tout réduit en miettes. Eh bien, il n'y avait rien du tout de cassé”.
Titre : “Ma fille Farah est toute ma vie. Elle est quotidiennement dans ma pensée,
profondément installée dans mon coeur. Le manque est indescriptible.”
Baby-sitting
"Hélas, il est un bouc émissaire" continue Marina. "La façon dont il est traité et ne reçoit aucune
chance me révolte. Il a en effet tué quelqu'un, un homme qui avait violé sa petite amie de l'époque.
A ce sujet, il est catégorique: “on ne touche pas à une femme”. Tous les autres événements ont eu
lieu dans la sphère privée. Il n'est pas un voleur, hé, pas un pédophile, pas un trafiquant de drogue.
Il ne représente absolument aucun danger pour la société et cependant, on ne lui laisse aucune
chance. Ecrivez ceci : je lui demanderais, le coeur en paix, de garder mes petits-enfants ».
Coeur d'or
Gérard De Coninck lui aussi prend sans hésitation le parti de Farid. Cet homme a été le directeur
des prisons de Ittre et de Lantin et est actuellement membre du Conseil Central de surveillance
pénitentiaire qui veille au traitement des détenus. “Farid a en réalité un coeur d'or”, dit-il. “Il veut
juste ne pas se laisser détruire. Prenez par exemple Forest où ils sont venus une fois le chercher
avec 18 gardiens. C'est logique qu'il se révolte à ce moment-là et qu'il s'ensuit des escarmouches.
Que voulez-vous? Farid devient agressif uniquement quand on le place dans un tel contexte. On
dit qu'on l'a mis en isolement pour protéger les gardiens mais c'est souvent le contraire. Je peux
vous montrer des décisions de directions qui l'ont mis en isolement pour le protéger des gardiens.”
Cible
"La formation et le recrutement de gardiens sont encore tout à fait insuffisants», dit encore De
Coninck. «La moitié des gardiens est socialement évoluée, mais une autre partie n'est pas mieux que
les détenus eux-mêmes. Ils veulent être considérés comme chefs. Cela va du «Allons-nous imposer
à la plupart des sanctions disciplinaires aujourd'hui?” Faire retomber leurs frustrations sur les
détenus, qu'est qui est le plus facile? Ainsi Farid est devenu la cible idéale, car il n'est que Farid le
Fou, le fou. Ils le poussent à l'extrême et l'utilisent pour poser toutes sortes d'exigences. Pourquoi
est-ce que je dis cela? Parce que je ne peux pas supporter le mal. Farid a un plan de réinsertion pour
le jour où il sera libéré. Il a un thérapeute, une maison, et il peut y suivre un programme de
formation en informatique. Il n'y a pas de risque de récidive, pas de risque pour ses anciennes
victimes, aucun risque de délit de fuite. Mais pourtant il ne reçoit aucune chance. Je ne comprends
pas.”
Traitement de faveur
Michel Jacobs, ancien géôlier et maintenant secrétaire fédéral de la CGSP-AMIo wallonne,
responsable du système pénitentiaire, a bien une explication. «Naturellement, l'arrivée de Farid
provoque partout des tensions” dit-il. "Il ne supporte par exemple absolument pas le bruit et dès
lors, il veut vivre en isolement. Mais les régimes carcéraux ne sont absolument pas prévus pour ça.
Un tel traitement préférentiel crée de l'irritation chez les autres détenus, mais aussi chez le
personnel. Nous préconisons depuis longtemps qu'il soit mis en régime normal, mais il semble
qu'avec lui, ce n'est pas possible. Dès lors, le problème se trouve bien chez lui. "
RENE DE WITTE/SASKIA VAN NIEUWENHOVE
Traitement inhumain
L'Etat doit payer 5.000 euro par transfert
A cause des transferts incessants, parfois mensuels, de prison en prison, l'Etat Belge a été condamné
en septembre 2012 à payer une amende de 5.000 Euros chaque fois que Farid est encore forcé de
déménager. La disposition a été confirmée le 6 décembre 2013 par la Cour d'appel de Bruxelles.
L'Etat n'a pas été en cassation, dès lors, l'amende est définitive. Pourtant, depuis septembre 2012, il
a encore été transféré 4 fois. Marc NEVE, l'avocat prod-déo de Bamouhammad, a actuellement
porté plainte (expression exacte?). L'affaire sera plaidée en janvier 2015 et peut coûter à
l'administration pénitentiaire une belle somme d'argent.
Indemnité
En janvier de cette année, Farid a déjà reçu une indemnité de € 11 000 en raison de «traitement
inhumain d'un détenu." C'était la première fois dans l'histoire de l'administration pénitentiaire
qu'une direction a été jugée coupable de ce délit par un tribunal. A son arrivée à Ittre, il a été
transporté par les jambes et les bras par des géöliers dans une cellule d'isolement. Un commissaire
de police a été témoin de la scène et a déclaré qu'il n'y avait pas la moindre raison de traiter Farid
cette façon.
Dans la cellule, il a été menotté aux poignets et aux chevilles, avec chaque fois une chaîne de 30
cm. Les deux chaînes étaient reliées entre elles par une chaîne de 80 cm. Eles étaient si serrées qu'il
a été blessé. Pendant dix jours, il n'a pas pu prendre de douche et changer de vêtements. Le
directeur et son adjoint ont fait appel de leur condamnation. L'affaire sera plaidée en Février 2015.
RDW/SVN
Légendes des photos
- Farid a pris son ex-belle-famille en otage parce qu'il ne pouvait pas supporter de ne plus pouvoir
voir sa fille.
- “Farid n'est qu'un bouc émissaire” pense Marina (photo de Marina)
- L'ex-directeur de prison Gérard De Coninck. “Farid a un coeur d'or.” (photo de Gérard De
Coninck)
- Farid se trouve actuellement dans la prison de Marche-en-Famenne (photo de Farid)