ESTOCADA À LA WALL STREET Incontestablement l

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ESTOCADA À LA WALL STREET Incontestablement l
ESTOCADA À LA WALL STREET
Incontestablement l’événement de la semaine dernière, la démission du PDG de la Bourse de New York (NYSE),
Richard Grasso, à la suite du scandale de son package salarial (quelque 140 millions de $ d’indemnités!) rappelle
la célèbre technique de la tauromachie, l’estocada. C’est la dramatique mise à mort du toro, dans un final ouvert à
toutes possibilités, où le matador se fait un honneur de provoquer la mort, dans un jeu excitant d’attirance fatale et
de force déchaînée. Un jeu qui raffole les aficionados et qui les entraîne dans des passions démesurées (qui écrit
a pu le constater à la Feria de Nîmes, ce w/e!)…
Un jeu qui s’applique aussi aux marchés actuels, en proie à l’indécision et aux changements essentiels imminents
au sein de la Bourse américaine et pas seulement, qui annoncent l’ère après-Grasso. Les 211 ans d’histoire du
marché actions no.1 mondial en termes de capitalisation boursière montre que les chances d’une révolution au
NYSE sont très importantes: après Grasso, le tour sera au conseil d’administration (le Board) à changer
(entièrement?) pour rassurer les investisseurs et le public. Comme quoi un scandale peut en cacher un autre, ainsi
qu’une vague de changements réglementaires et de coups de balai au milieu financier le plus huppé du monde.
PRIMO TERTIO: ADMIRATION DES FOULES
C’est à l’occasion des attaques de WTC, le 11 septembre 2001 que le président du NYSE, William Grasso, avait
gagné l’estime et le respect des marchés, pour maintenir l’ordre et l’équilibre dans une Bourse anéantie par la
panique, fermée plusieurs jours après les attaques. Il est ainsi arrivé à un statut de réputation financière presque
intangible, couronné par les honneurs de la Bourse, dont la fameuse ouverture de séance à Wall Street, l’un des
événements les plus symboliques du monde financier…et le plus regardé.
Mais la fortune est passagère, et deux ans plus tard c’est le début de la fin : le 27 août 2003, le jour où le NYSE
dévoilait un énorme package de 140 millions de $ attribué au Président. Bizarrement, M.Grasso avait lui-même
commenté devant le Board du NYSE l’utilité d’une telle indemnité, sans que cela inquiète les administrateurs. Ils
ont même trouvé des raisons valables de lui accorder ce package et de le rendre public (alors que parmi les 24
membres qui l’avaient voté, il y avait certains qui n’avaient même pas lu son contrat avec attention..).
SECUNDO TERTIO: PIQUES DE LA SEC ET BANDERILLAS DES FONDS DE PENSION
La suite de la publication des termes du contrat de M. Grasso: le chef de la SEC, William Donaldson commente le
fait avec suspicion, en se posant des questions sur l’efficacité de la structure de gouvernance du NYSE. C’est déjà
un coup dur à la réputation du PDG, qui annonce le lendemain qu’il serait prêt à renoncer à 48 millions de $ de sa
paie future…
Mais il est trop tard, l’affaire fait la une de la presse et devient le scandale financier de l’année: comment peut-on
payer une telle somme et pourquoi faire, quels sont les intérêts cachés des administrateurs (12 parmi les 27
membres du Board sont des grands patrons des maisons de courtage qui font du trading à Wall Street). Des
questions qui ont porté leurs fruits jeudi dernier, quand l’appel à la démission de Grasso fait par les 3 plus grands
fonds de pension US (y compris Calpers), gérant 350 milliards de $ d’actifs, a fait office de cerise sur le gâteau de
départ de M Grasso.
TERTIO FINAL: DÉMISSION !
C’est ainsi que Dick Grasso s’est vu obligé de quitter l’arène de la Bourse, la mise à mort fut implacable…. Sa
démission est en fait très mal tombée, le moment où la Bourse sort timidement d’une série noire de 3 années de
crise, d’écroulement des cours, d’explosion de la bulle technologique, doublée par les scandales comptables
d’Enron ou WorldCom. Paradoxalement, les 4 dernières années la NYSE avait vu ses profits opérationnels
augmenter de 22% (de 848 millions à 1.03 milliards de $), et son président Grasso avait gagné 12 millions de $ en
2002, le double de ses revenus en 1998 (après avoir gagné un maximum de 25.6 millions de $ en 2001). Un peu
trop bizarre, vu que les marchés se sont effondrés, alors que la bourse même (comme société) enregistrait un
profit de 31.8 millions rien qu’en 2001…
UN LEADER… VITE !
Et alors, qui sera désormais à la tête du NYSE, et surtout combien va coûter le règlement de l’affaire Grasso?
Sachons que si M. Grasso, 57 ans dont 36 dédiés à la Bourse de NY, arrive à prouver qu'il a été forcé à partir sans
raison valable, il aura alors droit à quelque 9 millions de $ d'indemnités de départ, soit l'équivalent de 4 ans de
salaire qui lui restait jusqu'en 2007, à la fin de son contrat.
Alors qui choisir à la place de Grasso comme Chairman et CEO du NYSE ? Il pourrait même être question de deux
personnes, vu que la poste serait probablement divisé en deux fonctions séparées… Il faut donc trouver tout de
suite Mr. Right, une personne intègre et fort connue des marchés à NY, ainsi que dans les salons des autorités
monétaires à Washington, qui pourra rassurer et regagner la confiance des investisseurs institutionnels, les fonds
de pension en tête.
Les spéculations autour des noms des candidats à la succession de Mr. Grasso sont nombreuses et la liste ne
cesse pas de modifier: il y aurait 5 candidats potentiels qui avaient déjà refusé l’honneur. Même le fait de décider
un directeur intérimaire a été un exploit: on a finalement choisi M. Carl McCall, après le refus de M Larry Sonsini,
avocat chez Wilson Sonsini, l’administrateur pressenti pour devenir PDG par intérim. Quant aux propositions de
remplacement, bien sûr encore au niveau de rumeurs et bruits de marché, on a évoqué le nom du gourou de la
Finance, Warren Buffett, 73 ans, Président de Berkshire Hathaway Inc … ce qui serait absurde, dans l’opinion des
membres du comité de nomination, vu qu’il est un gérant de portefeuille, donc un cas classique de conflit d’intérêts.
Les autres candidats? On a aussi parlé du président de Citigroup, Robin Rubin, 65 ans, qui avait déjà eu, sous
l’administration Clinton, le poste de Secrétaire au Trésor US (1995- 1999), après avoir servi comme co-Président
chez Goldman Sachs (1990 –1992). Sinon, un autre nom très véhiculé est celui de William McDonough, 69 ans,
star de la Fed (en tant qu’ex-Président de la Fed de NY et l’autorité la plus influente après Greenspan). Il est
actuellement le Président du Comité de contrôle comptable américain (Public Company Accounting Oversight
Board). Ou pourquoi pas Paul Volcker, 76 ans, ex-Président de la Fed (1979 – 1987), une autre autorité de marque
du marché US, qui a déjà recommandé que les entreprises américaines (donc pourquoi pas le NYSE ?) séparent
les fonctions de Chairman et CEO … Un autre nom possible: Arthur Levitt, 72 ans, ex Président d’American Stock
Exchange (1978-1989), actuellement directeur de Bloomberg LP… et la liste pourrait continuer.
Ce matin, il semble qu’on ait trouvé la bonne personne, qui sera le nouveau PDG par intérim du NYSE: John Reed,
64 ans, ancien président de la Citigroup, une personne très intègre et très appréciée par tous les spécialistes de la
Bourse, une star de la finance qui peut aussi bien jouer le directeur chez Altria (parent du géant du tabac Philip
Morris) que le retiré tranquille 6 mois par an sur l’Ile de Ré. Le prix qu’on va lui payer pour succéder à Grasso sera
de… 1 dollar! Il aura ainsi comme principale tâche l’obligation de trouver un leader viable et permanent pour la
Bourse et de reformer son organisation.
Même le président de la SEC, Donaldson, lui trouve que des atouts: « il est indépendant, expérimenté et il a des
recommandations excellentes »… alors c’est parti pour un mandat intérimaire, qui va durer quelques mois
seulement, d’après M. Reed même .. à moins qu’on l’aime trop pour le laisser partir si vite. Qui vivra verra, mais il
faut toujours savoir que le job n’est pas une sinécure! Parce que le nouveau Président aura un travail qui, selon la
formule déjà présentée par M. Grasso, tiendra à 2/3 de la direction des services financiers et à 1/3 des
responsabilités de réglementation de marché; une personne qui devra gérer les relations (et les critiques!) de la
SEC sur l’application des procédures de corporate governance.
VIVA LA REVOLUCION … OLE !
Réuni vendredi dernier pour discuter le plan de succession inexistant à l’heure de la démission de Grasso
(inadmissible, au pays de la gouvernance d’entreprise!!), le Board est lui même sur le feu. Quel sera son avenir, vu
qu’il est en partie à l'origine du scandale Grasso (qui avait approuvé ses salaires, sinon le Board?).
Bien sûr, la démission du PDG a été prise pour une victoire par les gros investisseurs américains, qui avaient trop
e
souvent demandé des changements au sein de la 1 place boursière du monde, anéantie par la crise de confiance
de ces dernières années (affaires Enron, WorldCom ou d’autres « badineries » comptables finies en grosses
fraudes). Mais le vrai travail d’Hercule pour restaurer la confiance des investisseurs et redorer le blason de Wall
Street ne fait que commencer. Les investigations de Mr. Spitzer et ses essais d’imposer un nouveau code de
déontologie aux analystes et traders devrait continuer par l’adoption des mesures concrètes de réforme
fondamentale de la Bourse. On parle de la question trop brûlante de la rémunération de ses dirigeants: les
mécanismes qui règlent ce calcul doivent être modifiés, de façon à ne plus permettre des sommes exorbitantes en
guise de salaires. Une autre affaire douteuse de la maison: le fait que la société qui exploite la Bourse a un double
rôle, assez contradictoire, de régulateur du marché boursier et société à but lucratif.
C’est une course contre la montre dont le prix est le statut de modèle de gestion, de responsabilité et de
transparence à acquérir par la NYSE. La date à retenir: le 2 octobre, quand le Board aura à analyser les modalités
concrètes de reforme du NYSE. Parmi ces mesures, la réduction du nombre d'administrateurs- courtiers est l’une
des plus difficiles à faire. Il s’agit aussi de limiter le pouvoir des dirigeants dans la nomination du Board et même de
l’éventuelle introduction en bourse de cette société qui fonctionne à présent selon un modèle associatif. Sans
oublier l’anachronisme du système de trading du NYSE, basé sur les adjudications faites par les traders
spécialistes qui cotent simultanément les 2559 valeurs de la Bourse…
Finalement, le remplacement de Grasso n’est que la partie émergée de l’iceberg de changements de fond à faire à
Wall Street. A commencer par le remaniement du Board des administrateurs et à suivre avec les réformes
demandées pour satisfaire la SEC soucieuse de la discipline financière, les traders qui ont assez des
commissions à payer, les firmes cotées qui demandent plus d’accessibilité et de transparence et les investisseurs
qui soupçonnent d’autres affaires louches.. y a-t-il des intéressés dans le public??? De toute façon, la corrida doit
continuer et la bourse doit rester sous le signe du toro !
CRISTINA VASILESCU