LE CANADA ET LA DÉFENSE CONTRE LES MISSILES
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LE CANADA ET LA DÉFENSE CONTRE LES MISSILES
LE CANADA ET LA DÉFENSE CONTRE LES MISSILES BALISTIQUES Capsule d’information pour les parlementaires TIPS-132F Bibliothèque du Parlement Le 18 octobre 2004 La recherche de moyens de défense contre les missiles balistiques de longue portée est une entreprise complexe sur le plan technologique, qui soulève la controverse dans les milieux politiques depuis des décennies. Voici d’ailleurs comment un haut fonctionnaire de la Défense aux États-Unis a résumé en 2002 les enseignements qu’il faut tirer de nombreuses années de débats et de controverse entourant la défense antimissile : La défense contre les missiles balistiques est depuis longtemps un sujet de controverse au Canada, le gouvernement canadien essayant de trouver un juste milieu entre, d’une part, sa collaboration étroite avec les États-Unis à la défense de l’Amérique du Nord et, d’autre part, ses grandes priorités, dont le contrôle des armes. En 2004, le gouvernement était bien près d’une décision définitive sur la question. Historique D’abord, l’instinct de défendre sa patrie contre une attaque de missiles à grande portée est durable et, en dernière analyse, impérieux. Puis, il reste à prouver qu’on a la capacité technologique de le faire […] Les gens ont tendance à être obsédés par la logique de la défense antimissile ou par sa technologie, mais ils n’en tiennent jamais compte […] Ce dilemme explique pourquoi […] la question continuera de faire l’objet d’un dialogue de sourds.(1) En 2004, un certain nombre de pays alliés avaient déjà promis leur appui à un programme américain de défense antimissile destiné à protéger les États-Unis, leurs alliés et les troupes déployées contre les missiles de toute portée, en les interceptant à différentes étapes de leur vol. L’administration Bush était même prête à annoncer l’entrée en opération, avant la fin de l’année, d’une « capacité initiale » faisant appel à des intercepteurs au sol pour défendre les États-Unis contre une attaque limitée au moyen de missiles balistiques. Or, les efforts consentis pour mettre au point de tels systèmes continuent de soulever bien des critiques d’ordre technique, financier et stratégique, aux États-Unis comme ailleurs. Soulignant l’importance des relations bilatérales avec les ÉtatsUnis, une observatrice a indiqué que c’est la raison, et non le cœur, qui, dernièrement, pousse les pays alliés à appuyer les États-Unis dans cette entreprise(2). Dès les années 1940, l’armée américaine a reconnu les difficultés techniques que pose la défense contre les missiles balistiques de longue portée, mais les recherches à ce sujet se sont poursuivies au fil des ans. Puisque la mise en place d’un système de défense antimissile efficace aurait contrarié l’idée de destruction mutuelle assurée qui était considérée comme le fondement de la stabilité stratégique pendant la guerre froide, les États-Unis et l’Union soviétique ont signé en 1972 un traité bilatéral concernant la limitation des systèmes antimissiles balistiques. Ce traité limitait considérablement les défenses antimissiles balistiques en restreignant la recherche et le nombre d’installations d’interception, en plus d’interdire la mise en place de systèmes conçus pour défendre des pays entiers(3). Au cours des années 1980, le président Ronald Reagan s’est prononcé en faveur du déploiement au sol et dans l’espace d’un bouclier antimissile, afin d’assurer la protection des États-Unis. Les critiques se sont empressés de qualifier ce programme de « Guerre des étoiles », affirmant qu’il était techniquement impossible à réaliser, mais qu’il risquait tout de même d’entraîner une nouvelle course aux armements, car d’autres puissances nucléaires voudraient sûrement se doter de moyens de le déjouer. Au lendemain de la guerre froide, l’administration Clinton a mis fin au programme prôné par Reagan. Les États-Unis n’en ont pas moins poursuivi leurs recherches sur des systèmes de Ce document est la version papier d’une capsule d’information Web consultable en ligne à http://lpintrabp.parl.gc.ca/apps/tips/index-f.asp LIBRARY OF PARLIAMENT BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT 2 défense contre les missiles à courte portée, vu l’utilisation qu’avait faite Saddam Hussein des misiles SCUD pendant la première guerre du Golfe. À la fin des années 1990, le Congrès américain a ordonné le déploiement d’un véritable système national de défense antimissile « dès qu’un tel système serait technologiquement possible ». Après avoir pris en considération un certain nombre de facteurs, dont la menace, le coût, la faisabilité sur le plan technologique et les répercussions de ce projet sur les relations internationales et le contrôle des armements, l’ancien président Clinton a cependant décidé, en 2000, de ne pas autoriser le déploiement d’un tel système à ce moment-là. L’administration Bush est arrivée au pouvoir avec la conviction que les missiles balistiques représentaient la plus grave menace à laquelle devaient faire face les États-Unis. Malgré la très grande simplicité des moyens utilisés au cours des attentats terroristes de 2001, les partisans de la défense antimissile ont affirmé que ces événements avaient fait ressortir la vulnérabilité de l’Amérique. Les États-Unis se sont donc retirés du Traité ABM en 2002, bien décidés à se doter d’un système de défense intégrant des éléments terrestres, maritimes et aériens, afin de se protéger contre une attaque limitée lancée par un État voyou ou contre le lancement accidentel d’un missile par la Russie ou la Chine, ainsi qu’à poursuivre les recherches technologiques concernant les systèmes basés dans l’espace, bien qu’aucune décision n’ait été prise jusqu’alors concernant l’arsenalisation de l’espace. Ils ont aussi annoncé leur intention d’« entreprendre, avant la fin de 2004, l’installation d’un ensemble de dispositifs de défense antimissile ». Compte tenu de la priorité accordée à l’élaboration d’un tel système et des difficultés que posent les essais et d’autres aspects technologiques, l’administration américaine a soustrait la défense antimissile à certaines exigences aux chapitres de l’évaluation et de l’obligation de rendre compte. Le Government Accountability Office a réagi, en avril 2004, en indiquant que les autorités décisionnelles au département de la Défense et au Congrès « ne connaissent pas exactement le coût total d’élaboration et de mise en place du système de défense contre les missiles balistiques envisagé, ni les capacités réelles de ce système » et que « l’efficacité du système n’aura pas encore été éprouvée lorsque ce dernier sera mis en alerte pour la première fois »(4). Le débat actuel Le débat sur la question de la défense contre les missiles balistiques est souvent frustrant. Les partisans de ce programme affirment que les ÉtatsUnis doivent pouvoir protéger leurs citoyens, ce à quoi leurs adversaires opposent toute une gamme d’arguments d’ordre technique, stratégique et financier. En résumé, les motifs invoqués par les partisans d’un système de défense antimissile sont les suivants : les États-Unis ont le droit (et le devoir) de protéger leur population; la menace d’une attaque au moyen de missiles balistiques ne cesse de grandir; la présence d’un système de défense antimissile pourrait avoir un effet dissuasif; il vaut mieux avoir une capacité de défense limitée que rien du tout, et la technologie s’améliorera avec le temps. Leurs adversaires font valoir les arguments suivants : la menace d’une attaque au missile balistique n’est pas la plus urgente à laquelle les États-Unis sont confrontés, et on engouffrera dans le présent système des milliards de dollars qu’il vaudrait mieux dépenser pour contrer des menaces plus directes, comme celles que pose le terrorisme(5); le présent système sera inefficace, pour un certain nombre de raisons techniques, et le constructeur d’un missile balistique peut facilement prévoir des contremesures capables de déjouer un système de défense antimissile; même si le système ne fonctionnera probablement pas comme prévu, des pays comme la Russie, et surtout la Chine, qui dispose d’un stock limité de missiles à longue portée, réagiront en renforçant leur capacité nucléaire, entraînant ainsi des actions similaires de la part de leurs rivaux régionaux, tels que l’Inde et le Pakistan; LIBRARY OF PARLIAMENT BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT 3 la décision prise par les États-Unis de poursuivre leurs recherches sur les armes de l’espace soulève la possibilité d’une arsenalisation éventuelle de l’espace(6). Dans l’ensemble, les deux partis au Congrès américain conviennent en principe de l’idée de déployer un système de défense antimissile, sauf qu’ils ne s’entendent pas sur la façon de procéder, compte tenu du coût et des difficultés techniques liés à ce projet. Le candidat démocrate à la présidence, John Kerry, a qualifié la défense antimissile de « fausse priorité » et indiqué qu’une fois élu président, il érigerait un système de défense antimissile, mais pas au prix d’autres priorités plus urgentes, et qu’il réduirait la quantité de fonds engagés dans la défense antimissile, afin d’augmenter le nombre de troupes en service actif au sein de l’armée américaine(7). Le point de vue canadien Le point de vue du Canada sur les systèmes de défense antimissile s’appuie, d’une part, sur sa collaboration étroite avec les États-Unis à la défense de l’Amérique du Nord, notamment dans le cadre de la Défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), et, d’autre part, sur sa position ferme à l’égard de la non-prolifération et du contrôle des armes à l’échelle internationale, et notamment du principe de non-arsenalisation de l’espace que défend le Canada depuis longtemps. Les Canadiens qui se disent en faveur de la participation du Canada au programme de défense antimissile américain semblent préoccupés davantage par l’idée de préserver le rôle du Canada dans la défense du continent et, du coup, de protéger la souveraineté canadienne, que par la défense du Canada ou de l’Amérique du Nord contre la menace directe d’une attaque au moyen de missiles balistiques. Le Canada a été invité, dans les années 1980, à participer au programme de défense antimissile proposé par l’administration Reagan. Le gouvernement canadien a décliné l’invitation, mais il a autorisé la participation d’entreprises canadiennes aux activités de recherche et de développement. Après que le Congrès américain a eu ordonné, dans les années 1990, le déploiement d’un système national de défense antimissile, certaines personnes au Canada ont exprimé l’avis que le gouvernement devait appuyer un tel système, faute de quoi il risquait de perdre son rôle dans la défense commune du continent américain, dans le cadre du NORAD. Le gouvernement canadien a démontré très peu d’empressement à cet égard, surtout en raison des répercussions possibles sur le Traité ABM et du risque de déclenchement d’une nouvelle course aux armements avec la Russie. En bout de ligne, comme les États-Unis n’avaient pas encore décidé de la facon dont ils déploieraient leur système ni demandé officiellement au Canada d’y participer, le gouvernement canadien n’a pas eu à se prononcer avant 2002. Cette année-là, le contexte avait changé sensiblement : l’obstacle que présentait le Traité ABM avait disparu, la Russie avait donné son aval à contrecœur et les États-Unis avaient décidé de procéder, pour 2004, à la mise en place d’un dispositif opérationnel initial. Dans un rapport majoritaire, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes a indiqué ce qui suit en 2002 : […] ce n’est que dans plusieurs années que les avantages d’un système de défense antimissile deviendront apparents, mais la chaîne des événements récents a eu pour effet de réduire considérablement les coûts diplomatiques et autres associés à l’établissement de tels systèmes. Le gouvernement du Canada n’accorderait certes pas la priorité à l’établissement d’un tel système de son propre chef, mais son alliance étroite avec les ÉtatsUnis l’oblige à prendre au sérieux le sentiment de vulnérabilité des Américains.(8) Le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants de la Chambre des communes a aussi entendu des témoignages concernant la défense antimissile au cours d’une étude menée en 2003 sur la coopération pour la défense entre le Canada et les États-Unis. En 2003, le Canada a annoncé qu’il amorcerait des discussions avec les États-Unis au sujet d’une LIBRARY OF PARLIAMENT BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT 4 éventuelle participation à la défense antimissile de l’Amérique du Nord. L’année suivante, il acceptait de modifier l’Accord du NORAD, afin de permettre la transmission des données de détection de missiles au commandement américain chargé de la défense antimissile balistique. Le Canada n’a cependant pas encore pris de décision officielle concernant sa participation au système. Dans un discours prononcé aux Nations Unies en septembre 2004, le premier ministre Martin a répété que son pays s’opposait à une arsenalisation de l’espace. Le ministre de la Défense Bill Graham a réitéré cette position. Par contre, il a déclaré publiquement que, puisque le Canada collabore depuis longtemps avec les États-Unis à la défense de l’Amérique du Nord, le pays finirait, à son avis, par regretter de ne pas participer au projet américain de défense antimissile, lequel n’entraîne pour l’instant aucune arsenalisation de l’espace et pourrait être techniquement plus avancé dans l’avenir. Notes (1) Eliot Cohen, cité dans le rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international (CPAECI) de la Chambre des communes intitulé Partenaires en Amérique du Nord : Cultiver les relations du Canada avec les États-Unis et le Mexique, décembre 2002, p. 125. (2) Nicole C. Evans, « Missile Defense: Winning Minds, Not Hearts », Bulletin of the Atomic Scientists, septembreoctobre 2004. (3) Conformément au Traité, l’Union soviétique a érigé autour de Moscou un système de défense qui demeure opérationnel à ce jour. Les États-Unis ont mis sur pied un dispositif de défense destiné à protéger un emplacement de missiles dans le Dakota du Nord, qu’ils se sont cependant empressés de démanteler en raison des coûts d’exploitation élevés et des doutes qu’ils entretenaient relativement à son efficacité. (4) Voir Government Accountability Office (GAO), Missile Defense: Actions Are Needed to Enhance Testing and Accountability, GAO-04-409, avril 2004, « What GAO Found », p. 6. (5) Les États-Unis ont déjà consacré quelque 85 milliards de dollars américains aux programmes de défense antimissile balistique depuis 1985, et selon le journaliste Bradley Graham du Washington Post (auteur d’un livre paru en 2001 sur la défense antimissile), prévoient investir annuellement encore au moins 9 à 10 milliards de dollars américains dans ces programmes au cours des cinq prochaines années. Le milieu américain du renseignement a laissé entendre, en décembre 2001, que les États-Unis pourraient vraisemblablement être attaqués au moyen d’armes de destruction massive ne faisant pas intervenir de missiles, car de telles armes « sont moins coûteuses, plus faciles à obtenir, plus fiables et plus précises. Elles peuvent également être utilisées sans mention de la source. » Voir à ce sujet Robert Walpole, cité dans le rapport de 2002 du CPAECI, p. 122. (6) Le Traité interdit l’installation d’armes de destruction massive dans l’espace, mais pas l’installation d’armes conventionnelles. Malgré la mise en orbite de satellites de surveillance et de communications militaires, les pays se sont gardés jusqu’à présent de déployer des armes dans l’espace. Vu l’importance de l’espace pour les communications et à d’autres fins civiles, le Canada et d’autres États sont d’avis qu’il est préférable de s’entendre à l’avance sur la nonarsenalisation de l’espace, au lieu d’essayer de renverser la vapeur une fois que certains pays auront déjà commencé à déployer des armes dans l’espace. (7) Cité dans Center for Defense Information, CDI Missile Defense Update, no 11, 2004. (8) Rapport de 2002 du CPAECI, p. 125. préparé par James Lee Service d’information et de recherche parlementaires Pour en savoir plus… Voir la bibliographie ainsi que les hyperliens internes et externes de la version Web du présent document à : http://lpintrabp.parl.gc.ca/apps/tips/index-f.asp ou composer le (613) 996-3942