Les acteurs : nerfs de guerre d`un système de veille stratégique

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Les acteurs : nerfs de guerre d`un système de veille stratégique
Business School
WORKING PAPER SERIES
Working Paper
2014-145
Les acteurs : nerfs de guerre d’un
système de veille stratégique
Manelle Guechtouli
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IPAG Business School
184, Boulevard Saint-Germain
75006 Paris
France
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Les acteurs : nerfs de guerre d’un système de veille stratégique
Manelle Guechtouli
IPAG Business School, Paris et Nice
[email protected]
Résumé
Cet article s’intéresse à la place et au rôle des acteurs dans un système de veille stratégique
(SVS). Notre approche considère ces derniers comme étant au cœur du SVS dans la mesure
où ils le font vivre à travers leurs interactions, échanges mais aussi connaissances et
compétences. Précisément, nous allons aborder les aspects « métiers » de ces derniers en
recentrant notre questionnement autour d’une problématique précise : quelles sont les
compétences nécessaires pour les veilleurs dans un SIVS et quels métiers exercent-ils dans
une organisation?
Introduction
Dans les années 1970, les processus de veille commencent à être formalisés en entreprise avec
l’apparition de « cellules de veille » : ceux que l’on appelle communément « les veilleurs »
constituent un personnel – à temps plein – chargé par le management de faire de la veille et
affecté à un service particulier de l’entreprise (souvent la stratégie, le marketing ou la R&D),
[Hannon, 1997].
Ces cellules de veille témoignent d’un passage d’une veille individuelle à une veille
organisationnelle et reflètent une prise de conscience du caractère nécessairement collectif du
processus de veille.
De fait, vu le nombre de sources d’information qui existent pour une entrepris (les
informations publiées, les informations collectées via les clients, les fournisseurs, les
ventes…) la tâche de collecte d’information semble accablante voire impossible si elle est
confiée à une ou deux personnes dans l’entreprise [Gilad et Gilad, 1983].
En effet, les capacités cognitives humaines étant naturellement limitées [H.A.Simon, 1986],
ces personnes seraient vite submergées par la quantité d’informations à traiter. De plus, Gilad
[1989, p. 32] note que, souvent, les entreprises qui assignent uniquement un seul analyste aux
taches de collecte, d’analyse et de diffusion de l’information de veille rencontrent des
difficultés à convaincre les managers d’utiliser les résultats du processus de veille et à gagner
en crédibilité et en pertinence quant aux informations de veille. H. Lesca [1994] precise ainsi
que l’écoute intelligente et attentive de l’environnement ne peut être que l’affaire de
l’entreprise toute entière et non pas uniquement d’une partie de ses membres.
Si l’on accepte l’aspect collectif de la veille on comprend alors le besoin d’une organisation
du processus et des ressources allouées, cette organisation pouvant être formelle ou informelle
[Gilad, 1989, p. 67].
Les réseaux humains et les groupes de travail peuvent être considérés comme des « atouts »
dans le cadre d’un système de veille, dans la mesure où ils peuvent être vus comme des «
zones d’échanges », où l’information circule et la connaissance s’enrichit [Henry, 2001]. Pour
cela, Doucet et Gingali, [2004, p. 95] prônent la transversalité et des angles de vue différents
au sein du groupe car plus les profils sont complémentaires, plus les échanges au sein du
groupe s’enrichissent.
Dans cette perspective, les confrontations de point de vue représentent un mode de
socialisation ou les membres du groupe créent de la connaissance sous forme de
représentations partagées [Reix, 2004, p. 276].
Par ailleurs, les acteurs possèdent des aptitudes et des perceptions différentes naturellement
limitées. Ils ne peuvent vraisemblablement pas traiter toutes les informations issues de leur
environnement.
Dans ce contexte, H.A. Simon [1959, p. 273] suggère à travers sa théorie de la rationalité
limitée que « chaque organisme humain vit dans un environnement qui produit des millions
de bits de nouvelle information chaque seconde, mais le goulot d’étranglement de l’appareil
de perception n’admet certainement pas plus de 1000 bits par seconde et probablement
moins». Par conséquent, travailler collectivement dans ce contexte pourrait permettre de
dépasser ce type de contraintes.
De plus, valoriser la diversité des connaissances, des compétences et des idées qui se trouvent
dans une collectivité et organiser cette diversité en un dialogue créatif et productif s’apparente
à de l’intelligence collective [Zara, 2005].
Le concept admet plusieurs acceptations, nous retiendrons celle de Mack [1997] qui le définit
en termes d’aptitudes : « les aptitudes de l’intelligence collective sont multiples : capter et
interpréter des signaux nouveaux, décider comment réagir, juger si de nouveaux schémas
d’action et de pensée sont devenus nécessaires, générer de nouvelles configurations de
schémas et « savoir » choisir celle qui est la plus créatrice parmi celles envisagées. En
résumé, l’intelligence collective donne du sens à ce que le système perçoit ».
S’agissant d’un système de veille, cela reviendrait à donner individuellement puis
collectivement du sens à ce que le système de veille perçoit : les acteurs interprètent chaque
information qu’ils perçoivent et l’intègrent dans leur processus cognitif, « cette construction
de sens est à la fois un processus individuel et collectif » [Reix, 2004, p. 276]. Echangées et
communiquées, ces interprétations individuelles entrent dans un processus collectif de
création de sens [Caron-Fasan, 1997, Belmondo, 2003] et peuvent s’enrichir pour apporter de
la valeur ajoutée à l’organisation. Par ailleurs, les acteurs sont largement aidés dans cette
perspective par les TIC qui permettent une meilleure communication et facilitent le transfert
d’informations.
Ainsi, il semblerait que les interactions soient devenues « plus larges suite à l’évolution des
technologies et tous les supports existants pour faciliter la communication, les échanges
d’information ainsi que les interactions » [Favier etal., 1998, p. 171].
Au-delà des aspects purement technologiques, la dimension humaine du système de veille
prend une importance particulière car les informations provenant du réseau humain («
personal sources ») constituent environs 70% de l’information de l’environnement [Stoffels,
1982, p. 6]. Ces informations semblent particulièrement pertinentes et ponctuelles. Herring
[1998, p. 6] souligne à ce propos que les ressources humaines procurent souvent les
informations les plus adéquates et les plus exceptionnelles. De plus, selon la théorie de la
richesse informationnelle [Daft et Lengel, 1984] les informations informelles (ou «
informations d’origine terrain » [Lesca, 2003]) issues de sources informelles (rumeurs,
discussions informelles, etc.) sont estimées plus « riches » que les informations formelles
provenant de sources formelles (presse, sites Internet, salons, …).
L’information informelle constitue une part importante des informations de veille, et peut
provenir de sources aussi improbables qu’une conversation anodine ou un bruit de couloir. A
ce propos, Stoffels [1982, p. 6] rappelle que « des informations environnementales
importantes peuvent provenir de sources personnelles imprévues et éloignées : une
conversation dans un avion, rencontre par hasard d’un voisin ou d’un ami ». Ce type
d’information est issu d’échanges (informels) entre acteurs et d’interactions souvent difficiles
à appréhender.
Sans toutefois négliger les informations provenant de sources formelles (Presse, site
Internet,…) ou minimiser le support des TIC dans ce contexte, nous allons nous concentrer
sur l’aspect humain du processus. Dans les paragraphes suivants, nous allons nous intéresser
de manière spécifique aux acteurs qui font le réseau de veille, à leurs métiers comme à leurs
compétences.
1. Typologie des acteurs de la veille
Il ne s’agit pas là de lister tous les acteurs appartenant au réseau de veille mais d’identifier les
différentes catégories d’acteurs participant de manière active au processus de veille. Nous
nous intéresserons plus particulièrement à la classification des acteurs à travers leurs
différents métiers afin de comprendre leurs rôles dans le cadre d’un système de veille
stratégique. Nous pouvons recenser trois catégories d’acteurs humains [Amos et Sahbi, 2005]
1.1 Les décideurs
Fortement ancrés dans l’environnement stratégique, les décideurs sont des acteurs sociaux qui
saisissent et traitent l’information afin de résoudre des problèmes décisionnels à la fois
interdépendants et intertemporels [Knauf, 2005]. Amos et Sahbi [2005, p. 3] définit ainsi le
décideur comme celui qui est apte « à identifier et à poser le problème décisionnel, à résoudre
en termes d’enjeu, de risque ou de menace qui pèse sur son entreprise ». Il s’agit des
“décideurs clés” (au sens de Miller [1999]) qui font avancer l’entreprise. Ces individus sont
les utilisateurs des produits et des services de veille : « si vous n’avez pas leur support, alors
vous perdez votre temps et vos efforts » [Miller, 1999, p. 1].
1.2 Les veilleurs/traqueurs:
Parfois appelés analystes [Miller 1999, Knauf, 2005] ou « gatekeeper » [Culnan, 1983], les
veilleurs/traqueurs sont des acteurs chargés de collecter, analyser et diffuser l’information
afin de rendre l’environnement interne et externe plus intelligible [Kislin, 2005 ; Knauf,
2005].
Considérant chaque acteur ayant des activités de veille comme un « veilleur » à part entière,
nous allons, afin d’éviter toute confusion (à l’instar de H. Lesca [2003]), désigner ces acteurs
comme étant des « traqueurs ». Dans la littérature, un grand nombre d’auteurs [El-Sawy et
Pauchant, 1988 ;Vandenbosch et Huff, 1997 ; Choudhury et Sampler, 1997 ; Choo, 2001a] se
réfère à la nomenclature proposée par Aguilar [1967]. Cette dernière repose sur deux attitudes
de traque, elles-mêmes décomposées en deux groupes.
La première attitude de traque est une traque proactive (« viewing ») où les acteurs n’ont pas
de problématique particulière mais cherchent à détecter le plus rapidement possible les
changements critiques pour la pérennité de l’organisation. Deux types de traques sont
identifiés pour ces traqueurs:
- « undirected viewing » : des traqueurs qui se retrouvent face à une information pertinente au
cours de leurs activités quotidiennes sans qu’elle provienne d’un besoin préalablement défini
(« unsolicited reception of information, [El-Sawy et Pauchant, 1988]).
- « conditioned viewing » : l’individu au cours de ses lectures, de ses déplacements, de ses
rencontres, focalise son attention et filtre l’information en fonction de certaines zones
d’intérêts déterminées. L’objectif ici est d’évaluer le développement et l’impact sur
l’organisation des données extraites des champs ciblés.
Si l’information collectée est vecteur d’importantes implications pour l’entreprise, le traqueur
adopte un nouveau comportement : la recherche (« search »).
Cette seconde attitude de traque est une attitude réactive de recherche d’information afin de
répondre à un problème spécifique. Elle est subdivisée en deux groupes de la manière
suivante :
- La recherche informelle (« informal search ») : limitée et faiblement structurée, cette
recherche permet au traqueur d’acquérir de l’information pour approfondir sa connaissance et
sa compréhension pour un sujet particulier.
- La recherche formelle (« formal search ») : ici l’information recherchée est précise car elle
cherche à répondre à un problème particulier. Il s’agit d’un exercice formel car structuré selon
une procédure préétablie.
Ces différents types de traques font appel à différents types de traqueurs. H. Lesca [2003] en
défini deux :
-
Les traqueurs sédentaires ou résidents, dont le métier est de traquer
l’information à plein temps et sont souvent en contact avec des sources
d’information formalisées (bases de données, journaux…). Les traqueurs
sédentaires sont parfois appelés traqueurs professionnels ou traqueurs métiers ; ils
appartiennent à une structure interne (cellule de veille) ou externe (une société de
sous-traitance) à l’entreprise. Ce sont des traqueurs à plein temps.
-
Les traqueurs de terrain (nomades, mobiles, etc.) pour qui la traque est une
activité annexe à leur métier, ils sont en contact avec des sources extérieures
d’informations (clients, fournisseurs, concurrents, etc.) et se focalisent
essentiellement sur les informations informelles. Ce sont des traqueurs à temps
partiel. Ils peuvent être scindés en deux groupes : les traqueurs désignés
(formellement désignés par l’entreprise) et les traqueurs volontaires (ou traqueurs
informels).
Il semble utile d’ajouter une troisième catégorie aux deux catégories précédentes, les
traqueurs qui sont des acteurs ayant potentiellement des informations de veille mais qui ne
font pas partie du système de veille de manière formelle. Nous allons classer ces différentes
catégories dans le tableau suivant.
Traqueurs à temps plein
(métier)
Statut
Activité
de veille
Statut
Interne à
Externe
l’entreprise (Prestataire)
Traqueurs à temps partiel
désignés
volontaires
Traqueurs
potentiels
Interne à
l’entreprise
Interne à
l’entreprise
Interne à
l’entreprise
Exclusive
Exclusive
Partagée
Partagée
Occasionnelle
Formel
Formel
Formel
Informel
Informel
Tableau 1 Typologie des traqueurs d’information de veille stratégique 1
1.3 Le concepteur du SI
Il conçoit le système d’information sur lequel repose la veille (le SIVS), système qui doit
fournir un support à toutes les activités de veille de l’organisation (recherche d’information,
collecte, interprétation, diffusion etc.). Le concepteur du SIVS peut être considéré comme un
acteur important du système dans la mesure où il est principalement concerné par les
problématiques de collecte de l’information et de protection du patrimoine informationnel
[Amos et Sahbi, 2005]. Par ailleurs, Knauf [2005] rapproche cette catégorie d’une quatrième
catégorie : l’animateur du SI.
1.4 L’animateur du SI
Le rôle de l’animateur est de coordonner, de superviser et de contrôler toutes les étapes du
processus et d’assurer le suivi des opérations [Knauf, 2005 p 6]. L’auteur définit les taches de
ce dernier en reprenant les trois volets nécessaires à assurer une bonne communication au sein
d’un SI [selon François Jakobiak, 2001] : la mise à disposition, la transmission et le conseil.
Par ailleurs, l’animateur est en charge de « donner une âme » au système de veille, « dont le
moteur est essentiellement humain, et au dispositif organisationnel et technique qui en est le
support » [H. Lesca 2003, p. 47]. De plus, l’animateur est chargé d’optimiser le
fonctionnement du système de veille en vue de le pérenniser [Kriaa, 2006].
1
Inspiré de Lafaye [2004, p. 96].
A l’instar de Knauf [2005], nous allons considérer les deux catégories précédentes
(concepteur et animateur du SI) comme une seule, étant donné que le concepteur du
système de veille est souvent animateur et vice-versa. Par ailleurs, même dans le cas où il
s’agit de deux personnes différentes, elles sont en très étroite collaboration, et doivent par
conséquent avoir des compétences complémentaires.
Décideurs
Actions
Animateur
Veilleurs/
Traqueurs
Concepteur
SI
Figure 1 Les différents acteurs du système de veille stratégique
Les catégories précédentes ne sont pas figées, chaque acteur peut porter « plusieurs
casquettes ». Ainsi, un concepteur peut être traqueur, un décideur peut être animateur et
traqueur, etc. Il n’y a pas de réelles frontières.
Cette typologie ne prétend pas être exhaustive, elle sert uniquement à orienter l’attention du
lecteur sur les métiers de la veille et les compétences nécessaires des acteurs. La section
suivante revient plus précisément sur les compétences d’un veilleur selon la littérature.
2. Les compétences des acteurs d’un réseau de veille
Afin d’accomplir leur travail, les veilleurs ont donc besoin d’un certain nombre de
compétences et de connaissances voire d’ « expertise » (réseaux d’experts, …). Définir ces
compétences est une étape importante. Gilad souligne au sujet de la veille concurrentielle (et
qui reste valable, selon nous, pour toute activité de veille) que « L’intelligence fonctionne
lorsqu’une une entreprise développe une compétence clé (« a core competency») pour
comprendre la concurrence.
Cette compétence permet de faire des challenges un statu quo, d’ouvrir les cultures fermées
vers des perspectives extérieures, de formuler des stratégies peu conventionnelles qui
étonnent les concurrents, et de découvrir des opportunités que tous les autres ignorent »
[Gilad, 1995, p.4].
Afin d’accorder notre grille de lecture à celle du lecteur, nous allons définir la compétence
comme « un ensemble de capacités nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle et la
maîtrise des comportements requis » [Amos et Knauf, 2004, p. 2].
Reprenons à présent les catégories précitées afin de résumer les différentes compétences
nécessaires en matière de veille stratégique.
2.1 Les compétences des décideurs
Le décideur manager s’appréhende comme un « observateur actif […] constamment en train
de scruter son environnement à la recherche d’informations » [Mintzberg, 1998, pp. 36-37].
Celles-ci sont souvent informelles, aiguës et singulières, grâce à ses contacts privilégiés et
étendus (dirigeants d’entreprises…), que ses subordonnés ne peuvent, de fait, prétendre
collecter.
Le rapport du décideur au système de veille est particulier, de fait, même si ce dernier a des
activités de veille à son niveau (recherche, traitement, diffusions d’information stratégique), il
semble se situer en aval du système de veille et en interaction direct avec lui. En aval, car
dans la mesure où un système de veille est considéré comme un système d’aide à la décision,
le décideur est censé bénéficier du résultat du processus de veille afin de l’aider à prendre ses
décisions, les décideurs sont les utilisateurs des produits et services du service veille [Miller,
1999, p 56].
De fait, l’impact du système de veille doit se ressentir au plus haut niveau et à chaque niveau
de décision stratégique ; « un processus de veille de premier ordre doit affecter la mentalité
des acteurs dont les actions affectent significativement la «bottom line ». Ainsi, il doit agir sur
les actions, décisions et pensées des PDG (ou d’autres décideurs en haut de la pyramide
hiérarchique) (…) La fonction de veille devrait être jugée selon son accès et influence sur les
cadres supérieurs », [Gilad; 1995, p.2] 2.
Par ailleurs, il ne doit pas y avoir de “filtres” entre les managers et la fonction BI 3 dans
l’entreprise, sinon, il risque d’y avoir des malentendus et de la mauvaise interprétation, il faut
également s’assurer que les canaux de communication sont ouverts et accessibles afin de
promouvoir la libre circulation de l’information et de l’ « intelligence », [Miller, 1999, p 56].
Le décideur doit avoir certaines compétences, il doit notamment selon Amos et Knauf, [2004,
p 3] :

2
3
Connaître l’environnement dans lequel il travaille : au sens où il est supposé pouvoir
maîtriser son secteur d’activités et arriver à le comprendre.
Traduit de l’anglais par nous.
Business Intelligence.


Détecter les risques et menaces pour son entreprise ou son service : il doit être en
alerte et prêter attention à tout ce qui pourrait les affecter.
Connaître les enjeux : en connaissant les conséquences de ces décisions et les
répercutions au niveau de son entreprise ou son service.
2.2 Les compétences du traqueur
Comme nous l’avons vu dans la section précédente, il peut y avoir plusieurs types de
traqueurs mais les compétences restent relativement stables d’un traqueur à un autre, cette
typologie influera surtout sur la motivation et l’incitation de ces acteurs (nous verrons cela
dans le chapitre suivant).
De fait, un traqueur doit avoir des compétences pour pouvoir [Amos et Knauf, 2004, p. 3] :
 Identifier et évaluer les sources d’information et en assurer le suivi.
 Sélectionner les sources les plus adaptées à la demande.
 Extraire ponctuellement ou périodiquement les informations – Contrôler les
informations collectées.
 Traiter intellectuellement des informations : analyser le contenu – Mettre en forme
plus élaborée des informations sous forme de synthèse, bibliographie, panorama de
presse, etc.
Par conséquent, les traqueurs ont besoin de compétences techniques afin d’accomplir leurs
tâches mais ils ont également besoin d’un certain nombre de compétences humaines. « Les
analystes utilisent les technologies numériques pour collecter, analyser et diffuser la veille
mais ces technologies seules ne font de la veille. C’est l’esprit de l’analyste exercé qui fait
évoluer une synthèse d’information en information de veille. Cette capacité no peut provenir
des technologies numériques 4. », [Miller, 1999, p 1].
Ces compétences « humaines » se caractérisent par une ouverture vers l’extérieur, une
créativité doublée d’une implication forte dans la résolution de problème [Allen, 1977]. Ils
possèdent aussi généralement un important réseau de relations [Gilad, 1986].
De plus, il ressort du modèle de traque de Marchionini déjà évoqué que le traqueur doit avoir
des facilités cognitives générales telles que : la curiosité, la capacité de synthèse etc. L’auteur
met en avant les processus cognitifs et les stratégies adoptés par les individus dans un
environnement dominé par les nouvelles technologies de l’information. Ici le traqueur doit
posséder trois expertises indispensables [Marchionini, 1995, p 68] :
-
L’expertise du domaine étudié (« domain expertise ») ;
L’expertise du système (« system expertise ») dans la mesure où l’efficacité de la
recherche peut être mesurée par le degré d’appropriation des outils ;
L’expertise de la recherche d’information («information-seeking expertise») qui
peut se définir par les connaissances générales d’un acteur concernant les
mécanismes de recherche d’information et ses aptitudes et attitudes dans le cadre
d’un tel processus 5.
Nous avons traduit le terme intelligence par veille.
“Information-seeking expertise can be defined by a person’s general knowledge of informationseeking factors and his or her skills and attitudes for executing the information-seeking process”
[Marchionini G., 1995, p. 68]. Traduit de l’anglais par nous.
4
5
2.3 Les compétences de l’animateur
L’animateur est parfois appelé infomédiaire 6 (fusion entre information et intermédiaire). Ce
dernier est défini comme « un superviseur, chargé d’assurer la cohérence du dispositif,
d’animer les ressources humaines et de coordonner les actions menées via le processus d’IE »
[Amos et Knauf, 2004, p. 7].
Kriaa [2006] rapproche l’animateur de la notion de « champion » introduite par Engledow et
Lenz [1985, p. 101]. Il est vu comme la personne proche du management, en charge de
fournir les ressources nécessaires à la veille, de contribuer à légitimer et crédibiliser le
processus et joue un rôle quant à la mobilisation des compétences des acteurs [Kriaa, 2006].
N.J Simon et Kern [2001] suggèrent que le champion peut être soutenu par des participants
(sponsors), qui pourraient donc être les réseaux de traqueurs dans notre cas.
Les principales compétences d’un animateur sont avant tout humaines, dans la mesure où sa
mission est surtout relationnelle et où le « savoir-communiquer » est une condition nécessaire
de succès [Lesca, 2003, p. 52]. L’auteur définit l’animateur comme une personne
nécessairement « extravertie, motivée pour aller au devant des utilisateurs potentiels (…) cette
personne devrait également avoir des qualités d’organisation et de rigueur ».
En résumé, le profil d’un animateur est le suivant :
-
un profil de communiquant
un profil de pédagogue
un profil de médiateur/négociateur (faire passer des messages auprès des
dirigeants)
un profil de compétences techniques en accord avec son rôle
Ces différents acteurs interagissent dans une dynamique continuelle. Les décideurs/managers
posent les problématiques, formulent des demandes en accord avec leurs stratégies et
préférences. Les traqueurs recherchent les informations, les analysent, les synthétisent et les
interprètent (parfois conjointement avec d’autres acteurs du système de veille) pour en
extraire de la valeur ajoutée et faciliter la prise de décision stratégique. L’animateur est là
pour coordonner et faire vivre cette dynamique.
Conclusion
Aujourd’hui, il apparaît que les entreprises ont toutes accès aux TIC de la même manière. En
effet, qu’il s’agisse de grandes ou de petites entreprises, elles arrivent à approcher ces
technologies à des coûts relativement faibles. Le coût d’accès à Internet par exemple devient
négligeable pour des entreprises largement informatisées de nos jours. Cette technologie
semble s’être généralisée et rentre désormais dans les mœurs et dans la vie quotidienne des
entreprises.
6Terme
initialement proposé par John Hagel de McKinsey pour désigner les intermédiaires qui
vendent de l’information sur un type d’industrie et créent un lieu ou acheteurs peuvent se rencontrer.
Dans ce contexte, l’avantage concurrentiel et la différentiation ne peuvent plus puiser leur
source dans le simple accès à la technologie dans la mesure où cette dernière se généralise.
Par conséquent, l’élément qui pourrait faire la différence dans ce contexte pourrait résider
dans les compétences et les connaissances des acteurs.
En effet, Bück [2003] précise quant à lui que l’atout concurrentiel majeur des années à
venir est le capital connaissance et compétences de chaque organisation, et considère que « la
connaissance et la compétence seront assurément les seuls éléments durables de
différenciation, d’amélioration et de progrès ».
Dans cette optique, cet article met l’accent sur l’importance des acteurs dans un système
d’information de veille stratégique. Leurs rôles et compétences sont résumés dans le tableau
ci-après :
Etape du
processus de
veille concernée
Acteur
Détermination du
problème, ciblage,
Décideur
interprétation et
décision.
Rôle relatif au processus
- Déterminer la stratégie
de l’entreprise et
formaliser les
problématiques
- Prendre des décisions
stratégiques
Compétences identifiées dans
la littérature
- Connaître l’environnement
de l’entreprise
- Détecter les risques et
menaces
-Connaître les enjeux
- L’expertise du domaine
étudié
Recherche et diffusion
Collecte, analyse
Traqueur
de l’information de
- L’expertise du système
et interprétation.
veille
- L’expertise de la recherche
d’information
-un profil de communiquant
-un profil de pédagogue
Animer et contrôler le
Toutes les étapes
-un profil de
Animateur
système d’information
sont concernées.
médiateur/négociateur
de veille stratégique
-un profil de compétences
techniques
Tableau 2 Récapitulatif des compétences des acteurs du système de veille stratégique 7
Par ailleurs, de par la dimension « volontariste » du processus de veille, il ne suffit pas que les
veilleurs possèdent les compétences précédemment identifiées pour « faire de la veille ».
C’est certainement une condition nécessaire mais pas suffisante. Selon H. Lesca [1994] pour
que l’entreprise puisse être dans une optique d’« écoute intelligente et attentive de
l’environnement » il est nécessaire que les acteurs de l’entreprise soient motivés, incités et
formés à être attentifs à leur environnement.
7
Inspiré de : Amos et Knauf, 2004, p. 3.