Lettres aux amis des champs et des jardins
Transcription
Lettres aux amis des champs et des jardins
mep55-consoude.qxd 29/09/2006 14:55 Page 1 Lettres aux amis des champs et des jardins Saint-Michel - A UTOMNE 2006 N° 55 • Éditorial, Jean-Michel Florin ........................................................................................................................................................................... 2 ART DU JARDIN • La consoude, Jean-Michel Florin .................................................................................................................................................. 3 • La consoude au jardin, Gérard Augé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 • Carnet d’un jardinier Xavier Florin ..........................................................................................................................................................8 ASTRONOMIE • Observations astronomiques ................................................................................................................................................... 14 APPROCHE GOETHÉENNE • Les plantes potagères, un autre regard sur leur domestication, François Delmond ............18 FONDEMENTS DE LA BIO-DYNAMIE • L’individualité agricole et les forces à l’œuvre dans la nature, Ilse Oelschläger 28 APICULTURE • La vie de l’essaim au rythme des saisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 ÊTRES ÉLÉMENTAIRES • Jardiner avec les lutins, Thomas Kuhn..........................................................................................................................................36 DU COTÉ DES FERMES • Les Coteaux Nantais : la pomme en bio-dynamie, Soazig Cornu ....................................... 40 COMMERCE ET TERRITOIRE • L’AMAP de la Butte, Laurent Dreyfus .........................................................................................................................................46 ETRANGER • Sekem, une rencontre entre Orient et Occident, Jean-Michel Florin .......................................51 RECHERCHE • L’institut Louis Bolk aux Pays-Bas, Soazig Cornu .................................................................................................56 CARNET PRATIQUE • Courriers des lecteurs ......................................................................................................................................................................................................63 • Notes de lectures ...................................................................................................................................................................................................................64 • Brèves .......................................................................................................................................................................................................................................................65 • In Memoriam, Léon Baré ..............................................................................................................................................................................................68 • Vie du Mouvement ............................................................................................................................................................................................................. 72 • Stages-Formations............................................................................................................................................................................................................... 73 • Petites annonces........................................................................................................................................................................................................................74 mep55-consoude.qxd 29/09/2006 14:55 Page 2 Éditorial B O TA N I Q U E Une vision pour cultiver la Terre L'été s'achève avec la Saint Michel ; c'est la fin de la période où tous ceux qui travaillent la terre, jardiniers, agriculteurs, sont en permanence occupés à entretenir, soigner, compenser les déséquilibres climatiques. Vient les temps des récoltes où l'on engrange, où l'on voit concentrées dans les graines, les fruits, les légumes toutes les qualités de l'année. L'automne débutant est aussi un moment propice pour amorcer les bilans et esquisser des perspectives d'avenir… Quel bilan tirer de cette année ? Le réchauffement climatique dont plus personne ne doute se manifeste surtout par des déséquilibres climatiques importants. Partout des extrêmes dont les conséquences sont souvent aggravées par l'action humaine (baisse de la teneur en humus du sol, destruction du paysage, pesticides, etc.). À ceci s'ajoute le poids des mesures réglementaires qui n'arrête pas de s'accroître.* Comment continuer sereinement l'agriculture et même le jardinage ? De nombreux professionnels se posent la question. Peut-on se contenter de poursuivre comme on a toujours fait ? L'environnement naturel et social change tellement vite en ce moment que se limiter à réagir risque de conduire rapidement au découragement… Pour retrouver de l'enthousiasme, un élan vers l'avenir, il faut renouveler notre vision de l'agriculture et du jardinage. Qu'est-ce qu'une vision ? C'est par exemple ce qui a motivé Ibrahim Abouleish, malgré des conditions extrêmement difficiles, à fonder Sekem en Egypte. C'est une idée que l'on va tenter d'incarner en la confrontant avec la situation -naturelle, sociale- telle qu'elle se présente… Des visions, il nous en faut aussi pour savoir dans quel sens sélectionner des plantes cultivées pour l'avenir comme le montre François Delmond dans un article très fouillé. Quelles visions de la plante et du rôle de l'alimentation avons-nous pour sélectionner de nouvelles plantes ? À une autre échelle, l'article sur l'AMAP montre comment un cheminement individuel rencontre une demande de groupe. Cette idée d'un nouveau lien entre citadins et agriculteurs à l'origine des AMAP émerge un peu partout dans le monde depuis une trentaine d'années (fermes associatives bio-dynamiques allemandes, initiatives bios japonaises, CSA aux États-Unis, etc.). C'est toujours la même idée qui s'incarne de manière différente selon le contexte. Plus modestement, Xavier Florin nous montre comment avoir une vision aide à créer un nouveau jardin quand on déménage… Avec cette vision du jardin idéal à l'esprit, on peut passer à la réalisation en restant ouvert au contexte précis (le sol, le climat, le voisinage, etc.). C'est peut-être justement là, pour ancrer ses actes dans la nature du lieu au lieu de plaquer un projet "hors-sol", qu'il faut aussi développer un sens pour les êtres subtils de la nature, les êtres élémentaires, dont nous parlent Thomas Kuhn et Marko Pogacnik. En cette période préélectorale, espérons que les débats parviendront aussi à s'élever au niveau des visions d'avenir pour notre société. Chacun d'entre nous peut y contribuer en posant les questions fondamentales de notre époque aux hommes politiques chargés de le représenter… À chacun d'esquisser sa vision ; ainsi nous pourrons semer de nouvelles idées au printemps prochain… Jean-Michel Florin 2 BIODYNAMIS - N° 55 AUTOMNE 2006 GOETHÉENNE La consoude officinale Après l’ortie et la prêle, nous poursuivons le regard goethéen sur les plantes utilisées pour le soin du jardin par la consoude officinale. ans le Ried alsacien, au mois de mai, on découvre en longeant les fossés et les lisières de forêts une plante aux grandes feuilles en forme de langues formant des inflorescences blanchâtres ou grenat intense. Le Ried est la zone inondable de la plaine d’Alsace avec une terre noire riche et une ambiance fraîche. La moiteur de l’air peut faire penser aux Pays-Bas. Les couleurs de la végétation vont plutôt du vert au bleuté. En lisière de bois longeant la prairie fleurie avec ses marguerites, renoncules et autres composées jaunes comme le salsifis des prés, les plantes sont plus foisonnantes, les feuilles plus amples et les fleurs plus discrètes en général. Dans cette ambiance de demi-ombre, humide, au sol frais et riche qui ressemble un peu à une ambiance de jungle avec ses moustiques, la consoude officinale pousse avec ses voisines : orties, valérianes, carex et reines des prés, toutes des plantes arrivant au genou, voire à la ceinture. Ce milieu est bien représentatif du milieu naturel privilégié de la consoude : sol riche en humus, frais à humide, ambiance semi-ombragée, chaude et humide D Observer la consoude La première impression montre des grappes de clochettes blanc sale pendantes contrastant fortement avec le vert sombre, dense, presque bleuté des feuilles. L’observation plus détaillée d’un pied de consoude montre plusieurs tiges assez rigides, verticales mais sinueuses, couvertes de fins poils siliceux transparents qui les rendent rêches au toucher. Les feuilles oblongues se terminant par une pointe sont aussi couvertes de poils qui contrastent étonnamment avec l’apparence épaisse, charnue, presque succulente de la plante. Le pétiole de la feuille est collé à la tige dont il émerge. De même les inflorescences apparaissent à plusieurs endroits, soit directement sur la tige, soit surgissant d’une ramification secondaire entre deux feuilles ; on a l’impression que les processus feuilles et tiges sont imbriqués l’un dans l’autre sans claire séparation. L’inflorescence est formée d’une première fleur au sommet d’un pédoncule puis de part et d’autre de cette fleur sortent deux tiges qui poursuivent leur croisN° 55 AUTOMNE 2006 - BIODYNAMIS 3 mep55-consoude.qxd 29/09/2006 14:55 Page 4 A RT sance en formant une série de fleurs se déroulant progressivement et s’ouvrant en passant à l’horizontale. On retrouve, de manière bien affaiblie, un geste proche des solanacées comme le datura avec sa fleur centrale à l’aisselle de laquelle sortent des tiges végétatives qui s’élèvent plus haut. Le pole végétatif de la feuille et de la tige reste très présent et ne se laisse que progressivement stopper par les fleurs. De même l’inflorescence scorpioide typique des borraginacées, ressemblant à une fronde de fougère se déroulant, permet une floraison étalée de la plante. Dans les fleurs d’un blanc un peu sale au bord extérieur verdâtre (le végétatif n’est pas totalement surmonté) formées de 5 sépales et 5 pétales soudés, on trouve 4 fruits secs en formation. La plante n’a que peu d’odeur. De même le goût des feuilles est assez peu marqué. En creusant au pied, on découvre un rhizome rond, blanc, sans goût, qui forme une sorte de colle avec la salive. La consoude, plante vivace, forme chaque année de nouvelles pousses sortant du rhizome. Le genre consoude qui regroupe de nombreuses espèces appartient à la famille des borraginacées dont la représentante est justement la bourrache. La plupart des plantes de cette famille sont caractérisées par cette étrange polarité des feuilles entières plutôt amples non découpées ni dentées et de poils siliceux presque piquants couvrant toute la plante. Les différences entre les différents genres tiennent au rapport entre la partie végétative (qui reste collée au sol sous forme de rosette chez la vipérine alors qu’elle s’élève haut chez la consoude) et la partie florale. 4 BIODYNAMIS - N° 55 AUTOMNE 2006 Le geste de la consoude Essayons une esquisse du geste de cette plante à partir de cette brève description. Dans un milieu bien poussant, favorable au foisonnement végétatif, la consoude présente un jeu dynamique entre les forces végétatives d’étalement qui s’élèvent sur la tige formant des feuilles assez amples et les influences structurantes agissant par la multitude de poils siliceux couvrant la plante et lui donnant un aspect sec, rêche même. Les fleurs qui apparaissent au cours du déroulement de l’inflorescence ne s’ouvrent pas vers le ciel mais restent tournées vers la terre, encore légèrement teintées de végétatif ; elles n’ont guère d’odeur. On ne s’étonnera pas de trouver de légères traces d’alcaloïdes chez cette plante chez qui l’influence florale ne maîtrise pas totalement le végétatif (voir article sur les solanacées Biodynamis n° 48) On a donc l’image d’une douceur végétative reliant tige et feuilles, formant une sorte de structure et de peau structurée, limitée de l’extérieur par les poils. L’origine du nom est intéressante «consolida» : je consolide, je répare. Dans certains ouvrages anciens, on l’appelle «Agglutinatives» ce qui signifie coller ensemble. La consoude contient une quantité importante d’allantoïne, substance favorisant la formation des cellules et la croissance. La consoude officinale est l’un des meilleurs cicatrisants réparateur des tissus (blessures ouvertes, ulcères, brûlures, etc.) en particulier très efficace sur les plaies tardant à cicatriser. JEAN-MICHEL FLORIN DU JARDIN La consoude, une plante compagne vigoureuse ans la famille «consoude», laquelle faut-il choisir ? Le spécialiste vous proposera dans sa pépinière la consoude officinale ou bien celle de Russie, ou bien encore d’autres croisements divers. Celles-ci sont d’ailleurs difficiles à identifier pour l'amateur. Pour autant, chacune de ces borraginacées sera la bienvenue, avec un avantage pour l'officinale : celui d’être la plus disponible dans la nature. De plus, elle se multiplie facilement en récoltant les semences, ce qui n’est pas le cas pour la consoude de Russie, qui se bouture par fragments racinaires. Elle a abandonné sa capacité de multiplication cosmique, par la graine, pour s’adonner à sa vigueur et privilégier un système reproducteur ou plutôt multiplicateur uniquement végétatif terrestre. Elle est choisie pour sa croissance et sa hauteur plus importante. D La récolter ou la cultiver ? Si vous avez la chance de la trouver (l’officinale uniquement) dans vos bords de champs ou jardins, profitez de vos promenades pour la récolter, modérément bien sûr ou choisissez plutôt de devenir autonome. Il faut alors en prélever quelques tronçons racinaires et les repiquer dans l’endroit le plus fertile et humide (sans excès) de votre parcelle, et cela en saison poussante. Il ne faut pas oublier que l’hiver, la plante disparaît. Ses feuilles mûrissent et sèchent après l’automne, à l’arrivée des froids, mais le printemps tar- dif verra un reverdissement généreux. On peut aussi l’acheter en pépinière ou par correspondance. Commandez-là en quelques exemplaires, 2 ou 3 pour les petits jardins, 5 ou 6 ou plus si possible pour démarrer convenablement votre production. Ceux qui n’ont pas beaucoup de place dans leurs jardins ou balcons pourront la commander en feuilles sèches pour l’utiliser au moment opportun. Le meilleur endroit pour la planter est le lieu le plus fertile, souvent le bas d’un vallon ou en bordure d’un ruisseau. Pour vraiment obtenir l’expression de sa nature N° 55 AUTOMNE 2006 - BIODYNAMIS 5 mep55-consoude.qxd 29/09/2006 14:55 botanique, vigueur et luxuriance maîtrisée, un sol profond et bien arrosé s’impose. Bien sûr, soyez généreux dans la dose de compost dans le trou de repiquage et aux apports d’entretien ; à la sortie de l’hiver, puis à chaque coupe qui, selon la vigueur, peut aller jusqu’à 4 à 6 par an. La plante vigueur du jardin Disposer de consoude au jardin procure déjà un premier intérêt : l’admirer et ressentir sa vitalité et sa force de croissance, aussi bien dans ses tiges, ses feuilles et dans ses rejets racinaires qui colonisent l’espace disponible. Elle sera comparée à ses cousines, la bourrache et la vipérine. Même si ses fleurs sont sans grand panache, à couleurs multiples, les bourdons seront attirés régulièrement si on la laisse fleurir sans la couper (la première année, il est indispensable de la laisser s’enraciner profondément pour bien l’implanter). Je connais un agriculteur tarnais qui consacre un champ complet à cette plante et qui, après la dernière coupe de fin-juin, destinée aux cochons, laisse les jeunes campeurs piétiner outrageusement la parcelle en installant tentes et terrain de jeux ; dès les pluies de fin d’été, il voit la terre dénudée se couvrir de centaines de bouquets foliaires d’un vert resplendissant. On peut donc la couper régulièrement et la donner aux divers animaux de la ferme en complément alimentaire, et la voir se régénérer très facilement. Son utilisation est parfois mentionnée dans des articles de jardinage comme engrais vert. Quelle erreur, car une fois installée, ce n’est pas pour un an mais peut-être pour dix à vingt ! Et on ne s'en débarrasse pas facilement même à la bêche, car le moindre fragment, même profondément enfoui, pourra repousser. L’installation d’une bande végétale de 6 BIODYNAMIS - N° 55 AUTOMNE 2006 Page 6 consoude attire les escargots, ce qui facilite le ramassage manuel et protège ainsi efficacement les pépinières en évitant l’emploi de granulés. En couverture du sol : on peut prélever régulièrement le feuillage en coupant le bouquet foliaire à ras de terre, soit pour s'en servir de paillage, soit pour l’enfouir haché dans les trous de plantations de toutes les plantes avides de composts et de matières organiques, un peu comme l’ortie (voir l’article sur l'ortie dans Biodynamis numéro 53) à la différence près, cependant que l’on risque moins de problèmes de contacts racinaires toxiques car son feuillage se décompose très facilement dans le sol et disparaît en se transformant en fines traces d’humus merveilleusement équilibré (même composition finale qu’un fumier de ferme très bien composté). On peut aussi penser à la fameuse préparation ortie (504), imiter ce processus, on enfouit les feuilles et on amende ainsi par un apport de végétal presque frais (attention aux repousses si la plante est trop fraîche et contient un bourgeon racinaire) et donc encore riche en forces de jeunesse… Les préconisations ? Je conseille l’utilisation de la consoude soit à la place de l’ortie, quand les sols sont assez riches en forces de croissance, soit après la floraison. En effet, elle est moins stimulante que la piquante ortie, de par son aspect et sa composition analytique : un peu moins riche en azote et en fer, donc moins de stimulation de croissance, mais elle est plus riche, voire très riche en potasse, en bore et d’autres oligoéléments rares d’où son intérêt majeur juste avant et après la floraison et pendant la période de maturité, de grossissement des fruits ou des racines. Pour résumer, il s’agit de privilégier l’utilisation de la consoude après l’exubérance de la croissance, donc après la floraison. Elle apporte une vitalité tranquille, harmonieuse ; elle relance la croissance des plantes-fruit, à grands besoins instantanés au moment de la récolte (comme les cucurbitacées), ou en production permanente, comme les fraisiers et tous les fruits rouges remontants (ou non remontants). Une macération de qualité permet une action efficace et rapide, en évitant tout excès ou perturbations. Pour son application, l’arrosage est à privilégier : toujours à une dilution de 10 %, régulièrement, ou à 20 % en rattrapage exceptionnel, comme les chocs climatiques et les coups de chaleur de plus en plus fréquents. On peut aussi opter pour des pulvérisations ponctuelles à une dilution de 2 à 5 %, en coup de fouet temporaire. Je la préconise de plus en plus pour lutter contre diverses carences dûes à des perturbations de fonctionnement des sols liées à la météo ou à un enracinement insuffisamment développées. La consoude compense les excès des sphères feu et air par son côté terrestre et liquide. Il y a eu peu d’expérimentations sur l’utilisation de la consoude, mais de nombreuses observations ont été transmises (l’association avec l’ortie a donné de meilleurs résultats sur les tomates que l'ortie seule). Il faut également relever les utilisations en «pommades cicatrisantes»dans les badigeons liquides ou pâteux, fondamentaux en arboriculture et viticulture. Elle s’utilise en mélange dans des pulvérisations, associée à la prêle, l’ortie ou la tanaisie. bio'' est souvent appelé un "jardinier à consoude". Une pratique à suivre avec passion, et raison bien sûr. GÉRARD AUGÉ agronome pédologue Producteur de plantes pour les soins des plantes. Contact : www.soinsdesplantes.fr Les anglo-saxons ont tellement adopté la consoude qu'un jardinier ''organique ou N° 55 AUTOMNE 2006 - BIODYNAMIS 7