Votre chat est

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Votre chat est
12
Eclairages
Le Temps
Lundi 22 novembre 2010
Votre chat est-il gaucher?
Après avoir
longtemps pensé que
la latéralisation était
l’apanage des êtres
humains, on se rend
compte qu’elle est
très répandue chez les
animaux. Une étude
montre par exemple
que les chimpanzés
sont, eux aussi,
majoritairement
droitiers
KAZUHIRO NOGI/AFP
Citation du jour
«Il s’agit d’une réunion
sans précédent
des dirigeants
internationaux
dans le but de doubler
le nombre des tigres»
James Adams
Le vice-président de la Banque
mondiale, qui supervise le financement du programme de protection
des tigres, dont il ne reste que 3200
individus dans la nature contre
100 000 il y a un siècle, à l’ouverture
d’un forum de quatre jours
des treize pays qui l’abritent,
à Saint-Pétersbourg.
On peut être droitier de la main
ou du pied. Mais aussi de la patte,
de l’antenne, voire de la mâchoire… La latéralisation a longtemps été considérée comme
l’apanage de l’être humain. Mais il
s’avère qu’elle est en fait largement répandue dans le règne animal. Une étude parue en octobre
dans l’American Journal of Primatology confirme par exemple que,
comme nous, les chimpanzés sont
plus souvent droitiers que gauchers. Avec des différences entre
les sexes, qui soulèvent des questions sur le rôle de la génétique et
des hormones.
La latéralisation est avant tout
une question d’asymétrie du cerveau. «Les parties droite et gauche
sont différentes en termes de
structure ou de médiateurs chimiques, notamment, explique Giorgio Vallortigara, du Center for
brain/mind sciences de l’Université de Trente, dans le nord de l’Italie. Elles exécutent aussi des fonctions différentes. Chez nous, les
mécanismes spatio-visuels sont
gérés par l’hémisphère droit, le
langage par le gauche.» C’est
d’ailleurs parce qu’on pensait que
la latéralisation cérébrale allait de
pair avec notre capacité à parler
que l’on croyait qu’elle n’existait
que chez les humains. Chaque hémisphère contrôle en outre la partie du corps opposée. A une exception notable près: les voies
olfactives. L’information qui rentre dans notre narine gauche va
directement dans l’hémisphère
gauche.
Depuis les années 1970, des formes de latéralisation ont été observées dans toutes les principales
classes de vertébrés (oiseaux,
mammifères, poissons, reptiles,
amphibiens) et, plus récemment,
chez certains invertébrés. Le fait
que ce phénomène soit aussi répandu suggère une origine ancienne et un probable avantage
évolutif. La latéralisation permet
la spécialisation des hémisphères
et évite d’avoir deux zones du cerveau qui font la même chose. «On
économise ainsi du précieux tissu
cérébral, qui coûte très cher métaboliquement parlant», précise le
neuroscientifique.
Elle offre aussi la possibilité
qu’un hémisphère prenne le contrôle et inhibe l’autre. «Pour les
animaux qui ont les yeux placés
latéralement, par exemple, c’est
essentiel d’avoir un mécanisme de
décision. Sinon, ils se retrouveraient dans la situation de l’âne de
Buridan, qui voit une botte de foin
avec chaque œil et meurt de faim
faute de pouvoir choisir.»
La répartition des tâches permet aussi de mieux en gérer plu-
GETTYIMAGES/STEVE COLEMAN (STEVACEK)
Lucia Sillig
Les animaux qui sont droitiers ou gauchers sont significativement plus efficaces que ceux qui utilisent leurs deux pattes. Pour tester
la préférence de votre chat, présenter lui un en-cas au fond d’un bocal et attendez de voir de quelle patte il se sert pour l’extraire. ARCHIVES
sieurs à la fois. Lesley Rogers, professeure émérite à l’Université de
New England, à Armidale en Australie, et pionnière de la recherche
dans ce domaine, a découvert que
chez les poussins, la latéralisation
dépend de l’exposition des œufs à
la lumière avant l’éclosion. Elle a
ensuite montré que ceux qui sont
bien latéralisés sont capables
d’identifier d’un œil des graines
éparpillées au milieu de cailloux
et de les picorer tandis que l’autre
œil surveille un (faux) prédateur.
Ceux qui ne sont pas latéralisés
sont beaucoup moins efficaces,
parce qu’ils doivent alterner les
deux tâches.
Beaucoup de poissons se tournent systématiquement du même
côté pour fuir. Ils utilisent toujours le même œil pour examiner
un prédateur tandis que l’autre se
charge de l’observation des congénères. Le New Scientist explique
que l’on peut faire l’expérience
avec son propre poisson rouge: il
suffit de placer un objet inhabituel dans son aquarium et de regarder dans quel sens il tourne
autour. L’œil qu’il utilise pour examiner l’intrus peut toutefois varier selon s’il trouve l’objet attirant
ou repoussant, note le magazine.
Certains singes, ainsi que le caméléon américain, sont plus
agressifs si on se trouve dans leur
champ visuel gauche que droit,
relève Giorgio Vallortigara. Un
constat similaire face à des chevaux pousse Lesley Rogers à suggérer qu’il vaudrait mieux les
dresser en les approchant par la
droite plutôt que par la gauche.
Chez certains poissons, on observe une latéralisation de la mâchoire, qui les pousse à attaquer
toujours par le même flanc. Giorgio Vallortigara a lui étudié le frétillement de la queue des chiens et
constaté que celui-ci s’oriente plutôt d’un côté ou d’un autre, selon
les stimuli émotionnels. A droite
s’il est positif, en présence de son
maître par exemple, indiquant
une plus grande activation de
l’hémisphère cérébral gauche. A
gauche devant un chat ou un
autre chien agressif. Le chercheur
a aussi mené des recherches sur
des abeilles, qui montrent qu’elles
mémorisent beaucoup mieux les
signaux olfactifs enregistrés avec
une de leurs deux antennes.
Pourquoi la majorité
a-t-elle balancé du côté
des droitiers plutôt
que des gauchers?
«Par hasard»
Comme les êtres humains,
beaucoup d’animaux sont aussi
spécialisés dans l’usage de leurs
pattes. Les corbeaux calédoniens,
champions du bricolage (LT du
26.06.2010), ont «une approche
latéralisée pour façonner des
outils», relèvent Maria Magat et
Culum Brown, de l’Université
Macquarie de Sydney, dans la revue Proceedings of the royal society B. Eux-mêmes ont fait la
même observation avec des perroquets australiens soumis à des tâches complexe, où ils devaient
coordonner leurs pattes et leur
bec pour tirer une corde et atteindre de la nourriture. Les animaux
qui sont droitiers ou gauchers
sont significativement plus efficaces que ceux qui utilisent leurs
deux pattes. Pour tester la préférence de votre chat, présenter lui
un en-cas au fond d’un bocal et
attendez de voir de quelle patte il
se sert pour l’extraire.
C’est à peu près ce qu’on fait les
chercheurs de l’Institut catalan de
paleoécologie humaine et d’évo-
lution sociale avec des chimpanzés, pour montrer que la majorité
de droitiers, déjà observée en captivité, se retrouve en milieu quasinaturel. «Le singe devait attraper
un tube avec une main et extirper
la nourriture qu’il y avait dedans
avec l’autre, celle qui est dominante», expliquent-ils. La proportion de droitiers est toutefois
moins écrasante que chez nous:
«ils représentent entre 50 et 60%
de la population, contre 80 à 90%
chez les êtres humains», précise
Miquel Llorente, un des auteurs
de l’étude.
La majorité est en outre inversée si l’on prend seulement les mâles, chez qui on observe légèrement plus de gauchers que de
droitiers. Un phénomène aussi
constaté chez les chats. Dans une
moindre mesure, parmi les êtres
humains, où les biais culturels
sont parfois difficiles à écarter, il y
a quelques pour cent de gauchers
en plus chez les hommes que chez
les femmes. Ces différences entre
les sexes suggèrent une influence
génétique ou hormonale sur le
côté de préférence, commentent
les chercheurs.
Il semble que des gènes qui déterminent la répartition des organes dans le corps – comme le fait
que le cœur soit un peu à gauche –
soient aussi liés à la latéralisation,
note Giorgio Vallortigara. Mais
pour lui, l’origine des variations
de préférences entre mâles et femelles est plutôt à chercher du
côté des hormones. «Des données
indiquent que la testostérone in
utero a une influence sur l’asymétrie», précise-t-il.
Chez les poussins, par exemple,
la latéralisation dépend d’un mélange de facteurs environnementaux et génétiques. La lumière
d’une part: si les œufs y sont exposés, les petits seront latéralisés.
S’ils sont maintenus dans l’obscu-
rité, ils ne le seront pas. Mais la
génétique détermine leur position dans l’œuf: un œil est tourné
vers l’extérieur et peut percevoir
un peu de lumière à travers la coquille tandis que l’autre est tourné
vers l’intérieur. «Pour les êtres humains, il a été argumenté que la
position du fœtus pendant les
dernières semaines de grossesse,
en particulier des oreilles et du
système vestibulaire, responsable
de l’équilibre, pourrait jouer un
rôle», relève Giorgio Vallortigara.
Le neuroscientifique a une
théorie sur la raison pour laquelle
il existe chez plusieurs espèces
une minorité qui ne préfère pas le
même côté que les autres. «La première fois qu’il est confronté à un
gaucher, un boxeur droitier a plus
de peine à parer ses coups parce
qu’il n’en a pas l’habitude», illustre-t-il. De la même manière, lorsqu’un banc de poissons vire systématiquement du même côté face
à un prédateur, les quelques originaux qui partent de l’autre ont
moins de chances de se faire attraper. Etre différent de la majorité
peut donc constituer un avantage
évolutif. Mais cette singularité ne
reste un avantage que si elle demeure minoritaire, dans une proportion que l’on peut tenter d’évaluer en utilisant des outils
mathématiques appartenant à la
théorie des jeux.
Ceci n’explique toutefois pas
pourquoi, dans notre espèce par
exemple, c’est la main droite et
non la gauche qui est dominante,
dans une majorité écrasante des
cas. En effet, si on prend les individus séparément de la population,
il n’y a aucun avantage à être droitier plutôt que gaucher. Pourquoi
alors la majorité a-t-elle balancé
du côté des droitiers plutôt que
des gauchers? «Par hasard», répond simplement Giorgio Vallortigara.