Hotellerie Qui veut gagner le Crillon

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Hotellerie Qui veut gagner le Crillon
Hotellerie
Qui veut gagner
le Crillon ?
Didier GUYOT
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Constucteurs d’alternatives
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Qui veut gagner le Crillon?
Duel. Un milliardaire saoudien et un fonds américain se disputent le palace. Récit.
Meryl Streep a défait ses valises. Elle arrive tout droit de New York et prend ses aises dans la suite Louis XV
du célèbre hôtel de Crillon. Pour son plaisir et pour 8 020 euros la nuit, elle dispose d’un appartement de 100
mètres carrés au cinquième étage de ce bâtiment classé et d’une terrasse privative avec vue sur tout Paris.
On passe sur les bouquets de fleurs, les plateaux de mignardises et le parfum subtil qui embaume les lieux.
L’actrice américaine, qui a ses habitudes au Crillon, son petit écrin de luxe parisien, ne peut soupçonner ce
qui se joue dans l’illustre maison, sise au numéro 10 de la place de la Concorde. Avec les lustres en cristal de
Bohême comme seuls témoins se déroule en effet une guerre sans merci. Elle oppose le propriétaire actuel de
cet hôtel mythique, l’Américain Barry Sternlicht, patron du fonds d’investissement Starwood, à un candidat
acquéreur saoudien, le cheikh Mohamed ben
Issa al-Jaber. Voilà des mois que ces deuxlà n’échangent plus que sarcasmes et injures.
C’est que le Crillon a de quoi faire perdre les
pédales. Cet hôtel fait figure de star planétaire. Pour comprendre, un coup d’oeil suffit,
jeté du balcon du salon des Aigles, au premier étage de l’édifice. Les Champs-Elysées
sont à deux pas et le palace a des voisins et
des voisines comme on en fait peu: l’Assemblée nationale, le jardin des Tuileries,
le Grand Palais, les Invalides, la Madeleine
et la Seine. Il a hébergé ceux qui ont mené
le monde : le roi George V, le chah d’Iran,
Winston Churchill, l’empereur Hirohito, Theodore Roosevelt, etc. «Le Crillon est un lieu mythique qui s’est
nourri de l’histoire de France, assure un expert de l’hôtellerie. Il n’est pas anormal qu’on puisse s’écharper
pour posséder un tel bijou.»
Tout débute à la fin de l’été 2008, juste avant la chute de la banque Lehman Brothers, qui signe l’entrée de la
planète dans la crise. L’athlétique Sternlicht et le rondouillard cheikh Al-Jaber attaquent les négociations. Déjà
propriétaire du groupe JJW Hotels & Resorts, ce dernier veut étoffer son patrimoine d’hôtels de grand luxe.
Il entend racheter à Starwood plusieurs établissements dont la réputation n’est plus à faire :les deux hôtels
Concorde à Paris, le Crillon, le Lutétia, l’hôtel du Louvre, le Martinez à Cannes, le Massalia à Marseille, le
palais de la Méditerranée à Nice et l’hôtel de la Paix à Genève. Que du lourd. Le deal doit se boucler pour 1,5
milliard d’euros. Une clause d’exclusivité est signée. D’ici à quelques mois, après la consultation des comités
d’entreprise et le règlement des derniers détails, la vente doit devenir effective et le Crillon changer de mains.
Sauf que rien ne se passe comme prévu.
Furax. En mars, Sternlicht change brutalement d’avis. Il considère que le pacte d’exclusivité est devenu
caduc, car le groupe saoudien n’a pas versé les zoo millions d’euros de garanties bancaires nécessaires pour
mener à bien l’opération. Alors, il distribue des mandats de vente à des agences immobilières pour revendre
les hôtels. Le cheikh est furax. «Il s’attendait que les gars de Starwood viennent le voir en s’excusant», dit un
de ses proches. Il attend toujours... Le fonds américain décide de porter l’affaire devant la justice, espérant «
casser » l’exclusivité. Saisi en référé, le tribunal de commerce de Paris estime, dans un arrêt du 3 juillet 2009,
qu’il n’y a pas lieu de statuer en urgence. La procédure judiciaire promet donc d’être longue, très longue.
«Le fonds d’investissement a violé notre accord d’exclusivité, qui court jusqu’en mars 2010, déclare Maurice
Lantourne, l’avocat du cheikh Al-Jaber. S’il y avait une vente, nous l’attaquerions immédiatement en nullité !
» Avis aux amateurs. Personne n’est prêt à parier un jeton de poker sur l’issue du combat. «C’est une bataille
d’ego, de pouvoir et d’argent », résume un hôtelier.
Le cheikh ne lâchera pas le morceau. «La nuit, il rêve du Crillon, dit un de ses collaborateurs. C’est
son fantasme absolu. » Et Mohamed ben Issa al-Jaber a les moyens de ses désirs les plus foins. Avec
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plus de 9 milliards de dollars d’actifs, son groupe, MBI International, a largement On s’arrache les palaces
parisiens
de quoi se payer le Crillon et bien d’autres palaces encore.
Self-made-man - comme il aime à se définir -, cet homme au crâne dégarni et à
la moustache courte est la troisième fortune privée (hors famille royale) d’Arabie
saoudite. Né dans une famille rurale de la péninsule arabique, il a fait fortune dans
l’immobilier, en bâtissant des villes dans le désert. «Il est devenu cheikh comme
on devient lord en Angleterre, confie un proche. C’est un titre honorifique qu’on
donne à une personne qui a réussi, qu’elle soit pop star ou homme d’affaires. »Il
adore la France (et sa cuisine) et fait de Paris sa résidence principale. Il habite avenue George-V, dans le 8e arrondissement de la capitale, comme il se doit. Ce père
de trois enfants, ambassadeur de la paix à l’Unesco, a également des pied-à-terre à
Londres, Vienne et Riyad, où il séjourne actuellement pour le ramadan. A 5o ans,
il se verrait bien dans le rôle du magnat de l’hôtellerie de luxe. A Paris, il possède
déjà l’hôtel de Vigny, l’hôtel Balzac et celui de La Trémoille. A Vienne, il a mis la
main sur le mythique Grand Hotel. Il détient aussi l’hôtel The Berners à Londres
et de vastes complexes de golf au Portugal. S’il est discret et peu connu en France,
un homme au moins le connaît
bien: Patrick Balkany, le maire
de Levallois-Perret. Le cheikh a
signé avec sa ville, le 1er juillet
2008, un gros contrat de construction de deux tours jumelles de
164 mètres de hauteur en bord de
Seine. Montant du contrat: 1 milliard d’euros ! «Il ne correspond
pas à l’image de l’émir en visite
à Paris, qui se déplace en voiture
blindée, avec une nuée de serviteurs, dit un collaborateur. C’est un homme simple et abordable. »Qui en affaires
peut se révéler redoutable. «Le cheikh est comme le faucon, dit un hôtelier parisien.
Il essaie d’affaiblir sa proie avant de la tuer. Dans cette affaire, il a traîné en longueur pour mieux négocier le prix. Il pourrit la vie de Starwood, qui finira malgré
tout par lui vendre le Crillon et les autres hôtels.»
Deux cent cinquante
ans d’histoire
1758 Bâtiment construit sur
com­mande de Louis XV.
1778 Acquisition par le comte
de Crillon.
1907 Rachat par la famille
Taittinger.
1909 Transformation en palace.
1919 Signature de la création
de la Société des nations au
Crillon.
147 chambres, dont 44 suites
ou appartements. Chambre
simple à partir de 770 euros.
La suite Bernstein, la plus
grande : 150 m2 habitables
et 100 m2 de terrasse (8 220
euros).
Le George-V
(rénové). Propriété du prince
saoudien Al-Waleed.
Le Ritz
(non rénové). Propriété de
Mohamed al-Fayed.
Le Bristol
(rénové). Propriété de la famille
allemande Oetker.
Le Meurice
(rénové). Propriété du sultan de
Brunei.
Le Plaza Athénée (rénové).
Propriété du sultan de Brunei.
Le Fouquet’s
Barrière (récent). Propriété de la
famille Desseigne.
Le Crillon
(non rénové). Propriété du fonds
américain Starwood.
Les nouveaux palaces parisiens :
Le Royal Monceau.
Ouverture au printemps 2010.
Propriété du fonds Qatari Diar.
Le Peninsula Paris Hôtel.
Ouverture en 2012. Propriété du
groupe Hongkong and Shanghai
Hotels et du fonds Qatari Diar.
Le Shangri-La.
Ouverture début 2010. Propriété
de Robert Kuok, Chinois de
Hongkong.
Le Mandarin oriental.
Ouverture fin 2010. Propriété de
Hongkong Jardine Matheson.
Déclin. Rien n’est encore joué, et l’attente sera éprouvante. Déjà, le Crillon, bloqué par cette vente qui n’aboutit pas, déprime sec. Tous les projets de rénovation
sont gelés ; le vieux palace se regarde décliner. Il a urgemment besoin d’un sérieux lifting. C’est que toutes les grandes adresses parisiennes—Le Meurice, le
George-V, le Plaza Athénée, le Bristol, etc. — ont été modernisées. Gros chèques
à l’appui. Seuls le Crillon et le Ritz baignent encore dans leur jus de palaces old
style. De ceux qui oscillent entre le suranné et le dépassé. «Le Crillon est très
en retard, dit un connaisseur. Il n’est pas aux normes du luxe international, celui
qu’on trouve à Dubai, Moscou ou Shanghai. Il faut tout casser ! » La facture dépassera aisément 100 millions d’euros. Jean-Claude Messant, le directeur général
du Crillon, n’a pas (encore) perdu le sourire et n’est pas (encore) découragé par
la vie comme elle va au Crillon. Impuissant, il attend de savoir quel sort sera réservé à son palace et encaisse les coups durs. Comme celui de la démission — fin
juillet — de Jean-François Piège, chef étoilé des Ambassadeurs, la grande table du
palace. «Le restaurant du Crillon est fermé, constate un concurrent. Tout de même,
ça fait désordre ! » Jean-Claude Messant cherche énergiquement un nouveau chef.
« Je suis un bâtisseur, dit cet homme de 5o ans, qui avait débuté comme maître
d’hôtel auprès du Premier ministre Raymond Barre. Je veux faire entrer le
Crillon dans le XXIe siècle. Il faut apporter une touche de modernisme à
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cet univers classique. Et puis, il faut plus de convivialité Le Crillon n’est pas un sanctuaire. » Il bout de ne pas
pouvoir se mettre au travail: il veut revoir la déco, agrandir les chambres, disposer de plus de suites, construire
un spa et peut-être une piscine. «Le permis de construire va être validé fin septembre, dit-il. Il faut que nous
soyons prêts à agir dès que la vente sera effective. Quel qu’il soit, j’irai voir le propriétaire pour lui proposer
de faire le plus bel hôtel de Paris.»
Pas gagné, car la compétition s’annonce violente. Les palaces poussent à Paris comme des champignons sous
la pluie. «C’est un moment historique, assure un rival. D’ici à 2012, il y aura 600 nouvelles chambres de grand
luxe sur le marché à Paris ! » Ils s’appellent Shangri-La, Mandarin oriental, Peninsula et Royal Monceau. «Il
ne faut pas dramatiser les problèmes du Crillon, dit un expert du secteur. Car cet hôtel a un atout inestimable: il
dispose du plus bel emplacement de Paris ! » Et après tout il en a vu d’autres. Il a vécu la Révolution française
et a été aux premières loges de l’exécution à la guillotine de Marie-Antoinette. Il a vu la sanglante manifestation des Croix-de-Feu le 6 février 1934 et les rassemblements à la Libération. De cette nouvelle guerre il se
remettra
10 septembre 2009 Le Point
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