The grapes of wrath/Les raisins de la colère

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The grapes of wrath/Les raisins de la colère
The grapes of wrath/Les raisins de la colère
Les raisins de la colère, ou The Grapes of Wrath (titre original) est un roman de John
Steinbeck publié en 1940, traduit de l’anglais par Marcel Duhamel et M.-E Coindreau en
1947 aux éditions Gallimard.
C’est l’histoire d’une famille, les Joad, qui endettés sur leur propres terres sont contraints de
migrer vers l’ouest pour trouver du travail. Cette histoire inspirée de faits réels est le berceau
de nombreux débats contemporains, car on y retrouve la critique du système financier, plus
largement du système libérale ainsi que la critique continue de la religion, très ancrée aux
Etats-Unis. C’est aussi un récit qui se déroule dans un cadre mis en valeur, celui des grands
espaces, et l’auteur nous dépeint une Nature dans toute sa splendeur dès le premier chapitre.
Mais c’est aussi une véritable réflexion sur l’homme et ses qualités qui lui sont propres, celles
de la solidarité, de l’affection, de la générosité.
Tout au long du roman, on retrouvera les convictions marxistes de John Steinbeck, comme
dans En un combat douteux (1936) et Des souris et des hommes (1937). La presse se
déchaînera d’ailleurs contre en le considérant comme un pamphlet communiste. Elle lui
reprochera son style vulgaire et ses prises de positions socialistes et le livre sera même interdit
dans quelques villes de Californie. Néanmoins le livre remporte un grand succès et sera
adapté un an plus tard par John Ford au cinéma, film qui recevra l’Oscar du meilleur film
l’Oscar du meilleur acteur (Henry Fonda).
Lire Les Raisins de la Colère, c’est revenir dans l’Amérique profonde de l’entre-deuxguerres. Nous sommes dans la Grande Dépression, deuxième crise économique après celle de
1873 et première crise d’une telle violence. A travers la famille Joad, contrainte de quitter ses
terres situées dans l’Oklahoma, Steinbeck nous fait part d’une des plus grandes migrations de
l’histoire. C’est celle de plusieurs centaines de milliers d’Américains qui fuient la sécheresse
et les tempêtes de poussières en direction de l’Ouest ou la Californie. Cette catastrophe
naturelle est appelée le Dust Bowl et sévit dans les Grandes Plaines. Les périodes de crise
comme celle-ci favorisent la concentration des entreprises, en effet les moins compétitives
font faillite et les autres ont tendance à se regrouper. Ce sont aussi des paysans traditionnels
qui sont chassés de leurs terres faute de ne pas produire assez, des paysans qui sont dépassés
par le progrès technique qui réforme toute l’agriculture. Cette dernière raison est d’ailleurs
toujours d’actualité, avec la Politique Agricole Commune aujourd’hui en Europe à cause de
laquelle les fermiers qui n’ont pas des bâtiments conformes aux nouvelles normes ne peuvent
exercer leur métier. Ce sont des hommes innocents mais coupables de ne pas produire assez,
des hommes endettés vis-à-vis des propriétaires fonciers.
C’est donc le spectre de la crise, le « monstre » qui illustre les banques qui sont
responsables, même si dans la réalité la Nature l’était aussi pour une grande part. Et Steinbeck
va longuement insister sur cette injustice de ce système, comment une famille qui travaille dur
depuis des générations, issus des treize colonies, peut-elle être chassée de ses terres dans
lesquelles elle est enracinée ? Comment un agriculteur moderne peut-il chasser avec son
tracteur une famille de plus de dix personnes, détruire leur vie, pour 3 dollars?
Le tragique ne s’arrête pas là. Une fois arrivée sur le pays fertile, la Californie, où tout
pousse et tout est beau, une terrible politique économique ravage la société. Elle profite du fait
que le chômage permet de baisser les salaires. Et c’est par le prospectus publicitaire que
Steinbeck illustre ce raisonnement ingrat mais logique des patrons. Ceux-ci pensent de cette
manière, « j’ai besoin de cent paires de bras pour ma récolte, et je dois les payer 1 dollar par
jour pour que celui-ci subvienne à ses besoins et à ceux de sa famille. Mais cent-mille
personnes cherchent du travail. Je vais donc les appâter avec ma publicité, pour pouvoir une
fois tout le monde devant moi mettre aux enchères leur salaire. » On retrouve ici une thèse de
Marx. Pour Marx, le capitalisme engendre inéluctablement un chômage de masse (notamment
du fait de la concentration et des crises économiques) et ce chômage de masse explique que
les salaires se maintiennent à un niveau proche du niveau de subsistance: c'est la thèse de la
paupérisation absolue, qui souligne que les salaires ne progressent pas, ou peu, en raison de la
présence de cette armée industrielle de réserve, tandis que les capacités de production et
l'efficacité du travail augmentent. Et c’est ainsi que des centaines d’enfants meurent de faim,
que la pauvreté s’installe. C’est ainsi que toute cette population immigrée dans leur propre
pays est stigmatisée. On les surnomme les « Okies », car la majorité vienne de la région de
l’Oklahoma. Mais qui mange donc les fruits et légumes récoltés ? Ces centaines de tonnes de
pommes de terre, récoltées pour trois fois rien, qui va les acheter ? Ce ne seront pas les
paysans car ils sont sous-payés, ce ne seront pas les autres Okies car ils n’ont pas d’argent, et
encore moins les propriétaires agricoles puisqu’ils ont leurs propres récoltes. Mais la
production doit s’efforcer de continuer pour maintenir les cours, et c’est un véritable gâchis au
détriment d’une population en famine. Des gardiens seront même payés pour veiller à ce que
les Okies ne prennent pas les légumes jetés dans les fleuves.
Dans ces conditions, sociales désastreuses, deux camps se dressent l’un contre l’autre, celui
des propriétaires, des riches, contre celui des okies, des pauvres.
Une nouvelle fois, la population est soumise à une élite qui veille à ses profits. On retrouve
encore la théorie marxiste avec ses luttes des classes entre les détenteurs des moyens de
production et le prolétariat. Pourquoi la population ne fait-elle rien ? Parce qu’elle est faible et
vite réprimée par la police. Mais lorsque la famille Joad arrive au « camp du Gouvernement »
(rien d’officiel pour autant), après avoir été chassée d’autres camps à maintes reprises par la
police locale, Steinbeck met en évidence une force que les Okies pourraient avoir : celle de
l’organisation. Ainsi en s’organisant, une population opprimée injustement par une élite
sociale a toutes ses chances. Et ce fait est inévitable, tous les processus historiques le montrent
et on peut ici citer Alexis de Tocqueville, « on dit qu’il n’y a point de péril, parce qu’il n’y a
pas d’émeute. On dit que, comme il n’y a pas de désordre matériel à la surface de la société,
les révolutions sont loin de nous. Messieurs, permettez-moi de vous dire que je crois que vous
vous trompez. Sans doute le désordre n’est pas dans les faits, mais il est entré bien
profondément dans les esprits ». Cette atmosphère prérévolutionnaire est très présente, on a ce
sentiment de besoin de révolte, de changement.
Steinbeck nous tend aussi à travers ce récit une critique assez virulente de la religion.
On a bien l’impression que l’auteur partage l’idée de Marx selon qui la religion est l’opium
de peuple. Les Américains ont toujours été très pratiquants, et la croyance religieuse était bien
plus grande et dangereuse à l’époque. A travers les propos du personnage d’un ancien pasteur
se dessine peut-être avis de l’auteur : « c’est à propos du Saint-Esprit et du chemin de Jésus.
Je m’suis dit : ‘Pourquoi faut-il qu’on mette ça au compte de Dieu ou de Jésus ? Des fois,
j’me suis dit, c’est peut-être bien tous les hommes et toutes les femmes que nous aimons, c’est
peut-être bien ça, le Saint-Esprit - l’esprit humain-tout le bazar. Peut-être bien que les
hommes n’ont qu’une grande âme et que chacun en a un petit morceau’. Et comme j’étais en
train de penser ça, tout d’un coup, j’en ai été sûr. J’en étais tellement sûr tout au fond de moi,
que c’était vrai. Et je le suis toujours». Ce dernier était issu d’une famille pratiquante
anglicane (confession chrétienne datant du XVIe siècle lorsque Henry VIII rompit avec le
pape et Rome), et lut d’ailleurs la bible dès l’âge de trois ans. Ceci ne fait pas de lui un
pratiquant pour autant.
On constate de nombreux débats philosophiques sur la religion à travers ce personnage.
L’essentiel de la pensée de Steinbeck à travers ce roman est une critique explicite de
l’extrémisme religieux, avec ses intégristes et dérives sectaires. La famille Joad, bien que
croyante, s’efforcera d’éviter de côtoyer ces gens, même dans les moments les plus difficiles
où les forces irrationnelles sont les plus dangereuses. Il dénonce la vision d’une vie pieuse
selon certains qui consiste à vivre dans la pauvreté, dans la chasteté et dans la souffrance. Car
ces pensées sont non seulement inhumaines, mais en plus accentuent la passivité de nombreux
« Okies » devant la violence et l’injustice des détenteurs de moyens de production. On voit
bien sûr ici l’idée que la religion est une véritable arme.
Cet engagement que prend l’auteur vis-à-vis de la religion est important pour ses lecteurs, en
effet le succès de l’œuvre fut fulgurant, on dénombra 400 000 ventes dès sa sortie puis une
moyenne de 50 000 ventes chaque année aux USA. Publié en 1939, ces écrits doivent être pris
dans le contexte de sa sortie : le monde entre en guerre, les totalitarismes sont à leur apogée et
les idéologies antagonistes sont prêtes à tout pour éliminer leurs ennemis ; même au génocide.
Ce livre qui critique donc la religion est aussi indirectement une relative critique de la
violence, du fanatisme, du spiritualisme, des préjugés et donc des extrémismes, tant religieux
que politiques finalement. Peut-être que l’auteur s’étonna lui-même de cette contiguïté dans
l’actualité.
Mais c’est aussi un rappel à l’ordre des valeurs propres à l’homme, de ses qualités
intrinsèques.
En dénonçant l’abus des riches propriétaires fonciers et agricoles sur les autres, les terribles
inégalités, Steinbeck met en évidence un vide, un manque d’humanité pour une population qui
mérite plus et qui a déjà souffert. Il souligne la stupidité de l’égoïsme qui règne dans une
société basée sur le profit. Mais il souligne aussi l’entre-aide des Okies dans les camps,
l’esprit de partage, l’amitié, la force d’être ensemble et de se battre pour une même chose,
travailler et pouvoir nourrir sa famille. On peut conclure par la phrase emblématique de John
Steinbeck, « Les choses que nous admirons le plus dans l’humanité : la bonté, la générosité,
l’honnêteté, la droiture, la sensibilité et la compréhension, ne sont que des éléments d’échec
dans le système ou nous vivons. Et les traits que nous détestons : la dureté, l’âpreté, la
méchanceté, l’égoïsme, l’intérêt personnel, sont les éléments mêmes du succès ». Enfin, la
scène finale résume bien cela, mais à vous de la découvrir…

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