Vita de Sonia Wieder-Atherton Voyage au bout du son

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Vita de Sonia Wieder-Atherton Voyage au bout du son
Vita de Sonia Wieder-Atherton
Voyage au bout du son
toutelaculture.com
le 1er mars 2011
par Bérénice Clerc
Sonia Wieder-Atherton donne vie à son violoncelle pour relier les passions sonores de Monteverdi et Scelsi dans
une distorsion temporelle impalpable.
Vita, sublime voyage transcendantal du XVIe au XXe siècle au cœur de l’intimité humaine.
Si le mot virtuose avait une allégorie, Sonia Wieder-Atherton en serait la parfaite représentation.
Grâce à Vita, son nouveau voyage poétique et sonore, elle nous entraine hors du temps où le son est voyant et
fait se rencontrer les notes de Monteverdi et de Scelsi.
Monteverdi nait en 1567, quatre siècles avant la venue au monde de Scelsi en 1905. Au XVIe siècle Monteverdi
est le premier à vouloir transcrire en son l’être humain, ses émotions, ses passions, ses paradoxes, ses conflits,
ses histoires d’amour…Son obsession est d’élargir sa palette sonore pour exprimer les émotions, les errances, les
brulures de l’âme humaine. Tel un tragédien, il fait de ses partitions un théâtre sonore, choisit des textes de plus
en plus dramatiques au cours de sa vie. Il fait éclater la forme du madrigal, l’étire, l’agrandit et la libère pour
permettre à ses personnages d’exprimer la profondeur ressentie. Il regroupe ses madrigaux en huit livres et leur
donne des noms dignes de pièces de théâtre. Il se bat avec ses contradictions, fait plaisir à ses commanditaires,
pour garder un poste lui permettant de vivre, et au même moment, tel un prophète, révolutionne sans relâche la
musique, ose des harmonies déchirantes, dérangeantes même parfois. Ses lignes mélodiques allant du fluide au
rugueux, par exemple, ouvrent grand les portes à des siècles de Musique.
Scelsi est un homme solitaire, loin des courants et des modes musicales. Il s’imprègne de ses voyages en Egypte
en Orient. La puissance du son l’habite, le passionne. Pour créer il utilise l’Ondeline, ancêtre de l’informatique,
orgue capable de reproduire les quarts et les huitièmes de tons et improvise des heures sur cet instrument. Il
atteint une sorte de transe et lui donne une forme dans un état de passivité lucide. « Le son est le premier
mouvement de l’immobile » dit-il. Entre 1957 et 1965 il compose une gigantesque fresque pour violoncelle
seul : « Les Trois Ages de l’homme », trilogie divisée en trois chapitres : Triphon, Dithome et Ygghur ou le cour
d’une vie, jeunesse, maturité, vieillesse. Il explore avec cette œuvre l’essence même de l’énergie, la violence du
son se déployant en volutes infinies à une vitesse quasi au delà du possible. L’interprète doit s’engager comme
jamais et les limites de l’instrument sont repoussés à l’extrême.
Pour relier ses deux compositeurs avec évidence, Sonia Wieder-Atherton nous raconte l’histoire de deux femmes
qui n’en forme qu’une dans la communion sonore.
Angioletta vit au 16e siècle, Angel au 20e, mais l’époque et le temps n’existent pas, en musique comme en art
plastique, ce qui est composé est là parce qu’il a toujours existé, comme si nous l’avions toujours porté, vu, vécu
ou chanté en nous dans une forme d’universalité. Une personne est née enfantée par le son. Nous traversons sa
vie, sa jeunesse, son premier amour avec Monteverdi, l’adolescence, la violente lumière crue de Scelsi, la
maturité, la rencontre de l’âme sœur via Monteverdi, Scelsi la transporte au moment du recul n’empêchant plus
d’avancer, puis doucement elle emprunte le chemin de la vieillesse, les gestes de Scelsi se ralentissent et
Monteverdi lui ôte toute peur de la mort grâce à l’espoir de l’infinie, d’un moment qui dure toujours.
Sonia Wieder-Atherton, aidée sur certains morceaux par Franck Krawczyk signe ici de belles transcriptions.
La majorité des pièces sont des madrigaux tirés du huitième livre mais le plus long travail est celui de
l’interprétation. Sonia Wieder-Atherton fait parler son violoncelle sans mot, varie les timbres, les couleurs, les
reliefs, les émotions et fait courir son archet à vive allure sur nos peines.
Sarah Iancu et Matthieu Lejeune l’accompagnent avec brio, leurs voix se fondent comme un seul instrument ou
se croisent et se brisent de timbres aigus en notes graves. Ouverture, fermeture, errance, bataille, solitude,
compagnonnage, amitié, amour, la vie toute entière nous est livrée en quelques cordes. Transformé en pâte
sonore Le cosmos, l’Homme et le violoncelle, ne font plus qu’un.
Invité dans un monde intime et bouleversé, la pureté puissante de cet album vous emportera loin des temps, au
cœur de la musique tissée avec sensibilité et talent par Sonia Wieder-Atherton. La virtuosité rare de son
violoncelle sculpte la vie humaine, nos ancêtres, nos contemporains et l’âme de nos descendants se mettent à
table au détour d’un son, d’un geste d’une corde, d’une vibration.
Plongez dans ce disque avec délectation, rares sont les émotions aussi fortes et nues.
Si vous souhaitez poursuivre le voyage au bout du son, Sonia Wieder-Atherton donnera comme à son habitude
un spectacle complet, mis en espace et sublimé par une création lumière.
Le cadre d’existence de l’histoire, des ses deux vies séparées par les siècles, réunies par la musique, font se
mélanger les sensations, les yeux entendront, les oreilles verront. Le public sera témoin d’une scène qu’il n’est
pas censé voir, pourtant il la découvre grâce à trois fenêtres sur trois violoncellistes.
Un spectacle à ne manquer sous aucun prétexte le 7 mars à 20h30 aux Bouffes du Nord.

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