Les dangers de l`information à haute vitesse
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Les dangers de l`information à haute vitesse
Reproduction interdite (Usage strictement interne) Journal: Le Monde Date Article: 16.01.2015 Les dangers de l'information à haute vitesse Après la récente série d'attentats, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a convié les médias à un « débriefing » ) équipée meurtrière des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly a gé- néré une couverture médiatique hors normes. Depuis le 7 janvier, l'information en continu a fait un pas de plus dans sa généralisation. TF1 et France 2 ont « cassé » leur antenne pour suivre les événements. Le nombre de sites nourrissant des « live » a encore crû, suscitant une mobilisa- tion sans précédent des équipes Web et papier des médias français. Cette intensité et le scénario des attaques, avec la réaction en parallèle des forces de l'ordre, a suscité un flot de critiques. Si les respon- sables de médias interrogés estiment avoir dans l'ensemble bien travaillé, la « séquence » a de nou- veau montré les dangers de l'information à haute vitesse, notamment la collision possible avec le travail des policiers. Le Conseil su- périeur de l'audiovisuel (CSA) a d'ailleurs convié, jeudi 15, les mé- dias à une réunion de débriefing pour en discuter. Une première. LES MÉDIAS ONT-ILS MIS EN DANGER LA VIE D'OTAGES? C'est une des accusations les plus graves : des spectateurs ou des po- liciers reprochent à certaines tant, lui, caché, ce que les médias ignoraient. Un autre cas a visé BFM-TV. Samedi soir, une femme présentée comme la compagne d'un des otages d'Amedy Coulibaly a lancé : « Vous avezfaillifaire une grosse erreur, BFM. Vous étiez en direct avec les gens qui étaient dans la chambre froide. Ils vous ont dit qu'ils étaient six en bas, avec un bébé. Et deux minutes après, c'est passé sur BFM. Et le terroriste a regardé BFM... Heureusement qu'il n'a pas vu la bande, sinon mon mari et les cinq autres étaient morts. » La chaîne n'a « jamais été en contact avec les gens retenus en otage dans la chambre froide» et n'a pas mentionné leur existence dans un bandeau, a répondu Hervé Bé- roud, directeur de la rédaction. BFM-TV reconnaît que le journaliste Dominique Rizet, en plateau, a évoqué une femme qui se serait cachée dans une chambre froide, une fois. «Mais il l'afait parce qu'il était en contact avec une personne du RAID sur place, qui lui avait dit que ces personnes n'étaient plus en danger », selon M. Béroud. Pourtant, la mention à l'antenne est passée à 14 h 58, soit deux heures avant l'assaut, et M. Rizet disait alors que les équi- chaînes d'avoir évoqué des otages qui étaient en fait cachés, leur faisant courir un risque. pes d'intervention étaient « en Vendredi 9 janvier, France 2 a dif- Il semble difficile de savoir si les fusé un témoignage de la soeur d'un « otage présumé » dans l'imprimerie de Dammartin-enGode, Lilian Lepère, comme l'ont relevé « Arrêt sur images » et Télérama.fr. On apprendra qu'il était caché sous un évier, à l'insu des frères Kouachi. Interrogée par la journaliste Elise Lucet, cette soeur dit à propos de « l'otage » : « On ar- rête de l'appeler pour pas que, s'il est caché, cela perturbe sa planque. » Elle affirme aussi ne pas être en contact avec les autorités. Pour Thierry Thuillier, directeur de l'information de France Télévi- sions, « on ne peut pas dire que nous avons mis en danger cette personne ». « Quand, après la première question, on comprend que la soeur est sans nouvelles de son frère et qu'elle dit cesser de l'appeler pour éviter de le compromettre, on change l'angle de la conversation à l'antenne », assure-t-il. Il rappelle que « beaucoup de médias parlent d'un ou plusieurs otages ». En effet, de l'AFP au Monder, on évoque de possibles otages, même parfois après la libération, à to h zo, du directeur de l'imprimerie, Lilian Lepère res- train de s'équiper ». Elles n'étaient pas entrées dans le supermarché. otages de la chambre froide étaient protégés. L'Express.fr a re- connu avoir un temps donné la même info, et ajouté : « Nous n'aurions pas dû. » Le preneur d'otages regardait-il BFM-TV ? Apparemment oui : « Il était intéressé par BFM, a raconté un otage à Libération. Comme la télé ne donnait pas toujours les bonnes infos, il s'est énervé. Il a dit : "Comment ça, il n'y a pas de morts ?Ils vont voir s'il n'y a pas de morts."Il a appelé BFM et leur a de- mandé de changer leur bandeau. » FALLAIT-IL DIFFUSER LES PROPOS DES TERRORISTES ? BFM-TV et RTL ont suscité du dé- bat en racontant, après l'assaut, leur contact avec les tueurs. Vendredi, vers 19 heures, la chaîne a relaté ses conversations : «Le journaliste Igor Sahiri a appelé en début de matinée le numéro de l'entreprise où se seraient réfugiés les Certains se sont étonnés de la présence de cameramen très près des forces de l'ordre chef de la radio. Ce n'est pas un té- moignage donnant la parole au preneur d'otages, plutôt un document. » Un document « encadré », ajoute M. Baille avec des explica- tions et l'intervention de Gilles Kepel, spécialiste de l'islam. Reste la question, posée par certains confrères : n'était-il pas risqué de téléphoner sur un lieu de prise d'otages, comme l'ont fait beau- On passe le preneur d'otages à coup de médias ? Alexis Delahousse, directeur adjoint de la rédaction de BFM-TV, dit la chaîne. L'échange dure quatre minutes. Le tueur raconte qu'il LE TRAVAIL DE LA POLICE A-T-IL ÉTÉ PERTURBÉ ? s'est « synchronisé » avec les frères Kouachi et dit qu'il a fait quatre morts et détient dix-sept otages. « Nous n'avons pas communiqué ces informations à l'antenne et nous avons prévenu les autorités, dit M. Béroud. Après l'assaut, nous avons pris soin de diffuser uniquement des informations nouvelles, en prenant soin de couper les éléments de propagande », préciset-il. « Les éléments très forts d'information que contenaient ces entretiens méritaient que nous diffusions des extraits », justifie-t-il. A RTL, on n'estime ne pas avoir relayé de la propagande en diffusant, samedi, un enregistrement de Coulibaly recueilli vendredi en appelant l'épicerie : « Nous nous sommes posé la question, explique Philippe Baille, rédacteur en Il y a des frictions avec les forces de l'ordre. Vendredi, François Molins, le procureur de la République de Paris, a regretté que l'identifi- cation des frères Kouachi, évoquée dans certains médias dès mercredi, ait privé les forces de l'ordre de « tout effet de surprise ». Lors des prises d'otages, vendredi, le CSA a d'ailleurs publié une note inhabituelle invitant « télévisions et radios à agir avec discernement, pour assurer la sécurité de leurs équipes et permettre auxforces de l'ordre de remplir leur mission ». Vendredi, porte de Vincennes, certains se sont étonnés de la présence d'un cameraman de France 2 très près des forces de l'ordre. « Chacun est dans son rôle, la police est dans son rôle de nous de- mander de reculer si nous la gênons ou si nos journalistes sont en danger. Notre rôle est de rendre «Amedy Coulibaly était intéressé par BFM », a raconté un otage à «Libération » compte de ce qui se passe », estime Eric Monier, responsable de l'information sur France 2. Plus tard, des policiers se sont plaints que des médias aient dit à l'antenne que l'assaut était immi- nent. Ils ont fait descendre des journalistes d'immeubles avec une vue directe sur le supermarché, de peur que les plans filmés donnent des indications à Coulibaly sur l'emplacement des hommes du RAID. Au moment du dénouement, la police a demandé aux télés de filmer en plan large et de ne pas diffuser l'assaut en direct. Une invitation que les chaînes disent avoir choisi de suivre. Entre exigence de sécurité et droit à l'information, un équilibre instable. JOËL MORIO ET ALEXANDRE PIQUARD frères Kouachi, pour vérifier l'infor- mation, raconte Hervé Beroud. A sa surprise, c'est Chérif Kouachi qui lui a répondu. » La conversa- tion a duré quelques minutes pendant lesquelles il a affirmé avoir été missionné par « AIQaida du Yémen » et revendiqué l'attentat contre Charlie Hebdo. Vers 15 heures, c'est Coulibaly qui appelle le standard de BFM-TV. Page 1/2 Reproduction interdite (Usage strictement interne) Journal: Le Monde Date Article: 16.01.2015 Fallait-il passer certaines images violentes ? CE SONT DEUX DOCUMENTS vidéo ama- teur qui ont déclenché la polémique. Le premier, filmé de l'étage d'un immeuble du boulevard Richard-Lenoir à Paris (le), montre la fuite des frères Kouachi et l'assassinat du policier Ahmed Merabet. L'auteur du film, qui a posté la vidéo sur son compte Facebook avant de la retirer, regrette depuis de l'avoir diffusée. L'autre document dévoile l'assaut de la police, porte de Vin- COMMUNIQUÉ Gernelle, directeur de la rédaction du Point. Il rappelle que le quotidien américain New York Times a passé la photo en « une » sur «Même pas peur » quatre colonnes (ainsi que d'autres titres cd En mémoire de nos confrè- tranché Amedy Coulibaly. France 2 se justifie d'avoir coupé ce film, diffusé a posteriori : « Lorsque nous avons « Il reste un débat légitime : comment montrer l'horreur ? demande le directeur eu ces autres images en plan serré tournées par un riverain, nous avons coupé celle où le terroriste se faisait tuer. C'est pour la même raison que nous n'avons pas diffusé l'exécu- presse. Nous entendons l'argument que cela peut peiner la famille du policier, ce qui est la meilleure critique. Mais nous sommes un journal, qui doit rendre compte, y compris res de Charlie Hebdo et des victimes du terrorisme assassinées à Paris, Montrouge et porte de Vincennes, nous, journalistes de presse écrite, radio, télé et Internet affirmons notre refus obstiné de céder à la violence et à l'intimidation. Leur combat nous oblige. Leur courage, face aux menaces de mort, nous impose de continuer à informer sans transiger, toujours indépendants de tous les pouvoirs. Comme eux, osons dire, crier, scander : nous n'avons pas tion du policier près de Charlie Hebdo », dit Eric Monier, directeur de la rédaction. du pire, on ne peut pas l'occulter. » peur ! étrangers et français, dont Le Monde, en pages intérieures du quotidien). « M. Cazeneuve, qui dirige en tant que ministre les policiers, a exprimé une émotion assez digne. Manuel Valls a employé des mots qui ne sont pas corrects en parlant de "dégoût" », estime M. Gemelle. cennes, dans l'Hyper Cacher où était re- du Point. C'est un débat assez ancien dans la Le rire est un rempart universel contre l'obscurantisme. La caricature des idées comme des croyances est une manière de faire vivre le pluralisme. Nous n'y renoncerons pas. Nous voulons réaffirmer le sens de notre métier pour faire reculer la propagande, la rumeur et les manipulations. Dans les jours, les mois et les années qui viennent, nous voulons porter haut notre exigence et notre responsabilité d'informer nos concitoyens. L'enjeu dépasse notre profession. Il en va de la démocratie, aujourd'hui rongée par le doute. La presse a besoin de liberté. La liberté a besoin de la presse. Défendons-les ! AL.P. RFM-TV explique, comme d'autres chai- nes, ne pas avoir diffusé toute la vidéo amateur tournée boulevard Richard-Lenoir. « Nous avons montré avant et après », dit Hervé 13éroud, directeur de la rédaction de la chaîne, car « la scène est choquante, pour la famille du policier et pour notre public qui est familial ». Dégoût a Samedi, Le Point a placé en couverture une photo de ce policier au sol et mis en joue par un frère Kouachi :Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, a dénoncé une e atteinte ù la mémoire » des policiers victimes, rapporte Arrêt sur images, alors que le pre- mier ministre, Manuel Valls, ne cachait pas son « dégoût ». « La barbarie, il ne faut pas seulement en parler, il faut la montrer », assume Etienne « Le silence, c'est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs. Et Si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs. » Tahar Djaout, journaliste et écrivain algérien assassiné par le FIS en 1993. Sociétés des journalistes de: France-Presse, Alternatives économiques, Canal+, Courrier international, AEF, Agence -fit> La Croix, Les Echos, Europe 1, L'Express, Le Figaro, France Bleu, France Info, France Inter, France Culture, L'Humanité, iTéle, Libération, Marianne, Mediapart, Le Monde, Le Mouv', L'Obs, Le Parisien, dr egr, "a. , 1 \;.L; ee-c -X vr -4, . L'.; s., .L. Le Point, RFI, RTL, Rue 89, Télérama, TF1 et La Vie. .t'`,1 -_ e.e. e _ - % s .1. 1. -sr .1 uu n.. 0.1 l.artullIslr. en Ebert .9 tarer., prit" de line...rie dur laquelle se sonl retranehés Les (ultra Koura .l LeammartinnneGokle. OLIVIER LABAN-MATITI/MVOP POUR LE MOUE.. Page 2/2