Projet innovant 2008
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Projet innovant 2008
Département Ecologie des Forêts, Prairies et milieux Aquatiques - Projet innovant 2008 Titre du projet Responsable : Parasitisme-stress-nutrition : un rôle-clé du fonctionnement du Chevreuil en paysage fragmenté ? Hélène Verheyden Enjeu scientifique : La prise de conscience que la faune sauvage subit une pression humaine grandissante qui affecte la dynamique des populations a mis en lumière la nécessité de promouvoir les recherches sur les risques pour la faune sauvage afin d’améliorer la protection et la gestion des espèces (Munns, 2006). Les risques sont associés à des facteurs de stress liés aux modifications d’usage des terres, à l’introduction d’espèces invasives ou exotiques, à l’apport de nutriment ou de toxique, et au dérangement par les activités humaines. Dans le cas des grands ongulés sauvages en pleine expansion démographique et géographique qui occupent aujourd’hui des paysages fragmentés et fortement anthropisés, la dynamique des populations pourrait dépendre largement des réponses aux facteurs de stress multiples d’origine humaine plutôt que de la régulation « naturelle » (ressources/prédation/compétition). L’enjeu est de taille puisque ces grands herbivores, véritables ingénieurs de l’écosystème, sont source de conflits croissants avec les activités humaines en Europe et en Amérique du Nord (dégâts agricoles, sylvicoles, collisions routières, réservoir de parasites, vecteur de zoonoses) alors qu’en parallèle le nombre de chasseurs diminue. De plus, les changements globaux (usage des terres et réchauffement climatique) pourraient induire une augmentation du risque parasitaire chez la faune sauvage ainsi qu’une augmentation des interactions avec l’homme. En Europe, la principale espèce concernée est le Chevreuil qui habite aussi bien les forêts que les agrosystèmes fragmentés et perturbés par les activités humaines. Les facteurs de stress d’origine anthropique subis par cette espèce seraient principalement liés aux modifications d’habitat, au dérangement, à la chasse et au parasitisme (en interaction avec les ruminants domestiques). Aucune étude n’a encore identifié comment les chevreuils répondent à ces différents facteurs de stress, comment ces facteurs de stress interagissent entre eux et dans quelle mesure ils peuvent influencer la dynamique des populations. Situation vis-à-vis de l’état de l’art (1 à 3 références) : Le parasitisme, au même titre que la prédation ou la disponibilité des ressources, est un élémentclé de la dynamique des populations de certains ongulés sauvages (comme cela a été montré par exemple chez le Renne, Rangifer tarandus, ou le mouton de Soay, Ovis aries). Même sans manifestation de signes cliniques d’infestation, les parasites (externes, pulmonaires et digestifs) peuvent affecter le succès reproducteur des ongulés en diminuant leur condition physique. Ces effets sont connus chez les herbivores domestiques mais beaucoup moins chez les herbivores sauvages (Gunn et Irvine 2003). Ils sont à la fois pathophysiologiques (e.g.diminution de l’assimilation des protéines) et comportementaux (diminution de l’appétit, modification des choix alimentaires). Pour se défendre contre les parasites, les ongulés doivent maintenir leur homéostasie, développer une réponse immunitaire coûteuse en protéines et/ou ingérer des substances antiparasitaires (tanins par exemple). Mais la sélection alimentaire de plantes riches en protéines peut conduire à l’augmentation de l’ingestion de parasites car ces plantes plus riches en protéines se trouvent souvent sur des sites fertilisés par les dépôts de fèces d’herbivores, notamment domestiques. Par ailleurs, l’ingestion de tanins a un coût (détoxification, protection de l’appareil digestif contre les tanins). Enfin, les habitats cultivés, qui offrent les ressources alimentaires les plus riches en nutriments (de par les pratiques de sélection des semences et de fertilisation), sont souvent associés à des niveaux de dérangement élevés à l’origine de stress. Or les facteurs de stress multiples, tels que le parasitisme associé au dérangement sont susceptibles d’avoir des effets interactifs et pas seulement additifs (Munns 2006). Par exemple, les effets du parasitisme seraient aggravés chez les animaux soumis à un stress chronique - tel que celui induit par la chasse ou d’autres activités humaines - qui déprime le système immunitaire et modifie aussi le comportement. Ainsi l’herbivore est souvent confronté à compromis : minimiser l’exposition aux facteurs de stress ou maximiser l’ingestion de nutriments (Hutchings et al. 2006). Chez les ongulés sauvages, seule une poignée d’études descriptives ont abordé ces questions. Des corrélations positives entre stress et pression humaine ont été observées chez les mâles de Cerf des pampas (Ozotoceros bezoarticus). Une grande variabilité des concentrations en hormone de stress dans le système digestif, apparemment non reliée au mode de chasse ou au taux de parasitisme, a été décrite chez le Cerf élaphe (Cervus elaphus). Les faons, dont les mères sont soumises à un stress alimentaire, compromettent leur croissance pour compenser un déficit immunitaire lié au faible taux d’immunoglobulines du lait maternel. D’autres travaux montrent une corrélation négative entre la charge parasitaire et la condition physique chez le Cerf. Ces quelques études ainsi que les connaissances obtenues chez les animaux domestiques suggèrent l’existence d’interactions fortes entre parasitisme, stress et nutrition qui peuvent avoir des effets importants sur la condition physique, la reproduction et donc la dynamique des populations. Gunn A. & Irvine R. J. 2003 Subclinical parasitism and ruminant foraging strategies – a review. Wildlife Society Bulletin, 31(1) : 117-126. Hutchings M. R., Judge J., Gordon I. J., Athanasiasou, S. & Kyriazakis I. 2006 Use of trade-off theory to advance understanding of herbivore-parasite interactions. Mammal Review, 36(1), 1-16. Munns WR 2006. Assessing risks to wildlife populations from multiple stressors : overview of the problem and research needs. Ecological and Society 11, 23-34. Contenu du projet, caractère innovant: Les objectifs initiaux étaient explorer la possibilité de mesurer le stress lié au dérangement humain chez le Chevreuil en captivité, décrire la variabilité du stress parasitaire, du stress lié au dérangement humain et de la qualité du régime alimentaire chez des chevreuils sauvages vivant en paysage hétérogène en fonction de la pression humaine, la présence de bétail, de cultures et de bois, établir des corrélations entre les trois composantes du trio parasitisme-stress-nutrition et la condition physique des individus. Mais le budget demandé a été réduit de moitié au motif qu’il fallait identifier une question précise parmi les multiples pistes proposées pour traiter la problématique "Parasitisme-stress-nutrition". C’est pourquoi nous avons choisi de nous focaliser sur le stress lié au dérangement humain avec comme objectif particulier de : valider l’utilisation des métabolites fécaux des glucorticoïdes comme indicateur de stress de dérangement chez des chevreuils en captivité, décrire la variabilité du stress de dérangement chez des chevreuils sauvages en relation avec la composition et la structure du paysage, rechercher la corrélation entre l’exposition au stress de dérangement et la condition physique des chevreuils. Ces questions spécifiques ont été retenues suite à l’opportunité de collaborer par l’intermédiaire d’un post-doctorant (Thomas Roedl) avec Martin Dehnhard qui a publié une méthode de dosage des hormones de stress dans les fèces de chevreuil (Dehnhard et al. 2001, IZW Berlin, Germany). La phase de validation impliquant des chevreuils en captivité de la station expérimentale de Gardouch a fait l’objet d’une partie d’un stage de Master I (Nadège Bonnot, UPS Toulouse). Les deux autres questions ont fait appel à des données récoltées sur des chevreuils sauvages capturés, équipés d’un collier GPS, puis relâchés sur le site atelier des Coteaux de Gascogne (LTESR). La question de l’effet du stress lié au dérangement humain sur le comportement et le fonctionnement de la faune sauvage est une thématique innovante pour l’équipe mais aussi au plan international. Les enjeux concernant l’évaluation des risques liés à l’homme pour la faune sauvage et leur influence sur la dynamique d’expansion des populations de chevreuils ont été exposés plus haut. L’état des lieux (voir plus haut) montre la rareté des recherches chez les ongulés sauvages dans ce domaine. En raison de ce manque de connaissances, ce projet est considéré comme exploratoire et contient une part de mise au point méthodologique. Le stress lié à la pression humaine est en effet difficile à mesurer. Une méthode indirecte surtout utilisée chez les oiseaux consiste à mesurer les glucocorticoïdes dans le sang ou les fèces qui témoignent de la sécrétion de corticosteroïdes en réponse à un événement stressant. Un niveau basal élevé indiquerait un stress chronique. Cependant cette méthode demande à être validée chez le Chevreuil au moyen d’expériences en captivité pour établir le niveau basal sans stress ainsi que le profil de réponse dans le temps vis-à-vis d’un stress de dérangement par l’homme. Résultats et discussion : Valider l’utilisation des métabolites fécaux des glucorticoïdes (GCM) comme indicateur de stress de dérangement chez des chevreuils en captivité. Des dérangements par un observateur à pied faisant le tour de trois enclos dans lesquels vivent 2 femelles et 1 mâle ont été effectués. Des prélèvements de fèces pour chaque femelle ont été réalisés pendant le dérangement et à intervalles réguliers au cours des 24h suivant le dérangement. Les fèces prélevées ont été immédiatement réfrigérées puis congelées et analysées pour mesurer leur concentration en métabolites des glucocorticoïdes. Les résultats montrent que le stress de dérangement produit par un homme à pied provoque une augmentation de l’excrétion des GCM, avec un pic au bout de 17 à 19h après le dérangement, puis une diminution (fig 1). Ce pic d’excrétion des glucocorticoïdes correspond au pic observé 14 à 20h après un stress de capture et de transport chez le chevreuil (Dehnhard et al. 2001). Ces résultats valident pour le chevreuil l’utilisation des métabolites fécaux des glucocorticoïdes comme indicateur de stress de dérangement par l’homme. Figure 1 : Augmentation des métabolites des glucocorticoïdes (GCM) dans les fèces de femelles chevreuils après un dérangement de 30 min (homme à pied dans l’enclos). En abscisse, la période : 1 = pendant le dérangement (en fin d’après-midi (15 à 17h), 2 = le matin suivant (8-10h30), 3 = le milieu de journée suivant (10h30-14h30), 4 = l’après-midi suivante (14h30-16h). Le contrôle correspond à un prélèvement effectué un autre jour sans qu’il y ait eu dérangement. Décrire la variabilité du stress de dérangement chez des chevreuils sauvages en relation avec la composition et la structure du paysage. 86 fèces fraîches issues d’animaux chassés (4), capturés (46) ou observés (19 + 17) ont été prélevées entre le 31/10/2007 et le 03/04/2008, soit 69 pendant la saison de chasse et 17 après la saison de chasse. La concentration en métabolites des glucocorticoïdes (GCM) dans les fèces a été mise en relation avec la composition du paysage sur les zones de capture (pour les fèces issues des captures) ou sur un domaine vital simulé centré sur le points d’observation ou de tir. Des variations mensuelles de la teneur en GCM ont été constatées avec des teneurs plus élevées au printemps (mars et avril) par rapport à l’automne ou l’hiver (Kruskal-Wallis test : chi2=25.39, df=6, P=0.0003). En hiver, les concentrations en GCM sont significativement différentes selon les zones de captures (F 5,40 = 3.76, P=0.007, R²=0.23) avec des teneurs moins élevées en milieu forestier qu’en milieu ouvert. Chez les chevreuils chassés ou observés en milieu ouvert, la teneur en GCM augmente avec l’augmentation du pourcentage de prairies (F 1,37 = 5.47, P=0.025) et la diminution du pourcentage de bois (F 1,37 = 5.36, P=0.026), et ce même en tenant compte de la corrélation spatiale négative entre les pourcentages de prairies et bois (fig 2). Le modèle retenu explique 18% de la variabilité (F 2,37 = 5.15, P=0.009, R²ajusté=0.18). L’analyse séparée des deux périodes, pendant et après la saison de chasse, révèle des tendances identiques pendant la saison de chasse (modèle global F 2,20 = 4.27, P=0.028, R²=0.23), avec un effet positif des prairies (F 1,21 = 4.50, P=0.046) et négatif des bois (F 1,21 = 4.04, P=0.058), alors qu’il n’y a plus aucune tendance après la saison de chasse (mais seulement 17 échantillons disponibles, donc une faible puissance de test). Ceci suggère que le stress de dérangement pendant la saison de chasse affecte différemment les chevreuils suivant la nature du paysage, avec un stress plus important en milieu ouvert et particulièrement dans les prairies. 4.5 2.5 3.5 GCM (log) 4.5 3.5 2.5 GCM (log) 5.5 (b) 5.5 (a) 0 20 60 % bois 100 -20 0 20 % prairie (residu vs bois) Figure 2 : Teneur en GCM dans les fèces de chevreuils chassés ou observés entre octobre et avril en fonction du pourcentage de bois (a) et de prairies (b). Pour les prairies, nous avons considéré les résidus de la relation linéaire entre le pourcentage de prairies et de bois, pour retirer la part déjà contenue dans le pourcentage de bois (corrélation). Les droites représentent les valeurs prédites par le modèle linéaire retenu. Ces résultats encourageants doivent être confirmés avec un échantillonnage plus important, notamment en milieu très ouvert et aussi après la saison de chasse. De plus il serait souhaitable de déterminer l’effet du délai entre la récolte des fèces fraîches et la réfrigération des échantillons sur le dosage des glucocorticoides fécaux. En effet, ces métabolites sont connus pour se dégrader rapidement, ainsi une différence dans le délai de réfrigération pourrait fausser les comparaisons entre échantillons. L’analyse séparée des deux populations de fèces (issues des animaux capturés ou observés) donnent des résultats consistants. Dans la population d’individus capturés, le stress (taux de GCM) est plus important en milieu ouvert qu’en forêt. Dans la population d’individus observés ou chassés, le stress augmente avec l’importance des prairies et la diminution des boisements. Ainsi la conclusion que l’ouverture du paysage, et en particulier la diminution des bois et l’augmentation des prairies, induit un stress plus important en période de chasse semble assez robuste. Rechercher la corrélation entre l’exposition au stress de dérangement et la condition physique des chevreuils. Le poids des individus adultes capturés (moyenne = 22,96 kg, min = 19,7 kg, max = 26,8 kg) ne varie pas significativement en fonction du taux de GCM (F 1,23 = 0.16, P=0.694) ni en fonction du sexe (F 1,23 = 0.23, P=0.635). Il semblerait donc que la condition physique des chevreuils adultes n’est pas affectée par le stress de dérangement en hiver. La variabilité du poids proviendrait alors d’autres facteurs (par exemple nutritionnel, Hewison et al. soumis). Par contre un effet du stress sur la masse corporelle pourrait exister chez les jeunes. Pour détecter un tel effet, il faudrait augmenter la taille de l’échantillon. Enfin, le stress subi par un individu au cours de son existence pourrait avoir un effet cumulatif sur sa fitness (qualité phénotypique, sénescence…) plutôt qu’un effet ponctuel limité aux périodes de fort stress (chasse). Cette hypothèse n’est pas vérifiable actuellement car le taux de GCM donne une mesure instantanée (environ 18h après cf.§1) du stress subi par l’individu et ne donne pas une mesure cumulée au cours de sa vie.