Un cas unique: André MESSAGER (1853-1929) par
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Un cas unique: André MESSAGER (1853-1929) par
Un cas unique: André Messager (1853-1929) Gabriel Fauré a dit: «André Messager, un éclectique au plus haut sens du mot» (Musica, n° 72, Septembre 1908). L’éclectisme ne consiste pas à ménager la chèvre et le chou ; pas davantage à juxtaposer des fragments hétérogènes, mais à discerner en chaque genre le meilleur, et à l’honorer en le transmettant. L’exigence de qualité est à la source de cet éclectisme au sens le plus haut. Dans l’histoire de la musique, en particulier de la musique française, caractérisée par les exclusions réciproques et les chapelles, André Messager occupe une place à part: il a su faire droit à toute la bonne musique sans préjugé, aussi bien dans son œuvre propre que dans sa vie d’interprète et d’administrateur. Or la postérité lui fait subir ce qu’il est convenu d’appeler un long purgatoire: reconnu par les plus grands de ses contemporains comme un musicien d’exception, honoré comme chef d’orchestre international et directeur d’opéra, son œuvre semble souffrir d’effacement, en dehors de deux ou trois morceaux célèbres comme le duetto de l’âne et le duo de l’escarpolette de Véronique. Encore une soprano française aussitôt médiatisée comme spécialiste du suraigu, jugea-t-elle intelligent, naguère, de proclamer qu’elle ne chanterait jamais « ces choses-là ». Elle usait, à vrai dire, de mots moins relevés. Michel Plasson, à qui le répertoire français doit tant, eut beau déclarer publiquement son intérêt pour Madame Chrysanthème, l’opéracomique d’après Loti, qui conduisit Puccini vers Madama Butterfly, nul éditeur ne lui fournit l’occasion de l’enregistrer. En ce début du XXI° siècle, Offenbach se porte à merveille. Mais la causticité, le sens de l’absurde, se portent mieux que l’expression raffinée de sentiments délicats, surtout lorsqu’elle exige des chanteurs accomplis. La plupart des historiens de l’Opérette et de l’Opéra-comique ou des biographes de Messager traitent de sa vie et de son œuvre en deux chapitres que sépare la première guerre mondiale. Le langage musical, mais aussi le climat esthétique de deux époques paraît leur donner raison: la Belle Epoque d’une part, les «années folles» de l’autre. Souvent ils soulignent l’étonnant retour de Messager, et le renouvellement de son écriture avec les oeuvres des années vingt. Ainsi il y aurait deux Messager: celui dont les premières opérettes prouvent qu’il y a une vie après Offenbach et ses successeurs immédiats tels Planquette et Varney, Audran et Lecocq, et celui qui, après 1918, renouvelle le genre, au plus proche des complexités musicales du XX° siècle, ouvrant une voie originale, celle de la comédie musicale française (Maurice Yvain, Reynaldo Hahn peuvent être considérés comme ses héritiers), sans concession à la musique américaine syncopée et bien sûr sans tomber dans les espagnolades qui finiront par discréditer l’opérette auprès des mélomanes. Sous cette évidente évolution se laisse appréhender une profonde unité. I Les vies parallèles Messager, dont l’art sonne étonnamment français par sa netteté et l’élégance de son style, est tout à la fois un classique par le métier, un international par la carrière ou les multiples carrières, un humaniste ouvert à la modernité, soucieux des devoirs de sa charge lorsqu’il préside à quelque institution publique: ainsi, directeur de la musique à l’Opéra-comique, imposet-il Pelléas et Mélisande au public alors qu’Albert Carré prévoyait des représentations hors série réservées aux abonnés. Eloigné de tout chauvinisme, il refuse, pendant la Première guerre mondiale, de signer les pétitions «antiboches» opposant la culture française au Kolossal germanique, alors que son ami Saint-Saëns se montre virulent. Jusque dans ses dernières années, il soutient la musique de ses jeunes contemporains, dirigeant Les Biches de Francis Poulenc, Salade de Darius Milhaud et Les Fâcheux de Georges Auric aux Ballets russes à Monte Carlo puis à Paris. En 1947, après les Mamelles de Tirésias, Poulenc dit à la radio son admiration pour l’honnêteté esthétique de Messager: «Lorsque j’entends certains musiciens juger telle ou telle œuvre avec un sectarisme terrible, je ne puis m’empêcher de songer au conseil que me donna André Messager: «Quelle que soit votre aversion pour une musique, tâchez au moins de lui garder l’estime qu’elle mérite. Messager, toute sa vie, a suivi ce principe. Je ne crois pas commettre une indiscrétion en rappelant que Messager n’aimait pas la musique de Ravel, sans doute parce qu’il adorait celle de Debussy. Eh bien, je l’ai toujours entendu parler de Ravel chapeau bas. C’est cette attitude qui permet à Messager d’être à la fois le roi de l’opérette française et le champion de Pelléas.» André Messager naît le 30 décembre 1853 à Montluçon (Allier). Ses racines sont parisiennes. Son père, grand bourgeois, appartient à l’administration des Finances. Des témoignages décrivent sa mère comme une femme coquette aimant les réceptions, les fêtes et les bals. L’enfant est charmeur, attachant, mais aussi sujet à de vives colères. Dans ses souvenirs, confiés à la revue Musica en 1908, Messager raconte: «Aussi loin que je puis me rappeler, je me vois perché sur un tabouret de piano et avalant avec avidité la plus exécrable musique à la mode de ce temps-là. Mes parents trouvaient cela charmant jusqu’au jour où je leur déclarai que je désirais devenir compositeur, et faire de la Musique ma carrière. Mon père, spécialement, ne pouvait admettre qu’un fils de fonctionnaire (il l’était, hélas!) pût songer à exercer un pareil métier. Le sort se chargea d’arranger tout cela en enlevant, dans une tempête de Bourse jusqu’au dernier centime de tout ce que nous possédions. C’est alors que j’entrai à l’Ecole Niedermeyer où je fis complètement mes études musicales.» Mais avant le retour précipité de la famille à Paris, le jeune Messager a passé neuf ans de pensionnat chez les frères maristes du collège Saint-Joseph où il fait de bonnes études générales et commence à composer: «dans un collège assez sévère, j’ai fait beaucoup de bêtises et beaucoup de musique. L’important, c’est que j’ai continué la musique». Dans la célèbre Ecole, Eugène Gigout, fameux organiste, est son professeur de contrepoint. Il a pour condisciple Gabriel Fauré qui a tracé de lui ce portrait: «Tel je vois André Messager, tel le l’ai revu à chaque tournant de sa vie: connaissant tout, sachant tout, se passionnant pour tout ce qui était nouveau, pourvu que l’ouvrage fût digne de son examen. Il avait été à Bayreuth un des premiers pèlerins et jouait Wagner par cœur, alors qu’on l’ignorait encore à Paris. Il était curieux de la symphonie, du Lied, des quatuors les plus récents, comme du dernier opéra». En 1874, Messager quitte l’Ecole Niedermeyer pour remplir les fonctions d’organiste du chœur de l’église Saint-Sulpice. Il y reste six ans. Il compose une symphonie, couronnée par la Société des compositeurs et jouée aux Concerts Colonne. Il aborde le ballet avec Fleur d’oranger (1878), créé aux Folies Bergère et joué deux cents fois. En 1879 il donne sur la même scène deux autres ballets, Vins de France, puis Mignons et vilains. En 1881, il est organiste au grand-orgue de l’église Saint-Paul-et-Saint-Louis et, de 1882 à 1884, maître de chapelle à l’église Sainte-Marie des Batignolles. Mais dès 1880, il a fait ses débuts comme chef d’orchestre en inaugurant l’Eden Théâtre de Bruxelles. A la mort prématurée du compositeur Firmin Bernicat, il achève l’opérette François les bas-bleus, dont l’action se passe en 1789 et raconte les amours de François, jeune écrivain public, et Fanchon, chanteuse des rues. Sur les vingt cinq morceaux de l’ouvrage, Messager, qui orchestre la partition, en compose treize. Créé au Folies Dramatiques en 1883, ce premier ouvrage lyrique connaît un très grand succès et cent-trente-et-une représentations. Messager se marie avec une lointaine cousine, Edith Clouet, il compose des mélodies et se voit commander deux ouvrages, La Fauvette du Temple (Folies dramatiques, 1885) et la Béarnaise (même année, Théâtre des Bouffes Parisiens). L’Opéra accueille le ballet Les deux pigeons en 1886. En 1888, le Théâtre de la Renaissance crée Isoline, «conte de fées en trois actes et dix tableaux» sur un poème de Catulle Mendès. Cette œuvre fut reprise à l’OpéraComique en Novembre 1958 avec Liliane Berton (Isoline), Alain Vanzo (Isolin) et Gabriel Bacquier (Obéron). Depuis, rien. Le jeune compositeur écrit pendant cette période des mélodies sur des poèmes de Victor Hugo, de Théodore de Banville, des œuvres pour le piano et de nouveaux ballets. Ainsi que les Souvenirs de Bayreuth, fantaisie en forme de quadrille sur les thèmes favoris de l’Anneau du Nibelung, en collaboration avec Gabriel Fauré. Le 30 mai 1890, l’Opéra-comique voit le triomphe de La Basoche, opéra-comique en trois actes dont l’action se déroule au XVI° siècle, au moment où la jeune Marie d’Angleterre vient en France épouser le roi Louis XII. Le poète Clément Marot est alors élu «roi de la basoche» En 1896, Messager confie au Théâtre de la Renaissance Madame Chrysanthème, comédie lyrique en quatre actes d’après le roman de Pierre Loti, racontant les amours malheureuses de la chanteuse japonaise Chrysanthème et de l’enseigne de vaisseau Pierre. Succès d’estime. L’ouvrage sera éclipsé dix ans plus tard par la Madame Butterfly de Puccini (que Messager, directeur de la musique, accueillera dans sa version française en 1906). La même année, Messager connaît son unique échec, à l’Opéracomique, avec Le Chevalier d’Harmental, d’après Alexandre Dumas. Il en est très affecté: «J’étais tellement découragé par cet insuccès, écrit-il, que je ne voulais plus écrire du tout et tentai de me retirer en Angleterre…». Heureusement il se reprend et compose, en trois mois, une opérette, Les p’tites Michu. La création connaît, le 16 novembre 1897 aux Bouffes parisiens, un énorme succès, deux-cent-cinquante représentations. Il sera créé à Londres en 1905. L’action, qui se déroule sous l’Empire, raconte les mésaventures de deux jeunes filles, Marie-Blanche et Blanche-Marie, élevées aux Halles à Paris comme deux sœurs par le couple Michu. Mais cette année s’achève par le triomphe d’un opéra-comique, Véronique, sur la même scène des Bouffes parisiens. Deux-cents représentations consécutives sont données avec Jean Périer, le futur Pelléas, Mariette Sully et Anna Tariol-Beaugé. L’action qui commence dans la boutique de fleurs des époux Coquenard, à l’enseigne du «Temple de Flore», raconte les amours, les fausses tromperies, la réconciliation d’Hélène de Solanges (alias la grisette Véronique) et du jeune vicomte Florestan de Valaincourt. Joué dans le monde entier, l’ouvrage est créé en 1900 au Theater an der Wien, à Vienne où fut donnée la première de La flûte enchantée, à Berlin, Londres, New York. Il entre au répertoire de l’Opéra-comique le 7 février 1925 avec Edmée Favart et André Baugé. Il fut repris régulièrement après la deuxième guerre mondiale notamment par Géori Boué et Roger Bourdin. La dernière reprise en ces lieux en décembre 1978 avec Danièle Chlostawa, François Le Roux et Michel Roux sous la direction de Pierre Dervaux. Il réapparaît actuellement dans les opéras de province. Entre temps, Messager est devenu un grand chef wagnérien, dirigeant La Walkyrie à l’Opéra de Marseille. En 1899, il est nommé directeur de la musique à l’Opéra-Comique, fonction qu’il cumule avec celle de directeur de l’Opéra Royal de Covent Garden à Londres (de 1901 à 1907). A l’OpéraComique, il fait montre d’une ouverture esthétique absolue: dans ce théâtre, que le Vingtième Siècle finissant voulut transformer en parc de stationnement, et dont la survie reste vouée aux pantalonnades, les créations se succèdent, Louise de Charpentier (1900), la première française de La Tosca, de Puccini (1903). Mais surtout, c’est l’épopée de Pelléas dont il dirige les études musicales, puis la première. En 1926, Messager raconte à la Revue musicale: «Ayant reçu sans la moindre hésitation Pelléas, Albert Carré <le directeur> se préoccupait de la façon dont il pourrait présenter au public cette œuvre exceptionnelle. Nous avions de fréquentes discussions à ce sujet; lui, pensant qu’il faudrait réserver Pelléas pour des représentations hors série ou des matinées spécialement destinées aux habitués des concerts dominicaux; moi estimant qu’il valait mieux aborder les difficultés de front, et s’adresser tout de suite au public ordinaire, sans insister sur le côté exceptionnel de l’ouvrage. C’est mon avis qui prévalut, et nous nous occupâmes de la distribution sans plus tarder(…) La lecture aux artistes eut lieu chez moi, tout à fait dans l’intimité. Debussy, au piano, fit entendre la partition, chantant tous les rôles de cette voix caverneuse et profonde qui l’obligeait souvent à transposer à l’octave inférieur, mais dont les accents devenaient peu à peu irrésistibles». Messager anime les répétitions; Debussy n’ayant prévu que des changements presque à vue entre les tableaux, a relié ceux-ci de morceaux d’une durée insuffisante. Il lui fallut composer des intermèdes et Messager allait entre les répétitions lui arracher chaque jour les feuillets. Si l’œuvre vit le jour et résista aux sarcasmes, c’est assurément à Messager qu’elle le doit. Debussy, pourtant avare d’effusions, lui témoigna sa gratitude en lui dédicaçant la partition: «Vous avez su éveiller la vie sonore de Pelléas avec une délicatesse si tendre (…). Il est certain que le rythme intérieur de toute musique dépend de la bouche qui le prononce… Ainsi telle impression de Pelléas se doublait de ce que votre émotion personnelle en avait pressenti, et lui donnait par cela même, une merveilleuse mise en place». Quittant la direction musicale de l’Opéra-Comique en 1903, Messager compose Fortunio, comédie musicale en quatre actes de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet d’après Le Chandelier d’Alfred de Musset. L’ouvrage met en scène les amours du capitaine Clavaroche, en garnison dans une petite ville de province et de la belle Jacqueline, épouse du vieux notaire Maître André, également aimée par le jeune clerc Fortunio. La création, le 5 juin 1907, avec Marguerite Carré, Fugère, Francell, Dufranne, Périer, rencontre un vif succès. L’ouvrage sera repris régulièrement jusqu’en 1948. Merveille, après des représentations lyonnaises en 1987 (Colette Alliot-Lugaz, Thierry Dran, Michel Trempont sous la direction de John Eliot Gardiner), il a retrouvé la Salle Favart en décembre 2010 avec une remarquable distribution française et francophone (Virginie Pochon, Jean-Sébastien Bou, Jean-François Lapointe, Jean-Marie Frémeau, Eric Martin-Bonnet) sous la direction de Louis Langrée dans une mise en scène de Denis Podalydès. Depuis, le Grand Théâtre de Limoges (novembre 2013) a proposé une nouvelle production mise en scène par Emmanuelle Cordoliani et dirigée par Claude Schnitzler avec une distribution comportant Annie Brahim-Djelloul, Franck Leguérinel, Christophe Berry, Alexandre Duhamel et Georges Gautier. Cette production a été reprise à Rennes en janvier et à Saint-Etienne en novembre 2014. Fortunio ne se résume donc plus à l’immortelle romance « J’aimais la vieille maison grise… » qu’ont si bien servie Georges Thill, puis Michel Dens. II Les voies de l’avenir Directeur de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire à partir de 1908, Messager présidera à ses destinées jusqu’en 1919, l’emmenant pour des tournées triomphales en Argentine en 1916 et aux Etats-Unis en 1919. Mais il est nommé directeur artistique de l’Opéra de Paris en 1908 et reste six ans à ce poste. Il y impose, selon l’expression d’Henry Février, un «véritable courant d’air». A cette institution menacée de s’endormir sur les grands succès du XIX° Siècle, il donne une nouvelle mission: servir le plus large répertoire, à la fois celui du classicisme français, des répertoires étrangers et de la modernité. Coup sur coup, on découvre Hippolyte et Aricie de Rameau, Boris Godounov de Moussorgsky, la Tétralogie de Wagner au complet (1909), La Fille du Far West de Puccini. Quelques jours avant la déclaration de guerre, il dirige Parsifal. Une seule exigence l’habite: la qualité. Après une légende lyrique destinée à l’Opéra de Monte Carlo, puis reprise à l’Opéra-Comique, Béatrice, d’après un conte de Charles Nodier, il compose d’après une nouvelle de Booth Tarkington, une opérette romantique en 3 actes et un prologue, Monsieur Beaucaire. Créée en langue anglaise, à Birmingham, puis à Londres, l’œuvre est donnée au Théâtre Marigny dans la version française d’André Rivoire et Pierre Veber, le 20 novembre 1925 avec André Baugé et Marcelle Denya, la première Liù française dans le Turandot de Puccini. Elle entrera au répertoire de l’Opéra-Comique le 18 novembre 1955 dans une mise en scène de Pierre Bertin avec Denise Duval (Lady Mary et Jacques Jansen (Beaucaire). C’est un hymne à l’Entente cordiale. Exilé par Louis XV, le jeune duc d’Orléans séjourne incognito à Londres sous le nom de Monsieur Beaucaire, barbier. Après la guerre, Messager revient à l’Opéra-Comique pour diriger la saison 1919-1920. Il dirige la première représentation française intégrale de Cosi fan tutte de Mozart, qu’on ne prenait pas non plus pour de la musique sérieuse. Son œuvre d’administrateur et de grand serviteur du patrimoine s’achève donc par la réhabilitation du Mozart le plus versatile, où se mêlent le libertinage, la gravité et la mélancolie. Quant au compositeur, il se tourne vers l’avenir: il fait plus qu’accompagner l’évolution du théâtre lyrique léger vers une modernité que lui imposent les rythmes américains et la causticité un peu désabusée du temps; certes, déjà Christiné (Phi Phi, 1918) et Maurice Yvain (Ta bouche, 1922) offrent au public des comédies musicales fort éloignées de l’opérette classique. C’est pourtant le «second Messager» qui va orienter ce renouvellement en lui rappelant l’élégance du beau chant et la subtilité musicale qui ont caractérisé l’œuvre du «premier». En ce sens, son unique successeur sera Reynaldo Hahn. Le maître donne sur la scène du Théâtre Mogador une comédie musicale en trois actes, La petite fonctionnaire (mai 1921) et commence la composition d’une comédie musicale d’après Education de prince de Maurice Donnay. Il ne poursuit pas, et l’oeuvre, sous le titre de Sacha, est terminée par Marc Berthomieu, fin compositeur et grand pianiste. La création aura lieu à MonteCarlo en 1930. C’est un autre Sacha que le dernier Messager va rencontrer. De leur collaboration amicale, va naître L’amour masqué qui triomphe au Théâtre Edouard VII le 13 février 1923 avec Yvonne Printemps et Sacha Guitry. Le caractère libertin de l’intrigue est merveilleusement estompé par la finesse de la musique, pour laquelle Messager adopte une formation orchestrale réduite. Le 19 janvier 1926, le Théâtre de la Michodière donne une comédie musicale, Passionnément, sur un livret d’Albert Willemetz. Le sujet emprunte à l’actualité: sur un yacht, à Deauville, l’époque de la prohibition en Amérique, l’homme d’affaires américain Stevenson a rendez-vous avec Robert Perceval, héritier français d’un terrain pétrolifère qu’il croit sans valeur. C’est un sujet digne de Maurice Yvain, où l’on moque les mœurs des nouveaux riches et de l’après guerre, mais sans cynisme; l’amusement ne va jamais jusqu’au sarcasme. Malade, Messager continue d’écrire «pour se distraire», une musique de scène destinée à la reprise du Debureau de Sacha Guitry au Théâtre Sarah Bernhardt. Il dédie cette musique «à la mémoire de Gabriel Fauré». Les représentations, avec Yvonne Printemps, commencent en Octobre 1926. Souffrant de crises de coliques néphrétiques, et malgré une embolie qui manque de l’emporter, Messager entreprend une dernière œuvre, en collaboration avec Albert Willemetz, Coups de roulis, opérette en trois actes. Malgré ses soixante-quatorze ans et les plus vives souffrances, il garde une capacité de renouvellement, une fraîcheur d’écriture qu’on peut comparer à celles du Verdi de Falstaff. La première de Coups de roulis a lieu le 29 septembre 1928 au Théâtre Marigny avec Marcelle Denya et Raimu. Le 24 février 1929, alors qu’on joue en matinée, André Messager s’en va, dit-il à ses proches «voir de l’autre côté comment on fait de la musique» (phrase rapportée par Michel Augé-Laribé, André Messager, musicien de théâtre, Paris, La Colombe, éditions du Vieux-Colombier, 1951). L’unité d’une œuvre Dès ses opéras comiques du XIX° Siècle, Messager conduit à la mélodie continue, sorte de conversation en musique à laquelle se mêle l’orchestre. Le dialogue musical ne s’interrompt plus. Cela, dira-t-on, Wagner, puis Verdi (avec Otello et Falstaff) l’avaient magistralement accompli. L’originalité foncière de Messager consiste à réaliser cette solution esthétique sans aboutir à Parsifal (célébration scénique, Bühnenweihfestspiel) dont Nietzsche a si bien pressenti les aboutissants qu’il lui a opposé l’antidote de Carmen, et même de La Mascotte. Cependant Messager n’entend pas non plus reconduire à la vocalité italienne qui fait suite à Verdi (Puccini, puis le vérisme de Mascagni et Leoncavallo). Sa solution, unique et spécifiquement parisienne, tient peutêtre à l’héritage de l’Ecole Niedermeyer où il prend place dans la lignée hors du commun de ces organistes de jour, chefs d’orchestre d’opérette la nuit: avant lui, Florimond Ronger dit Hervé (1825-1892), le père de l’opéra-bouffe, organiste de l’Hospice de Bicêtre, puis de l’Eglise Saint-Eustache, auteur de Mam’zelle Nitouche, de L’Oeil crevé et du Petit Faust. Après lui, Claude Terrasse (1867-1923), organiste à la Trinité, maître de la parodie, collaborateur d’Alfred Jarry pour la musique de scène d’Ubu Roi, auteur, entre autres, de La fiancée du scaphandrier et du Sire de Vergy. Mais, alors que ces maîtres conduisent au surréalisme, quelque chose qui n’appartient qu’à lui retient Messager sur la rive mozartienne: la tendresse. Patrice Henriot P.S. d’illustres membres de l’UPMCF ont enregistré l’œuvre que nous venons d’évoquer. Pour les citer par ordre alphabétique : Liliane Berton, Nicole Broissin, Mady Mesplé, Jean-Christophe Benoit, Jean Chesnel, Jean Giraudeau, Daniel Marty, Camille Maurane, Robert Massard, Michel Roux. Ils y sont parfaits