L`histoire d`Ophélie - Collège Francis Lallart

Transcription

L`histoire d`Ophélie - Collège Francis Lallart
L'histoire d'Ophélie
Bonjour, moi c'est Ophélie, j'ai quatorze ans et demi,
Je n'suis ni moche ni jolie, je suis pétillante et pleine de vie,
J' suis une ado normale, je n'ai rien d'original
Je traverse cette phase qu'on appelle « la crise » chez les adolescents,
C'est pour ça que souvent j'envoie bouler mes parents.
Au collège on peut pas dire que je sois une star mais en musique je suis Mozart
Alors quand j'ai su qu'il y avait des orchestres à l'école,
Je m'y suis inscrite et j'ai choisi le saxophone
Voilà trois ans que je suis dans la classe orchestre,
Voilà trois ans qu'on a des projets plein la tête.
J'aime le sport également, avec les copains on fait du hand ball,
Bon, je suis pas Karabatitch, mais j'suis pas mal
Et puis, dans mon équipe il y a Nathan...
« Ma copine, elle s'appelle Ophélie, c'est la plus belle,
Au début, j'étais pas sûr de moi, elle faisait partie de celles
Qu'on regarde de loin sans jamais s'approcher
Et puis un jour j'me suis lancé, elle m'a kiffé »
En fait, je vous l'ai pas dit, mais je n' suis pas d'ici,
J'ai grandi à Dijon, dans la grisaille d'une téci,
Au début, quand mes parents m'ont dit, fais tes valises on va vivre à Gorron,
je leur ai dit, attendez, ça existe vraiment ? C'est un nom grave déprimant
Ici, au début, je cherchais les quartiers et le bruit des cités,
A la place j'ai trouvé les vaches, les champs et la tranquillité
Ici, les fermes ont remplacé les banlieues de Dijon
C'est vrai c'est un peu mortel, mais bon, au moins, on a une maison.
C'est un matin d'hiver, on est mardi, il est huit heures du mat,
Mon casque sur les oreilles, tout à coup, tout devient flou
Mon tympan me fait mal, une douleur m'envahit,
Puis c'est un larsen qui me harcèle, je suis une enclume sur laquelle on martèle
Le sol, sous mes pieds, se met à trembler...
A mon réveil, je suis à l'hôpital, une douleur me lancine le crâne,
Papa, Maman, que se passe-t-il ? Répondez-moi ! Pourquoi je ne m'entends
pas ?
Le médecin me montre des panneaux avec des mots compliqués
Tous m'échappent, tous, sauf le mot « surdité »,... surdité, surdité,
Aussi fort que le silence qui m'entoure
Ces mots résonnent dans ma tête « je suis sourde » …
Mon père m'entoure de ses bras rassurants
Mais c'est inutile, je ne suis plus une enfant
Les enfants sont innocents, et les ados sont insouciants
Moi je ne suis ni l'un ni l'autre, je suis juste consciente
Que ma vie sera plus jamais la même, que jamais je ne m'habituerai
A cette vie de silence où les mots n'ont plus de sens.
Quels vont être les regards des autres à mon égard ?
Que vont-ils penser de moi ? Vont-ils me mettre à part ?
Au matin, j'ouvre les yeux sur un monde qui m'effraie,
Sur ma table de chevet, traîne un best of de Bob Marley
Tout ça ne sert plus à rien, les CD sont devenus muets
Ma vie était si parfaite, mais la perfection comme ma gaieté
Se sont absentés pour une durée indéterminée.
Sur le trajet du collège, j'entends le cri strident du silence
Les secondes passent mais mon angoisse augmente
Avant, le collège j'aimais bien ça m' paraissait facile,
Aujourd'hui, cette grille et cette cour m'ont jamais paru si hostiles.
Mes amis sont là, ils me parlent, mais je ne comprends pas
De leur monde je me sens tellement coupée...
Les autres me semblent si différents que l'envie me prend
De les rejeter, eux et leur normalité.
Les jours passent et se ressemblent, ponctués d'incompréhensions
Même mes cours préférés sont devenus un enfer
Pour tous, je suis un fardeau, ma surdité est un poison
Qui chaque jour contamine tout mon être et fait de ma vie une prison
Et puis il y a Nathan qui reste indifférent
Dans la cour comme dans les cours, j'ai même pas droit à un regard
Finalement, je crois bien que la chanson a raison
Les histoires d'amour finissent mal en général
« Son handicap s'est immiscé dans notre complicité
Je suis dépité à la seule pensée qu'elle ne puisse plus m'écouter
J'ai besoin de temps pour accepter cette idée».
Ce soir, je plonge dans un roman en espérant tout oublier
La prof de français nous a demandé de lire Les Misérables
Je découvre au fil des pages que Jean Valjean et moi on est semblable
Lui, il est victime des juges, de leur préjugés, moi, je suis victime de ma surdité.
Mais Jean Valjean surmonte les galères, c'est un battant
Et moi ? Qu'est-ce que j'attends pour en faire autant ?
Demain, le jour se lèvera et tout sera différent...
Ce matin, j'arrive au collège d'un pas décidé, je veux communiquer
C'est alors que je rencontre mon prof particulier,
Il est sourd et muet et va m'apprendre à m'exprimer.
Les premières heures sont un enfer,
Ce langage si silencieux ne résonne que dans mes yeux
Mais peu à peu, grâce à mon prof, l'espoir renaît,
Les heures se succèdent, les gestes se répètent
Et puis un jour, je connais ma première fois :
Ma première phrase depuis des mois.
Je n'aurais jamais pensé sentir en moi
Pour quelques mots autant d'émoi.
Un matin, un Nathan différent prend place dans les rangs
Il veut apprendre à parler comme les malentendants.
Et le lendemain, un grand élan de solidarité
A bouleversé le collège, les habitudes et les clichés.
La prof d'SVT explique aux autres les causes de la surdité
Et puis d'une voix unanime, tout le monde a voulu m'aider :
C'est un mardi, il est neuf heures du mat', comme d'habitude je suis en retard
J'arrive au collège, les yeux cernés, les cheveux en pétard,
Dans la salle, je crois rêver, d'autres élèves ont rejoint Nathan
Tous veulent apprendre la langue des malentendants.
Plus les jours passent plus mes camarades sont nombreux
Même des profs s'y sont mis, ils ont saisi l'enjeu
Et je crois bien que pour la première fois, je suis meilleure qu'eux dans une matière.
Et puis un jour, ils décident d'aller plus loin,
Le prof de techno et les copains fabriquent un tas d'engins
« pour t'aider » dit-il avec ses mains, là, j'me dis c'est mortel,
J'me sens comme un gosse d'vant ses cadeaux de Noël.
Je ne sais pas quoi dire, je suis émue par tant de solidarité
Peu à peu, j'arrive à m'intégrer, moi l'handicapée,
Je dirais pas que je suis plus déprimée
Mais un peu moins malheureuse et sûrement pas dépitée
Je ne suis pas Superman, j'ai pas de supers pouvoirs
Mais moi, à la place j'ai beaucoup d'espoir.
Ce soir, je rentre de ce collège où les signes ont la cote
Contre mes écouteurs j'ai troqué la littérature
Finalement c'est pas si mal un peu de culture,
Et puis j'crois bien que Victor Hugo, c'est devenu mon pote.
Salut, moi c'est Ophélie, j'ai quatorze ans et demi,
Je n'suis ni moche ni jolie, je reste pétillante et pleine de vie,
Je suis une ado presque normale, avec une vie presque banale,
Je suis sourde, à part ça, je n'ai rien d'original...

Documents pareils