l`intégration européenne et l`ukraine
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l`intégration européenne et l`ukraine
Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) Ecole des Sciences Politiques et Sociales (PSAD) L’INTÉGRATION EUROPÉENNE ET L’UKRAINE Travail réalisé par Bruno Fonteyne LSPRI2700 - Analyse politique des pays de l'Europe centrale et orientale Philippe Perchoc 2014-2015 Master en sciences politiques, orientation relations internationales, à finalité spécialisée diplomatie et résolution de conflits Références portfolio : n°2 Adresse html : ……………. (voir point 2.3. du vade mecum portfolio) L’INTÉGRATION EUROPÉENNE ET L’UKRAINE La question de l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne (UE) est un enjeu qui revient souvent à la une de l’actualité. Aussi bien la Révolution Orange de 2004 ou bien le renversement du président ukrainien après le refus de signer l’accord d’association fin 2013 et la victoire électorale du camp pro-européen qui a suivi, montrent les problèmes des deux côtés de la frontière entre l’Europe et l’Ukraine pour se décider de l’ampleur de cette intégration et les différences de perception. La présence russe est un élément de complexification. Processus mouvementé Avec la chute de l’URSS en 1991, l’Ukraine lorgne vers l’UE et l’OTAN. Malgré une histoire commune et d’un marché fort connecté avec la Russie, l’Ukraine veut se détacher de l’ombre russe et se rapprocher du marché européen ainsi que de sa promesse de stabilité et de développement. Cette raison est partagée par l’UE dans sa vision pour le continent. Cela commence dès 1998 par la signature d’un accord de partenariat et de coopération (APC) avec les pays à l’Est de l’Europe, dont l’Ukraine. En 2004, à la fin du processus d’adhésion des nouveaux membres de l’UE, celle-ci met en place un nouveau cadre pour les relations avec ses nouveaux voisins. La Politique Européenne de Voisinage (PEV) est née de l’initiative du président de la Commission européenne Romano Prodi, qui l’évoque en ces termes : « more partnership, less membership ». Cette politique a pour définition de partager tous les avantages de l’Union Européenne sans la participation aux institutions1. Il propose de rapprocher les systèmes par la mise en place de plans d’action avec des objectifs vérifiables. Même si la Commission la définit comme « un excellent tremplin pour, à plus long terme, passer d'une simple coopération à un degré élevé d'intégration, impliquant notamment une participation des pays partenaires au marché intérieur de l'UE 2», elle ne promet pas de possibilité d’adhésion directe à l’UE. Elle cache mal un nouveau malaise au sein de l’UE né d’une certaine fatigue de l’élargissement. Il existe un « double dilemme » qui consiste à considérer la PEV comme « une pré-adhésion ou une substitution » au projet européen3. 1 SERVOTTE Amélie, Chaire InBev Baillet-Latour (Belgique), « De l’Influence de l’Union européenne sur le devenir de l’Ukraine », Presses universitaires de Louvain, Louvain-La-Neuve, 2010, p.27 2 Commission des Communautés Européennes, COMMUNICATION DE LA COMMISSION - Politique européenne de voisinage - DOCUMENT D'ORIENTATION, p.9 3 RUPNIK Jacques, « Les banlieues de l’Europe : les politiques de voisinage de l’Union européenne, Presses de sciences po, Paris, 207, p.34 Dans le camp de ceux qui sont en faveur, la Pologne et la Suède présentent le 7 mai 2009 le Partenariat oriental, « comme levier pour stimuler les réformes4. L’Ukraine qui participe à ce partenariat, négocie un accord d’association de 2007 à 2012 mais la ratification est rapidement suspendue à cause du manque de réformes et la précarité de la démocratie et de la justice dans le pays. Finalement alors que l’accord d’association devait être signé fin 2013, le président Ianoukovitch annonce qu’il ne le signera pas au profit d’un accord avec la Russie pour le Partenariat Eurasiatique qui prévoit la mise en place d’un espace douanier unique. Devant ce retournement de situation inattendu du fait des pressions et incitants russes5, une partie de la population ukrainienne montre son mécontentement et au bout de quatre mois, le président est destitué par le parlement, la Rada. Remplacé par un président pro-européen suivi d’une victoire du camp pro-européen aux législatives de l’automne 2014, l’accord d’association peut enfin être ratifié par les deux partenaires en Mars 2014 pour le volet politique et en Septembre le volet économique avec son application repoussée au 31 Décembre 2015. Des perceptions différentes On peut voir facilement l’écart des perceptions sur l’intégration des deux côtés. En effet alors que la population ukrainienne demande l’adhésion que lui fait miroiter ses politiques, il n’y a non seulement pas de consensus sur la question dans l’UE, mais il n’en a peut-être jamais été question avec l’élaboration de la PEV. Ce message de refus d’élargir n’est pas passé auprès des pays du Partenariat Oriental mais aussi auprès de la Russie.6 Cela suscite des espérances incontrôlées et une opposition russe en décalage avec l’attitude européenne. Pour l’Ukraine, il s’agit d’abord d’un « retour à l’Europe »7, raison pour laquelle l’intégration européenne est au cœur de la politique ukrainienne depuis longtemps. L’UE recouvre aussi « une triple dimension : pourvoyeur de sécurité et de stabilité ; puissance normative propice aux réformes ; valeurs européennes, respect des droits de l’Homme et gouvernance démocratique 8 ». Enfin l’accès au marché représente un potentiel de croissance formidable malgré les coûts d’adaptation important. 4 Tolksdorf Dominik, « L'Union européenne au secours de l'Ukraine », Politique étrangère, 2014/3 Automne, p. 109-119. 5 Des menaces d’embargo économiques et un prêt en cash d’une valeur 15 milliards d’euro. 6 Lefort Philippe, « La crise ukrainienne ou le malentendu européen », Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 113. 7 RUPNIK Jacques, DE TINGUY Anne, « Les banlieues de l’Europe : les politiques de voisinage de l’Union européenne, Presses de sciences po, Paris, 207, p.43 8 Idem, p.17 Pour l’UE, il s’agit de pacifier son environnement par « l’exportation de son modèle de démocratie, plutôt que d’importer l’insécurité9 » car la PEV rapproche l’UE des lieux de crises10. « Pour l’UE, l’Ukraine représente un « espace naturel » d’expansion à l’Est11 ». Le marché commun est perçu comme un moyen majeur pour y arriver par l’interdépendance qui fournit un intérêt de long terme à l’UE dans le pays et des bénéfices substantiels.12 La perception de l’Ukraine par l’UE n’est pas toute angélique, l’économie fortement polluante et au bord de la faillite suite à la crise de 2008, le poids des oligarques et les réformes modestes de la dernière. Tout cela constitue un défi majeur pour le rapprochement des systèmes. Alors que les négociations avec l’UE étaient abouties, le retour russe a plusieurs raisons. Elle perçoit les évolutions successives de l’OTAN d’abord et de l’UE ensuite, comme construites contre elle et n’entend pas se faire acculer au bord du contient. Pour citer Philippe Perchoc, « La Russie considère l’espace Schengen comme une frontière de plus en plus dure » avec le poids de plus en plus significatif des marchés économiques dans les relations internationales. Il y a aussi le « succès du retournement arménien, une improvisation marquée par l’énergie du désespoir face à une évolution jusqu’alors ignorée ou négligée13». Et enfin l'Ukraine est la clé du jeu Euro-asiatique Russe, sans elle, c'est un jeu asiatique et cela revient à couper la Russie de l'Europe. Une adhésion ou une association ? À part l’espace balkanique, aucune nouvelle adhésion n’est vraiment à l’ordre du jour. Créant une bulle dangereuse dû à l’écart grandissant des perceptions avec les pays associés. Le soutien actif14 de l’UE après les troubles du renversement montre sa volonté de ne pas laisser tomber l’Ukraine au pire moment. « Le gouvernement provisoire a déjà annoncé la diminution des retraites, la compression des salaires, l’abolition de nombre de prestations sociales, la réduction du budget de la santé et de l’éducation, l’augmentation des tarifs du gaz, de l’électricité et du chauffage, ainsi que le licenciement de 20 % des fonctionnaires. » 15 En effet, l’Ukraine avec une 9 Idem, p.20 Idem, p.22 11 TCHERNEGA Vladimir, « Pourquoi Russie et Union européenne doivent coopérer en Ukraine », Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 95-108. 12 Illustré par les propos de M. André Gattolin, de la commission des affaires européennes du Sénat français – « La finalité de l'intégration est la démocratisation du pays, la remise à plat de son système judiciaire... Mais que peut-on en attendre en retour, sur le plan économique, géostratégique ? ». 13 Lefort Philippe, « La crise ukrainienne ou le malentendu européen », Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 117. 14 Des prêts d’argent pour maintenir les finances à flot et compenser les coûts d’adaptation du marché, ainsi que de reporter l’application de l’accord à 2016. 15 TCHERNEGA Vladimir, « Pourquoi Russie et Union européenne doivent coopérer en Ukraine », 10 très forte dépendance au crédit étranger, américain en grande partie, suite à une explosion des investissements dans les années 2000, a été durement touchée par la crise financière de 2008. Elle est en proie à une grave crise budgétaire depuis qui s’est considérablement aggravée avec les troubles des derniers mois, perçus comme un grave signe d’instabilité par les marchés financiers détenteurs des crédits ukrainiens. Quand bien même une adhésion recueillerait le consensus, avec le conflit dans l’Est de l’Ukraine et l’occupation, illégale pour l’Ukraine et l’UE, de la Crimée, il est difficile d’envisager une intégration avec un territoire divisé et contesté. Même s’il y a eu un précédent avec Chypre, où l’UE pensait pouvoir mieux gérer le conflit en intégrant l’île divisée. Mais en plus d’un échec qui refroidit, Chypre bénéficiait du soutien incontesté de le Grèce et la Russie n’est pas la Turquie, pays qui envisage une adhésion. C’est une nouvelle étape dans les difficiles relations avec la Russie, car il est difficilement concevable d’imaginer un tel rapprochement entre l’UE et l’Ukraine en confrontation avec la Russie16. Il importe pour la Russie que le rapprochement avec l’UE ne se fasse pas de manière hostile sur le plan politique et militaire. Tous y ont à perdre et principalement l’Ukraine en plein marasme économique et politique. Dans l’Est et le Sud du pays, les demandes d’autonomie, voire d’indépendance17 et les liens forts avec la Russie, les forces centrifuges n’intéressent pas directement la Russie mais sont des lieux d’influence qu’elle veut préserver. L’UE envisage aussi une décentralisation interne ou externe, une telle décentralisation préserverait à minima l’influence russe, seul le pouvoir ukrainien y est farouchement opposé. Conclusion Il y a en Europe des perceptions différentes sur l’élargissement et l’intégration dans l’Union européenne. L’UE est très attractive et bénéficie d’un large soutien même à l’Est et au Sud de l’Ukraine pour la population qui ne souhaite pas l’indépendance. « Son atout principal est l’attraction du « modèle européen », modèle social et garantie de bon fonctionnement des institutions Démocratiques18 ». Hors celle-ci ne pourra pas régler tous les problèmes de l’Ukraine à court et moyen terme et l’entretien par les nouvelles élites politiques ukrainiennes de ce fantasme ne fera qu’augmenter les déceptions. « Ni l’économie, ni la société ukrainienne, avec ses énormes contrastes et divisions, ne sont prêtes à assumer ce choix européen dans sa totalité19 ». Sa grande erreur est de ne jamais réellement avoir démenti les dires des dirigeants ukrainiens. Une solution au conflit ukrainien serait la décentralisation, mais celle-ci est rejeté vigoureusement par l’Ukraine au contraire de la Russie et de l’UE. Décentralisation en parallèle Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 106 16 TCHERNEGA Vladimir, « Pourquoi Russie et Union européenne doivent coopérer en Ukraine », Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 95-108. 17 Idem, p.106 18 TCHERNEGA Vladimir, « Pourquoi Russie et Union européenne doivent coopérer en Ukraine », Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 107. 19 Idem, p. 108 d’une intégration en dehors des institutions européennes découplée d’un élargissement pour contenter la Russie et les États-membres. Bibliographie Monographies: SERVOTTE Amélie, Chaire InBev Baillet-Latour (Belgique), De l'influence de l'Union Européenne sur le devenir de l'Ukraine (IEE-Document; 46), Presses universitaires de Louvain: Louvain-la-Neuve, 2010. 58 p. RUPNIK, Jacques. Les banlieues de l'Europe : les politiques de voisinage de l'Union européenne (Nouveaux débats; 13), Presses de sciences po: Paris, 2007. 203 p. Working papers: ARON Buzogány, “Selective Adoption of EU Environmental Norms in Ukraine. Convergence á la Carte”, EuropeAsia Studies, 2013, 22 p. LEFORT Philippe, « La crise ukrainienne ou le malentendu européen », Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 109121. IAKIMENKO Iouri et PACHKOV Mikhaïl, « Le conflit ukraino-russe vu de Kiev », Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 81-93. TCHERNEGA Vladimir, « Pourquoi Russie et Union européenne doivent coopérer en Ukraine », Politique étrangère, 2014/2 Eté, p. 95-108. TOLKSDORF Dominik, « L'Union européenne au secours de l'Ukraine », Politique étrangère, 2014/3 Automne, p. 109-119. Documents officiels: Council conclusions on Ukraine, http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/145211.pdf, Luxembourg: Foreign Affairs Council of the European Union, 20 October 2014 European Commission's support to Ukraine, http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-14-159_en.htm , Brussels: European Commission, 5 March 2014 Examen par la commission des affaires européennes du Sénat français le de la « Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, et à l'application provisoire de l'accord d'association entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part », http://www.senat.fr/ue/pac/E8350.html , Paris : Sénat, 23/10/2013 FACT SHEET EU-Ukraine relations, http://eeas.europa.eu/statements/docs/2014/140514_02_en.pdf, Brussels : European External Action Service, 12 September 2014 Informations sur l’accord d’association UE-Ukraine, http://eeas.europa.eu/top_stories/2012/140912_ukraine_fr.htm, Brussels : European Commission, 14/09/2012 Joint statement on the parliamentary elections in Ukraine by the President of the European Commission José Manuel Barroso and the President of the European Council Herman Van Rompuy, http://europa.eu/rapid/pressrelease_STATEMENT-14-341_en.htm, Brussels: European Commission, 27 October 2014 Joint Ministerial Statement on the Implementation of the EU-Ukraine AA/DCFTA, http://europa.eu/rapid/pressrelease_STATEMENT-14-276_en.htm , Brussels: European Commission, 12 September 2014 Support Group for Ukraine, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-413_en.htm , Brussels: European Commission, 9 April 2014