Commentaire des Physiques d`Aristote Livre VI Leçon 12

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Commentaire des Physiques d`Aristote Livre VI Leçon 12
Commentaire des Physiques d’Aristote ­ Livre VI ­ Leçon 12 REFUTATION DE DEMOCRITE 872 D’abord, Aristote propose son intention [D’abord, il fait une distinction dans le mouvement par accident] 875 [Ensuite, il propose son intention] 876 Ensuite, il la prouve par trois raisons Aristote, chap. 10, 240b8­241a25 Distinctions préalables 872 Aristote entend démontrer ici que l’indivisible ne peut se mouvoir, et réfuter par la même occasion les idées de Démocrite. Il commence par établir une distinction au sein du mouvement par accident. Etant donné ce qui a été dit plus haut, l’insécable ne peut être mû que par accident, comme le point à travers le corps entier, ou toute autre grandeur contenant un point, telle que la ligne ou la surface. 873 Se faire mouvoir à travers le mouvement d’autrui se produit de deux façons : 1. L’objet emporté par le mouvement d’un autre n’en fait pas partie. C’est le cas par exemple du passager sur un navire, ou de la blancheur en déplacement avec le corps dont elle n’est pas une partie. 2. La partie emportée par le mouvement du tout. En outre, insécable, comme sécable, se dit de multiples façons. Aristote précise donc en quel sens l’entendre : il s’agit de l’indivisible quantitatif. Car on parle également d’insécable à propos de l’espèce, comme le feu ou l’air qu’on ne peut désagréger en composants divers ; mais rien n’interdit que ce dernier insécable soit mû. L’intention est bien d’exclure le mouvement de l’insécable quantitatif. 874 Ayant avancé que la partie est mue avec le mouvement du tout, Aristote pourrait se voir rétorquer que la partie n’est mue en aucune façon. C’est pourquoi il distingue le mouvement des parties en leur qualité de parties d’avec leur mouvement au sein du mouvement du tout en tant que tel. Cette distinction est particulièrement visible dans le mouvement sphérique, où les zones proches du centre ne tournent pas à la même vitesse que celles proches de la périphérie, cette dernière représentant la vitesse de mouvement de l’ensemble. Comme si ce mouvement n’était pas d’un seul, mais de plusieurs. Est évidemment plus rapide l’objet qui parcourt une plus grande distance en un temps équivalent. Or durant la révolution d’une sphère, la périphérie connaît une vitesse supérieure aux zones intérieures. Pourtant, la vitesse du tout s’identifie à celle des zones centrales comme des zones périphériques, mais cette diversité doit se comprendre au sens où il convient aux parties d’un continu d’être mues : en puissance. N’existe en acte que le seul mouvement du tout avec ses parties, mais on peut diversifier potentiellement les mouvements des parties, aussi bien entre elles qu’à l’égard du mouvement global. Lorsqu’on dit que la partie est mue par accident avec le mouvement du tout, on fait allusion à ce genre d’accident qu’est la potentialité par soi, et non pas au mouvement d’accidents ou de formes, qui sont accidentels en un autre sens. 875 Ayant fait ces distinctions, Aristote explicite son intention : l’insécable quantitatif peut se mouvoir par accident avec le mouvement d’un corps. Non pas en qualité de partie, car aucune grandeur ne se compose d’indivisibles, on l’a montré, mais de la façon dont quelque chose est mû avec le mouvement d’un autre sans être une de ses parties, à l’exemple du passager assis sur le pont d’un navire, qui se déplace au moyen de l’embarcation. L’insécable ne se meut cependant jamais par soi. Aristote l’a incidemment prouvé plus haut, mais pour renforcer davantage la vérité, il développe son argumentation.
Raisons de l’immobilité de l’indivisible 876 Le Philosophe démontre par trois arguments que l’insécable est immobile : 1. Supposons la mobilisation d’un insécable. Il se déplacera de AB vers BC. Peu importe pour notre raisonnement qu’il s’agisse de deux lieux d’un déplacement ou d’un changement de volume, ou de deux espèces et qualités, comme dans l’altération, ou encore d’une opposition de contradiction comme dans la génération et la corruption. Supposons également un temps ED durant lequel un objet se meut exactement (c’est­à­dire pas en raison d’une partie) d’un terme à l’autre. Pendant cette période, le mobile doit être en AB, le point de départ ou bien en BC, le point d’arrivée, ou bien une partie est encore dans un des termes tandis que l’autre est déjà dans l’autre. Tout objet qui change est nécessairement dans une de ces trois situations. On ne peut cependant concéder la troisième, à savoir qu’il soit en chacun des deux termes, en chacune de ses parties, car il serait alors sécable, contrairement à ce qu’on a supposé. On ne peut non plus admettre la deuxième situation, où il serait en BC, c’est­à­ dire dans le terme de destination, car il aurait dès lors déjà changé, alors qu’on l’avait envisagé changeant durant le temps imparti. Reste que durant toute cette période, il demeure en AB, c’est­à­dire dans le terme d’origine. Mais il est donc à l’arrêt, puisque ce n’est rien d’autre que de rester en un seul et même état durant tout un laps de temps. Comme en tout temps, du fait de sa divisibilité, on observe de l’avant et de l’après, tout ce qui au cours d’une période, est identique à lui­même, reste le même maintenant comme avant, ce que veut dire être à l’arrêt. Or il est impossible qu’un objet en mouvement, repose. Par conséquent, il ne peut se faire en aucune manière qu’un insécable bouge ou change. La seule façon, pour un indivisible, d’entrer en mouvement serait que le temps se composât lui­même d’instants présents. Car à l’instant, on est en permanence déjà déplacé ou modifié. Or ce qui est déjà modifié, ne se modifie pas en tant que tel ; donc, à l’instant présent, rien ne se meut, mais est d’ores et déjà mû. On pourrait alors accorder la motion à un indivisible pendant un moment, si ce dernier était composé d’instants présents, puisqu’en n’importe quel de ces instants qui le composent, le mobile serait unifié, mais en tout le temps imparti, c’est­à­dire en tous les instants, il serait multiple. Il serait donc en mouvement dans le temps, sans l’être dans l’instant. Mais l’impossibilité de la composition d’instants dans le temps a déjà été démontrée. Le temps n’est pas une suite d’instants, ni la ligne une suite de points, ni le mouvement une suite d’états (par état, on entend ce qui a déjà été modifié). Prétendre à la mobilité de l’indivisible ou à la succession d’indivisibles dans le mouvement revient à concevoir le temps comme composé d’instants présents ou la longueur de points, ce qui est impossible. Il est donc impossible que l’insécable se meuve. 2. 877 Montrons particulièrement à propos du mouvement local, que ni le point ni quelque autre indivisible ne peut se mouvoir. Aucun objet en déplacement ne peut franchir une distance supérieure à sa propre longueur, avant d’en parcourir une égale, et même inférieure. Au contraire, on commence par la plus petite puis par l’égale avant d’atteindre la supérieure. Mais s’il en est ainsi, alors le point devra parcourir une longueur inférieure ou égale à lui­même avant une plus grande. Or c’est tout à fait impossible de lui en trouver une inférieure, puisqu’il est indivisible. Reste donc l’hypothèse qu’il commence par couvrir une grandeur qui lui soit égale. Il lui faudra nombrer tous les points de la ligne, car s’il se meut sur toute la ligne, il devra entièrement l’étalonner en chiffrant chacun de ses points. Si une telle entreprise est impossible, il est impossible que l’indivisible se meuve. 3. 878 Tout mobile se meut en un laps de temps, et rien n’est mû dans l’instant présent, comme on l’a démontré. Or on a aussi établi que le temps est toujours divisible. Donc pour n’importe quelle période où quelque chose est en mouvement, on peut délimiter un temps plus bref affectant un mobile moins important, car avec la même célérité, le mobile moindre mettra moins de temps qu’un objet plus gros, pour franchir un repère donné, de même que la partie met moins de temps que le tout, comme on l’a vu. Si donc le point se meut, il faudra définir un temps inférieur à celui de son mouvement. Mais c’est impossible, car en ce temps moindre, c’est quelque chose d’inférieur au point qui serait en mouvement. L’indivisible serait alors divisible en quantités moindres, à l’image du temps qui se divise en temps. Un indivisible ne peut se mouvoir que de cette façon, si tant est qu’on puisse se mouvoir dans l’instant présent. De même qu’on ne peut circonscrire un temps moindre que l’instant présent, dans lequel se déroulerait le mouvement, de même, on ne peut prendre un mobile plus petit. La raison pour laquelle il y aurait du mouvement dans l’instant est donc la même que celle pour laquelle l’indivisible serait en mouvement. Or c’est impensable ; donc il est impossible à l’indivisible de se mouvoir.