Centrafrique : un nouveau président face à la guerre civile

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Centrafrique : un nouveau président face à la guerre civile
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Monde
Ouest-France
Lundi 20 janvier 2014
Centrafrique : un nouveau président face à la guerre civile
Bangui s’est de nouveau embrasée hier, à la veille de la désignation d’un président de transition.
La réconciliation entre les communautés sera difficile.
Élection. Huit candidats s’affronteront aujourd’hui pour la présidence
par intérim en Centrafrique. L’élection du président par le Conseil national de transition (CNT, parlement
provisoire) doit permettre de combler le vide laissé par la démission
du président Michel Djotodia le
11 janvier, accusé par la communauté internationale de n’avoir rien
fait pour arrêter les tueries interreligieuses.
Bangui.
Correspondance
La capitale centrafricaine s’est réveillée, hier, avec une soif de vengeance. Samedi soir, des soldats
Séléka pro-musulmans auraient capturé deux chrétiens. La rumeur s’est
répandue comme une traînée de
poudre dans le quartier Sango. Au
petit matin dimanche, une quarantaine de jeunes avaient la ferme intention de faire, à leur tour, des prisonniers. « On va les échanger »,
promettait Kalel, 22 ans. « Si nos frères sont encore vivants, on libérera
ces deux là », poursuivait-il. Mais sur
place, personne n’était dupe. « Il faut
les tuer. Ils viennent dans nos quartiers, ils ont des armes, ils ne peuvent pas s’en sortir comme ça. »
AFP
Les violences se multiplient
La scène en dit long sur le degré
de haine. Au carrefour des Nations
Unies, un homme, puis deux sont extirpés de leurs véhicules et battus au
sol. Les soldats de l’opération Sangaris s’interposent mollement. Un coup
de semonce donne quelques mètres
d’avance au musulman désespéré.
Peine perdue. Lui et son camarade
s’enfoncent dans le quartier Sango,
sous les clameurs de la foule. Quelques heures plus tard, ils sont tués,
puis mutilés sauvagement avant
d’être brûlés. Un homme s’empare
du bras de la victime et y croque à
pleine bouche, sous l’œil des caméras. « Ils ont tué toute ma famille, je
suis tout seul maintenant et je vais
me venger », assure-t-il.
Une jeune tchadienne musulmane et son enfant attendent d’être évacués de Bangui.
Les violences se multiplient aussi
dans les localités de province, à l’approche de l’élection. « Les gens sont
dans une situation de désespoir et
plus on va aller vers l’élection plus
ça va aller crescendo », a reconnu
un officier de la Misca, la force africaine. Au moins 23 civils musulmans,
dont trois enfants, ont été tués et une
vingtaine d’autres blessés dans l’attaque de leur convoi vendredi près de
Bouar, proche de la frontière avec le
Cameroun, selon un nouveau bilan de
l’ONG Save the Children.
Dans les camps de réfugiés, l’élection d’aujourd’hui laisse de marbre.
« Ce que nous voulons, c’est pouvoir manger et ça ne peut pas attendre un nouveau président »,
lance Augustine. Elle vit avec sa famille dans la paroisse Saint-Sauveur.
Ils sont onze à se partager deux nattes posées au sol. « On veut un président qui se soucie de notre bienêtre. Les enfants sont malades. Je
n’ai rien mangé depuis deux jours,
car je leur laisse mes rations de
riz », déplore Natty.
Dimanche dans Bangui et ses
faubourgs, les anti-balaka ont installé des barrages filtrants, pour
capturer des musulmans. Patrice-
Edouard Ngaïssona, ancien ministre,
aujourd’hui coordinateur de ces milices chrétiennes, assure : « Le conseil
national de transition n’est composé
que de Séléka. Dans ces conditions,
le futur président aura les anti-balaka sur sa route. » La réconciliation
attendra. « Ils doivent payer, c’est
tout », affirme un homme interrogé
sur les violences du matin. « Ils », ce
sont les Séléka mais aussi les musulmans, sans distinction. Et c’est bien le
problème de la Centrafrique, plongée
dans le cercle aveugle de la vendetta.
Anthony FOUCHARD.
Les principaux candidats. Sur les
24 candidatures déposées, seuls
huit restent en lice. Parmi les principaux candidats figurent notamment
l’actuelle maire de Bangui, Catherine Samba Panza, ainsi que Sylvain
Patassé et Désiré Kolingba, respectivement fils des présidents AngeFelix Patassé, au pouvoir de 1993
à 2003, et André Kolingba, de 1985
à 1993. Autre personnalité retenue
par le CNT, Émile Gros Raymond
Nakombo, un banquier proche de
l’ex-président Kolingba, qui avait
reçu le soutien de plusieurs centaines de manifestants rassemblés à
Bangui vendredi.
Les parlementaires avaient fixé
des critères draconiens d’éligibilité
excluant beaucoup de monde : les
responsables politiques sous Djotodia, les chefs de partis, les militaires
d’active et les membres d’une milice
ou d’une rébellion armée sur ces 20
dernières années.
Calendrier. Le nouvel élu aura la
lourde tâche de pacifier le pays,
de remettre une administration
DR
Huit candidats à la présidence de transition
Catherine Samba Panza,
maire de Bangui et candidate
totalement paralysée en état de marche et de permettre aux centaines
de milliers de déplacés de rentrer
chez eux. Pour arrêter l’implosion du
pays, le nouveau président aura peu
de temps : selon le calendrier de la
transition, des élections générales
doivent être organisées au plus tard
au premier semestre 2015.
Renforts. Un mois et demi après
le début de l’intervention française,
la situation sécuritaire dans la capitale, où la plupart des soldats français sont stationnés, s’améliore progressivement. Mais dans un pays
grand comme une fois et demie la
France, il reste très compliqué de se
déployer dans les zones reculées.
Une annonce cruciale est attendue
aujourd’hui de l’Union européenne
qui devrait approuver l’envoi d’au
moins 500 soldats européens en
Centrafrique, en soutien aux 1 600
soldats français de l’opération Sangaris et aux 4 400 de la force africaine (Misca).
L’imam et l’archevêque de Bangui marchent ensemble pour la paix
sommes passés à deux reprises, la
communauté s’est reconstituée. La
vie a repris. Nous espérons que ce
genre d’expérience puisse se propager. Les consciences et les cœurs qui
s’ouvriront à la paix pourront à leur
tour porter la paix et la réconciliation.
Entretien
Franck Dubray
Comment expliquez-vous
les violences d’aujourd’hui ?
Mgr Dieudonné : Les politiciens ont
monté les communautés les unes
contre les autres. Mais la souffrance
est partagée par les deux communautés. L’arrivée de mercenaires venus
du Soudan a accentué le malentendu.
Comme ils parlaient arabe, les gens
ont fait le lien avec les musulmans.
Nous rejetons le terme de « milices
chrétiennes » pour les anti-balakas. Ils
portent des gris-gris, ce sont des pratiques animistes. Des gens qui vengent
le sang de leur frère ou leur maison incendiée ce n’est ni l’Evangile ni le Coran qui les pousse.
Imam Kobine : Les antibalakas font
du mal aux musulmans mais ils ont
aussi tués des chrétiens. On instrumentalise et on manipule la religion.
Mais il n’y a rien de religieux.
Hier à Paris, l’Imam Oumar Kobine Layama Président de la communauté islamique
centrafricaine (à gauche) et Mgr Dieudonné Nzapalainga archevêque de Bangui.
n’est ni dans les représailles ni dans la
vengeance. Nous disons aux gens, ne
continuez pas la guerre, la violence.
Revenez à vos origines chrétiennes
ou musulmanes.
Vous avez sillonné votre pays
ensemble, pourquoi ?
Mgr Dieudonné : Nous avons vu des
gens qui ont tout perdu, qui n’ont plus
de maison et qui vivent terrés dans la
brousse comme des bêtes, dans la
peur, sans soins. Nous avons vu des
gens tués laissés comme des animaux au bord des routes. La solution
Cela a-t-il changé les choses ?
Imam Kobine : Notre religion a pour
base la paix et l’amour. Cet amour
est la source du développement, du
vivre ensemble. C’est ce message qui
nous oblige à faire le tour du pays.
Notre action a porté. Beaucoup de
villes ne sont pas atteintes par cette
crise parce que les leaders religieux
se mobilisent et réconcilient leurs
communautés.
Mgr Dieudonné : Il y a des endroits
où les communautés sont restées
ensemble. À Bangassou où nous
La communauté internationale
peut-elle soutenir la paix ?
Imam Kobine : Notre crainte c’est
que la communauté internationale
ne vienne aider le Centrafrique à retrouver la paix. Pour que nos efforts
ne soient pas un éternel recommencement, elle doit aider la Centrafrique
à retrouver la paix en luttant contre les
extrémistes.
Mgr Dieudonné : Il faut que la communauté internationale vienne pour
aider les Centrafricains à se relever.
Si nous laissons les extrémistes agir
notre pays va exploser et fera exploser ses voisins. Nous demandons à
la communauté internationale de venir très vite. Aidez-nous à retrouver le
chemin de la civilisation.
Quelle aide concrète peut-elle
vous apporter ?
Mgr Dieudonné : Nous demandons
que les forces onusiennes viennent
car les militaires présents ne sont
pas assez nombreux. Nous n’avons
pas assez de véhicules, pas assez
d’hélicoptères pour regagner les villes les unes après les autres. Il faut
sécuriser le pays, protéger la population, reconstruire l’administration et
nous aider à préparer les élections.
Si le Centrafrique saute, il deviendra
le ventre mou où s’installeront narcotrafiquants et djihadistes. Alors, les
voisins seront menacés : le Soudan
du Sud et du Nord, le Tchad, le Cameroun, le Conga démocratique et le
Congo Brazzaville seront pris dans la
tourmente.
Imam Kobine : Le désarmement est
une priorité. La sécurité, l’alimentation, reconstruire les maisons, les
écoles, les hôpitaux, payer les salaires… tout cela est indispensable.
Qu’attendez-vous du nouveau
président ?
Imam Kobine : Nous voulons que
les conseillers élisent une personne
qui pourra rassembler le peuple centrafricain pour que tous puissent se
réunir autour de lui et organiser les
élections.
Mgr Dieudonné : Il doit transcender
les partis. Il doit être au-dessus de
la mêlée et ne pas représenter un
groupe ou une ethnie. Seul le peuple
doit compter et il doit amener les gens
à entrer dans un esprit républicain, remettre les gens au travail, constituer
une équipe capable de l’aider.
Quel est votre message aux
Européens et à votre peuple ?
Mgr Dieudonné : Aux Européens :
sauvez le peuple Centrafricain. À notre peuple : Gardez courage. La paix
est entre nos mains.
Imam Kobine : Nous remercions le
journal Ouest-France et ses lecteurs
de se mobiliser pour la Centrafrique.
Nous avons besoin de l’appui de tous.
Les Centrafricains doivent savoir que
la paix proviendra de nous-mêmes.
Nous sommes les seuls à pouvoir résoudre ces problèmes. Nous devons
cesser cette haine, ces exactions.
Mettons-nous ensemble pour relever
notre pays.
Recueilli par
Jeanne Emmanuelle HUTIN.
L’appel de Ouest-France Solidarité.
Près de la moitié de la population
de Centrafrique a un besoin urgent
d’aide. La plupart des dispensaires
et des hôpitaux ont été saccagés et
pillés. Il est indispensable de reconstruire les stocks de médicaments, de
matériels médicaux et de disposer
d’ambulances.
Adresser vos dons à : Aide à la Centrafrique, Association Ouest-France
Solidarité, 10, rue du Breil, 35 051
Rennes cedex 9 ou, via Internet, sur
ouestfrance-solidarite.ouest-france.fr
Au fil des événements de la guerre civile en Centrafrique
2014
24 mars
31 mars
29 août
Début septembre
Début octobre
19 novembre
1 décembre
5 décembre
La Séléka au pouvoir
Une coalition rebelle
à majorité musulmane,
la Séléka, prend le
contrôle de Bangui.
Le président chrétien
François Bozizé
fuit au Cameroun.
Le chef de la Séléka,
Michel Djotodia,
s'autoproclame
président.
Nouvel homme fort
Michel Djotodia,
le nouveau
chef de l'État,
forme un
gouvernement
dans lequel
il s'approprie
le ministère
de la Défense.
La guerre civile
La RCA (République
Centrafricaine) est au
bord de l'effondrement,
des milliers de civils
se réfugient à
l'aéroport international
de Bangui pour fuir
les attaques d'éléments
de la Séléka.
Heurts sanglants
Des combats entre
miliciens chrétiens de
Bozizé et des rebelles
musulmans de la
Séléka font plus
de 70 morts
près de Bossangoa,
à 300 km au nord
de la capitale.
Affrontements à l'est
La police et l'évêque
de Bangassou,
dans l'est du pays,
rapportent que des
affrontements
entre chrétiens
et musulmans
ont fait 14 morts
en quelques jours
La fuite des villageois
Des milliers de civils
fuient les affrontements
dans le centre-ouest
entre la Séléka,
composée majoritairement
de musulmans, et des
milices d'autodéfense
chrétiennes baptisées
« anti-balaka ».
Le déni présidentiel
Michel Djotodia
dément que
son pays
se trouve au bord
d'un génocide
et d'une guerre
civile entre
communautés
religieuses.
Rétablir la sécurité
Des affrontements entre
musulmans et chrétiens
font une vingtaine de
morts et plusieurs
dizaines de blessés
à Bangui. Le Conseil
de sécurité donne
un mandat de six mois
aux troupes françaises
et à la Misca pour rétablir
la sécurité.
François Bozizé
Bossangoa
Michel Djotodia
RÉPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE
Bouca
Bangui
er
Scène de pillage dans les rues de la capitale Bangui
6 décembre
Intervention
française
Lancement
de l'opération
Sangaris.
L'opération des
forces africaines
et françaises
en Centrafrique
doit rétablir
la sécurité
dans le pays.
Opération Sangaris
Bangassou
Les violences en Centrafique sont à l'origine
de plus 600 morts et plus de 159 000 déplacés
10 janvier
20 janvier
19
janvier
L'exil présidentiel
Le président par intérim
Michel Djotodia
démissionne sous
la pression des
dirigeants africains
réunis en sommet
à N'Djamena.
Il part pour le Bénin
qui entretient des
relations privilégiées
avec la RCA.
L'après Djotodia
Aujourd'hui lundi,
le Conseil national
de transition
se réunit
pour désigner
un successeur
à Michel Djotodia.
Le nouveau président
de transition
doit être choisi
parmi huit candidats.
Ouest-France - Photos : AFP - Reuters.
2013