Un référentiel de compétences commun pour les

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Un référentiel de compétences commun pour les
Cahier spécial
Santé et travail
Le réseau francophone de formation
en santé au travail
Compétence, enseignement,
formation, prévention,
responsabilité, risques
professionnels, santé au travail,
santé-sécurité au travail
L’intégration d’enseignements en santé au travail dans les formations initiales et
continues est depuis longtemps considéré comme indispensable. Si les diplômes
professionnels ont progressivement intégré la démarche, sa généralisation
est loin d’être acquise. Afin d’accélérer le processus, le Réseau francophone de
formation en santé au travail, qu’anime William Dab, professeur au CNAM,
propose un référentiel à l’intention des formations d’ingénieurs et de managers.
Un référentiel de compétences commun
pour les ingénieurs et les managers
À PARTIR des années quatre-vingt-dix, les diplômes de l’enseignement professionnel (CAP, caccalauréat professionnel, BTS
et DUT) ont progressivement intégré, au rythme de l’actualisation des programmes, des compétences en santé et sécurité
au travail (SST).
Aujourd’hui, près de 80 % de ces diplômes associent à même
niveau, compétences professionnelles et compétences en
santé au travail. Cette évolution de l’enseignement professionnel a aussi un fort impact sur la formation des adultes, car
dans le cadre de la formation tout au long de la vie de nombreux salariés préparent des diplômes de niveau V, IV et III,
soit par VAE1, soit par la formation professionnelle continue.
La généralisation de l’enseignement de la santé au travail
dans les diplômes de l’Éducation nationale s’est peu à peu
imposée aux autres ministères et organismes certificateurs. La
lecture des référentiels de l’enseignement agricole, des titres
professionnels du ministère du travail ou des certificats de
qualification professionnelle (CQP) des branches professionnelles permet de mesurer les progrès réalisés ces dernières
années.
Dans l’enseignement supérieur et dans les grandes écoles la
situation est loin d’être comparable. Au cours de la mission
confiée à William Dab, les différents acteurs auditionnés ont
confirmé cette faible prise en compte de la santé au travail
dans les différents cursus formation des niveaux II et I, tant en
formation initiale que continue.
Deux études réalisées à la même période font le même constat. D’une part, l’AINF (association pour la prévention des
risques professionnels et la qualité de vie au travail) a mené
une étude pour repérer l’existant dans la région du Nord
Picardie2. Celle-ci montre que les écoles d’ingénieurs sont les
plus concernées par la question, les formations universitaires
sont velléitaires et les écoles de gestion généralement non
Les contributeurs à ce texte sont Laurent Théveny et
Martine Plawner, INRS, Jean-Luc Bonnet, Dominique Vacher
et William Dab, Cnam (chaire d’hygiène et sécurité),
Hervé Lanouzière, DGT, Philippe Bielec, CNAMTS,
Jean-Michel Hotyat, DGESIP.
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concernées. L’INRS3 a conduit une étude de grande ampleur
couvrant 81 % des élèves ingénieurs de toutes les écoles
françaises4. Environ 60 % des écoles d’ingénieurs déclarent
aborder les thématiques santé et sécurité dans leurs enseignements. Le volume horaire annuel moyen est de 16 heures. En revanche, du côté des anciens élèves, le bilan est plus
contrasté. Moins d’un tiers des jeunes ingénieurs gardent
un souvenir des enseignements en santé et sécurité au travail dispensés durant leur cursus. Les expériences de terrain
semblent plus marquantes. Les anciens élèves interrogés se
souviennent davantage des problématiques de santé et de
sécurité rencontrées à l’occasion de stages en entreprise.
Dans son rapport5, William Dab faisait comme premier constat qu’« il est possible d’identifier un noyau minimal de compétences pouvant servir de socle pédagogique, pour permettre
la prise en compte de la relation travail-santé en situation de
management ». Pour être efficace, le référentiel retenu doit
concerner toutes les personnes en situation d’encadrement.
Le référentiel doit être unique, car dans la plupart des entreprises se côtoient des ingénieurs et des gestionnaires. Ils doivent parler le même langage en termes de SST, basé sur des
compétences identiques. Ce socle commun ne doit pas être
émietté, mais former un tout repérable et évaluable. Ce socle
doit pouvoir s’adapter aux situations particulières (monde
agricole, travailleurs isolés, etc.). L’accent doit être mis sur
les compétences permettant d’assurer les rôles professionnels d’un manager plutôt que sur les connaissances techniques relatives aux risques professionnels. Enfin, le référentiel
doit promouvoir une nouvelle posture managériale. Celle-ci
a pour finalité de créer de la confiance et de la motivation
dans l’équipe de travail afin de développer une véritable culture collective et individuelle, notamment dans le domaine
SST au service de la performance globale. Le manager veille
à développer l’adaptabilité de ses collaborateurs, crée un
1. VAE : validation des acquis de l’expérience.
2. Cf. www.association-ainf.com.
3. INRS : Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
4. J.-P. Crouzat, B. Doerflinger, S. Ribeiro, Les enseignements en prévention des risques professionnels pour la santé et la sécurité au
travail dans les écoles d’ingénieurs, INRS février 2009.
5. W. Dab, Rapport sur la formation des managers et ingénieurs en santé au travail, mai 2008.
Cahier spécial
Santé et travail
contexte propice au dialogue, à l’écoute. Un travailleur qui
rencontre un problème ou qui commet une erreur doit pouvoir en parler sans crainte de sanction. Une équipe performante est une équipe dans laquelle existe un lien relationnel
serein et dans laquelle chacun comprend le sens individuel et
collectif de l’activité à accomplir. Les changements nécessaires doivent être expliqués et leurs conséquences sur le travail
doivent pouvoir être discutées et partagées. Le manager doit
savoir anticiper les conséquences de ses décisions dans une
approche systémique.
Le Conseil national pour l’enseignement de la santé et de la
sécurité au travail – instance où travaillent ensemble des spécialistes de l’éducation nationale, de l’INRS et de la CNAMTS –
conscient du décalage entre l’enseignement professionnel et
l’enseignement supérieur, a élaboré un référentiel de compétences généraliste intitulé « Bases essentielles en santé et
sécurité au travail » (BESST). Articulé autour de trois grandes
compétences (voir plus loin), ce référentiel permet aux futurs
ingénieurs ou managers, mais aussi aux cadres en exercice,
de mieux appréhender leur rôle et leur implication dans
l’amélioration de la santé et des conditions de travail de leur
entreprise.
La deuxième proposition du rapport de William Dab est de
retenir le référentiel BESST comme base de travail.
Les trois macro-compétences (objectifs généraux) de ce référentiel répondent bien aux éléments que nous avons vus précédemment. Ce référentiel peut servir en formation initiale et
continue moyennant quelques adaptations de formulation
pour la formation initiale qui ne peut pas faire appel à l’expérience du travail. Par exemple, au lieu d’écrire « appliquer le
cadre réglementaire et normatif », on pourra demander en
formation initiale de « savoir se référer au cadre réglementaire
et normatif ».
Nous présentons ici les grandes caractéristiques de ces macrocompétences.
1. Repérer dans l’entreprise les enjeux humains, sociaux,
économiques et juridiques de la santé-sécurité au
travail
Les entreprises disposent de nombreux indicateurs de santé
au travail, cependant la synthèse de ces indicateurs est rarement intégrée aux missions quotidiennes des managers, des
responsables de production ou de services et de l’encadrement. Le manager doit être capable de participer à l’observation de la santé au travail dans l’entreprise, pour cela les
connaissances élémentaires sur les accidents et les atteintes
à la santé liés au travail guideront son analyse du terrain,
de même que sa capacité d’analyser l’absence au travail
autrement que sous l’angle des abus.
L’évolution de la réglementation impose depuis de nombreuses années la garantie des résultats en matière de santé et de
sécurité des salariés. Le simple maintien des mesures de protection est insuffisant. Le manager a un rôle de veille permanente afin d’anticiper les risques liés aux différentes situations
de travail qu’il coordonne.
Les entreprises délèguent de plus en plus souvent la responsabilité civile et pénale de leurs activités à leurs différents
niveaux de décision. Il n’est pas rare aujourd’hui qu’un manager ou un ingénieur dispose d’une délégation formelle ou
informelle de son employeur pour assurer la responsabilité
des activités de son site ou de son unité de production. Pour
assurer ce rôle de délégataire, le manager doit disposer de
réelles connaissances réglementaires et juridiques.
Pour assurer ses missions, le manager ne travaille pas seul.
Au sein de l’entreprise il s’appuie sur le retour d’information
de ses équipes mais aussi sur des acteurs plus spécifiques
(délégués du personnel, membres du CHSCT, médecin du
travail, fonctionnels de sécurité…). Il peut aussi faire appel à
des acteurs externes à l’entreprise (Inspection du travail, CARSAT6, ARACT7…) qui ont un rôle de conseil souvent ignorés
par ces managers.
Appréhender ces différents enjeux de la santé au travail nécessite une approche pluridisciplinaire pour laquelle le manager
n’a pas toujours été préparé lors de sa formation initiale. En
particulier, il doit savoir interagir avec les médecins en étant
respectueux des grands principes déontologiques.
2. Intégrer la santé-sécurité au travail dans la gestion de
ses activités et la conduite de ses projets
Si la SST est pluridisciplinaire, elle n’est pas exempte de démarches et méthodes concernant l’identification des dangers,
l’évaluation des risques et la stratégie de prévention. La directive cadre européenne transposée dans la loi du 31 décembre
1991 est le point de repère essentiel pour le manager dans sa
conduite de projets. Les neufs principes de prévention issus
de cette loi permettent de structurer son action.
Au niveau d’un décideur, la santé au travail ne peut pas reposer sur des approches humanistes ou empiriques. L’évolution
des technologies et des organisations du travail rend de plus
en plus complexe l’identification des dangers. De ce fait, l’évaluation des risques et la prévention des atteintes à la santé
sont de plus en plus individualisées en fonction des savoirfaire des salariés et des entreprises qui les emploient. Sans
être un spécialiste, le manager doit maîtriser les principes fondamentaux et les outils de la prévention des risques professionnels. Il doit pouvoir mobiliser à bon escient les différentes
spécialités qui concourent à la prévention des risques.
3. Contribuer au management de la santé-sécurité au
travail dans l’entreprise
Les systèmes de management intégré associant qualité, sécurité et environnement (QSE) ont largement contribué à faire
évoluer les grandes entreprises. La mise en œuvre de ces systèmes de management dans les petites unités des grandes entreprises ou dans leurs relations avec leurs sous-traitants permet
de décliner aujourd’hui ces approches dans les PMI-PME.
Le manager est un acteur-clé de cette politique globale de
l’entreprise. Les approches pluridisciplinaires et les démarches participatives portées par les collectifs de travail assurent
cette transversalité nécessaire pour la réalisation des objectifs
QSE des entreprises.
■
Nous invitons tous ceux qui s’intéressent à ces questions à
venir contribuer aux activités du RFFST, même (et peut-être
surtout) sans être un spécialiste de ces questions. Les personnes
intéressées sont invitées à se faire connaître auprès du
coordinateur du réseau ([email protected]).
Suite au verso :
le référentiel de
compétences du
RFFST
6. Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail.
7. Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail.
Septembre-octobre 2010 - N° 113 - Préventique Sécurité 83
Cahier spécial
Santé et travail
Le référentiel de compétences du RFFST
Objectif
général
Repérer
dans l’entreprise
les enjeux
humains, sociaux,
économiques
et juridiques
de la SST
Compétences
(objectifs opérationnels)
Participer à l’observation
de la santé dans l’entreprise
• Directives, réglementation, normes, bonnes pratiques ;
• principes généraux de prévention et principe de précaution ;
• responsabilités civile et pénale ;
• délégation de pouvoir.
Communiquer avec
les acteurs de prévention
internes et externes
• Rôles et missions des principaux acteurs de prévention ;
• travail en pluridisciplinarité.
Évaluer les risques d’accidents
et d’atteinte à la santé
Réduire et supprimer
les risques
Contribuer
au management
de la SST
dans l’entreprise
8. CTI : Commission des titres
d’ingénieur ;
CGE : Conférence des grandes
écoles ;
CPU : Conférence des
présidents d’université.
• Définition des AT et MP ;
• gestion du risque, tarification et réparation ;
• coûts directs et indirects ;
• statistiques nationales et régionales de la profession ;
• observatoire de la santé au travail ;
• sources d’information.
Appliquer le cadre
réglementaire et normatif
Identifier les dangers et les
situations de travail dangereuses
existantes et futures
Intégrer la SST
dans la gestion
de ses activités
et la conduite
de ses projets
Savoirs
Mettre en pratique
une démarche de prévention
des risques professionnels
en cohérence avec
le management de l’entreprise
Participer à l’amélioration
du système de management
• Connaissance des différents dangers et sources de dangers dans
l’entreprise, ainsi que des dommages pour la santé ;
• analyse du travail avec les opérateurs (écarts entre travail prescrit et réel) ;
• analyse d’un accident ou d’un incident (notion de multicausalité).
• Connaissance des critères d’évaluation (fréquence, gravité, exposition) ;
• cartographie des risques ;
• analyse des alertes ;
• connaissance des facteurs de risques psychosociaux.
• Principes généraux de prévention ;
• choix, mise en œuvre et évaluation des mesures de prévention (y compris
dès la conception) ;
• motivation de ses collaborateurs ;
• analyse et maîtrise des expositions.
• Programmes de santé ;
• approches pluridisciplinaires ;
• définition des objectifs de prévention ;
• approches participatives ;
• repérage des bonnes pratiques.
• Système de management de la sécurité ;
• gestion des crises ;
• approche QSE ;
• système de management intégré ;
• accompagnement des changements ;
• anticipation des conséquences des décisions ;
• plan de formation continue en SST.
CE RÉFÉRENTIEL n’est pas figé. Ce socle devra être actualisé
régulièrement pour tenir compte de l’émergence de nouveaux
dangers, de nouveaux enjeux (mondialisation des normes et
des pratiques) et des nouvelles formes d’organisation du travail
(nomadisme, travail à distance, services à la personne, etc.).
Ce référentiel de compétences mis à disposition des partenaires
de l’enseignement et de la formation n’est pas une fin en soi. La
diversité des publics concernés par ce référentiel implique de le
décliner en de multiples programmes de formation adaptés. Il ne
faut pas chercher à en uniformiser les modalités pédagogiques.
Bien au contraire, c’est le travail des formateurs de faire l’ingénierie
pédagogique à partir des « briques » élémentaires que propose le
Réseau francophone de formation en santé au travail (RFFTS).
L’accompagnement de ce référentiel est le cœur de la mission du
RFFST. Pour cela le RFFST met en application les principes généraux
de ce référentiel : ses groupes de travail sont pluridisciplinaires,
ils réunissent représentants de la formation supérieure, de la
santé au travail et de l’entreprise. Ils sont aussi participatifs et
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pluridisciplinaires, fédérant l’apport des experts, des praticiens
et des institutionnels. La mise en ligne prochaine des ressources
pédagogiques élaborées par le RFFST (www.rffst.org) illustrera
cette volonté de co-construire une réelle dynamique au service du
bien-être au travail.
La prochaine étape est l’intégration de ce référentiel de compétences
dans l’ensemble des formations de niveau I (bac +5). La CTI, la CGE
et la CPU8 devront prendre des initiatives dans ce sens. À terme, les
compétences en SST devront pouvoir être certifiées, aussi bien pour
les étudiants que par les formateurs.
Les formateurs ont une place prédominante à jouer dans la culture
santé-sécurité du corps managérial. Ils doivent être en mesure
de replacer les dimensions SST dans le management global de
l’entreprise et non pas contre celui-ci. À terme, tout manager devra
être en mesure de communiquer avec des experts SST, sans être luimême un expert. Un référentiel unique est la garantie d’une culture
minimale commune, permettant à tous les acteurs dans et en-dehors
de l’entreprise de communiquer efficacement.