La bande dessinée africaine : de l`imitation à l`affirmation ? Saâd

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La bande dessinée africaine : de l`imitation à l`affirmation ? Saâd
La bande dessinée africaine : de l’imitation à l’affirmation ?
Saâd-Edine FATMI,
Université de Mascara, Algérie
Introduction
Il est plus facile de rapporter aujourd’hui les noms de romanciers africains ou de poètes, de
parler de production littéraire présente, aussi bien, en Afrique que partout ailleurs dans le
monde.
Mais qu’en est-il de la bande dessinée africaine ? Est-elle connue en Afrique ? A-t-elle un
écho en Europe ou ailleurs ?
Nous pouvons déjà dire que la bande dessinée africaine est méconnue, parfois sous-estimée
dans le milieu universitaire et timidement présente dans certains manuels scolaires. Il semble
aussi aisé de citer les noms d’Hergé ou d’Uderzo, parler de Spirou ou de Tintin dont les
albums sont traduits pratiquement dans toutes les langues.
Mais connaissons-nous : Didier Kassai de Centreafrique, le tchadien Adjim Danngar,
Mendozza l’ivoirien ou aussi les algériens Slim et Mahfoud Aider ?
Les femmes bédéistes à l’instar de l’algérienne Daiffa et Fifi Mukuna souffrent, elles aussi, de
ce manque d’intérêt créant cette envie compréhensible de rechercher de l’épanouissement
sous d’autres cieux plus cléments.
La bande dessinée africaine
Il faut dire que les ouvrages traitant de la B.D. africaine demeurent très maigres à part
quelques articles et revues publiées en ligne, rapportant périodiquement quelques événements
sur la B.D. ou des études ponctuelles sur ce genre. Langevin affirme que la B.D. a débarqué
sur le continent noir au lendemain de la deuxième guerre mondiale. La B.D. a été ensuite
utilisée à des fins utilitaires :
« Dans les années 60, l'Église utilise la BD pour toucher les différentes couches de la
population. Les décennies 70 et 80 sont ensuite marquées par des productions pédagogiques
de diverses qualités, pour la protection des tortues ou contre le sida, par exemple. Peu avant
2000, salons, festivals et colloques se développent. »1
A l’exemple des éditions Saint-Paul, une politique d’évangélisation a exploité le support de la
BD pour adapter des textes à vocation morale ou religieuse. Beaucoup de dessinateurs ont
succombé à la tentation puisque la rémunération des auteurs de BD était valorisante.
Sébastien Langevin fait remarquer que les festivals européens demeurent les rares moyens qui
permettent aux bédéistes africains de se faire connaître à l’étranger, à l’exemple du festival
d’Angoulême qui a réuni, pour son édition de 2006, quelques noms de la B.D. africaine :
« Didier Kassaï de Centrafrique, Ramon Esono Ebale de Guinée Équatoriale, Anani et
Mensah Accoh du Togo, Brice Reignier d'Afrique du Sud, Sylvestre " Gringo " Kwene et Joël
Salo du Burkina Faso, Samba Ndar Cisse du Sénégal, Adjim Danngar du Tchad, Didier
Randriamanantena, dit " Didier MadaBD " de Madagascar, et Mendozza de Côte d'Ivoire. »
(Langevin, 2006)
Ces jeunes talents sont les lauréats d’un concours organisé à l’échelle de l’Afrique
subsaharienne qui leur a permis de se distinguer et surtout de s’exporter au-delà des frontières
1
Sébastien Langevin, L’Afrique doit construire son marché. S.l, http://www.africultures.com/php/index.php?
nav=article&no=4327, 01/04/2006.
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de leurs pays.
Les festivals européens permettent de rendre compte d’une réalité peu propice à l’édition de la
bande dessinée en Afrique où le : « …le nombre de lecteurs demeure restreint » (Langevin,
2006) malgré sa popularité. Sur ce point, Langevin note que : « …la bande dessinée africaine
ne peut se développer durablement sans une production locale solide. » (Langevin, 2006) Les
bédéistes africains se tournent alors vers l’Europe pour se faire publier grâce au monde
associatif qui a publié plusieurs œuvres.
Des bédéistes français prennent parfois l’initiative, comme Ptiluc, pour aider la publication en
France des auteurs africains comme : « L’Ivoirien Gilbert Grout (Magie noire), le Kinois Pat
Masioni (Rwanda 1994, Descente enfer), Hector Sonon, Kash et Pat Mombili dans l'album
collectif BD Africa. » (Langevin, 2006)
Malgré ces signes positifs sur la B.D. en Afrique, Langevin tempère pour préciser que la B.D.
africaine est : « …loin de jouer dans la cour des grands […] tant d’un point de vue artistique
qu’économique. » (Langevin, 2006) Il poursuit en affirmant que le petit nombre des lecteurs
conditionne le nombre d’auteurs et la qualité de leur production. Les maisons d’édition ont
également un rôle crucial puisque sans production, diffusion, commercialisation, et donc sans
consommation par les lecteurs, la bande dessinée n’existe pas. (Langevin, 2006)
Les tentatives des dessinateurs africains sont parfois sans lendemain puisque la B.D.
africaine vit toujours des moments d’hésitation : « La bande dessinée n’a pas encore trouvé
ses normes esthétiques, narratives et économiques. » (Langevin, 2006) Langevin répond tout
de suite que : « Pour l'instant en Afrique, aucune norme n'est fixée : chaque type d'histoire
appelle un dessin spécifique. Si un Hergé africain finit par émerger, peut-être donnera-t-il des
pistes à suivre. » (Langevin, 2006)
Il existe, malgré tout, des exceptions africaines qui ont remporté un vif succès auprès
du public à l’exemple d’une revue en Côte d’Ivoire qui emploie, à plein temps, quinze auteurs
de bande dessinée. Son titre est Gbich !, une revue hebdomadaire qui mélange des : « …
bandes dessinées en une page, de dessin de presse et d’articles sur la société. » (Langevin,
2006) Les personnages illustrés sont devenus charismatiques pour la population d’Abidjan qui
s’arrachent les 20 000 exemplaires diffusés chaque semaine. La revue a même tourné en
dérision les fameux accords de Marcoussis en lançant : « Les accords de Marcory ; commune
d’Abidjan où la rédaction est installée, pour venir en aide à un Etat français en difficulté… »
(Langevin, 2006) Le succès de la revue a fait des émules, dépoussiérant ainsi le monde de
l’édition en Côte d’Ivoire : « Gbich ! a créé un marché concurrentiel sur son propre
créneau : des publications comme Ya foï ! aujourd’hui disparue, ont tenté de lui voler la
vedette. » (Langevin, 2006)Cette revue a même diversifié ses activités en lançant bientôt une
radio FM et une édition internationale.
Un autre hebdomadaire a conquis le public au Sénégal avec un titre très évocateur : Le
Cafard Libéré. Même succès rencontré et des personnages adoptés par le lectorat. Langevin
note que les prix pratiqués à la vente ne sont pas onéreux permettant ainsi d’ancrer l’achat des
revues dans les habitudes de consommation, surtout lorsque les titres doivent passer par un
support de presse. Il explique aussi le succès des revues par l’inspiration des dessinateurs de
la rue afin de : « … porter sur le papier les mille et une histoires colportées de bouche à
oreille, qu'elles soient drôles ou inquiétantes, empreintes d'humour ou de magie. » (Langevin,
2006)Langevin conclut en disant que le maillon manquant de la chaîne demeure l’éditeur
puisque les compétences artistiques ne manquent pas et que la réussite de la bande dessinée
africaine dépend de deux facteurs essentiels : « l’argent et les hommes pour le faire
fructifier. » (Langevin, 2006)
On peut dire, malgré tout, que la bande dessinée africaine est dominée par trois grands pays :
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Madagascar, Côte-d’Ivoire et la république démocratique du Congo. Le spécialiste de la BD
africaine Cassiau-Haurie avance sans hésitations que 90% des bédéistes africains sont
congolais en raison, peut-être, de l’Histoire commune entre le Congo et la Belgique. Pour se
justifier, Cassiau-haurie rapporte que l’événement fondateur de la BD congolaise a eu lieu en
1942 avec l’ouverture à Gombe Matadi de la première école des beaux-Arts d’Afrique. Une
institution pensée comme une annexe à la fameuse école belge Saint-Luc de Bruxelles qui a
vu le passage d’Hergé. 2 Probablement que l’effet Tintin a eu plus de retentissement dans ce
pays qu’ailleurs en Afrique.
La place des femmes dessinatrices
Pour la congolaise fifi Mukuna, son parcours est à peu près semblable à tous les
dessinateurs africains : déjà se faire connaître dans le monde de la caricature ou du dessin de
presse pour ensuite transiter vers le monde de la bande dessinée. Un changement de support
s’opère donc, le public suivra.
A ses débuts, elle subit les influences du dessinateur belge Willy Vandersteen, créateur de
« Bob et Bobette ». Graduée des arts plastiques à l’académie des beaux-arts de Kinshasa. Elle
collabore en tant que caricaturiste à des journaux et magazines. Elle remporte de nombreux
prix, dont celui des « calques d’Argent ». Elle investit ensuite le monde de la bande dessinée
en publiant quelques planches notamment dans la revue de l’Alliance franco-congolaise. Elle
ne va échapper à l’influence de l’école belge en participant à des stages de formation en BD
organisés par le centre Wallonie-Bruxelles3.
Fifi Mukuna fera aussi partie des nombreux auteurs qui ont choisi le chemin de l’exil
parfois pour vivre décemment et aussi pour collaborer avec des collègues scénaristes
européens. Elle sort en 2006 « Si tu me suis autour du monde » chez l’éditeur Lai Momo à
partir d’une nouvelle originale de l’écrivain belge Carl Norac. Cet album livre une histoire
drôle et vive autour de l’eau comme ressource naturelle qui créé aussi des tensions entre les
citoyens du monde.
L’année 2000 sera l’année de la consécration pour Mukuna qui remporte le grand prix des
Médias. Les lecteurs vont aussi découvrir que derrière le pseudo de Mukuna se cachait une
femme.
Mukuna émigre en France en 2002 où elle obtient le statut de réfugié politique. Elle participe
activement dans l’album « Afrobulles » et adhère aussi à l’association « l’Afrique dessinée »
présidé par le dessinateur Christophe Edimo.
Daiffa, la dessinatrice algérienne n’est pas, à proprement parler, une bédéiste puisque
ces dessins se rapprochent davantage du dessin de presse. Contrairement à Mukuna, ses
dessins illustrent souvent une femme algérienne opprimée par les hommes et réduite
uniquement à enfanter et victime, par dessus tout, de la polygamie.
La femme chez Mukuna est noire et forte de caractère. Elle ne soucie guère du regard
des autres. Elle est capable d’enfourcher sa bécane pour faire le tour du monde tout en en
évoquant un thème chère à son cœur : la préservation de l’environnement.
Pour Daiffa, il est aussi question d’illustrer sa propre existence en voulant dénoncer un milieu
conservateur, pour lequel, la femme est cantonnée dans 2 rôles : faire des enfants et s’occuper
du foyer. Elle se mettra à dessiner en cachette et collabore dans divers journaux comme
rédactrice ou dessinatrice de presse.
2
KARABOUDJAN, Laureline, Dans les cases africaines, envers et contre tout . http://blog.slate.fr/des-bullescarrees/2010/02/08/dans-les-cases-africaines-envers-et-contre-tout/. Paris, 08/02/2010.
3
Avignon, Christine, Portrait de Fifi Mukuna, la première femme caricaturiste du Congo. In : Africultures, la caricature et le dessin de
presse en Afrique. Paris, L’Harmattan, 2009, 96-98.
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Présentée comme l’une des rares dessinatrices non seulement en Algérie mais aussi au
Maghreb et dans le monde arabe. Elle publie une série de planches réunies dans un album en
1994. Elle expose, dix années après, à Paris et participe à un recueil publié en solidarité avec
l’Algérie en 1997 avec la complicité de Slim et Gyps.
Qu’importe : A Madagascar, en RDC ou en Côte d’Ivoire, mais aussi au Maroc, Algérie ou
Tunisie, des projets de bande dessinée se montent. L’édition et la diffusion sont parfois
rudimentaires mais témoignent d’un foisonnement nourri par la nouvelle génération d’auteurs
qui se frottent aussi à d’autres formes de la BD à l’exemple du Manga en Algérie. La survie
de la BD dépend étroitement d’un triptyque : auteur-éditeur-lecteur. Un parcours du
combattant où il faut professionnaliser l’auteur, spécialiser l’éditeur et enfin sensibiliser le
lecteur.
Rares exemples de réussite
Compatriote de Mukuna, Hissa Nsoli, un des grands dessinateurs congolais évoque la
professionnalisation du métier de bédéiste. A ce propos, il dit : « La BD, c’était pour nous, un
moyen relativement simple de communiquer et de mettre en scène une histoire découpée en
images, sans trop se poser de questions sur la méthode. Mais pour parvenir à un travail
professionnel, je me suis rendu compte qu’il fallait vraiment passer par l’écriture d’un
scénario préalablement aux planches à réaliser… »4
Pour Alain Brezault, pour réaliser une bonne BD, il faut avant tout que le dessinateur puisse
exercer son talent à partir d’un bon scénario décrivant tout ce que l’on verra. L’influence
franco-belge a beaucoup de mérite puisque certains auteurs BD ont acquis, de par leur propre
expérience ou au cours d’une formation initiale, les compétences nécessaires pour
confectionner des scénarios (Brezault, 2007)
Les dessinateurs africains autodidactes et dépourvus de formation en la matière se voient
parfois obligés de publier à compte d’auteur ou investir la BD religieuse, mieux rémunérée.
Souvent expatriés en France ou en Belgique où l’industrie de la BD a depuis longtemps
montré ses preuves, les dessinateurs africains doivent parfois se conformer certaines normes
assez strictes du marché à l’instar du « 48 CC » (48 pages, cartonné, en couleur). Un marché
de la BD très florissant où les ventes augmentent chaque année. Loin donc l’époque où les
dessinateurs réussissaient seulement à vivoter.
Les Etats-Unis est l’autre pays de la BD où le rythme de la production n’a d’égal que la
« production » du manga au japon. Le congolais Pat Masioni le dit en ces termes : « le travail
que je ferais en 06 mois pour un éditeur français, je dois le faire en 45 jours pour mon éditeur
américain. Et avec une pression de tous les instants. J’ai eu une fois un jour de retard : je me
suis fait engueuler. Un éditeur américain, c’est comme un réalisateur de ciné, il intervient dès
le story-board. » (Brezault, 2007)
Malheureusement et à l’instar de Fifi Mukuna, les bédéistes africains, hommes ou femmes ne
publient plus chez eux aggravant davantage la situation de la BD africaine. Et même lorsque
les albums publiés ailleurs sont importés, les prix proposés demeurent inaccessibles pour les
petites bourses. Une BD qui grandit ailleurs mais qui s’essouffle chez elle, en Afrique.
Sitographie :
LANGEVIN, Sébastien, L’Afrique doit construire son marché. S.l,
http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=4327, 01/04/2006.
KARABOUDJAN, Laureline, Dans les cases africaines, envers et contre tout .
http://blog.slate.fr/des-bulles-carrees/2010/02/08/dans-les-cases-africaines-envers-et-contretout/. Paris, 08/02/2010.
4
BREZAULT, Alain. http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=6923. Paris, 25
septembre 2007.
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BREZAULT, Alain. http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=6923. Paris,
25 septembre 2007.
Bibliographie :
Avignon, Christine, Portrait de Fifi Mukuna, la première femme caricaturiste du Congo. In :
Africultures, la caricature et le dessin de presse en Afrique. Paris, L’Harmattan, 2009, 96-98.
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