Note introductive Les droits culturels : quel destin au Sénégal? De l

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Note introductive Les droits culturels : quel destin au Sénégal? De l
Note introductive
Les droits culturels : quel destin au Sénégal?
C’est depuis la fin de la seconde guerre mondiale que les droits culturels sont devenus une
préoccupation essentielle pour les peuples, notamment ceux réunis au sein des Nations-Unies. A
la mise sur pied d’institutions chargées de leur prise en charge, allait succéder l’élaboration
d’instruments juridiques pour leur promotion et protection. Sous l’impulsion de l’UNESCO,
institution spécialisée dans cette promotion, la vulgarisation de ces droits typiques est devenue
progressivement une préoccupation quasi planétaire.
A l’instar de la plupart des nations, le Sénégal a depuis son indépendance intégré la promotion
des droits culturels dans ses préoccupations. Et cette prise en charge peut être mesurée à travers,
d’une part, l’élaboration d’institutions publiques de gestion du culturel et des droits y afférents
et, d’autre part, la ratification et la définition d’un cadre normatif intégrateur de ces droits.
Mais avant de porter notre attention sur l’état de la protection normative de ces droits dans le
contexte local, une clarification des concepts peut renseigner sur leur champ effectif, c’est-à-dire
leur contenu. Sans déployer trop d’ingéniosité, on peut juste retenir que les droits culturels
renvoient aux prérogatives de toute personne ou groupe de personnes au respect de sa culture,
de ses identité et expression culturelles, de ses croyances, de son droit à l’éducation, à
l’information, à la création artistique et littéraire, à la recherche, au respect de son patrimoine
culturel, tant matériel qu’immatériel, mais aussi au respect de la diversité des cultures ainsi
que de leurs modes d’expression.
Sans vouloir prétendre rendre compte de leur sens exact, cette approche énumérative favorise une
vue panoramique du champ couvert par ces nouveaux droits.
La question de la prise en charge des droits culturels par les politiques publiques locales à
incidence culturelle mérite aujourd’hui une attention particulière. Cela parce qu’elle conditionne
dans une grande marge l’effectivité de ces droits. Comme il est souligné plus haut, on peut
mesurer la température de la prise en charge des droits culturels dans le contexte sénégalais en
tentant un diagnostic de leurs niveaux de garantie juridique.
Ø De l’état des lieux des droits culturels au Sénégal
· Les sources conventionnelles des droits culturels au Sénégal
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer :
-
La convention sur la protection du patrimoine culturel mondial naturel, signée à Paris le
16 décembre 1972 et ratifiée par 11 juillet 1976.
-
La convention sur les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation,
l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels, adoptée à Paris le 14
novembre 1970, et ratifiée le 09 décembre 1984.
-
La convention sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé, adoptée avec
son règlement d’exécution le 14 mai 1954 à La Haye. Le Sénégal y adhère le 17 juin
1987.
-
La convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel adoptée à Paris le 17
octobre 2003, et ratifiée le 05 janvier 2006.
-
La convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,
adoptée à Paris le 20 octobre 2005, et ratifiée le 07 novembre 2006.
-
La convention universelle de Genève sur le droit d’auteur du 06 septembre 1952. Le
Sénégal y adhère le 09 avril 1974.
-
L’acte de Paris du 24 juillet 1971 révisant la convention de Berne du 09 septembre 1886
sur la protection des œuvres littéraires et artistiques. Le Sénégal y adhère le 09 avril 1974.
-
Le protocole annexe 1 à la convention universelle de Berne sur le droit d’auteur, révisée
à Paris le 24 juillet 1971 concernant les œuvres des personnes apatrides et des réfugiés.
Le Sénégal y adhère le 09 avril 1974.
-
Le protocole annexe 2 à la convention universelle de Berne sur le droit d’auteur, révisé à
Paris le 24 juillet 1971, et concernant l’application de la convention aux œuvres de
certaines organisations internationales. Le Sénégal y adhère le 09 avril 1974.
-
Le Pacte international des Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques du 16
décembre 1966, ratifié le 13 février 1978: article 18 et article 19 paragraphe 2.
-
Le Pacte international des Nations-Unies, relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels du 16 décembre 1966, ratifiée le 13 février 1978: article 1er, article 13, article
15
-
La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale du 07 mars 1969, ratifiée le 09 avril 1972 : article 5
· La dimension constitutionnelle de protection des droits culturels
.
Au niveau du préambule, les droits culturels sont expressément visés par le constituant
originaire. Pour bien illustrer leur présence, on peut en rendre compte de façon pragmatique.
Dans son paragraphe 1e,
«Le
peuple souverain affirme son attachement profond aux valeurs
culturelles fondamentales qui constituent le ciment de l’unité nationale». La correspondance
«valeurs culturelles», et «ciment de l’unité nationale» étant fort suffisante pour mettre en exergue
l’importance de la promotion des droits culturels.
Dans le 3e paragraphe la «faculté créatrice» est visée comme corollaire de «la liberté individuelle
et du respect de la personne humaine» qui, cumulativement constituent à leur tour les moteurs de
«la construction nationale».
Le préambule, c’est aussi un ensemble de conventions portée universelle ou régionale intégré en
son sein et ayant des dispositions protectrices de certains droits culturels.
D’abord la Déclaration Universelle du 10 décembre 1948 : l’article 27.
Ensuite la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981, en ses articles
17, 22 al.1.
Enfin la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989, signé à New
York et ratifiée par le Sénégal le 20 janvier 1990. article17 paragraphe.1, article 14 paragraphe 1,
article 24 paragraphe 1, article 31 paragraphe 1, article 28 paragraphe 1, et article 29 paragraphe
1, a, b, c, d.
Toujours aux termes du Préambule, Le Peuple sénégalais souverain proclame la compatibilité
du sacro-saint principe constitutionnel de l’intégrité du territoire national et de son unité d’avec
le respect des spécificités culturelles de toutes les composantes de la Nation.
Il proclame aussi, dans ce même Préambule, le respect des libertés fondamentales comme base de
la société nationale. Dans le catalogue de ces libertés dites fondamentales figurent en bonne place
les libertés culturelles (Cf. art. 8 de la Const. de 2001).
Enfin Le Peuple sénégalais souverain proclame, dans le Préambule l’interdiction de la
discrimination dans l’accès des citoyens à tous les niveaux d’exercice du pouvoir, et dans l’accès
aux services publics ; ces discriminations pouvant être d’ordre culturel (exemple si elles sont
fondées sur des préjugés ethniques, religieuses ou même raciales).
Dans le texte stricto sensu de la Constitution de 2001, on distingue essentiellement quatre
niveaux de consécration des droits culturels : au niveau de l’article premier, de l’article 4, de
l’article 5, et au niveau du titre 2 qui, comme on l’a souligné plus haut, regorge l’essentiel du
régime constitutionnel des droits culturels.
L’article 8 du titre 2: «La République du Sénégal garantit à tous les citoyens les libertés
individuelles fondamentales, (…), ainsi que les droits collectifs». Parmi ces libertés et droits on
dénote les libertés culturelles, les libertés religieuses, les libertés philosophiques, le droit à
l’éducation, le droit de savoir lire et écrire, le droit de propriété, le droit à la santé, le droit à
l’information plurielle.
L’article 10 aborde du droit à la libre expression et diffusion de ses opinions par la plume, la
parole, l’image.
L’article 11 pose quant à lui que «la création d’un organe de presse pour l’information culturelle
et scientifique est libre et n’est soumise a aucune autorisation préalable».
L’article 12 consacre le droit de libre constitution d’associations a vocation culturelle.
L’article 15 garantit le droit de propriété, un droit sans lequel il est impossible de garantir
certains types de droits culturels, comme par exemple le droit d’auteur.
Les articles 21, 22, et 23 consacrent le droit à l’éducation,
L’article 24 garantit les libertés et pratiques religieuses ou cultuelles, ainsi que la profession
d’éducateur religieux.
Les articles 7 et 9, énoncent respectivement le droit de toute personne à la liberté et au libre
développement de sa personnalité (art.7 al. 2), ainsi que la punition par la loi de toute entrave
volontaire à l’exercice d’une liberté (art.9 al.1).
L’article 102 de la Constitution de 2001 nous semble un dispositif de grande portée dans
l’ambition de promouvoir et de protéger les droits culturels sur toute l’étendue du territoire
national.
Ø Évaluation des droits culturels
Le caractère circonstancié de la description précédente ne doit surtout pas faire méprendre sur
les insuffisances qui sont enregistrées en matière de garantie et promotion des droits culturels.
Pour rendre opératoire et effectif les droits culturels, il faut plus que de simples instruments
juridiques. D’autres facteurs peuvent être tout autant décisifs dans la promotion des droits
culturels.
Mais une politique publique de promotion des droits culturels se doit, pour bien aboutir, rompre
avec l’unilatéralisme décisionnel.
Aujourd’hui, les acteurs de la culture, sans exception doivent être associés à l’exécution des
politiques culturelles, chacun à hauteur de son rôle réel. Les pouvoirs publics, et sans doute ils
l’ont compris, ne peuvent jamais réussir le pari de faire observer les droits culturels sans s’inscrire
dans une dynamique de concertation. La large concertation de la tutelle avec les artistes
interprètes, les producteurs de phonogrammes comme de vidéogramme, à l’ occasion du vote de
la loi sur le droit d’auteur et les droits connexes en 2008, est l’exemple type de pratique à suivre.
Dans le domaine de la médecine traditionnelle, des voies de droit doivent être identifiées en vue
de permettre une meilleure conservation des secrets des vrais guérisseurs formellement identifiés.
Une meilleure sensibilisation doit être entreprise à l’ endroit des populations, dans le but de
mieux vulgariser les droits culturels dans tout leur champ.
La promotion des droits culturels, c’est aussi encourager la création, dans toutes ses dimensions,
chez les citoyens. C’est aussi miser sur les supports de communication de masse, tels les radios et
télévisions.
Aujourd’hui encore, la problématique du statut de l’artiste reste à l’état d’ambition. Sa
concrétisation aiderait à mieux protéger l’artiste, lui dont l’activité est si précieuse pour la
société.
La sauvegarde du patrimoine culturel, tant matériel qu’immatériel, doit rester une priorité pour
les pouvoirs publics de la culture.
Le partenariat promoteur privés et acteurs de la culture doit être vulgarisé. Même si a ce niveau il
faut veiller à rendre un tel partenariat équitable.
Pour une meilleure promotion des droits culturels, la culture doit rester l’affaire des masses.
Seule cette condition garantit aux droits culturels une promotion a grande échelle.
Les droits culturels, pour être bien suffisamment promus et protégés, ont besoin de bénéficier
d’un dispositif institutionnel efficace, ayant à cœur, de bien conduire les politiques culturelles à
sa charge. Aujourd’hui, un diagnostic critique du rôle de ces institutions peut aider à surmonter
les obstacles a priori dirimants.
Initier une réflexion sur les droits culturels est une préoccupation plus qu’essentielle. Comme
on vient de le souligner, depuis toujours, la promotion des droits dits culturels a buté sur certains
obstacles. Il est donc tant de se pencher avec sincérité sur les urgences en cette matière de
garantie des droits culturels. Mais cela ne peut se fera qu’avec la présence de tous les acteurs de
concernés. Et en ce sens, le parterre de personnes ressources de haute facture du secteur peut être
d’un apport inestimable pour ce qu’est des attentes de notre partage.
Ces brèves considérations sur les droits culturels, prétexte à l’ouverture des échanges du jour, se
sont voulues sobres et non exhaustives, à l’effet de laisser l’assistance, plus qualifiée, l’honneur
et l’expertise de rechercher les voies et mécanismes idoines à garantir les droits culturels.
En définitive, le destin des droits culturels au Sénégal, est certes loin d’être tragique, mais il est
encore tout à faire.
Joseph B. THIAW, doctorant en droit,
Chercheur associé et membre du GERCOP, UGB de Saint-Louis.