Protectora Galactica - Entreprise
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Protectora Galactica - Entreprise
3 - Le début des phénomènes De nos jours sur Terre (en Tunisie, à Djerba), exactement huit jours avant la catastrophe. Jean-Philippe Dauvillier, dit « JiPi », était en plein stress. Des flèches sifflaient autour de sa tête. Le ciel s’obscurcit, gronda et d’énor mes gouttes d’eau s’écrasèrent sur son visage. Surpris par ce déluge, il ouvrit les yeux. Sa première vision fut celle d’une bouteille d’eau, agitée par un moniteur tunisien riant aux éclats. « Tu faisai s un méchant cauchemar ! » déclara-t -il, j ustifiant ainsi sa blague bien intentionnée. JP se redressa et se leva du transat où il faisait la sieste. ‒ Ce n’est pourtant pas dans mes habitudes. Je vais faire un tour de kite pour me dé tendre. Pendant son assoupissement, un j ournal avait glissé de ses doigts et reposait à même le sable. Il l’avait récupéré le matin même, abandonné sur un siège de l’avion charter affrété par son club de vacances. Posé à son côté, traînait Le Camp des Sain ts, un roman acheté à l’aéroport avant son départ. Depuis quelques semaines, poussé par la réalité du bouleversement mi gratoire en cours, il venait d’acquérir la di mension d’une prophétie tout en passant pour une si mple chronique d'actualité. JP ramassa le livre et le rangea dans son sac marin à côté de son inséparable bouteille de pastis Bardouin, « le meilleur du monde » comme il ai mait à le répéter aux autres 53 kitesurfeurs de la base à qui il en offrait à chaque occasion d’apéro après les cou rs. En pliant le j ournal, il en profita pour j eter un bref coup d’œil sur les gros ti tres : « Aurores boréales au -dessus de Dj erba », « Perturbations atmosphériques et rupture des communications », « Paral ysie des places boursières », « Le système américai n Haarp pointé du doi gt », « Économie mondi ale en péril », « Le fuel de biosynthèse replace le pétrole ». Une guerre mondiale larvée avait débuté. C’était un conflit de civilisations et la reli gion était sa j ustification . De ce fait, la plupart des concern és ne s’en étaient pas vraiment aperçus ou en refusaient lâchement l’évidence. La préoccupation de JP était plus si mple : « Est -ce que cela allait encore ralentir le tourisme à Dj erba ? » Une petite île tunisienne où, pourtant, il ne se passait j amais rien de sérieux. C’était sa question principale, car il avait beaucoup d’amis dans ce paradis du tourisme économique où le kitesurf était si facile à pratiquer. La radio de la base devait encore faire des si ennes, car un moniteur désœuvré la tapotait énergique ment. Entre quelques crachotements JP parvint à saisir quelques bribes d’une vielle chanson d’Edith Piaf « L’hymne à l’amour ». Cela l’étonna, car cette situation s’était déj à produite le matin même dans le taxi qui le conduisait à l’aéroport. Puis l’ombra geux appareil sembla rendre l’âme en sifflant de colère. La brise ther mique s’ était établie. JP admi ra l’immense lagune dont la surface commençait à frémir . Devant ce spectacle dont il ne se lassait pas, les gros titres lui semblèrent de plus en plus anac hroni ques. Il décida d’oublier sur l’eau l’étrange cli mat de catastrophes reflété par ces suj ets. Il décolla son aile et laissa derrière lui la petite base nautique. Par habitude, il avait mis le cap sur Bordj Kastil. Il connaissait ce nom pour l’avoir tro uvé sur Windguru, lorsqu’il cherchait les conditions de vent de son spot favori. Le fort de Bordj Kastil se dressait au sud -est de l’île. Il passait pour Espagnol, mais avait été éri gé par les 54 Carthaginois lors des « guerres puniques ». Il se situait à l’extrémité d’une langue de sable protégeant la lagune et ses frayères des agitations marines. Les murailles de l’ancienne forteresse restaient solides mal gré les attaques du temps et de bien d’autres adversaires. Elles sembl aient observer l’ancienne voie romaine d’El -Kantara, un passage à sec reliant depuis des temps i mmémoriaux Dj erba au continent africain. Deux mille ans auparavant, en face de Bordj Kastil, se situait Meninx. C’était la capitale de l’île des lotophages et la résidence de Véda, une princesse phénicienne, incarnation pour certains de la déesse Tanit. Bien droit sur sa planche, JP se laissait tracter par un cerf volant aussi puissant qu’un bateau de ski nautique. Telle un papillon géant, l’aile volait à plus de vingt mètres au -dessus de sa tête. Une traînée éphémère sans cesse renouvelée marquait le passage de la planche d’un bouillon d’écume. La longueur et la persistance de cette trace donnait la mesure de la vitesse du déplacement. Personne n’était censé l’observer, mais JP s’i mposait l’inclinaison au ras de l’eau des bons kiteurs. Cette position garantissait une fière allure, mais devenait à la longue un peu fatigante. En revanche, elle s’avérait très efficace pour le maintien des abdomi naux. « C’est du sport et le prix à payer pour l’éléganc e, se consola -t -il. » À cinq ou six kilomètres de là, j uste devant l es ruines de Bordj Kastil, un 4x4 et une grosse four gonnette étaient dissimulés derrière des bâches de couleur sable. Plus d’une dizaine d’antennes, de paraboles et de dispositifs sophistiqués était disposée en ligne. Tout ce déploiement aurait pu paraître irréaliste en ces lieux, s’il avait été visible. La mission américaine mobilisait une demi -douzaine d’hommes et de femmes de la CIA. Les quatre spécialistes du renseignement scientifique se nommaient Jerry, Bill, Ted et Baker. Dans le 4x4 se tenaient Vance et Hale, deux agents de « support ». À l 'arrière de la fourgonnette, l’équipe technique observait de multiples écrans en grommelant contre « ce maudit kiteur » ! Il s étaient des experts dans des domaines 55 assez différents comme les fréquences, l e nucléaire, les lasers. Il y avait même un historien réputé. Les six agents communiquaient par des « prénoms de code masculins ». Jerry, le chef de la mi ssion, expri ma le premier son avis. ‒ L’expérience semble compromise. ‒ Ce n’est pas certain, répondit Bill, son adj oint et spécialiste des communications. Sans se douter de rien, JP continuait sa balade. Arrivé à Dj erba le matin même, sa valise à peine ouverte, JP s’était précipité à la petite base nautique qu’il app réciait et aidait à l’occasion. Le spot présentait des conditions idéales pour les débutants. Le plus agréable était certainement un vent régulier, touj ours supérieur de trois ou quatre nœuds à celui de la zone touristique d’Aghir, située pourt ant à moins de cinq kilomètres. Cette différence de vélocit é de l’air, bien utile au demeurant, restait un mystère. Auj ourd’hui, la brise était légère. JP avait donc sorti une vieille aile crossbow de sei ze mètres : l’arme ulti me en cas de « pétole ». Il avait touj our s aimé le côt é « pirate » des immenses têtes de mort croisées de tibia qui ornementaient ses deux extrémités. Sa planche était une flying carpet, particulièrement adapt ée à la glisse sur les zones d’eau peu profonde. JP navi guai t maintenant depuis pl us d’u ne heure et avait presque perdu de vue son point de départ. Sur une lagune quasi fer mée d’ une cinquantaine de kilomètres carrés, ce n’était pas un problème, car rien n’ était vrai ment dangereux. « Quelle que soit la direction du vent, j e reviendrai de toute façon sur une plage », se rassurait -il. De plus, même en plein milieu du plan d’eau, la profondeur dépassait rarement un mètr e. En cas de difficultés, pas besoin de nager, il suffisait de rej oindre à pied la terre ferme. Pour l’heure, la préoccupation de JP n’était pas la profondeur de l’eau mais plutôt son absence de profondeur. Il ne s’inquiétait absolument pas de l’aile, car elle oscillait sagement dans le ciel. La si mpl e pression de la barre, qu’il pilotait du bout des doi gt s , lui indiquait exactement la position de l’engin. Cela l’aut orisait à glisser lentement et lui per mettait d’obser ver les al gues et les 56 poissons. La profondeur de l’eau li mpide ne dépassait pas trente centimètres . … JP s’apprêtait donc à faire demi -tour lorsqu’un cliquetis retint son attention. Le bruit devait être assez fort ou assez proche, car la musique Métal du MP3 étanche fixé à ses lunettes ne l’avait pas totalement couvert. Machinalement, ses yeux se portèrent sur son aile. Il n’ y avait rien d’anor mal et la pression dans sa barre était constante. D’ailleurs, à y réfléchir, il n’ y avait aucune pièce dans l’ aile ou dans le bridage susceptibles de cliqueter. Intri gué, il ôta ses écouteurs. Le bruit se répéta fort et net. Plus de doute, il n’avait pas rêvé. Le cliquetis semblait de plus en plus proche. JP était étonné car autour de lui il n’y avait rien, à l’exception de petits poissons volants tentant de s’échapper. Ils sautaient hors de l’eau à l’appro che de sa planche qu’ils devaient considérer comme un rapide prédateur. Ce spectacle détourna quelques secondes l’attention qu’il aur ait dû porter à sa traj ectoire. … Comme sorti de nulle part, un homme apparut brutalement devant lui. Il se trouvait à moins de dix mètres. Dans un réflexe d’urgence, JP leva son aile pour ralentir, se balança en arrière pour changer de cap et « cranta » à mort pour éviter la collision. Il f rôla l’obstacle et la chute. À l’évidence, leurs surprises étaient réciproques. L’homme s’arrêta net et se retourna en vocif érant, dans une langue incompréhensi ble, ce qui paraissait être un ordre ou un avertissement. Pour tant, il n’y avait rien ni personne dans la direction où il hurlait. JP comptait passer derrière l’inconnu, « assez près pour l’observer en détail, mais pas trop près quand même ». La vitesse de l’aile lui donnait une petite assurance. Même en courant dans l’eau, le centurion ne serait pas assez rapide pour l’intercepter si l’envie lui en prenait. L’irréel reprit le dessus. Au moment même où il comptait relever l’aile pour ralentir, surgissant de nulle part, une troupe d’une di zaine 57 d’autres légionnaires f it son apparition. Les hommes étaient équipés de boucliers et détachaient maintenant les glaives et les arcs qu’ils portai ent au dos. De toute évidence, ils s’apprêtaient à combat tre. Comme la seule autr e présence était apparemment la sienne, JP opta pour l’éloignement rapide et vira à nouveau de bord en espérant ne pas chuter au plus mauvais moment. De toute façon, à choisir entre les glai ves ou la vase, la réflexion ne prenait pas de temps. Baissant son aile pour acquérir plus de puissance, il pou ssa son kite à fond et bascula sa planche presque à plat pour accélérer. Bien lui en prit, car quelques secondes plus tard, une flèche frappa l’eau devant lui. Il pria pour qu’il n’y ait pas d’autres archers en mesure de l’atteindre. Une seconde flèche le manqua de peu. La peur lui avait fait perdre toute for me de réflexion sophistiquée et sa pensée se li mitait à « encore un mètre, encore un mètre, encor e un mètre, … ». De mètre en mètre, il devait se tr ouver maintenant hors de portée, mais s’attendait désor mais à tout . L’esprit aux aguets, il scrutait avec intensité l’environnement, crai gnant de se trouver de nouveau face à des dangers aussi surprenants qu’irrationnels. Pui s brutalement, il fit face à l’inimaginable. Devant lui, à gauche vers le lar ge, des navir es brûlaient. Des centaines d’hommes pataugeaient, hurlaient, s’affrontaient et mour aient dans un combat dantesque. JP s’aperçut alors qu’il fonçait droit vers un groupe de combattants, ou plus exactement de combattantes. Les guerrières venaient de pr endre conscience de sa présence. Il cranta pour modifier son cap et par vint à les éviter. Il s’écarta même suffisamment pour passer une vingtaine de mètres devant elles. Il avait vaguement conscience d’un étrange danger , mais ne put s’empêcher d’ admirer : « Ces filles sont magnifiques, on se croirait dans un film. » C’était la garde personnelle de la Princesse Véda. Les Amazones s’apprêtaient à affronter la deuxième li gne des envahisseurs romains. Habillées à l’identique, elles portaient une tunique de cuir noir et une j upe frangée de t ype 58 spartiate. Leurs j ambes nues étaient gainées des lanières destinées à tenir les sandales dont elles s’étaient débarrassées pour manœuvrer plus rapidement dans l’eau. Fixé à leur bras gauche, un bouclier circulai re doté de crocs métalliques acérés ét ait décoré du symbole de la déesse Tanit. Une ceinture argentée supportait le fourreau d’un puissant glai ve et leur s visages menaçants étaient couverts par des peintures de guerre. Elles semblaient fixer quelque chose en l’air et de leur main droite gantée de cuir, elles brandissaient un arc gigantesque dont elles frappaient leurs boucliers en scandant : « Horus ! Horus ! Horus ! » Au centre du premier rang, la générale Monroe semblait s’amuser de la situation et conversait avec la capitaine Brigit. Soudain elle se crispa et cessa de sourire. Elle venait de recevoir un ordre psychique. Pointant son doigt derrière JP, elle commanda aux escouades de premières li gnes : « Abattez ces Romains ! » Une volée de fl èches s’envola dans le chuintement glacial de la mort qu’elles portaient. JP avait autre chose à faire qu’à obser ver le r ésultat car il se dirigeait maintenant vers un i mposant groupe d’hommes en ar mes. Sans plus attendre, il engagea un vir age assez lar ge pour ne pas ralentir. Da ns son esprit, une unique pensée tournait en boucle : « Il faut que ça passe, il faut que ça passe, … » et ce fut le cas. Lors de ce virement, JP avait perdu une di zaine de mètres au vent. En revanche, côté positif des choses, tous les Romains maint enant d evant lui gisaient hors de combat. Dépendant du vent, JP n’avait pas le choix de son cap, il devait repasser devant les guerrières. Il balança son aile pour prendre de la puissance et la releva rapidement. Le papillon géant à têtes de mort survola les j eun es femmes en frôlant leurs casques. Elles ne paraissaient pas inquiètes et regardaient évoluer ce qu’elles devaient prendre pour un tapis volant. Tout en obser vant les manœuvres, elles frappaient leurs boucliers de leurs arcs en scandant maintenant : « Ul ysse ! Ul ysse ! Ul ysse ! » Monroe était touj ours à l’avant de la troupe. Fière du succès balistique des flèches tirées par ses Amazones, elle 59 avait réar mé son arc et son sourire. Elle était magnifique. Sa tenue mettait en évi dence de longues cuisses musclé es et une poitrine généreuse. Elle devait mesurer près d’un mètre quatre -vingts. Blonde, avec une touche de châtain clair, ses yeux étaient d’un bl eu si intense qu’ils en paraissaient irréels. JP décida de saluer la troupe. Pour l’élégance du geste, il avait ôté sa casquette qu’il balança dans un mouvement ample du bras gauche. En passant devant Monroe, il ne put s’empêcher de fixer intensément la guerrière de fantasme. L’Amazone soutint son regard avec l’air engageant de la mante reli gieuse devant un mâle et son pet it déj euner. JP allait conserver longtemps le souvenir cette vision de rêve. Les Romains qui continuaient à progresser allaient même avoir la chance de l’emporter dans leurs tombes. 60