John Harrison… 250 ans plus tard
Transcription
John Harrison… 250 ans plus tard
John Harrison… 250 ans plus tard par Michel Marchand Rarement dans toute l’histoire de l’humanité a-t-il été permis à des gens, vous et moi d’essayer de rétablir un fait historique et de rendre justice à un génie de grand talent. Lecteurs, lectrices, donnons suite à une tortueuse et sombre histoire qui a marqué une page importante dans l’histoire du monde et tenez-vous bien après les appuie-bras de votre chaise car le récit qui va suivre dépasse l’entendement. Commençons en grande pompe : J’ai le plaisir sinon l’immense honneur de vous présenter M. Daniel Harrisson, (un jardinier résidant à Sainte-Angèle-de-Laval, par surcroît, et ce n’est pas rien, mon village) qui par une extraordinaire coïncidence serait avec grande probabilité le descendant direct de John Harrison, l’inventeur du chronomètre de marine. Un homme qui a été spolié, humilié par des êtres cupides dont la capacité intellectuelle était pourtant, bien au-dessus de la moyenne. Un homme grand, svelte, de bonne charpente arrive un jour chez moi pour me rencontrer. Il tend sa main et se présente: «Daniel Harrisson, je demeure au bout du village; je suis un producteur d’hémérocalles». «Enchanté», lui-dis-je et «Qu’est-ce que je peux faire pour vous, M. Harrisson»? «J’ai entendu dire que vous fabriquiez des cadrans solaires et j’aimerais m’en procurer un». Fig. 1 Photo de Monsieur Daniel Harrisson À franc parler, je connaissais de renom ce Monsieur Harrisson car des amis travaillaient pour lui dans ses champs d’hémérocalles (Note 1). Ils disaient de lui, qu’il était un bon patron. On disait aussi qu’il cultivait par croisement, des plantes d’une grande rareté et que son marché s’était étendu bien au-delà des limites de notre village. Il avait su faire sa marque en peu de temps par des conférences dans quelques universités et organisations horticoles portant sur la génétique des hémérocalles; c’était disait-on et de loin, un chercheur passionné et un horticulteur de grande valeur. Il pose de nombreuses questions quant au fonctionnement de l’ombre sur la pierre, la manière de la placer selon les points cardinaux etc. Cela m’amène à penser qu’il veut se procurer plus qu’une simple parure de jardin. Je vois dans son regard un émerveillement spontané, une fascination de tout ce qui entoure mon univers de cadranier et je vais immédiatement à la présentation de mes pièces maîtresses, mes cadrans taillés dans les plus belles ardoises. Fig. 2 Un exemple d’hémérocalle 26 Le Gnomoniste Michel Marchand Volume XV numéro 3, septembre 2008 « Je reviens demain avec mon épouse et des amis », me dit-il; « je veux qu’ils voient votre atelier et votre jardin ». « D’accord, à demain » et il repart dans sa camionnette. Entre temps, un drôle de sentiment commence à m’habiter; il me semble que j’ai déjà vu ce type, me dis-je. Mais pas plus et la terre ayant fait un tour complet sur elle-même, demain arriva bien par arriver et une grande auto entra dans mon stationnement. Quatre personnes en débarquèrent, M. Harrisson accompagné de son épouse et deux amis. On discuta de pierres, de cadrans, de prix, de délai de livraison, enfin, d’activité commerciale normale et je les invitai à faire le tour du propriétaire. On examina les plantes, la serre, les arbres puis, je l’invitai au deuxième étage de mon atelier. Encore là, regardant sa physionomie, quelque chose me chicotait; mais où ai-je vu ce type me demandais-je une seconde fois? Puis naturellement, il s’immobilisa devant mon astrolabe et me demanda son fonctionnement. Je lui parlai des angles du soleil, de l’étoile polaire, des octants et sextants de bois en construction accrochés ici et là à divers clous et crochets de mon atelier. Ensuite, à la blague, je lui mentionnai le nom de John Harrison, le célèbre inventeur du chronomètre de marine : « Le connaissez-vous, Monsieur Harrisson ce fameux John Harrison?» « Non », me dit-il du haut de ses 6 pieds (1m83). « Mais peut-être est-il de votre lignée car si tel est le cas », dis-je à la blague, « vous pourriez hériter d’une petite fortune » en pensant à la fameuse dote que le Roi avait promis à celui qui règlerait une fois pour toute cette épineuse question des longitudes. Un petit rire et il dit: «mais non je n’ai jamais entendu parler de lui». On redescend à l’étage de l’atelier, je lui serre la main, et tous se dirigent dans le stationnement pour repartir. Mais, j’ai toujours cette image derrière la tête, ce questionnement qui me dit que j’ai déjà vu ce type quelque part mais où? Puis, regardant s’éloigner l’auto, … comme un coup de froid, traître,… subit, …à en prendre une pleine rasade de « vipérine », le poil me dressant sur les bras et la chair de poule : « le livre, le livre des longitudes », dis-je à voie haute. Affolé et grimpant les marches trois par trois de la galerie arrière de la maison, j’entre à toute vitesse pour me diriger vers la bibliothèque. Ma femme sursautant de peur s’imagine que je me fais courir par le chien enragé du voisin, un molosse à l’allure du terrible dogue de Bordeaux, la chatte m’évite de justesse et va se cacher derrière un canapé, persuadée elle aussi qu’un terrible événement allait se produire. Elle n’avait pas tout à fait tort car un terrible événement allait bien se Volume XV numéro 3, septembre 2008 produire au pied de ma bibliothèque, ma maison, mon village; un fait historique qui probablement allait secouer l’Angleterre tout entière et j’avancerais même tout le Royaume–Unis et puis tiens, n’y allons pas de main morte : le Commonwealth au grand complet. La main tremblante, la gorge sèche, du bout de l’index, je touche le livre de Dava Sobel (Note 2) intitulé « Longitude » et je regarde attentivement sur la page couverture du best-seller, le visage de John Harrison dans son habit rouge, assis, le chronomètre à la main. La figure de l’homme, ce sourire, les lèvres minces, l’ossature de ses joues, la forme de la paupière de l'oeil droit mais surtout cette expression de l’homme qui se dégage de cette toile peinte par Thomas King en 1765. Je savais maintenant ce que le sourire de Harrison peint sur le tableau du maître signifiait. «C’est lui mais c’est lui, » dis-je à haute voix, me tournant vers ma femme. «As-tu vu le Monsieur dans la cour» espérant de tout cœur qu’elle me dise oui, «je l’ai entrevue à travers la fenêtre…les rideaux mais pas plus» me ditelle «mais c’est lui, regarde, regarde, c’est lui», dis-je, en lui tendant le livre. Mais comme Harrison sur la photo a une perruque sur la tête et que cette représentation date de plusieurs siècles, ma femme commençait à s’inquiéter de moi. «Mais non, mais non, je ne suis pas fiévreux» tentai-je de lui dire, «regarde, c’est la copie conforme du type qui vient de partir d’ici, c’est son jumeau, aucune erreur possible, c’est son sosie, il n’y a même pas à en douter.» la regardant bien dans les yeux pour la convaincre sans l’ombre d’un doute, je prends un grand respire et je lui dis : «Ils ont le même nom: Harrisson, c’est un Harrisson et lui aussi c’est un Harrison» lui montrant la photo de ma main. Je n’avais plus de mots, il fallait des preuves, il fallait que quelqu’un d’autres me dise que cet homme ressemblait à John Harrison. Photo dans le scanner, j’agrandis, je découpe, je fais plusieurs dimensions au portrait et je pars, l’accélérateur au plancher, à la recherche de gens qui le connaissent bien, qui le côtoient. Cela fait tellement longtemps que je lis tout ce qui existe sur John Harrison, que je ne cesse d’amasser les informations sur le génie, et voilà qu’il m’apparaissait en plein visage, sans avertissement; la coupe débordait! Sainte Angèle de Laval est un tout petit village; et le bruit du crissement des pneus de mon véhicule ainsi que l’odeur de caoutchouc brûlé alertent la population. Mon talent de fin limier ne tardera pas à se révéler. Bruno, un ami, connaît bien M. Harrisson. Et quand je lui montre le dessin quoique légèrement embrouillé, il reste figé : « fascinant et incroyable » me dit-il. Michel Marchand Le Gnomoniste 27 Monsieur Leblanc, un travailleur engagé à désherber ses champs : « stupéfiant, c’est pareil, je le reconnais, c’est lui, c’est certain. » La conseillère de la Caisse Populaire Desjardins n’en fait ni une ni deux ,et elle est catégorique : « c’est lui ». Dernière personne rencontrée en toute hâte : une de ses employées actuelles: « Wow » s’écria-t-elle, «c’est pareil ». Il fallait maintenant rencontrer l’homme et lui demander la permission d’ameuter l’opinion publique, de l’interviewer, de le bombarder de clichés, tant au naturel et déguisé en John Harrison pour faire un comparatif, de lui demander une mèche de ses cheveux et pourquoi pas une pleine fiole de son sang pour faire, sait-on jamais, un prélèvement d’ADN afin de comparer la signature génétique prise sur des cheveux ou fragments d’os de John Harrison, s’il en existe. L’homme est on ne peut plus enjoué de la situation et consent de grand cœur à collaborer à tout ce que je lui demanderais. Passer GO! , collectez à la caisse Si j’ai bien saisi l’historique de l’histoire du chronomètre de marine, il ne fait pas de doute que John Harrison a eu quelques difficultés pour obtenir son dû suite à quelques tiraillements occasionnés entre autre par ses ennemis naturels tout au long de sa vie. Quand on sait que H-1 (Note: 3) avait la précision souhaitée par le bureau de la longitude, il aurait dû recevoir cette fabuleuse prime en 1758, sur-le-champ, sans discussion mais que cela a traîné jusqu'en 1773 pour ne recevoir enfin que la moitié de la prime de 20,000 pounds qui lui revenaient de droit, soit en fait 10,000 pounds. Alors nous sommes en droit de nous poser la question suivante : Si les 20.000 pounds avaient été déposées à la Banque d’Angleterre en 1758, quelle serait la somme avec intérêts courus que M. Daniel Harrisson, jardinier d’hémérocalles de son état et ses descendants pourraient encaisser? Personnellement, je n’en ai aucune idée car je ne suis pas actuaire. De toute façon, M. Harrisson n’est pas intéressé par l’aspect pécuniaire de cette rocambolesque histoire. Et si tout cela s’avérait faux, pourquoi ne demanderions-nous pas, tous, réparation post-mortem et remettre une somme d’argent bien raisonnable et symbolique à un organisme de charité car John Harrison le mériterait bien, lui qui est aimé de toute l’Angleterre et n’est-il pas pour nous, Cadranier, un peu le père des cadrans solaires corrigés en longitude ou du moins ne lui devons-nous pas leur grande précision. 28 Le Gnomoniste Fig. 3 Portrait de John Harrison par Thomas King. Harrison ( 1 6 9 3 1776). Fig. 4 Photo du premier chronomètre de marine, connu sous le nom de H-1 fut terminé en 1735 et nécessita 5 ans de travail. Mais, n’en doutez point, la plus grande richesse dans tout cela, c’est lorsque je parle à M. Harrisson du bout du village et que je le vois sourire, je revois en lui, John Harrison dans son habit rouge exactement comme sur la toile du peintre, exécutée voilà quelques siècles, posée sur un mur de l’ancien observatoire royal. John Harrison, tout à coup redevient vivant. La peinture devient familière comme une photographie prise la veille et fait en sorte que le poids des ans s’efface, se dissipe. Je crois bien que dans l’éventualité que tout cela soit vrai, il conviendrait pour l’Angleterre de faire en sorte d’ériger une sorte de Musée en la mémoire de John Harrison en terre d’Amérique. Le meilleur endroit serait probablement les terrains de M. Daniel Harrisson, lui-même, au beau milieu de ses champs d’hémérocalles. Pouvez-vous imaginer le plaisir et la curiosité des gens qui ont visité les musées d’Angleterre, qui ont suivi un temps soit peu l’histoire de John Harrison et les longitudes et qui auraient la possibilité de rencontrer son descendant jusqu’à maintenant inconnu et de lui serrer la main. Peut-être même que M. Harrisson serait-il enclin à revêtir afin de recevoir ces touristes, un bel habit rouge et une perruque comme on voit sur les tableaux et gravures officielles représentant le génie. J’irai jusqu’à dire que Westminster Palace aurait Michel Marchand Volume XV numéro 3, septembre 2008 l’obligation morale de l’accueillir, au moins une fois en son enceinte, ou lors de la rentrée des travaux parlementaires sous une salve d’applaudissements. Revenons un peu sur terre, Daniel Harrisson, des Hémérocalles de l’Iles, est natif de Matane au Québec. Il est complètement francophone et ne connaît rien à la langue de Shakespeare. Pour moi la coïncidence est trop frappante, et Daniel Harrisson est l’héritier attendu. Les faits ne finissent plus de nous étonner : M. Harrisson n’est pas diplômé, il a appris seul; c’est une autre similitude avec John Harrison qui était autodidacte. On ne peut affirmer que les recherches de M. Daniel Harrisson sur les plantes ont autant d’importance que l’avènement du chronomètre de marine mais personne ne connaît l’avenir car s’il est vraiment comme je le pense, de la lignée de John Harrison, le génie que nous connaissons tous, certainement qu’il aura la capacité, sait-on jamais, de trouver dans ses cultures d’hémérocalles, un élément qui pourrait aider l’humanité. Et s’il se met en tête de trouver un gène qui pourra venir à bout du H5N1, ou du VIH, contre toute attente et au grand désespoir des chairs de recherche médicales, cela pourrait bien être celui par qui le médicament arrivera. Notes: (1)Ce tableau est tiré du livre «DAYLILIES THE BEGINNER'S HANDBOOK» publié par The Amrican Hemerocallis Society. (2)Dava Sobel & William J.H. Andrewes, THE ILLUSTRATED LONGITUDE, The True Story of a Lone Genius Who Solved the Greatest Scientific Problem of his Time, A Penguin Book, 1995, 1998, ISBN 0-14-301625-3. (3) The first of Harrison’s series of five sea-clocks (chronometers) was completed in 1735. The major improvement was that the pendulum originally used in the clock was replaced by a balance spring with two 5 pound weights connected by brass arcs. When the clock was tilted or turned by the movement of the sea, the weights attached will balance the spring and any particular movement communicated to one balance will be automatically counteracted by an equal and opposite movement of its opposing counterpart. The chronometer weighed 72 pounds. When the chronometer was put to a sea trial, it was relatively successful, losing only 3 seconds in 24 hours. However, Harrison decided that H1 could not be further improved and abandoned working with it turning his attention instead to the design and manufacture of H2. Voir le site Web suivant http://www. math.nus.edu.sg/aslaksen/gem-projects/hm/0203-110-instruments/chronometer.htm Volume XV numéro 3, septembre 2008 Michel Marchand Le Gnomoniste 29