Droit des contrats : les directions juridiques prennent le virage de la

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Droit des contrats : les directions juridiques prennent le virage de la
Droit des contrats : les directions juridiques prennent le
virage de la réforme (3/3)
14/03/2016
Si elles envisagent de revoir ici ou là leurs clauses contractuelles, c'est surtout un changement de type
comportemental qu'elles appréhendent. Cinq directions juridiques analysent pour nous les évolutions
qu'elles souhaitent opérer. Cet article est le dernier de notre série dédiée aux réactions des juristes à la
réforme.
Les directions juridiques n’envisagent pas de revoir l’intégralité de leurs contrats à la lumière du code civil
modernisé. Les nouveaux numéros d’articles seront introduits et certaines clauses contractuelles révisées.
Leur défi se situe davantage dans le changement à initier des comportements des opérationnels qui
travaillent la matière contractuelle.
Pas de remise à plat des contrats
« A 90 % l’ordonnance reprend des règles et solutions de droit positif », estime Antoine Arsac, juriste au
sein de la direction juridique de Natixis. Au-delà des nouvelles références textuelles au code civil que les
contrats devront contenir, peu de changements de fond sont donc - pour le moment - prévus. Même
constat du côté d’Accor et de Goodyear. Ce sont plutôt des modifications de clauses que les directions
juridiques anticipent. Chez Goodyear on a déjà « identifié les clauses des contrats qui seront
potentiellement impactées », indique François Colin de Verdière, le directeur juridique Western Europe du
groupe, car sa direction suit depuis longtemps la réforme (voir notre article). Accor envisage de travailler,
de son côté, à la rédaction d’un clausier, avec l’aide d’un cabinet d’avocat, qui reprendra les principales
modifications à apporter aux contrats du groupe. La direction juridique corporate n’est pas trop inquiète
quant à la lourdeur du travail à opérer : « il ne devrait pas y avoir énormément de clauses à modifier par
rapport à notre pratique actuelle », analyse Jaïro Gonzalez, le directeur juridique de la direction corporate
et supports internationaux du groupe hôtelier.
Quels sont les sujets de la réforme qui pourraient avoir un impact sur les clauses contractuelles ? Toutes
les directions juridiques énoncent les mêmes thèmes : le devoir général d’information (article 1112-1),
l’abus de dépendance (article 1143), la question du déséquilibre significatif (article 1171), la théorie de
l’imprévision (article 1195), et les conditions de résiliation des contrats.
Les directions juridiques appréhendent positivement certains éléments du nouveau code civil. S’il est « un
peu tôt pour le dire, se servir de l’exception d’inexécution pourrait être profitable, dans certains cas »,
souligne Valérie Valais, Senior Director - Affaires publiques - de Dassault Systèmes. De la même manière,
la disposition qui permet à une partie de suspendre l’exécution de son obligation (article 1220) est « un
article qu’il faudra creuser », estime Antoine Arsac. Un troisième sujet se révélerait intéressant pour la
banque Natixis. La possibilité de céder une créance sans avoir recours à la signification va assouplir les
procédures : « Nous ne serons plus obligés de passer par un ministère d’huissier », explique-t-il.
Intégrer les nouveaux articles du code civil
Dans ce cadre, des réalisations concrètes sont déjà à mettre au bénéfice de certaines directions juridiques.
« Une table de concordance entre les anciens et les nouveaux articles du code a été réalisée sur la base
de l’avant-projet. Nous n’avons plus qu’à la faire légèrement évoluer », nous indique Valérie Valais. La
nouvelle numération des articles du code civil sera, en effet, à intégrer au sein des futurs contrats. Chez
Natixis, on réfléchit à conserver pendant quelques années la référence aux anciens articles du code en
marge des nouveaux. « C’est plus parlant » et ils « disparaîtront naturellement » une fois les nouvelles
références digérées par les praticiens, invoque Antoine Arsac.
Ajuster son comportement en amont et en aval
Au-delà de ces modifications textuelles, c’est dans le comportement des entreprises que les ajustements
vont devoir être trouvés. « Il y a beaucoup d’éléments de comportement à considérer et à ajuster »,
estime Rémy Rougeron, le directeur juridique du groupe Thales. Car le code civil renforce le principe de
bonne foi, recherche un meilleur équilibre entre les parties au contrat, exige plus de transparence via une
meilleure information entre les futurs cocontractants. « Il faut s’imprégner du nouveau texte et coller à son
esprit », poursuit-il. « Il faut repenser la façon dont se construisent les relations commerciales », précise
François Colin de Verdière. « L’idée est de rechercher le bon équilibre contractuel afin de prévenir les
contentieux », poursuit-il.
Un changement de type comportemental qui concerne tant la phase précontractuelle que d’exécution du
contrat. « Le juge aura plus de pouvoirs. Il faudra s’assurer qu’il ne puisse remettre en cause l’exécution
de certains de nos contrats. Le suivi de nos engagements contractuels sera plus important », note Valérie
Valais. « Il sera nécessaire d’être plus vigilant », analyse aussi Jaïro Gonzalez. « Nous devrons repenser la
façon dont nous allons gérer la vie de nos contrats », poursuit François Colin de Verdière.
La formation des opérationnels (voir notre article) prend, dès lors, tout son sens : « Il est important de les
sensibiliser au mieux afin qu’ils anticipent les demandes des clients », estime Antoine Arsac. Deux thèmes
reviennent souvent : celui du devoir général d’information et de l’exécution du contrat. Jaïro Gonzalez
explique que les opérationnels devront être formés à la gestion de la preuve dans le cadre du devoir
général d’information, qui passe par « la conservation de copies des échanges d’e-mails » avec le futur
cocontractant par exemple. « Ce sont des réflexes qu’ils n’avaient pas forcément par le passé. Ils ne sont
pas autant sensibilisés à cette problématique qu’ils le seront demain », explique-t-il. De son côté, François
Colin de Verdière note qu’« iI convient de les informer sur les différentes opportunités offertes par le
texte ; notamment pour prévenir les conflits ». Car « il existe de nouvelles opportunités en cas
d’inexécution contractuelle notamment au travers de la résolution unilatérale, de l’exception d’inexécution
ou de la réduction du prix pour prestation imparfaite », poursuit-il.
Les directions juridiques restent prudentes. « C’est à l’utilisation de ce nouveau droit que l’on mesurera
l’impact de la réforme », analyse Rémy Rougeron. « Nous n’avons pas encore suffisamment de recul et
avons encore besoin de temps pour digérer la réforme, la jurisprudence aura un rôle important à jouer »,
précise Jaïro Gonzalez. Il y aura, sans nul doute, du contentieux à venir.
Quels seront les contrats impactés ?
Du côté de Thales et de Dassault Système, on réfléchit à modifier les
contrats-types de l’entreprise. Après analyse de l’ordonnance, « se
posera la question de savoir s’il est recommandé ou non de modifier
nos contrats-types », précise Valérie Valais, notamment en
s’intéressant au caractère supplétif ou d’ordre public des articles du
code civil. Chez Natixis, une « réflexion est menée » sur l’évolution
des contrats-cadre de la banque, indique Antoine Arsac. Tandis que
Goodyear va apporter les révisions nécessaires à ses conventions
d’affaires uniques. Enfin, le géant du pneu procédera à
la modernisation de ses modèles contractuels qui sont intégrés au
sein de ses programmes de contract management. La direction
juridique corporate d’Accor se sent moins impactée par la réforme
que d’autres. Leurs contrats passés avec des partenaires étrangers
sont souvent soumis à un droit autre.
► Retrouvez le premier et le second volets de notre série.
Sophie Bridier
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ge-de-la-reforme-33