Jeudi 31 août 2006 Interview: économiste et ancien ministre libanais
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Jeudi 31 août 2006 Interview: économiste et ancien ministre libanais
Jeudi 31 août 2006 Interview: économiste et ancien ministre libanais des finances Georges Corm : Le coût du conflit ne devrait pas dépasser 3,5 milliards de dollars Avant même d'espérer une paix durable au Liban, les chiffres les plus divers circulent sur le coût de la reconstruction. Ils varient de 3 milliards de dollars à 15 mil¬liards. Qu'en pensez-vous ? Cette dernière évaluation est farfe¬lue, mais ce genre d'exagération est courant après un conflit. Avant même d'avoir le moindre relevé statistique, on a tendance à gonfler les chiffres. Pour dramatiser un peu la situation avant une conférence de grands pays donateurs, tenir compte des promesses non tenues, des retards inévitables dans le dé¬boursement des aides ou des lour¬deurs administratives. Et certaines organisations internationales font des estimations coûteuses, notam¬ment pour les études d'évaluation des projets de reconstruction. En fait, si l'on tient compte de deux mois d'arrêt d'activité, des destructions d'infrastructures et de patri¬moine immobilier, le coût du conflit ne devrait pas dépasser 3,5 milliards de dollars. Le Liban est un tout petit pays et son PNB atteint seulement 20 milliards de dollars... Et rappe¬lez-vous que le coût de la reconstruc¬tion des quinze années de guerre qui se sont terminées en 1990 n’a pas dépassé 7 milliards de dollars. Le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, propose un « par¬rainage » des projets par les Etats et le secteur privé. En quoi cela consiste-t-il, concrètement ? Il s'agit surtout d'un enrobage poli¬tique. Cela peut permettre par exemple à une grosse multinatio¬nale européenne de s'entendre avec une entreprise privée locale bien placée politiquement... Per¬sonnellement, je crois beaucoup plus à un jumelage entre collectivi¬tés locales européennes et liba¬naises, par exemple, pour aider à la reconstruction des villages détruits dans le Liban sud. D'expérience, les projets décentralisés sont plus effi¬caces et moins onéreux. Comment répondre à l'urgence du million de Libanais déplacés par les combats et qui, faute d'aide, peuvent constituer une bombe à retardement sociale et politique ? Le Hezbollah a réagi avec une rapi¬dité extraordinaire en faisant reve¬nir les réfugiés dans leurs villages, même détruits, afin de désamorcer la bombe à retardement que repré¬sentait leur présence dans des écoles, des mosquées, des églises, des jardins publics, le tout dans des zones non chiites. Le Hezbollah y a ajouté le travail direct, rapide et efficace de ses ONG qui ont distri¬bué une aide matérielle aux familles dont les maisons ont été détruites. D'où vient le financement de cette aide ? Pas uniquement de l'Iran. Beau¬coup de riches Libanais du Sud et de la Bekaa qui ont fait fortune en Afrique ou ailleurs ont donné de l'argent. Et s'il fallait attendre la lourde bureaucratie de l'Etat, on n'en aurait jamais fini: il existe depuis la fin de la dernière guerre une Caisse des réfugiés qui a fait l'objet de scandales innombrables et a mis quinze ans à débloquer des réparations selon des critères opaques. Des décaissements qui ne sont pas encore terminés! L'image économique du Liban ne va-t-elle pas être ternie par le conflit actuel ? Si je suis inquiet pour l'avenir poli¬tique de la région et du Liban, je ne le suis pas pour l'avenir écono¬mique libanais. Parce que la facture n'est pas énorme. Il est clair que nous allons bénéficier d'aides. L'Arabie saoudite a déjà tait un don de 500 millions de dollars et le Koweït de 250 millions, les autres vont suivre. Bien sûr, nous avons le problème du Conseil de la recons¬truction et du développement qui a le monopole sur toutes les aides étrangères, et constitue une étape supplémentaire très bureaucra¬tique entre le donateur et l'utilisa¬teur final, qu'il s'agisse d'un minis¬tère ou d'un office de l'électricité ou de l'eau Cela ralentit considérable¬ment le déboursement des aides et gonfle les coûts. Mais, paradoxalement, le Liban n'est jamais plus dynamique et créa¬tif sur le plan économique et mana¬gérial que dans les moments de déstabilisation, de violence et de malheur. Pendant les quinze années de guerre (1975-1990), pas un jour les banques, la banque centrale, les grandes administrations n'ont fermé. Pas un jour les journaux n'ont pas été imprimés. Pas un jour l'approvisionnement n'a été coupé. Les Libanais ont démontré des tré¬sors de dévouement, d'ingéniosité, de sacrifice. Un potentiel extraordi¬naire que nous avons vu à l'oeuvre cet été pendant trente-deux jours. Vous êtes donc plutôt confiant pour l'avenir. Oui. Si la situation politique se stabilise durablement. Si le Liban n'est plus pris dans le bras de fer régional que se livrent les Etats¬ - Unis et Israël avec la Syrie et l'Iran. Alors, nous pourrons repartir de l'avant. Nous avons là une opportu¬nité de sortir de la vision écono¬mique étriquée de la précédente reconstruction. Nous pourrions alors entrer dans un processus ver¬tueux à l'irlandaise. Un pays dont les similitudes avec le Liban sont frappantes: rural et pauvre, il a été colonisé par les Anglais, a dû exporter ses enfants. II a connu une guerre à ses frontières et un mouvement révolutionnaire armé, l'IRA. Or, en trente ans, regardez ce qu'est deve¬nue l'Irlande. Comment elle a dé¬collé. II est insensé de vouloir réduire l'économie libanaise à l'hôtellerie de luxe, au foncier et à la banque. Ce pays a des cerveaux, un vrai poten¬tiel agroalimentaire, hydraulique, de biodiversité où investir. II pour¬rait porter ses exportations à 8 milliards de dollars sans problème alors qu'il parvient difficilement 1 milliard... Nous avons des res¬sources humaines que nous expor¬tons au lieu de les valoriser sur place. Nous avons un formidable potentiel de productivité inex¬ploité. Il faut surtout éviter de re¬nouveler le grand pillage du pays que nous avons connu lors de la précédente reconstruction, et qui nous vaut aujourd'hui une dette de 40 milliards de dollars. A court terme, quelles vous semblent être les urgences ? Nous sommes encore sous em¬bargo israélien. C'est un scandale! II n'y a pas un bateau qui accoste au Liban sans l'accord des Israéliens et l'aéroport de Beyrouth n'a pas été vraiment rouvert au trafic. Les avions doivent passer par Amman en Jordanie où les Israéliens contrô¬lent les allées et venues. Il faut lever cet embargo contraire à la résolu¬tion 1701. L'armée libanaise doit se déployer au Liban sud, ce qui sup¬pose le retrait total de l'armée israé¬lienne. Quant au désarmement du Hezbollah, ce doit être une décision souveraine du gouvernement libanais. II dépend du dialogue national au Liban et du respect par Israël des principes du droit international. Il faut qu'Israël arrête de violer l'es¬pace aérien et maritime libanais. relâche ses prisonniers et mette les fermes de Chebaa sous contrôle de la Finul. Alors on pourra envisager l'intégration des troupes combat¬tantes du Hezbollah dans l'armée libanaise. Propos recueillis par Françoise crouïgneau et Stéphane dupont