article DNA
Transcription
article DNA
Région Q MERCREDI 8 OCTOBRE 2014 DNA - 08/10/14 MUSIQUE SaxOpen en juillet à Strasbourg > p. 17 SCIENCES Une « retraite » pour les animaux employés par la recherche Une vie après le labo De l’expérimentation scientifique à la vie domestique : la « réhabilitation » permet à des animaux sortis d’unités de recherche d’échapper à l’euthanasie. Ils poursuivent leur existence auprès de nouveaux maîtres prêts à les adopter. Des chercheurs de Strasbourg sont particulièrement actifs dans le placement de bêtes de labos. A vant, ils s’appelaient Geronimo, Goldorak, Barbie, Tagliatelle. Lorsqu’on leur avait donné un nom: seuls des numéros de lots désignent les souris de laboratoire. Un changement d’identité est pour eux signe de renouveau. Devenus Janette, Pupuce ou Kiki, ces animaux ont gagné le droit à une autre vie. Une retraite en quelque sorte, alternative à une euthanasie souvent inutile. L’idée est ancienne. Sa mise en pratique récente : depuis 2005, une association baptisée GRAAL (Groupement de réflexion et d’action pour l’animal) aide les laboratoires à sauver leurs pensionnaires sains. Les porteurs de ce projet encore méconnu ne sont pas des fanatiques ni des allergiques à la science. En Alsace, les membres du GRAAL les plus actifs opèrent, durant leur temps de travail professionnel, dans des laboratoires de recherche publique ! L’HISTOIRE Ça a été « le coup de foudre pour Sherlock, au refuge. Là, il découvre le monde. À trois ans et demi. À sa première douche, c’est comme s’il s’était lavé de son passé : il est devenu un peu tout fou, très joueur. On a bien fait. Ce chien est très gentil. » JULIE ABELE, 30 ANS, LINGOLSHEIM (PAGE FACEBOOK : SHERLOCK ZE BEAGLOU) « Pas question que cela finisse par une euthanasie » Comme souvent, le bouche à oreille a été déterminant. Au point que Léa Briard et Amélie Romain, doctorantes à l’Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien de Strasbourg-Cronenbourg (IPHC), se sont lancées à titre privé dans la démarche « avec grand plaisir ». Au sein du département d’écologie, physiologie et éthologie (DEPE), elles ont été amenées à conduire des observations sur les comportements animaux, sans préjudice pour leurs sujets. Les réseaux humains se constituant sur des modèles eux-mêmes très particuliers, elles ont pu profiter de l’engagement de Cédric Sueur, maître de conférences à l’IPHC et chargé de la réhabilitation animale à la SFECA (Société française d’étude du comportement animal). Il est coorganisateur d’un premier colloque sur la question à Strasbourg. Quant au travail de sensibilisation des unités de recherche, il a été engagé par une autre scientifique, Odile Petit, éthologue au DEPE. « Beaucoup de choses se font depuis l’Alsace », résume Léa Briard, évaluant à une quinzaine le nombre de labos en France soucieux des vieux jours de leurs « collaborateurs » animaux. Tout n’est pas simple. Des contrats sont signés avec les instituts de recherche volontaires. Comme avec les refuges partenaires et parfois les accueillants. « Une traçabilité de l’animal est instaurée, des autorisations sont systématiquement demandées aux administrations pour réintroduire les sujets dans la vie civile », reconnaît Amélie Romain. « NI REFUS, NI RETOUR » Selon Josiane Wiedenhoff, vice-présidente, la SPA de Saverne a « déjà placé une douzaine de beagles de laboratoire (dont celui sur la photo ci-contre), sans souci. Il faut les sociabiliser, ils ne connaissent rien de l’extérieur. Ils s’effraient d’une voiture qui passe, d’un escalier. Tout leur fait peur. Nous sélectionnons les adoptants, en indiquant le passé du chien. Il n’y a jamais eu de refus. Ni de retour au refuge par la suite. » Jupiter, en plein « stage » de réadaptation à la vraie vie. DOCUMENTS REMIS LES LIMITES DE LA «RÉHABILITATION» Offrir une retraite à tous les animaux de laboratoire n’est pas pour demain : la recherche pratique encore largement l’euthanasie, soit pour recueillir des tissus, soit parce qu’il n’est pas autorisé de les faire sortir des unités scientifiques. 90 % des souris utilisées comme modèles sont modifiées génétiquement. Impossible de les relâcher. Celles qui ne sont pas euthanasiées ne sont pas forcément en état d’être libérées. Un très faible pourcentage de ces souris est dès lors admissible à une « réhabilitation ». La manœuvre dépend de l’espèce concernée. « Les primates ne peuvent être confiés à des particuliers, ils sont placés dans des institutions comme des zoos. Ce n’est pas facile en pratique. Des étapes de resocialisation peuvent être nécessaires pour leur permettre de s’habituer à l’extérieur. » « Il faut imaginer qu’on hérite d’un chiot âgé de 10 ans ! » « Nous disposons souvent d’informations transmises par les laboratoires : l’animal est-il actif ou craintif, est-il de bon caractère, de quel protocole d’étude a-t-il fait l’objet, est-il vacciné... » Là encore, une période de réadaptation à la vie normale s’impose : « Il faut imaginer qu’on hérite d’un chiot âgé de 10 ans ! » Une grande attention est portée aux adoptants : autant éviter les mauvais placements pour des animaux en quête de sérénité. Un suivi est demandé et des photos circulent, dans certains cas jusqu’au laboratoire d’origine. « Des personnels et techniciens réclament des nouvelles de pensionnaires auxquels ils s’étaient attachés. On imagine leur réaction devant des photos d’un chat sur un transat avec des lunettes de soleil, d’un chien dans son panier ou oreilles au vent. » Même pour des rats, les bénévoles du GRAAL réclament des renseignements sur les nouvelles familles d’accueil : « Il s’agit d’avoir des éléments sur l’environnement, la finalité de l’adoption ou la vie future de l’animal. » Lorsqu’il s’agit de chiens ou de chats, une étape intermédiaire est prévue dans un refuge de la SPA, comme celui de Saverne, premier d’Alsace à accepter le principe, et celui de Haguenau. L’affaire se corse avec les poneys ou les chevaux. Les contrats peuvent préciser que le GRAAL en reste propriétaire pendant un an, afin de garder une visibilité sur leurs conditions de vie. « Hors de question que cela finisse par un abattage : c’est ce que l’on cherche à éviter en les sortant des laboratoires ». Les unités volontaires ont bien saisi l’intérêt de donner une retraite à leurs animaux sains : aucune ne veut revenir en arrière. Il est vrai que le GRAAL et les refuges, dans leur rôle de salles d’attente, respectent l’impératif de confidentialité. Les adoptants savent que leur nouveau compagnon a été sujet de recherche. Mais pas d’où il vient. « Les laboratoires n’en sont pas encore à faire la promotion de ce type de gestes. Ce serait reconnaître le recours à l’expérimentation animale. Sujet encore tabou même si nous ne changerons pas tout d’un simple claquement de doigts ». Le mouvement fait en tout cas tache d’huile. Alors qu’une directive européenne de 2010 transposée au droit français en 2013 prévoit la réhabilitation animale, Amélie se satisfait d’une évolution des comportements dans le monde de la science : la préoccupation de la reconversion des animaux apparaît dès la rédaction de protocoles d’études. Pour le bienêtre des espèces concernées. Et, de manière plus inattendue, au profit des personnels Pour Java, comme pour d’autres macaques, la de recherche. réhabilitation passe par le zoo, après Selon Cédric Sueur, de la SFE«resocialisation». CA, « l’ambiance de travail des techniciens et chercheurs peut s’en trouver ou, à tout le moins, polémique : certaines améliorée. Comme la qualité des résultats ligues de protection animale ou antivivi- scientifiques. » section sont virulentes. » DIDIER ROSE Le GRAAL lui-même a été accusé de faire le jeu des laboratoires en montrant que leurs animaux pouvaient accéder à une Q Pour les refuges intéressés par la retraite. Léa préfère rappeler que « cha- démarche: rehabilitation@graalque placement ressemble à une victoire, defenseanimale.org R @ LE CHIFFRE 254 C’est le nombre d’animaux de laboratoire placés par le Groupement de réflexion et d’action pour les animaux (GRAAL) en 2013. Soit plus que durant toute la période 2005-2011. Cette année, ils devraient être plus de 400 : chiens, chats, rats, lapins, furets, oiseaux… et chevaux. Un contrat portant sur des équidés a été signé. Des colverts, des oies et… un python Précurseur en Alsace de la réhabilitation des animaux de recherche, le département d’écologie, de physiologie et d’éthologie (CNRS-Université de Strasbourg) tient le décompte de ses transfuges à plumes et à poils. Parmi eux, 23 fuligules morillons (canards plongeurs) et 42 colverts ont été relâchés dans une réserve du Rhin. 20 colverts l’ont été à Friedolsheim. 6 colverts ont été transférés dans une ferme éducative. Des oies domestiques ont été placées chez des particuliers. Des oiseaux mandarins étaient destinés au zoo de l’Orangerie ou à un refuge à Ernolsheim-sur-Bruche. Plus original, un python de Birmanie a été adopté par son soigneur animalier. Les chevaux aussi peuvent prendre le chemin d’une existence paisible : le GRAAL a conclu un accord portant sur plusieurs dizaines d’équidés à réinsérer.