L`acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand
Transcription
L`acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand
John Benjamins Publishing Company This is a contribution from Language, Interaction and Acquisition 2:1 © 2011. John Benjamins Publishing Company This electronic file may not be altered in any way. The author(s) of this article is/are permitted to use this PDF file to generate printed copies to be used by way of offprints, for their personal use only. Permission is granted by the publishers to post this file on a closed server which is accessible to members (students and staff) only of the author’s/s’ institute, it is not permitted to post this PDF on the open internet. For any other use of this material prior written permission should be obtained from the publishers or through the Copyright Clearance Center (for USA: www.copyright.com). Please contact [email protected] or consult our website: www.benjamins.com Tables of Contents, abstracts and guidelines are available at www.benjamins.com L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand Une perspective interlangue sur la grammaticalisation des noms Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler Laboratoire « Structures Formelles du Langage », CNRS UMR 7023 & Université Paris 8 / Österreichische Akademie der Wissenschaften / Laboratoire « Structures Formelles du Langage », CNRS UMR 7023 & Université Paris 8 / Österreichische Akademie der Wissenschaften Dans de nombreuses langues, l’acquisition du déterminant nominal est une dimension centrale de l’émergence de la grammaire chez l’enfant. La présente étude compare le développement des déterminants — entre un et trois ans — dans les données de production naturelle de deux enfants apprenant respectivement le français et l’allemand autrichien. Partant du contraste entre langues romanes et langues germaniques et centrée sur les facteurs morphosyntaxiques, elle évalue l’impact des différences typologiques sur l’acquisition. Nous examinons la prédiction d’une plus grande précocité des déterminants en français qu’en allemand et questionnons les hypothèses de prééminence les plus classiques — du défini sur l’indéfini, du masculin sur le féminin, du singulier sur le pluriel — à la lumière des données de développement. Mots-clefs : acquisition et typologie, déterminants nominaux, morphologie, (in)définitude, genre, nombre 1. Introduction L’acquisition des déterminants nominaux est un aspect central de l’élaboration de la grammaire chez le jeune enfant. Servant principalement à désigner les entités -animées et inanimées, concrètes ou abstraites- autour desquelles s’organise le monde, les noms constituent une catégorie essentielle des systèmes linguistiques. Dans les langues à articles que sont l’allemand et le français, l’emploi du Language, Interaction and Acquisition 2 :1 (2011), 37–60. doi 10.1075/lia.2.1.02bas issn 1879–7865 / e-issn 1879–7873 © John Benjamins Publishing Company 38 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler déterminant nominal est, en règle générale, obligatoire, représentant une caractéristique centrale de la catégorie grammaticale du nom. Il est antéposé et porte les marques morphologiques du genre, du nombre, éventuellement du cas, et du caractère défini/indéfini de la référence. L’acquisition des déterminants par l’enfant reflète ainsi une dimension essentielle du processus de ‘grammaticalisation des noms’. Dans cet article, nous présentons une étude contrastive sur l’émergence et le développement des déterminants chez deux enfants monolingues apprenant respectivement le français et l’allemand autrichien, deux langues– l’une romane, l’autre germanique — aux systèmes de déterminants très différents. Avant de présenter l’étude, nous commencerons par un rappel des principales différences entre ces deux systèmes et par une revue des travaux en acquisition, en particulier ceux utilisant le contraste entre langues romanes et langues germaniques. 2. Les systèmes de déterminants en français et en allemand autrichien Les deux langues possèdent chacune un riche système de déterminants, principalement articles définis et indéfinis, adjectifs possessifs et démonstratifs. Leurs systèmes présentent cependant d’importantes différences, liées pour une part au contraste typologique entre langues romanes et langues germaniques, mais aussi à des caractéristiques idiosyncratiques. Emploi du déterminant. Bien qu’elle ne soit pas sans exception, l’obligation d’emploi du déterminant est particulièrement forte en français, la plus restrictive des langues romanes à cet égard. Contrairement au français, et comme beaucoup de langues germaniques, l’allemand autorise les noms sans déterminant en position d’argument : il n’a pas d’article indéfini pluriel (A. Kinder, F. des enfants) et évite généralement les articles devant les noms massifs, là où le français utilise l’article partitif (A. Milch trinken, F. boire du lait). Les deux langues omettent les déterminants dans certaines expressions idiosyncratiques et constructions prépositionnelles, ainsi que dans certains emplois vocatifs et prédicatifs (A. Hans ist Lehrer, F. Jean est enseignant). Le français n’emploie pas de déterminant avec les noms propres, surtout quand ceux-ci désignent des individus animés, ni avec les noms communs employés comme noms propres (maman). L’allemand autrichien, et notamment la variante parlée à Vienne, présente une particularité qui le distingue de l’allemand du Nord comme du français : dans le langage quotidien, on emploie souvent un déterminant devant les noms propres pour éviter de « parler comme un livre ». Prosodie. Les deux langues contrastent fortement au regard de leurs structures prosodiques. Là encore, le français a un statut particulier parmi les langues romanes. Langue à rythme syllabique, elle présente une préférence originale pour © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand les patrons iambiques (les locuteurs tendent à privilégier par la prosodie la dernière syllabe des mots ou groupes de mots et des pieds binaires). L’allemand, prototype des langues germaniques, est une langue à accent, avec une préférence marquée pour le rythme trochaïque (accent sur la première syllabe du pied dissyllabique final des unités lexicales). Par ailleurs, le français est, après l’anglais, la langue européenne la plus riche en mots monosyllabiques, comportant une proportion de monosyllabiques nettement plus forte que l’allemand, mais aussi que les autres langues romanes (selon l’étude de Kupisch 2007, 53 % de noms monosyllabiques en français contre 38 % en allemand et 4 % en italien). Cette propriété rapproche le français des langues isolantes (Kilani-Schoch & Dressler 2005). Enfin, les déterminants français, tous monosyllabiques et non accentués, sont toujours proclitiques, de sorte que, si le nom est monosyllabique, le déterminant et le nom forment une structure dissyllabique iambique (le/un chat), facile à produire pour un enfant français. En allemand, le déterminant ne forme pas systématiquement une unité prosodique avec le nom qui suit. Bien que le statut proclitique soit le plus fréquent, l’article, s’il est sous forme réduite, peut parfois être enclitique, formant une unité prosodique avec le mot précédent — verbe, préposition, pronom. Cela entraîne une certaine ambiguïté de la prosodification de l’article (Lleó & Demuth 1999). Morphologie. Les deux langues diffèrent fortement au regard de la morphologie de leurs systèmes de déterminants, beaucoup plus complexe et moins fiable en allemand qu’en français. Comme l’illustre le Tableau 1, centré sur les articles définis et indéfinis, le système français encode le nombre (singulier, pluriel) et le genre au singulier (masculin, féminin). Outre le genre au singulier (masculin, féminin, neutre) et le nombre, le système allemand encode le cas. Les homophonies sont SINGULIER FRANCAIS Masculin Féminin Def / Indef Def / Indef PLURIEL Def / Indef le / un la / une ALLEMAND Masculin Féminin Neutre les / des Cas Def / Indef Def / Indef Def / Indef Def Nominatif der / ein die / eine das / ein die Accusatif den / einen die / eine das / ein die Datif dem / einem der / einer dem / einem den Génitif des / eines der / einer des / eines der Tableau 1. Paradigmes des articles définis et indéfinis en français et en allemand © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 39 40 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler particulièrement nombreuses en allemand, ce qui introduit une plurifonctionnalité porteuse d’ambiguïté et d’opacité. 3. L’acquisition des déterminants et le contraste entre langues germaniques et langues romanes Les études princeps sur l’acquisition des déterminants nominaux en anglais ont généré des positions théoriques opposées sur l’émergence de la grammaire chez l’enfant, de type « Grammaire Universelle » (Valian 1986) ou « modèles gradualistes » (Pine & Lieven 1997). Par la suite, menés le plus souvent dans la perspective de la G.U, mais aussi selon des approches constructivistes, les travaux monolingues explorant d’autres langues que l’anglais ont mis l’accent sur les particularités de ces langues. Ainsi, les travaux sur l’allemand se sont intéressés à l’acquisition de la syntaxe des déterminants, mais aussi à celle de leur morphologie, particulièrement riche (Bittner 2006 ; Koehn 1994 ; Korecky-Kröll & Dressler 2009 ; Penner & Weissenborn 1996 ; Szagun et al. 2007 ; Wittek & Tomasello, 2005). Les travaux sur le français ont exploré l’acquisition des catégories grammaticales des noms et des verbes en analysant des phénomènes développementaux transitionnels tels que l’omission initiale du déterminant et la production de pré- ou proto-morphèmes grammaticaux dits fillers (Bassano 2000 ; Bassano, Maillochon & Mottet 2008 ; Veneziano & Sinclair 2000). La nature des fillers, éléments monosyllabiques non conventionnels produits par les très jeunes enfants, souvent en position pré-nominale ou pré-verbale, a fait l’objet de nombreux débats concluant généralement que ces éléments sont, sous certaines conditions, des précurseurs de morphèmes grammaticaux tels que les déterminants (Bottari, Cipriani & Chilosi 1993/4 ; Peters 2001 ; Veneziano & Sinclair 2000). Durant la dernière décennie, plusieurs recherches ont adopté une approche comparative inter-langues utilisant le contraste typologique entre langues germaniques et langues romanes. Ces recherches suggèrent que l’acquisition des déterminants varie selon le type de langue : ils semblent apparaitre plus tôt dans les langues romanes que dans les langues germaniques étudiées, l’omission étant plus fréquente et durant plus longtemps dans les langues germaniques. Ces tendances se dégagent de la comparaison de l’allemand avec l’espagnol (Lleó & Demuth 1999 ; Lleó 2001), de l’allemand avec le français et l’italien (Kupisch 2007), de l’anglais et du néerlandais avec le français (Rozendaal & Baker 2008 ; van der Velde 2004), du néerlandais avec le Catalan et l’Italien (Guasti et al. 2008), de l’allemand et du néerlandais avec le français (Bassano et al. sous presse). Le décalage semble lié à plusieurs facteurs, parmi lesquels les influences prosodiques sont souvent évoquées. © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand Le rôle des contraintes rythmiques dans la production ou l’omission des déterminants chez les jeunes enfants a été initialement montré sur des langues à accent à dominance trochaïque, comme l’anglais (Gerken 1994). Les études contrastant des langues germaniques à des langues romanes suggèrent que la prosodie peut avoir dans ces dernières un effet facilitateur sur l’émergence des déterminants. Les langues romanes présentent généralement des patrons non ambigus de prosodification des articles (presque toujours proclitiques) et fournissent souvent des modèles lexicaux facilitant leur intégration prosodique (selon Lleó et Demuth 1999, et Lleó 2001, ce serait le cas de l’espagnol, par comparaison avec l’allemand). Le français a fait l’objet de plusieurs recherches qui soulignent sa structure iambique originale (Vihman et al. 1998 ; Veneziano & Sinclair 2000 ; Demuth & Tremblay 2008 ; Bassano et al. 2008). Dans une étude longitudinale de deux enfants, Demuth et Tremblay (2008) trouvent que les déterminants sont produits plus tôt avec des noms monosyllabiques que di- ou trisyllabiques. Des résultats compatibles ont été obtenus dans l’étude transversale de Bassano et al. (2008) montrant que les enfants français de 20 mois produisent beaucoup plus fréquemment un filler ou un déterminant devant un nom monosyllabique que di- ou multisyllabique, ce qui n’est plus le cas à 30 ou 39 mois. L’effet facilitateur précoce des noms monosyllabiques pourrait être en partie lié à la préférence iambique du français. Comme proposé par une récente étude inter-langues sur trois enfants, la production d’un déterminant (ou d’un filler) devant un nom monosyllabique est plus ‘naturelle’ pour l’enfant francophone que pour les enfants acquérant l’allemand ou le néerlandais, car l’enfant français produit alors un pied binaire de type iambique qui correspond au patron préférentiel de sa langue (Bassano et al. soumis). Cependant, si les propriétés prosodiques semblent faciliter l’émergence des déterminants dans certaines langues, elles ne peuvent pas expliquer à elles seules l’ensemble du processus de développement. D’autres facteurs sont à considérer, tels les facteurs morphosyntaxiques, les influences lexicales et sémantico-syntaxiques (Bassano et al. 2008 ; Kupisch 2007 ; Guasti et al. 2008 ; Penner & Weissenborn 1996) ou les facteurs pragmatiques et discursifs liés à la structure argumentale de l’énoncé (Rozendaal & Baker 2008). 4. Objectifs et hypothèses L’ étude, comparant les premières étapes de l’acquisition des déterminants chez deux enfants monolingues, apprenant, l’un, le français, et l’autre, l’allemand autrichien, vise à faire apparaître l’impact des facteurs généraux et des différences typologiques ou spécifiques entre les deux langues. Sans ignorer les facteurs prosodiques et lexicaux –examinés ailleurs — ni les facteurs discursifs — prévus pour de © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 41 42 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler prochaines recherches- nous chercherons principalement ici à approfondir l’examen des facteurs morphosyntaxiques. Deux séries d’analyses seront présentées, comparant, d’abord, le développement de la contrainte d’emploi du déterminant chez les deux enfants, puis, au travers de la production des formes particulières, le développement des systèmes de déterminants. Notre premier objectif est de vérifier l’hypothèse typologique, qui prédit une mise en place des déterminants plus précoce chez l’enfant français que chez l’enfant autrichien, en raison des différences opposant les deux systèmes et favorisant le français. Comme on l’a vu, l’emploi du déterminant est plus systématique et régulier en français qu’en allemand autrichien ; le système morphologique est moins complexe et plus fiable en français qu’en allemand ; les propriétés prosodiques facilitent la production des (proto)-déterminants au début de l’acquisition du français. La précocité réfère ici à l’émergence des déterminants, c’est-à-dire leur apparition dans la production, éventuellement sous forme de fillers. L’ émergence diffère de l’acquisition, qui implique, d’une part, l’atteinte du niveau adulte d’emploi du déterminant, et, d’autre part, la correction des formes. Sur ce deuxième point, on peut s’attendre à plus d’erreurs chez l’enfant autrichien, qui doit apprendre un système plus complexe que l’enfant français. Notre deuxième objectif est de préciser le rôle des facteurs morphosyntaxiques. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux articles définis et indéfinis, pour lesquels nous examinerons les effets de genre et de nombre (catégories partagées par le français et l’allemand). Nous analyserons dans quelle mesure se vérifient trois hypothèses classiques de prééminence : du défini sur l’indéfini, du masculin sur le féminin et du singulier sur le pluriel (selon les descriptions linguistiques les plus fréquentes, ces catégories sont non marquées). Pour analyser la prééminence, nous utiliserons deux indicateurs : la précocité d’émergence des formes et leur fréquence (chez l’enfant et dans l’input, la fréquence d’input donnant celle de la langue cible). Nous examinerons aussi le rôle du facteur plus spécifique qu’est la saillance perceptive. S’il y a toutes raisons pour que la forte différence de complexité morphologique entre les deux systèmes joue globalement en faveur du français, la saillance perceptive pourrait, quant à elle, jouer comme facteur interne au sein de chaque langue et favoriser la production de certaines formes particulières de déterminants (comme les formes dissyllabiques des articles indéfinis en allemand). © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand 5. Méthode 5.1 Participants et recueil des données Les deux enfants participant à l’étude sont, pour le français, une fille, Pauline, benjamine d’une famille de quatre enfants vivant à Rouen (France), étudiée de l’âge de un an deux mois (1;2) à trois ans (3;0), et pour l’allemand, un garçon, Jan, benjamin d’une famille de deux enfants vivant à Vienne (Autriche), étudié de l’âge de un an trois mois (1;3) à trois ans (3;0). Les corpus des deux enfants ont été recueillis indépendamment par l’équipe française et l’équipe autrichienne, mais avec une méthode analogue d’enregistrement de production spontanée en situation naturelle. Chaque enfant a été enregistré à son domicile à raison de deux ou trois séances par mois au cours d’activités quotidiennes variées (repas, toilette, jeux, livres d’images, etc.) et en interaction avec son entourage (incluant toujours et principalement la mère). Les enregistrements ont été transcrits conformément aux normes de CHILDES. Toutes les productions de l’enfant et de la mère adressées à l’enfant ont été transcrites orthographiquement et, si nécessaire, phonétiquement, avec des indications sur les situations et contextes. Pour l’étude, nous avons analysé les énoncés de l’enfant (output) et de la mère (input) provenant de séquences d’interaction enfant/adulte extraites des transcriptions de chaque mois (au maximum deux ou trois séquences). Dans ces séquences sont codées toutes les productions de l’enfant considérées comme énoncés (comportant au moins un mot identifiable comme un mot de la langue cible) jusqu’à atteindre 120 énoncés. Pour le langage de la mère adressé à l’enfant, 100 énoncés entourant ceux de l’enfant ont été codés. 5.2 Codage Les mots considérés comme noms dans le langage des enfants sont les mots jugés tels dans la langue cible, en incluant les noms propres. Pour analyser l’emploi des déterminants avec les noms, nous avons identifié quatre principales constructions nominales. Deux constructions correspondent aux noms employés sans déterminant, pour lesquels nous avons distingué l’emploi « sans déterminant correct » (le déterminant n’est pas requis dans la langue cible standard) et l’emploi incorrect ou « omission du déterminant » (le déterminant est requis dans la langue standard). Les emplois formant l’une ou l’autre de ces catégories peuvent différer selon la langue et le contexte. Ainsi, l’absence de déterminant devant un pluriel indéfini ou un nom massif est correcte en allemand, mais généralement pas en français (voir Sec© 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 43 44 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler tion 2). Dans les deux langues, l’absence correcte de déterminant peut concerner les noms propres, les noms faisant partie d’expressions idiosyncratiques (F. : avoir faim ; A. Bauchweh kriegen), les noms utilisés dans certaines constructions prépositionnelles ou vocatives et ceux pour lesquels l’absence de déterminant est due à des raisons contextuelles (citation, correction, déterminant dans la phrase précédente). La troisième catégorie, « emploi d’un déterminant », est la catégorie centrale : elle correspond aux noms précédés d’un déterminant tel qu’article défini ou indéfini, adjectif possessif ou démonstratif (F. : le chat, un gâteau, ma maison, cette viande ; A. : der Ball, ein Auto, unser Haus, dieses Mikrophon) ou encore d’un déterminant secondaire tel qu’un adjectif numéral. Les formes erronées ou confusions de déterminant (par exemple les déterminants produits avec une erreur de genre, de nombre ou de cas) sont incluses dans cette catégorie générale mais portent une notation spécifique. Une quatrième catégorie, dite « emploi d’un filler », correspond aux cas où le nom est précédé, non pas d’un déterminant en bonne et due forme, mais d’un élément monosyllabique qu’on peut considérer comme un précurseur de déterminant (F. : [ə] chat ; A. : [ə] Maus) : leur place est bonne mais leur réalisation ambiguë et approximative, et leur fonction à la fois phonologique et pré-grammaticale (pour des précisions sur l’identification des fillers, voir notamment Bassano et al. 2008 , sous presse ; Veneziano & Sinclair 2000). Le codage a été réalisé pour chaque enfant par les équipes respectives, tout en donnant lieu à des échanges et discussions approfondies assurant la cohérence des procédures. Un double codage a été effectué sur l’ensemble des énoncés codés avec un accord initial de 80–90 %, et discuté jusqu’à accord complet. 6. Résultats 6.1. Le développement de la contrainte d’emploi du déterminant Les quatre constructions nominales sont observées chez l’enfant française (Figure 1). La proportion de noms employés correctement sans déterminant fluctue localement sans montrer de net changement développemental, variant autour de 30 % en moyenne. L’omission du déterminant, qui concerne 60 % des noms dans les premiers mois, diminue et disparaît à partir de 2;5, au moment où explose la production des déterminants, peu fréquents avant 2;0. Quant aux fillers, ils présentent une phase initiale d’augmentation de fréquence, diminuent ensuite et disparaissent quand les déterminants sont utilisés systématiquement. Ainsi, dès l’âge de 2;6, seules les deux constructions ‘adultes’ sont produites par Pauline : les noms employés correctement sans déterminant (30–35 %) et avec déterminant © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand Pourcentage 24 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 1;2 1;4 1;6 1;8 1;10 2;0 2;2 2;4 2;6 2;8 2;10 3;0 age enfant Pauline Pourcentage sans déterminant correct omission filler determinant 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 1;2 1;4 1;6 1;8 1;10 2;0 2;2 2;4 2;6 2;8 2;10 3;0 age enfant Input Pauline sans déterminant correct omission filler determinant Figure 1. Distribution des 1. quatre constructions nominales :nominales Pauline: et Input Pauline Figure Distribution des quatre constructions Pauline et Input Pauline (français) (français) (65–70 %). Ce sont les deux constructions présentes dans l’input, en proportions moyennes (31 % et 69 %) similaires à celles de l’enfant à 2;6. Chez l’enfant autrichien (Figure 2), la proportion de noms employés correctement sans déterminant ne présente pas non plus de changement développemental clair, oscillant autour de 23 % en moyenne. L’omission est très fréquente jusqu’à 2;0 (plus de 70 %) et diminue très brutalement. Jan ne produit pas de déterminants avant l’âge de 1;10, mais l’explosion qui se produit ensuite est particulièrement marquée chez lui. Cela est à relier, non seulement à la fréquence initiale et persistante des omissions, mais aussi à l’absence presque totale de fillers. Chez Jan, comme chez Pauline, on ne trouve à peu près plus, dès 2;6, que deux constructions nominales : les noms employés correctement sans déterminant (20–25 %) et avec déterminant (70–75 %), qui sont les deux constructions présentes dans l’input (18 % et 82 %). © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 45 46 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler Pourcentage 25 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 1;2 1;4 1;6 1;8 1;10 2;0 2;2 2;4 2;6 2;8 2;10 3;0 age enfant Jan Pourcentage sans déterminant correct omission filler determinant 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 1;2 1;4 1;6 1;8 1;10 2;0 2;2 2;4 2;6 2;8 2;10 3;0 age enfant Input Jan sans déterminant correct omission filler determinant Figure 2. Distribution des quatre constructions nominales : Jan et Input Jan (autrichien) Figure 2. Distribution des quatre constructions nominales : et Input Jan (autrichien) Ces données sont synthétiséesJan dans la Figure 3, présentant, pour chaque enfant, le développement de la contrainte d’emploi du déterminant dans les contextes dits ‘obligatoires’ (rapport du nombre de noms employés avec déterminant sur le nombre de noms pour lesquels un déterminant est requis et serait employé dans la langue cible). L’ indice est calculé sous deux versions, l’une, la plus stricte, comptabilisant uniquement les déterminants, et l’autre comptabilisant les déterminants et les fillers pré-nominaux. Deux principaux résultats sont ainsi mis en évidence. La contrainte d’emploi du déterminant émerge plus précocement chez l’enfant française que chez l’enfant autrichien. En effet, l’enfant française produit quelques déterminants dès les premières observations, et, avant de produire des déterminants de façon systématique, elle utilise assez fréquemment des fillers pré-nominaux, qui en sont des précurseurs. L’enfant autrichien, quant à lui, ne produit pas de déterminants avant l’âge de 1;10 et n’emploie pas de fillers (les deux versions de l’indice sont chez lui superposées). Cependant –c’est le second résultat notable- le développement © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand 26 1,2 Pourcentage 1,0 0,8 0,6 0,4 0,2 âge 2; 7 2; 9 2; 11 1; 5 1; 7 1; 9 1; 11 2; 1 2; 3 2; 5 1; 3 3; 0 2; 4 2; 6 2; 8 2; 10 1; 2 1; 4 1; 6 1; 8 1; 10 2; 0 2; 2 0,0 âge Pauline (français) Déterminant Jan (autrichien) Filler ou déterminant Figure 3. Figure Emploi3. du déterminant en contexte obligatoire chez chez les deux enfants Emploi du déterminant en contexte obligatoire les deux enfants Pourcentage des déterminants proprement dits (indice strict) est caractérisé par un phénomène d’explosion remarquable et très similaire chez les deux enfants. De la sorte, dès 2;6, le niveau 80 adulte d’intégration de la contrainte est acquis pour tous deux, bien qu’on puisse 70 noter chez l’enfant autrichien quelques omissions résiduelles jusque dans les dernières observations. Que la contrainte d’emploi du déterminant soit 60 acquise ne50signifie pas que les enfants ne produisent pas d’erreurs sur la forme des déterminants employés. Cette question sera examinée, parmi d’autres, dans la 40 section suivante. 30 20 10 en place des systèmes de déterminants : dimensions 6.2 La mise morphosyntaxiques 0 P2 P3 P4 P2 P3 P4 Cette section présente trois ensembles d’analyses consacrées à l’examen de la mise en place du système des déterminants chez chacun des deux enfants. Ces analyses DEF (+contr) POSS DEMdes différentes reposent sur les Tableaux 2 et 3, INDEF qui fournissent un AUTRES état exhaustif formes de déterminants produits respectivement par Pauline et Jan. Pour établir la fréquenceFigure de chaque forme, des nous avons segmenté leschez corpus enenfants quatre périodes 4. Distribution classes de déterminants les deux d’âge, semblables pour les deux enfants (P1 : avant 1;6 – P2 : de 1;6 à 2;0 – P3 : de 2;1 à 2;6 – P4 : de 2;7 à 3;0). La période P1 n’est pas représentée chez Jan, qui n’a produit aucun déterminant avant 1;6. En revanche, il en produit légèrement plus que Pauline en P2, beaucoup plus en P3, et moins en P4. Ces fréquences sont en accord avec les fréquences totales des noms dans les deux corpus. période Pauline (français) © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved période Jan (autrichien) 47 48 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler Tableau 2. Déterminants produits par l’enfant français Pauline Forme Classification un INDEF une INDEF des INDEF le DEF la DEF l’ DEF les DEF DEF.CONT du DEF.CONT de la DEF.CONT de l’ au DEF.CONT à la DEF.CONT mon POSS ma POSS POSS mes POSS ton ta POSS POSS tes son POSS sa POSS ses POSS leur POSS DEM ce cette DEM ces DEM deux NUM quatre NUM neuf NUM dix NUM quel DET.INTER à le* DEF à les* DEF Total Déterminants Total NOMS P1 (1;2–1;5) P2 (1;6–2;0) P3 (2;1–2;6) P4 (2;7–3;0) TOTAL err. 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 err. 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 err. 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 2 err. 0 0 1 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 1 5 err. ad. 0 73 1 37 1 20 0 61 2 61 1 15 0 35 0 22 1 5 0 1 0 8 0 5 1 22 0 15 0 3 0 1 0 2 0 2 0 9 0 6 0 3 0 0 0 1 0 4 0 1 0 1 0 1 0 1 0 1 0 3 1 0 1 0 9 419 1157 ad. 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 2 178 ad. 7 2 0 2 1 0 1 0 0 0 3 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 16 274 ad. 23 12 3 17 21 5 5 12 0 1 3 2 11 7 2 0 0 1 5 4 1 0 0 3 1 0 0 0 0 0 0 0 139 299 ad. 43 23 17 42 38 10 28 10 5 0 2 3 11 8 1 1 2 1 4 2 2 0 1 1 0 1 1 1 1 3 0 0 262 406 Pour chaque forme, classe sémantique et nombre d’occurrences par période d’âge (« err. » : produit avec erreur de forme ; « ad. » : conforme à la forme adulte ; * : forme n’existant pas dans la langue) © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand 49 Tableau 3. Déterminants produits par l’enfant autrichien Jan (cf. Tableau 2) P2 (1;6–2;0) Forme Classification ein INDEF INDEF eine INDEF einem einen INDEF INDEF einer INDEF(PRON) einer INDEF(PRON) ein(e)s DEF der DEF die DEF das DEF dem DEF den PREP+DEF an+(de)m auf+(de)m PREP+DEF PREP+DEF bei+(de)m PREP+DEF in+(da)s PREP+DEF in+(de)m PREP+DEF von+(de)m POSS mein POSS meine POSS dein POSS deine POSS unser QUANT alle QUANT beide QUANT kein QUANT keine keinen QUANT QUANT mehr viele QUANT QUANT vielen NUM einen NUM acht NUM drei NUM sechs NUM vier NUM zwanzig zwei NUM 0/einen → was* INDEF.PRON* alle viele* Total Déterminants Total NOMS P3 (2;1–2;6) P4 (2;7–3;0) TOTAL err. ad. err. ad. err. ad. err. ad. 0 0 0 0 0 3 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 3 3 2 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 2 0 0 0 0 0 2 0 0 0 2 1 0 1 7 0 0 20 3 0 0 1 0 0 1 4 3 12 0 9 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 2 36 61 7 0 6 0 0 0 65 32 30 7 5 1 0 0 2 4 1 0 2 1 0 2 0 0 4 0 0 1 1 1 1 1 0 0 2 0 5 0 0 242 3 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0 2 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 9 62 20 1 7 2 0 0 45 31 11 7 11 0 1 1 2 5 2 2 0 0 1 0 0 1 0 3 1 0 2 0 0 0 0 0 1 0 2 0 0 221 6 0 0 2 0 3 1 4 3 13 0 11 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 2 48 126 29 1 13 2 0 0 110 63 41 14 16 1 1 1 4 9 3 2 2 1 1 2 2 1 4 3 1 1 5 1 1 1 2 1 3 1 14 0 0 483 453 Le nombre total de noms pour la période 1 est 111 © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 444 311 1321 50 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler 6.2.1 Les classes de déterminants et leur distribution Dans les deux langues, nous avons pu classer les formes produites en cinq catégories distinctes : les quatre principales classes — articles indéfinis, articles définis, adjectifs possessifs, adjectifs démonstratifs- auxquelles s’ajoutent des déterminants secondaires, regroupés sous l’appellation ‘autres’ (principalement, adjectifs numéraux en français, et quantificateurs et adjectifs numéraux en allemand). Les articles définis incluent les formes simples et les formes contractées (contraction d’une préposition et d’un défini). La seule possible ambiguïté de classe dans les deux langues concerne la forme de l’article indéfini un / ein qui pourrait être aussi un numéral. Bien que les formes de l’allemand présentent beaucoup d’ambiguïtés du point de vue du genre, du nombre et du cas, cela n’entraîne pas d’autres ambiguïtés de classe. Chez les deux enfants, les classes globalement les plus fréquentes (moyennes sur l’ensemble du corpus) sont les articles définis (51 % des déterminants chez Pauline, 56 % chez Jan) et les articles indéfinis (31 % chez Pauline, 34 % chez Jan), avec un avantage net pour les définis. Pauline produit en outre d’assez fréquents possessifs (15 %) et quelques démonstratifs (1 %), tandis que Jan produit peu de possessifs (1 %) et aucun démonstratif. En revanche, les déterminants ‘autres’, peu nombreux chez Pauline (2 %), sont assez fréquents chez Jan (9 %). Les hiérarchies de fréquences moyennes établies chez les enfants se retrouvent dans les inputs, pour Pauline (définis : 61 % ; indéfinis : 18 % ; possessifs : 17 % ; démonstratifs : 3 % ; autres : 1 %), comme pour Jan (définis : 54 %, indéfinis : 34 % ; possessifs : 4 % ; démonstratifs : 1 % ; autres : 7 %). L’analyse de la distribution globale montre donc que, dans les deux langues, les articles définis prédominent en fréquence sur toutes les autres classes de déterminants, et en particulier sur les articles indéfinis. La supériorité de fréquence des définis sur les indéfinis est particulièrement nette dans l’input français de Pauline. Autre résultat notable, les deux enfants, de même que leurs inputs, diffèrent par la fréquence relative des possessifs, assez présents dans les données du français et peu nombreux dans les données de l’allemand, où ils sont compensés par l’emploi de déterminants ‘autres’ (les quantificateurs kein(e) et viele, le numéral zwei). L’analyse du développement des classes de déterminants chez les deux enfants apporte à ce tableau des nuances intéressantes. La Figure 4 présente pour chaque enfant la fréquence des différentes classes de déterminants dans chaque période d’âge (la période 1 n’est pas représentée, car seulement trois déterminants ont été produits par Pauline et aucun par Jan). Cette analyse confirme pour les périodes 3 et 4 la hiérarchie des fréquences établie globalement. Mais elle montre aussi que cette hiérarchie n’est pas reflétée dans les productions de la période 2, qui représente la véritable période d’émergence des déterminants (17 déterminants chez Pauline, 23 chez Jan). Pauline © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved Déterminant Filler ou déterminant Figure 3. Emploi du déterminant en contexte obligatoire chez les deux enfants L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand 80 70 Pourcentage 60 50 40 30 20 10 0 P2 P3 P4 P2 période Pauline (français) DEF (+contr) INDEF P3 P4 période Jan (autrichien) POSS AUTRES DEM Figure 4. Figure Distribution des classes declasses déterminants chez les deux 4. Distribution des de déterminants chez enfants les deux enfants produit alors essentiellement des articles définis et indéfinis, et les indéfinis sont un peu plus fréquents que les définis. Jan produit une majorité de déterminants ‘autres’ (des adjectifs numéraux surtout) et des articles indéfinis, tandis qu’il ne produit encore aucun article défini. Ainsi, chez l’enfant français comme chez l’enfant autrichien, la prédominance des définis sur les indéfinis ne s’installe qu’après deux ans. Auparavant, on observe une préférence pour les indéfinis. 6.2.2 Analyse des articles définis et indéfinis : genre et nombre, saillance Cette analyse précise le développement des deux classes centrales, articles définis et indéfinis, chez chacun des enfants et examine les effets de genre et de nombre (hypothèses de prééminence du masculin et du singulier), ainsi que les effets de saillance perceptive. En ce qui concerne l’enfant française (Tableau 2), les tout premiers déterminants produits dans la période 1 sont des articles définis, probablement non analysés (les pépieds = les pieds, la pa = la poupée, la baba = le bébé). Durant la période 2 et au-delà — en réalité, jusqu’à l’âge de 2;4, tant que les déterminants sont peu nombreux– quelques rares définis sont utilisés, mais les indéfinis dominent la production (un chat, un pion = un biberon, une mouche là, cherche une serviette, des pâtes !). C’est à partir du moment d’explosion et d’emploi systématique des déterminants que s’affirme l’avantage des définis, alors souvent deux fois plus fréquents que les indéfinis. © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 51 52 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler Dans quelle mesure se vérifient dans ces données les hypothèses de prééminence du masculin sur le féminin et du singulier sur le pluriel ? S’agissant des indéfinis, la distinction masculin/féminin a été examinée au singulier, où elle est marquée univoquement et sans ambiguïté. La forme Masc. Sg un est produite par Pauline dès 1;6 alors que la forme Fem. Sg une apparaît à 2;0. La fréquence de la première est supérieure à celle de la seconde dans chaque période et globalement (Masc. Sg : 66 % des indéfinis singuliers, vs. Fem. Sg : 34 %). La forme du pluriel des, non marquée pour le genre, est produite pour la première fois à 2;3 et sa fréquence est très inférieure aux formes du singulier dans chaque période et globalement (Sg : 84 % des indéfinis, vs. Pl : 16 %). Pour les indéfinis, la prédominance attendue du masculin sur le féminin est donc nette dans les données de Pauline, et celle du singulier sur le pluriel plus encore. Cette double prédominance se retrouve dans l’input, bien que légèrement atténuée (Masc. Sg : 60 % des indéfinis singuliers, vs. Fem. Sg : 40 % ; Sg : 69 % des indéfinis, vs. Pl. : 31 %). Pour les définis, la distinction masculin/féminin est marquée au singulier de façon non univoque (masculin : le, du, au ; féminin : la, de/à la), non marquée dans la forme élidée ambiguë (l’) et non marquée au pluriel. La première forme produite par Pauline est celle du Fem. Sg la, puis celle du Masc. Sg le, les deux formes restant aussi fréquentes l’une que l’autre dans toutes les périodes. La forme contractée du apparaît plus tardivement, à 2;4. La forme du pluriel les, produite sporadiquement très tôt, n’est pas non plus assurée avant 2;4. Au total, les formes cumulées marquées pour le masculin sont plus fréquentes que les formes marquées pour le féminin (Masc. Sg : 50 % des définis singuliers vs. Fem. Sg : 41 %), mais la prédominance du masculin est beaucoup moins nette s’agissant des définis que des indéfinis, cela en raison de la forte fréquence de la forme la par rapport à le, en particulier dans les premières périodes. En revanche, la prédominance du singulier sur le pluriel pour les définis (Sg : 84 % des définis, vs. Pl. : 16 %) est exactement comparable à celle observée pour les indéfinis. L’ input présente des tendances analogues (Masc. Sg : 46 % des définis singuliers, vs. Fem. Sg : 42 % ; Sg : 82 % des définis, vs. Pl. : 18 %). En ce qui concerne l’enfant autrichien (Tableau 3), les articles indéfinis émergent aussi en priorité. Jan commence par produire la forme du féminin eine (à l’âge de 1;10), suivie par la forme du masculin ou du neutre ein et la forme incorrecte *einer au lieu de ein (qui, dans ce contexte précis, doit être interprétée comme un pronom indéfini erroné). Les articles définis der et das apparaissent seulement à 2;1, suivis par den, die et dem à l’âge de 2;2. La première forme contractée imitée (vom) est produite à 2;1, mais la première forme contractée spontanée (im) seulement à 2;3. Pendant les trois premiers mois de production des articles chez Jan (1;10–2;0), on peut donc observer une légère préférence pour les formes indéfinies © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand dissyllabiques (eine, *einer : 5 occurrences, ein : 3 occurrences), probablement due à leur plus grande saillance phonologique. En raison de la forte ambiguïté des articles allemands pour ce qui est des marques du genre, du nombre et du cas, la vérification des hypothèses de prééminence du genre masculin et du nombre singulier s’avère peu concluante si l’on s’appuie seulement sur les formes des articles. Seulement 8 % des articles indéfinis produits par Jan sont univoques (la forme einen qui correspond au masculin singulier à l’accusatif). La grande majorité (92 %) des indéfinis (ein, eine, einer, einem, eines) et la totalité des définis (der, die, das, den, dem, des) présentent des ambiguïtés de nombre, de genre ou de cas (ou même des trois à la fois). Nous avons donc effectué une seconde analyse, fondée sur le genre et le nombre des noms (dans la langue cible) associés aux emplois des articles définis et indéfinis. Cette analyse montre, pour le singulier, une nette prédominance du genre masculin sur le neutre et plus encore sur le féminin, cela s’agissant des indéfinis (Masc. Sg : 53 % des indéfinis singuliers, vs. Fem. Sg : 18 %, vs. Neut. Sg : 30 %), comme des définis (Masc. Sg : 55 % des définis singuliers, vs. Fem. Sg : 19 %, vs. Neut. Sg : 26 %). Elle montre aussi une forte prédominance du singulier sur le pluriel pour les articles définis (Sg : 90 % des définis, vs. Pl. : 10 %). Pour les indéfinis, il n’existe pas d’article au pluriel. L’input montre des tendances similaires pour le genre (Masc. Sg : 48 % des indéfinis singuliers, vs. Fem. Sg : 19 %, vs. Neut. Sg : 34 % ; Masc. Sg : 49 % des définis singuliers, vs. Fem. Sg : 24 %, vs. Neut. Sg : 27 %) comme pour le nombre (Sg : 91 % des définis, vs. Pl : 9 % ; pas d’article indéfini pluriel). 6.2.3 Les erreurs sur les déterminants Les analyses précédentes ne distinguaient pas entre formes correctes et formes erronées. Cette sous-section examine dans quelle mesure les deux enfants, lorsqu’ils produisent un déterminant, commettent des erreurs morphologiques. Comme l’indique le Tableau 2 (colonnes ‘erreurs de forme’), Pauline produit très peu de formes erronées (9 au total, soit 2 % des déterminants employés), et la majorité de ces erreurs sont tardives. Deux sont des erreurs de genre (forme du féminin à la place du masculin), les autres correspondent à un défaut de contraction ou d’élision, ou à l’emploi d’un déterminant devant un nom propre. Jan (Tableau 3) produit nettement plus d’erreurs que Pauline (48 au total, soit 10 % des déterminants employés), beaucoup dans la période 3. La plupart (40) sont des erreurs de genre ou de cas, parfois impossibles à distinguer, comme dans Ich habe ein Fisch (J’ai un poisson) avec ein mis pour einen, qui peut être un emploi du neutre à la place du masculin ou du nominatif à la place de l’accusatif. On trouve quelques cas d’utilisation d’un pronom indéfini au lieu de l’article, et un cas d’emploi de déterminant non requis devant un nom propre. La comparaison est convaincante : © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 53 54 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler comme attendu, l’enfant autrichien produit plus d’erreurs que l’enfant française, et en particulier beaucoup d’erreurs de genre ou de cas. 7. Discussion 7.1 La variation interlangue dans l’acquisition des déterminants Conformément à notre hypothèse contrastive de base, le développement de la contrainte d’emploi du déterminant devant le nom débute plus précocement en français qu’en allemand. L’enfant française produit quelques déterminants dès les premières observations et d’assez fréquents fillers pré-nominaux, tandis que l’enfant autrichien, ne produisant pas de déterminant avant l’âge de 1;10 et pratiquement pas de fillers, présente un taux initial d’omission très élevé. Cependant, si l’enfant de langue allemande fait preuve d’un délai d’émergence dans l’emploi des déterminants, la contrainte est acquise à peu près au même moment pour les deux enfants (avant 2;6), au terme d’un processus d’explosion très similaire. Ces résultats s’accordent avec ceux d’autres études contrastives comparant des enfants germanophones et hispanophones et indiquant que les petits Allemands avaient six mois de retard par rapport aux Espagnols dans le développement de l’article mais rattrapaient ces derniers avant 2;6 (Lleó & Demuth 1999 ; Lleó 2001). Ainsi, le retard de développement du déterminant en allemand apparaît comme un délai d’émergence, mais pas d’acquisition, si l’on entend par acquisition l’atteinte du niveau adulte d’intégration de la contrainte d’emploi. Toutefois, l’examen du critère de correction fait apparaître un taux d’erreurs sur les déterminants plus élevé chez l’enfant autrichien que chez l’enfant française. Le délai d’émergence des déterminants en allemand peut être mis en rapport avec les propriétés prosodiques et morphophonologiques du système. Comme discuté en introduction, la production de déterminants ou de fillers prénominaux est vraisemblablement favorisée par la structure prosodique des langues fournissant des modèles lexicaux non ambigus pour l’intégration prosodique des articles, ce qui est plus fréquemment le cas des langues romanes que des langues germaniques (Bassano et al. 2008 ; Lleó & Demuth 1999). L’avantage est net si l’on compare le français, dont la préférence pour la structure binaire iambique facilite la production de syllabes non accentuées devant les noms monosyllabiques (le/un chat), et l’allemand, à préférence trochaïque (Bassano et al. sous presse). D’autre part, les propriétés morphophonologiques spécifiques du système allemand de déterminants peuvent partiellement expliquer l’absence de fillers prénominaux chez l’enfant autrichien. Les déterminants de l’allemand — dont certains sont dissyllabiques et accentués — sont moins propices à générer des fillers que les © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand déterminants du français. Cela ne signifie évidemment pas que les enfants apprenant l’allemand ne produisent jamais de fillers. Certains en produisent (cf. Penner & Weissenborn 1996), mais il reste que l’utilisation des fillers est favorisée dans les langues ou les variantes qui présentent beaucoup de proclitiques non accentués. Le taux de production d’erreurs formelles, nettement plus élevé chez l’enfant autrichien que chez l’enfant française, est à mettre en relation avec la complexité morphologique et l’opacité du système allemand : la plupart des erreurs de Jan sont des erreurs de genre et/ou de cas, qui ne peuvent souvent pas être distinguées pour des raisons d’homophonie (Korecky-Kröll & Dressler 2009). En concordance avec les résultats de Pauline, la rareté des erreurs chez les enfants français — en particulier des erreurs de genre — a souvent été notée (Kupisch, Müller & Cantone 2002). Elle peut être liée aux capacités des enfants à repérer certaines régularités morphophonologiques associées au masculin ou au féminin sur la finale des noms, ou, plus vraisemblablement à nos yeux, au fait que les enfants français apprennent précocement à prêter attention aux déterminants, marqueurs fiables du genre et du nombre. Il faut noter aussi que les fillers produits en français, s’ils sont des précurseurs de déterminants, sont aussi des sortes d’erreurs, en tout cas des approximations auxquelles manquent notamment les marques morphologiques. Notre comparaison interlangue a ses limites. Elle ne porte que sur un enfant de chaque langue –et de sexe différent- ce qui rend difficile la distinction entre variation linguistique et variation individuelle. Les filles sont généralement plus précoces que les garçons en matière de langage (l’étude de Veneziano et Parisse, 2010, sur l’émergence des verbes en français chez –seulement aussi- deux enfants indique un décalage de 2–3 mois en faveur de la fille). Bien que l’effet ‘fille/garçon’ ne soit pas observé dans toutes les études, nous ne pouvons exclure que cette variable ait joué dans la notre, de même que d’autres aspects de la variation individuelle. Cependant, nos résultats sont compatibles avec les prédictions et hypothèses du modèle linguistique dont nous sommes partis, ainsi qu’avec d’autres études comparatives, et, en l’état, apportent une confirmation à l’interprétation en termes de variation interlangue. 7.2 Les hypothèses de prééminence : (in)définitude, genre, nombre Dans quelle mesure l’hypothèse d’une prééminence du défini sur l’indéfini est-elle vérifiée par nos données ? Elle l’est au plan des fréquences globales moyennes, nettement à l’avantage des articles définis. Comme on l’a vu, les articles définis et indéfinis prédominent globalement sur les autres classes de déterminants, et les définis sur les indéfinis, dans les données du français comme dans celles de l’allemand, chez les enfants comme dans l’input. La supériorité de fréquence de l’emploi des définis sur les indéfinis, qui apparaît comme une similitude de fonctionnement © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 55 56 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler dans les deux langues, est compatible avec les théories linguistiques les plus classiques considérant l’article défini comme l’article de base, non marqué, et la ‘définitude’ (impliquant identifiabilité et unicité) au centre de la notion grammaticale de déterminant (Lyons 1999). Cependant, cette conception est débattue, notamment par les descriptions qui considèrent l’indéfini singulier comme l’article non marqué (Farkas 2006), ou celles qui soulignent l’existence de langues n’encodant pas la ‘définitude’ dans leur système de déterminants (voir Ghomeshi et al. 2009). Du point de vue diachronique, les articles définis se sont développés avant les indéfinis dans certaines langues comme l’allemand, mais l’inverse se serait produit dans d’autres, comme le français, où la grammaticalisation de l’article indéfini à partir du numéral latin unum et de l’article défini à partir du démonstratif illum s’est effectuée très tôt dès la période romane, et sans doute d’abord pour l’indéfini (Carlier 2001 ; MarchelloNizia 2006). Les résultats développementaux que nous avons obtenus suggèrent aussi de nuancer l’hypothèse de prééminence du défini sur l’indéfini : durant la période d’émergence des déterminants, chez aucun des deux enfants, on n’observe cette prééminence, qui ne s’établira qu’entre deux ans et deux ans et demi. Chez l’enfant autrichien, les indéfinis ein et eine sont produits à partir de 1;10, en même temps que des quantificateurs et des adjectifs numéraux, alors que les définis ne le sont pas encore. Chez l’enfant française, si les deux classes d’articles sont produits entre 1;6 et 2;4, les indéfinis un et une sont pendant cette période un peu plus fréquents que les définis. Pour le français, les tendances sont compatibles avec l’étude transversale de Bassano et al. (2008), qui indique des proportions moyennes de définis et indéfinis sensiblement égales à 20 et 30 mois, la supériorité de fréquence des définis ne s’affirmant qu’à 39 mois. Ces résultats suggèrent la possibilité d’une émergence des articles par le biais des indéfinis. La précocité des indéfinis pourrait s’expliquer par des raisons fonctionnelles, en liaison avec leur origine numérale ainsi qu’avec leur fonction de dénomination et d’étiquetage, usuelle au début du langage. Qu’en est-il, dans nos données, des hypothèses de prééminence du masculin sur le féminin et du singulier sur le pluriel ? Nous avons analysé séparément les définis et les indéfinis, en utilisant les deux critères de précocité et de fréquence. Pour le français, l’analyse des indéfinis a permis de conclure à une très nette prééminence du masculin sur le féminin et du singulier sur le pluriel. L’analyse des définis a montré aussi une très nette prééminence du singulier sur le pluriel, mais une moindre prééminence du masculin sur le féminin, en raison de la fréquence élevée et de la précocité de l’article défini féminin la (voir ci-après l’interprétation de ce phénomène). La relative fréquence de la forme du féminin pour les définis par rapport aux indéfinis apparaît dans d’autres données françaises, bien qu’elle soit © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand particulièrement amplifiée dans le corpus de Pauline. Ainsi, l’étude transversale de Bassano et al. (2008) indique, dans les groupes de 30 et 39 mois, une proportion moyenne du féminin légèrement inférieure à celle du masculin pour les définis (le : 15 % des déterminants, la : 12 %), alors que cette proportion est trois fois inférieure pour les indéfinis (un : 22 %, une : 8 %). Pour l’allemand, où l’ambiguïté des formes des articles rend impossible l’analyse directe, nous avons eu recours à une analyse indirecte fondée sur la fonction des articles. Cette analyse montre une très nette prééminence du masculin sur le féminin et du singulier sur le pluriel, pour les définis comme pour les indéfinis. Pour les deux langues, nos résultats viennent donc, dans l’ensemble, à l’appui des hypothèses d’une prééminence des catégories non marquées du masculin et du singulier, tant au regard de la fréquence que de la précocité d’émergence. Cependant, les tendances générales ainsi établies dans le développement des articles définis et indéfinis demandent à être nuancées. L’existence de déterminants dissyllabiques en allemand nous avait conduits à formuler l’hypothèse que la saillance perceptive spécifique de certaines formes pouvait jouer subsidiairement en leur faveur. L’enfant autrichien manifeste en effet, dans la période d’émergence des déterminants, une légère préférence pour les formes indéfinies dissyllabiques (eine, *einer). Il est possible aussi que la précocité et la fréquence de l’article défini féminin la dans les données de l’enfant française soient liées à la saillance phonologique de la voyelle [a] de cette forme, contrastant avec le schwa de la forme du masculin le. A l’appui de cette interprétation, on notera que, tandis que la forme de l’article la n’est jamais indûment tronquée, la forme le l’est souvent dans le français familier, signe de sa moindre saillance phonologique (le corpus de Pauline en contient des exemples : est pas dans l’même sens, la boîte ; on met là, l’bébé). Finalement, la précocité de développement des indéfinis dans les deux langues pourrait être favorisée par différents phénomènes de saillance phonologique (saillance de la forme un par rapport à le en français, saillance des formes d’indéfinis dissyllabiques en allemand). 8. Conclusion Cette étude, qui compare le développement de deux enfants apprenant respectivement le français et l’allemand autrichien, a montré comment l’acquisition des déterminants était influencée par les propriétés morphosyntaxiques des langues, agissant en interaction avec les facteurs prosodiques et sémantico-syntaxiques. S’il est remarquable que les deux enfants étudiés parviennent au même âge à l’intégration de la contrainte d’emploi du déterminant obligatoire devant le nom, leurs trajectoires développementales diffèrent : l’émergence des déterminants semble © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 57 58 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler être fonction des différences morphosyntaxiques et prosodiques entre les deux langues, favorisant une apparition plus précoce en français. En revanche, la réalisation des propriétés sémantiques des formes paraît suivre des tendances similaires dans les deux langues — prééminence de fréquence du défini sur l’indéfini, du masculin sur le féminin, du singulier sur le pluriel — sans doute fondées sur le caractère marqué ou non-marqué de ces propriétés. Toutefois, chez les deux enfants, ces tendances sont modulées par les analyses développementales. Le phénomène le plus notable est la précocité de production des articles indéfinis, qui suggère la possibilité d’une émergence des déterminants dans le langage par le biais des indéfinis plutôt que des définis. Des données plus nombreuses et sur d’autres langues seront nécessaires pour préciser ces résultats, notamment avec une analyse des contextes linguistiques et non linguistiques de l’emploi des déterminants. Remerciements Cette recherche a reçu le soutien financier de l’Agence Nationale pour la Recherche (Projet LANGRAMACQ, ANR-06-BLAN-0011). Nous remercions les deux experts anonymes qui ont relu cet article. References Bassano, D. (2000). Early development of nouns and verbs in French : Exploring the interface between the lexicon and grammar. Journal of Child Language n° 27, 521–559. Bassano, D., Korecky-Kröll, K., Maillochon, I., van Dijk, M., Laaha, S. van Geert, P. & Dressler, W.U. (soumis). Prosodic and lexical influences on determiner use : A cross-linguistic perspective. Bassano, D., Maillochon, I., Korecky-Kröll, K., van Dijk, M., Laaha, S., Dressler, W.U. & van Geert, P. (sous presse). A comparative and dynamic approach to the development of determiner use in three children acquiring different languages. First Language. Bassano, D., Maillochon, I. & Mottet, S. (2008). Noun grammaticalization and determiner use in French children’s speech : A gradual development with prosodic and lexical influences. Journal of Child Language n° 35, 403–438. Bittner, D. (2006). Case before gender in the acquisition of German. Folia Linguistica n° 40, 1 part 2, Special Issue : Natural morphology, 115–134. Bottari, P., Cipriani, P. & Chilosi, A.M. (1993/94). Protosyntactic devices in the acquisition of Italian free morphology. Language Acquisition n° 3, 327–369. Carlier, A. (2001). La genèse de l’article un. Langue Française n° 130, 65–88. Demuth, K. & Tremblay, A. (2008). Prosodically-Conditioned Variability in Children’s production of French Determiners. Journal of Child Language n° 35, 99–127. © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved L’ acquisition des déterminants nominaux en français et en allemand Farkas, D. (2006). The unmarked determiner. In S. Vogeleer & L. Tasmowski (Eds.), Non-definiteness and Plurality, 81–105. Amsterdam : John Benjamins. Gerken, L. A. (1994). A metrical template account of children’s weak syllable omissions from multisyllabic words. Journal of Child Language n° 21, 565–584. Ghomeshi, J., Paul, I. & Wiltschko, M. (2009). Determiners : Universal and variation. In J. Ghomeshi, I. Paul & M. Wiltschko (Eds.), Determiners : Universal and variation, 1–21. Amsterdam/Philadelphia : John Benjamins. Guasti, M.T., De Lange J., Gavarro, A. & Caprin, C. (2008). Article omission across child languages. Language Acquisition n° 15, 89–119. Kilani-Schoch, M. & Dressler, W.U. (2005). Morphologie naturelle et flexion du verbe français. Tübingen : Narr. Koehn, C. (1994). The acquisition of Gender and Number Morphology within NP. In J.M. Meisel (Ed.). Bilingual First Language Acquisition. French and German grammatical development, 29–51. Amsterdam : Benjamins. Korecky-Kröll, K. & Dressler, W.U. (2009). The acquisition of number and case in Austrian German nouns. In U. Stephany & M.D. Voeikova (Eds.), Development of Nominal Inflection in First Language Acquisition. A cross-linguistic Perspective, 265–302. Berlin : Mouton de Gruyter. Kupisch, T. (2007). Testing the effects of frequency on the rate of learning : Determiner use in early French, German and Italian. In I. Gülzow & N. Gagarina (Eds.), Proceedings of the workshop on input frequencies in acquisition, 83–113. Berlin : Mouton de Gruyter. Kupisch, T., Müller, N. & Cantone, K. (2002). Gender in monolingual and bilingual first language acquisition : Comparing Italian and French. Lingue e Linguaggio n° 1, 107–149. Lleó, C. (2001). The interface of phonology and syntax : The emergence of the article in the early acquisition of Spanish and German. In J. Weissenborn & B. Höhle (Eds.), Approaches to bootstrapping Vol. II, 23–44. Amsterdam, Philadelphia : John Benjamins. Lleó, C. & Demuth, C. (1999). Prosodic constraints on the emergence of grammatical morphemes : cross-linguistic evidence from Germanic and Romance languages. In A. Greenhill, H. Littlefield & C. Tano (Eds.), Proceedings of the 23rd Annual Boston University Conference on Child Language Development, 407–418. Somerville, MA : Cascadilla Press. Lyons, C. (1999). Definiteness. Cambridge : CUP. Marchello-Nizia, C. (2006). Grammaticalisation et changement linguistique. Bruxelles : De Boeck. Penner, Z. & Weissenborn, J. (1996). Strong continuity, parameter setting and trigger hierarchy. On the acquisition of the DP in Bernese Swiss German and High German. In H. Clashen (Ed.), Generative Perspectives on Language Acquisition, 161–200. John Benjamins : Amsterdam. Peters, A. (2001). Filler syllables : What is their status in emerging grammar ? Journal of Child Language n° 28, 229–242. Pine, J. M., & Lieven, E. (1997). Slot and frames patterns and the development of the determiner category. Applied Psycholinguistics n° 18(2), 123–138. Rozendaal, M. I. & Baker, A.E. (2008). A cross-linguistic investigation of the acquisition of the pragmatics of indefinite and definite reference in two-year-olds. Journal of Child Language n° 35, 773–807. Szagun, G., Stumper, B., Sondag, N. & Franik, M. (2007). The acquisition of gender marking by young German-speaking children : Evidence for learning guided by phonological regularities. Journal of Child Language n° 34, 445–471. © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved 59 60 Dominique Bassano, Katharina Korecky-Kröll, Isabelle Maillochon et Wolfgang U. Dressler Valian, V. (1986). Syntactic categories in the speech of young children. Developmental Psychology n° 22(4), 562–579. van der Velde, M. (2004). L’acquisition des articles définis en L1 : une étude comparative entre le français et le néerlandais. AILE n° 21, 9–46. Veneziano, E. & Parisse, C. (2010). The acquisition of early verbs in French : Assessing the role of conversation and of child-directed speech. First Language n° 30, 287–311. Veneziano, E., & Sinclair, H. (2000). The changing status of ‘filler syllables’ on the way to grammatical morphemes. Journal of Child Language n° 27, 461–500. Vihman, M. M., DePaolis, R. A., & Davis, B. L. (1998). Is there a ‘trochaic bias’ in early word learning ? Evidence for English and French. Child Development n° 69, 935–949. Wittek, A. & Tomasello, M. (2005). German-speaking children’s productivity with syntactic constructions and case morphology : Local cues act locally. First Language n° 25, 103–125. Abstract In many languages, noun determiner acquisition is a central aspect of the emergence of grammar in children. The study compares the development of determiners — between one and three years of age — in the spontaneous productions of two children who acquire French and Austrian German, respectively. Starting with the contrast between Romance and Germanic languages and focusing on morphosyntactic factors, it evaluates the impact of typological and languagespecific differences on determiner acquisition. We examine the prediction that determiners should emerge earlier in French than in German and classical hypotheses concerning the preeminence of definite over indefinite, masculine over feminine, and singular over plural in the light of developmental data. Authors’ addresses Dominique Bassano Centre CNRS, Laboratoire « Structures Formelles du Langage » 59–61 rue Pouchet 75017, Paris, France Isabelle Maillochon Centre CNRS, Laboratoire « Structures Formelles du Langage » 59–61 rue Pouchet 75017, Paris, France [email protected] [email protected] Katharina Korecky-Kröll Austrian Academy of Sciences Department of Linguistics and Communication Research Kegelgasse 27 A-1030 Vienna, Austria Wolfgang U. Dressler Austrian Academy of Sciences Department of Linguistics and Communication Research Kegelgasse 27 A-1030 Vienna, Austria [email protected] [email protected] © 2011. John Benjamins Publishing Company All rights reserved