Kaprow - Musée d`art contemporain de Lyon
Transcription
Kaprow - Musée d`art contemporain de Lyon
Allan KAPROW Œuvres entrées dans la collection en 1996 et 1998 : Pose Carrying Through the City / Sitting Down and Here / Photographed / Pix Left on Spot / Going on, 1970 Enveloppe, cartes imprimées, New York, éd. Multiples Inc. Dimensions : 30,5 x 22,5 cm N° d’inventaire : 996.13.91 Some Recent Happenings, 1966 Journal, éd. New York, Something Else Press Dimensions : 22 x 14 cm N° d’inventaire : 996.13.92 Days Off, a Calendar of Happenings, 1970 Calendrier, New York, éd. Moma Dimensions : 38,5 x 27 cm N° d’inventaire : 996.13.93 Bullshit 01, 1991 Page de journal, éd. G. Di Maggio / A. Kaprow Dimensions : 42 x 30 cm N° d’inventaire : 996.13.94 Echo-logy, 1975 Impression offset, New York, éd. D’Arc Press Dimensions : 30 x 23 cm N° d’inventaire : 996.13.95 Rearrangeable Panels 2, 1958-1994 Dimensions : variables selon la configuration choisie ; première exposition : 300 x 990 x 70 cm Œuvre acquise par le FNAC, à l’initiative du Musée, déposée au Musée en 1998. Transfert de propriété en 2007, n° d’inventaire : 2007.12.28 Allan Kaprow, Rearrangeable Panels 2, 19581994 . ©Blaise Adilon How to Make a Happening, 1966 Disque vinyl, 30 cm, pochette sérigraphiée 31,5 x 31,5 cm Dimensions : 31,5 x 31,5 cm N° d’inventaire : 998.3.1 Allan Kaprow réalise son premier happening public, Communication, en avril 1958 sur le campus du Douglas College à New Brunswick dans le New Jersey. Quelques mois auparavant, il a expérimenté des « actions » similaires mais de moindre ampleur dans la classe de John Cage à l’Institute For Social Research de New York. Ce premier happening se déroule dans le cadre de conférences hebdomadaires destinées aux étudiants et enseignants organisées par Robert Watts sur le thème des « communications » (sont invités parmi d’autres John Cage, David Tudor, Robert Rauschenberg). Allan Kaprow sur scène, silencieux, en costume blanc de tennisman, se tient assis sur une chaise rouge. Du balcon, un, puis bientôt deux autres enregistrements diffusent ses propos qui sont très vite désynchronisés jusqu’à devenir inaudibles. De longues bannières colorées, une balle rouge lancée lentement, des boîtes colorées, une lampe rouge qui s’allume puis s’éteint alternativement. Après quelques secondes, Allan Kaprow marche jusqu’à des miroirs, tourne le dos au public et allume soigneusement une à une des quantités d’allumettes qu’il éteint en soufflant dessus. Puis il reprend sa place. À cette date, personne ne sait qu’il s’agit d’un « happening », pas même Kaprow qui n’a pas 1 encore inventé le terme . Nous rencontrons Allan Kaprow en 1992 chez John Weber à New York avec l’intention de 2 l’inviter à la prochaine Biennale de Lyon . Nous souhaitons une pièce nouvelle ni restaging, ni 1 Allan Kaprow utilise le mot « happening » dans un sens artistique, à l’occasion d’un article qu’il publie au printemps 1958 dans la revue Anthologist, intitulé « Something to take place : a happening ». 2 Et tous ils changent le monde, 3 septembre-13 octobre 1993, Halle Tony-Garnier. © Musée d’art contemporain de Lyon - 2010 1 reinventing. Mais c’est à Lyon, un peu plus tard, que nous abordons ces questions, d’abord celle générique de « l’art et la vie » qui structure et traverse toute son œuvre, puis celle, conséquente et bien plus récente relative aux demandes de plus en plus pressantes qu’on lui fait ici ou là, de « réexposer » ses performances les plus célèbres (telles que Beauty Parlor [1958], Eighteen Happenings in Six Parts [1959], The Apple Shrine [1960], Yard, Words, Sweeping [1962], etc.). Sur l’art et la vie, Kaprow répondra en termes choisis reprenant au plus près les mots qu’il a 3 commis sur le sujet : « Dans l’art occidental, il y a réellement deux histoires de l’avant-garde : une de l’art semblable à l’art, et l’autre de l’art semblable à la vie. En simplifiant, l’art semblable à l’art considère que l’art est séparé de la vie et de tout le reste, tandis que l’art semblable à la vie considère que l’art est en liaison avec la vie et avec tout le reste. En d’autres termes, il y a un art au service de l’art et un art au service de la vie. Celui qui fait de l’art semblable à l’art tend à devenir un spécialiste et celui qui fait de l’art semblable à la vie, un généraliste. Pendant les trente dernières années, mon travail d’artiste s’est situé dans des activités et des contextes qui ne suggèrent en aucun sens l’art. Mais jusqu’où un acte de la vie quotidienne, en dehors du contexte artistique classique, reste-t-il de l’art ? J’ai nommé ce que je fais “environnement”, “happening”, ou “activité” avec des mots du langage commun. Dans les catégories de happening que j’ai définies dans les années 60, celle “d’activité” m’apparaît la plus séduisante, mais la plus risquée. C’est la moins liée à des antécédents historiques et la moins professionnelle, mais c’est aussi la plus libre. Elle permet de se confronter à la question de savoir si la vie est un happening ou si un happening est un art de la vie. Ainsi, j’ai supprimé contextes artistiques, public, unités de temps et de lieu, lieux scéniques, rôles, intrigues, talents d’acteurs, répétitions et même scripts. Me brosser les dents par exemple quand je suis à peine réveillé, regarder le rythme de mon coude qui se déplace de haut en bas… voici une activité. Mais l’attention transforme ce à quoi on prête attention. Et toutes les choses naturelles ne semblent plus naturelles dès lors qu’on leur porte attention et vice-versa. La conscience transforme le monde. Donc les “happenings” étaient loin d’être aussi proches de la vie que je ne l’avais supposé. Un nouveau genre art-vie est apparu, reflétant à la fois les aspects artificiels de la vie quotidienne et les qualités proches de la vie de l’art créé. C’est là où gît le paradoxe : un artiste concerné par l’art semblable à la vie est un artiste qui “fait” et ne “fait pas” de l’art. L’activité elle-même se réduit à un comportement conventionnel. Ainsi se brosser les dents n’offre pas non plus de chemin de retour vers le monde réel. Mais la vie ordinaire performée comme de “l’art non art” peut charger le quotidien d’un pouvoir métaphorique. J’ai souvent dit que j’étais un artiste à temps partiel et un professeur d’université à plein temps. » Quant à la seconde question, celle de la réexposition des environnements et happenings de l’artiste, Kaprow se la pose dès l’automne 1984, lorsque le Whitney réinstalle Yard dans le cadre de l’exposition Blam ! The Explosion of Pop, Minimalism and Performance. Mais c’est en avril 1988, à l’invitation de Jeff Kelley pour une série de « rétrovisions », projet intitulé Precedings à l’université du Texas à Arlington, que Kaprow conçoit et décide de « réinventer » (re-inventing) ses happenings de 1959 à 1986. 18 Happenings…, Sweeping ou Trading Dirt (1983-1986) sont ainsi rétrovisés (retrospecting), c’est-à-dire revus à la lumière du présent : « Je suis intéressé par le présent dans sa continuité, c’est pourquoi il s’agit de réinventions et non d’une reconstruction. À partir d’une métaphore ou d’un matériau dont j’ai souvenir, j’invente l’œuvre nouvelle en relation avec les circonstances actuelles. » C’est ainsi qu’il pratique en 1991 à la Fondation Mudima de Milan. Beauty Parlor, Yard, Push and Pull ou Eat sont « réinventées », tandis que la rage expressionniste des années 1960 est supplantée par l’aventure consumériste triomphante de la fin du siècle. Mais en 1993, à Lyon, c’est une nouvelle pièce que nous souhaitons. Évoquant avec Allan Kaprow le succès public des Biennales, mais aussi celui des grandes expositions patrimoniales vers lesquelles converge, en files d’attente plus ou moins importantes, un visiteur plus ou moins conditionné, Kaprow suggère un type « d’art-vie », ou « d’art non art » qui soit à la fois partie prenante de l’institution artistique (assumant ainsi sa participation) et parfaitement extérieur au cadre institutionnel (respectant ainsi sa propre définition de l’« activité réduite à un comportement conventionnel »). Il propose d’organiser sept circuits de barriérage (faits de barrières standard) conduisant le public, en file, de l’extérieur à l’intérieur de la Biennale. À 3 Voir L’expérience réelle, Et tous ils changent le monde, p. 122 ; Artforum 12, n° 4, p. 37-43 ; voir également L’art et la vie confondus, textes réunis par Jeff Kelley, Paris, éditions du Centre Pompidou, 1996. © Musée d’art contemporain de Lyon - 2010 2 4 chaque jour correspond un circuit ; à charge pour les organisateurs de modifier quotidiennement le barriérage et par conséquent le circuit. L’œuvre est immédiatement proposée à l’acquisition, mais la commission municipale idoine, instance précédant la 5 commission nationale , déclare non sans fermeté que l’art et la vie n’ont rien à voir avec la canalisation des flux du public. Par conséquent, l’œuvre intitulée Barriers, 1993 ne sera jamais 6 acquise. Il faudra attendre la présence de Pierre Restany à la commission du FNAC pour que, notre complicité aidant, un contact soit repris avec Allan Kaprow. Finalement, c’est Rearrangeable Panels 2, pièce de 1958, presque-environnement-pas-encore-happening, dans l’esprit des barrières (puisque l’œuvre doit être exposée au moins en partie en dehors des salles d’exposition), qui est acquise en vue d’un dépôt à Lyon. L’œuvre conçue au tout début 7 de 1958 a été réalisée à l’occasion de l’exposition Hors-Limite, l’art et la vie 1952-1994 . Cette œuvre a de nombreuses configurations possibles, elle peut être présentée en un seul ensemble ou dispersée sur toute la surface disponible… qui l’accueille. Allan Kaprow définit les modalités d’exposition de Rearrangeable Panels 2 lors de son passage à Lyon le 16 juin 1998, à l’occasion de la première présentation de l’œuvre, 8 réinterprétée pour son nouvel et ultime lieu . L’agrément passé entre Allan Kaprow et le Musée permet une modularité quasi infinie de présentation. Les notions de restaging, reinventing et retrospecting nous ont fourni cette « séquence réflexive » qui nous a permis d’interroger, à la lumière du présent, l’œuvre déjà là de Robert Morris, François Morellet, Sarkis ou Weiner, etc. C’est à partir d’une problématique énoncée par l’artiste dans son œuvre que nous l’interrogeons à notre tour, afin qu’il produise une pièce ou un mode de cohésion qui donne à son projet la qualité Allan Kaprow, Rearrangeable Panels 2, 1958d’œuvre « générique ». 1994 ©Blaise Adilon Allan Kaprow Né en 1927 à Atlantic City (États-Unis), décédé en 2006 à Encinitas (États-Unis) 4 « Une centaine de barrières métalliques sont disposées pour former 7 chemins complexes et différents chaque jour de la semaine. Ils conduisent à l’entrée de la Biennale », Statement, Kaprow, 1993. 5 Sur proposition du conservateur, une œuvre est soumise à une commission culturelle municipale qui donne un accord de principe (ou un refus) avant d’être présentée à un Conseil national d’acquisition dans lequel siègent tous les représentants des métiers de conservateur. 6 Le FNAC (Fonds national d’art contemporain) : commission composée de membres permanents et renouvelables tous les trois ans, parmi lesquels artistes, conservateurs, critiques, collectionneurs. 7 MNAM, Centre Pompidou, Paris, du 9 novembre 1994 au 23 janvier 1995. Commissaire : Jean de Loisy 8 Musée d’art contemporain de Lyon. Du 17 juin au 13 septembre 1998, Poèmes à petite vitesse. L’œuvre fait l’objet d’un transfert de propriété en 2007. Elle est désormais inscrite dans la collection de Lyon sous le n° d’inventaire 2007.12.28. © Musée d’art contemporain de Lyon - 2010 3