REECRITURES- LE MYTHE D`OEDIPE TEXTE 1

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REECRITURES- LE MYTHE D`OEDIPE TEXTE 1
REECRITURES- LE MYTHE D’OEDIPE
TEXTE 1 - SOPHOCLE, Œdipe-roi (430-420 av.J.-C,), traduction de Leconte de l’Isle (1877). Dernière
scène.
OEDIPE. - Le bonheur soit donc avec toi ! Et, pour te payer de cette venue, puisse un dieu te sauvegarder,
et mieux qu'il n'a fait moi-même ! - Ô mes enfants1 , ou donc êtes-vous ? Venez, venez vers ces mains
fraternelles, qui ont fait ce que vous voyez de ces yeux tout pleins de lumière du père dont vous êtes nées !
Ce père, mes enfants qui, sans avoir rien vu, rien su, s'est révélé soudain comme vous ayant engendrées
dans le sein où lui-même avait été formé !... Sur vous aussi, je pleure, puisque je ne suis plus en état de
vous voir. Je pleure, quand je songe combien sera amère votre vie à venir et quel sort vous feront les gens.
A quelles assemblées de votre cité, à quelles fêtes pourrez-vous bien aller, sans retourner chez vous en
larmes, frustrés du spectacle attendu ? Et, quand vous atteindrez l'heure du mariage, qui voudra, qui osera
se charger de tous ces opprobres faits pour ruiner votre existence, comme ils ont fait pour mes propres
parents ? Est-il un crime qui y manque ? Votre père a tué son père ; il a fécondé le sein d'où lui-même était
sorti ; il vous a eues de celle même dont il était déjà issu : voilà les hontes qu'on vous reprochera ! Qui, dès
lors, vous épousera ? Personne, ô mes enfants, et sans doute vous faudra-t-il vous consumer alors dans la
stérilité et dans la solitude... Ô fils de Ménécée2, puisque tu restes seul pour leur servir de père. Nous, leur
père et leur mère, sommes morts tous les deux, ne laisse pas des filles de ton sang errer sans époux,
mendiant leur pain. Ne fais point leur malheur égal à mon malheur. Prends pitié d'elles, en les voyants si
jeunes, abandonnées de tous, si tu n'interviens pas. Donne-m'en ta parole, prince généreux, en me touchant
la main... (Créon lui donne la main.) Ah ! Que de conseils, mes enfants, si vous étiez d'âge à comprendre,
j'aurais encore à vous donner ! Pour l'instant, croyez-moi, demandez seulement aux dieux que le sort vous
permette de vivre, de trouver une vie meilleure que celle du père dont vous êtes nées.
CRÉON3. - Tu as assez pleuré, rentre dans la maison.
OEDIPE. - Je ne puis qu'obéir, même s'il m'en coûte.
CRÉON. - Ce qu'on fait quand il faut est toujours bien fait.
OEDIPE. - Sais-tu mes conditions pour m'éloigner d'ici ?
CRÉON. - Dis-les-moi, et je les saurai
OEDIPE. - Veille à me faire mener hors du pays.
CRÉON. - La réponse appartient aux dieux.
OEDIPE. - Mais je fais horreur aux dieux désormais.
CRÉON. - Eh bien ! Alors tu l'obtiendras sans doute.
OEDIPE. - Dis-tu vrai ?
CRÉON. - Je n'ai pas l'habitude de parler contre ma pensée.
OEDIPE. - Emmène-moi donc tout de suite.
CRÉON. - Viens alors et laisse tes filles.
OEDIPE. - Non, pas elles ! Non, ne me les enlève pas !
CRÉON. - Ne prétends donc pas triompher toujours : tes triomphes n'ont pas accompagné ta vie.
On ramène les fillettes dans le gynécée 4, tandis qu'on fait rentrer Œdipe par la grande porte du palais.
LE CORYPHÉE. - Regardez, habitants de Thèbes, ma patrie. Le voilà, cet Œdipe, cet expert en énigmes
fameuses, qui était devenu le premier des humains. Personne dans sa ville ne pouvait contempler son destin
sans envie. Aujourd'hui, dans quel flot d'effrayante misère est-il précipité ! C’est donc ce dernier jour qu'il
faut, pour un mortel, toujours considérer. Gardons-nous d'appeler jamais un homme heureux, avant qu'il ait
franchi le terme de sa vie sans avoir subi un chagrin.
1
Les quatre enfants d’Œdipe et Jocaste sont Etéocle, Polynice, Antigone et Ismène. Ils sont qu’ils sont aussi ses demi-frères et sœur.
2
Père de Créon.
3
Frère de Jocaste. Roi de Thèbes après la mort de Laïos.
4
Partie du palais réservée aux femmes.
TEXTE 2- VOLTAIRE, Œdipe (1718) Acte V sc. 6 (sc. finale)
JOCASTE
Ô mon fils ! Hélas ! Dirai-je mon époux ?
Ô des noms les plus chers, assemblage effroyable !
Il est donc mort ?
LE GRAND-PRETRE
Il vit, et le sort qui l’accable
Des morts et des vivants semble le séparer :
Il s’est privé du jour avant que d’expirer.
Je l’ai vu dans ses yeux enfoncer cette épée
Qui du sang de son père avait été trempée ;
Il a rempli son sort ; et ce moment fatal
Du salut des thébains 1est le premier signal.
Tel est l’ordre du ciel, dont la fureur se lasse ;
Comme il veut, aux mortels il fait justice ou grâce ;
Ses traits sont épuisés sur ce malheureux fils.
Vivez, il vous pardonne.
JOCASTE, Se Frappant.
Et moi, je me punis.
Par un pouvoir affreux réservé à l’inceste,
La mort est le seul bien, le seul dieu qui me reste.
Laïus, reçois mon sang, je te suis chez les morts :
J’ai vécu vertueuse, et je meurs sans remords.
LE CHŒUR
Ô malheureuse reine ! Ô destin que j’abhorre !
JOCASTE
Ne plaignez que mon fils, puisqu’il respire encore.
Prêtres, et vous thébains, qui fûtes mes sujets,
Honorez mon bûcher, et songez à jamais
Qu’au milieu des horreurs du destin qui m’opprime,
J’ai fait rougir les dieux qui m’ont forcée au crime.
RIDEAU
1
Œdipe libère Thèbes de la peste au moment-même où il apprend la terrible vérité.
TEXTE 3 – JEAN COCTEAU, La machine infernale (1934). Dernière scène.
Jocaste paraît dans la porte. Jocaste morte, blanche, belle, les yeux clos. Sa longue écharpe enroulée
autour du cou.
ŒDIPE. - Jocaste! Toi ! Toi vivante!
JOCASTE. - Non, Œdipe. Je suis morte. Tu me vois parce que tu es aveugle; les autres ne peuvent plus
me voir.
ŒDIPE. - Tirésias 1 est aveugle ...
JOCASTE. - Peut-être me voit-il un peu… Mais il m'aime, il ne dira rien ...
ŒDIPE. - Femme! Ne me touche pas ...
JOCASTE. -Ta femme est morte pendue, Œdipe. Je suis ta mère. C'est ta mère qui vient à ton aide...
Comment ferais-tu rien que pour descendre seul cet escalier, mon pauvre petit?
ŒDIPE. - Ma mère!
JOCASTE. -Oui, mon enfant, mon petit enfant.., Les choses qui paraissent abominables aux humains, si tu
savais, de l'endroit où j'habite, si tu savais comme elles ont peu d'importance.
ŒDIPE. - Je suis encore sur la terre.
JOCASTE. -À peine.
CRÉON. - Il parle avec des fantômes, il a le délire, la fièvre, je n'autoriserai pas cette petite ...
TIRÉSIAS. - Ils sont sous bonne garde.
CRÉON. - Antigone ! Antigone, je t'appelle ...
ANTIGONE. - Je ne veux pas rester chez mon oncle ! Je ne veux pas, je ne veux pas rester à la maison.
Petit père, petit père, ne me quitte pas! Je te conduirai, je te dirigerai...
CRÉON. - Nature ingrate.
ŒDIPE -Impossible, Antigone, 'Tu dois être sage. Je ne peux pas t'emmener.
ANTIGONE. - Si ! Si !
ŒDIPE. - Tu abandonnerais Ismène?
ANTIGONE.- Elle doit rester auprès d'Étéocle et de Polynice. Emmène-moi, je t'en supplie ! Je t'en supplie
! Ne me laisse pas seule! Ne me laisse pas chez mon oncle ! Ne me laisse pas à la maison!
JOCASTE - La petite est si fière. Elle s'imagine être ton guide. Il faut le lui laisser croire. Emmène-la... Je
me charge de tout.
ŒDIPE, - Oh!... Il porte la main il sa tête.
JOCASTE. - Tu as mal?
ŒDIPE. - Oui, dans la tête et dans la nuque et dans les bras. C'est atroce.
JOCASTE. - Je te panserai à la fontaine.
ŒDIPE, abandonné. Mère ...
JOCASTE. - Crois-tu! Cette méchante écharpe et cette affreuse broche! L'avais-je assez prédit.
CRÉON.- C'est impossible. Je ne laisserai pas un fou sortir en liberté avec Antigone. J'ai le devoir ...
TIRÉSIAS. - Le devoir! Ils ne t'appartiennent plus; ils ne relèvent plus de ta puissance.
CRÉON. - Et à qui appartiendraient-ils ?
TIRÉSIAS. - Au peuple, aux poètes, aux cœurs purs.
JOCASTE. - En route! Empoigne ma robe solidement… n'aie pas peur...
Ils se mettent en route.
ANTIGONE. - Viens, petit père… partons vite…
ŒDIPE. - Où commencent les marches ?
JOCASTE ET ANTIGONE. - Il y a encore toute la plate-forme...
Ils disparaissent... On entend Jocaste et Antigone parler exactement ensemble.
JOCASTE ET ANTIGONE.- Attention... compte les marches... Un, deux, trois, quatre, cinq...
CRÉON. - Et en admettant qu'ils sortent de la ville, qui s'en chargera, qui les accueillera ?
TIRÉSIAS - La gloire.
CRÉON. - Dites plutôt le déshonneur, la honte...
TIRÉSIAS. - Qui sait ?
RIDEAU
Saint-Mandrier 1932
1
Devin aveugle de Thèbes.
TEXTE 4 – Henry BAUCHAU, Œdipe sur la route (1990).
Le dernier chapitre, « Le chemin du soleil » (chap.16) est le récit de Clios, protecteur et ami, qui a longtemps
suivi Œdipe et Antigone dans leurs errances depuis Thèbes jusqu’aux portes d’Athènes, et qui, après les
avoir quittés, s’est marié et est devenu un peintre célèbre. Il a notamment peint une fresque, qui évoque leurs
années de voyage commun : un chemin de terre et de cailloux, où les branches des arbres se rejoignent,
avec une seule touffe de coquelicots pour l’éclairer. Un chemin qui lui rappelle son enfance..
Il 1 arrive devant la fresque, il la contemple longuement et dit : «C’est bien la route.»
Il appelle ses filles, les embrasse, les bénit toujours avec cette puissante égalité qu’il a établie entre elles. Il
dit : «Vous avez souffert par ma faute, mais personne ne vous a aimées plus que moi.»
Il se tourne vers moi : « Tu es parti et tu es revenu au jour juste. Tu as été un ami véritable pour Antigone et
pour moi. Tu le seras aussi, Clios, pour tous ceux qui verront tes œuvres.»
Une voix puissante s’élève de la terre, il veut repartir pour répondre à son appel. Thésée l’arrête pour dire
devant lui à Antigone : «Œdipe est à jamais citoyen d’Athènes. Vous deux, vous serez mes enfants. Que
veux-tu faire, Antigone, quand ton père ne sera plus là? »
Elle, toujours aussi simple, lui répond par deux vers qu’elle profère dans cette langue étrange que nous
avons entendue chanter dans le bois sacré de Colône. Ils disent à Thésée de la renvoyer à Thèbes pour
arrêter, s’il se peut, le Meurtre en marche vers ses frères.
Je me demande si ce sont des vers d’Œdipe que je ne connais pas, mais il n’est plus temps de poser des
questions. Œdipe nous quitte, il est au pied de la fresque, il fait un premier pas sur le chemin. Il marche sans
buter sur les pierres, il est sous les branches des arbres. Il cueille le fruit sombre d’une ronce, il se penche
vers la touffe de coquelicots. Il va sans se retourner et nous le voyons s’éloigner sans savoir si c’est dans
les couleurs que j’ai préparées pour lui qu’il s’enfonce ou dans nos cœurs où le chagrin et un bonheur
inattendu se mêlent. Il arrive à ce point où la clarté du ciel se confond avec la lumière dorée des soleils. Là,
les lignes vers la profondeur se prolongent à l’infini et il n’est bientôt plus, pour nos yeux trop faibles, qu’un
point minuscule qui peu à peu s’efface.
Le tonnerre gronde, nous avons peur, nous avons froid et nous nous prenons par la main comme des enfants
abandonnés. Antigone est au milieu, elle nous entraîne, elle nous oblige à revenir vers Colône. Le ciel est
devenu tout noir, la foudre s’abat plusieurs fois près de nous.
Ismène est épouvantée et je le suis aussi. C’est le calme et le pas ferme d’Antigone qui nous retiennent de
fuir. Je ne puis m’empêcher de me retourner, la foudre a renversé le mur et ce qui reste de la fresque est en
train de brûler. Je le dis à Antigone, elle ne s’arrête pas, elle ne se retourne pas et dit : « Le chemin a disparu,
peut-être, mais Œdipe est encore, est toujours sur la route.»
1
Oedipe.
TEXTE 5. José Maria de Heredia, Les Trophées (1893)
SPHINX
Au flanc du Cithéron, sous la ronce enfoui,
Le roc s'ouvre, repaire où resplendit au centre
Par l'éclat des yeux d'or, de la gorge et du ventre,
La vierge aux ailes d'aigle et dont nul n'a joui.
Et l'Homme s'arrêta sur le seuil, ébloui.
- Quelle est l'ombre qui rend plus sombre encor mon antre ?
- L'Amour. - Es-tu le Dieu ? Je suis le Héros. - Entre ;
Mais tu cherches la mort. L'oses-tu braver ? - Oui.
Bellérophon dompta la Chimère farouche.
- N'approche pas. - Ma lèvre a fait frémir ta bouche...
- Viens donc ! Entre mes bras tes os vont se briser ;
Mes ongles dans ta chair... Qu'importe le supplice,
Si j'ai conquis la gloire et ravi le baiser ?
- Tu triomphes en vain, car tu meurs. - Ô délice !...
TEXTE 6 – Gherasim LUCA, Paralipomènes (1976)
ŒDIPE SPHINX
Au nom
des
hors-la-loi
d'hier
au nom
des
hors-la-loi
d'aujourd'hui
le rescapé d'Auschwitz
et le rescapé
SS
s'interrogent
au tribunal de
Francfort
Comment condamner au nom de la loi
le crime commis au nom de la loi
Comment pardonner au nom de la loi
le sang versé au nom du sang
La question
dépasse la réponse
et l'accusé
le box
Ni pardon
ni châtiment
à perpétuité *
*Hiroshima...
Budapest...
Congo...