Hypersudation sous antidépresseurs

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Hypersudation sous antidépresseurs
CENTRE HOSPITALIER SPECIALISE
DE CAEN
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Pharmacie
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L’HYPERSUDATION CHEZ LES PATIENTS
TRAITES PAR ANTIDEPRESSEURS
M. Sassier, Interne en Pharmacie
C. Gabriel-Bordenave, V. Auclair, C. Roberge, Pharmaciens
Dr P. Quiquandon, Psychiatre
15 ter rue Saint Ouen - B.P. 223 - 14012 CAEN Cedex 1 - Tel : 02 31 30 50 59 / Fax : 02 31 30 50 10
Courriel : [email protected]
« J’ai les mains moites », « Je transpire beaucoup », « Après un minimum d’activité physique, je
commence immédiatement à transpirer », « Je me réveille la nuit en sueur »…
1. L’hypersudation : iatrogène, symptomatique ou idiopathique ?
L’hypersudation est un effet indésirable rapporté lors de l’utilisation de nombreux
antidépresseurs, dont les imipraminiques et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Le
mécanisme par lequel ces antidépresseurs induisent une hypersudation n’est pas bien défini.
Cependant on peut supposer : une activation du système nerveux sympathique, une action sur
l’hypothalamus par l’intermédiaire de la sérotonine ou encore une perturbation de la balance entre
les récepteurs alpha et bêta du système nerveux sympathique [1].
Il convient cependant de ne pas rattacher abusivement ces hypersudations au traitement car
elles peuvent faire partie notamment de la symptomatologie anxieuse. Rappelons que la
transpiration fait partie des symptômes neurovégétatifs décrits dans l’anxiété généralisée ou le
trouble panique [2].
L’origine de l’hypersudation peut également être somatique, c’est le cas par exemple des
sueurs nocturnes caractéristiques de la tuberculose. Les causes non infectieuses de sudation incluent
l’abus d’alcool, la thyrotoxicose, le diabète sucré, certains lymphomes ou encore des perturbations
endocriniennes comme la ménopause. Ces hypersudations s’accentuent habituellement la nuit [3].
L’hypersudation peut également être d’origine idiopathique, une étude a estimé la
prévalence dans la population générale à 2,8% [4].
2. Les neuromédiateurs impliqués
La transpiration est une réponse du système nerveux sympathique induite par
l’hypothalamus lors d’un excès de chaleur, le message descend ensuite par la moelle épinière vers la
chaîne ganglionnaire sympathique puis vers les nerfs périphériques qui innervent 2 à 5 millions de
glandes sudoripares eccrines distribuées à la surface de l’organisme. Les glandes sudoripares sont
innervées par les fibres nerveuses cholinergiques (sauf les glandes apocrines des mains et des
pieds) [5].
L’acétylcholine est le principal neurotransmetteur à jouer un rôle dans la régulation de la
transpiration au niveau de la chaîne ganglionnaire sympathique, et au niveau des récepteurs
muscariniques des glandes sudoripares [6].
Cependant les glandes sudoripares peuvent aussi être stimulées par les neurotransmetteurs
adrénergiques circulant dans le sang provoquant une hypersudation [1].
La sérotonine serait également impliquée dans la thermorégulation : une étude chez le rat a
montré que l’élévation de la concentration en sérotonine au niveau hypothalamique induite par la
fluoxétine a été associée à une hyperthermie [7]. Bien que cela n’ait pas été évalué chez l’homme,
un effet similaire pourrait contribuer à observer cet effet indésirable. De plus, lors d’un syndrome
sérotoninergique caractérisé par un excès de sérotonine dans le système nerveux central et lié à la
prise de certains antidépresseurs, l’une des manifestations cliniques est l’apparition de sueurs
abondantes [8].
3. Hypersudation et Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
L’hypersudation est un effet secondaire bien connu des ISRS, il concerne environ 10% des
patients [9].
Cet effet indésirable serait plus ou moins marqué en fonction des ISRS. Une étude
comparant deux groupes de 60 patients traités par ISRS, l’un par fluvoxamine FLOXYFRAL®,
l’autre par paroxétine DEROXAT®, a montré que l’incidence de l’hypersudation était
significativement plus élevée dans le groupe paroxétine (33%) par rapport au groupe fluvoxamine
(10%) [10].
Concernant l’un des antidépresseurs le plus utilisé, la fluoxétine PROZAC®, une étude
comparative versus placebo sur 4016 patients traités par 20 à 80mg par jour de fluoxétine pour
dépression majeure fournit des éléments de fréquence concernant cet effet indésirable. L’incidence
de l’hypersudation chez les patients traités par fluoxétine était significativement augmentée par
rapport au groupe placebo (8.6% vs 3.5%). Pour les patients qui ont reçu une dose de 20mg, qui
correspond à la dose usuelle, l’incidence était de 6.5% [5].
Une observation rapporte le traitement par mirtazapine NORSET® d’une hypersudation
induite par l’escitalopram SEROPLEX® ayant des propriétés sérotoninergiques. La mirtazapine est
connue pour avoir des propriétés antagonistes sur les récepteurs sérotoninergiques 5HT2 et 5HT3
ainsi qu’un effet antagoniste sur les récepteurs α2 présynaptiques centraux d’où l’augmentation de la
neurotransmission noradrénergique et sérotoninergique centrale [11]. La stimulation de la
neurotransmission sérotoninergique serait spécifiquement médiée par les récepteurs 5HT1, les
récepteurs 5HT2 et 5HT3 étant bloqués par la mirtazapine [12]. Lors de la coprescription de la
mirtazapine à l’escitalopram, une diminution dose dépendante de la transpiration a été
observée [13].
Il s’agit de la première observation d’un éventuel effet « antidote » de la mirtazapine sur les
hypersudations induites par les ISRS. L’activation des récepteurs centraux 5HT2A joueraient un rôle
important dans l’élévation de la température corporelle [14]. Comme la mirtazapine bloque les
récepteurs 5HT2, l’observation clinique sur la transpiration pourrait être associée à une modulation
de la thermorégulation par la sérotonine.
Cependant, dans ce cas, la mirtazapine et l’escitalopram sont associés à d’autres
médicaments, donc de multiples interactions ont pu influencer l’effet observé. Les données validant
l’effet « antidote » de la mirtazapine sur l’hypersudation induite par les ISRS sont donc limitées.
Son application en pratique pose la question du rapport bénéfice/risque d’une association
d’antidépresseurs non justifiée par la clinique psychiatrique et qui de plus expose à un risque
iatrogène évidemment supérieur à celui d’une monothérapie antidépressive.
En revanche, l’hypersudation n’apparaît pas signalée comme effet secondaire dans les
mentions légales de la mirtazapine. Elle pourrait peut être représenter un traitement antidépresseur
alternatif chez les patients très gênés par une hypersudation vraisemblablement induite par le
traitement antidépresseur.
4. Hypersudation et Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline
Au cours des études réalisées avant la mise sur le marché de la venlafaxine EFFEXOR®,
l’hypersudation est apparue chez plus de 10% des patients, et deux fois plus souvent que chez les
patients traités par placebo.
L’hypersudation apparaît comme étant « dose dépendante » : 6,7% des patients recevant
75 mg/jour de venlafaxine EFFEXOR®, 12,4% des patients recevant 225mg/jour, et 19,3% des
patients recevant 375 mg/jour. De nombreux cas d’hypersudation ont été rapportés lors de
l’utilisation de la venlafaxine, et cet évènement a disparu après diminution de la posologie, arrêt du
traitement, ou addition d’un traitement symptomatique [15].
Concernant l’hypersudation chez les patients traités par duloxétine CYMBALTA®, les
mentions légales indiquent que, lors des études cliniques comparative versus placebo (incluant au
total 5253 patients) conduites dans la dépression et dans les douleurs neuropathiques diabétiques,
des cas d’hypersudation et de sueurs nocturnes ont été fréquemment rapportés (fréquence comprise
entre 1 et 10%) [16].
5. Hypersudation et Antidépresseurs Imipraminiques
Le mécanisme présumé de l’hypersudation induite par les antidépresseurs imipraminiques
est l’inhibition de la recapture de la noradrénaline principalement par stimulation des récepteurs
adrénergiques périphériques [1]. Ces hypersudations occasionnelles apparaissent malgré l’effet
anticholinergique connu de ces médicaments [17]. Une étude faite sur 84 patients a montré
l’apparition d’une hypersudation chez 14% des patients traités par antidépresseurs
imipraminiques [1].
Conclusion :
Les données actuelles concernant l’hypersudation liée à la prise d’antidépresseurs sont peu
nombreuses et ne permettent pas d’élucider totalement le mécanisme d’action moléculaire
complexe responsable de cet effet indésirable même si l’on peut supposer un rôle important de la
sérotonine, de la noradrénaline et de l’acétylcholine dans la thermorégulation. L’hypersudation est
un effet indésirable rapporté avec de nombreux anti-dépresseurs et apparaît comme dose dépendant
avec certaines molécules comme la venlafaxine. Une étude a permis de poser l’hypothèse d’une
moindre occurrence de cet effet secondaire sous mirtazapine. Ces données sont cependant à étayer
par d’autres observations sur un plus grand nombre de patients.
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