Nettoyer
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"Ciel, quel dépotoir", "dangers volants identifiés", "espace poubelle", "le grand embouteillage", "on se bouscule dans l'espace", "petite pollution deviendra grande" … Autant de titres alarmistes quant à la capacité humaine de polluer l'Espace. Les articles qui les accompagnent tirent la sonnette d'alarme : il est urgent de prendre les mesures nécessaires pour nettoyer l'Espace. Comme en médecine ou en sauvegarde, cela commence par prévenir, en limitant le nombre de débris rejetés dans l'espace. Mais le test d'interception chinois le 11 janvier dernier, avec pour conséquence la dispersion de milliers de débris supplémentaires sur une orbite déjà encombrée, prouve que tous les états n'ont pas pleinement conscience des enjeux. Les débris peuvent être potentiellement fatals pour les autres satellites ou encore pour la Station Spatiale Internationale qui, elle, est habitée… Face à cette situation critique, l'IADC, Inter Agency Space Debris Coordination Committee, a mis en place une charte de "bonne conduite", signée par ses onze agences membres. © Arianespace/Starsem, 2006 Regarder vers l’Espace Nettoyer Gros plan sur un impact de débris spatial 26 / LATITUDE 5 / N°77 / JUILLET 2007 Quelques 9100 objets supérieurs à 10 cm évoluent de façon désordonnée et dangereuse en orbite, contre 500 objets utiles sur ces mêmes orbites. Pour ses 50 ans, quel meilleur cadeau d'anniversaire pourrions-nous offrir à l'Espace que de le respecter et l'assainir de nos propres déchets ? Car enfin, comment envisager des opérations futures dans un Espace qui ne pourra plus s'y prêter ? Par Karol Barthelemy L es acteurs du domaine spatial ont longtemps considéré que l'immensité de l'Espace permettait d'y abandonner sans précaution des objets comme les étages supérieurs, les satellites en fin de vie, et divers objets tels boucliers, boulons et autres. En effet, lanceurs et satellites sont générateurs de débris spatiaux, soit en orbite basse, en particulier inférieure à 2000 km, soit en orbite de transfert géostationnaire (200 km - 36 000 km). Les lois de la mécanique spatiale peuvent transformer ces débris, tel un copeau de peinture, en projectiles fatals dont la vitesse peut atteindre 28 000 km/h, risquant d'endommager ou de détruire les véhicules spatiaux opérationnels. Cependant, la durée de vie en orbite est limitée par la présence de l'atmosphère terrestre, même ténue. Cette dernière va ralentir les objets, et à long terme, pour ceux qui évoluent sur des orbites basses, provoquer leur rentrée sur terre. Quelques chiffres Bien que les chiffres ne cessent d'augmenter, les évaluations récentes recensent à la fin 2006 environ 9 100 objets d'une taille supérieure à 10 cm, catalogués et régulièrement suivis par des capteurs, 200 000 objets d'une taille comprise entre 1 et 10 cm, 35 000 objets d'une taille comprise entre 0,1 et 1 cm. Les particules d'une taille inférieure à 0,1 cm sont bien sûr encore plus nombreuses, de l'ordre de 35 millions... A une altitude de 940 km, les débris d'un diamètre supérieur à 0,1 cm engendrent plus d'impact que les météorites qui constituent l'environnement naturel. Espace fourre-tout La désorbitation des satellites en fin de vie S'il est possible d'effectuer une manœuvre de désorbitation pour un satellite en orbite basse pour provoquer sa rentrée dans l'atmosphère, le procédé devient en revanche techniquement inopérable pour un objet en orbite géostationnaire (36 000 km). La seule solution consiste alors à faire un transfert vers une "orbite cimetière", située à environ 300 km au-dessus de l'orbite géostationnaire. Mais ces manœuvres coûtent très cher, et tout le monde ne joue pas le jeu. Concernant les transferts vers l'orbite cimetière de ces dix dernières années, un tiers seulement des opérateurs a correctement effectué ce transfert, un autre tiers l'a tenté, sans satteindre tous les critères, et le dernier tiers n'a rien fait. Il n'en demeure pas moins que la désorbitation de l'orbite géostationnaire est nécessaire afin de libérer de la place pour assurer la continuité de services. D'où l'importance accrue d'une réglementation internationale. © CNES/Ducros David, 1998 Ce qui se passe là-haut Tous les 14 jours en moyenne, un objet d'une taille supérieure à 10 cm passe à moins de 1500 mètres de chaque satellite SPOT ou Helios. La navette spatiale américaine change en moyenne un hublot par mission à cause d'impacts de météorites ou de débris. Elle a déjà réalisé des manœuvres d'évitement vis-à-vis de débris catalogués (> 10 cm). La première collision répertoriée a eu lieu en 1996 entre le satellite français Cerise et un débris issu d'une explosion d'un étage supérieur d'Ariane, conduisant à la perte du satellite. LATITUDE 5 / N°77 / JUILLET 2007 / 27 Les risques au sol Durant leur rentrée dans les différentes couches de l'atmosphère, les matériaux chauffent intensément et une grande partie est "sublimée". Mais certains éléments, notamment les grandes structures comme les réservoirs, résistent à ce phénomène du fait de leur forme et de la nature des matériaux les composant. Les risques au sol sont relatifs . D'une part, l'homme a la capacité de contrôler la rentrée atmosphérique de gros éléments présentant des dangers, en les guidant vers une zone inhabitée de son choix comme l'océan (rentrée de Mir en 2001 dans le Pacifique Sud). D'autre part, pour les éléments plus petits, même s'il est difficile de prévoir précisément le moment et la zone de chute des débris d'un objet rentrant et se consumant naturellement dans l'atmosphère, il faut garder à l'esprit que 70% de la surface terrestre est composée d'océans. A ce jour, un peu moins de 20 000 objets sont rentrés sur Terre sans provoquer de victime. Finalement, le risque lié à la retombée d'objets créés par l'homme est inférieur à celui lié aux rentrées de météorites, luimême reconnu comme étant faible. Problématique et solutions Pour réduire les risques, il faut limiter le nombre d'objets spatiaux en orbite autour de la Terre et protéger les zones d'intérêt dans l'Espace. Ces dernières regroupent des zones d'altitude intéressantes pour des applications ou missions spatiales : orbites basses, MEO (autour de 20 000 km d'altitude), l'orbite géostationnaire et les orbites géosynchrones. Il existe pour cela quatre solutions : l'évitement, la protection, l'élimination et la prévention. L'évitement consiste à manœuvrer un satellite pour éviter une "mauvaise rencontre" ou à modifier l'heure d'un lancement en cas de risque de collision ; il ne peut être mis en œuvre que pour les débris catalogués et suivis (> 10 cm). 28 / LATITUDE 5 / N°77 / JUILLET 2007 © CNES/Ducros David, 1999 Les risques en orbite Les dommages engendrés peuvent être relativement importants, même si la taille du débris paraît ridicule. Ceci incombe à la vitesse orbitale des débris qui est très élevée (8-10 km/s), et par conséquent, l'énergie cinétique n'en est que plus importante. Par exemple, une sphère d'aluminium d'un diamètre de 1 mm se déplaçant à une vitesse de 10 km/s perfore une paroi de 4 mm d'épaisseur du même matériau. Cette sphère développe alors la même énergie cinétique qu'une boule de pétanque lancée à 100 km/h… De ce fait, les risques vont crescendo avec la taille du débris. Ceux d'une taille inférieure à 0,01 cm ne font qu'éroder les surfaces de nos satellites opérationnels sur le long terme, mais génèrent par exemple le détachement d'écailles de peinture. En revanche, les débris d'une taille comprise entre 0,01 et 1 cm provoquent des dommages significatifs, comme des perforations d'équipements, engendrant un dysfonctionnement mineur voire total du dit équipement. Dans la classe supérieure, les débris d'une taille comprise entre 1 et 10 cm causent un réel danger : trop petits et trop nombreux pour être catalogués, ils présentent un fort potentiel destructeur. Enfin, les débris d'une taille supérieure à 10 cm provoqueraient des conséquences catastrophiques pour le satellite atteint, pouvant aller jusqu'à sa perte, voire générer une explosion. Le satellite Cerise endommagé par un débris La protection incite à une conception intelligente de l'architecture des objets spatiaux pour atténuer les effets d'un impact avec des débris, par exemple en disposant les équipements fragiles d'un satellite derrière des équipements moins sensibles ou sur une face peu exposée. Il peut encore s'agir de rajouter des blindages spécifiques (Kevlar, Nextel) ou intrinsèques (utilisation des parois du satellite comme boucliers). Cette solution n'est efficace que si la taille des débris est inférieure à 1 cm. L'élimination consisterait à diminuer le nombre de débris, soit en les récupérant, soit en les faisant rentrer sur Terre, mais la faisabilité des concepts jusqu'ici évoqués n'a pu être démontrée. Outre le fait que ces trois premières solutions soient particulièrement onéreuses, elles ne constituent qu'une réponse partielle à la problématique. La prévention s'impose alors comme la solution la plus réaliste : éviter de générer de nouveaux débris et limiter ainsi la prolifération de ceux déjà existants. Il s'agit par exemple d'appliquer des mesures de passivation des étages supérieurs ou des satellites, de désorbiter ou ré-orbiter les satellites. Des recommandations acceptées par l'ONU ? Quelques agences, notamment le CNES et la NASA, ont élaboré des "règles de bonne conduite", qui ont formé des standards. Cependant, du fait de la nécessité d'un consensus international, l'IADC (Inter Agency Space Debris Coordination Committee) a vu le jour en 1993. Force de proposition pour les Nations-Unies en matière de débris spatiaux, l'IADC regroupe 11 agences spatiales gouvernementales : ASI (Italie), CNES, CNSA (Chine), DLR (Allemagne), ESA (Europe), ISRO (Inde), JAXA (Japon), NASA (Etats-Unis), NSAU (Ukraine), Roskosmos (Russie). Audelà, ce sont 63 pays qui adhèrent à la protection de l'Espace à l'ONU. L'IADC a établi en 2002 un recueil des principes dictant les règles de base à appliquer, et acceptées par les agences, selon trois grandes recommandations : Soyons propres, N'explosons plus, Protégeons les zones orbitales vitales. La tenue en Chine de la 25ème conférence internationale de l'IADC en avril dernier a été ajournée. Le CNES, qui assure le secrétariat de l'IADC, a proposé la tenue de cette conférence du 3 au 6 juillet 2007 à Toulouse, ce qui a été fait. Cette initiative a été unanimement saluée par toutes les agences qui ont répondu présent, sans exception. Sources : * Pour une politique juridique des activités spatiales, Etude du Conseil d'Etat d'avril 2006, * Site web du CNES : http://www.cnes.fr, * La Tribune - 06/06/2007, p. 39, * France Info, L'invité des sciences, 16/03/2006, * Ca m'intéresse - 01/07/2006, p. 28