Jeu d`Ombre

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Jeu d`Ombre
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’Ashtaroût
Cahier hors-série n° 8 (décembre 2011), 336 p. ~ Freudiana / Intermède, pp. 162-165
ISSN 1727-2009
Eddy Choueiry
Jeu d’Ombre
J
e ne me rappelle plus exactement lequel
d’entre nous a eu l’idée de photographier
les Ombres. L’ombre est advenue pour
nous deux comme un archétype commun
entre nos vases communicants.
Parnet, dans ce livre de Dialogues paru chez
Flammarion en 1977. N’étant pas de ce
calibre, j’ai voulu seulement jouer à ça, par
Nostalgie peut-être envers ce grand philosophe du XXe siècle que j’admire. Le jeu
consiste à bégayer, à involuer, à négocier dans
le Devenir. De même il consiste à ne pas
travailler ensemble mais entre les deux. Et
surtout à voler ! « J’ai volé Félix et j’espère qu’il
en fait de même pour moi ». Double vol.
Dans son livre sur Proust, Deleuze écrit :
« Une œuvre d’art vaut mieux qu’un ouvrage philosophique ; car ce qui est enveloppé dans le signe est
plus profond que les significations explicites... il y a ce
qui donne à penser. » Mais le philosophe est un
artiste de la pensée ; écoutez Nietzche dans
Schopenhauer éducateur :
L’Entre-nous me rappelle la relation entre
Gilles Deleuze et Félix Guattari, écrite par
Deleuze, expliquant Guattari, signée Claire
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« Il semble parfois que l’artiste, et en particulier le
philosophe, ne soit qu’un hasard dans son époque… À
son apparition, la nature, qui ne saute jamais, fait un
bond unique, et c’est un bond de joie, car elle sent que
pour la première fois elle est arrivée au but. »
Les Signes, comme les ombres, sont
immatériels et flous. Les Signes, les ombres,
sont plus profonds que les objets qui les
émettent, mais qui se rattachent toujours à
eux. Leur sens est plus profond que le sujet
qui les interprète, mais se rattache à ce sujet
par une série d’associations subjectives. Reste
qu’au-delà de ces interprétations, de ces
associations, il y a les essences. C’est seulement au niveau de l’Art que les essences sont
révélées, – toujours suivant Deleuze lecteur
de Proust.
Notre Jeu d’Ombre apparaît comme un
Signe à déchiffrer, à interpréter, – c’est un
hiéroglyphe. Une photo d’ombre est un
signifiant. « Un signifiant est ce qui représente un
sujet pour qui ? – Non pas pour un autre sujet, mais
pour un autre signifiant. » Jacques Lacan in Les
quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.
L’ombre est en éternelle mouvance.
C’est du temps retrouvé, au sein du temps
perdu, qui nous donne une image de l’éternité. Une éternité qui s’affirme dans l’Art. Le
Temps, pour devenir visible, cherche des
corps, des objets. Les corps, les objets,
dansent sous la lumière lentement en traînant
des traces d’ombre fortuite, précaire et éphémère.
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Deleuze se demande ce qu’est une essence, et Proust lui répond : « C’est une Différence ». Pour Proust, la Différence est une différence qualitative au cœur d’un sujet. Comment,
de façon propre, nous apparaît le monde ?
Sans l’Art, notre façon de concevoir le monde est une différence qui demeure éternellement le secret de chacun.
Dans l’Art, les choses se dématérialisent.
Pour nous deux – Dounia et moi – ces
photos d’ombre sont des signes à déchiffrer.
Leur sens reflète une essence. C’est un
apprentissage au sein du Devenir deleuzien.
Reste que la révélation de l’essence advient
au-delà de l’objet et de nous-mêmes. Elle
appartient intégralement au domaine de l’Art.
Grâce à l’Art nous parvenons à sortir de
nous-mêmes pour voir comment l’autre
perçoit un univers différent du nôtre. Ce
n’est pas le sujet qui explique l’essence, c’est
plutôt l’essence qui se contient et s’enroule
dans le sujet. Les essences sont nos otages
divins.
Deleuze clôt son propos en disant que
l’Art est une transmutation de la matière qui
la rend spirituelle. Je clos le mien en récapitulant notre jeu d’ombre.
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