Trouble des apprentissages scolaires ? Enfants surdoués

Transcription

Trouble des apprentissages scolaires ? Enfants surdoués
J. SIAUD-FACCHIN
TROUBLE DES APPRENTISSAGES SCOLAIRES ET ENFANTS
SURDOUÉS ?
A.N.A.E.,
2005 ; 81 ; 7-15
TROUBLE DES APPRENTISSAGES SCOLAIRES ET ENFANTS SURDOUÉS ?
Trouble des apprentissages scolaires ?
Enfants surdoués ? Quels liens ?
J. SIAUD-FACCHIN*
* Psychologue clinicienne
* Service de psychiatrie de l’adolescent, Pr F. Poinso, Hôpital de la Timone, Marseille.
* Laboratoire d’exploration fonctionnelle des troubles cognitifs, service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital de
la Salpêtrière, Paris.
* COGITO’Z – Centre français de diagnostic et de prise en charge des troubles des apprentissages scolaires – 346, avenue de
Montolivet, 13012 Marseille, tél. : 04 91 06 69 29. Fax : 04 91 21 05 05. Email : [email protected].
RÉSUMÉ : Troubles des apprentissages, enfants surdoués, quel liens ?
Aujourd’hui la réussite à l’école est un enjeu majeur du développement de l’enfant mais aussi un
enjeu de la société et un problème de santé publique. Plus de 80 % des demandes de consultations
en psychologie de l’enfant sont liés à des problèmes scolaires. En Europe, 25 % des élèves sont en
difficultés à l’école. L’origine des difficultés à l’école peut provenir de causes très diverses au carrefour de problématiques bio-psycho-sociales mais aussi le fait de profils d’élèves particuliers.
Parmi eux, les enfants « dys » (dyslexiques, dyscalculiques, dyspraxiques...) mais aussi des élèves
surdoués dont l’intelligence atypique entrave souvent leur réussite à l’école. L’objet de cette communication est de préciser les principaux troubles des apprentissages et de resituer la problématique spécifique des enfants surdoués : comment comprendre le paradoxe des difficultés scolaires
que peuvent rencontrer ces enfants ? Quelles sont les caractéristiques de leur mode de pensée ?
Quels liens peut on faire entre les spécificités intellectuelles de ces enfants et processus
d’apprentissage ?
Mots clés : Troubles des apprentissages — Enfants surdoués — Développement de l’enfant.
SUMMARY : Learning disorders, gifted children : what links ?
Nowadays, success in school is a major factor in a child’s development, but also an important issue
for society and a public health problem. More than 80 % of requests for psychology consultations
for children are linked to problems at school. In Europe, 25 % of children encounter difficulties in
school. Such difficulties can stem from a range of causes situated at the crossroads between biopsycho-social problematics, but can also be triggered by a pupil’s individual profile. The latter case
includes the « dys » children (dyslexia, dyscalculia, dyspraxia...) but also gifted children whose atypical intelligence often hinders their progress in school. The aim of this article is to identify the main
learning disorders and resituate the specific problematic surrounding gifted children : how can the
paradox of the school difficulties encountered by such children be explained ? How can their way of
thinking be characterised ? What links can be made between the intellectual specificities of these
children and the learning process ?
Key words : Learning difficulties — Gifted children — Children’s development.
RESUMEN : Trastornos del aprendizaje, niños superdotados, que vínculo ?
Hoy el logro escolar es un factor muy importante en el desarrollo del niño pero un factor también
importante para la sociedad y un problema para la salud pública. Más de 80 % de las solicitudes
para una consultación en psicología infantil resultan de problemas encontrados en la escuela. En
Europa, 25 % de los alumnos tienen dificultades escolares. Esas dificultades pueden proceder de causas muy diversas en la encrucijada de problematicas bio-psico-sociales pero también de las características de alumnos particulares. Entre ellos, los niños « dis » (disléxicos, discalculicos, dispráxicos...)
pero también alumnos superdotados cuya inteligencia atípica obstaculiza el logro en la escuela. Esta
comunicación intenta ser más preciso en la explicación de los principales trastornos del aprendizaje
y restituir la problemática específica de los niños superdotados : cómo comprender la paradoja de
las dificultades escolares que pueden tener estos niños ? cuáles son las características de su modo de
pensamiento ? Qué vínculo podemos establecer entre las especificidades intelectuales de estos niños y
el proceso de aprendizaje ?
Palabras clave : Trastornos del aprendizaje — Niños superdotados — Desarrollo del niño.
Article soumis au Comité scientifique du Colloque, accepté en juin 2004
A.N.A.E. No 81 – MARS 2005
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J. SIAUD-FACCHIN
L
es troubles des apprentissages ne peuvent être compris comme l’addition de troubles isolés, sans liens,
et qui viendraient, seuls, expliquer les difficultés scolaires d’un enfant. Il est indispensable d’aborder ces troubles sous l’angle d’une clinique intégrative qui permette
une approche globale de l’enfant. La prise en charge suppose en effet que la démarche clinique ait été respectée. Le
premier temps sera celui de l’évaluation précise des troubles à l’aide d’outils d’investigation validés (bilan), puis il
s’agira de comprendre la nature et le sens de la difficulté
(analyse). La prise en charge à mettre en place sera alors
clairement déterminée en regard des éléments d’exploration recueillis.
L’enjeu de la réussite scolaire dépasse aujourd’hui largement le cadre des apprentissages. La réussite scolaire est
au centre des préoccupations actuelles : familiales, sociales, politiques. Un enfant est stigmatisé par un échec scolaire et toute sa construction psychologique va s’organiser
autour de cette difficulté. Les répercussions sont lourdes
de conséquences pour son avenir personnel et psychologique. Véritable baromètre de la santé psychologique de
l’enfant et de ses capacités d’adaptation les consultations
en psychologie de l’enfant et de l’adolescent sont motivées
dans plus de 80 % des cas par des difficultés dans le cadre
scolaire. Le nombre de demandes de consultation est en
augmentation constante.
La réussite scolaire est une alchimie subtile entre estime de
soi, compétences et motivation. Les études les plus récentes montrent la place centrale de l’estime de soi dans la
réussite scolaire. Se sentir compétent, avoir une image de
soi positive, pouvoir se projeter dans l’avenir avec
confiance sont les atouts indissociables d’un parcours
gagnant. Même si les compétences disponibles représentent une part non négligeable de la réussite elles ne peuvent seules permettre de réussir. Il est souvent préférable
de disposer d’un peu moins de ressources intellectuelles et
d’une image de soi positive plutôt que le contraire. Être
intelligent, voire très intelligent, est une dimension importante mais non suffisante pour réussir. Enfin, sans motivation, aucune réussite n’est possible. La motivation est le
maître mot de tous ceux préoccupés par l’efficacité scolaire. Comment motiver les élèves, comment donner
l’envie d’apprendre ou encore mieux le plaisir d’investir les
apprentissages ? Seule la motivation intrinsèque, celle qui
vient de soi-même, qui est un projet personnel, va permettre d’engager les efforts et la persévérance nécessaires
au succès des apprentissages. Et cette motivation-là ne
peut s’activer que si l’enfant a la possibilité de vivre des
réussites et d’en ressentir une pleine satisfaction. La jubilation cognitive éprouvée lorsqu’on a réussi et en particulier
réussi quelque chose de difficile donne l’envie de ressentir
à nouveau ce plaisir. Comme dans les théories béhavioristes ce sont le plaisir, la satisfaction, la « récompense narcissique » qui déclenchent l’envie de recommencer.
Les causes de l’échec scolaire peuvent être situées sur plusieurs axes : du manque de moyens à la mauvaise utilisation des moyens, des causes instrumentales aux causes psychologiques. On trouve également la cohorte des enfants
« dys », dyslexiques, dyspraxiques, dyscalculiques..., les
enfants hyperactifs et enfin les enfants surdoués. Ces
enfants, avec leurs profils atypiques, rencontrent sur leur
chemin scolaire des difficultés souvent sévères et paradoxales.
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La spirale de l’échec scolaire suit une logique interne qui
emprisonne l’enfant. Toute la dynamique interne et
externe est entravée. On voit combien tous les éléments
sont en étroite interaction et combien est grande la nécessité d’aider l’enfant. Il faut agir et intervenir rapidement
face à un enfant en difficulté : l’urgence est réelle. Et la
souffrance est toujours présente. Toute difficulté d’apprentissage génère de la souffrance. L’enfant est très vite
confronté à un sentiment d’incompréhension et de rejet.
Dans sa famille d’abord où les conflits autour du travail
scolaire deviennent incessants. Tous les rapports entre
l’enfant et ses parents tournent autour des résultats scolaires. L’enfant est assimilé à ses notes et l’image qu’on lui
renvoie l’installe dans un profond sentiment d’incompétence et de dévalorisation. Les bases narcissiques de
sa personnalité sont attaquées. À l’école le rejet des camarades voire l’agressivité sont fréquents et les professeurs
vont trop souvent renforcer l’image négative de l’enfant.
« Je suis nul » ou pire encore « je suis un nul », confirment
l’assimilation de l’évaluation scolaire avec la représentation de soi-même.
CAUSES PSYCHOLOGIQUES
DES TROUBLES
DES APPRENTISSAGES SCOLAIRES
Toute difficulté psychologique, quel que soit son degré de
gravité, va avoir des répercussions sur les capacités
d’apprentissage de l’enfant et sur l’investissement de la
scolarité. Les pathologies de l’enfance sont nombreuses et
complexes, nous n’aborderons que les tableaux principaux
en tentant pour chacun d’eux d’en comprendre les conséquences sur les apprentissages.
Le trouble envahissant du développement (classiquement
psychose infantile) conduit à une difficulté d’adaptation
sociale et par la même scolaire. La pensée est infiltrée par
des mouvements d’angoisse qui déstructurent l’élaboration
cognitive. Il en résulte des perturbations de la pensée plus
ou moins graves mais toujours invalidantes.
Le trouble dissociatif (schizophrénie) plus spécifique de
l’adolescence, est un trouble marqué par la rupture des
liens associatifs dans l’élaboration de la pensée. La logique
habituelle est perdue : les associations par consonance, les
persévérations, les discordances, les digressions... désorganisent la cohérence de la pensée et marquent une rupture
avec la réalité. Souvent la lutte contre ce désordre intérieur
est grande et peut ainsi rester longtemps méconnu par
l’entourage qui va surtout noter le changement de comportement de l’adolescent, son retrait social progressif, son
fléchissement scolaire sans se douter de la tempête intérieure qui l’agite.
La dépression reste encore mal connue dans l’univers infantile par son assimilation avec la dépression de l’adulte avec
laquelle elle n’entretient pourtant que très peu de similitudes. En effet, chez l’enfant, les symptômes sont nombreux
et souvent opposés. Un enfant dépressif peut être un enfant
isolé, en retrait, inhibé ou au contraire agité, hyperactif,
excité. Quelquefois agressif contre lui ou contre les autres, il
peut manifester un comportement d’omnipotence et de
toute puissance qui peut conduire à des conduites antisociales. Les troubles de l’humeur, du sommeil, de
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l’alimentation peuvent s’associer. Dans la dépression il
n’existe pas d’atteinte spécifique des fonctions intellectuelles mais une impossibilité d’utiliser ses compétences. Le
désinvestissement des apprentissages peut alors être massif.
Les troubles anxieux, largement représentés en clinique
infantile, ont des incidences très spécifiques sur le fonctionnement intellectuel. En particulier, l’anxiété va saturer
les capacités de la mémoire de travail. La mémoire de travail est cette mémoire active de courte durée (environ
20 secondes) qui permet de traiter de 5 à 9 données simultanément. Véritable usine de traitement de l’information,
la mémoire de travail permet d’analyser et de donner du
sens aux données qui entrent dans le système. Après traitement, les données seront ensuite envoyées en mémoire à
long terme. C’est une mémoire centrale dans les apprentissages car c’est par son activation que l’enfant intègre les
données nouvelles. L’anxiété génère des troubles à
l’encodage et au traitement des données : l’enfant n’arrive
plus à intégrer et traiter les cours, les consignes, les énoncés... Il est également à souligner les conséquences motrices de l’anxiété. Un enfant anxieux va souvent présenter
des signes d’hyperactivité qui ne devront pas être confondus avec un syndrome d’hyperactivité. L’agitation motrice
est dans ce cas une modalité de lutte contre l’angoisse. En
bougeant, l’enfant chasse les pensées, les représentations,
sources de stress.
Parmi les troubles anxieux les TOC, troubles obsessionnels
compulsifs deviennent de plus en plus fréquents chez les
enfants et les adolescents et traduisent un niveau d’anxiété
très élevé. La caractéristique propre à ce trouble qui
conduit à des idées obsédantes et à des rituels incontournables entrave sérieusement la liberté de pensée. L’enfant
est pris dans ses pensées obsédantes et plus aucun espace
psychique n’est disponible pour l’investissement des
apprentissages.
Plus grave encore est la phobie scolaire dont l’augmentation de l’occurrence est inquiétante. On peut
s’interroger sur les causes à la fois extérieures et internes à
l’origine de cette augmentation (pression subie et ressentie
par rapport à l’école). Mais la phobie scolaire est également en lien avec les pathologies de la séparation. La peur
de l’extérieur, de la complexité de la vie peut conduire certains jeunes à réactiver des angoisses de séparation
archaïque et des peurs infantiles anciennes. Le syndrome
« Tanguy » pèse sur notre société.
LA PLACE CENTRALE
DE L’ESTIME DE SOI
L’estime de soi correspond au jugement que l’on porte sur
nous-même. C’est la forme la plus aboutie du processus de
la construction de soi. L’estime de soi se construit aussi
dans le regard des autres. Les messages que nous renvoient
les autres permettent d’ajuster ce que l’on pense de nousmême. Néanmoins l’estime de soi est quelque chose de
profondément personnel. Lorsque nous avons une image
de nous-même dévalorisée nous n’accordons que peu de
crédit aux valorisations extérieures. Pour profiter des
bénéfices des messages externes positifs il est nécessaire
que nos bases narcissiques soient suffisamment stables. À
l’inverse, les messages négatifs ont un fort impact et pour-
ront progressivement fragiliser voire attaquer l’image de
soi, même chez ceux dont les ressources narcissiques
étaient initialement importantes. Dans le cadre scolaire les
« tu n’arriveras jamais à rien », les « décidément tu es
nul » ou encore les « tu es incapable de faire le moindre
effort », sont autant de messages dont la répétition va
attaquer dangereusement la confiance de l’enfant mais
aussi la confiance qu’il pouvait avoir envers les adultes. Le
trouble de l’estime de soi a des répercussions sévères sur le
parcours scolaire. Convaincu d’emblée qu’il ne sait pas ou
qu’il ne pourra pas faire, il bloque toute possibilité de
mobiliser ses capacités pour surmonter les difficultés.
L’échec progressif qui va s’installer va le conforter dans
ses convictions qu’il est incapable de réussir. Souvent
l’enfant face au travail scolaire va fuir devant la difficulté.
Les stratégies d’évitement mises en place lui permettent de
ne pas se retrouver confronté à ses propres limites et à son
sentiment d’incompétence. La spirale de l’échec est difficile
à enrayer.
Un diagnostic de troubles de l’apprentissage ne peut se
faire sans diagnostic différentiel avec un trouble psychologique. Et lorsque un trouble spécifique a été repéré il ne
faut jamais en occulter les répercussions psychologiques.
Le cognitif est étroitement intriqué à l’affectif et réciproquement. Toute situation d’apprentissage entraîne une
forte mobilisation affective qui va interférer avec les processus cognitifs. Une problématique affective peut littéralement bloquer toute possibilité de penser et d’activer ses
compétences.
LES PRINCIPAUX TROUBLES
DES APPRENTISSAGES
(HORS TROUBLES DU LANGAGE)
Les troubles cognitifs structurels
Gibello a repéré deux types de troubles cognitifs qui relèvent d’une altération du contenant de pensée cognitif : le
syndrome de retard d’organisation du raisonnement (ROR) et la dysharmonie cognitive pathologique (DCP). Le modèle de Gibello s’appuie sur les théories piagetienne et néo-piagetienne du développement des
fonctions cognitives.
La DCP correspond ainsi à une organisation de la pensée
non homogène. Certains secteurs de la pensée se sont
développés normalement alors que d’autres sont restés à
un stade archaïque du développement. Des niveaux très
différents de raisonnement coexistent.
Le ROR constitue une autre variété de ces troubles. Dans
ces cas-là c’est l’ensemble des structures de raisonnement
qui sont restées à un niveau inférieur en regard de l’âge
chronologique. Ici le trouble est homogène et signale une
immaturité globale des structures logiques et de raisonnement.
Ces deux syndromes sont à l’origine de difficultés scolaires
majeurs car les enfants sont alors soumis à des sollicitations intellectuelles auxquelles ils ne peuvent pas répondre
et sans comprendre pourquoi ils n’y arrivent pas. Ces
troubles sont d’autant plus méconnus qu’ils apparaissent
alors même que le niveau intellectuel (le QI) est dans la
normale ou en tout cas proche de la normale. Seule une
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exploration attentive du fonctionnement cognitif du sujet
permettra de mettre en évidence ces défauts des structures
cognitives sous-jacentes. Les DCP comme les ROR sont
une source de conflits majeurs avec l’entourage et qui
conduisent le plus souvent à la mise en place d’une relation persécuteur / persécuté.
L’entourage ne comprend pas que cet enfant qui « n’est
pas bête » puisse avoir des échecs aussi spectaculaires et
surtout avoir des résultats « en dents de scie ». Cela
conduit le plus souvent à l’idée que l’enfant ne travaille
pas assez, ne fait aucun effort, n’est pas attentif ou pire
encore qu’il le fait exprès. Leurs échecs répétés ainsi interprétés vont faire l’objet de réprimandes multiples, l’enfant
se sentant alors persécuté par son entourage et ce
d’autant plus qu’il ne sait pas lui-même ce qui est à
l’origine de ses difficultés. Il va alors manifester une attitude revendicative par laquelle l’entourage se sentira
agressé et à son tour persécuté par cette « tête dure » qui
fait tout pour échouer. Un cercle vicieux se met vite en
place à l’origine de troubles du comportement plus ou
moins sévères mais souvent sous la forme d’agressivité et
de conduites antisociales.
Le repérage de ces deux catégories de troubles cognitifs
s’avère d’un apport indispensable dans la pratique clinique
car leur diagnostic permet de donner sens à certaines difficultés de l’enfant, incompréhensibles par ailleurs.
Les enfant « dys »
L’évolution rapide au cours de ces dernières années des
neurosciences et des sciences cognitives a permis de repérer des troubles d’apprentissage localisés liés à un dysfonctionnement neurologique minimal. Certains troubles,
comme la dyslexie, connus depuis longtemps ont également bénéficié de ces connaissances récentes en particulier
par une meilleure connaissance des mécanismes cognitifs
sous-jacents. Nous n’aborderons pas dans cette présentation les troubles du langage (dyslexie, dysphasie, dysorthographie...) qui relèvent de la compétence des orthophonistes et qui supposeraient une communication à part
entière.
Dans les autres « dys » nous allons retrouver tout un chapelet de troubles qui nécessitent un diagnostic et un repérage précis car leur présence est un réel handicap pour les
apprentissages. Pourtant ces troubles restent encore trop
mal connus d’un grand nombre de praticiens et leur diagnostic n’est souvent pas posé. Dans d’autres cas, comme
pour le trouble de l’attention et de l’hyperactivité, le diagnostic peut au contraire être hâtivement posé face à un
enfant remuant et peu concentré alors que cette agitation
n’est que le signe ou la conséquence d’un tout autre type
de trouble. Entre ignorer un diagnostic, voire le dénier, et
poser trop rapidement une étiquette sur un enfant et chercher à le normaliser, il est indispensable de privilégier la
démarche clinique intégrative qui seule permettra d’apporter à l’enfant et à sa famille une réponse adaptée aux
signes de souffrance et de difficultés de l’enfant.
Rappelons qu’il s’agit d’enfants à l’intelligence normale,
c’est-à-dire qu’on ne peut poser le diagnostic que lorsqu’une évaluation globale de l’efficience intellectuelle a été
préalablement pratiquée et que l’hypothèse d’une déficience intellectuelle a été écartée.
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La dyspraxie visuo-constructive
On peut définir la dyspraxie visuo-motrice comme un
trouble psychomoteur qui affecte tout ce qui est geste
organisé en séquences auquel sont associés un trouble de
la coordination visuo-motrice et un trouble oculomoteur.
Les praxies permettent à partir de la simple évocation du
geste, une réalisation gestuelle automatisée, harmonieuse
et efficace. Les praxies se différencient des mouvements
(innés) et s’acquièrent par apprentissages répétés. Des
schémas cognitifs, véritables circuits imprimés, se constituent et s’inscrivent cérébralement. Ils seront activés automatiquement et sans participation volontaire face à certaines tâches. De leur côté, les stratégies du regard
concernent la planification des mouvements des globes
oculaires qui permettent la mise en place de stratégies du
regard efficaces et donnent les informations topologiques
(position des éléments les uns par rapport aux autres).
Dans certains cas seule la fonction visuo-spatiale est
affectée sans difficulté praxique et on parle alors de
trouble visuo-spatial.
La dyspraxie visuo-motrice touche 5 à 8 % des enfants
de 5 à 11 ans avec un sex ratio de 8,5 garçons pour une
fille. Il faut insister sur le fait que ce trouble ne s’améliore
pas avec l’âge, il s’agit d’une pathologie qui nécessite une
rééducation appropriée. En revanche, comme les exigences
scolaires s’élèvent avec l’âge, le trouble devient de plus en
plus manifeste et envahissant.
Un enfant dyspraxique est décrit comme globalement
maladroit. C’est un enfant qui tombe souvent, se cogne,
fait tout tomber autour de lui, donne des coups involontaires aux autres. Il ne peut ajuster et contrôler ses gestes.
Les manifestations scolaires sont nombreuses : dysgraphie
(écrivent parfois en script pour compenser), dysorthographie (orthographe aléatoire alors que les règles sont
comprises et intégrées. Télescopages, oublis ou sauts de
lettres, de syllabes, de mots...). Les fautes sont souvent
encore plus nombreuses à la copie. Et la relecture, pendant
laquelle l’enfant s’embrouille, conduit, paradoxalement, à
augmenter le nombre de fautes. La lenteur à l’écrit est une
des conséquences les plus pénalisantes : l’enfant ne finit
pas ses contrôles, il a du mal à recopier tous les devoirs
dans l’agenda, il ne parvient pas à noter la totalité du
cours... La présentation du travail est affectée : ratures,
surcharges, traits approximatifs... La lecture peut parfois
être laborieuse car le trouble oculomoteur gêne la focalisation du regard : l’enfant se perd dans la page, saute d’une
ligne à l’autre, fait des aller-retour entre les mots. D’une
certaine façon le texte « danse » sous ses yeux alors que les
mécanismes de lecture sont parfaitement maîtrisés. La
prise d’information écrite devient de ce fait difficile et les
consignes peuvent être mal comprises et interprétées.
Ainsi, les réussites de l’enfant sont fluctuantes et imprévisibles, suivant le type de tâches et les efforts à fournir. Il en
résulte une grande incompréhension pour les autres mais
aussi pour l’enfant lui-même qui ne comprend pas pourquoi il ne réussit pas à la hauteur de sa motivation et de
ses capacités de compréhension.
Le grand malentendu s’installe : l’enfant fournit des efforts
considérables, il consacre une énergie très importante pour
compenser son trouble (dont il ignore tout !), il s’applique
à faire le mieux possible et à être attentif à son environnement. Mais les verdicts tombent : l’enfant est considéré
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comme paresseux, fainéant. On pense qu’il ne fait aucun
effort, qu’il ne s’applique que lorsqu’il a envie ou pire qu’il
le fait exprès. L’absence de motivation est encore évoqué
ou l’immaturité voire un problème psychologique.
Ce qu’il faut pourtant comprendre c’est que l’enfant met
constamment en place des stratégies compensatoires coûteuses en énergie et que ce qui est habituellement automatisé lui demande la mise en place d’efforts volontaires et
conscients.
On retrouve ainsi des enfants en échec scolaire paradoxal
avec des redoublements fréquents et inutiles car le trouble
ne s’améliore pas seul. De nombreux enfants sortiront
aussi trop souvent du système scolaire de façon prématurée et tout à fait inadaptée.
Le dépistage de la dyspraxie visuo-constructive, plus il est
pratiqué de façon précoce, plus il permettra une rééducation efficace. La rééducation doit être pratiquée par un
neuropsychologue ou un psychomotricien formé à ce
trouble et à ce type de rééducation (ils sont très peu nombreux en France !). Une rééducation bien menée permet à
l’enfant de retrouver la pleine expression de ses capacités
et de suivre une scolarité réussie.
LE TROUBLE D’HYPERACTIVITÉ
AVEC OU SANS DÉFICIT DE
L’ATTENTION (THADA)
Il s’agit d’un trouble neuropsychologique spécifique
entraînant des difficultés souvent sévères des apprentissages. Le trouble se manifeste par une triade de symptômes :
– une agitation motrice permanente et difficile à
contrôler ;
– une impulsivité comportementale et cognitive ;
– une atteinte plus ou moins sévère des ressources
attentionnelles.
Parler de ce trouble est à la mode. On trouve souvent à
travers ce diagnostic une réponse rassurante aux questions
qui touchent les difficultés scolaires de l’enfant. On pense
alors que tout va pouvoir facilement rentré dans l’ordre
dès lors que le trouble sera « réparé ». Pourtant son diagnostic doit être sérieusement posé car une interprétation
erronée des difficultés de l’enfant peut l’entraîner vers de
graves dérives sur son parcours personnel et psychologique.
La prévalence du trouble est de 3 à 5 % chez les enfants
d’âge scolaire et de 8 à 10 garçons pour une fille. Classiquement, la composante hyperactive est plus bruyante
chez les garçons et le trouble attentionnel est plutôt au
premier plan chez les filles.
Les conséquences du trouble
Sur les apprentissages les conséquences sont sévères.
L’échec scolaire est le plus souvent massif : près de 50 %
des élèves sont en grave difficulté à l’école.
Les conséquences psychologiques et sociales sont la source
d’une grande souffrance de l’enfant et dans tous les cas
d’une fragilité de l’équilibre psychologique. Le rejet du
groupe de pairs mais aussi l’agressivité des adultes à
l’égard de ces enfants bruyants et dérangeants entraînent
des troubles de l’adaptation sociale plus ou moins sévères.
L’estime de soi est particulièrement touchée et les pathologies peuvent apparaître en particulier sous la forme de
syndromes dépressifs parfois graves et lourds de conséquences pour l’avenir de l’enfant.
Enfin, il faut souligner l’apparition fréquente de troubles
oppositionnels et d’agressivité, avec des colères parfois
explosives qui ne sont que la manifestation de leur incapacité à se gérer et à s’adapter à l’environnement. Des
conduites antisociales peuvent alors se développer et expriment tout le désarroi de ces jeunes souffrant d’une telle
pathologie, mal comprise par l’environnement.
Le traitement du THADA peut associer plusieurs approches :
– approche médicamenteuse ;
– rééducation cognitive : remédiation et mise en place de
stratégies compensatoires efficaces ;
– approche psychothérapeutique : travail sur l’estime de
soi et sur la revalorisation des compétences.
L’association d’un traitement par médicament et d’une
psychothérapie s’avère significativement plus efficace que
la seule prise de médicament ou la prise en charge psychologique ou rééducative sans traitement médical.
Évolution du THADA
Dans 40 % des cas le trouble disparaît à l’adolescence.
Pour 20 %, le trouble évolue vers un trouble réel des
conduites et/ou une problématique addictive (alcool,
drogue...). Enfin, dans 40 % des situations le syndrome
persiste avec des répercussions qui restent importantes à
l’âge adulte : impulsivité, prises de décision hâtives,
manque d’analyse d’une situation, désorganisation... mais
aussi troubles relationnels (colères, intolérance au stress,
labilité affective...).
Les critères diagnostiques
Poser un diagnostic THADA est une démarche diagnostique complexe qui suppose l’intégration de données cliniques, neuropsychologiques, sociales, comportementales.
La démarche diagnostique doit permettre un diagnostic
différentiel fiable qui permette de bien distinguer :
– THADA et trouble anxieux et/ou dépressif qui peuvent
produire des symptômes graves de déficit de l’attention
mais qui ne peuvent ni se comprendre ni se traiter de la
même façon. Mécanisme de saturation de la mémoire de
travail par l’anxiété.
– THADA et distractibilité.
– THADA et faute d’inattention de la vie courante.
– THADA et surdoué. En effet, l’enfant surdoué montre
des particularités dans la mobilisation de ses ressources
attentionnelles qui peuvent conduire à confondre les
deux diagnostics.
L’ENFANT SURDOUÉ
Le paradoxe des difficultés scolaires de l’enfant surdoué
est souvent au centre des interrogations. Comment comprendre en effet que cet enfant à l’intelligence brillante
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puisse échouer sur le lieu privilégié d’expression de
l’intelligence que représente l’école ? Et pourtant, les chiffres dont nous disposons sont inquiétants : plus d’un tiers
d’élèves surdoués serait en échec en classe de 3e et 20 %
d’entre eux n’atteindraient pas le bac. Bien que ces données doivent être relativisées car aucune étude systématique n’a encore été entreprise en France, l’enjeu de la
réussite des élèves surdoués est un enjeu majeur. Les difficultés scolaires qu’ils rencontrent sont à comprendre
comme la résultante des spécificités de ces enfants sur les
plans affectifs et cognitifs. Être surdoué ne signifie pas être
quantitativement plus intelligent mais penser différemment
et présenter des particularités dans la construction psychodynamique de la personnalité.
L’illusion de la pensée commune
Nous avons tous l’illusion que l’autre pense comme nous.
Cette illusion crée dans notre vie quotidienne de nombreuses incompréhensions dans nos relations avec les
autres.
Nous assistons ainsi au premier écueil avec l’enfant surdoué : sa pensée est différente et ses codes de compréhension sont le plus souvent différents des nôtres.
À l’école les implicites sont nombreux et permettent à
l’élève de comprendre et d’anticiper sur ce qu’on lui
demande de faire. Par exemple, l’élève sait que lorsque
l’enseignant pose une question sur un sujet de cours, il doit
y répondre en restituant les connaissances supposées
acquises grâce au cours du professeur.
Que se passe-t-il avec l’enfant surdoué ?
L’enfant surdoué ne partage pas les mêmes implicites. Son
mode de pensée, sa compréhension du monde, son analyse
de l’environnement diffèrent de l’élève classique. On peut
ainsi avoir l’impression que l’enfant ne comprend pas ce
qu’on lui demande, ou qu’il ne sait pas ou encore qu’il
répond à côté ou fait exactement l’inverse de la consigne.
Cet enfant a seulement compris différemment et répond
selon sa compréhension personnelle. De son côté,
l’enseignant sera immédiatement convaincu que cet élève
est insolent, qu’il le fait exprès, que c’est de la provocation.
Contrôle d’histoire en CM2 : « Que penses-tu de l’évolution de l’homme ? », et la réponse d’un élève surdoué :
« Je pense que c’est bien pour l’homme ».
Bien sûr il était implicite pour tous les élèves de la classe,
et pour l’enseignant, qu’il était demandé de réciter, de restituer le cours sur l’évolution de l’homme et non
d’exprimer une position personnelle.
En plus, pour l’enfant surdoué la réponse attendue peut
parfois lui apparaître comme une non-réponse qu’il va
immédiatement inhiber, c’est-à-dire qu’il va la faire disparaître de sa pensée comme une réponse possible. Elle disparaît complètement de son esprit.
À la question : « Qu’est-ce qui fait que le fer rouille ? »,
question appartenant aux tests d’intelligence, une adolescente surdouée de 13 ans répondra, perplexe, « Je ne
sais pas ». Pourtant à l’investigation complémentaire :
« Qu’est-ce que tu ne sais pas ? », elle répondra sereinement : « Je ne connais pas le processus chimique qui permet d’expliquer l’oxydation ! » CQFD ! La réponse oxyda12
tion était pour elle une non-réponse c’est-à-dire que ce ne
pouvait être la réponse attendue tellement il s’agissait pour
elle d’une évidence partagée par tous.
Ce qui apparaît comme une évidence pour l’enfant surdoué ne peut être considéré comme la réponse. Il cherche
au-delà, différemment.
Le sens littéral des mots
L’interprétation littérale du sens des mots chez les surdoués est extrêmement fréquente. Pour lui, le sens est
essentiel et le mot doit être employé dans son acception la
plus précise.
Leur besoin absolu de sens et de maîtrise conduit à cette
nécessité impérieuse de considérer le mot comme un
« objet » aux contours définis qui ne suppose ni doute ni
incertitude. Ce processus est à l’origine de nombreux
malentendus entre adultes (enseignants, parents...) et
enfants surdoués et conduit à bon nombre d’échecs
scolaires paradoxaux et à des conflits familiaux inextricables.
Exemple de réponse littérale à un devoir de géométrie
de CM2 : « Faites les figures géométriques suivantes : un
triangle isocèle de telle dimension, un carré de tant de
côté, un losange... »
L’élève rend à l’institutrice un ensemble de formes géométriques découpées, reliées par un trombone, en ayant pris
soin de bien reporter les dimensions demandées. L’élève
avait « fait », au sens de « fabriquer » des figures géométriques. Il n’avait pas anticiper le sens, implicite pour
tous, qui consistait à « dessiner » les figures sur une
feuille. De plus, à la remarque excédée de la maîtresse,
considérant comme un signe d’opposition manifeste le
comportement de cet enfant, qui s’insurge : « Et comment
je fais moi pour savoir quel est le triangle et le
losange ?, etc. », la réponse fuse, naïvement : « Alors toi
tu me demandes de faire ces figures et tu ne sais pas les
reconnaître ? »
La difficulté pour l’enfant surdoué de repérer les implicites suppose d’aménager le cadre de la demande scolaire
afin de lui permettre de s’y ajuster. Il est donc indispensable :
– de clairement expliciter à un enfant surdoué ce qu’on
attend de lui. Quels sont les implicites ? Les définir
clairement afin de supprimer toute ambiguïté.
– De préciser ce que l’on demande et sous quelle forme on
attend une réponse.
– D’explorer ce que l’enfant semble ne pas comprendre :
qu’est-ce tu ne sais pas ?
– D’être attentif aux mots que l’on emploie : quand
l’enfant semble ne pas comprendre ou faire l’inverse de
ce que l’on a demandé, se poser la question de ce que
l’on a dit exactement. L’enfant a souvent appliqué à la
lettre ce qu’on lui a demandé. Avec une question clé :
« Qu’est ce que tu as compris de ce que je te
demande ? »
Pensée en réseau et pensée linéaire
« Dans ma tête j’ai un arbre généalogique de mes problèmes. » Cette jolie expression d’un enfant de 9 ans permet
une représentation très imagée et très précise du foisonne-
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TROUBLE DES APPRENTISSAGES SCOLAIRES ET ENFANTS SURDOUÉS ?
ment de la pensée de l’enfant surdoué ; pensée qui
s’organise en arborescence, chaque idée, chaque concept,
chaque donnée, se divisant et se subdivisant en nouvelles
idées, associations d’idées, analogies, etc.
Habituellement on considère que le traitement d’une
information s’effectue sur un mode linéaire : de l’input
(entrée des données dans le système) à l’output (production du résultat). Entre les deux pôles le processus
s’active en intégrant les unes après les autres les données
nécessaires à la construction de la pensée et à la production de la réponse.
Chez l’enfant surdoué la pensée est construite en réseaux.
Chaque idée génère une ramification de nouvelles idées qui
à leur tour et pour chacune d’entre elles vont produire de
nouvelles associations et ainsi de suite.
Mais, ce qui rend le système encore plus complexe, est la
possibilité pour l’enfant surdoué d’activer simultanément
plusieurs réseaux qui vont fonctionner en parallèle.
L’enfant se retrouve ainsi devant un champ élargi
d’informations et de données qui se déploient à grande
vitesse. De multiples liens sont ainsi activés et disponibles
simultanément et s’associent avec des acquisitions et des
connaissances antérieures qui se trouvent elles aussi disponibles dans le même espace-temps.
Cette particularité du fonctionnement de la pensée ouvre
la voie à la créativité, aux idées « géniales » qui émergent
de ces connexions multiples. Un fonctionnement linéaire
de la pensée, en réduisant à une seule donnée chaque
étape de la pensée est par là même moins propice à la
créativité mais beaucoup plus efficace dans un cadre
scolaire.
Dans les tâches scolaires l’enfant n’arrive pas à sélectionner la ou les informations pertinentes et se perd dans les
méandres de sa pensée. Il ne parvient ni à la structurer, ni
à l’organiser dans une succession d’étapes logique. C’est
l’origine des difficultés considérables de rédaction et
d’expression écrite des connaissances.
Pour réussir à l’école l’enfant surdoué a besoin d’être
guidé dans les différentes modalités d’apprentissage et de
restitution scolaires :
– Importance du cadre : le cadre doit être précisément
défini. L’enfant a besoin de connaître les limites dans
lesquelles il doit travailler.
– Importance du mode d’emploi : expliquer clairement
comment il faut faire, sous quelle forme.
– Importance de la structure : indiquer explicitement les
étapes, le plan, le cheminement.
L’activation privilégiée de l’hémisphère droit
Le modèle de l’hémisphéricité permet de modéliser la spécificité de l’organisation cognitive de la pensée de l’enfant
surdoué.
Nos deux cerveaux, droit et gauche, sont activés différemment suivant les tâches auxquelles nous sommes soumis.
Certaines tâches sollicitent plus activement le cerveau
gauche, d’autres dépendent plus directement des compétences du cerveau droit. Bien sûr, le plus souvent, il existe
une coactivation mais on peut néanmoins distinguer certaines spécificités attribuées à chaque hémisphère.
De façon très schématique on peut répartir ainsi les spécificités de chacun de nos hémisphères :
CERVEAU GAUCHE
CERVEAU DROIT
Traitement séquentiel :
traitement élément par élément
Traitement simultané :
traitement global
Traitement auditif, en mots
Traitement visuel, en images
Fonctionnement analytique
Fonctionnement analogique
Raisonnement, justification
Intuition
Rationalisation,
pensée argumentée
Créativité, pensée divergente
CERVEAU LOGIQUE,
RATIONNEL
CERVEAU ÉMOTIONNEL
À l’école, les compétences du cerveau gauche sont les plus
sollicitées. Or, comme le confirment les études neuropsychologiques les plus récentes, l’enfant surdoué montre une
hémisphéricité beaucoup moins marquée à gauche et une
activation plus élevée des zones appartenant au cerveau
droit.
En particulier, le traitement séquentiel de l’information
s’appuie sur les compétences analytiques du cerveau
gauche. Le traitement séquentiel, comme nous l’avons vu,
s’occupe d’organiser les données dans un ordre logique, de
les traiter successivement, l’une après l’autre. C’est le
mode de traitement qui permet de développer une idée,
d’argumenter, de justifier. C’est aussi celui qui permet de
déchiffrer un texte, de construire des phrases, d’appliquer
des règles de grammaire.
Enfin, l’intuition, la certitude absolue d’une réponse, purs
produits de l’hémisphère droit, ne peuvent parvenir à
s’imposer car l’enfant est incapable de justifier, de donner
des preuves. Argumenter est le terrain du cerveau gauche.
L’enfant surdoué ne peut que conclure : « Je sais parce
que je le sais ! »
L’enfant lui-même ne sait pas comment il le sait et peut
encore moins le communiquer aux autres. Ce n’est pas de
la mauvaise volonté ni de la provocation, c’est seulement
la conséquence d’une organisation différente des mécanismes de la pensée.
Ce mécanisme est particulièrement spectaculaire en maths
et dans la plupart des matières scientifiques. L’enfant est
capable de connaître intuitivement la réponse, la solution
au problème posé mais ne peut développer son raisonnement, ne peut justifier ses résultats. Les résultats lui apparaissent sur un écran mental sans qu’il ait pris conscience
du cheminement qui a conduit à cette réponse. C’est une
fonction émergente de son système de pensée. Et les enseignants ne peuvent admettre cette surprenante capacité et
pénalisent l’élève qui obtient des résultats pitoyables malgré une réponse pertinente. Dans les petites classes cette
particularité peut passer inaperçue car l’enseignant attache
moins d’importance aux différentes étapes du raisonnement, il s’intéresse au résultat et ne s’aperçoit pas de la
façon particulière dont l’enfant a procédé. Par contre,
dans les classes de fin de collège et dans les années lycées,
l’écart entre deux modes de logique si éloignés apparaît
soudain. L’enfant lui-même ne comprend pas toujours ce
qui se passe car il n’avait pas lui non plus repéré précisément qu’il ne fonctionnait pas pareil. Et à ce stade de sa
scolarité il a souvent du mal à reprendre les étapes de raisonnement et d’argumentation qui ont été intégrées par les
autres élèves depuis bien longtemps. Il ne sait pas le faire,
il n’avait jamais compris qu’il y avait quelque chose à
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J. SIAUD-FACCHIN
apprendre, il ne s’est jamais demandé comment il faisait,
pour lui c’était évident, c’est tout, et il trouve étonnant, en
plus, qu’une seule logique soit validée. Il a du mal à
l’accepter. Ce qui peut générer des conflits inextricables
avec les professeurs ou encore le conduire à un désinvestissement scolaire pénalisant pour son avenir.
se construit progressivement et le sens global de
l’apprentissage apparaît à l’issue de ce cheminement. Si
c’est une forme d’apprentissage qui convient bien à la plupart des élèves elle déroute notre élève surdoué qui a besoin
d’avoir une vision globale du savoir pour investir les processus d’apprentissage qui sont nécessaires pour l’intégrer.
La motivation
2 / La contextualisation
L’enfant surdoué ne peut fonctionner sans faire des liens.
Il ne peut appréhender un savoir, une nouvelle connaissance isolée du contexte dans lequel ils s’inscrivent. Une
absence de lien vide le contenu de l’apprentissage de sa
substance et l’enfant décroche.
La motivation est un des facteurs les plus puissants dans la
dynamique de la réussite scolaire. Un enfant motivé est un
enfant qui réussit au maximum de ses capacités quelles
que soient ses capacités. La démotivation est au centre du
débat sur l’école et génère l’ennui si souvent observé chez
l’enfant surdoué.
Il existe deux grands types de motivation : la motivation
intrinsèque et la motivation extrinsèque.
La motivation extrinsèque vient de l’extérieur : « Si tu
travailles bien tu auras de bonnes notes », « fais-le pour
me faire plaisir », « pour avoir un bon métier il faut faire
des études », « avoir le bac c’est obligé pour être ingénieur »...
La motivation extrinsèque joue sur ce que l’enfant va
obtenir grâce à son travail, sa récompense et l’image qu’il
aura aux yeux des autres. Le bénéfice c’est la reconnaissance sociale et la reconnaissance par rapport aux
autres.
La motivation intrinsèque est celle qui vient de l’intérieur :
« je suis content d’avoir cette bonne note », « je me sens
compétent », « je suis fier de moi », « ça me fait plaisir »,
« je suis content de satisfaire mes parents »...
La motivation intrinsèque s’intéresse au plaisir que l’on a,
à l’intérêt que l’on porte à ce que l’on fait, au sentiment de
satisfaction que l’on éprouve. Le lien entre motivation et
plaisir est ici très fort. Le mécanisme de cette forme de
motivation permet une autonomie par rapport à ses activités et à son travail scolaire. Il ouvre la voie à
l’épanouissement personnel.
Dans le travail scolaire c’est la motivation intrinsèque qui
est, de loin, la plus efficace. Grâce à la motivation intrinsèque l’enfant est capable de fournir et de maintenir les
efforts nécessaires pour réussir.
Pour être maintenue la motivation intrinsèque suppose des
renforcements positifs de l’extérieur : félicitations et
encouragements.
Pour être déclenchée et générer l’effort nécessaire à tout
processus d’apprentissage, la motivation de l’enfant surdoué doit s’appuyer sur des modalités adaptées à ses
structures de pensée. L’enfant surdoué a envie
d’apprendre (ou plus exactement de savoir) mais se
trouve dérouté devant les apprentissages scolaires dont les
modalités sont trop éloignées de ses propres processus. Il
ne peut parvenir à investir les processus d’apprentissage
tels qu’ils lui sont proposés dans le cadre scolaire et ne
peut parvenir à ressentir du plaisir et de la curiosité dans
l’acquisition des connaissances et du savoir présentés sous
cette forme-là.
Comment générer la motivation de l’élève surdoué ?
1 / La globalité
Les apprentissages scolaires sont le plus souvent découpés
en petites unités qui seront distribuées une à une. Le savoir
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3 / La complexité
Il existe une corrélation très élevée entre niveau de complexité, plaisir de fonctionner et activation des ressources
cognitives. L’efficience en est la résultante. Plus le niveau
intellectuel est élevé plus le niveau de complexité doit
l’être.
La non-adéquation entre les niveaux génère frustration,
colère, agressivité et désintérêt. Toute motivation est
perdue.
La jubilation cognitive lorsqu’on a réussi un travail
complexe est le moteur de tout apprentissage. La jubilation cognitive est l’aphrodisiaque de l’intelligence. Il ne
peut, chez l’enfant surdoué, être généré que dans la confrontation à des apprentissages complexes.
4 / Le sens des apprentissages
La quête de sens, le besoin de sens est au centre du fonctionnement de la pensée de l’enfant surdoué. Tout doit
avoir un sens et un sens le plus précis possible. À l’école, le
sens des apprentissages proposés est le préalable indispensable et incontournable pour déclencher les mécanismes de
la motivation nécessaires à l’investissement des processus
d’apprentissage.
5 / Créer un espace personnel d’apprentissage
Pour s’approprier un apprentissage, pour le faire sien, il
est indispensable que puisse se créer un espace propre
entre la transmission du savoir et son intégration. Il faut
pouvoir se dégager de l’emprise de l’autre c’est-à-dire
d’une forme de pensée qui n’est pas la sienne et qui est
vécue comme intrusive. L’objectif : prendre les acquisitions à son compte.
L’école propose un apprentissage vertical avec très peu
d’espace autonome où sa propre pensée peut se développer, s’exprimer, s’approprier le savoir sous une autre
forme. La pensée unique est imposée. Les formes de
pensée différentes ne sont pas partagées.
Les particularités des mécanismes attentionnels
de l’enfant surdoué
Il existe une confusion fréquente entre enfant surdoué et
enfant présentant un trouble attentionnel avec hyperactivité.
Les similarités existent dans le comportement scolaire. Le
désintérêt, l’ennui, la difficulté à investir les processus
d’apprentissage, la différence de vitesse dans les apprentissages conduisent souvent l’élève surdoué à de multiples
bavardages et à une agitation incessante. Il semble peu
A.N.A.E. No 81 – MARS 2005
TROUBLE DES APPRENTISSAGES SCOLAIRES ET ENFANTS SURDOUÉS ?
attentif à ce que les enseignants proposent, distrait ses
camarades ou encore rêvasse.
Pourtant, lorsque le professeur demande à cet élève de restituer ce qui vient d’être dit il est habituel que l’enfant soit
parfaitement capable de répondre correctement.
Comment l’expliquer ? L’enfant surdoué disperse son
attention sur plusieurs canaux simultanément à l’image du
foisonnement de sa pensée. Il est capable de percevoir,
d’enregistrer, de mémoriser, d’analyser, des informations
simultanées qui proviennent de plusieurs canaux sensoriels. Contrairement au processus normal, si on supprime
les stimuli non pertinents, c’est-à-dire qui ne sont pas
nécessaires à la tâche en cours, l’enfant surdoué ne peut
plus se concentrer. Il a besoin d’un ensemble de stimuli
pour être attentif à toutes les données à la fois. Il est par
contre pénalisé si un stimulus à la fois est présenté car le
manque de stimulation sensorielle le contraint à se couper
de l’extérieur. À ce moment-là il n’enregistrera pas
l’information car il s’est déconnecté.
Pour être attentif l’enfant surdoué doit faire plusieurs choses à la fois. Si on le contraint à l’immobilité ou à
l’attention exclusive sur une seule source il ne peut plus
mobiliser son attention.
L’ingérence affective
La dimension émotionnelle (dépendante de l’activation de
l’hémisphère droit) est une dimension essentielle dans le
fonctionnement intellectuel des enfants surdoués. L’enfant
surdoué est d’abord un être affectif. La composante affective est présente dans tous les actes de sa vie, y compris
dans l’acte cognitif.
À l’école, il est frappant de constater combien ces enfants
demeurent, y compris à l’adolescence, dans une relation de
dépendance affective forte avec leurs professeurs, leurs
résultats scolaires montrant une corrélation significative
avec le lien affectif et d’estime réciproque qu’ils entretiennent avec leurs professeurs. Cette ingérence constante de
la sphère émotionnelle dans tous les actes cognitifs et
d’apprentissage est une spécificité majeure à prendre en
compte dans la compréhension du fonctionnement intellectuel et scolaire de ces enfants.
Le besoin de réassurance narcissique est central. Pour
l’enfant surdoué, être reconnu dans ce qu’il est ouvre la
voie à ses possibilités d’adaptation à l’école. Sa grande
lucidité le fragilise sur l’image qu’il a de lui-même. Sa difficulté à faire coïncider ce qu’il perçoit de sa capacité à
comprendre, de son intelligence et ses résultats scolaires le
fait douter sérieusement de ses compétences. C’est un
enfant qui a particulièrement besoin, lui aussi, d’être félicité et encouragé. Attention à l’illusion qu’il va prendre
« la grosse tête ». Bien au contraire. Le doute permanent
qu’il éprouve sur lui-même le protège d’une survalorisation. Et quand l’ego semble surdimensionné c’est que cet
enfant se sent particulièrement vulnérable et que son ego
gonflé est une fragile et vaine tentative de protection.
CONCLUSION
Un trouble d’apprentissage peut en cacher un autre...
D’un trouble spécifique isolé à un tableau clinique plus
complexe comme celui de l’enfant surdoué, dont les manifestations scolaires peuvent être ignorées, incomprises ou
mal interprétées, les troubles d’apprentissage peuvent se
situer sur un continuum de causes et de gravité. Face à
une difficulté scolaire le clinicien averti doit envisager tout
un faisceau d’hypothèses diagnostiques. Seules une
approche globale et l’exploration attentive du fonctionnement de l’enfant dans sa double dimension cognitive et
affective permettront de comprendre l’origine et la nature
de la difficulté et d’apporter l’aide précisément adaptée.
Un trouble d’apprentissage est un réel handicap sur le parcours scolaire de l’enfant dont les répercussions dépassent
le plus souvent le cadre strict des apprentissages. Les
enjeux actuels de la réussite scolaire et la pression sociale
ont transformé l’acquisition des savoirs en « théâtre » sur
lequel se joue l’avenir personnel, psychologique, social de
l’enfant.
Et la souffrance est toujours associée et ne peut être
négligée. Les difficultés scolaires sont les premiers signes
par lesquels l’enfant exprime sa souffrance. C’est un signal
d’appel que parents, professionnels, enseignants doivent
entendre et prendre prioritairement en compte.
A.N.A.E. No 81 – MARS 2005
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