IDENTITÉS TARNAISES
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IDENTITÉS TARNAISES
IDENTITÉS TARNAISES par Gérard BUONO, Michel COHOU, Jean-André LHOPITAULT L’occitan Le Tarn est une vieille terre occitane, où la langue d’oc a bénéficié tardivement d’un regain d’intérêt. Dans les années trente, des chroniques dans la presse entretiennent le goût pour le parler local, mais en le réduisant souvent à un usage populaire et rural caricatural. Dès , divers érudits locaux contribuent à sortir l’occitan de ce « réduit paysan », en travaillant à rétablir les règles de l’orthographe et à normaliser vocabulaire et syntaxe. L’Institut d’Études Occitanes regroupe les vocations militantes les plus actives. Un groupe de musique traditionnelle, créé en – La Talvera – a pris une dimension importante. Tournée initialement vers l’animation de bals, cette association d’ethnomusicologie a entamé un vaste effort de collecte de chants, de textes, d’instruments anciens, constituant une base de données importante sur le patrimoine occitan de la région. La Talvera est aujourd’hui une médiathèque, doublée d’un groupe de recherches actif. La diffusion de l’occitan dans le Tarn s’appuie aussi sur une radio associative (Radio Albigès) et sur quelques sociétés d’édition (Vent Terral). La production littéraire en langue occitane dans le département, très diversifiée (poésie ou prose, essais, traduction, bande dessinée, roman policier), indique que malgré des tirages limités ( exemplaires), l’inspiration des créateurs dépasse désormais le seul souci d’une mémoire occitane à entretenir. La fréquence de la référence à l’occitan dans les activités offertes aux adhérents des MJC du Tarn ou le développement de son apprentissage du primaire au baccalauréat (la loi de sur l’enseignement de l’occitan à l’école porte le nom du député du Tarn, Maurice Deixonne) permettent au département de renouer avec ses racines, mais aussi de faire le lien entre jeunesse et identité occitane. Le Tarn et la religion Le fait religieux dans le Tarn est à la croisée de nombreux paradoxes. Le souvenir de la Croisade des Albigeois entretient l’image d’une terre d’élection de l’hérésie, alors même qu’Albi ne fut pas vraiment l’épicentre du catharisme médiéval. Dans l’identité tarnaise, la référence à la Croisade est davantage liée à l’affirmation de l’appartenance au Midi (face au Nord dominateur ?) qu’à un sentiment religieux. Par contre, l’histoire du protestantisme est intimement liée à celle de la société tarnaise. Depuis quatre siècles, la religion réformée a fortement marqué la région, particulièrement dans le sud du département, autour de Castres, Mazamet et dans la Montagne (Vabre, Brassac, Viane) où elle a été souvent majoritaire, moins fortement dans l’Albigeois. Les affrontements religieux n’ont pas manqué, et quelques-unes des pages les plus tragiques de l’histoire des religions en France ont pour cadre l’actuel département du Tarn. Les affaires Calas et Sirven, en -, qui font encore aujourd’hui figure de « modèles » de persécution et d’intolérance, ont eu une portée nationale. La paix religieuse a fait sortir la pratique de la religion protestante de la clandestinité. Les périodes les plus éclatantes correspondent le plus souvent à des phases où les compromis religieux éloignent durablement les affrontements. Au prestige de Castres au XVIIe siècle, pourraient correspondre, à une autre échelle, les moments glorieux de réussite industrielle et commerciale de Mazamet. Dans un contexte de dualité religieuse, les attitudes de tolérance ont sûrement été favorisées par les « valeurs protestantes » : responsabilité personnelle, souci d’éducation, affinités avec l’esprit rationaliste et scientifique, recherche du progrès, religion de l’écrit… Le souci de simplicité, voire d’austérité est une autre facette fréquemment associée à la culture protestante. L’architecture du sud du département en témoigne Cathédrale de Lavaur largement, avec la grande sobriété des 4 matériaux, la sévérité des façades, la discrétion des décorations. Le reste du département est moins marqué par les influences religieuses, et la pratique y est moins régulière, se rapprochant de la tiède ferveur du Midi toulousain. Les accommodements personnels n’ont jamais manqué, provoquant des croisements parfois cocasses. Ainsi Jaurès, dans un contexte où l’anticléricalisme servait souvent de ligne de partage politique, n’hésitait pas à accompagner sa fille Madeleine lors de sa première communion. Dans la première moitié du XXe siècle, les Tarnais vont être au premier rang des conflits accompagnant la montée de la laïcité. En , l’Archevêque d’Albi a en charge de faire adopter le projet de séparation de l’Église et de l’État aux évêques de l’Église de France. « Le petit père Combes », principal artisan de cette séparation, est né à Roquecourbe. Les oppositions, importantes, viendront surtout du « peuple catholique ». Sous la IIIe République, le manuel d’instruction civique et morale est rédigé par le député de Lavaur… Les migrants Et si le Tarn tirait une grande part de son identité de sa faculté à accueillir de nouvelles populations, à tolérer leur différence avant de les « digérer » en s’enrichissant de leur apport ? Aveyronnais et Italiens, Espagnols et Polonais, pieds-noirs et harkis, Bretons, Picards, Vendéens, Lozériens et Nordistes, Portugais, AlgéKader Klouchi, riens et Marocains, Kurdes et Laotiens, Champion de France aujourd’hui Européens du Nord, Améde saut en longueur ricains, Parisiens et Toulousains… Depuis plus d’un siècle, les besoins de main d’œuvre dans l’agriculture, la mine et la métallurgie, le travail du bois, de la pierre et du cuir, la salaisonnerie, le bâtiment ont attiré dans le Tarn des vagues successives d’hommes et de femmes pour suppléer aux insuffisances démographiques liées à la petite propriété paysanne du siècle dernier, au développement industriel, à l’exode agricole puis à la croissance urbaine. Le monument aux morts (-) de Cagnac-les-Mines compte beaucoup de noms polonais, ukrainiens, espagnols… combattant souvent dans la MOI (Main d’Œuvre Immigrée). La solidarité politique et humaine a aussi joué. Cordes, née de la croisade contre les Albigeois, a su recevoir les républicains espagnols, comme les villages de la montagne, avancée cévenole, ont su protéger les juifs pendant les heures noires. Aujourd’hui, des Kurdes sont réfugiés à Albi. De nouvelles logiques de migration sont apparues ensuite, liées à l’attrait des terres du Sud, aux qualités du cadre de vie, à la saturation des villes et à l’amélioration des communications. Des retraités s’installent, des intellectuels et chefs d’entreprise vivent ici à temps partiel, des employés et cadres naviguent chaque jour entre le Tarn et Toulouse. Parmi ces nouveaux venus, les Anglais (générique englobant toutes les nationalités anglosaxonnes) restaurent maisons rurales et hameaux dans le Gaillacois, la Montagne Noire ou le Ségala. Ce renouvellement permanent ne va pas sans poser quelques problèmes, mais la tolérance l’emporte. Il entretient aujourd’hui la vitalité du marché foncier, alimente la vie associative, les manifestations culturelles, participe à la vie économique, tisse des liens avec des terres étrangères proches ou lointaines. Les « Néo-Tarnais » ont leurs clubs sportifs, leurs amicales et leurs réseaux, afin de maintenir les liens avec le pays d’origine. Ils animent la vie culturelle et festive, prennent des responsabilités collectives, manière d’accélérer la prise de leurs nouvelles racines tarnaises. Beaucoup sont élus, politiques – conseillers municipaux, maires, député – ou professionnels, dans l’agriculture, le commerce et l’industrie. Sans eux, le Tarn perdrait de sa saveur, de son dynamisme et une part de sa capacité d’innovation. ATLAS DU TARN TARNAIS CÉLÈBRES Cèpes et répountsous La cueillette participe de l’identité tarnaise. Vieille pratique du monde rural, elle connaît une vigueur nouvelle, occasion pour les citadins de retrouver la nature, mais elle est aussi source de conflits. On cueille pour manger après avoir cuisiné, ou pour vendre sur le marché ou aux restaurateurs. La cueillette des cèpes dans le Sud-Ouest génère histoires savoureuses et discussions qui virent parfois à l’aigre. Clôtures mal refermées, déchets abandonnés dans les bois et surtout cueillette pour la vente enveniment les relations entre propriétaires et ramasseurs, les simples chercheurs familiaux étant mieux accueillis. Le clivage passe ici entre ruraux et citadins, mais aussi entre Tarnais et Aveyronnais. Complément de revenus pour certains, la cueillette des champignons est de plus en plus réglementée. Le « répountsou » ou « responchon » est la tige et le bourgeon du tamier, plante vivace qui pousse en lisière des bois et dans les fossés. Il se mange cru ou cuit (saisi à l’eau ou à la poêle, à la vinaigrette ou en omelette). On le cherche en mars et avril. Cette cueillette populaire fut lancée au début du siècle par les mineurs de Carmaux. Moins conflictuelle que celle des cèpes, elle donne parfois lieu à commercialisation sur les marchés locaux. Un Tarn plutôt « ovale » Champion du monde contre la montre, vainqueur de Milan San Remo, la Flèche wallonne et d’autres classiques, de Paris-Nice, que manque-t-il à Laurent Jalabert, le Mazamétain ? Un Tour de France. Il y a brillé mais il a craqué. Il est le premier, depuis Poulidor, à entrer dans le cœur des foules avec le surnom de proximité : Jaja a remplacé Poupou. Parmi les autres sportifs tarnais de haut niveau, Kader Klouchi détient le record de France de saut en longueur (, mètres). Jean Ané, tireur à la fosse olympique, a participé à deux Jeux olympiques. Mais le Tarn est d’abord et toujours département d’Ovalie. Légende d’un siècle, le rugby est né en au collège de Mazamet : le club s’appelait « le Véloce » et on y portait le blazer anglais. Il s’est enraciné dans le département, s’est nourri de ses croissances : laine, cuir, charbon ont fait la gloire du SC Mazamet, du SC Graulhet, du Castres Olympique, de l’US Carmaux. Tous champions de France. Le bouclier de Brennus a même stationné trois ans dans le Tarn, de à . Paul Marchandeau, première star du rugby, commandait « les Glaïeuls » de Gaillac avant de devenir international et ministre d’État. Le docteur Mias, de Mazamet, reste le capitaine d’une équipe de France héroïque en en Afrique du Sud, Romeu, le Carmausin de Montferrand, Cholley, le pilier de Castres, Sam Revallier, seconde ligne gaillacois de Graulhet, comme Guy Laporte, buteur métronome, ont porté le maillot bleu sur tous les continents. Vincent Moscato, deux fois champion de France junior avec Gaillac, deux fois champion de France senior avec Bègles () et le Stade Français (en ), collectionne les trophées, comme son compère gaillacois Bernard Laporte, né capitaine et devenu entraîneur. Le rugby tarnais a ses dynasties où l’on se transmet le bouclier devant notaire : chez les Aué, le père gagne le titre en , les deux fils en avec le même club – Carmaux – le petit fils passant à Castres ; c’est le même scénario chez les Dalla Riva, originaires de Lavaur. Le XV tarnais a même eu son pape, l’abbé Pistre, une célébrité nationale : dans le pack du SC Albigeois, il distribuait « du pain béni », s’absolvant de sa rugosité par la parabole évangélique : « il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ». Curé de Noailhac, il écourtait les vêpres pour être à l’heure au coup d’envoi. Il croyait à la vie éternelle du rugby tarnais, une conviction bien fondée puisque le sport ovale a beauÉcole de rugby du Castres Olympique coup de fidèles et de pratiquants. ATLAS DU TARN R ÉFÉRENCE en la matière, le dictionnaire biographique Les Tarnais, publié en par la fédération des Sociétés intellectuelles du Tarn contient plus de notices biographiques. Qui choisir, parmi ces hommes et ces femmes, tous disparus, qui ont marqué de leur empreinte le Tarn – avant ou après la création du département – la France et même parfois le vaste monde? Les incontournables Jean Jaurès et Henri de Toulouse-Lautrec bien sûr. À côté de ces hommes d’exception, le Tarn, territoire de l’intérieur, éloigné des mers et des capitales, a notamment produit des explorateurs du monde et de la science, militaires ou aventuriers, religieux ou savants, des travailleurs et des capitaines d’industrie. Sans souci hiérarchique ni chronologique, relevons quelques-unes de ces figures. Michel Aucouturier, ouvrier verrier de Montluçon, fonda le syndicat des verriers de Carmaux à la fin du XIXe siècle, puis la Verrerie Ouvrière d’Albi, avant de donner son nom au lycée technique de Carmaux. D’une famille protestante de Brassac, Anne Veaute créa en une fabrique d’étoffes à Castres, participant à la mise en place de ce qui allait devenir l’industrie phare du sud du département au moment de la révolution industrielle. Le lycée professionnel de Castres porte son nom. Le chevalier de Solages, qui obtint en la concession des mines de charbon sur sa seigneurie de Carmaux, développa l’activité minière de ce qui était alors un bourg du Ségala. Anne Veaute, Musée Goya de Castres Isidore Barthès, remarquable meneur d’hommes et personnage truculent, fut le leader du mouvement ouvrier mazamétain au début du XXe siècle, à la fois homme de droite et militant syndicaliste à la CGT. Le dictionnaire biographique propose ainsi noms d’industriels, artisans et syndicalistes. Le Tarn leur doit une part originale de son histoire et de ses traits économiques actuels. Plus surprenante, l’exploration des terres et des mers – voire du ciel – mais aussi des corps et des esprits, semble une spécialité tarnaise, bien avant Jean-Louis Etienne, coureur des banquises et des océans. Jean-François Galaup de Lapérouse (-) reste le plus célèbre de ces explorateurs. Navigateur au long cours, décédé en mer dans le lointain Pacifique, Lapérouse est né à Albi. Il découvre la mer à l’âge de ans à Brest, fait la guerre de Sept ans puis celle d’Amérique. Louis XVI apprécie son ouverture au progrès et lui confie la grande expédition du règne : Lapérouse commande deux navires – la Boussole et l’Astrolabe – et hommes, marins mais aussi savants et ingénieurs. Parti de Brest en , il longe l’Alaska puis la Californie, pénètre dans les mers bordières de la Chine. Le voyage tourne au drame. Son second est assassiné Statue de Lapérouse aux Samoa. Le dernier courrier de Lapérouse est à Albi expédié d’Australie, en mars . Un cyclone brise les deux navires sur les rochers de Vanikoro. Albi conserve depuis , bicentenaire de sa disparition, le souvenir de Lapérouse dans un musée. De la première recherche en jusqu’à l’expédition Lapérouse-Albi-France en , plusieurs traces du naufrage (ancre, canons, morceaux de coque, ossements) perpétuent la mémoire d’un des plus grands marins français. Ce département terrien a produit sept amiraux, vice-amiraux et contreamiraux, un nombre impressionnant de missionnaires et autres découvreurs, comme Antoine Gaubil, missionnaire jésuite né à Gaillac, qui devint le meilleur connaisseur de la Chine au XVIIIe siècle pour y avoir été l’interprète des empereurs pendant trente ans. Il créa un observatoire à Pékin, rédigea un Traité d’astronomie chinoise et une histoire de Gengis Khan. Autre jésuite, Elie Colin, originaire de Graulhet, construisit l’observatoire astronomique de Tananarive, à Madagascar, en et étudia le magnétisme terrestre. Bertrand de Boucheporn, géologue et ingénieur des mines en poste à Albi, 5 par Gérard BUONO, Michel COHOU et Jean-André LHOPITAULT envisagea, dans la première moitié du XIXe siècle, le déplacement de l’axe des pôles. Il eut l’intuition du rôle des chutes d’astéroïdes dans les grandes révolutions du globe. Paul Vidal de la Blache (-), le fondateur de la géographie française moderne et son gendre Emmanuel de Martonne, « père » des géomorphologues, ont des attaches tarnaises, au domaine de Rusqueyrolles, dans le Sidobre. Arthur Batut, passionné de photographie, qui pratique déjà la superposition des clichés, innove en inventant la photo aérienne automatique. Il fixe sur un cerf-volant un appareil photo muni d’un dispositif de déclenchement retardé. Au quatrième essai, il réussit, le mai , de mètres de hauteur, la fameuse « vue perspective de la petite ville de Labruguière ». Le Carmausin Gaston Vedel, avant de devenir un grand résistant, fut un des pionniers de l’Aéropostale, aux côtés de Saint-Exupéry, Mermoz et Guillaumet. Le Gaillacois Antoine Portal, anatomiste réputé, fut aussi le fondateur de l’Académie de médecine en . Parmi ses patients, le roi Louis XVI, Buffon, Necker, le pape Pie VII, des maréchaux d’Empire, puis Louis XVIII et Charles X. Il appliqua le serment d’Hippocrate à tous les pouvoirs et mourut à l’âge de ans. Grand médecin ou médecin des grands ? Son contemporain Philippe Pinel, originaire de Jonquières, devint chef de service à l’hospice de femmes de la Salpêtrière. Par ses recherches sur les maladies mentales, il contribue à faire disparaître les chaînes et les brutalités sur les aliénés. Dans ses ouvrages, il impose l’idée que les maladies mentales peuvent se guérir « par un traitement moral ». Médecin de Napoléon à l’occasion, il fut destitué de sa chaire en à cause de ses idées républicaines. Autre républicain, l’Albigeois Gabriel Compayré enseigna le darwinisme, la psychologie de l’enfant. Il fut député du Tarn en et l’un des fondateurs de l’école laïque en France, au même titre que Jules Ferry. En , il a rédigé un des manuels de base, Éléments d’une instruction civique et morale, qui provoqua une mise à l’index en . Compayré y professait que les époux sont « bel et bien mariés » après le mariage civil, l’union religieuse n’étant pas indispensable. Ses nombreuses publications sur la pédagogie lui valurent, en , un siège à l’Institut. Plus près de nous, la graulhétoise Marthe Condat fut la première femme reçue à l’agrégation de médecine, en , et devint professeur de clinique médicale infantile. Henri de TOULOUSE-LAUTREC Peintre de la vie parisienne, du Montmartre des demi-mondaines, il a popularisé les figures pittoresques de Chocolat-le-Noir, Valentin le désossé, la Goulue, Jane Avril « folle de son corps », Yvette Guilbert aux lèvres rouges et gants noirs… Handicapé de la vie par une maladie osseuse dès l’âge de ans, il se révèle d’abord dans le dessin et la caricature puis dans la couleur, sa passion. Un sens inné de l’observation, du raccourci, une peinture d’expression, du geste, du visage plus que du corps, le goût des grands à plats monochromes aux couleurs franches, crues : Lautrec rassemble les pièces d’un puzzle, centre ses toiles ou ses affiches sur un personnage. La femme est au cœur de son œuvre. Mais Lautrec s’enfonce de plus en plus dans l’alcool et le septembre , il meurt à Malrome, laissant une œuvre immense de toiles, dessins, affiches, lithos, estampes… Connu dans le monde entier, très apprécié au Japon, le peintre albigeois incarne une époque artistique innovante et une certaine vie parisienne. Dom ROBERT, maître tapissier L’Abbaye bénédictine d’En Calcat, près de Sorèze, a accueilli pendant un demi-siècle Dom Robert (-), un des grands maîtres de la tapisserie en France. Entré à En Calcat en , une rencontre avec Jean Lurçat en lui fait abandonner ses ouvrages d’enlumineur pour se consacrer à un travail de cartonnier, avec le concours de lissiers d’Aubusson. Dans plus de tapisseries murales de grand format, Dom Robert construit une œuvre qui renouvelle l’art de la tapisserie par l’opposition paradoxale entre un parti pris figuratif et une palette très moderne. Ses thèmes d’inspiration sont tirés de la nature la plus quotidienne (compositions florales, animaux de bassecour), mais les décors, purs et simples, sont exaltés par des compositions en arabesques très colorées, en motifs d’une grande richesse ornementale. Cette œuvre, d’une grande modernité, fait de Dom Robert un des acteurs majeurs du renouveau de la tapisserie contemporaine. Jean JAURÈS I L DONNE son nom aux plus grandes avenues ou places, aux établissements scolaires, il a statues dans le Tarn ( en France) et reste le seul Tarnais reposant au Panthéon. Castres revendique sa naissance (à la Fédial, à kilomètres de la ville) et ses études, qui l’ouvrent aux humanités; Albi accueille au lycée Lapérouse le brillant agrégé, major de Normale Sup ; Carmaux (où il répond à l’appel des mineurs dans la grande grève de ) l’élira presque sans discontinuer jusqu’en . « Jaurès est un élu républicain et socialiste, comme il est un élu paysan et ouvrier » écrit l’historienne Rolande Trempé. Les Tarnais admirent son immense culture littéraire et historique, son talent d’écrivain (le portrait de Mirabeau, dans son Histoire socialiste de la Révolution française, est inégalé), son éloquence qui attirait les foules mais plus encore son honnêteté scrupuleuse au service des humbles, de la justice (dans l’affaire Dreyfus) et de la paix. Jaurès fut adulé mais aussi haï des éléments les plus réactionnaires qui supportaient mal ce transfuge social, jeune bourgeois passé au service du peuple. Raoul Vilain entendit ces appels au meurtre qui armeront sans doute sa main le juillet . La mort de Jaurès signifiait la fin de l’espoir ou de l’illusion de la paix. Le Tarn recueillit sa dépouille au cimetière des Planques : son transfert au Panthéon, en , fut pour les Tarnais une fierté et un crève-cœur. Et l’inauguration du Centre national Jean Jaurès, le novembre par François Mitterrand, fit l’effet d’une « réappropriation », par le Tarn, du « plus grand des Tarnais ». 6 Maurice et Eugénie de GUÉRIN Lui avait le génie littéraire : il fréquente Lamenais puis Barbey d’Aurevilly, évolue entre spiritualité et mondanités parisiennes. De sa courte vie (-) reste une œuvre intense (le Cahier vert, le Centaure, la Bacchante) dans une prose enflammée. Le Journal d’Eugénie est une chronique de la vie au Cayla où s’expriment la foi, l’amour du lieu dans sa simplicité campagnarde et la vénération du frère. Le musée, créé en et les Amitiés Guériniennes avec leurs bulletins, leurs colloques, entretiennent le souvenir et encouragent la recherche littéraire sur l’œuvre de Maurice et Eugénie. Jean de Dieu SOULT (-) Sergent en , sa carrière militaire s’accélère avec les campagnes révolutionnaires sur le Rhin, le Danube, Sambre et Meuse, l’Italie. En , il est dans la première promotion des maréchaux d’Empire : on le trouve à Austerlitz, Iéna, Eylau. Il gouverne ensuite en Espagne. Quand Napoléon abdique, il négocie l’armistice, devient ministre de la guerre pendant la première restauration, se rallie à nouveau à Napoléon pendant les Cent jours. Exilé par Louis XVIII après Waterloo, il rentre en . Charles X lui rend son titre de pair et Louis Philippe le fait à trois reprises président du Conseil. Comme Talleyrand ou Fouché, Soult incarne la souplesse des convictions et un « contorsionnisme » politique qui lui a permis de durer. Les régimes passaient, Soult restait. ATLAS DU TARN ARTS & MANIFESTATIONS Musée Toulouse-Lautrec, à Albi U NE fortification du XIIIe siècle : le Palais de la Berbie, demeure des évêques d’Albi jusqu’en , était un des plus beaux châteaux épiscopaux du royaume. À la mort de Toulouse-Lautrec, sa famille fit don de l’atelier du peintre à Albi, sa ville natale : œuvres dont peintures où l’on trouve Bruand, la Goulue, Yvette Guilbert, Jane Avril et les grandes toiles sur les maisons closes de la rue Joubert ou de la rue des Moulins. La rénovation veut donner un meilleur éclairage, un regard thématique – une mise à jour – du travail de Lautrec. Musée Goya, à Castres ’ARCHEVÊQUE Tubeuf, en , avait fait appel aux meilleurs : à Mansart le palais, à Le Nôtre les jardins. L’extérieur présente un classicisme de style Louis XIV, élégant et harmonieux. À l’intérieur, l’œil de Goya épingle les vaniteux, les coquettes, les puissants : un univers halluciné peuplé de monstres et de sorcières. Le musée présente « le plus grand Goya du monde » (La Junte des Philippines), un Autoportrait à lunettes… La rencontre de Goya et de Castres est affaire d’héritage : Marcel Briguiboul, fils de négociants castrais installé à Barcelone, fit donation à sa ville de trois Goya achetés à Madrid en . D’autres acquisitions ont suivi – Murillo, Zurbaran, Ribera, Bervete – faisant du musée castrais une anthologie du génie espagnol. L L’Écomusée de la Montagne Noire P AYSANS, puis ouvriers-paysans, puis ouvriers à plein temps : la révolution industrielle tarnaise n’a jamais coupé les ponts avec le monde rural qui l’entoure. Créé en , à Labastide-Rouairoux, l’écomusée traduit cette double culture. Les racines à la ferme (four à pain, traite des bêtes) et le travail en usine (filatures, métiers à tisser…). Installé dans l’ancienne usine Armengaud, c’est un lieu charnière : conservatoire et centre de documentation, mémoire de ces paysans devenus ouvriers. Musée des métiers anciens ANS son moulin de Vindrac, François Rouillard présente outils, ans de passion et de patience. Les anciens retrouvent leurs racines : les carrioles, la salle de classe, les moules à curbelets (pâtisserie de Cordes), les pièges du braconnier… Et toutes les astuces d’une société rurale où – faute d’être riche – il fallait être malin. Derrière chaque outil, l’histoire des hommes, des travaux et des jours. D L’Art du luthier C OMPAGNON luthier, Christian Urbita a fait son tour d’Europe avant de s’installer à Cordes. Il fabrique et assemble les pièces du violon : les éclisses en érable, la table d’harmonie en épicéa, les chevilles en ébène ou en palissandre. Le musée retrace toutes les étapes – outils, gestes, essences – de cette confection. Tous les étés, luthiers et musiciens se rencontrent à Cordes pour un atelier-concert à la Maison Fontpeyrouse. Muséum d’Histoire naturelle, à Gaillac P HILADELPHE Thomas était médecin, mais vivait de ses fermages et pour ses collections. Minéraux, fossiles, madrépores, oiseaux, insectes, herbier : dans sa maison-musée, léguée à la ville de Gaillac en , tout se compte par milliers. Une immense compilation, où cet admirateur de Buffon, Cuvier et Linné retrouvait l’origine et l’évolution des espèces, depuis l’entelodon, un sanglier de millions d’années qu’il avait lui même exhumé des marnes du Tarn. L’Archéosite, à Montans L pour chauffer, l’argile pour mouler et la rivière pour exporter : la céramique gallo-romaine avait tous les atouts à sa portée. À l’apogée de Montans, les artisans diffusaient la poterie sigillée dans tout l’occident. L’Archéosite est une vitrine de leur talent, puis de leur déclin : cruches gauloises gris cendré, coupes rouges aux frises délicates, vaisselle… En reconstituant la « rue romaine », les concepteurs de l’Archéosite ont respecté l’archéologie. Les stages de poterie, les recherches sur la cuisine et le vin galloromain en font un centre interactif. E BOIS par Jean-André LHOPITAULT et Michel COHOU L’Été de Vaour , l’esprit reste celui de la fête au village, avec toute la gamme du rire : le rire jaune, le fou rire, le rire aux larmes et même le pince sans rire. Conteurs, marionnettistes, clowns, l’Été de Vaour fait dans tous les genres, du cabaret à la parade, s’ouvre aux artistes du monde entier. Animée par des bénévoles, la manifestation transfigure le village du nord-ouest du Tarn pendant jours, début août. Le rite est immuable : tout commence par un « apéroconcert » sur la place de l’église. Puis le rire, comme le mime, se fait langage universel. D EPUIS Le cinéma La bibliothèque départementale La fréquentation des salles tarnaises augmente depuis plusieurs années. Elle a dépassé entrées en (+ , %), confirmant un retournement de tendance dû à la conjonction de plusieurs facteurs favorables. Le dynamisme de jeunes exploitants d’abord : la programmation s’améliore, s’efforçant d’attirer de nouvelles clientèles par des « sorties nationales » ou l’organisation de manifestations. La fidélisation du public est favorisée par la qualité des équipements (Centre Culturel Apollo de Mazamet) et la rénovation de salles aidée par les municipalités. L’association Cinécran a pour mission de promouvoir le cinéma en milieu rural, passant contrat avec communes en . Le Conseil général aide ce mouvement par des actions en faveur du cinéma et de l’audiovisuel ( millions de francs en ). Un plan Cinétarn est à l’œuvre, visant à donner aux scolaires et, plus largement, aux jeunes le goût du grand écran. Des films vidéo sont réalisés sur le patrimoine tarnais (Verrerie Ouvrière d’Albi), sur la vie dans les quartiers et le Tarn accueille des tournages pour la télévision et le cinéma. Souffle nouveau ? Renaissance ? Le cinéma participe en tout cas activement à la vie culturelle et associative des villes et des campagnes tarnaises. La bibliothèque départementale du Tarn assure la promotion du livre, des documents sonores et de tous les médias culturels dans les communes de moins de habitants. Elle organise des expositions itinérantes, des ateliers d’écriture, participe à des Bibliobus manifestations (Été de Vaour, rencontre avec des auteurs, spectacles). Irriguant le département avec ses cinq bibliobus et son « musibus », elle anime le réseau des bibliothèques municipales rurales qui regroupe communes. Cet outil culturel est à la fois un complément et un partenaire des bibliothèques, et de plus en plus des médiathèques, municipales ou intercommunales en milieu rural et périurbain, alors qu’en ville, de nouveaux équipements aux fonctions multiples se sont créés récemment (à Carmaux, Aussillon, Mazamet, Saint-Juéry…) ou sont en projet (médiathèques d’Albi et de Gaillac). ATLAS DU TARN 7