IDENTITÉS TARNAISES

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IDENTITÉS TARNAISES
IDENTITÉS TARNAISES
par Gérard BUONO, Michel COHOU,
Jean-André LHOPITAULT
L’occitan
Le Tarn est une vieille terre occitane, où la langue d’oc a bénéficié tardivement d’un regain d’intérêt. Dans les années trente, des chroniques dans
la presse entretiennent le goût pour le parler local, mais en le réduisant
souvent à un usage populaire et rural caricatural. Dès , divers érudits
locaux contribuent à sortir l’occitan de ce « réduit paysan », en travaillant
à rétablir les règles de l’orthographe et à normaliser vocabulaire et syntaxe.
L’Institut d’Études Occitanes regroupe les vocations militantes les plus actives.
Un groupe de musique traditionnelle, créé en  – La Talvera – a pris une
dimension importante. Tournée initialement vers l’animation de bals, cette
association d’ethnomusicologie a entamé un vaste effort de collecte de chants,
de textes, d’instruments anciens, constituant une base de données importante sur le patrimoine occitan de la région. La Talvera est aujourd’hui une
médiathèque, doublée d’un groupe de recherches actif. La diffusion de l’occitan dans le Tarn s’appuie aussi sur une radio associative (Radio Albigès)
et sur quelques sociétés d’édition (Vent Terral). La production littéraire en
langue occitane dans le département, très diversifiée (poésie ou prose, essais,
traduction, bande dessinée, roman policier), indique que malgré des tirages
limités (  exemplaires), l’inspiration des créateurs dépasse désormais le
seul souci d’une mémoire occitane à entretenir. La fréquence de la référence
à l’occitan dans les activités offertes aux  adhérents des  MJC du Tarn
ou le développement de son apprentissage du primaire au baccalauréat (la
loi de  sur l’enseignement de l’occitan à l’école porte le nom du député
du Tarn, Maurice Deixonne) permettent au département de renouer avec
ses racines, mais aussi de faire le lien entre jeunesse et identité occitane.
Le Tarn et la religion
Le fait religieux dans le Tarn est à la croisée de nombreux paradoxes.
Le souvenir de la Croisade des Albigeois entretient l’image d’une terre
d’élection de l’hérésie, alors même qu’Albi ne fut pas vraiment l’épicentre
du catharisme médiéval. Dans l’identité tarnaise, la référence à la Croisade
est davantage liée à l’affirmation de l’appartenance au Midi (face au Nord
dominateur ?) qu’à un sentiment religieux. Par contre, l’histoire du protestantisme est intimement liée à celle de la société tarnaise. Depuis quatre
siècles, la religion réformée a fortement marqué la région, particulièrement
dans le sud du département, autour de Castres, Mazamet et dans la Montagne (Vabre, Brassac, Viane) où elle a été souvent majoritaire, moins fortement dans l’Albigeois. Les affrontements religieux n’ont pas manqué, et
quelques-unes des pages les plus tragiques de l’histoire des religions en
France ont pour cadre l’actuel département du Tarn. Les affaires Calas et
Sirven, en -, qui font encore aujourd’hui figure de « modèles » de
persécution et d’intolérance, ont eu une portée nationale.
La paix religieuse a fait sortir la pratique de la religion protestante de la
clandestinité. Les périodes les plus éclatantes correspondent le plus souvent à
des phases où les compromis religieux éloignent durablement les affrontements. Au prestige de Castres au XVIIe siècle,
pourraient correspondre, à une autre
échelle, les moments glorieux de réussite
industrielle et commerciale de Mazamet.
Dans un contexte de dualité religieuse,
les attitudes de tolérance ont sûrement été
favorisées par les « valeurs protestantes » : responsabilité personnelle, souci d’éducation,
affinités avec l’esprit rationaliste et scientifique, recherche du progrès, religion de
l’écrit… Le souci de simplicité, voire d’austérité est une autre facette fréquemment
associée à la culture protestante. L’architecture du sud du département en témoigne
Cathédrale de Lavaur
largement, avec la grande sobriété des
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matériaux, la sévérité des façades, la discrétion des décorations. Le reste du
département est moins marqué par les influences religieuses, et la pratique y
est moins régulière, se rapprochant de la tiède ferveur du Midi toulousain.
Les accommodements personnels n’ont jamais manqué, provoquant des
croisements parfois cocasses. Ainsi Jaurès, dans un contexte où l’anticléricalisme servait souvent de ligne de partage politique, n’hésitait pas à
accompagner sa fille Madeleine lors de sa première communion.
Dans la première moitié du XXe siècle, les Tarnais vont être au premier
rang des conflits accompagnant la montée de la laïcité. En , l’Archevêque d’Albi a en charge de faire adopter le projet de séparation de l’Église
et de l’État aux  évêques de l’Église de France. « Le petit père Combes »,
principal artisan de cette séparation, est né à Roquecourbe. Les oppositions,
importantes, viendront surtout du « peuple catholique ». Sous la IIIe République, le manuel d’instruction civique et morale est rédigé par le député
de Lavaur…
Les migrants
Et si le Tarn tirait une grande part de
son identité de sa faculté à accueillir de
nouvelles populations, à tolérer leur différence avant de les « digérer » en s’enrichissant de leur apport ? Aveyronnais et
Italiens, Espagnols et Polonais, pieds-noirs
et harkis, Bretons, Picards, Vendéens,
Lozériens et Nordistes, Portugais, AlgéKader Klouchi,
riens et Marocains, Kurdes et Laotiens,
Champion de France
aujourd’hui Européens du Nord, Améde saut en longueur
ricains, Parisiens et Toulousains…
Depuis plus d’un siècle, les besoins de main d’œuvre dans l’agriculture,
la mine et la métallurgie, le travail du bois, de la pierre et du cuir, la salaisonnerie, le bâtiment ont attiré dans le Tarn des vagues successives
d’hommes et de femmes pour suppléer aux insuffisances démographiques
liées à la petite propriété paysanne du siècle dernier, au développement
industriel, à l’exode agricole puis à la croissance urbaine. Le monument
aux morts (-) de Cagnac-les-Mines compte beaucoup de noms
polonais, ukrainiens, espagnols… combattant souvent dans la MOI (Main
d’Œuvre Immigrée).
La solidarité politique et humaine a aussi joué. Cordes, née de la croisade contre les Albigeois, a su recevoir les républicains espagnols, comme les
villages de la montagne, avancée cévenole, ont su protéger les juifs pendant
les heures noires. Aujourd’hui, des Kurdes sont réfugiés à Albi.
De nouvelles logiques de migration sont apparues ensuite, liées à l’attrait
des terres du Sud, aux qualités du cadre de vie, à la saturation des villes et
à l’amélioration des communications. Des retraités s’installent, des intellectuels et chefs d’entreprise vivent ici à temps partiel, des employés et
cadres naviguent chaque jour entre le Tarn et Toulouse. Parmi ces nouveaux
venus, les Anglais (générique englobant toutes les nationalités anglosaxonnes) restaurent maisons rurales et hameaux dans le Gaillacois, la
Montagne Noire ou le Ségala.
Ce renouvellement permanent ne va pas sans poser quelques problèmes,
mais la tolérance l’emporte. Il entretient aujourd’hui la vitalité du marché
foncier, alimente la vie associative, les manifestations culturelles, participe
à la vie économique, tisse des liens avec des terres étrangères proches ou
lointaines. Les « Néo-Tarnais » ont leurs clubs sportifs, leurs amicales et
leurs réseaux, afin de maintenir les liens avec le pays d’origine. Ils animent la
vie culturelle et festive, prennent des responsabilités collectives, manière
d’accélérer la prise de leurs nouvelles racines tarnaises. Beaucoup sont élus,
politiques – conseillers municipaux, maires, député – ou professionnels,
dans l’agriculture, le commerce et l’industrie. Sans eux, le Tarn perdrait de
sa saveur, de son dynamisme et une part de sa capacité d’innovation.
ATLAS DU TARN
TARNAIS CÉLÈBRES
Cèpes et répountsous
La cueillette participe de l’identité tarnaise. Vieille pratique du monde
rural, elle connaît une vigueur nouvelle, occasion pour les citadins de retrouver la nature, mais elle est aussi source de conflits. On cueille pour manger
après avoir cuisiné, ou pour vendre sur le marché ou aux restaurateurs.
La cueillette des cèpes dans le Sud-Ouest génère histoires savoureuses
et discussions qui virent parfois à l’aigre. Clôtures mal refermées, déchets
abandonnés dans les bois et surtout cueillette pour la vente enveniment les
relations entre propriétaires et ramasseurs, les simples chercheurs familiaux
étant mieux accueillis. Le clivage passe ici entre ruraux et citadins, mais
aussi entre Tarnais et Aveyronnais. Complément de revenus pour certains,
la cueillette des champignons est de plus en plus réglementée.
Le « répountsou » ou « responchon » est la tige et le bourgeon du tamier,
plante vivace qui pousse en lisière des bois et dans les fossés. Il se mange
cru ou cuit (saisi à l’eau ou à la poêle, à la vinaigrette ou en omelette). On
le cherche en mars et avril. Cette cueillette populaire fut lancée au début
du siècle par les mineurs de Carmaux. Moins conflictuelle que celle des
cèpes, elle donne parfois lieu à commercialisation sur les marchés locaux.
Un Tarn plutôt « ovale »
Champion du monde contre la montre, vainqueur de Milan San Remo,
la Flèche wallonne et d’autres classiques, de Paris-Nice, que manque-t-il à
Laurent Jalabert, le Mazamétain ? Un Tour de France. Il y a brillé mais il
a craqué. Il est le premier, depuis Poulidor, à entrer dans le cœur des foules
avec le surnom de proximité : Jaja a remplacé Poupou. Parmi les autres
sportifs tarnais de haut niveau, Kader Klouchi détient le record de France
de saut en longueur (, mètres). Jean Ané, tireur à la fosse olympique, a
participé à deux Jeux olympiques.
Mais le Tarn est d’abord et toujours département d’Ovalie. Légende
d’un siècle, le rugby est né en  au collège de Mazamet : le club s’appelait
« le Véloce » et on y portait le blazer anglais. Il s’est enraciné dans le département, s’est nourri de ses croissances : laine, cuir, charbon ont fait la gloire
du SC Mazamet, du SC Graulhet, du Castres Olympique, de l’US Carmaux.
Tous champions de France. Le bouclier de Brennus a même stationné trois
ans dans le Tarn, de  à .
Paul Marchandeau, première star du rugby, commandait « les Glaïeuls »
de Gaillac avant de devenir international et ministre d’État. Le docteur Mias,
de Mazamet, reste le capitaine d’une équipe de France héroïque en  en
Afrique du Sud, Romeu, le Carmausin de Montferrand, Cholley, le pilier de
Castres, Sam Revallier, seconde ligne gaillacois de Graulhet, comme Guy
Laporte, buteur métronome, ont porté le maillot bleu sur tous les continents.
Vincent Moscato, deux fois champion de France junior avec Gaillac,
deux fois champion de France senior avec Bègles () et le Stade Français
(en ), collectionne les trophées, comme son compère gaillacois Bernard
Laporte, né capitaine et devenu entraîneur. Le rugby tarnais a ses dynasties
où l’on se transmet le bouclier devant notaire : chez les Aué, le père gagne le
titre en , les deux fils en  avec le même club – Carmaux – le petit fils
passant à Castres ; c’est le même scénario
chez les Dalla Riva, originaires de Lavaur.
Le XV tarnais a même eu son pape,
l’abbé Pistre, une célébrité nationale : dans
le pack du SC Albigeois, il distribuait « du
pain béni », s’absolvant de sa rugosité par
la parabole évangélique : « il y a plus de joie
à donner qu’à recevoir ». Curé de Noailhac, il écourtait les vêpres pour être à
l’heure au coup d’envoi. Il croyait à la vie
éternelle du rugby tarnais, une conviction
bien fondée puisque le sport ovale a beauÉcole de rugby
du Castres Olympique
coup de fidèles et de pratiquants.
ATLAS DU TARN
R
ÉFÉRENCE en la matière, le dictionnaire biographique Les Tarnais, publié
en  par la fédération des Sociétés intellectuelles du Tarn contient
plus de  notices biographiques. Qui choisir, parmi ces hommes et ces
femmes, tous disparus, qui ont marqué de leur empreinte le Tarn – avant ou
après la création du département – la France et même parfois le vaste monde?
Les incontournables Jean Jaurès et Henri de Toulouse-Lautrec bien sûr.
À côté de ces hommes d’exception, le Tarn, territoire de l’intérieur, éloigné
des mers et des capitales, a notamment produit des explorateurs du monde
et de la science, militaires ou aventuriers, religieux ou savants, des travailleurs
et des capitaines d’industrie. Sans souci hiérarchique ni chronologique,
relevons quelques-unes de ces figures.
Michel Aucouturier, ouvrier verrier de Montluçon, fonda le syndicat
des verriers de Carmaux à la fin du XIXe siècle, puis la Verrerie Ouvrière
d’Albi, avant de donner son nom au lycée technique de Carmaux. D’une
famille protestante de Brassac, Anne Veaute créa en
 une fabrique d’étoffes à Castres, participant à
la mise en place de ce qui allait devenir l’industrie
phare du sud du département au moment de la
révolution industrielle. Le lycée professionnel de
Castres porte son nom. Le chevalier de Solages, qui
obtint en  la concession des mines de charbon
sur sa seigneurie de Carmaux, développa l’activité
minière de ce qui était alors un bourg du Ségala.
Anne Veaute,
Musée Goya de Castres Isidore Barthès, remarquable meneur d’hommes
et personnage truculent, fut le leader du mouvement ouvrier mazamétain
au début du XXe siècle, à la fois homme de droite et militant syndicaliste à
la CGT. Le dictionnaire biographique propose ainsi  noms d’industriels,
artisans et syndicalistes. Le Tarn leur doit une part originale de son histoire
et de ses traits économiques actuels.
Plus surprenante, l’exploration des terres et des mers – voire du ciel –
mais aussi des corps et des esprits, semble une spécialité tarnaise, bien avant
Jean-Louis Etienne, coureur des banquises et des océans. Jean-François
Galaup de Lapérouse (-) reste le plus célèbre de ces explorateurs.
Navigateur au long cours, décédé en mer dans le
lointain Pacifique, Lapérouse est né à Albi. Il découvre la mer à l’âge de  ans à Brest, fait la guerre
de Sept ans puis celle d’Amérique. Louis XVI apprécie son ouverture au progrès et lui confie la grande
expédition du règne : Lapérouse commande deux
navires – la Boussole et l’Astrolabe – et  hommes,
marins mais aussi savants et ingénieurs. Parti de
Brest en , il longe l’Alaska puis la Californie,
pénètre dans les mers bordières de la Chine. Le
voyage tourne au drame. Son second est assassiné
Statue de Lapérouse aux Samoa. Le dernier courrier de Lapérouse est
à Albi
expédié d’Australie, en mars . Un cyclone brise
les deux navires sur les rochers de Vanikoro. Albi conserve depuis ,
bicentenaire de sa disparition, le souvenir de Lapérouse dans un musée.
De la première recherche en  jusqu’à l’expédition Lapérouse-Albi-France
en , plusieurs traces du naufrage (ancre, canons, morceaux de coque,
ossements) perpétuent la mémoire d’un des plus grands marins français.
Ce département terrien a produit sept amiraux, vice-amiraux et contreamiraux, un nombre impressionnant de missionnaires et autres découvreurs,
comme Antoine Gaubil, missionnaire jésuite né à Gaillac, qui devint le
meilleur connaisseur de la Chine au XVIIIe siècle pour y avoir été l’interprète
des empereurs pendant trente ans. Il créa un observatoire à Pékin, rédigea
un Traité d’astronomie chinoise et une histoire de Gengis Khan. Autre jésuite,
Elie Colin, originaire de Graulhet, construisit l’observatoire astronomique
de Tananarive, à Madagascar, en  et étudia le magnétisme terrestre.
Bertrand de Boucheporn, géologue et ingénieur des mines en poste à Albi,
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par Gérard BUONO, Michel COHOU et Jean-André LHOPITAULT
envisagea, dans la première moitié du XIXe siècle, le déplacement de l’axe
des pôles. Il eut l’intuition du rôle des chutes d’astéroïdes dans les grandes
révolutions du globe. Paul Vidal de la Blache (-), le fondateur de
la géographie française moderne et son gendre Emmanuel de Martonne,
« père » des géomorphologues, ont des attaches tarnaises, au domaine de
Rusqueyrolles, dans le Sidobre.
Arthur Batut, passionné de photographie, qui pratique déjà la superposition des clichés, innove en inventant la photo aérienne automatique. Il
fixe sur un cerf-volant un appareil photo muni d’un dispositif de déclenchement retardé. Au quatrième essai, il réussit, le  mai , de  mètres de
hauteur, la fameuse « vue perspective de la petite ville de Labruguière ». Le Carmausin Gaston Vedel, avant de devenir un grand résistant, fut un des pionniers de l’Aéropostale, aux côtés de Saint-Exupéry, Mermoz et Guillaumet.
Le Gaillacois Antoine Portal, anatomiste réputé, fut aussi le fondateur
de l’Académie de médecine en . Parmi ses patients, le roi Louis XVI,
Buffon, Necker, le pape Pie VII, des maréchaux d’Empire, puis Louis XVIII
et Charles X. Il appliqua le serment d’Hippocrate à tous les pouvoirs et
mourut à l’âge de  ans. Grand médecin ou médecin des grands ? Son
contemporain Philippe Pinel, originaire de Jonquières, devint chef de service
à l’hospice de femmes de la Salpêtrière. Par ses recherches sur les maladies
mentales, il contribue à faire disparaître les chaînes et les brutalités sur les
aliénés. Dans ses ouvrages, il impose l’idée que les maladies mentales peuvent
se guérir « par un traitement moral ». Médecin de Napoléon à l’occasion,
il fut destitué de sa chaire en  à cause de ses idées républicaines. Autre
républicain, l’Albigeois Gabriel Compayré enseigna le darwinisme, la psychologie de l’enfant. Il fut député du Tarn en  et l’un des fondateurs
de l’école laïque en France, au même titre que Jules Ferry. En , il a
rédigé un des manuels de base, Éléments d’une instruction civique et morale,
qui provoqua une mise à l’index en . Compayré y professait que les
époux sont « bel et bien mariés » après le mariage civil, l’union religieuse
n’étant pas indispensable. Ses nombreuses publications sur la pédagogie lui
valurent, en , un siège à l’Institut. Plus près de nous, la graulhétoise
Marthe Condat fut la première femme reçue à l’agrégation de médecine,
en , et devint professeur de clinique médicale infantile.
Henri de TOULOUSE-LAUTREC
Peintre de la vie parisienne, du Montmartre des demi-mondaines, il a popularisé
les figures pittoresques de Chocolat-le-Noir,
Valentin le désossé, la Goulue, Jane Avril
« folle de son corps », Yvette Guilbert aux
lèvres rouges et gants noirs… Handicapé de
la vie par une maladie osseuse dès l’âge de
 ans, il se révèle d’abord dans le dessin et la
caricature puis dans la couleur, sa passion.
Un sens inné de l’observation, du raccourci,
une peinture d’expression, du geste, du visage
plus que du corps, le goût des grands à plats
monochromes aux couleurs franches, crues : Lautrec rassemble les pièces d’un
puzzle, centre ses toiles ou ses affiches sur un personnage. La femme est au
cœur de son œuvre. Mais Lautrec s’enfonce de plus en plus dans l’alcool et le
 septembre , il meurt à Malrome, laissant une œuvre immense de toiles,
dessins, affiches, lithos, estampes…
Connu dans le monde entier, très apprécié au Japon, le peintre albigeois
incarne une époque artistique innovante et une certaine vie parisienne.
Dom ROBERT, maître tapissier
L’Abbaye bénédictine d’En Calcat, près de Sorèze, a accueilli pendant un
demi-siècle Dom Robert (-), un des grands maîtres de la tapisserie
en France. Entré à En Calcat en , une rencontre avec Jean Lurçat en 
lui fait abandonner ses ouvrages d’enlumineur pour se consacrer à un travail de
cartonnier, avec le concours de lissiers d’Aubusson.
Dans plus de  tapisseries murales de grand format, Dom Robert construit
une œuvre qui renouvelle l’art de la tapisserie par l’opposition paradoxale entre
un parti pris figuratif et une palette très moderne. Ses thèmes d’inspiration sont
tirés de la nature la plus quotidienne (compositions florales, animaux de bassecour), mais les décors, purs et simples, sont exaltés par des compositions en arabesques très colorées, en motifs d’une grande richesse ornementale. Cette œuvre,
d’une grande modernité, fait de Dom Robert un des acteurs majeurs du
renouveau de la tapisserie contemporaine.
Jean JAURÈS
I
L DONNE son nom aux plus grandes avenues
ou places, aux établissements scolaires, il a 
statues dans le Tarn ( en France) et reste le seul
Tarnais reposant au Panthéon. Castres revendique sa naissance (à la Fédial, à  kilomètres de
la ville) et ses études, qui l’ouvrent aux humanités; Albi accueille au lycée Lapérouse le brillant
agrégé, major de Normale Sup ; Carmaux (où
il répond à l’appel des mineurs dans la grande
grève de ) l’élira presque sans discontinuer
jusqu’en . « Jaurès est un élu républicain et socialiste, comme il est un
élu paysan et ouvrier » écrit l’historienne Rolande Trempé. Les Tarnais
admirent son immense culture littéraire et historique, son talent d’écrivain
(le portrait de Mirabeau, dans son Histoire socialiste de la Révolution française, est inégalé), son éloquence qui attirait les foules mais plus encore son
honnêteté scrupuleuse au service des humbles, de la justice (dans l’affaire
Dreyfus) et de la paix. Jaurès fut adulé mais aussi haï des éléments les plus
réactionnaires qui supportaient mal ce transfuge social, jeune bourgeois passé au
service du peuple. Raoul Vilain entendit ces appels au meurtre qui armeront
sans doute sa main le  juillet . La mort de Jaurès signifiait la fin de
l’espoir ou de l’illusion de la paix. Le Tarn recueillit sa dépouille au cimetière
des Planques : son transfert au Panthéon, en , fut pour les Tarnais une
fierté et un crève-cœur. Et l’inauguration du Centre national Jean Jaurès, le
 novembre  par François Mitterrand, fit l’effet d’une « réappropriation »,
par le Tarn, du « plus grand des Tarnais ».
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Maurice et Eugénie de GUÉRIN
Lui avait le génie littéraire : il fréquente Lamenais puis Barbey d’Aurevilly,
évolue entre spiritualité et mondanités parisiennes. De sa courte vie (-)
reste une œuvre intense (le Cahier vert, le Centaure, la Bacchante) dans une
prose enflammée. Le Journal d’Eugénie est une chronique de la vie au Cayla
où s’expriment la foi, l’amour du lieu dans sa simplicité campagnarde et la
vénération du frère.
Le musée, créé en  et les Amitiés Guériniennes avec leurs bulletins, leurs
colloques, entretiennent le souvenir et encouragent la recherche littéraire sur
l’œuvre de Maurice et Eugénie.
Jean de Dieu SOULT (-)
Sergent en , sa carrière militaire s’accélère avec les campagnes révolutionnaires sur le Rhin, le Danube, Sambre et Meuse, l’Italie. En , il est dans
la première promotion des maréchaux d’Empire : on le trouve à Austerlitz, Iéna,
Eylau. Il gouverne ensuite en Espagne. Quand Napoléon abdique, il négocie
l’armistice, devient ministre de la guerre pendant la première restauration, se
rallie à nouveau à Napoléon pendant les Cent jours. Exilé par Louis XVIII
après Waterloo, il rentre en . Charles X lui rend son titre de pair et Louis
Philippe le fait à trois reprises président du Conseil. Comme Talleyrand ou
Fouché, Soult incarne la souplesse des convictions et un « contorsionnisme »
politique qui lui a permis de durer. Les régimes passaient, Soult restait.
ATLAS DU TARN
ARTS & MANIFESTATIONS
Musée Toulouse-Lautrec, à Albi
U
NE fortification du XIIIe siècle : le Palais de la Berbie, demeure des évêques
d’Albi jusqu’en , était un des plus beaux châteaux épiscopaux du
royaume. À la mort de Toulouse-Lautrec, sa famille fit don de l’atelier du
peintre à Albi, sa ville natale :  œuvres dont  peintures où l’on trouve
Bruand, la Goulue, Yvette Guilbert, Jane Avril et les grandes toiles sur les
maisons closes de la rue Joubert ou de la rue des Moulins. La rénovation veut
donner un meilleur éclairage, un regard thématique – une mise à jour – du
travail de Lautrec.
Musée Goya, à Castres
’ARCHEVÊQUE Tubeuf, en , avait fait appel aux meilleurs : à Mansart
le palais, à Le Nôtre les jardins. L’extérieur présente un classicisme de
style Louis XIV, élégant et harmonieux. À l’intérieur, l’œil de Goya épingle les
vaniteux, les coquettes, les puissants : un univers halluciné peuplé de monstres
et de sorcières. Le musée présente « le plus grand Goya du monde » (La Junte
des Philippines), un Autoportrait à lunettes… La rencontre de Goya et de
Castres est affaire d’héritage : Marcel Briguiboul, fils de négociants castrais
installé à Barcelone, fit donation à sa ville de trois Goya achetés à Madrid en
. D’autres acquisitions ont suivi – Murillo, Zurbaran, Ribera, Bervete –
faisant du musée castrais une anthologie du génie espagnol.
L
L’Écomusée de la Montagne Noire
P
AYSANS, puis ouvriers-paysans, puis ouvriers à plein temps : la révolution
industrielle tarnaise n’a jamais coupé les ponts avec le monde rural qui
l’entoure. Créé en , à Labastide-Rouairoux, l’écomusée traduit cette
double culture. Les racines à la ferme (four à pain, traite des bêtes) et le travail
en usine (filatures, métiers à tisser…). Installé dans l’ancienne usine Armengaud, c’est un lieu charnière : conservatoire et centre de documentation,
mémoire de ces paysans devenus ouvriers.
Musée des métiers anciens
ANS son moulin de Vindrac, François Rouillard présente   outils, 
ans de passion et de patience. Les anciens retrouvent leurs racines : les
carrioles, la salle de classe, les moules à curbelets (pâtisserie de Cordes), les
pièges du braconnier… Et toutes les astuces d’une société rurale où – faute
d’être riche – il fallait être malin. Derrière chaque outil, l’histoire des
hommes, des travaux et des jours.
D
L’Art du luthier
C
OMPAGNON luthier, Christian Urbita a fait son tour d’Europe avant de
s’installer à Cordes. Il fabrique et assemble les  pièces du violon : les
éclisses en érable, la table d’harmonie en épicéa, les chevilles en ébène ou en
palissandre. Le musée retrace toutes les étapes – outils, gestes, essences – de cette
confection. Tous les étés, luthiers et musiciens se rencontrent à Cordes pour un
atelier-concert à la Maison Fontpeyrouse.
Muséum d’Histoire naturelle, à Gaillac
P
HILADELPHE Thomas était médecin, mais vivait de ses fermages et pour ses
collections. Minéraux, fossiles, madrépores, oiseaux, insectes, herbier : dans
sa maison-musée, léguée à la ville de Gaillac en , tout se compte par milliers.
Une immense compilation, où cet admirateur de Buffon, Cuvier et Linné
retrouvait l’origine et l’évolution des espèces, depuis l’entelodon, un sanglier
de  millions d’années qu’il avait lui même exhumé des marnes du Tarn.
L’Archéosite, à Montans
L
pour chauffer, l’argile pour mouler et la rivière pour exporter : la
céramique gallo-romaine avait tous les atouts à sa portée. À l’apogée de
Montans, les  artisans diffusaient la poterie sigillée
dans tout l’occident. L’Archéosite est une vitrine de leur
talent, puis de leur déclin : cruches gauloises gris cendré,
coupes rouges aux frises délicates, vaisselle…
En reconstituant la « rue romaine », les concepteurs
de l’Archéosite ont respecté l’archéologie. Les stages de
poterie, les recherches sur la cuisine et le vin galloromain en font un centre interactif.
E BOIS
par Jean-André LHOPITAULT et Michel COHOU
L’Été de Vaour
, l’esprit reste celui de la fête au village, avec
toute la gamme du rire : le rire jaune, le fou rire, le rire
aux larmes et même le pince sans rire. Conteurs, marionnettistes,
clowns, l’Été de Vaour fait dans tous les genres, du cabaret à
la parade, s’ouvre aux artistes du monde entier. Animée
par des bénévoles, la manifestation transfigure le village du
nord-ouest du Tarn pendant  jours, début août. Le rite
est immuable : tout commence par un « apéroconcert » sur la place de l’église. Puis le rire,
comme le mime, se fait langage universel.
D
EPUIS
Le cinéma
La bibliothèque départementale
La fréquentation des salles tarnaises augmente depuis plusieurs années.
Elle a dépassé   entrées en  (+ , %), confirmant un retournement de tendance dû à la conjonction de plusieurs facteurs favorables. Le
dynamisme de jeunes exploitants d’abord : la programmation s’améliore,
s’efforçant d’attirer de nouvelles clientèles par des « sorties nationales » ou
l’organisation de manifestations. La fidélisation du public est favorisée par la
qualité des équipements (Centre Culturel Apollo de Mazamet) et la rénovation de salles aidée par les municipalités. L’association Cinécran  a pour
mission de promouvoir le cinéma en milieu rural, passant contrat avec 
communes en . Le Conseil général aide ce mouvement par des actions
en faveur du cinéma et de l’audiovisuel ( millions de francs en ). Un
plan Cinétarn est à l’œuvre, visant à donner aux scolaires et, plus largement,
aux jeunes le goût du grand écran. Des films vidéo sont réalisés sur le
patrimoine tarnais (Verrerie Ouvrière d’Albi), sur la vie dans les quartiers
et le Tarn accueille des tournages pour la télévision et le cinéma. Souffle
nouveau ? Renaissance ? Le cinéma participe en tout cas activement à la vie
culturelle et associative des villes et des campagnes tarnaises.
La bibliothèque départementale du Tarn assure la promotion
du livre, des documents sonores
et de tous les médias culturels
dans les communes de moins de
  habitants. Elle organise
des expositions itinérantes, des
ateliers d’écriture, participe à des
Bibliobus
manifestations (Été de Vaour, rencontre avec des auteurs, spectacles). Irriguant le département avec ses cinq
bibliobus et son « musibus », elle anime le réseau des bibliothèques municipales rurales qui regroupe  communes. Cet outil culturel est à la fois
un complément et un partenaire des bibliothèques, et de plus en plus des
médiathèques, municipales ou intercommunales en milieu rural et périurbain, alors qu’en ville, de nouveaux équipements aux fonctions multiples
se sont créés récemment (à Carmaux, Aussillon, Mazamet, Saint-Juéry…)
ou sont en projet (médiathèques d’Albi et de Gaillac).
ATLAS DU TARN
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