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Bibliothèque principale de Verviers
22 avril 2012
Le fantastique au féminin
Une sélection d’auteures fantastiques belges et étrangères
Voici huit ouvrages commentés pour alimenter votre réflexion :
Un documentaire figure en tête, qui présente la question,
suivi par des romans pour en illustrer quelques facettes.
N’hésitez pas à vous informer dans votre bibliothèque locale.
Bonne lecture à vous !
RICHTER, Anne. Le fantastique féminin : un art sauvage. Lausanne : L’Age d’homme,
2011, 205 p.
La reproduction du tableau de Henri Rousseau, Le rêve, choisi pour illustrer la partie inférieure de la
couverture blanche de la nouvelle édition de cet essai donne une indication sur la manière dont son
auteur, Anne Richter, qui s’est rapidement imposée comme la spécialiste de la littérature fantastique
féminine, considère cette production. Elle propose de surcroît un très bel écho au complément du
titre, Un art sauvage, tout en renvoyant sans doute avec beaucoup de bonheur à la jungle luxuriante
et décorative de Monique Watteau notamment, dont l’apport au fantastique belge n’est pas anodin.
Sa présentation procède selon un axe chronologique, en partant fort logiquement de Mary Shelley et
de son Frankenstein (1818), premier roman fantastique de valeur, que l’auteure honore par la mise
en exergue d’une réflexion révélatrice du potentiel original de cette Anglaise. Elle s’offre un détour
par des auteurs masculins, qui n’était peut-être pas absolument indispensable ici dans la mesure où il
paraît fort peu détaillé pour être réellement pertinent. Elle poursuit par un chapitre consacré à George
Sand chez qui cette dimension est peu connue bien qu’elle ait précisé ce qu’il fallait entendre par
« drame fantastique » (p. 64) : nous voilà bien loin de l’image simpliste de la « bonne dame de
Nohant », qui n’a cependant laissé aucune œuvre révolutionnaire en la matière, comme ne manque
pas de le souligner Anne Richter.
Elle poursuit son trajet par des écrivaines, aux noms célèbres ou moins célèbres, dont le lecteur ne
connaît pas toujours la richesse, voire la complexité : Selma Lagerlöf, Édith Wharton, Virginia Woolf,
Karen Blixen, Anna Kavan et n’hésite pas à consacrer une quinzaine de pages à Monique Watteau,
auteure née à Liège en 1929, mais qui a fait la majeure partie de sa carrière à Paris. Elle estime son
apport au fantastique féminin belge incontournable, mais ne néglige pas non plus Marie-Thérèse
Bodart, Jacqueline Harpman, Marguerite Yourcenar et ses propres nouvelles qui témoignent de son
intérêt pour les labyrinthes de l’âme humaine. Il est vrai que la Belgique est un pays de
« fantastiqueurs », dit-elle. C’est même peut-être là l’un des traits particuliers de sa littérature. Fautil y voir une influence de la tradition germanique ? C’est possible…
Elle attire encore notre attention sur ces mythes qui continuent à agir, à travers les époques, dans les
profondeurs de l’inconscient. Elle prend ainsi l’exemple de l’image de la Belle et la bête et synthétise
l’apport de deux versions ultérieures de ce mythe, dues à Jeanne Marie Le Prince de Beaumont, celles
de Monique Watteau et Pierrette Fleutiaux, qui représentent trois étapes de l’évolution féminine à
travers son histoire (p. 144). Cette page est précieuse dans la mesure où elle amène le lecteur à
comprendre comment le fantastique en arrive à susciter « la découverte de vérités essentielles »
enfouie au plus profond de l’être féminin.
La première version de cet essai d’Anne Richter était parue en 1984. Cette nouvelle édition a été très
heureusement revue et augmentée et consacre une part non négligeable à la production d’auteures
plus récentes. Dommage seulement que l’auteure n’y ait pas prévu un index des noms cités. Cette
table aurait valu un intérêt supplémentaire à l’essai d’autant plus qu’Anne Richter évoque un nombre
important d’auteurs. Le lecteur, lui, appréciera d’autant mieux ses commentaires qu’il connaît un tant
soit peu les écrivaines présentées. Les explications sont toutefois à ce point lumineuses que l’essai se
lit comme un roman. Le lecteur, informé ou non, aurait donc bien tort de se priver de la qualité de
cette réflexion.
L’une des phrases de sa conclusion est éclairante à cet égard. « L’imaginaire féminin y [= dans le
rêve, NDLR] exprime une nostalgie persistante, sa connivence avec la nature élémentaire, aujourd’hui
sous-estimée. » (p. 195). N’est-ce pas pour cette raison-là que l’apport féminin à la littérature
fantastique revêt précisément un intérêt de premier plan ? Qu’Anne Richter contribue à nous en faire
prendre conscience est sans doute là son mérite majeur… Les dernières lignes de l’essai, dans
laquelle elle se pose la question de savoir s’il ne faudrait pas accorder plus d’attention aux rêves
féminins pour aider le monde à retrouver un équilibre et refuser, comme le dit C.G. Jung, « l’agitation
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névrotique que nous connaissons aujourd’hui », confirme l’intérêt de cet imaginaire spécifique, largement
démontré dans les pages qui précèdent. Fallait-il vraiment que ce constat vienne… d’une femme ?
DUGUËL, Anne. La petite fille aux araignées : roman. Paris : Denoël, 1997. (Présence du
fantastique ; 58), 167 p.
A la suite du décès de sa mère, Miquette, une petite gamine attirée par les araignées, est confiée à une
institution psychiatrique, en raison de son mutisme subit. Elle y noue une amitié avec Gogol, un jeune
garçon trisomique. L’auteur lui fait raconter les évènements déclencheurs du drame qui a fait basculer
son existence… Lorsque Miquette — le lecteur ne connaîtra jamais son prénom exact — évoque le film de
sa jeune existence, elle adopte un naturel où l’émotion finit par prendre le pas sur la frayeur. Car l’enfant
a vécu un véritable traumatisme, mais ne le présente jamais comme tel, même si le lecteur peut
percevoir la forme de désespérance qui l’anime. La petite fille ne paraît-elle pas engluée dans une toile,
comme celle des araignées qu’elle observe, incapable de faire la différence entre le réel et l’imaginaire ?
Le roman met en scène une intrigue étrange, qui frappe sans doute surtout par le paradoxe entre la façon
dont l’enfant raconte son vécu, d’une manière relative anodine, tranquille, sans avoir l’air de s’en
formaliser outre mesure d’une part, et la façon dont l’adulte ne manquera pas de le percevoir en raison
du sens qu’il peut lui conférer, d’autre part. Le directeur de l’institution psychiatrique, surnommé
Quiquequoi par la fillette en raison de toutes les questions qu’il pose pour essayer de l’amener à sortir du
mutisme dans lequel elle s’est enfermée, le met en évidence.
Il s’agit d’une intrigue pour adultes — lorsque Anne Duguël destine l’une de ses œuvres aux enfants,
puisqu’elle cultive effectivement un lien avec les deux publics, elle la signe du pseudonyme de
« Gudule » — même si elle est racontée par une enfant, ce qui en fait incontestablement sa valeur : la
priorité donnée à la perception de la fillette, un jeu sur les expressions (p. 11, 56), des bribes de lucidité
dans l’observation de l’évolution de la situation (p. 85-86), son manque de réalisme face aux aptitudes de
Gogol (p. 166) lui confère un aspect émouvant, voire pathétique. Racontée par un adulte, cette intrigue
ne serait sans doute que la description d’un cas pathologique de plus. Mais ce n’en est pas moins un
roman où l’étrange occupe une bonne place : la perception de la situation par la fillette est-elle à ce point
inadéquate ? Dans quelle mesure peut-elle avoir involontairement tronqué son rapport des faits ?
L’auteur ne donne pas de réponse. Et sans doute est-ce cela qui interpelle d’autant plus le lecteur qu’il est
ainsi invité à réfléchir à ce qui est ni plus ni moins un fait de société…
L’éditeur précise que La petite fille aux araignées est paru en 1995 chez Fleuve Noir, dans la collection
Frayeur. Cette version-ci, remaniée et augmentée, publiée chez Denoël, date de 1997 et a pris place dans
la collection Présence du fantastique. Le renseignement s’il est donné, est probablement moins anodin
qu’il n’y paraît. En effet, la collection Frayeur, dirigée par Jean Rollin, à qui Anne Duguël continue à dédier
ce roman, malgré sa parution chez un autre éditeur, n’a « tenu » que deux ans pour se terminer en 1995,
alors que sa sous-collection Terreur, réservée aux frissons et au suspense semble avoir beaucoup plus de
succès. Toutefois, cet éditeur ne paraît pas s’intéresser particulièrement au fantastique, à l’inverse de
Denoël, mais davantage au thriller policier et à la science-fiction, si l’on se réfère aux collections
renseignées sur leur site. Ce qui explique le changement d’éditeur ? Les remaniements de l’œuvre ne
pourraient-elles inciter à une comparaison entre les deux éditions pour analyser la charge fantastique
supplémentaire, justifiée par ce changement ? Une manière peut-être de faire toucher du doigt les
caractéristiques du fantastique à des élèves ?
GEVERS, Marie. Guldentop : histoire d'un fantôme. Bruxelles : Labor, 1985. (Espace Nord ;
24), 142 p.
Considérée comme un roman — c’est le rangement dont elle se voit en général affectée, en
bibliothèque —, cette œuvre n’en est en réalité pas un. Elle s’apparente beaucoup plus à une forme de
rhapsodie, où toute une série de morceaux, petites histoires, anecdotes, constitués par les souvenirs
d’enfance de Marie Gevers dans la propriété de Missembourg, non loin d’Anvers, sont mis bout à bout
pour construire un ensemble. Les débuts de chapitres sont là pour en témoigner. Mais l’auteur a sans
doute voulu éviter le récit purement autobiographique pour mieux mettre en évidence les éléments qui
ont joué un rôle dans la construction de son imaginaire : « Il y eut un silence dont le Wolfskate profita
pour s’installer dans ma mémoire d’enfant. » (p. 23). Est-ce la raison pour laquelle elle invente un
fantôme, Gultentop, « l’hôte invisible et nocturne de la vieille habitation », qui accentue le côté
mystérieux de cette demeure dans laquelle elle a passé le plus clair de son temps, alors qu’elle était
encore une petite fille ?
Chacun voit une situation avec l’idée qu’il peut s’en faire. La préfacière du volume, Anne-Marie La Fère,
elle, propose de voir en Guldentop le génie malicieux de la maison et le beau paysan flamand. Quoi qu’il
en soit, le texte de Marie Gevers, rédigé dans un français imprégné çà et là de régionalismes flamands,
décrit très joliment la campagne dans laquelle elle a grandi et l’évocation du fantôme ajoute comme un
zeste de mystère à un récit non dénué de charme, où le contact avec la nature occupe une place de choix.
La « lecture » de Pierre Halen, qui suit, est tout à fait instructive pour comprendre l’apport de Marie
Gevers à la littérature, mais aussi à notre manière d’envisager l’existence en général, avec une attention
particulière portée à ses côtés magiques. N’est-ce pas ce qu’elle tente de nous faire comprendre par cette
question : « Que faire de la vie, si tous les Guldentop de l’enfance nous manquent ? » (p. 100). Cette
première période de l’existence ne serait-elle pas en effet bien terne sans émerveillement ?
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MEYER, Stephenie. Fascination : roman. Paris : Hachette jeunesse, 2005, 525 p.
Fascination est le premier volume de la série Twilight qui en comprend trois autres : Tentation, Hésitation
et Révélation. Il s’ouvre sur l’histoire de Isabella Swan, une jeune fille de 16 ans, qui décide de quitter la
Californie et sa mère pour venir vivre auprès de son père, divorcé, à l’ouest de Washington. Dans sa
nouvelle école, elle fait la connaissance d’Edward Cullen, membre d’un groupe de cinq élèves, qui
retiennent son attention en raison de leur apparence singulière, très différente de celle des autres élèves.
La relation s’amorce avec difficulté mais Bella tombe finalement amoureuse d’Edward dont elle découvre
qu’il est un vampire. Elle entame une relation sulfureuse, qui semble d’ailleurs passablement banalisée au
point qu’elle voudrait à tout prix partager cette condition et semble avoir du mal à vouloir rester une
humaine. Par pure curiosité ?
Ce roman pèche par manque d’épaisseur : les personnages retiennent surtout l’attention par ce qu’ils ont
ou ce qu’ils font, plus que par ce qu’ils sont. L’attention portée au cadre spatio-temporel est limitée au
strict besoin d’une intrigue où la quête de l’héroïne est réduite à sa plus simple expression, le vocabulaire
est inégal – on y retrouve des termes littéraires tout comme des expressions familières, mais peut-être estce dû à la qualité discutable de la traduction ? — tout comme si Stephenie Meyer ignorait, à l’inverse d’une
Ann Rice, par ex., les ressorts d’une écriture réussie. Ne remercie-t-elle d’ailleurs pas, en tête du roman, sa
sœur aînée « sans l’enthousiasme de laquelle cette histoire n’aurait jamais été terminée » ? Comme si elle
n’avait pas eu le courage de progresser, seule, tant elle avait conscience de ses moyens restreints ?
Sans doute les adolescents qui, dans le cadre du Prix Et lisez-moi, organisé par la Province de Liège, ont
élu ce roman en 2008, comme « meilleur ouvrage » ont-ils été avant tout sensibles à la seule histoire
linéaire parce qu’elle était celle d’un vampire et que cette intrigue était relativement neuve dans la
production au moment où le roman est sorti… Et sans doute aussi, les bibliothécaires qui l’ont proposé
parmi les six titres à retenir, ont-il été rendus curieux par un effet de mode. Du moins, il ne reste qu’à
l’espérer ! Dommage cependant de se laisser prendre ainsi au piège par une belle enveloppe creuse, au
motif qu’elle bénéfice d’un battage commercial hors norme ! Difficile en tout cas de recommander la
lecture d’un tel ouvrage, alors qu’il y a tant de romans beaucoup plus riches, même dans le catégorie
fantastique…
MOSSE, Kate. Labyrinthe : roman. Paris : J.-C. Lattès, 2006, 592 p.
Au cours de l’été 1209, Alaïs reçoit de son père un manuscrit qui recèle le secret du véritable Graal. Le
document lui parait abscons, mais elle comprend qu’elle doit en assurer la protection, afin de préserver
une tradition millénaire. Alice, elle, accompagne son amie Shelagh, archéologue, pour pratiquer des fouilles
pendant ses vacances dans la région de Carcassonne en 2005. Son séjour arrive à son terme et pourtant,
elle voudrait tellement trouver « quelque chose »… Elle ne sait pas encore qu’elle va faire une découverte
qui risquerait de lui coûter bien cher…
Anglaise née en 1961, Kate Mosse — un nom à ne pas confondre avec celui du mannequin Kate Moss ! —
réside également à Carcassonne, ville du sud-ouest de la France, entourée de fortifications anciennes, dont
elle apprécie le charme. C’est le cadre idéal qu’elle choisit pour ce roman d’aventures ésotériques, paru en
2005, rapidement couronné par un prix, en Grande-Bretagne et un succès international. Elle situe sa
double intrigue au Moyen-Âge et à notre époque. Dans une note qui ouvre son roman, l’auteure prévoit un
rappel historique où elle épingle quelques événements du XIIIe siècle, utiles à la bonne compréhension du
récit, ainsi qu’un rappel linguistique où elle revient sur la distinction à faire entre la langue d’oc (qui a
donné son nom à la région Languedoc) et la langue d’oïl, parlée dans le nord de la France, ancêtre de notre
français moderne. Ces informations sont beaucoup moins gratuites qu’il n’y paraît à première vue,
puisqu’elles permettront de mieux saisir les enjeux des luttes auxquelles l’auteure fait allusion dans son
roman, où elle mêle adroitement les fils de ses deux intrigues parallèles, au point qu’elles finissent par se
confondre sous certains angles. L’auteure y réserve une place de choix à deux jeunes héroïnes, Alaïs, dixsept ans, qui vécut au temps des cathares et Alice – la proximité des prénoms n’est sans doute pas
anodine —, une jeune femme qui participe à des fouilles archéologiques dans le sud de la France au début
du XXIe siècle. Par ailleurs, Kate Mosse qui a travaillé comme directrice dans le milieu de l’édition, a fondé
avec deux autres personnes, Jane Gregory et Susan Sandon, l’Orange Prize, devenu l’un des prix littéraires
les plus prestigieux, qui, depuis 1996, récompense chaque année une œuvre de fiction écrite en anglais
par une femme et publiée l’année précédant celle de la remise du prix. L’auteure était donc
particulièrement bien placée pour savoir ce qui fait qu’un ouvrage est susceptible d’avoir du succès ou non.
Il n’en demeure pas moins que celui-ci est alimenté par une recherche fouillée sur les cathares et leur
époque : l’auteure s’avoue volontiers passionnée par l’histoire de la croisade suscitée par Innocent III
(1207-1208) qui voulait réduire l’hérésie cathare en France plus que combattre les Infidèles au ProcheOrient. Mais elle est également très intéressée par la musique et la poésie occitanes ainsi que par les
armes médiévales. Voilà qui garantit un support documentaire précieux au roman et peut en rendre le
parcours bien agréable, même pour des lecteurs peu attirés a priori par la veine fantastique.
RICE, Anne. Entretien avec un vampire : 1 : roman. Paris : Presses pocket, 1990. (Presses
pocket ; 9031), 443 p.
Convoqué dans une chambre obscure d’un hôtel à la Nouvelle-Orléans, un jeune journaliste, Maloy, est
invité à écouter l’histoire pour le moins étrange de Louis de la Pointe de Lac, veuf de sa jeune épouse,
morte en couches. Cet interlocuteur lui déclare être devenu vampire deux siècles auparavant à la suite de
l’intervention de Lestat, lui aussi vampire. Il n’en a pas pour autant perdu sa profonde humanité qui
continue à le rendre fort attachant. Louis conte ainsi son existence singulière à Maloy… La Nouvelle-Orléans
où l’auteure a longtemps habité et qui est restée chère à son cœur, est remarquablement décrite.
L’architecture, l'atmosphère, les couleurs, les odeurs mêmes sont rendues avec une sensualité qui est pour
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beaucoup dans l’intérêt que présente le roman. Cette fiction — la première d’une série de dix ouvrages,
intitulée Chroniques des vampires — n’est pas l’œuvre d’une auteure acquise a priori à la littérature
fantastique. En effet, cette forme littéraire servit avant tout d’exutoire à Ann Rice, Américaine née en
1941, à la suite du décès par leucémie de sa petite fille Michèle, âgée de six ans. Cette expérience
traumatisante l’a plongée dans un désespoir dont l’écriture l’a progressivement sortie, ce qui explique
peut-être le succès plus important qu’a connu le deuxième volume, Lestat le vampire, publié 9 ans après
le premier, avec un personnage déjà présent dans le roman initial. Ces œuvres appartiennent à l’une des
branches du fantastique, l’épouvante ou l’horreur, où le caractère d’étrangeté qui double l’analyse
psychologique, est exacerbé au point de susciter la peur, l’angoisse ou l’effroi en vue de mettre le lecteur
avant tout mal à l’aise. Un roman qui ne laissera pas indifférents les amateurs du genre…
ROWLING, Joanne Kathleen. Harry Potter à l'école des sorciers : 1 : roman. Paris :
Gallimard jeunesse, 2007. (Folio junior ; 899), 311 p.
Faut-il encore présenter la suite de volumes, parus en français entre 1998 et 2007, qui narrent les
aventures du jeune Harry Potter, recueilli par ses oncle et tante, à la suite du décès de ses parents,
milieu médiocre qu’il quittera avec plaisir pour entrer à l’âge de 11 ans à l’école des sorciers de
Poudlard ? Les péripéties de l’adolescent ont rencontré un tel succès que tout commentaire paraît
superflu ! Daniel Radcliffe en a popularisé l’image à l’écran, avec une frimousse encadrée de boucles
brunes, destinées à égayer un visage que les lunettes rondes rendraient peut-être un peu trop sévère…
Ce volume-ci, le premier de la série, n’est pourtant pas le moins intéressant, car il pose les repères
nécessaires à la compréhension des suivants. Il présente bien sûr le personnage principal, mais
également ses amis, Ron et Hermione, le sympathique géant Hagrid, son ennemi juré, Lord Voldemort,
responsable du décès de ses parents, Aldus Dumbledore, le directeur de l’école, entre autres. Mais il offre
aussi l’avantage d’accoutumer le lecteur au passage entre le monde réel et l’univers magique –
fantastique – radicalement distinct, dans lequel Harry va évoluer et l’entraîner sans même qu’il s’en rende
compte, tant cette communication entre les deux univers semble naturelle. Chaque tome décrit ainsi une
année scolaire de Harry à Poudlard. Les aventures du jeune sorcier recueillent un succès que leur auteure
anglaise, née en 1965, a du mal à expliquer. Et pourtant… le suspense est toujours au rendez-vous, les
retournements de situation continuent à surprendre et… à fidéliser les lecteurs qui se font peur par
procuration, tout en appréciant l’allure de héros que J.K. Rowling confère à son personnage. Christine
Baker, responsable de la version française aux éditions Gallimard, dit avoir été convaincue par « la
géographie parfaitement maîtrisée de l'univers de Rowling et son écriture extrêmement efficace, qui allie
réalisme psychologique, justesse et drôlerie des dialogues, fantaisie et humour ». L’auteure utilise la
magie pour initier avec beaucoup d’adresse, le jeune ado au monde complexe des adultes et à ses
valeurs, avec une clarté non dénuée de chaleur, voire d’empathie, qui contribue à répondre aux questions
fondamentales que celui-ci peut se poser sur la vie et la mort, notamment. N’est-ce pas là la raison
majeure pour laquelle cette auteure retrouve indistinctement différentes tranches d’âge parmi son
public enthousiaste ?
WATTEAU, Monique. La nuit aux yeux de bête : roman. Paris, Éd. Melville - L. Scheer, 2008,
292 p.
Élisabeth, Parisienne âgée de 24 ans, fuit l’Europe, son mari et sa famille, à la suite de son divorce, pour
retrouver un amant, parti en Asie du sud-est, au terme d’une liaison brève mais intense. Barney, 40 ans,
installé dans la jungle à Bornéo, est devenu pour elle une véritable obsession. Lorsqu’elle arrive,
fiévreuse, à son bungalow, après un voyage épuisant, elle se sent d’autant plus mal qu’elle est accueillie
par… son double. Elle apprend que la jeune femme, qui lui ressemble étrangement, est Betty,
surnommée Bébé, la fraîche épouse de Barney Caine, parti en expédition pour quelques jours. Rêve-telle, éveillée ? Est-ce une mauvaise blague ?
Dès le prologue, le lecteur se trouve embarqué en Asie du sud-est, sans presque s’en apercevoir s’il n’est
pas attentif à des indices comme le mot « tarsier » qui renvoie à l’image de ce minuscule primate
fréquent des cette région, ou le nom de « Singapour », petite république à l’extrême pointe de la
Malaisie. La jungle à travers laquelle Élisabeth essaie de suivre son guide tant bien que mal, semble
profondément hostile à sa progression et pourtant les descriptions ont une touche fabuleuse. Les images
auxquelles l’auteure recourt, ajoutent au caractère fantasmagorique de la description de cette « mer
végétale » (p. 22). L’auteure est servie par un pouvoir d’évocation très grand au point de rendre la
nature palpable : le lecteur a l’impression de devenir l’un des protagonistes, témoin de la quête de
l’héroïne, et de se diluer dans l’enfer vert.
Elle ménage adroitement une forme de suspense dès le début du roman et fait ainsi pénétrer son lecteur
très rapidement dans un univers où il se sent dépaysé, même si aujourd’hui, plus de 50 ans après la
parution du roman, les voyages dans cette région du globe se sont banalisés. Si son univers est
imaginaire, il n’en est pas moins vraisemblablement inspiré très largement par les voyages qu’elle a faits
aux côtés de son mari, l’anthropologue, Bernard Heuvelmans, de… quinze ans son aîné, comme la
différence d’âge qu’elle met entre Barney et Élisabeth.
Elle célèbre la nature avec un émerveillement presque juvénile mais en rend les dangers avec une acuité
rare, notamment dans la fuite éperdue d’Élisabeth, où le végétal est devenu l’ennemi dont l’humain doit
se méfier (p. 148 et suiv.) La qualité de son contact avec L’Orang Tua, chef de la tribu des Muruts, la
pousse à rechercher l’irréductible humanité dans cette relation forcément limitée à l’essentiel (p. 180), à
devoir faire confiance, contre toutes les apparences. Mais seuls ceux qui peuvent retrouver cette qualité
dans son aspect primal, pourront avoir accès à cet univers si particulier : Catherine Wiener, trop
« bêtement » curieuse, l’apprendra à ses dépens (p. 270).
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A travers cette expertise singulière, rendue possible par ses incursions au sein d’un monde végétal et
animal qui aurait pu lui rester étranger, l’auteure nous livre une réflexion sur les êtres et leur rapport au
monde jusque dans les moments les plus intimes : le journal de Barney en donne une illustration
lumineuse lorsqu’il évoque cet érotisme délicat de Bébé pour l’opposer à « l’échafaudage boiteux de notre
morale » (p. 79). Les héros de Monique Watteau ne témoignent pas d’une expérience simpliste,
banalement exotique, mais bien d’une prise de conscience existentielle, fondamentalement différente, qui
repositionne l’humain à une plus juste place au sein de la création, à la suite d’une métamorphose
substantielle, qui constitue aussi une espèce d’écho superbe au conte La Belle et la bête (1757) de
Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Une auteure singulière dans la production belge, qu’il serait bien
dommage de passer sous silence.
Anne-Louise BOUTE
Chef de bureau-Bibliothécaire
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