Marie-Dominique Lelièvre retrace avec admiration les nombreuses
Transcription
Marie-Dominique Lelièvre retrace avec admiration les nombreuses
Date : 15 SEPT 16 Page de l'article : p.28-29 Journaliste : Frédérique Roussel Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 88395 Page 1/4 Perdriel, porteur de plumes Marie-Dominique Lelièvre retrace avec admiration les nombreuses vies du «Perdreau», dè son enfance chaotique à ses succès d'industriel et d'homme de presse. Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL Tous droits réservés à l'éditeur STOCK 1503209400507 Date : 15 SEPT 16 Page de l'article : p.28-29 Journaliste : Frédérique Roussel Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 88395 Page 2/4 e parcours exceptionnel de Claude Perdriel aurait procuré matière à plusieurs romans. Il aurait pu être un personnage de Françoise Sagan: une jeunesse à 200 à l'heure, une passion pour les belles décapotables et un aréopage permanent de jolies jeunes femmes. Il aurait pu incarner un Citizen Kane français, magnat de la presse, fondateur de journaux successful. Il aurait pu être aussi le bellâtre irrésistible d'une bluette intitulée L'amour dure plusieurs fois. A près de 90 ans, l'homme concentre plusieurs vies. Avec un talent et une baraka impressionnante. «Claude Perdriel est une licorne, une créature unique», s'enchante Marie-Dominique Lelièvre, qui signe une biographie admirative au titre évocateur, Sans oublier d'être heureux. On aurait pensé qu'il restait peu à gratter sur le parcours de l'ex-propriétaire du Nouvel Obs. La chronique presse des vingt dernières années démontre le contraire. Si «Perdreau» a communiqué avec un tempo régulier sur les nouvelles formules de son hebdo et sur son départ de la place de la Bourse, il parle trop peu au goût des journalistes médias. On le dit secret. On le cite comme un des derniers diplodocus de la presse qui redore le blason d'une profession en crise structurelle et lui redonne de la fierté. On se réjouit de voir cet indépendant en embuscade à chaque cession de titre. Un patron de presse à l'ancienne aux yeux bleu acier, aimant les journaux et les journalistes, resté à l'écart des prédateurs du capitalisme industriel. Avec des défauts : il ne cède pas un pouce de terrain sur son pouvoir à l'Obs et veille avec intransigeance sur les unes. Il finira par le vendre après avoir juré qu'il ne le céderait jamais. En avril 2014, il a cédé la majorité des L Tous droits réservés à l'éditeur parts au fondateur d'Iliad, Xavier Niel, et consorts, un mois avant la dernière rencontre avec sa biographe. Il fallait donc souffler sur la surface pour toucher le fond. L'auteure, sensible et terriblement empathique avec les êtres sur lesquels elle jette son dévolu (Françoise Sagan, Brigitte Bardot...), aime la belle ouvrage, les coins d'ombre, les détails, les marques et les mets dégustés. Quand elle a décidé que le prochain sur sa liste serait Claude Perdriel, elle a compris qu'elle devait enquêter sur celui «que le passé n'intéresse pas». Il l'avait prévenue dès leur premier rendez-vous. Il ne conserve rien, aucune archive personnelle. «C'est l'homme sans traces.» Pourquoi celui qui ne se retourne jamais a-t-il finalement accepté un monument de papier? UN FRÈRE SPÉCIALISTE DE LA CARAMBOUILLE C'est tout le charme de la première partie que de reconstituer des zones grises de la généalogie. Et d'ajouter au portrait connu de l'entrepreneur tout feu tout flamme quèlques données filiales marquantes. Claude Perdriel tend un jour à son interlocutrice une feuille de papier jaunie. Un vrai indice : il prouve que sa grand-mère maternelle, qui a suivi son éducation, avait été admise à la maison d'éducation de la Légion d'honneur de Saint-Denis. Un fil d'Ariane : l'arrière-grand-père était officier de cavalerie décoré de la Légion d'honneur en 1871 après le siège de Sébastopol. Claude Perdriel apprend même que son père, Marcel, a été un héros de la Grande Guerre et pas seulement un loser ruiné en 1929 après la vente de ses parts dans la voilerie Perdriel & Cle. Son fils Jean-Claude, né le 25 octobre 1926 au Havre, garde peu de souvenirs de ce père lointain, pla- que tôt par sa mère, Raymonde, à part l'image d'un bel homme qui danse le black bottom et dont il a hérité la passion du jazz. «Né d'un père méconnu, il le découvre un siècle après ces journées», souligne l'auteure, qui fixe une ultime image bien glamour d'un Claude Perdriel danseur lui-même, mais danseur heureux. Lenfance d'un chef peut expliquer bien des choses. Avec son frère Roland, Jean-Claude va vivre une existence chaotique, ballotté d'un pensionnat glacé à l'autre jusqu'à 12-13 ans. En rébellion contre le milieu bourgeois de Raymonde, remariée à un armateur du Havre, il décide d'enlever Jean à son prénom composé. «L'absence totale de douceur, dans une enfance, ce n'est pas possible», commente l'auteure. L'aîné subit davantage l'abandon affectif et devient un spécialiste de la carambouille. Un trafiquant vient voir un jour le beau-père pour exiger d'être rembourse, Roland est parti avec la recette. Quant il emprunte la caméra suisse Paillard-Bolex, que Claude s'est offerte avec son premier salaire à sa sortie de Polytechnique, comme plus tard la belle IS CV Citroën, c'est pour les revendre sans scrupule... Le cadet, qui éponge ses dettes, rompt définitivement avec lui en 1967. Une des décisions les plus douloureuses de son existence. De cette enfance itinérante et froide, «Claude Perdriel a appris à ne plus s'attacher aux objets, dont il peut à tout instant être dépossédé». Dans sa nouvelle maison XVIIIe, rue de Bourgogne, la biographe remarque le bureau nu, mis à part un volume de Charles Péguy, son maître à penser. Dans ses résidences successives, il n'entraîne avec lui que le baby-foot et des canapés Knoll beige. Ainsi, rue François Ier où il vit un temps avec Catherine Pompanon. «Je n'oublierai jamais cet appartement, raconte l'éditeur Jean- STOCK 1503209400507 Date : 15 SEPT 16 Page de l'article : p.28-29 Journaliste : Frédérique Roussel Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 88395 Page 3/4 Claude Fasquelle. Un énorme canapé moderne dans une pièce vide...» Le romancier Jacques Brenner, qui a écrit sur ses deux amis Roland et Claude (I): «Chez Claude Meyriel [Perdriel, ndlr], le goût pour les arts ne s'accompagnait d'aucun désir de posséder ce qu'il aimait. Plutôt donnait-il l'impression d'aimer les choses en passant. Il ne conservait ni les disques ni les livres qu'il s'était procurés...» Autre particularité : l'homme a une hygiène de vie disciplinée, une alimentation d'ascète, sans oublier la fête... Sans oublier d'être heureux. «Comme Tolstoï qui divisait sa journée en quatre, éducation physique et récolte de bois, déjeuner, travail, réception d'amis, ses journées sont réglées par un emploi du temps au cordeau: tennis, travail, travail, travail, récréation avec les amis. Un art de vivre singulier qu'il va développer tout au long de sa vie.» LE CABINET DE LICORNES DE LA BIOGRAPHE Attentive à faire revivre quèlques moments clés, douée pour le romanesque, Marie-Dominique Lelièvre montre ainsi le jeune polytechnicien pousser un jour la porte de la librairie des éditions de Minuit, boulevard Saint-Michel, où travaille Jacques Brenner. C'est en même temps une porte sur le monde littéraire et artistique qui sera une des tribus de Perdriel. Dans le grand appartement de l'avenue d'Eylau, il organise des réceptions avec Audiberti, Ionesco, Adamov... «Claude recevait très bien : saucisses cocktail et petits pois en boîte, servis froids, bien sûr...», raconte le photographe et cinéaste William Klein. Il rencontre Bernard Frank. «Comment ne pas être attiré par votre exact négatif? Bernard est grand et nonchalant, Claude est malingre et vif», compare l'écrivaine. Grâce à lui, Claude Perdriel fait la connaissance de Florence Malraux et de Françoise Quoirez, dite Sagan. Des étés inoubliables se déroulent à la villa Daudelot à Saint-Tropez. C'est l'univers de prédilection de la biographe, le lien intime, un cabinet de licornes : Bernard Frank (dont elle a fait le portrait dans Libé en 2005), Françoise Sagan (biographie en 2008), Claude Perdriel. La double casquette d'homme de presse et d'entrepreneur, l'ingénieur la porte très tôt. Dans les années SO, il achète une entreprise de charbon en faillite et investit dans la revue de Jacques Brenner, les Cahiers des saisons. Il crée à l'automne 1958 la Société française d'assainissement (SFA) et déniche son Géo Trouvetou, Jean Ballestra, qui dit de lui aujourd'hui : «Lepatron avait un don : il sentait les marchés comme ungrand couturier les tendances.» SFA invente en 1972 le sanibroyeur qui va faire la fortune de la boîte. Et payer les journaux. Après les Cahiers des saisons, il frétille de racheter France Observateur au bord du dépôt de bilan en 1964, en vendant son Cessna 210. Il a un rédacteur en chef tout trouvé, Jean Daniel, ancien grand reporter à l'Express. «Quand Perdriel se réveille avec une idée, il a une telle force, une telle détermination, qu'il est difficile de lui résister. Il m'a cherché, il m'a choisi», dit Jean Daniel. Leur attelage, complémentaire et parfois tendu, a résisté aux décennies. Avec des prises de bec éditoriales pleines de saveur. «Cette semaine "Le sexe dans les affaires"'.Les services très spéciaux des grandes entreprises... Les confidences de Madame Billy... Après "Etes-vous cœur ou cul" au mois de juin ! Cette surenchère de racolage ! Vous avez pété un câble ?Même Paris Match ne fait pas ça!» tonne Jean Daniel, sous l'ère Giesbert. La fidélité est le propre du patron. «Quand Claude aime une femme, il lui trouve une maison. Quand il aime un homme, il lui fait un journal», déduit Marie-Dominique Lelièvre. Des femmes, beaucoup de femmes pour un seul homme, une amitié poussée avec Sagan, une idylle d'un an avec Jeanne Moreau, d'autres et d'autres, et puis trois épouses (Michelle, Sylvie, Bénédicte de plus de quarante ans sa cadette) et six enfants. L'EXTASE DEVENUE CALVAIRE Dans la période où le Nouvel Obs est à son apogée (400000 lecteurs en 1974), Claude Perdriel déguste homard et turbot au Vert-Galant avec François Mitterrand et son ami Georges Dayan, en juin 1973. Le chef du PS lui propose de diriger sa campagne électorale prévue en 1976. Perdriel, mendésiste de cœur, se sent plus proche de Michel Rocard mais il accepte. «Claude Perdriel, qui n'a jamais été inscrit dans aucun parti et ne le sera jamais, est maintenant un acteur du jeu politique.» Pompidou meurt brutalement en 1974. Scène d'anthologie, du QG de la tour Montparnasse, Mitterrand annonce confier la direction financière de la campagne à André Rousselet, la publicité et la communication à Claude Perdriel. Deux hommes pour le même poste... La politique est retorse, qui déstabilise décidément l'entrepreneur indépendant. Mais Claude Perdriel continue de courir, dans une quête d'innovation et de joie mêlée. On le sent le plus heureux des hommes pendant la période du Matin de Paris, lancé le 1er mars 1977. Il y est jouissif, plus qu'à aucun autre moment du livre. L'aventure tourne court après l'arrivée de la gauche au pouvoir. L'extase devient un calvaire. Le bébé lui coûte IOU millions de dettes en 1985. «J'avais perdu. Même si j'y avais mis tout mon cœur, j'avais perdu. J'ai accepté mon échec. Devant l'inéluctable, je suis passé à autre chose.» Ce qu'il fera aussi finalement avec l'Obs bien plus tard. Quand un journal va mal, il investit davantage et embauche, sa règle implacable pour soutenir son hebdo. Jusqu'au désamour. Dont il se relève immanquablement. La licorne tire sur le phénix, idéal pour trousser ce remarquable page turner. Claude Perdriel, c'est un roman qui finit toujours bien. •»• (I) La Tour Saint-André, de Jacques Brenner, éd. Julliard (I960). MARIE-DOMINIQUE LELIÈVRE SANS OUBLIER D'ÊTRE HEUREUX Stock, 378pp., 20,50 €. Tous droits réservés à l'éditeur STOCK 1503209400507 Date : 15 SEPT 16 Page de l'article : p.28-29 Journaliste : Frédérique Roussel Pays : France Périodicité : Quotidien OJD : 88395 Page 4/4 MARIE-DOMINIQUE LELIEVRE dans Sans oublier d'être heureux. Tous droits réservés à l'éditeur STOCK 1503209400507