Lev Vygotski est aujourd`hui mondialement reconnu

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Lev Vygotski est aujourd`hui mondialement reconnu
Parution : 20 mai 2014
ISBN : 9782843032530
600 pages
140 x 225 mm
38 €
Lev Vygotski est aujourd’hui mondialement reconnu comme une source
majeure de la psychologie scientifique. Cet ouvrage, inédit en français,
constitue la meilleure introduction d’ensemble à sa conception historico-culturelle du psychisme humain.
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures est
l’exposé des recherches expérimentales et des vues théoriques vygotskiennes. Il montre que les fonctions psychiques originales du genre
humain – langage oral et écrit, pensée conceptuelle, attention et
mémoire volontaires… – se développent non à partir du dedans biologique, mais du monde socioculturel historiquement produit grâce aux
médiateurs décisifs que sont l’outil et le signe.
C’est ainsi que s’engendre cette forme complexe d’individualité qu’est
une personnalité : on naît Homo sapiens, mais on ne devient un humain
qu’en s’hominisant dans le monde historique et social. Une foule de
savoirs sont venus appuyer cette vue novatrice de Vygotski, d’immense
conséquence pour la psychologie, les neurosciences, l’approche du
handicap, la pédagogie.
Cette traduction de Françoise Sève, accompagnée d’une vaste présentation historique et critique, d’annotations théoriques et d’un index des
matières détaillé, fait de cette édition une voie d’accès unique à l’une des
grandes pensées du fait humain.
Illustration de couverture : Maria-Elena Vieira da Silva (1908-1992), La Bibliothèque © RMN-Grand Palais / Gérard Blot.
Maquette d’après François Féret
Histoire du développement
des fonctions psychiques
supérieures
Lev S. Vygotski
Traduction de Françoise Sève
Édition préparée
par Michel Brossard et Lucien Sève
La Dispute
Du même auteur,
à La Dispute
Conscience, inconscient, émotions,
trad. Françoise Sève et Gabriel
Fernandez, précédé de « Vygotski,
la conscience comme liaison »
d’Yves Clot, 2003.
Psychologie de l’art, trad. Françoise
Sève, 2005.
La Signification historique de la
crise en psychologie, trad. Colette
Barras et Jacques Barberis, édition
préparée et présentée par JeanPaul Bronckart et Janette Friedrich,
2010.
Leçons de psychologie, trad. Olga
Anokhina, édition préparée et
présentée par Michel Brossard,
2011.
Pensée et langage, 4e éd., trad. Françoise Sève, 2013.
Tous droits de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays
© 2014, La Dispute/SNÉDIT, Paris
ISBN : 978-2-84303-253-0
http://atheles.org/ladispute
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Présentation
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures (1928-1931 ?) – on écrira en abrégé Histoire du développement… – est le meilleur exposé d’ensemble des recherches et
conceptions du grand psychologue russe Lev Vygotski, mort
à trente-huit ans en 1934, et sera pour nombre de lecteurs,
spécialistes ou non en la matière, une vraie révélation.
Les cinq premiers chapitres du livre, parus pour la
première fois à Moscou en 1960, exposent et justifient
de façon générale la conception historico-culturelle du
psychisme humain, qui constitue son apport majeur, et
aujourd’hui encore novateur, à la science psychologique.
À la différence des fonctions élémentaires que nous avons
en commun avec les vertébrés supérieurs, nos fonctions
psychiques les plus élevées résultent non de capacités
natives mais de l’appropriation d’acquis historico-sociaux
du genre humain cumulativement objectivés au cours des
derniers millénaires en un monde culturel dont les éléments
de base sont l’outil et le signe, appropriation moyennant
laquelle se développent chez les individus des activités et
une personnalité foncièrement irréductibles à leurs conditions naturelles. Cette conception s’est montrée des plus
7
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
productives en pratiques innovantes, de la pédagogie à la
défectologie en passant par la neurologie. Les dix chapitres
suivants, retrouvés et publiés en 1983, donnent richement
idée de ce que cette conception permet de comprendre
à l’acquisition du langage oral et écrit comme de l’arithmétique, à la genèse de l’attention, la mémoire, la pensée
verbale, la volonté, et pour finir aux premiers développements de la personnalité. Sont donnés en annexe deux
textes qui éclairent très suggestivement la gestation des
idées directrices de l’ouvrage.
L’histoire de la rédaction d’Histoire du développement…
puis de sa réception tardive en URSS et à l’échelle internationale étant fort complexe, les sources et le sens de la
conception historico-culturelle restant quant à eux insuffisamment étudiés encore, il s’imposait de faire précéder
le texte de Vygotski d’une substantielle présentation historico-critique, laquelle a nécessité de longues recherches.1
Cette présentation va s’attacher successivement à élucider
les circonstances dans lesquelles a été conçu et écrit le livre,
analyser son contenu et ses sources, parmi lesquelles l’apport de Marx jusqu’ici sous-estimé, comprendre les raisons
qui ont conduit Vygotski à ne pas le publier, et retracer les
péripéties à travers lesquelles cette œuvre majeure nous est
enfin parvenue. Suit un Avertissement relatif à la traduction du livre, travail délicat dû pour l’essentiel à Françoise
Sève, et aux conditions dans lesquelles il a été achevé après
son décès.
***
1. Préparée et rédigée par Lucien Sève, philosophe, auteur d’ouvrages sur
l’anthropologie marxienne et la psychologie, cette présentation est le fruit
d’un travail collectif ayant suscité de nombreux échanges auxquels ont pris
part Michel Brossard, psychologue et philosophe, spécialiste de l’œuvre de
Vygotski, professeur émérite de l’université Victor-Segalen Bordeaux-II ;
Yves Clot, psychologue, professeur titulaire de la chaire de psychologie du
travail au Conservatoire national des arts et métiers (Paris), organisateur
des colloques internationaux sur Vygotski qui se sont tenus à Paris en 1998
puis 2010 ; Irina Leopoldoff-Martin, assistante en didactique des langues
à l’université de Genève, spécialiste de l’œuvre de Vygotski. Ce travail a
également bénéficié d’échanges avec deux grands connaisseurs de l’œuvre
vygotskienne, Anton Yasnitsky, psychologue, en 2011 chercheur associé à
l’université de Toronto, et Ekaterina Zaverchneva, psychologue, philosophe
et écrivain, graduée de l’université de Moscou, dont l’expérience de travail
sur les archives vygotskiennes nous a été très précieuse.
8
Présentation
Le livre qui suit est la traduction du tome III des Sobranie
sočinenij (Œuvres2) de Lev Sémionovitch Vygotski, publié
en 1983 à Moscou par l’éditeur Pedagogika.3 Une brève
note indique en fin de volume : « Monographie écrite en
1931 », et ajoute que les cinq premiers chapitres furent pour
la première fois publiés en 1960, un commentaire y précisant à tort que les chapitres suivants, projetés par l’auteur
(chapitres VI à XV), « n’avaient pas été écrits ». Sur quoi l’édition de 1983, tout en les rajoutant, ne fournit aucune explication. D’emblée, cet ouvrage majeur de Vygotski apparaît ainsi
en même temps comme le lieu d’une vraie énigme.
1. Une œuvre énigmatique
Qu’il s’agisse d’un ouvrage majeur de Vygotski, disons
même plus hardiment : de la littérature psychologique en
général, le lecteur s’en convaincra de lui-même, pensonsnous : il y découvrira l’exposé le plus approfondi et le plus
vivant de cette conception historico-culturelle du psychisme
humain, tout ensemble vue théorique et démarche pratique,
qui fit à juste titre la gloire posthume, aujourd’hui croissante,
de ce psychologue russe des temps soviétiques, mort en 1934
de tuberculose en sa trente-huitième année. Mais que ce livre
soit en même temps un écrit bien énigmatique, il importe de
le mesurer au départ.
À le lire avec attention, nombre d’interrogations surgissent,
qui vont s’aiguisant en sa deuxième moitié. En l’absence à
peu près totale d’appareil critique, cette édition russe de 1983
laisse sans réponse les questions les plus élémentaires. Pourquoi en 1960, Vygotski commençant à sortir des oubliettes
où il avait été jeté pour un quart de siècle à l’époque du stalinisme triomphant, n’a-t-on publié que les seuls cinq premiers
chapitres ? Comment comprendre que les préfaciers de cette
publication Alexis Léontiev, Alexandre Luria, Boris Téplov,
2. Cette formule signifie littéralement « recueil d’œuvres », ce qui ne
précise pas s’il s’agit d’une édition complète. En l’occurrence, les six tomes,
parus entre 1982 et 1984, que compte le Sobranie sočinenij de Vygotski
sont loin de recueillir tous ses écrits.
3. À la suite d’Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures (p. 6-328), ce tome comporte aussi, assez arbitrairement, un bref
article écrit par Vygotski en 1928 Sur la question de l’enfant plurilingue,
p. 329-337.
9
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
très proches collaborateurs et amis de Vygotski, et qu’avec
eux le redaktor même du volume – son secrétaire d’édition –
A. Matiouchkine aient pu affirmer alors que les dix chapitres
suivants « n’avaient pas été écrits » ?4 Où, quand, comment
ont-ils été retrouvés de façon à pouvoir être publiés à la suite
des cinq premiers dans les Œuvres en six volumes ? Comment
admettre que pas un mot ne nous soit dit de ce mystère dans
cette édition de 1983 dont le maître d’œuvre, pour comble,
est ce même A. Matiouchkine qui avait donné vingt-trois ans
plus tôt ces dix chapitres pour inexistants ? Quelle confiance
avoir en semblables éditeurs ? Une fois installé, le doute n’a
plus de frontières. L’édition de 1983 nous dit on ne peut plus
laconiquement qu’Histoire du développement… a été « écrit
en 1931 » ; l’édition de 1960 disait : 1930-1931 – une différence d’un an est ici de vraie importance, car en cette période
d’intense activité la pensée de Vygotski bouge de semestre en
semestre. Mais allons plus loin : comment sait-on que ce livre
non publié de son vivant fut écrit en 1931, ou en 1930-1931 ?
Par une indication sur le manuscrit, une information épistolaire, un recoupement chronologique ? Aucune précision
ne nous sera donnée. On est donc enclin à demeurer méfiant.
Comme on va voir, il y a tout lieu en effet de l’être.
Mais avant d’y venir, un mot encore sur la très médiocre
qualité de cette édition des Œuvres vygotskiennes. Chemin
faisant à travers l’ouvrage, le lecteur trouvera plus d’une note
infrapaginale signalant une erreur patente ou probable de
texte qu’on ne saurait imputer à Vygotski. Ainsi à diverses
reprises le texte russe donne-t-il un mot aberrant en lieu
et place manifeste d’un autre de graphie voisine. Comment
expliquer pareilles fautes ? La consultation du manuscrit
étant impossible, on verra plus loin pourquoi, on est réduit à
la conjecture – situation déplorable et néanmoins récurrente
pour qui travaille sur Histoire du développement… Une lourde
faute de ce type dans le chapitre VI (stoknut’ pour sutknut’,
comme il est indiqué en note) peut suggérer que le texte
proviendrait d’une conférence ou d’un cours de Vygotski
pris en sténographie, laquelle aurait été décryptée par un
tiers manquant de formation ou de vigilance – en cette hypothèse, la faute serait du même coup une indication quant à
4. Cf. Lev S. Vygotskij, Razvitie vysših psihičeskih funkcij, Izdatel’stvo
Akademij Pedagogičeskih Nauk (Éditions de l’Académie des sciences
pédagogiques), Moscou, 1960, p. 482.
10
Présentation
la source du chapitre en question. En deux autres endroits
on lit nejtral’nij (neutre) là où d’évidence il faut entendre
natural’nij (naturel). Figurant dans les chapitres III et IV,
qu’on ne peut prendre pour des conférences transcrites par
un tiers, cette confusion ne saurait quant à elle en tout cas
s’expliquer ainsi. La clef de l’énigme est peut-être donnée par
Ekaterina Zaverchneva, qui a pu travailler sur les manuscrits :
Vygotski avait l’habitude d’écrire en usant d’une sorte de
sténographie personnelle où souvent un mot était plus ou
moins réduit à ses premières lettres ou à ses consonnes5 ; de
la sorte, natural’nij pouvait par hypothèse se trouver noté
ntrl’nij. On conçoit alors comment un redaktor négligent ou
peu avisé pouvait en venir à lire « neutre » là où Vygotski
voulait manifestement dire « naturel »… Le même manque
général de sérieux professionnel se traduit par quantité de
fautes dans la façon dont les notes de fin de volume citent les
noms d’auteurs non russes. Il se traduit aussi, de façon moins
voyante mais encore plus dommageable, par le nombre de
passages où devrait absolument être donnée en note une
précision, une référence, une clarification, ce qui n’est pas
fait. Disons pour n’y plus revenir combien cette édition d’Histoire du développement…, seule disponible en russe à ce jour,
est au-dessous de ce qu’on est en droit d’attendre. Vygotski
est une gloire nationale de la Russie ; le traitement éditorial
dont il y a été l’objet n’en est pas digne.
La part faite de ce qui incombe à l’édition, reste que
l’ouvrage porte en lui-même plus d’une énigme. L’une des
premières choses qui y frappe est l’extrême disparité des
chapitres. Disparité de longueur : les cinq premiers – sur
quinze – font la moitié du livre ; le chapitre II compte plus
de cent cinquante mille signes, le VIII, quinze mille ; disparité de démarche : nombre de chapitres mènent longuement
un débat de fond – tels les cinq premiers – ou font le tour
d’une investigation concrète – comme ceux sur l’attention, la
mémoire ou la volonté ; quelques autres sont nettement plus
limités, par exemple sur le langage oral, et celui qui traite de
l’arithmétique est même franchement parcellaire ; disparité
du ton lui-même : autant les chapitres de la première moitié
5. Cf. Ekaterina Zaverchneva, « The Vygotsky family archive (1912-1934).
New findings », Journal of Russian and East European Psychology, vol. 48,
no 1, 2010, p. 17. Le y final de la transcription anglaise du nom de Vygotski
n’a nulle raison d’être en français.
11
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
du livre et les plus étoffés de la seconde sont fortement
composés et d’écriture soutenue, autant quelques-uns de la
seconde moitié – le VI, le VIII, le XIV… – paraissent moins
construits et par leur style peuvent faire penser à des conférences ou des cours pris en sténographie ; partout Vygotski
dit « nous » lors même qu’il ne renvoie pas à des travaux
expressément menés avec des collaborateurs, mais dans
le chapitre XI il dit de bout en bout « je », comme on fait
dans une conférence. En bref, le lecteur acquiert progressivement l’impression que ce qu’il lit, bien que de premier
intérêt, n’est pas un livre entièrement achevé, qu’en tout cas
ses chapitres semblent n’avoir pas été écrits d’affilée dans
un même registre ni peut-être au même moment.
Et voilà qui fait rebondir la question si importante de
la datation exacte d’Histoire du développement… « Écrit en
1931 », décrète sans preuve la notule russe de fin du volume.
Une découverte fortuite faite lors de la préparation de la
présente édition est venue volatiliser cette assurance : les
pages finales du chapitre XIII – presque la moitié de ce
chapitre – sont reprises à peu près mot pour mot d’un article
que Vygotski a écrit et publié en 1928.6 Commençait ainsi
d’émerger un fait crucial qui n’a jamais encore été signalé
dans aucune édition de l’ouvrage en quelque langue que ce
soit : Histoire du développement… n’est pas un livre écrit d’un
seul tenant, sa genèse est une histoire complexe, et probablement inélucidable pour une part. Ce constat à peine fait,
la découverte d’une longue étude non encore publiée alors
du psychologue canadien Anton Yasnitsky7 est venue lui
6. Cette découverte a été faite en septembre 2011 par Lucien Sève alors
qu’il travaillait à réviser la traduction d’Histoire du développement… Lisant
en même temps Understanding Vygotsky. A Quest for Synthesis, de René
Van der Veer et Jaan Valsiner, Blackwell, Oxford et Cambridge, 1991, il eut
la vive surprise d’y lire p. 71 une citation de Vygotski qu’il reconnut pour
appartenir au chapitre XIII d’Histoire du développement… dont il avait
effectué la saisie informatique peu avant ; or elle était donnée par Under­
standing Vygotsky comme figurant dans un article de 1928 (« Defektologija
i učenie o razvitij i vospitanij nenormal’nogo rebënka » [« Défectologie
et étude sur le développement et l’éducation de l’enfant anormal »], Lev
S. Vygotskij, Sobranie sočinenij, tome V, p. 166-173). Vérification faite, il
apparut non seulement que ce texte de 1928 se retrouvait mot pour mot
dans un chapitre d’Histoire du développement… censé avoir été écrit en
1931, mais que cela valait aussi de cinq pages entières de cet article écrit
et publié trois ans plus tôt.
7. Cette vaste analyse critique en russe, amicalement communiquée avant
publication par son auteur à Irina Leopoldoff-Martin, et intitulée « Kogda
12
Présentation
apporter des enrichissements majeurs. Dans cet article très
sévère à l’égard de l’édition russe et qui interroge sur plus
d’un point, on apprend, entre bien d’autres, deux choses d’apport essentiel à notre enquête. D’abord, le chapitre VII d’Histoire du développement… est la reprise à peu près textuelle
d’un chapitre identiquement intitulé « Predistorija pis’mennoj reči » (« Préhistoire du langage écrit ») appartenant à un
ouvrage non publié de Vygotski, Istorija kul’turnogo razvitija
normal’nogo i nenormal’nogo rebënka (« Histoire du développement culturel de l’enfant normal et anormal ») qui a
été écrit en 1928-1929.8 Ensuite, dans le même ouvrage de
1928-1929 figure un chapitre XVI intitulé (traduction française) « Développement de la personnalité et de la vision du
monde chez l’enfant », énoncé qui figure pareillement dans
le titre du chapitre XV et dernier d’Histoire du développement…, et, commente Anton Yasnitsky, la comparaison des
deux textes fait apparaître qu’« à peu de différences près ils
sont identiques ».
Ainsi s’écroule définitivement la thèse jusqu’ici admise
selon laquelle Histoire du développement… en son entier
daterait de 1931, voire de 1930-1931 : si les cinq premiers
chapitres ont sans doute bien été écrits alors – on y reviendra
–, trois chapitres de la deuxième moitié du livre en tout cas
reprennent indiscutablement des textes de plusieurs années
antérieurs. Ne s’agit-il même que de ces chapitres-là ? Sur la
lancée des trois trouvailles précédemment indiquées, on s’est
interrogé de façon systématique quant à la provenance des
sept autres chapitres sur les dix qui constituent la deuxième
moitié du livre. Exemple : le chapitre IX sur le développement de l’attention n’aurait-il pas à voir avec l’étude intitulée « Razvitie vysših form vnimanija v detskom vozraste »
(« Le développement des formes supérieures de l’attention
chez l’enfant »), parue en 1929 dans un recueil de travaux
de l’Académie d’éducation communiste N. K. Kroupskaïa et
b vy znali, iz kakogo sora… » (« Si vous saviez de quelles balayures… »),
qui porte en sous-titre (traduction française) « À propos des fondements
de la théorie du développement culturel de Vygotski-Luria », est devenue
depuis lors, janvier 2011, librement accessible sur PsyAnima, publication
en ligne, Dubna Psychological Journal, vol. 4, no 3.
8. Ce texte a été publié dans Lev S. Vygotskij, Umstvennoe razvitie detej v
processe obučenija (« Le développement mental des enfants dans le processus éducatif »), Gosudarstvennoe učebno-pedagogičeskoe izdatel’stvo,
Moscou et Leningrad, 1935, p. 73-95.
13
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
republiée en 1956 dans le volume d’études psychologiques
choisies où fut réédité Pensée et langage ? Vérification faite,
le chapitre IX d’Histoire du développement… est bel et bien lui
aussi une reprise quasi littérale de cette étude de 1929. Seule
l’impossibilité dans laquelle nous nous sommes trouvés d’accéder à l’original russe de certains autres textes nous a empêchés jusqu’ici d’étendre davantage la découverte. Mais, pour
donner quelques exemples encore, on est enclin à supposer
que le chapitre XIV d’Histoire du développement… sur « le
problème de l’âge culturel » doit sans doute beaucoup à une
conférence identiquement intitulée « Problema kul’turnogo
vozrasta » prononcée par Vygotski en février 1929 et conservée sous forme de sténogramme ; que des conjectures du
même ordre sont vraisemblablement fondées à propos des
chapitres X sur la mémoire, XI sur le langage et la pensée et
XII sur la volonté.
Résumons. Sur les dix chapitres consacrés à des acquisitions et fonctions psychiques particulières puis à des vues
d’ensemble conclusives, qui forment la deuxième moitié du
livre, quatre – le fait est maintenant établi – sont en entier
ou en grande partie des reprises le plus souvent littérales de
textes, inédits ou non, écrits ou prononcés en 1928-1929 ; la
chose est aussi fort vraisemblable pour quatre autres ; en fin
de compte, pour deux seulement – le VI sur le langage oral et
le VIII sur l’arithmétique –, on ne voit pas d’emblée, en l’état
de la bibliographie des écrits vygotskiens9, de textes antérieurs dont ils pourraient être plus ou moins largement repris ;
il se trouve que ce sont aussi deux chapitres des plus brefs
de tout l’ouvrage au point de donner une nette impression
d’incomplétude. La conclusion est obligée : non, qu’Histoire
du développement… en son entier ait été « écrit en 1931 » – ou
9. À cet égard, on dispose notamment de quatre documents : 1. la bibliographie dressée en 1932 sous la direction de Carl Murchison et avec la
participation d’Alexandre Luria pour la deuxième édition du Psychological
Register de la Clark University aux États-Unis ; 2. la liste des « Travaux du
professeur L. S. Vygotski » donnée à la fin de l’édition de 1934 de Pensée
et langage, p. 321-323, qui compte quatre-vingt-dix titres ; 3. la bibliographie donnée à la fin de René Van der Veer et Jaan Valsiner, Understanding Vygotsky, op. cit., p. 424-438, qui indique les diverses publications de
chaque titre ; 4. la bibliographie publiée à la fin du livre de Guita L. Vygod­
skaïa et Tamara M. Lifanova, Lev Semënovič Vygotskij. Žizn’, dejatel’noct’,
štrihi, k portretu (« Lev S. Vygotski. Vie, activité, traits, pour un portrait »),
Academia, Moscou, 1996, p. 390-410, qui compte 274 titres, hors notes
personnelles et correspondance.
14
Présentation
en 1930-1931 – n’est pas soutenable ; la confection de ce livre
est en tout état de cause un processus bien plus complexe, et
plus étendu dans le temps, qu’on ne l’a dit jusqu’ici ; et étant
donné que la période en cause – 1928-1931 – est décisive
dans la rapide maturation de la pensée vygotskienne, entre
le diagnostic fondamental posé en 1926-1927 dans La Signification historique de la crise en psychologie et le cours que
Vygotski va imprimer à son travail dans les trois dernières
années de sa vie, de 1932 à 1934, il devient essentiel de reconstituer avec beaucoup plus d’exigence que cela n’a été fait
jusqu’ici la genèse réelle de ce livre-charnière.
Mais pareil travail impliquerait bien entendu la possibilité d’accéder aux sources, et en premier au manuscrit
d’Histoire du développement… Par-delà les versions dactylographiées dont l’existence est mentionnée par Ekaterina
Zaverchneva10, comment se présente le document original
à partir duquel on suppose qu’a été réalisée l’édition de
1983, est-il tout entier de la main de Vygotski, ou compte-­
t-il des chapitres transcrits par des tiers ? Etc. Or voilà justement autant de questions auxquelles nous n’aurons pas
réponse : le manuscrit d’Histoire du développement… a en
effet disparu des archives à un moment et dans des conditions qu’on ne peut même pas préciser11. De façon générale
d’ailleurs, toute recherche est devenue problématique : au
milieu des années 2000 fut conclu entre les ayants droit de
l’héritage littéraire Vygotski12 et la firme canadienne Sharpe
un contrat de droit privé aux termes duquel était annoncée la future publication d’Œuvres complètes en quinze
volumes – le premier devait paraître en 2008… –, à la suite
de quoi fut créée une société vygotskienne à but lucratif…
« Cela signifie, commente Anton Yasnitsky au début de son
étude citée plus haut, que les archives de Vygotski, en total
contraste avec celles de très nombreux scientifiques occidentaux, telles par exemple des figures de la Gestaltpsychologie comme Kurt Lewin, Kurt Koffka, Max Wertheimer,
Wolfgang Köhler, etc., restent la propriété de personnes
10. Cf. son article déjà cité « The Vygotsky family archive (1912-1934)…»,
p. 17, où elle parle de « the typewritten text “The history of the development of higher psychic functions” in several copies ».
11. Communication personnelle d’Ekaterina Zaverchneva, mars 2012.
12. Guita L. Vygodskaïa étant décédée en 2010, la propriétaire de cet héritage est désormais la petite-fille de Vygotski, Elena E. Kravtsova.
15
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
privées et sont aujourd’hui complètement inaccessibles
aux chercheurs extérieurs. »13
On conçoit dans ces conditions que la reconstitution
précise de la genèse de cet ouvrage, pour nécessaire qu’elle
soit, relève pour une part au moins de la tâche impossible.
Nombre d’informations factuelles indispensables ont irrémédiablement disparu avec le manuscrit ; reste tout ce que
peut nous apprendre la très attentive lecture critique du
texte. Comment par exemple comprendre qu’en 1960 les
dix derniers chapitres d’Histoire du développement… aient pu
être tenus par les plus proches amis de Vygotski pour inexistants ? S’ils existaient bien, mais à part des cinq premiers, qui
les a tous rassemblés pour constituer le volume publié en
1983 ? Peut-on être certain que ce rassemblement n’ait fait
que reconstituer un ouvrage unique conçu et réalisé comme
tel par Vygotski lui-même ? En somme, est-il bien sûr que
le livre qu’on va lire soit non pas l’artefact d’éditeurs irresponsables mais la concrétisation d’un authentique projet
vygotskien ? Cela au moins, par la lecture de certains articles
de 1928 et par une attentive critique interne d’Histoire du
développement…, nous sommes en mesure de le dire.
Car si la rédaction des cinq premiers chapitres date pour
l’essentiel de 1930, ce qui n’est pas discuté, il est patent que le
projet déjà fort élaboré en est formulé dès 1928. Deux articles
en témoignent au premier chef. Celui d’abord qui parut cette
année-là dans le numéro 1 de la revue Pedologija sous le titre
« Problema kul’turnogo razvitija rebënka » (« Le problème
du développement culturel de l’enfant »).14 À le lire, on a
l’extrême surprise de découvrir que non seulement il énonce
ou annonce un grand nombre de thèmes qui seront développés dans la première moitié d’Histoire du développement…,
et plus d’une fois en les termes mêmes, mais bien davantage encore : les cinq sous-titres de l’article – 1. Problème ; 2.
Analyse ; 3. Structure ; 4. Genèse ; 5. Méthode – sont les titres
mêmes des cinq premiers chapitres d’Histoire du développe13. Jugeant inacceptable cet état de choses, plus de trois quarts de siècle
après la mort de Vygotski, nous nous sommes refusé à poser quelque
question que ce soit à Mme Kravtsova, dont d’ailleurs nous n’aurions eu
nul moyen de valider les éventuelles réponses.
14. Cet article est accessible en français dans Frédéric Yvon et Yuri
Zinchenko (sous la direction de), Vygotsky, une théorie du développement
et de l’éducation, recueil de textes et commentaires, Université d’État de
Moscou (MGU), 2012, p. 72-99.
16
Présentation
ment… (la seule différence est que dans le livre le chapitre
sur la méthode passe en deuxième position, juste après le
chapitre liminaire sur le problème). Et bien que le développement donné dans l’article de 1928 à ces cinq thèmes soit
naturellement assez succinct – « Ici, nous voulions seulement présenter d’une manière des plus concises, dit Vygotski
en terminant, le problème du développement culturel de
l’enfant » –, y sont déjà présents la plupart des éléments qui
vont conférer à Histoire du développement… sa puissante
originalité de pensée : à la rubrique du problème, l’indication
cruciale des deux lignes, naturelle et culturelle, du développement psychique humain ; à celle de l’analyse, le schéma
triangulaire de l’activité médiatisée et son commentaire ; à
celle de la structure, l’idée d’unité fonctionnelle complexe
des fonctions psychiques supérieures ; à celle de la genèse,
la thèse révolutionnaire d’un quatrième stade de comportement chez l’homme social ; à celle de la méthode enfin, l’analyse ébauchée de la méthode instrumentale et de la double
stimulation. La préfiguration d’Histoire du développement…
dans cet article va sous plus d’un rapport jusqu’au détail :
on y trouve déjà les mêmes références à Höffding ou Binet,
Stern ou Piaget, Meumann ou Blonski, la même citation de
Bacon et jusqu’à, en exergue de l’article, la même phrase
d’Engels qui va occuper la même place à la première page
du livre… De sorte que la question de la datation d’Histoire
du développement… pourrait devenir : pourquoi en somme
l’ouvrage n’a-t-il pas été composé plus tôt ?
D’autant qu’un court passage d’un autre article de 1928 –
celui même dont le chapitre XIII d’Histoire du développement…
reprend à peu près littéralement cinq pages15 – annonce
presque exactement, lui, autre surprise, la liste raisonnée
des chapitres VI à XII. « Le développement des fonctions
psychiques supérieures chez l’enfant, y lit-on, n’est possible
que par les voies du développement culturel, que ce développement culturel se fasse selon la ligne de la maîtrise des
moyens externes de la culture, comme le langage, l’écriture, l’arithmétique (objets, dans l’ordre, des chapitres VI,
VII et VIII), ou selon celle du perfectionnement interne des
fonctions psychiques elles-mêmes, c’est-à-dire l’élaboration
15. Il s’agit, rappelons-le, de l’article intitulé (traduction française) « Défectologie et étude sur le développement et l’éducation de l’enfant anormal »,
dont le texte russe figure au tome V des Œuvres en russe, p. 166-173.
17
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
de l’attention, de la mémoire, de la pensée abstraite, de la
formation des concepts, de la libre volonté, etc. » Et ici nous
avons, toujours dans l’ordre, les objets des chapitres IX, X, XI
et XII, à ceci près – chose fort digne de remarque – qu’était
ainsi programmé un chapitre sur la formation des concepts
qui ne figure pas entre le XI et le XII dans Histoire du développement…, la question n’étant que très partiellement abordée
à la fin du chapitre XI.
Ce dernier texte a pour nous d’autant plus d’importance
qu’il fournit la clef de la composition d’ensemble d’Histoire du développement… Cinq chapitres ayant examiné de
manière approfondie le problème du développement culturel des fonctions psychiques supérieures, la méthode requise
pour en saisir la spécificité, puis en ayant sur un plan général
engagé l’analyse, mis au jour la structure et reconstitué la
genèse, il y a lieu alors d’examiner monographiquement les
diverses dimensions de ce psychisme supérieur : appropriation de ses moyens sociaux de base – langage oral, langage
écrit, arithmétique – et développement de ses composantes
fonctionnelles majeures – attention volontaire, mémoire
logique, pensée verbale (formation des concepts), maîtrise
du comportement –, trois chapitres finaux s’attachant à
définir une démarche pédagogique adéquate au développement culturel, à en ébaucher une méthode de mensuration
correcte, à esquisser enfin l’histoire d’une personnalité en
formation. On est ainsi fondé à penser que le plan de l’ouvrage était déjà pour l’essentiel arrêté en 1928 dans l’esprit
de Vygotski.
Et que ce soit bien lui – dans des conditions et selon une
chronologie certes encore peu claires – qui l’a effectivement
composé en ajoutant les dix derniers chapitres aux cinq
premiers, on en peut trouver maintes preuves irrécusables,
pensons-nous, tout au long du texte. Une lecture attentive fait
repérer dans les cinq premiers pas moins de douze annonces
précises des dix suivants. Ainsi dès les premières pages du
chapitre premier indique-t-il que « dans des chapitres à
part » sera présentée « l’étude des principales fonctions
psychiques », indication répétée au début du chapitre II.
Chemin faisant, on trouve à maintes reprises mention préalable de tel ou tel chapitre particulier à venir – le VI, le IX, le
XII – et même, au milieu du chapitre premier, en est donnée
par provision une liste très voisine de celle qui figure dans
18
Présentation
l’article cité de 1928 : « […] premièrement, les processus d’acquisition des moyens externes du développement culturel et
de la pensée : langage, écriture, calcul », et « deuxièmement,
les processus de développement de fonctions psychiques
spéciales […], attention volontaire, mémoire logique, formation de concepts, etc. » – ici encore est confirmée l’intention
d’écrire un chapitre sur la formation des concepts qui, seule,
ne sera pas mise à exécution. En écho, nous trouvons dans
les chapitres ainsi annoncés d’avance deux douzaines de références aux cinq premiers chapitres ou à tel ou tel des dix
suivants. Ainsi rencontrons-nous vers la fin du chapitre VI
une allusion manifeste à l’analyse du chapitre V sur l’unification comportementale « du type de la couture », au milieu
du IX une autre allusion sans équivoque au schéma hégélien de développement en trois temps également exposé au
chapitre V, etc. Et sont également fréquentes les références
internes entre les chapitres VI à XV. Nous trouvons même
expressément affirmée dans les débuts de ce dernier chapitre
l’existence d’une connexion générale entre tous les moments
de l’ouvrage : si nous le regardions en son ensemble, comme
« à vol d’oiseau », écrit Vygotski, « nous apparaîtraient les fils
si complexes et embrouillés qui relient entre eux les chapitres
dans leur entrelacs » – qui rattachent par exemple langage
écrit, dessin, mémoire mnémotechnique et attention ; et,
conclut-il, « nous n’aurions jamais entrepris d’exposer l’histoire de la personnalité et de la vision du monde chez l’enfant
si ces fils maintes fois entrelacés n’avaient pas été signalés
déjà à travers tout notre exposé précédent ». L’unité voulue de
l’ouvrage est bien incontestable : Histoire du développement…
n’est pas un arbitraire montage posthume.
Mais que ce que nous savons de façon certaine à son sujet
continue de se présenter sur une toile de fond énigmatique,
cela non plus n’est pas niable. Est-il même assuré que le titre
de l’ouvrage soit bien de Vygotski ? Qu’il réponde très crédiblement à son propos, certes : on connaît plusieurs textes de
lui, écrits, voire publiés entre 1928 et 1930, qui arborent dans
leur titre les syntagmes typiques istorija razvitie (« histoire
du développement ») et vysšij psihičeskij funkcij (« fonctions
psychiques supérieures »). Plus : l’histoire du développement
des fonctions psychiques supérieures sont les mots mêmes
par lesquels commence le premier chapitre, et l’expression
se retrouve à plusieurs reprises dans les paragraphes puis les
19
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
pages suivantes de l’ouvrage ; sa pertinence ne fait donc pas
doute. Mais personne à ce jour n’a formellement affirmé en
connaissance de cause que le titre Histoire du développement
des fonctions psychiques supérieures avait bel et bien été porté
sur le manuscrit de la main même de Vygotski.16 De façon
générale, les conditions dans lesquelles a dû être préparée
cette présentation, sans accès direct possible aux archives
Vygotski, nous font devoir de bien le souligner : si ce qui suit
va s’efforcer de respecter les règles d’une étude critique, on
ne peut pourtant y faire l’économie du conjectural, qui bien
entendu sera expressément signalé comme tel.
2. Sur la genèse du livre (1928-1931 ?)
L’ouvrage qu’on va lire est à maints égards si central dans
l’œuvre vygotskienne que tenter d’en esquisser la genèse
exigerait à la limite d’examiner toutes les phases marquantes de développement de cette œuvre sous toutes ses dimensions principales. Pareil programme excède évidemment
de très loin le cahier des charges acceptable de la simple
présentation d’un livre. Du moins est-il indispensable de
caractériser même succinctement le cheminement fondamental de pensée et d’expérience suivant lequel Vygotski
en est venu à la fin des années 1920 à décider d’écrire – et
d’écrire seul – un livre ayant de façon modeste mais décidée
l’ambition d’exposer une vue révolutionnairement inédite
16. Ici est à citer une intéressante note de Vygotski dont Ekaterina
Zaverchneva situe la rédaction « approximativement en 1930-1931 »
(nous en retraduisons la traduction anglaise qu’elle donne dans son article
déjà cité « The Vygotsky family archive [1912-1934]…», p. 30) : «NB ! Il
nous manque un nom, une désignation. Ce ne doit pas être une enseigne
(intuitivisme). Pas instrum., pas culturel, pas signif., pas struct. ; etc. Pas
seulement à cause de la confusion avec d’aut[res] théories mais aussi à
cause du manque int[e]rne de clarté, ainsi l’idée d’analogie avec instr. =
simple échafaudage, la dissemblance est plus essentielle. Culture : mais
d’où [vient] la culture elle-même (elle n’est pas primordiale, et cela ne
saute pas aux yeux). Donc : 1) pour désigner la méthode, méth. de d[ou]
ble stimulation ; 2) pour la théorie dans son ensemble, a) psychol. des
fonctions supérieures, c.-à-d. b) psychologie histor. ou c) théorie histor.
des f[on]ctions psychol. supérieures. Parce que le concept central pour
nous est celui de fonction supérieure : il contient une théorie a) de son
développement ; b) de sa nature psychol. ; c) de la méthode de recherche
à son sujet. » Comme on voit, l’option 2c est à peu de chose près le titre
sous lequel nous est connu Histoire du développement…
20
Présentation
du psychisme humain dont on essaiera au point suivant
d’inventorier le riche contenu. Même à borner ainsi notre
propos liminaire, sont à examiner au moins brièvement
deux questions préalables. La première : travaillant depuis
octobre 1924 à l’Institut de psychologie, où sous la direction
de Konstantin Kornilov est poursuivi le projet d’élaborer
une « psychologie marxiste » d’orientation réactologique,
comment Vygotski en est-il venu à s’orienter lui-même à
cet égard dans les années suivantes ? La deuxième : vivement
conscient alors de la nécessité d’opérer un tournant dans
la manière d’envisager le psychisme humain, quel diagnostic d’ensemble porte-t-il en 1926-1927 dans La Signification
historique de la crise en psychologie et en quel sens, avec ses
jeunes collaborateurs et amis, oriente-t-il en conséquence
son travail des années 1926-1929, source immédiate des
vues exposées dans Histoire du développement… ?
Formulons la première question de façon simple et
directe : Vygotski est-il au milieu des années 1920, a-t-il
d’ailleurs jamais été vraiment réactologue ? Précisons le
sens du terme17 : le réactologue tel que le conçoit Kornilov
considère que toute activité d’un être vivant est une réaction déterminée par les stimulations de son environnement,
réaction mesurable (en durée, en intensité) aux modalités
diverses (des plus simples réactions musculaires ou sensorielles aux complexes réactions de choix, de reconnaissance
ou d’association) et qui, de façon variable chez chaque individu, transforme activement l’énergie vitale en processus
psychique dans sa double dimension objective et subjective.
Kornilov juge pouvoir ainsi opposer la réactologie aussi bien
à l’idéalisme de son prédécesseur à la direction de l’Institut
de psychologie, Gueorgui Tchelpanov, qu’à la réflexologie de
Pavlov et de Bekhterev, jugée réductionniste, l’idée de réaction autorisant à penser de façon matérialiste le complexe en
même temps que l’élémentaire, le subjectif en même temps
que l’objectif, et le caractère dialectique de l’activité pardelà ses déterminants mécaniques. La réactologie serait en
somme la psychologie même qui convient au marxisme, tout
en sachant se montrer accueillante aussi bien à la réaction
17. Sur la réactologie selon Kornilov, et aussi les rapports de Vygotski
avec Kornilov à ce sujet, cf. « Konstantin Kornilov and his Reactology »,
chapitre 6 du livre de René Van der Veer et Jaan Valsiner, Understanding
Vygotsky, op. cit., p. 112-140.
21
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
inconsciente du freudisme qu’à la réaction comportementale
du behaviorisme. Elle serait du même mouvement la culture
théorique requise par deux disciplines jugées de centrale
importance dans la jeune Union soviétique en construction
des années 1920 : la psychotechnique et la pédologie, toutes
deux d’urgente application dans les activités laborieuses et
pédagogiques.
Autant qu’on sache, Vygotski s’est d’abord accommodé,
en 1924-1925, de ce discours réactologique, sans aller néanmoins jusqu’à s’en faire un propagandiste. À un esprit aigu
comme le sien ne pouvait échapper la part de verbalisme que
recelait l’opération consistant à nommer de façon systématique la perception réaction perceptive, l’émotion, réaction
affective, l’attention, restriction de la réaction, la mémoire,
reproduction de la réaction, la pensée, inhibition de la réaction…18 Mais ce qui est certain est qu’il n’en fit pas moins
sien le concept de réaction, y voyant manifestement le terme
premier d’une psychologie scientifique, c’est-à-dire pour lui
causale-explicative, la pierre angulaire d’un matérialisme
psychologique : à la source de toute activité psychique, il y a
nécessairement une ou des stimulations à quoi cette activité
réagit. Ainsi la Psychologie de l’art, en 1925, parle-t-elle de
bout en bout le langage de la « réaction esthétique », toute
la question étant d’analyser la forme raffinée de « contradiction affective »19 qui conduit des sentiments opposés à ce
court-circuit cathartique en quoi consiste ladite réaction. Et
c’est encore la position qu’exprime avec force, cinq ans plus
tard, Histoire du développement… On verra dans les premières
pages du chapitre II avec quelle netteté Vygotski énonce
« la loi psychologique de base selon laquelle les processus
psychiques sont des réactions aux stimuli qui les suscitent »,
de sorte que le fameux schéma S/R (stimulus/réaction)
exprime bel et bien « la loi fondamentale du comportement » – conviction récurrente au long de l’ouvrage et dont,
lit-on au chapitre XII, « seule une psychologie spiritualiste »
imagine pouvoir s’exempter. Conviction matérialiste dont
on trouve partout écho, depuis la très haute estime que
18. Cf. sur ce point le témoignage de Karl Levitin dans One is Not Born a
Personality. Profiles of Soviet Education Psychologists, Progress Publishers,
Moscou, 1982, p. 154-155.
19. Cf. Lev S. Vygotski, Psychologie de l’art, traduction de Françoise Sève,
La Dispute, Paris, 2005, p. 295 sq.
22
Présentation
Vygotski ne cesse de porter aux travaux de Pavlov20, et que
gage son constant recours à la théorie du réflexe conditionné,
jusqu’à ce thème bien remarquable – prenant à contre-pied
le lecteur trop pressé d’identifier vygotskisme et toute-puissance du culturel – selon lequel, lit-on au chapitre IV, « la
culture ne crée rien, elle ne fait qu’utiliser ce qui est donné
par la nature ». Vygotski a jusqu’au bout été un matérialiste
intransigeant.
Mais sa façon de l’être change foncièrement ce qu’on
entend d’ordinaire par là en son temps – et trop souvent
encore au nôtre –, y compris chez ceux qui se veulent
marxistes dans la Russie des années 1920 : en deçà de tout
doctrinarisme officiel, lequel n’était encore qu’en cours de
constitution à l’époque, le matérialisme mis en œuvre par
Vygotski est authentiquement dialectique, comme il est
possible à qui n’a pas seulement lu Hegel et Marx mais les
a vraiment assimilés. Et que veut dire en l’occurrence être
matérialiste dialectiquement ? Une chose aussi décisive que
précise : comprendre qu’avec le développement culturel
du psychisme apparaît en psychologie du qualitativement
nouveau, ce que ne parvient pas à concevoir le matérialiste ordinaire. On ne peut par exemple rien comprendre à
cette cruciale forme supérieure du psychisme proprement
humain qu’est la maîtrise du comportement – attention
volontaire, mémorisation active, réflexion autonome, choix
délibéré… – sur la base du traditionnel schéma S/R, puisque
ici, inversion capitale, c’est l’activité même qui est à la source
de ses propres stimulations pertinentes. Ici nous n’avons
plus affaire à un stimulus naturel donné par le milieu mais
à un stimulus artificiel créé par l’homme lui-même – ce que
Vygotski va désigner dans Histoire du développement… par le
terme générique de signe. En d’autres termes, du type animal
d’adaptation passive du comportement au milieu tel qu’il est,
nous passons à un type spécifiquement humain d’adaptation
active qui transforme le milieu comme nous en décidons : la
stimulation s’est convertie en autostimulation. Tout est donc
20. Estime qui ne doit nourrir aucune ambiguïté quant à la conviction
fondamentale de Vygotski : la question de la conscience et de l’inconscient n’est rien de moins que « la question de la psychologie elle-même »
(cf. « Psychisme, conscience, inconscient », article de 1930, dans Lev
Vygotski, Conscience, inconscient, émotions, traduction de Françoise
Sève et Gabriel Fernandez, précédé d’Yves Clot, « La conscience comme
liaison », La Dispute, Paris, 2003, p. 95 sq.)
23
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
changé par rapport à la classique perspective réactologique :
ce n’est plus le principe de réaction qui régit les comportements, peut dire Vygotski, mais celui de signification.
Non bien sûr que disparaisse ici le rôle déclencheur
du stimulus – il n’est aucune activité qui d’une façon ou
d’une autre ne réagisse à une stimulation –, mais entre des
stimuli naturellement donnés et des stimuli socialement
construits il y a un abîme. L’illusion ruineuse d’un matérialisme sans dialectique est justement de se laisser prendre
à cette abstraction qu’est « le stimulus » en général. À ceux
qui objectent : puisque vous convenez qu’au départ de toute
activité psychique il y a toujours stimulation, reconnaissez
donc l’universelle portée explicative du schéma S/R, Vygotski
répond au chapitre II d’Histoire du développement… : c’est
justement parce que le schéma S/R peut être identiquement
retrouvé dans toutes les modalités d’activité psychique qu’il
ne peut en rien expliquer par lui-même ce qu’a de spécifique
un comportement de haute complexité comme l’attention
volontaire ou le choix intérieurement motivé. Ramener par
exemple – attitude répandue dans la littérature scientifique
que cite Vygotski – le rôle de l’instruction verbale dans
l’expérimentation psychologique à celui d’un simple stimulus auditif, c’est ne rien comprendre à ce qu’est le langage,
réduire le psychisme humain au psychisme animal et en fin
de compte « confondre le matérialisme avec le naturalisme ».
Par un édifiant paradoxe, ce matérialisme supposé radical en
vient à nourrir directement l’idéalisme, puisqu’en ne sachant
rendre compte que de l’élémentaire dans les comportements
supérieurs, il avoue de fait qu’ils échappent comme tels à une
science matérialiste. La démarche critique de Vygotski est ici
magistrale. Il rend évident ce qu’a d’intenable le simplisme
d’une réactologie de stricte obédience, et pourtant n’abandonne pas un instant le noyau rationnel du fait réactif : la
détermination naturelle par le stimulus demeure en se dépassant dialectiquement21 dans la détermination personnelle
et sociale du stimulus déclencheur même. Avec Histoire du
21. Vygotski recourt expressément ici, à la toute fin du chapitre III, au
verbe russe snimat’ (snjat’), dont la gamme de sens – lever, enlever, révoquer mais aussi recueillir – est assez homologue à celle de l’allemand
aufheben, terme-clef de la dialectique chez Hegel puis, en une acception
plus foncièrement transformatrice, chez Marx, et qu’en bien des cas on
peut rendre par dépasser.
24
Présentation
développement des fonctions psychiques supérieures, Vygotski
sort véritablement par le haut de la réactologie.
C’est ce qui n’était pas encore fait cinq ans plus tôt dans La
Signification historique de la crise en psychologie – on mesure
là l’ampleur du pas accompli entre 1926 et 1930. Pourtant, à
relire ce livre dans l’optique qui est ici la nôtre, on mesure
combien Vygotski y est déjà en garde envers la pente réductionniste où menace fort de glisser, quoi qu’elle en ait, la
réactologie. À résumer beaucoup le diagnostic global auquel
il en arrive au chapitre XI de l’ouvrage (intitulé « Il n’existe
que deux psychologies »), il y a crise parce que la psychologie
est irrésistiblement en voie de se scinder entre une démarche
causale-explicative, d’intention matérialiste, qui ne parvient
à rendre compte chez l’être humain que des comportements
élémentaires et des stades de développement précoces – là
est ce qui menace les réactologues – et, en opposition polémique à cette étroitesse de vue, une démarche de pure
description compréhensive, en général explicitement idéaliste, qui récuse l’objectif de scientificité explicative en le
décrétant contradictoire avec l’essence de la conscience.22
Et quelle est alors l’issue possible à semblable crise ? Elle
est, pose Vygotski avec intrépidité, dans l’inventive extension de la démarche causale-explicative au champ même
des comportements supérieurs et de la conscience, ce qui
implique de créer la « psychologie générale », la « méthodologie » appropriées, de produire les savoirs empiriques inédits
et les concepts théoriques informulés que cela requiert. Et
de quelle façon concrète réaliser pareil exploit ? À cette question des questions, Vygotski n’apporte pas encore réponse
en 1926-1927. « Ce que sera cette méthodologie et si elle va
bientôt naître, nous ne le savons pas », écrit-il sans détour à la
dernière page de ce chapitre-clef. Déclaration qui à elle seule
prend une claire distance avec l’optimisme réactologique de
Kornilov : non, dit-elle implicitement, notre problème n’est
pas résolu comme on s’en flatte. Un mot aimable est certes
consenti en faveur du directeur de l’Institut de psychologie :
22. C’est là, souligne Vygotski dans son livre sur la crise en psychologie, la
position de Husserl dans son grand article de 1911, La Philosophie comme
science rigoureuse, PUF, Paris, 1989, à quoi il oppose (p. 258) que pour la
conscience vaut aussi la distinction fondamentale entre essence et phénomène : elle n’est pas réductible à ce qu’elle sait d’elle-même, ce qui met en
cause la façon dont est conçu le projet phénoménologique.
25
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
« Les travaux de Kornilov posent la première pierre de cette
méthodologie, et qui veut voir se développer l’idée de psychologie et marxisme23 devra reprendre et prolonger sa route. »24
Le concept de réaction est bien la juste vue de départ. Mais
seulement de départ : manque « une vraie orientation méthodologique », et encore faut-il qu’à cette question décisive
on « ne cherche pas de réponses toutes faites ». Voilà qui
ne résonne vraiment pas comme un serment d’allégeance
à la réactologie.25
Mais dans ce livre très mesuré – Vygotski est toujours
mesuré –, il y a bien plus sévère à l’égard du kornilovisme, et
sur un point autrement névralgique que le concept de réaction : sur la question même du marxisme. Kornilov a conquis
aux dépens de Tchelpanov la direction de l’Institut de psychologie en se posant dès 1923 en champion de la « psychologie
marxiste ». Or La Signification historique de la crise en psychologie est, en son chapitre XIII, une critique en règle de cette
idée de psychologie marxiste – critique qui, bien au-delà du
champ de la seule psychologie, constitue une intervention
d’extrême audace dans les vifs débats politico-philosophiques
de la période cruciale qui va de la mort de Lénine en 1924
au « grand tournant » stalinien de 1929. Et ce tout juste trentenaire qu’est alors Vygotski mène cette critique cardinale
avec une autorité tranquille impressionnante. Qu’a-t-on
en vue sous l’appellation de « psychologie marxiste » ? Une
psychologie qui reprendrait à son compte les thèses psychologiques de Marx, d’Engels, de Plekhanov ? Vue de l’esprit : il
n’y a nulle thèse proprement psychologique chez aucun d’eux,
23. Formulation un peu étrange, mais qui va s’éclairer avec ce qui suit. Ce
que Vygotski a ici en vue n’est pas « l’idée de psychologie et de marxisme »,
mais bien « l’idée de “psychologie et marxisme” », expression qui est le
titre même du livre publié par Kornilov en 1925 : Psihologija i marksism,
Gosizdat’, Leningrad.
24. Lev S. Vygotski, La Signification historique de la crise en psychologie
(1926-1927), trad. Colette Barras et Jacques Barberis, éd. préparée et
présentée par Jean-Paul Bronckart et Janette Friedrich, Delachaux et
Niestlé, 1999, réédition La Dispute, Paris, 2010, p. 277. Nous modifions ici
aussi la traduction, qui accorde trop à Kornilov : Vygotski écrit non pas
qu’il a posé les « bases » de la méthodologie voulue, mais seulement son
« commencement » (načalo), disons la « première pierre ».
25. Dès lors que le travail de Vygotski va se concentrer sur les fonctions
psychiques supérieures, au langage de la réaction va se substituer chez
lui celui de l’opération, qui dit le passage du comportement involontaire
à l’activité maîtrisée.
26
Présentation
ils n’étaient pas des psychologues. Une application de vues
philosophiques générales au cas particulier de la psychologie ? Illusion, et même danger : illusion, car on n’aura ainsi, au
mieux, que « verbalisme scolastique », voire « amoncellement
talmudique de citations », mais nulle science, car il ne peut
y avoir de « science avant la science » ; danger, même, car à
faire ainsi de thèses marxistes générales des critères de vérité
concrète on les instituera en « dogmes », on substituera le
« principe d’autorité » à la nécessaire « recherche librement
critique », on soumettra ruineusement la supposée psychologie marxiste au verdict d’un « bureau des labels »26, avec
pour effet non seulement une dégénérescence spéculative
de la science mais encore « une déformation grossière du
marxisme lui-même » – et ici, élevant le ton un bref instant,
Vygotski parle de « monstrueuse ineptie »27.
Le lecteur d’aujourd’hui ne mesure peut-être pas d’emblée
la portée de cette intrépide critique. Elle vise certes le directeur de l’Institut où il travaille – à vrai dire, un peu moins là au
fil des années, et davantage ailleurs, notamment à l’Académie
d’éducation communiste Kroupskaïa, où le climat est plus
libre –, ce qui est déjà audacieux, mais lorsque à la cantonade
il stigmatise « l’application directe du matérialisme dialectique aux sciences biologiques et à la psychologie, comme
cela se fait aujourd’hui »28, c’est l’une des principales figures
de la pensée officielle qui est mise en cause, Déborine soimême, qui vient d’accéder à la direction de l’emblématique
revue Pod znamieniem marksisma (« Sous la bannière du
marxisme »), chef de file de ces « dialecticiens » qui veulent
en effet introduire du dehors dans les sciences une théorie
marxiste tout élaborée d’avance.29 « Monstrueuse ineptie. »
26. Probinaja palata (Lev S. Vygotskij, Sobranie sočinenij, op. cit., tome I,
p. 421).
27. Čudoviščnuju nelepost’, ibid., p. 420. Toutes ces citations figurent aux
pages 242 et 272-274 de La Signification historique de la crise en psychologie, op. cit. Nous en modifions le texte sur certains points pour serrer au
plus près l’original.
28. Ibid., p. 274. C’est nous qui soulignons.
29. Cf. sur les « déboriniens » René Zapatta, Luttes philosophiques en URSS.
1922-1931, PUF, Paris, 1983. La ligne en question sera néanmoins condamnée pour grave insuffisance par le Parti communiste en 1931 : il lui sera
fait grief de trop « séparer la philosophie de la politique » (cf. p. 319), en
d’autres termes de faire obstacle à une totale maîtrise du parti lui-même
sur la vie des idées.
27
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
Ce livre de Vygotski est ainsi la plus hardie en même temps
que la plus précoce des prises de position contre le mouvement de fond qui va conduire, à travers maintes vicissitudes,
à l’ère stalinienne du dia-mat30 obligatoire. On comprend
mieux alors pourquoi l’ouvrage est resté dans un tiroir. Nous
savons, par une étude russe parue en 201031, que le manuscrit de La Signification historique de la crise en psychologie
porte de nombreuses annotations critiques au crayon, dont
l’auteur nous est inconnu mais semble avoir eu du poids.
L’ouvrage n’a donc pu paraître, mais dès ce moment Vygotski
est catalogué, et il le sait.
Nous avons maintenant réponse aux deux questions dont
nous sommes partis. Vygotski dans la deuxième moitié des
années 1920 peut-il être considéré comme un réactologue ?
S’il ne récuse nullement l’usage topique du concept de réaction, on voit combien il se situe au-delà de la réactologie.
Et dans quelle direction faut-il selon lui chercher issue à
la crise en psychologie ? Concrètement parlant, la réponse,
début 1927, reste à construire. En tout cas, ce sera dans la
direction d’une psychologie qui ne visera pas à être labellisée
marxiste mais tout simplement à être reconnue scientifique.
Et pour en dire un peu davantage : une psychologie qui trouvera la voie matérialiste d’une analyse causale-explicative du
psychisme humain complexe et de la maîtrise consciente
des comportements, ce qui implique une approche authentiquement dialectique des problèmes tant méthodologiques
que théoriques. Ainsi s’engage le programme de recherche
que Vygotski et ses tout jeunes collaborateurs, en premier
Luria et Léontiev32, vont très activement mettre en œuvre en
1927-1930, et qui va déboucher, avec la rédaction d’Histoire
du développement…, sur le premier exposé d’ensemble d’une
conception culturelle et historique du psychisme humain.
Mais pour reconstituer avec beaucoup plus d’exigence la
genèse réelle de ce livre-charnière, il nous faut alors élucider
un problème bien obscur. S’il y a une énigme d’Histoire du
développement…, on l’a dit, c’est que ce livre ne semble pas
d’un seul tenant : cinq chapitres où domine l’exposé théo30. Terme alors courant formé à partir des syllabes initiales de
dialektičeskij materializm (« matérialisme dialectique »).
31. Étude d’Ekaterina Zaverchneva et M. Osipov parue dans Voprosy
psihologij (« Questions de psychologie »), no 1, 2010, p. 92-102.
32. En 1927, Luria a 25 ans et Léontiev, 24.
28
Présentation
rique général, d’abord, puis une série de chapitres consacrés
à l’étude expérimentale de fonctions ou questions particulières ; or l’ordre logico-chronologique de ces deux moments
se présente sous des jours contradictoires. Sans se poser de
question pourtant, le redaktor du tome III des Œuvres où
figure Histoire du développement…, ce même Matiouchkine
dont on a déjà lu le nom plus haut, tranche en quelques
lignes au début de sa postface : après des chapitres de caractère « fondamental », écrit-il, dans les suivants « les thèses
théoriques générales sont concrétisées » en études particulières où Vygotski « donne réalité » à ses vues principielles.33
En somme, les recherches expérimentales de Vygotski et ses
amis auraient tout uniment été l’application de vues pré­éta­
blies – le doctrinarisme « marxiste » fonctionnait encore
bien à Moscou en 1983… On comprend que le silence sur la
chronologie soit ici nécessaire : une fois établi qu’une grande
partie de ces dix derniers chapitres a été écrite quelque deux
ans avant les cinq premiers, pareille présentation des choses
sombre dans le ridicule. Faut-il alors considérer au contraire
que les années 1927-1929 furent consacrées par Vygotski à
des expérimentations tâtonnantes au terme desquelles seulement ont pu être formulées, en 1930, les thèses constitutives
de la conception historico-culturelle ? Constat déconcertant :
non, cette façon opposée de voir les choses n’est pas mieux
soutenable. Plus on explore l’héritage vygotskien, plus on
voit reculer en effet la date où commencent d’être esquissées les idées directrices qui structurent Histoire du développement… À en retenir une hautement caractéristique, celle
d’activité psychique médiatisée par le signe, on sait qu’elle
est déjà nettement indiquée dans des articles de 1928 cités
plus haut ; on la repère même en 1927 dans un passage de
La Signification historique de la crise en psychologie34 ; mieux,
Ekaterina Zaverchneva cite une note de mai 1926 où le signe
linguistique, « stimulus artificiellement créé », est qualifié
d’« outil du comportement »35 – d’où elle conclut que « dès
1926 » Vygotski est en chemin vers l’idée cruciale d’activité
instrumentale. On pourrait même aller jusqu’à dire : l’optique
33. Konkretizirujutcja, realizuja, p. 338. C’est nous qui soulignons.
34. Par exemple p. 227, où est évoquée l’idée de « pilotage artificiel du
comportement ».
35. Cf. Ekaterina Zaverchneva, « The Vygotsky family archive (19121934)… », article cité, p. 27.
29
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
que va développer Histoire du développement… se dessine
déjà, en 1925, dans la thèse centrale de Psychologie de l’art :
« L’art est une technique sociale du sentiment, un outil de
la société, grâce à quoi il entraîne dans le cercle de la vie
sociale les aspects les plus intimes et les plus personnels de
notre être. »36
Ni le dogmatisme déductiviste, ni la naïveté inductiviste
ne rendent donc compte de la démarche vygotskienne en
ces années décisives où s’élabore sa conception novatrice du
psychisme humain. Et si les vues théoriques ne sont venues
ni avant ni après les investigations expérimentales, il faut
bien en arriver à concevoir le développement des unes et des
autres comme plus ou moins concomitant, la découverte de
laboratoire stimulant l’éclaircissement théorique, la culture
philosophique donnant des idées à l’investigation expérimentale. Dans cette dialectique de l’œuf et de la poule, la
pratique de recherche en laboratoire est venue très tôt chez
Vygotski, précocement animée par un intérêt passionné pour
l’enfant normal ou déficient : en 1927-1929, il a déjà derrière
lui la riche expérience pédologique d’investigateur qu’il a
commencé d’acquérir à Gomel. Et la culture théorique aussi
lui vient de loin – ses premières lectures de Spinoza, de Hegel
et de Marx remontent à plus d’une décennie. Pour caractériser la démarche qui va fructifier dans Histoire du développement…, on pourra parler de permanente investigation inventive orientée par une hypothèse théorique. Au départ même il
a idée de ce qu’il cherche ; au départ même il sait chercher
ce dont il a idée ; mais seules d’intenses années d’expérimentation chaudement discutée entre esprits complices vont
convertir une idée de départ en théorie approfondie.
Cette intelligence expérimentale dialoguée – fût-ce en
dialogue avec soi-même – est omniprésente dans Histoire
du développement…, non dans les seuls chapitres d’investigation concrète sur des fonctions particulières mais dès les
cinq premiers dits « généraux » : chez Vygotski il n’y a pas de
théorisation à vide. Et cela non pas pour la simple raison que,
comme il le dit dans les débuts du chapitre XI, « seules des
expériences peuvent donner une réponse définitive » à des
interrogations de principe : ces interrogations mêmes ne s’élaborent et ne s’affinent que dans des expériences bien conçues.
36. Lev Vygotski, Psychologie de l’art, op. cit., p. 347.
30
Présentation
Si le projet expérimental naît de l’exigence explicative, la
pensée conceptuelle – y compris par exemple la conception
philosophique de la liberté – à son tour n’avance qu’à partir
de ce qui se dévoile au laboratoire. Selon une formule du
début du chapitre XV, il faut donc mener de front les « généralisations empiriques et théoriques ». Vygotski donne à
réfléchir sur ce que « science expérimentale » peut vouloir
dire. L’expérience ne nous apprendra pas beaucoup si nous
ne partons pas d’un « schème théorique correct », lit-on au
chapitre VII, mais un schème théorique correct prérequiert
l’appropriation critique d’un très vaste savoir factuel – à lire
Histoire du développement…, on est impressionné par ce que
sait cet homme encore tout jeune. En fait, c’est le dualisme
convenu du conçu et du donné qui est à dépasser résolument, car le plus puissant analyseur conceptuel est justement
l’expérience finement menée. On verra avec quelle ingéniosité stratégique Vygotski refait par exemple des expériences
classiques – de Köhler, d’Eliasberg, de Lewin ou d’Ach… – en
y changeant un petit quelque chose, ce qui va dévoiler tout un
nouveau paysage ; ainsi en rendant à l’enfant le choix à faire
bien difficile, on décompose les moments de l’acte volontaire
qui révèle ainsi sa structure interne. « Toute expérimentation
est une analyse en action. »37 Le sommet de cette philosophie expérimentale est la méthode de double stimulation, dont
Vygotski et ses amis font un usage novateur : en adjoignant
aux stimuli naturels des stimuli artificiels bien choisis, ils
reproduisent comme sur un écran les logiques de l’activité
instrumentale, ce qui livre la clef du développement culturel.
De même inspiration est la critique des démarches suivant
lesquelles Stern interprète la description verbale d’une image
par l’enfant où Binet pense mesurer son intelligence. Histoire
du développement… repose sur une magistrale mise en œuvre
de la méthode expérimentale originalement comprise comme
une dialectique vivante du factuel et de l’idéel.
Et sur quoi portent principalement ces années de riche
expérimentation ? Pour l’essentiel – à suivre l’ordre des
chapitres d’Histoire du développement… – sur le langage oral,
la formation du langage écrit – en collaboration avec Luria38 –,
37. Lev S. Vygotski, La Signification historique de la crise en psychologie,
op. cit., p. 250.
38. Alexandre Luria a écrit sur ce sujet un article qu’on confrontera avec
intérêt au chapitre VII d’Histoire du développement… Il figure dans Michel
31
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
l’apprentissage arithmétique, le développement de l’attention
volontaire, de la mémoire mnémotechnique – sur ce point, le
principal travail est fait par Léontiev –, la complexe évolution
des rapports entre pensée et langage, la maîtrise du comportement. Thèmes d’étude sans cesse étayés par la collecte assidue
d’informations sur la psychologie animale et les comportements des humains primitifs, recoupés par de nombreuses
recherches directes en défectologie – sourds-muets, comme
on dit encore à l’époque39, retardés mentaux – et en pédagogie – par exemple sur l’enseignement de l’arithmétique,
plus largement sur les âges successifs du développement
culturel –, par la préoccupation constante de la pédologie40, c’est-à-dire, de manière centrale, du développement psychologique de l’enfant. Dans ce programme de
recherches, une seule case prévue reste peu remplie encore
en 1930 : la formation de la pensée conceptuelle, ce qui ne
peut bien sûr être un oubli – on y reviendra.
Travail si intensément productif que, courant 1929,
mûrit d’elle-même la possibilité, donc l’opportunité de
vrais exposés de synthèse. La bibliographie est parlante :
1929 est l’année de rédaction de cet important manuscrit
resté inédit, Očerk kul’turnogo razvitija normal’nogo i nenormal’nogo rebënka (« Esquisse du développement culturel
de l’enfant normal et anormal ») où l’on pourrait bien voir
comme un premier brouillon d’Histoire du développement… ;
celle aussi où Vygotski rédige pour lui-même une longue note
de cruciale importance – elle figure en annexe I à la fin du
présent volume –, ébauchant dans leur connexion nombre de
thèmes majeurs d’Histoire du développement… ; celle encore
où, en collaboration avec Luria, il entreprend d’écrire le livre
Etjudy po istorij povedenija (« Études sur l’histoire du comporBrossard et Jacques Fijalkow, Apprendre à l’école. Perspectives piagétiennes
et vygotskiennes, Presses universitaires de Bordeaux, 1998, p. 201-211.
39. C’est ce terme alors consacré qu’emploie d’ordinaire Vygotski, tout
en sachant bien que leur mutité est l’effet pédagogiquement amendable
de leur surdité, comme il le dit lui-même au chapitre XIII (cf. infra, p. 501).
Cf. aussi sur ce point l’article de 1927 « Défaut et compensation », dans
Lev Vygotski, Défectologie et déficience mentale, recueil de textes sous la
direction de Koviljka Barisnikov et Geneviève Petitpierre, Delachaux et
Niestlé, Paris, 1994, p. 101 sq.
40. Cf. sur ce point la substantielle introduction à Lev S. Vygotski, Pédologie : fondements et place dans le système des sciences. Textes pédologiques
(1930-1934), traduits par Irina Leopoldoff-Martin, édités par Irina Leopoldoff-Martin et Bernard Schneuwly, à paraître à La Dispute.
32
Présentation
tement »), qui va paraître en 1930 ; c’est aussi l’époque où il
se sent assez sûr de ses vues synthétiques pour en tenter un
exposé public à l’Académie des sciences pédagogiques – les
thèses qu’il y présente sont résumées dans « La méthode
instrumentale en psychologie », qu’on trouvera plus loin en
annexe II.41 Autant d’importants acomptes sur la physionomie d’ensemble de cette psychologie causale-explicative des
comportements complexes dont trois ans plus tôt l’ouvrage
sur la crise en psychologie faisait l’objectif même de ceux qui
lui cherchent résolument une issue de teneur scientifique.
Ce qu’il faut maintenant comprendre, c’est pourquoi ces
acomptes ne suffisent pas à Vygotski, pourquoi il forme un
projet bien plus ambitieux, celui d’un livre faisant le tour des
questions que posent les fonctions psychiques supérieures,
et pourquoi, par-delà sa collaboration avec Luria pour la
rédaction des « Études sur l’histoire du comportement », il
se décide à l’entreprendre seul. Sur ces questions cruciales
pour notre enquête, nous avons la chance de disposer d’une
lettre fortement éclairante : celle que Vygotski adresse à
Léontiev le 23 juillet 1929, alors qu’il travaille sur les épreuves
des « Études sur l’histoire du comportement ». En voici le
passage-clef42 :
« Je corrige la deuxième partie, “le singe”. Hélas ! Le
premier chapitre43 est entièrement rédigé suivant les
freudiens, non pas Freud même mais V[éra] Schmidt
(ses matériaux), M[élanie] Klein et au[tres] étoiles
de second rang ; ensuite du Piaget opaque, absolument tout du long ; plus loin encore, par endroits, des
bouffées d’outil et signe, etc., etc. Ce n’est pas la faute
d’A. L[uria] personnellement, mais celle de toute une
41. Ce texte est ordinairement daté de 1930. Selon Ekaterina Zaverchneva (communication personnelle, mars 2012), il serait bien plutôt de
1928 (cf. l’avant-propos de ce texte donné en annexe II, à la fin du présent
volume).
42. Le volume de Correspondance de Vygotski, paru à Moscou en 2004,
où figure cette lettre n’est pas encore traduit en français. C’est nous qui
traduisons.
43. Dans la version publiée, les deux premiers chapitres, respectivement
consacrés au singe et au primitif, sont de Vygotski ; le troisième et dernier,
sur l’enfant, est de Luria. Il faut manifestement comprendre que, dans la
version initiale sur laquelle Vygotski était en train de travailler, l’ordre
était inverse : le chapitre de Luria sur l’enfant figurait en premier.
33
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
“ère” de notre pensée. Avec laquelle il faut en finir impitoyablement. Tant que nous ne voyons pas en clair
comment remanier notre point de vue pour en faire
une partie organique de notre théorie, il est complètement exclu d’en venir au système. Soyons patients.
Donc, régime sévère de pensée, monastique ; être des
ermites des idées, s’il le faut. Et l’exiger des autres. Tirer
au clair de quoi s’occupe une psychologie culturelle –
pas pour s’amuser, pas à des moments perdus ni parmi
des tas d’autres choses, pas comme terrain où chaque
nouveau venu fera ses hypothèses personnelles. Mais
indépendamment de ça le même régime pratiquement
efficace. [Nous] organiser de sorte que deviennent
impossibles les fautes du “singe”, l’article d’A. L[uria],
le parallélisme de Zankov44 et autres. Je serai heureux si
nous parvenons à un maximum de clarté et de rigueur
dans cette question. »
Lettre qui suggère bien des commentaires mais, pour nous
en tenir à notre problème, qui surtout nous fait en quelque
sorte assister du dedans au moment où Vygotski va se décider
à écrire Histoire du développement…, et nous en dévoile les
attendus. En premier, indulgent envers les personnes, un
verdict impitoyablement lucide sur le point théorique où en
est le jeune collectif qui s’est formé depuis 1924 autour de
lui : amateurisme, éclectisme, carence sur l’essentiel. Ensuite,
un cap à viser en totale autonomie de pensée et rigueur de
démarche : au stade où en est désormais l’avancement de nos
travaux expérimentaux, mettre au clair, selon notre point de
vue, de quoi s’occupe ce que nous nommons « psychologie
culturelle ». Implicite enfin, un constat : formuler en toute
exigence cette identité organique de notre théorie ne peut
être entrepris avec Luria, l’expérience des Etjudy n’est pas
ici à renouveler – c’est de nouveau le moment de la prise de
responsabilité personnelle. Nous sommes fin juillet 1929 ; en
septembre, stimulé par sa lecture de Politzer, Vygotski écrit
fiévreusement la note qu’on lira en fin de volume ; il y a tout
lieu de penser que sa rédaction des cinq premiers chapitres
d’Histoire du développement… a commencé peu après.
44. Membre actif de l’équipe de Vygotski, tenant du parallélisme psychophysiologique.
34
Présentation
Et ici nous sommes contraints de conjecturer. Ce dont
Vygotski ressent le criant besoin, par-delà tout ce qu’il a
déjà écrit dans l’ordre monographique – études de fonctions,
approches sectorielles –, c’est d’éclaircissements fondamentaux sur « ce que nous nommons psychologie culturelle ». Il
s’agit de donner enfin à voir dans toute son originalité théorique cette « psychologie générale » seule capable de tourner
la page de la crise parce qu’elle livre la clef du psychisme supérieur proprement humain que personne jusqu’ici n’a vraiment
su expliquer. C’est cela qu’il veut écrire en grand – ce seront
les cinq premiers chapitres d’Histoire du développement…,
qui mûrissent en lui depuis au moins 1928. Bien entendu,
le livre devra donner aussi les preuves expérimentales de
ces vues d’ensemble – en ce domaine, Vygotski est sans
inquiétude, il a d’avance à peu près tout ce qu’il lui faut, en
bien des cas il suffira de reprendre des choses déjà écrites,
voire publiées. Mais l’acte décisif, celui qui doit mettre un
point final « impitoyable » à l’ère des tâtonnements, c’est
l’accréditation théorique – et pour une part polémique – des
vues directrices d’une psychologie intimement historique
et culturelle.
Les cinq premiers chapitres paraissent avoir été écrits
d’un même mouvement – fin 1929 et une partie de 1930 ? –,
assez vite et sans relecture correctrice, comme le suggèrent
plusieurs défauts rédactionnels qu’on signale en note, voire
certaines discordances internes. Les chapitres VI à XV au
contraire, fortement hétérogènes, ne semblent pas relever
d’une rédaction continue. Certains ont été repris, avec fort
peu de changements, de travaux très au point antérieurement publiés, tels le VII sur la préhistoire de l’écriture,
le IX sur le développement de l’attention, peut-être aussi
le X sur la mémoire ; d’autres ont pu utiliser des pages déjà
écrites, comme le XIII sur l’éducation des formes supérieures
de comportement, mais en y rajoutant pour la cohérence
des développements inédits ; certains sont peut-être, par
exemple le XIV, des décryptages de cours ou conférences
que Vygotski n’aurait pas trouvé le temps de revoir avec soin,
d’où certaines fautes typiques relevées plus haut ; quelquesuns même, nommément le VI et le VIII, donnent l’impression
de n’être que des acomptes en attente du retravail nécessaire
pour en faire des chapitres à part entière. À cette hétérogénéité rédactionnelle vient s’ajouter une certaine incertitude
35
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
du plan – à diverses reprises est annoncé un chapitre sur la
formation des concepts, alors que seules les dernières pages
du chapitre XI touchent partiellement à ce vaste problème ;
la fin du XIII fait état d’un chapitre sur les dons, question
qui n’est abordée en fait qu’au début du chapitre XIV ; le XV
mentionne au passage un ordre des chapitres différent de
celui que nous observons… Ajouté à tout cela de nettes
disparités de style, on croit pouvoir conclure qu’Histoire du
développement…, travail d’évidente importance, n’a pourtant
pas été mené complètement à bien et semble avoir été abandonné par lui – dans les débuts de 1931 ?45 – pour des raisons
sur lesquelles on devra s’interroger plus loin.
3. Une conception hardiment innovante
du psychisme humain
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures est donc la première et principale vue d’ensemble
qu’ait donnée Vygotski de ce qu’on appelle souvent, de façon
contestable46, la théorie historico-culturelle du psychisme
humain. Avant d’en examiner les sources puis d’en caractériser le contenu, une remarque s’impose sur cette formule
même. C’est de longue date une dénomination consacrée,
d’usage généralisé. Alexei A. Léontiev affirme même, dans
l’introduction au volume d’hommage à l’œuvre de son père47,
que « dans la seconde moitié de 1925 » aurait pris naissance
la kul’turno-istoričeskaja škola (l’« école culturelle-historique »)
45. C’est le calendrier que retiennent René Van der Veer et Jaan Valsiner,
Understanding Vygotsky, op. cit., p. 188 : «Vygotski, y lit-on, commença
d’écrire ce livre autour de 1929, s’y remit à plusieurs reprises et finalement acheva sa rédaction en 1931. » Les auteurs renvoient ici au livre
d’Andreï A. Puzyrej, Kul’turno-istoričeskaja teorija L. S. Vygotskogo i sovremennaja psihologija (« La théorie historico-culturelle de L. S. Vygotski et
la psychologie contemporaine »), Izdatel’stvo Moskovskogo Universiteta,
Moscou, 1986.
46. Si la conception historico-culturelle de Vygotski comporte certes un
ensemble cohérent de vues théoriques, elle ne prend nulle forme doctrinale et se définit tout autant par sa démarche expérimentale et ses visées
pratiques. Vygotski n’est pas un « théoricien » de la psychologie, c’est un
acteur à part entière de la science psychologique.
47. Cf. Alexei A. Leont’ev, « Tvorčeskij put’ Alekseja Nikolaeviča Leont’eva »
(« Le chemin créateur d’Alexis Nicolaievitch Léontiev »), dans A. N. Leont’ev
i sovremennaja psihologija (« A. N. Léontiev et la psychologie contemporaine »), Izdatel’stvo Moskovskogo Universiteta, Moscou, 1983, p. 9.
36
Avertissement
Lucien Sève
Françoise Sève, traductrice de Vygotski – mon épouse –,
est morte des suites d’un cancer le 3 mai 2011. À la profondeur de ce drame est venue s’adjoindre une angoisse : celle
du sort qu’allait connaître sa traduction incomplètement
au point de ce livre majeur de Lev. S. Vygotski, Histoire du
développement des fonctions psychiques supérieures. J’ai
décidé que le travail qui restait à faire serait accompli dans
les meilleurs délais et conditions possibles et que j’en assumerais la responsabilité. Quelques explications sont évidemment nécessaires sur les considérants de cette décision et les
problèmes qu’a posés sa mise en œuvre.
Est d’abord à préciser le point où se trouvait le travail
de traduction lorsqu’il fut interrompu, début mars 2011. La
longue expérience acquise par Françoise Sève à traduire
Vygotski au niveau élevé d’exigence qui était le sien1 lui
1. Elle avait engagé au milieu des années 1970 le très considérable travail
qui allait la conduire à faire paraître en 1985 la version française de Pensée
et langage (op. cit.), unanimement saluée pour sa qualité, et n’avait plus
cessé depuis lors de se consacrer à la traduction de Vygotski. Elle a notamment traduit deux des études qui composent Conscience, inconscient,
émotions (La Dispute, 2003) et Psychologie de l’art (La Dispute, 2005).
77
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
avait fait adopter une méthode de travail bien rodée. D’abord
une longue préparation : information poussée sur l’œuvre,
lectures répétées du texte, repérage des problèmes à résoudre
et recherches à entreprendre, rassemblement des matériaux
utiles, notamment des traductions existantes en d’autres
langues que le français – pour ce qui est d’Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures, elle avait étudié
et annoté page à page les traductions anglaise, espagnole,
allemande (celle-ci, de même que l’italienne, couvrant les
seuls cinq premiers chapitres). Puis commençait la traduction de base, faite manuellement au stylo, d’une écriture
lente et méditée comportant relativement peu de ratures,
avec le souci dominant de la plus extrême fidélité au texte,
les difficultés résistantes de sens et de style étant délibérément renvoyées à la phase ultérieure où une claire vision
de l’ensemble permettrait seule de leur chercher et éventuellement trouver solution valable – ce travail n’en faisant
pas moins surgir des questions imprévues exigeant investigations complémentaires, du nécessaire recours à l’original de textes en langue étrangère cités par Vygotski – de
façon plus d’une fois incomplète – à la laborieuse récolte des
indications voulues pour composer les notes. Venait alors le
décisif labeur, bien plus long et difficile : la métamorphose de
cette traduction de base en texte digne à ses yeux d’affronter l’épreuve de la publication – c’était la vaste période où
devaient être tirées au clair les énigmes subsistantes, effectués les choix stylistiques appropriés, déployée en tous sens
la vigilance. En fin de parcours, la confection des index la
retenait longuement.
Commencée en septembre 2005, peu après la parution
de Psychologie de l’art, la traduction de base d’Histoire du
développement des fonctions psychiques supérieures – volume
d’un million de signes – lui a demandé deux ans. Tout en
devant assumer des thérapies éprouvantes, Françoise Sève la
mena au bout avec une tranquille vaillance. À l’automne 2007
put s’engager la deuxième phase, celle de la mise en forme
finale, non point opération unique mais constantes relectures, confrontations, interrogations traduites en nouvelles
ratures, surcharges et indications marginales au crayon, des
questions particulièrement délicates demeurant toujours en
suspens – comme cela avait été le cas pour le titre même du
dernier livre de Vygotski, couramment mais un peu discuta-
78
Avertissement
blement nommé en français Pensée et langage, le mot russe
reč renvoyant à la parole autant qu’au langage –, jusqu’au
bout Françoise Sève en a été tracassée. Mais il fallait bien
finir. C’est moi qui, sous sa dictée, saisissais sur ordinateur
le texte qu’établissait son ultime travail de préparation. Cette
saisie informatique a commencé en avril 2009. En mars 2011,
elle était parvenue au milieu du chapitre VI, qui lui-même
est au milieu du livre.
On se représente ainsi ce qui était fait et ce qui restait
à faire pour parvenir à une publication. Dans sa première
moitié, la traduction qu’on va lire a été entièrement mise au
point par Françoise Sève elle-même, à une ultime révision
près dont la charge m’est incombée – j’en dirai plus loin le
motif et le sens. Dans sa seconde moitié était requis, à partir
du texte de base qu’elle avait établi et déjà plus d’une fois
relu, un travail de mise au point en vue duquel son manuscrit
contient jusqu’au bout – c’est-à-dire la fin du chapitre XV –
d’assez nombreuses indications au crayon que j’ai pu suivre,
mais aussi maintes difficultés explicites ou latentes qu’il
fallait résoudre à sa place. Et, par-delà cette mise au point
risquée du texte, restait à faire plus d’une recherche et vérification de détail, à ouvrir l’enquête sur les conditions énigmatiques dans lesquelles fut constitué le manuscrit de ce
livre non publié par Vygotski lui-même pour se mettre en
mesure d’en rédiger la présentation, à composer les notes
de sa deuxième moitié ainsi que les index des auteurs cités
et des matières avec le soin voulu.
Tâche non impossible, en somme, mais nullement anodine.
Était-il dans ces conditions envisageable de publier sous son
nom de traductrice – nom hautement estimé des connaisseurs – un ouvrage dont toute une seconde moitié, certes à
partir de son propre travail déjà assez élaboré, n’a pu pourtant bénéficier de sa révision finale et comporte donc nombre
de choix effectués sans son aval ? Question de conscience aux
aspects vivement contradictoires. Nul n’est mieux placé que
moi pour mesurer l’insubstituable compétence qui manquait
pour achever son œuvre, de sorte qu’à l’entreprendre à sa
place et publier le tout en son nom, avec la meilleure des
intentions, il pouvait y avoir pourtant comme une forfaiture. Mais envisager de renoncer, c’était alors admettre l’idée
de jeter au panier le fruit presque mûr de six ans de travail,
dernière œuvre d’une grande traductrice consacrée à l’un
79
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
des plus forts livres de Vygotski dont tout un public motivé
attend de longue date l’édition. En vérité je n’ai guère hésité,
tant m’a paru s’imposer de faire paraître l’ouvrage en forme
achevée, mais au long du travail la prise de décision n’a pas
laissé d’être éthiquement éprouvante.
Disons succinctement pourquoi j’ai cru possible de
l’assumer. Dans ma jeunesse, à partir de 1945, j’ai étudié
plusieurs années la langue russe, particulièrement à l’École
des langues orientales en 1947 et 1948, du temps que j’étais
à la Rue d’Ulm. De cette connaissance de la langue j’ai pu
faire par la suite usage oral lors d’assez nombreux voyages
à Moscou et séjours en Union soviétique, et usage écrit en
confrontant maintes fois à l’original russe des traductions
de Lénine qui m’apparaissaient douteuses, et en y découvrant en effet bien des approximations ou bévues – directeur des Éditions sociales, j’ai pu faire corriger quelques
contresens dans ses textes les plus connus. Quant à l’œuvre
de Vygotski, à peu près totalement inaccessible en français
au début des années 1980 et aujourd’hui encore si incomplètement traduite, je m’y suis plus d’une fois aventuré en
explorateur et quelquefois risqué à de petites traductions
de travail – ainsi, lors de la première « Journée Vygotski »
organisée à la Sorbonne en décembre 1987, avais-je appuyé
mon intervention sur le thème « Dialectique et psychologie
chez Vygotski » en distribuant aux participants quelques
pages de La Signification historique de la crise en psychologie,
livre alors inédit en français, dans une traduction personnelle
dont Françoise Sève avait contrôlé la fiabilité. De façon plus
générale, j’ai acquis quelque expérience de traducteur, de
l’allemand au français, en me confrontant continûment au
problème tel qu’il se pose à propos de l’œuvre de Marx, dont
j’ai fait paraître chez Flammarion une anthologie philosophique entièrement traduite par moi.
Ainsi la tâche a-t-elle pu ne pas m’apparaître impossible.
La traduction de la seconde moitié des Fonctions psychiques
supérieures eût-elle été encore à faire, je me serais sans doute
tenu pour hors d’état d’y pourvoir. Mais la situation était
toute autre : la traduction entière en existait, et non point
comme approximatif premier brouillon mais comme résultat
partiellement inachevé de son grand effort. Les difficultés
restant à résoudre semblaient d’autant moins hors de portée
que, de son avis même plus d’une fois exprimé, la plupart
80
Avertissement
étaient d’ordre moins linguistique que psychologique, ou,
pour le dire plus justement, la bonne solution linguistique à
trouver y dépendait avant tout d’une bonne intelligence du
sens psychologique – ainsi me voyais-je renvoyé à ma familiarité avec l’œuvre vygotskienne. De plus – circonstance dont
j’ai plus d’une fois éprouvé la décisive importance –, ayant
saisi à l’ordinateur sous sa dictée les cinq premiers chapitres
du présent livre et une partie du sixième, après l’avoir fait
pour Psychologie de l’art tout entier, j’ai eu avec Françoise
maintes discussions sur tel ou tel point de traduction, et par
là nombre d’occasions de saisir du dedans sa démarche, que
je me suis efforcé à ne pas trahir. J’ajoute à cela la certitude
d’emblée acquise de pouvoir compter sur la vigilante relecture de deux vygotskiens français hautement compétents,
mes amis Michel Brossard et Yves Clot, aussi attachés à la
mémoire de Françoise Sève qu’intéressés à voir paraître ce
livre majeur de Vygotski. Ensemble de raisons qui m’a fait
décider de mener à bien ce travail risqué mais plus encore
nécessaire.
Il me reste à dire pourquoi et en quoi une discrète révision de la première moitié même du livre a été nécessaire, ce
qui exige tout un détour. Près de quarante ans d’expérience
dans la traduction de Vygotski avaient rudement appris à
Françoise Sève les vives difficultés spécifiques de la tâche.
D’abord, la fiabilité du texte russe dont nous disposons – à
commencer par les Œuvres en six volumes parues à Moscou
en 1982-1984, le présent ouvrage y occupant l’essentiel du
tome 3 – laisse hélas maintes fois à désirer. À le considérer
de près, on y décèle en plus d’un cas des fautes probables,
voire certaines qu’il s’impose de corriger hypothétiquement2.
À cela s’ajoutent, dans le cas d’Histoire du développement
des fonctions psychiques supérieures, surtout de sa seconde
moitié, les difficultés d’un texte qui semble avoir été inégalement soigné, non relu sans doute par Vygotski en telle
ou telle partie, sinon même, comme on l’envisage dans la
présentation de l’ouvrage, de décryptages de cours ou conférences sténographiés où les marques du style oral d’origine
et ce qui pourrait parfois être bévues de transcription par
2. Cf. par exemple, entre autres, l’étymologie fautive que Françoise Sève a
dû repérer et rectifier au chapitre VI, note 10, p. 323. Pareille mésaventure
lui était déjà arrivée à plusieurs reprises lors de la traduction de Pensée et
langage, op. cit., cf. entre autres la note de la page 259.
81
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
des tiers ne sont pas rares – à travailler de près sur ce texte,
on mesure souvent qu’il n’a pas eu à affronter du vivant de
l’auteur les impératifs bénéfiques d’une publication.
À cela viennent s’adjoindre les problèmes souvent posés
au traducteur par certaines particularités fâcheuses du
style. Les témoignages concordent au sujet de Vygotski :
il était fort bon orateur, ses cours et conférences passionnaient les auditoires. Mais il avait manifestement quelques
problèmes devant l’écrit. Sans pouvoir ni vouloir entrer ici
en un examen poussé de cette question complexe, disons
qu’il ne s’agit aucunement, chez cet homme d’impressionnante culture et de haut sens artistique, d’une inhabileté
générale : il ne manque pas dans ses livres et articles de développements frappants, voire de pages brillantes. Mais par
moments il se montre gauche, on saisit mal ce qu’il veut dire
– on verra par exemple, notamment dans la seconde moitié
de l’ouvrage, que la description d’expériences peut parfois
manquer de clarté. Ailleurs, surtout dans les commencements de chapitre, il semble parfois embarrassé, s’attarde
plus que de raison à des préliminaires répétitifs, la discussion « traîne en longueur » – il le dit lui-même en propres
termes, de façon assez désarmante, après les longs débuts
du chapitre II3 –, et dans ces cas la langue en porte traces.
Sans doute faut-il tenir compte aussi du fait que les Russes
sont apparemment peu sensibles à des répétitions mal
supportables pour le lecteur français – nombreuses sont
par exemple, dans l’original du livre qu’on va lire, les récurrences de locutions comme « le processus de développement
du comportement de l’enfant », formulation qui peut même,
en tout ou partie, figurer jusqu’à trois fois dans une même
phrase – rude épreuve pour le traducteur.
Mais sans doute y a-t-il des raisons à la fois plus intimes
et plus publiques au poids qu’en plus d’un passage on sent
peser sur sa plume. Cet homme encore tout jeune – il n’a
pas trente-cinq ans lorsqu’il écrit les cinq premiers chapitres
d’Histoire du développement… – avance ici des vues révolutionnaires qui contestent sur le fond celles de sommités
internationales – on serait intimidé à moins. Dans le climat
de stalinisation de la vie intellectuelle qui commence à
toucher la psychologie soviétique en 1930, il ressent déjà
3. Cf. plus loin la note 17, p. 172.
82
Avertissement
nettement la réprobation ici ou là manifestée à l’égard de
son orientation de pensée – voilà qui gélifie vite l’aisance du
ton. Sur certains sujets, au-delà de certaines analyses, il sent
bien qu’il n’a pas les données expérimentales ni les moyens
conceptuels pour pousser plus loin sa démarche propre –
le style trahit aussitôt pareils épuisements de la ressource.
En bref, sous les alternances frappantes du bien écrit et du
moins bien lisible chez Vygotski se dessine comme la carte
muette des hauts et des bas d’une maîtrise de pensée au total
impressionnante.
Mais dans toutes ces conditions, on peut le dire sans
détour, avoir à traduire certaines pages de Vygotski n’est
pas véritablement un cadeau. Françoise Sève n’a cessé d’affronter cette difficulté majeure avec une belle éthique de
traductrice. Sa doctrine intangible se formulait en peu de
mots : traduire n’est pas récrire. Ce qui l’engageait à une fidélité dans le moins bon comme le meilleur : elle acceptait de
passer pour mauvaise traductrice plutôt que d’arranger le
texte, c’est-à-dire de s’arranger avec sa très exigeante déontologie. Mais au début de 2011 elle en était venue à l’idée que,
sans rien renoncer de ses impératifs intérieurs, elle pouvait
et sans doute devait aller un peu plus loin vers l’agrément du
lecteur français. Il était convenu qu’une fois l’ensemble du
livre informatiquement saisi, nous confronterions nos vues
sur ce qu’il y avait lieu de retoucher dans sa première moitié
même. J’ai donc eu, seul, à changer quelques choses d’une
version qu’elle avait tenue jusqu’à peu de mois auparavant
pour définitive – là fut le plus éprouvant de ma tâche.
Ces quelques choses changées, ce sont de fastidieuses
répétitions de mots supprimées, des termes à la longue purement explétifs – comme « processus » dans l’immanquable
« processus de développement » – dont j’ai fait souvent l’économie, des constructions de phrase qu’on pouvait avantageusement restructurer, en bref, une toilette terminale légère
dont j’ai la confiance intime qu’elle l’eût faite sienne. C’est
pourquoi en fin de compte, ma tâche achevée, j’ai cru pouvoir
en toute conscience et émotion écrire sur la page de titre :
« Traduction de Françoise Sève ».
***
Restent à donner quelques indications sur divers autres
aspects de la présente édition.
83
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
Sur les notes, d’abord. Pour un livre de cette nature, fortement daté dans sa teneur, exotique en sa provenance, allusif
en plus d’un passage, elles sont particulièrement indispensables. La plupart, données sans mention d’origine, sont
de Françoise Sève, qui a passé bien du temps à rechercher
notamment les références et vérifier le texte original des citations faites par Vygotski, chez Pavlov ou Binet, Lévy-Bruhl
ou Piaget, Freud ou Titchener, Aristote ou Spinoza, Hegel ou
Marx, et bien d’autres – j’ai eu à compléter ces recherches
chez Pierre Janet et Georges Politzer. Dans certains cas, l’édition russe donne des renseignements utiles qu’on a reproduits en indiquant « Note de l’édition russe ». J’ai été amené
à en introduire moi-même un certain nombre, notamment
dans la deuxième moitié du livre – elles sont suivies de la
mention « Note de L. S. ».
Comme on le verra, une part appréciable de ces quatre
cents et quelques notes est consacrée à indiquer le ou
les mots russes traduits, indications assorties parfois de
commentaires. La montée du niveau d’exigence théorique
dans les recherches vygotskiennes francophones, si sensible
de séminaire international en séminaire international4, nous
paraît faire obligation en effet d’être désormais plus attentif à l’aspect philologique des problèmes d’interprétation
que pose une pensée évidemment russe dans sa manière
d’être universelle. De façon générale, il semble temps d’aborder l’appropriation critique de l’œuvre vygotskienne au
niveau d’exigence auquel se pratique depuis des décennies
la lecture de Freud, et de quelques autres sommités de la
pensée psychologique. C’est en tout cas à ce vaste objectif
que l’annotation du présent volume s’est proposé d’apporter
une modeste contribution.
Quant à l’index des matières, j’aurais eu à faire seul le
très exigeant travail que souvent, et d’abord sur Pensée et
langage, nous avons fait à deux, si Michel Brossard n’avait
accepté d’y apporter aussi ses soins et sa compétence. Dans
une œuvre de cette sorte, dont la richesse est foisonnante,
un bon index est la clef du coffre ; aucun effort n’est de trop
pour que cette clef fonctionne vraiment. Et si l’on mesure
qu’Histoire du développement des fonctions psychiques supé4. Cf. à cet égard Vygotski maintenant, op. cit., qui, sans constituer les actes
du colloque Vygotski organisé au CNAM en 2010 à Paris, donne idée de la
riche matière qui y fut exposée et débattue.
84
Avertissement
rieures est le livre de Vygotski où s’expose sans nul doute
le plus complètement la conception historico-culturelle du
psychisme humain, si l’on ajoute à cela que les deux textes
donnés ici en annexe sont eux-mêmes des contributions
exceptionnellement précieuses à sa bonne intelligence, on
conclura que l’index des matières ici proposé se devait de
viser à être la plus précise et la plus exhaustive des introductions de recherche au vygotskisme. C’est dans cet esprit
qu’on s’est efforcé de le réaliser.
Rappelons pour terminer les principales équivalences en
prononciation française du système de translittération de
l’écriture cyrillique internationalement adopté en 1958 et
systématiquement appliqué dans les traductions de Vygotski
publiées par La Dispute – seuls les noms propres sont ordinairement l’objet d’une transcription plus intuitive :
c se lit ts
/č/ = tch
e=é
ë = io
g = gu
h = kh
j = i bref
s = s ou ss
/š/ = ch
u = ou
y = i dur
/ž/ = j
’ = signe mou
Puisse cette publication faire honneur posthume à la
grande dame de la traduction de Vygotski qu’est Françoise
Sève.
Chapitre premier
Le problème du développement
des fonctions psychiques
supérieures
« Les lois éternelles de la nature aussi se
transforment de plus en plus en lois historiques. »1
L’histoire du développement des fonctions psychiques
supérieures est un domaine totalement inexploré de la
psychologie. Quoique l’étude des processus de développement
de ces fonctions ait une importance considérable pour bien
comprendre et élucider tous les aspects de la personnalité de
l’enfant, on n’a pas jusqu’à présent tracé avec quelque netteté
les limites de ce domaine, on n’a pas pris conscience sur le
plan de la méthode de la façon dont les problèmes fondamentaux se posent ni des tâches qui incombent au chercheur,
on n’a pas élaboré la méthode d’investigation appropriée ni
ébauché et développé les rudiments d’une théorie, ou à tout
le moins d’une hypothèse de travail, qui aiderait le chercheur
1. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, Éditions sociales, Paris, 1952,
trad. Émile Bottigelli, p. 240.
87
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
à saisir le sens et présumer une explication des faits qu’il a
relevés au cours de son travail et des lois2 qu’il a observées.
Qui plus est, le concept même de développement des
fonctions psychiques supérieures appliqué à la psychologie de l’enfant – selon nous l’un des concepts centraux de
la psychologie génétique – reste jusqu’à maintenant encore
vague et confus. On ne l’a pas assez différencié d’autres
concepts apparentés ou voisins, on lui donne un sens
aux contours souvent flous, le contenu qui lui est assigné
manque de définition.
De toute évidence, tel étant l’état du problème, il faut
commencer par tirer au clair les concepts de base, poser les
problèmes fondamentaux et préciser les tâches de l’investigation. Tout comme la recherche dans un champ nouveau est
impossible si on ne donne pas aux questions auxquelles elle
doit répondre une formulation précise et nette, une monographie consacrée à l’histoire du développement des fonctions psychiques supérieures chez l’enfant, qui représente
un premier essai d’exposé systématique et de bilan théorique
de nombreuses recherches particulières en ce domaine, doit
partir d’une claire compréhension de l’objet à étudier.
La question se complique encore du fait qu’élucider cet
objet requiert un changement radical du regard traditionnel
qu’on porte sur le processus du développement psychique
chez l’enfant. Changer l’optique habituelle dans laquelle
on considère les faits du développement psychique est
une condition préalable absolue, sans laquelle on ne peut
poser correctement notre problème. Mais il est plus facile
d’assimiler mille faits nouveaux dans un domaine donné
que d’avoir un point de vue nouveau sur quelques faits déjà
connus. Cependant maints et maints faits, qui se sont intégrés de manière durable dans le système de la psychologie
de l’enfant et y ont trouvé leur place, sont comme déracinés
de leurs positions attitrées et se présentent sous un jour tout
nouveau lorsqu’on commence à les envisager sous l’angle du
développement des fonctions psychiques supérieures chez
l’enfant sans toutefois en prendre encore conscience sous
2. Le mot russe zakonomernost’ ici employé correspond au mot allemand
Gesetzmässigkeit et signifie : conformité à des lois, existence et développement selon des lois. Le plus souvent, il équivaut, surtout au pluriel, au
mot zakon (« loi »). Il est assez systématiquement employé dans la suite
du texte.
88
Le problème du développement des fonctions psychiques…
cet aspect. La difficulté de notre problème n’est pas tant
dans le manque d’élaboration et la nouveauté des questions
qui en font partie que dans la façon unilatérale et fausse de
poser ces questions, qui soumet tout le corpus de faits accumulé depuis des décennies à l’inertie d’une interprétation
erronée dont l’effet perdure jusqu’aujourd’hui.
La conception traditionnelle des faits relatifs au développement des fonctions psychiques supérieures a ceci d’unilatéral et d’erroné qu’avant tout et surtout elle ne sait pas
regarder ces faits comme ceux d’un développement historique, qu’elle les considère uniquement comme des formations et des processus naturels, qu’elle amalgame et ne différencie pas l’inné et le culturel3, le naturel et l’historique, le
biologique et le social dans le développement psychique
de l’enfant, en bref, qu’elle a de la nature des phénomènes
étudiés une conception incorrecte en son principe.
Il existe maintes recherches particulières et monographies remarquables consacrées à divers aspects, problèmes
et moments du développement des fonctions psychiques
supérieures chez l’enfant. Le langage et le dessin, la maîtrise
de la lecture et de l’écriture, la logique et la vision du
monde4 que se forge l’enfant, le développement des représentations et opérations numériques, et même la psychologie de l’algèbre et de la formation des concepts ont été
à de nombreuses reprises l’objet d’investigations exemplaires. Mais tous ces processus et phénomènes, toutes
ces fonctions psychiques et formes de comportement ont
été étudiés avant tout sous leur aspect naturel, ils ont été
examinés du point de vue des processus naturels qui les
suscitent et en font partie.
Les fonctions psychiques supérieures et les formes culturelles complexes de comportement avec toutes les particularités spécifiques de fonctionnement et de structure qui
leur sont inhérentes, avec toute la singularité de leur trajet
génétique depuis leur apparition jusqu’à la complète maturité ou la mort, avec toutes les lois5 propres auxquelles elles
3. Le mot russe kul’tura (et donc l’adjectif kul’turnoe) renvoie à la fois à la
culture et à la civilisation. Parfois Vygotski utilise le mot d’origine latine
civilizacija. Nous le signalons alors.
4. Mirovozzrenie. Cf. le commentaire sur le sens de ce terme à la fin de la
présentation ci-dessus.
5. Zakonomernosti.
89
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
sont soumises, sont habituellement demeurées en dehors du
champ de vision du chercheur.
Les formations et processus complexes ont en outre été
décomposés en éléments constitutifs et ont cessé d’exister en
tant que touts, en tant que structures. Ils ont été ramenés à
des processus d’ordre plus élémentaire, occupant une position subordonnée et remplissant une fonction déterminée
par rapport au tout dont ils font partie. De même qu’un organisme décomposé en éléments constitutifs révèle sa composition mais ne présente plus les propriétés et lois spécifiquement organiques, ces formations psychiques complexes
et formant un tout ont perdu leur qualité fondamentale et,
ramenées à des processus d’ordre plus élémentaire, ont cessé
d’être elles-mêmes.
Une telle façon de poser la question a influé de la manière
la plus funeste sur le problème du développement psychique
de l’enfant, car justement le concept de développement
diffère du tout au tout de la représentation mécaniste d’un
processus psychique complexe comme naissant de parties
ou d’éléments isolés, à l’instar d’une somme qui se forme par
addition arithmétique de termes séparés.
La domination exercée par cette manière d’envisager les
problèmes du développement des fonctions psychiques supérieures chez l’enfant a eu pour conséquence que l’analyse
d’une forme toute prête du comportement a en règle générale remplacé la mise au clair de la genèse de cette forme.
À la genèse s’est souvent substituée l’analyse d’une forme
complexe de comportement aux différents stades de son
développement, si bien qu’est née l’idée que ce qui se développe ce n’est pas la forme dans son tout mais ses éléments
pris isolément, dont la somme constitue à chaque étape
donnée telle ou telle phase dans le développement de cette
forme de comportement.
Plus simplement dit, le processus même de développement des formes supérieures et complexes de comportement
est dans cet état de choses demeuré inélucidé et on n’en a
pas pris conscience sur le plan de la méthode. Au lieu des
données de la genèse, on a d’ordinaire établi une coïncidence
purement externe, mécanique, chronologique entre l’apparition de tel ou tel processus psychique supérieur et tel ou
tel âge. La psychologie, par exemple, nous a appris que la
formation des concepts abstraits a lieu sous des formes bien
90
Index des auteurs cités
Ach Narziss (1871-1946). Psychologue allemand. – 31, 157, 222, 225,
226, 227, 231, 385, 403, 404, 405,
470, 485.
Aristote (384-322 avant notre ère).
Philosophe grec. – 84, 204, 524, 525.
Arséniev Vladimir K. (1872-1930).
Ethnologue russe. – 184, 547, 552.
Bacon Francis (1561-1626). Philosophe anglais. – 17, 471, 486, 487.
Bain Alexander (1818-1903). Psychologue écossais. – 424.
Bakouchinski Anatolii V. (18831939). Pédagogue russe. – 335.
Baldwin James (1861-1934). Psychologue américain. – 280, 331,
530, 535, 546.
Bassov Mikhaïl Ia. (1892-1931).
Psychologue russe. – 211, 212, 251,
252, 535, 549, 561, 563.
Bastian Adolf (1826-1920). Anthropologue allemand. – 200.
Bekhterev Vladimir M. (18571927). Psycho-neurologue russe. –
21, 154, 370, 412.
Bergson Henri (1859-1941). Philosophe français. – 384, 417, 435,
544, 550.
Binet Alfred (1857-1911). Psychologue français. – 17, 31, 84, 153, 154,
158, 262, 302, 376, 379, 411, 434, 439,
510-514, 573.
Bleuler Eugen (1857-1939). Psychiatre suisse. – 475, 477.
Blonski Pavel P. (1884-1941). Psychologue russe. – 17, 169, 270, 279,
280, 352, 379, 441, 447, 568, 572.
Bogen Helmut (1893- ?). Psychologue allemand. – 302.
Braille Louis (1809-1852). Inventeur français. – 57, 133, 501, 504.
Bühler Charlotte (1893-1974). Psychologue autrichienne. – 312, 313,
339, 342, 343, 545.
Bühler Karl (1879-1963). Psychologue allemand. – 45, 64, 125, 151,
254, 255, 256, 261, 275, 276, 277,
285, 315, 319, 341, 342, 344, 391,
397, 491, 492, 527, 534, 545, 550,
552.
Buridan Jean (1300-1358 ?). Philosophe français. – 172, 173, 175,
178-182, 468, 469, 470.
Burt Cyril (1883-1971). Psychologue anglais. – 353.
Carnot Sadi (1796-1832). Physicien français. – 189.
Cattell James (1860-1944). Psychologue américain. – 226.
Chakhmatov Alexeï A. (18641920). Linguiste russe. – 324.
Charcot Jean Martin (1825-1893).
Médecin français.
573
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
Claparède Édouard (1873-1940).
Psycho-pédagogue suisse. – 69,
272, 482, 539, 567.
Compayré Gabriel (1843-1913). Pédagogue français. – 434.
Dahl Vladimir I. (1801-1872). Linguiste russe. – 323, 324.
Darwin Charles (1809-1882). Naturaliste anglais. – 99, 216, 217, 258,
274, 275, 276, 319, 461.
Delacroix Henri (1873-1937). Psychologue français. – 331, 360, 535,
536.
Descartes René (1596-1650). Philosophe français. – 53.
Dewey John (1859-1952). Philosophe américain. – 201, 204, 572.
Dilthey Wilhelm (1833-1911). Philosophe allemand. – 99, 107, 108,
216, 558.
Dostoïevski Fiodor M. (1821-1881).
Écrivain russe. – 107.
Driesch Hans (1867-1941). Philosophe allemand. – 528.
Edinger Ludwig (1855-1918). Neurologue allemand. – 315.
Eliasberg Wladimir (1887-1969).
Psychologue allemand. – 31, 289,
397, 398, 400, 403, 405, 407, 408,
409, 445, 446.
Engels Friedrich (1818-1895). Penseur et homme politique allemand. – 17, 26, 38, 39, 40, 47, 87, 159,
160, 162, 163, 189, 195, 240, 487, 543.
Fedortchenko Sofia (1880-1959).
Écrivain russe. – 309.
Fichte Johann Gottlieb (1762-1814).
Philosophe allemand. – 536.
Foucault Marcel (1865-1947). Psychologue français. – 385.
Freud Sigmund (1856-1939). Fondateur autrichien de la psychanalyse. – 33, 84, 108, 164, 165, 417, 531,
532, 556, 557, 558, 560, 563.
Fröbel Friedrich (1782-1852). Pédagogue allemand. – 356.
Goethe Johann Wolfgang von
(1749-1832). Écrivain allemand. –
248, 290, 558.
Hall Stanley (1844-1924). Psychologue américain. – 269.
574
Hegel Georg W. F. (1770-1831). Philosophe allemand. – 23, 24, 30, 47,
49, 84, 161, 206, 239, 283, 471, 487,
556, 557, 561.
Heller Theodor (1869-1938). Psychologue autrichien. – 412.
Hering Ewald (1834-1918). Physiologiste. – 276, 394, 415.
Hessen (?). – 354.
Hetzer Hildegard (1899-1991).
Psychologue autrichienne. – 312,
340, 341, 343, 344, 352, 355, 358,
449, 450, 537, 545.
Höffding Harald (1843-1931). Philosophe danois. – 17, 238, 239, 260,
436, 557.
Husserl Edmund (1859-1938). Philosophe allemand. – 25, 99.
Jaensch Erich (1883-1940). Psychologue allemand. – 451, 452, 454,
458, 460-462, 506.
James William (1842-1910). Philosophe et psychologue américain. –
67, 173, 249, 473, 482, 484, 485.
Janet Pierre (1859-1947). Psychiatre et psychologue français. –
84, 280, 282, 488, 542, 544, 545,
546, 547, 550, 553.
Jennings Herbert S. (1868-1947).
Zoologiste américain. – 124-127,
160, 207, 458, 527.
Kapp Ernst (1808-1896). Philosophe allemand. – 204.
Katz David (1884-1953). Psychologue allemand. – 506.
Koffka Kurt (1886-1941). Psychologue américain d’origine allemande. – 15, 214, 255, 275.
Köhler Wolfgang (1887-1967).
Psychologue américain d’origine
allemande. – 15, 31, 39, 171, 181,
247, 253, 258, 266, 267, 268, 275,
278, 283, 302, 303, 315, 346, 386392, 394, 400, 449, 452, 455, 467,
506, 527, 534.
Kretschmer Ernst (1888-1964).
Psychiatre allemand. – 129, 198,
199, 238, 278, 285, 476, 478, 485,
486, 488, 523, 545.
Kroupskaïa Nadiejda K. (18681939). Femme politique russe. –
13, 27, 427, 565.
Index des matières
N. B. – Comme tout index des matières, cette liste de mots-entrées vise en premier
à permettre au lecteur de trouver ou retrouver aisément la page où figure telle ou telle
indication de l’auteur. Aussi n’y sont pas recensées les simples occurrences du motentrée mais celles seulement qui en éclairent le sens, renvoyant parfois à des passages
où figure clairement l’idée mais sans le mot. Selon la convention d’usage, le tiret qui
relie deux numéros de page (par exemple 390-392) indique que le mot-entrée y fait
l’objet d’un traitement continu de l’une à l’autre. Les indications de page qui renvoient
au texte de Vygotski sont données en caractères romains, celles en italique renvoient à
des passages de la présentation ou à des notes infrapaginales de l’éditeur.
Le but second – essentiel – du présent index est de faciliter le travail de recherche
sur la pensée vygotskienne. C’est pourquoi toutes les rubriques comptant un nombre
important de références sont subdivisées en sous-rubriques spécifiant les divers
aspects de sens du mot-entrée. Ces sous-rubriques sont en général classées par
ordre alphabétique ; pour quelques termes dont le traitement dans le texte est particulièrement riche, ces sous-rubriques nombreuses sont présentées dans un ordre
raisonné qui développe l’analyse du concept correspondant. Les renvois à d’autres
mots-entrées, de sens connexe ou adverse, visent à indiquer la cohérence propre de
la pensée vygotskienne.
Malgré tout le soin apporté à sa confection, cet index des matières peut receler
quelques oublis, voire erreurs. On est d’avance reconnaissant à tout lecteur qui nous
en signalerait, aidant ainsi à améliorer encore les éditions futures de l’ouvrage.
A
474, 482 , 528-529, 539, 571.
instrumental. – 422, 564, 568, 570.
Voir outil ; signe ; système.
abstraction, abstrait. – 103,
189, 342 , 344, 397, 399, 403, 404,
activité, actif. – 46-48, 167, 181,
406, 422 , 520, 524.
184, 185, 191, 193, 195, 201, 252 ,
acculturation, acculturé. – 280, 317-318, 571.
293 , 490-491. Voir culture.
instrumentale, médiatisée, médiaacquis. – 296. Voir étage ; stade.
tisante. – 29, 31, 47, 50, 54-56, 184185, 205-206, 235-237, 245, 251,
acte, action. – 154, 443, 471, 473,
579
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
289, 290, 363, 372-373, 375-376,
402.
sociale. – 197, 545, 548, 553, 564.
Voir culture ; moyen.
180, 468-470.
anencéphale. – 315.
animal. – 160, 198, 201, 267, 317,
activité nerveuse supérieure. – 462 , 529, 554.
différence entre homme et ~. –
116, 157, 190-192 .
182, 200-201, 256, 258, 379, 458,
adaptation
483, 487, 524, 563. Voir adaptaactive (humaine). – 23, 54, 122, 160,
tion.
162, 191, 193, 195, 202, 252, 261, anormal. – 132-134, 136, 288-289,
274-275, 276, 294, 527.
290, 503. Voir déficience.
passive (animale). – 23, 195, 252,
anthropologie, anthropolo276.
gique. – 45-50, 57, 73.
adolescent. – 63, 105, 106, 110,
111, 561.
anthropomorphisme, anthropomorphique. – 258, 275.
adulte. – 169, 270-272 , 375-376,
535.
aphasique. – 408-409.
rapport de l’~ avec l’enfant. – 291, appareil. – 196, 198, 562 .
364, 372, 395, 404, 406, 456, 460,
apprentissage. – 55, 291, 331,
534-535.
352 , 360, 490, 493.
Voir développement.
affect, affectivité. – 53, 62 ,
244, 392 .
âge. – 95, 96, 125, 126, 315, 440, 522.
du chimpanzé. – 125-126, 315, 527.
culturel. – 505, 508.
mental. – 505-506, 508.
premier âge. – 95-96, 440.
préscolaire. – 281, 440.
scolaire. – 281, 291, 538.
de transition. – 64.
aîné/cadet. – 536.
aliénation. – 49 -50.
alphabet braille. – 133, 359360, 501, 504.
âme. – 100.
analyse. – 31, 61, 90, 93, 141, 209213, 214-215, 219, 220, 221, 222 ,
226, 227, 230, 239, 245, 460, 521,
524.
dialectique. – 61.
dynamique. – 215, 221, 230.
explicative, causale. – 211, 215, 219.
génétique. – 222.
mécaniste. – 61, 226, 227.
Voir élément ; tout.
analytique. – 93, 210-213, 521.
Voir atomistique.
âne de Buridan. – 172-173, 179,
580
artificiel. – 330.
de l’écriture. – 352, 358.
naturel. – 357.
Voir développement ; éducation.
appropriation. – 48 -50, 55, 292 ,
549, 553.
aptitude. – 506-508, 512.
spéciale. – 509. Voir dons.
arithmétique. – 44, 186, 362364, 491, 496.
culturelle, médiatisée, scolaire. –
186, 187, 363, 366-367, 491, 497,
498.
naturelle, primitive, préscolaire. –
186, 187, 362-367, 491, 498.
arriération. – 131, 136.
artefact. – 205.
artificiel. – 56, 175-178, 182 , 184185, 186, 188-190, 192 , 246, 257,
354, 433, 567.
assimilation. – 292 , 506.
association, associatif. – 146,
214, 238.
associationniste. – 420.
atomisme, atomistique. – 93,
95, 210, 213, 223. Voir analyse.
attention. – 220-221, 369-370, 378.
T  
Présentation .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Avertissement .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
7
77
Chapitre premier. Le problème du développement
des fonctions psychiques supérieures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Chapitre II. La méthode d’investigation .
139
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre III. Analyse des fonctions psychiques supérieures . . . . . . . . . . 209
Chapitre IV. Structure des fonctions psychiques supérieures . . . . . . . . . 243
Chapitre V. Genèse des fonctions psychiques supérieures .
269
. . . . . . . . . .
Chapitre VI. Développement du langage oral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311
Chapitre VII. Préhistoire du développement du langage écrit .
329
. . . . . . .
Chapitre VIII. Développement des opérations arithmétiques . . . . . . . . . 361
Chapitre IX. Maîtrise de l’attention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369
Chapitre X. Développement
des fonctions mnémiques et mnémotechniques .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chapitre XI. Développement du langage et de la pensée .
. . . . . . . . . . . .
415
439
Chapitre XII. Maîtrise de son propre comportement . . . . . . . . . . . . . . . . 465
Chapitre XIII. Éducation des formes supérieures du comportement . . . 489
Chapitre XIV. Le problème de l’âge culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505
595
Histoire du développement des fonctions psychiques supérieures
Chapitre XV. Développement de la personnalité
et de la vision du monde chez l’enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521
Annexe I. [Sur la conception historico-culturelle
du psychisme humain] (1929) . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
541
Annexe II. La méthode instrumentale en psychologie (1928 ?) . . . . . . . . 565
Index des auteurs cités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 575
Index des matières .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
579