La manœuvre de la table
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La manœuvre de la table
CONDUITE À TENIR La manœuvre de la table À connaître en cas de fausse-route grave chez le sujet âgé Pr Hubert Blain1, Mireille Bonnafous1, Dr Michel David2, Pr Olivier Jonquet3, Dr Stephan Meyer4, Dr Nathalie Maubourguet5 E n France, près de 4 000 personnes décèdent chaque année des suites d’une fausseroute asphyxique. Ces décès surviennent essentiellement chez les enfants et les personnes âgées fragilisées par une affection neurologique dégénérative, des troubles de la déglutition d’ordre anatomique, ou par un traitement sédatif. Ce nombre est probablement sous-estimé, car un nombre important de décès est attribué à tort à un arrêt cardiaque ou une insuffisance coronarienne alors qu’il s’agit d’une fausse-route asphyxique, d’où l’importance de vérifier systématiquement la liberté des voies aériennes en cas d’arrêt cardiaque en ouvrant la bouche et en vérifiant l’absence de corps étranger en arrière-gorge [1]. La vérification de la liberté des voies aériennes supérieures sera aussi nécessaire en cas d’agitation, de cyanose des lèvres, du cou ou de la face, ou de rougeur de la face ou des yeux. 1. Unité de soins aigus gériatriques, Centre Antonin Balmes, CHU Montpellier, Université Montpellier 1 2. Département de médecine générale, Faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, Université de Montpellier 3. Département de réanimation médicale et d’assistance respiratoire, Hôpital Gui de Chauliac, CHU Montpellier, Université Montpellier 1 4. Président de l’Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (MCoor) 5. Société française des associations de médecins coordonnateurs en établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes COMMENT RÉAGIR ? Toute personne en contact avec des sujets âgés se doit de connaître les recommandations internationales face à une fausseroute chez l’adulte [2]. ÉTAPE 1 Le premier réflexe à avoir est d’appeler de l’aide et évaluer : • la conscience ; • la capacité à tousser ; • la capacité de respirer. En fonction de la situation, la conduite à tenir est résumée dans la fiche synthétique présentant la conduite à tenir en cas de fausseroute chez les personnes âgées. ÉTAPE 2 La deuxième étape est d’agir en fonction de l’évaluation. Si la personne a une conscience normale, est capable de tousser et de respirer : • il faut l’encourager à continuer de tousser en la rassurant ; • il ne faut pas mobiliser la victime pour ne pas induire la migration du corps étranger vers les voies respiratoires distales ; • il faut rester en sa présence jusqu’à l’expulsion du corps étranger. Si la conscience est normale, mais la toux et la respiration impossibles : • ouvrir la bouche et, si le corps Repères en Gériatrie • juin 2016 • vol. 18 • numéro 146 étranger est visible, libérer les voies aériennes au doigt ou par tout autre moyen, en utilisant en particulier une pince de Magill ; • quand le corps étranger n’est pas visible, administrer 5 claques dans le dos avec le plat de la main entre les omoplates, tout en maintenant le thorax avec l’autre main (Fig. 1) et arrêter si la victime reprend sa respiration et tousse. Attention, ces claques peuvent faire migrer le corps étranger vers les voies aériennes distales ; • en l’absence de reprise respiratoire, réaliser la manœuvre de Heimlich (Fig. 2) : le secouriste se place derrière la victime, l’enlace en passant ses bras sous les siens, met son poing droit en regard de l’estomac, recouvre le poing fermé avec la main gauche, penche la victime en avant et impose des pressions brusques en arrière et vers le haut ; • en l’absence de reprise respiratoire après manœuvre de Heimlich ou en cas d’impossibilité de réaliser la manœuvre de Heimlich (en cas d’obésité par exemple), réaliser la manœuvre de la table [3]. Cette manœuvre consiste à allonger la victime en position ventrale et déclive sur une table avec la tête et les bras pendants en dehors de la table, et à lui donner des claques dans le dos entre les deux omoplates. La victime est protégée d’une chute par le sauveteur qui la tient par l’épaule avec sa seconde 121 CONDUITE À TENIR main ou par un second sauveteur qui tient la victime par les chevilles (Fig. 3). Cette manœuvre associe les bénéfices des claques dans le dos et la position ventrale sur un plan dur pour augmenter la pression intrathoracique, la position déclive du sujet (la tête et bras pendants de la victime) prévenant la migration du corps étranger vers les voies aériennes distales. Cette manœuvre est très proche de la manœuvre de Mofenson utilisée chez l’enfant de moins d’un an. Tant que la conscience est normale, les différentes manœuvres (claques dans le dos, manœuvre de Heimlich et manœuvre de la table) peuvent être répétées avec, entre chaque manœuvre, l’ouverture de la bouche pour libérer les voies aériennes en cas de corps étranger visible. Dans tous les cas, en l’absence de reprise rapide de la respiration, il est recommandé d’appeler le plus tôt possible les secours (le 15 ou le 112 à partir d’un portable). Si la victime est inconsciente et la toux et la respiration impossibles : • si ce n’est pas déjà fait, faire appeler le 15 ou le 112 à partir d’un portable ; • faire chercher un défibrillateur automatique externe (le mettre en fonction dès que possible) et un insufflateur manuel ; • commencer immédiatement la réanimation cardiorespiratoire (Fig. 4) qui alterne : - 30 compressions thoraciques (fréquence 100/minute) La victime étant allongée sur le dos, sur un plan dur, le secouriste s’agenouille à ses côtés, place la paume d’une main sur la partie inférieure du sternum (milieu de la poitrine) et son autre main à plat au-dessus de la première, l’appui ne devant pas se faire sur les côtes. Les bras bien droits, les coudes bloqués, le secouriste se place verticalement au-dessus de la victime et déprime le sternum sur 5 centimètres, puis laisse remonter ses mains. - 2 insufflations Insuffler progressivement en 2 secondes pour que la poitrine de la victime se soulève soit avec l’insufflateur manuel (avec la main droite, soulever le menton de la victime) ou par bouche-à-bouche (main gauche placée sur le front, obstruer le nez avec le pouce et l’index en maintenant la tête de la victime en arrière). L’important est au moins d’effectuer les compressions thoraciques, qui, mécaniquement et passivement, permettent l’entrée d’air dans l’arbre respiratoire et le maintien de la perfusion des tissus. Ces recommandations et manœuvres ont été rassemblées sous la forme d’une affiche qui a été validée par la Société française de gériatrie et gérontologie, la Société française des associations de médecins coordonnateurs en établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes, la Société de médecine d’urgences, et la Société de réanimation de langue française (fiche synthétique). n Correspondance : Pr Hubert Blain Unité de soins aigus gériatriques Centre hospitalier universitaire de Montpellier 39, avenue Charles Flahault 34295 Montpellier Cedex 5 France Tél. : 04 67 33 67 90 E-mail : [email protected] Remerciements : Les auteurs remercient Alexandre Blain pour son aide précieuse dans l’iconographie de ce manuscrit. ✖✖H. Blain déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Mots-clés Fausse-route, Conduite à tenir, Claques dans le dos, Manœuvre de Heimlich, Manœuvre de la table, Réanimation cardiorespiratoire Bibliographie 1 Haugen RK. The café coronary. Sudden death in restaurants. JAMA 1963 ; 186 : 142-3. 2 International Liaison Committee on Resuscitation. 2005 International Consensus on Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care Science with Treatment Recommendations. Part 2 : Adult basic life support. Resuscitation 2005 ; 67 : 188-9. 3 Blain H, Bonnafous M, Grovalet N et al. The table maneuver: a procedure used with success in four cases of unconscious choking older subjects. Am J Med 2010 ; 123 : 1150.e7-9. Retrouvez et commandez tous les numéros de 2015 et 2016 et des années précédentes sur le site : www.geriatries.fr 122 Repères en Gériatrie • juin 2016 • vol. 18 • numéro 146 La manœuvre de la table FIGURE 1 - Les claques dans le dos présentent un FIGURE 2 - La manœuvre de Heimlich est à mettre en intérêt quand la victime d’une fausse-route est place quand la victime d’une fausse-route est consciente, consciente, mais incapable de parler et de respirer. mais incapable de parler et de respirer, en alternative, ou après échec de 5 claques dans le dos. FIGURE 3 - La manœuvre de la table, de par sa simpli- FIGURE 4 - La réanimation cardiorespiratoire est débutée cité, peut être utilisée en cas d’impossibilité de réaliser en cas de troubles de la conscience. la manœuvre de Heimlich ou après échec de celle-ci chez les patients qui ne sont pas en arrêt cardiorespiratoire. Repères en Gériatrie • juin 2016 • vol. 18 • numéro 146 123 CONDUITE À TENIR 124 Repères en Gériatrie • juin 2016 • vol. 18 • numéro 146