critiques de livres - Revue militaire canadienne
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critiques de livres - Revue militaire canadienne
CRITIQUES DE LIVRES SAINTS, SINNERS, AND SOLDIERS: CANADA’S SECOND WORLD WAR par Jeffrey A. Keshen UBC Press, Vancouver, 2004 389 pages Compte rendu du colonel (retr.) Randall Wakelam L a plupart des historiens de la Seconde Guerre mondiale s’intéressent aux grandes batailles et aux grands hommes. Certains se penchent sur les origines de cette guerre, d’autres, moins nombreux, sur ses conséquences. Ces études portent le plus souvent sur les théâtres d’opérations et les sphères du pouvoir, et il y est surtout question des stratégies, de la doctrine et de la tactique qu’utilisaient les forces combattantes et les forces de soutien. On peut cependant étudier la guerre sous un autre angle, celui de ses répercussions sur la vie quotidienne. C’est la perspective qu’adopte Jeffrey A. Keshen, de l’université d’Ottawa, dans Saints, Sinners, and Soldiers, où il examine un certain nombre de facteurs sociaux qui ont influé sur le mode de vie des Canadiens pendant la guerre, au Canada et outre-mer. Il étudie aussi l’influence de ces facteurs sur les tendances qui ont vu le jour après la guerre. Quand on lit les passages sur les femmes dans le milieu du travail, il n’est pas difficile de faire le lien avec la vie actuelle. Keshen commence par rappeler au lecteur que la plupart des Canadiens considéraient la Seconde Guerre mondiale comme une « bonne guerre » pour de nombreuses raisons : la défaite de Hitler, l’importance croissante du Canada sur la scène internationale, l’essor de l’économie nationale et la création de nombreux programmes sociaux durables. Il déclare toutefois que ce qui était « moins bon » est tout aussi important : la recherche du profit, les grèves pour obtenir des augmentations de salaires, le déclin de la morale et l’effondrement des valeurs et des structures familiales. Il conclut que, à la fin de la guerre, les Canadiens avaient la ferme conviction qu’il fallait des solutions sociales pour rétablir la stabilité après les années de dépression et de conflit. Keshen se penche en particulier sur le patriotisme et sur son rôle dans la politique; sur le bénévolat, la protection intérieure et la conscription; sur l’expansion économique et les problèmes causés par la croissance (contrôle des prix et des salaires, 102 marché noir et recherche du profit); sur le rôle de la morale dans la vie de couple, l’infidélité, l’alcoolisme et la vie sexuelle (pour ces questions d’ordre moral, il étudie autant les civils que les militaires, au Canada et outre-mer). La section sur la vie sexuelle est suivie d’une étude du rôle et du statut des femmes qui portaient l’uniforme et de celles qui travaillaient. Si les parents ne pouvaient pas rester chez eux pour élever leurs enfants, ceux-ci pouvaient devenir délinquants et le devenaient effectivement. Keshen soutient que tous ces facteurs ont incité les citoyens à vouloir faire du Canada un meilleur pays après la guerre. Il y a lieu de se demander si la grille d’analyse inclut tous les paramètres. Elle est toutefois très détaillée et pourra servir de base à des lectures plus poussées ou au travail d’autres chercheurs. Certes, Keshen n’est pas le premier à étudier ces questions, et il le reconnaît, mais c’est la première fois qu’un historien canadien tente de synthétiser dans un paradigme cohérent ce qui peut passer pour des influences contradictoires. En élaborant son modèle, il a puisé dans des sources publiées à l’étranger et au Canada. Cependant, il utilise aussi une grande quantité de documents originaux provenant d’archives ou publiés dans les journaux et les revues de l’époque. On peut reprocher à ce livre l’absence de bibliographie ou d’une bibliographie annotée, qui permettrait au lecteur de consulter facilement les sources au lieu d’avoir à s’y retrouver dans une série complexe de notes en fin d’ouvrage. Une autre critique peut être émise sur la nature assez impersonnelle du texte, qui ne se concentre pas sur quelques grands personnages, mais présente une série d’expériences individuelles. Cela dit, Saints, Sinners, and Soldiers vaut la peine d’être lu. Les militaires qui veulent tirer des enseignements opérationnels de l’histoire ne se rendront peut-être pas tout de suite compte de la valeur de ce livre. Il suffit pourtant de se rappeler que notre ethos militaire repose sur les valeurs et les principes moraux de la société canadienne pour voir que c’est en comprenant le mode de vie des Canadiens pendant la Seconde Guerre mondiale que nous pouvons mieux connaître et maîtriser les facteurs qui ont aujourd’hui une influence sur tous les Canadiens, qu’ils portent ou non l’uniforme. Randall Wakelam, pilote dans les forces canadiennes et officier d’état-major pendant de nombreuses années, poursuit maintenant des études doctorales en histoire militaire à l’université Wilfrid Laurier. Revue militaire canadienne ● Hiver 2004 – 2005