La force interafricaine de maintien de la paix au Tchad
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La force interafricaine de maintien de la paix au Tchad
LA FORCE INTERAFRICAINE DE MAINTIEN DE LA PAIX AU TCHAD : un essai non concluant. Par Charles NACH MBACK Docteur en Droit Public Enseignant à Université de Douala Rapporteur de l’Observatoire Africain de la Décentralisation Article paru in Dominique Bangoura (éd.), La recherche de la paix en Afrique, Paris, OPSA, 1998 Plan INTRODUCTION I- LA FIA : UN ACCOUCHEMENT DIFFICILE A- Le difficile consensus pour une force de paix au Tchad 1) L’évacuation des forces étrangères a. Les forces françaises b. Les forces libyennes 2) L’échec de la première force de paix B- La création de la FIA 1) Le caractère panafricain de la FIA a. L’accord de Nairobi b. Le rattachement à l’O.U.A C- La protection internationale de la FIA II- LA FIA : UN ROLE CONTROVERSE A- La controverse sur le mandat de la FIA 1) La lettre de l’accord de Nairobi 2) L’interprétation des acteurs B- Les difficultés dans l’action 1) Les difficultés d’organisation et de fonctionnement 2) La difficile neutralité CONCLUSION 1 INTRODUCTION La force africaine de paix au Tchad est créée à un moment où les guerres civiles à répétition avaient atteint à la fin de la décennie 70 le point de la désagrégation de l’Etat tchadien lui-même, malgré de multiples initiatives internationales visant à ramener la paix dans ce pays (1). Les interventions étrangères dans des cadres bilatéraux formels ou informels (France et Libye notamment) avaient jusque-là échoué à instaurer une paix durable sur l’ensemble du pays. L’OUA devait donc trouver là à expérimenter une vieille idée restée à l’état de projet : l’instauration d’un système de sécurité collective à l’échelle du continent africain. La création des forces armées en tant que moyen de contrainte ou de dissuasion mis à la disposition des organisations internationales est liée au problème de sécurité collective en Afrique (2). Une préoccupation que les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine avaient faite leur dès les premières années des indépendances. En 1961 déjà, le Président Julius NYERERE soutenait l’idée que les Etats africains n’avaient besoin que de forces de police pour maintenir l’ordre et la sécurité à l’intérieur de leurs frontières respectives. Pour le règlement des conflits interétatiques et pour la sécurité extérieure, la question devait être traitée à l’échelle continentale. Son pays se dota néanmoins d’une armée. Et comme elle se mutina, le Chef de l’Etat fit appel aux troupes britanniques, puis, sous l’égide de l’OUA, celles-ci furent remplacées par des soldats nigérians. La Charte d’Addis-Abeba prévoyait en 1963 une commission de défense. Il s’agissait d’un organisme consultatif de préparation et de recommandation pour la défense collective ou l’auto-défense des Etats membres de l’OUA contre toute agression extérieure (3). Par la suite, l’intervention franco-belge au Zaïre en 1978 amena les Chefs d’Etat réunis au Sommet FrancoAfricain à proposer la mise sur pied d’une Force interafricaine. Mais comme l’explique BIYOYA, il s’agissait surtout de conforter à posteriori l’opération « Shaba II » à laquelle avaient également pris part des contingents africains pour assurer la relève des troupes françaises et belges au Zaïre (4). L’origine française de l’initiative suscita l’hostilité des Etats africains dits alors progressistes (Congo, Madagascar). C’est l’affaire tchadienne qui donna à l’organisation panafricaine l’occasion de mettre en œuvre ce principe. La profonde crise qui déchire le Tchad depuis l’indépendance s’interrompt momentanément en 1979 lorsque trois conférences internationales tenues à Kano et une quatrième à Lagos au Nigéria tentent de réconcilier les onze principales tendances politico-militaires qui s’affrontent quotidiennement sur le terrain. Un Gouvernement d’Union Nationale de Transition (GUNT) est mis sur pied avec GOUKOUNI OUEDDEI leader des Forces Armées Populaires (F.A.P.) comme Président, le Colonel Wadal Abdelkader KAMOUGUE, principal leader du Sud du pays comme Vice-Président, et HISSEIN HABRE des Forces Armées Nationales (F.A.N.) comme Ministre de la Défense. Le calme revint, mais pas pour longtemps. En Mars 1980, les F.A.N. d’HISSEIN HABRE entrent en guerre contre le reste de la coalition gouvernementale. Le Président du GUNT demande et obtient le soutien décisif de la Libye. En Décembre 1980, les F.A.N. défaites doivent quitter le pays. C’est le retour du calme. Mais très vite, la présence libyenne est décriée tant au Tchad qu'à l’étranger. Autant dire que la paix durable n’est pas acquise malgré l’éradication de la rébellion des F.A.N. Les Etats africains doivent encore s’efforcer d’y arriver : il s’agit de doter le Tchad d’un mécanisme qui y assure une transition politique vers la 1 Guy Jérémie NGANSOP, Tchad, Vingt ans de Crise, L’Harmattan, 1986, pp. 102-104. M. K. BIYOYA, « Réflexion sur les systèmes de sécurité collective régionale », in Le Mois en Afrique, Février-Mars 1986, pp.273 et ss. 3 Tran Van MINH, « Les conflits », in Encyclopédie juridique de l’Afrique, T. 2, Ch. XII, pp. 311-340, Dakar/Abidjan, N.E.A., 1982. 4 Pierre-François GONIDEC, Les organisations internationales africaines. Etude comparative, Paris, L’Harmattan, Coll. « Droits et Sociétés », 1987, p. 153. 2 1 2 reconstruction institutionnelle du pays. L’instrument d’exécution de ce projet est la Force Interafricaine de l’OUA au Tchad (F.I.A.). A l’échelle du Continent, ce projet original en Afrique (5) intervenait dans un contexte favorable. Avec le mouvement de reconstitution des mécanismes régionaux de sécurité en 1980, l’idée de création d’une force panafricaine fut à nouveau évoquée dont le rôle consisterait à soutenir les Etats membres en cas d’agression par un Etat non membre de l’OUA, et à fournir une force de maintien de la paix en cas de conflit entre Etats membres. De ce point de vue, « la création de la F.I.A. au Tchad pouvait être perçue comme un banc d’essai »(6). Malheureusement, les difficultés qui entourent sa naissance (I) ainsi que son opacité opérationnelle (II) empêcheront la FIA de tenir les espoirs placés en elle. I. LA F.I.A. : UN ACCOUCHEMENT DIFFICILE La multiplicité des acteurs politico-militaires et l’impossibilité pour les politiques de s’entendre sur un programme minimum pour la direction du pays d’une part, l’absence de confiance mutuelle qui pousse chaque chef de tendances à ne vouloir compter que sur sa propre armée ou sa milice privée ainsi que ses appuis extérieurs d’autre part, conduisent à un constat unanime : aucun des groupes armés (F.A.P., F.A.N., C.D.R., F.A.C., etc.) n’est à mesure de garantir la paix et la stabilité sur l’ensemble du pays. Au Tchad comme à l’étranger, les opinions s’accordent progressivement quoique difficilement sur la nécessité d’une force neutre pour assurer une paix durable et générale dans le pays (A). Cet acquis permet à l’Organisation de l’Unité Africaine de concrétiser ses efforts en créant la Force Interafricaine de maintien de la paix au Tchad (B). A- Le difficile consensus pour une force neutre de paix au Tchad Dans le contexte d’un Tchad où les alliances conjoncturelles et fragiles laissent finalement tout le monde en guerre contre tout le monde, la neutralité est la vertu principale d’une force de paix. Ce dont ne pouvaient se prévaloir les forces étrangères venues en renfort à tel ou tel des protagonistes. Leur départ devient une revendication minimale à laquelle tous les acteurs du conflit tchadien vont se rallier progressivement quoique à contre cœur pour certains. Ce préalable permettra à l’OUA de tenter une première expérience de mise sur pied d’une force véritablement panafricaine. 1. L’évacuation des forces étrangères A la fin des années 70, la France traîne déjà une longue tradition de présence militaire multiforme dans les pays africains grâce à des accords bilatéraux de défense commune passés avec ses anciennes colonies au lendemain des indépendances. Au Tchad, à la faveur de la chute du gouvernement du Président Félix Malloum, elle y est bientôt concurrencée puis supplantée par la Libye. Mais l’une et l’autre puissance devront renoncer au moins momentanément à leur emprise sur le pays. a. Les forces françaises En 1980, la duplicité de la politique tchadienne de la France a achevé de la discréditer aux yeux du gouvernement tchadien des factions rebelles (7). En effet, délibérément où sous la pression des événements, Paris est amenée à négocier tour à tour, et parfois concomitamment avec le gouvernement légal du Tchad et les rebelles. 5 Deux précédents avaient vu le jour hors du Continent. En premier lieu, une force interaméricaine de paix avait été constituée par l’organisation des Etats américains le 9 Mai 1965 à la suite de l’intervention des Etats-Unis à Saint-Domingue. En 1976 ensuite, la Ligue Arabe mit sur pied une force arabe de maintien de la paix au Liban. Voir à ce sujet Jean-Claude GAUTRON, Remarques sur la Force de Maintien de la Paix au Tchad, in Mélanges à Pierre-François GONIDEC, Paris, L.G.D.J., 1985, p. 482. 6 Jean-Claude GAUTRON, op. cit., p. 482. 7 La politique tchadienne de la France sous Valery Giscard d’ESTAING, in Politique Africaine, n° 16, Le Tchad, Décembre 1984, pp. 92 et ss. 2 3 L’armée française intervient contre les rebelles en 1968 dans le Tibesti pour une opération ponctuelle, puis en 1969 dans le cadre d’une intervention généralisée qui va durer jusqu’en 1971. En 1974, ce que l’histoire devait enregistrer sous la dénomination de « l’affaire Claustre » (8) obligea la France à pactiser avec la rébellion dirigée par HISSEIN HABRE. Les relations franco-tchadiennes se détériorèrent considérablement par la suite. Le 22 Septembre 1975, le Gouvernement du Président Félix MALLOUM décide de paralyser toute activité militaire française sur le sol tchadien et ordonne l’évacuation de la base militaire française du Sahr. Moins d’une semaine plus tard, et plus précisément le 27 Septembre 1975, Paris est sommé de retirer ses troupes stationnées au Tchad. Mais une série d’initiatives de part et d’autre finissent par ramener la sérénité entre Paris et N’Djaména en Mars 1976 (9). Lorsque les rivalités entre Félix MALLOUM et HISSEIN HABRE débouchent sur la première bataille de N’Djaména, la France dispose au Tchad de 2 500 soldats et d’importants matériels de guerre. Sous la direction du Général FOREST, l’Armée française soutient le Gouvernement tout en évitant à la rébellion d’HABRE de subir des pertes irréparables. Car, comme le soutient MOURRIC, Paris avait besoin des deux camps. Le cessez-le-feu du 19 février 1979 ne consacre pas de vainqueur. Ce qui permet à la France de tenter d’imposer une image de neutralité. Mais très vite, cette politique est décriée par nombre d'acteurs tchadiens pendant et après la deuxième bataille de N'Djaména (1979). C’est d’abord les F.A.T. du Colonel KAMOUGUE qui donnent le ton en accusant ouvertement la France de soutenir HISSEIN HABRE. Dans les médias méridionaux, on assiste à un tir groupé : Unité-Hebdo soutient en avril 1980 que la France aide militairement les F.A.N. dans tous les sens. Radio Moundou demande en conséquence le départ des 1200 soldats français présents à N’Djaména. L’Agence Tchadienne de Presse (A.T.P.) proche des F.A.P. de GOUKOUNI OUEDDEI note qu’en mettant sur un pied d’égalité GOUKOUNI OUEDDEI, Président du GUNT et par là représentant de la légalité et HISSEIN HABRE, représentant la rébellion, la France ne favorise pas le processus de paix. Les médias français seront de même accusés de partialité et R.F.I. deviendra « Radio FAN Internationale » (10). Or les F.A.N. eux-mêmes accusent la France d’aider le GUNT dans cette guerre. Ainsi attaquée de tout côté pour sa politique au Tchad, le Président Valery Giscard d’ESTAING ordonne le 16 Mai 1980 le retrait des forces françaises. Même le Gouvernement socialiste restera sur une politique de non intervention directe (11). Mais plutôt que de favoriser une endogénisation du conflit en laissant les Tchadiens régler eux-mêmes leurs divergences, le départ des soldats français ouvre le champ à une intervention directe de la Libye dans les affaires internes du Tchad. b. Les forces libyennes Le 15 Juin 1980 à Tripoli, le GUNT dirigé par GOUKOUNI OUEDDEI signe avec la Libye un traité « d’alliance et d’amitié » engageant les deux pays à se défendre mutuellement contre toute « agression extérieure directe ou indirecte ». Les deux parties se faisaient par cet accord obligation d’apporter leur soutien dans le cas où l’une des parties ou les deux seraient exposées à un « danger direct ou indirect ». La deuxième bataille de N’Djaména qui oppose les F.A.N. d’HISSEIN HABRE au GUNT depuis le 21 Mars 1980 tombe sous le coup de ce dernier point de la Convention Tchado-libyenne de Juin 1980. 8 Le 21 Avril 1974, le CCFAN dirigée par HISSEIN HABRE prend en otage un chercheur français, Mme Claustre. C’est le processus difficile de sa libération qui mit le gouvernement en situation de devoir ménager le gouvernement et la rébellion (voir les développements que consacre à cette affaire N. MOURRIC, op. cit. pp. 89- 100). 9 Visite à N’Djaména de M. Jacques CHIRAC alors Premier Ministre, venu signer de nouveaux accords de coopération. 10 Cité par G. J. NGANSOP., op. cit., p. 110 et ss. 11 En Novembre 1981, le Ministre de la Coopération Jean-Pierre COT affirme : « Nous ne voulons pas que la France apparaisse comme intervenant dans les affaires africaines. Nous souhaitons y être le moins présents possible » (in Le Matin, 3 Novembre 1981). 3 4 A partir du 18 novembre 1980, des soldats libyens appuyés par l’aviation entrent en guerre au Tchad aux côtés du GUNT. Après la défaite des F.A.N. consommée le 15 Décembre avec la fuite au Cameroun d’HISSEIN HABRE, Tripoli renforce sa présence militaire au Tchad. L’année 1981 s’ouvre ainsi au Tchad sur un paysage politique et militaire dominé par une présence libyenne massive et bientôt envahissante. Près de 15.000 soldats de la Jamahiriya stationnent dans le pays. Mais l’hostilité à l’égard de la Libye éclate au grand jour lorsqu’en janvier 1981, le monde est informé de la fusion entre les Etats tchadien et libyen. Cet accord soulève immédiatement un véritable tollé tant au Tchad qu’à l’étranger (12). L’ancien et éphémère Président du GUNT, Lol MAHAMAT CHOUA conviera tous les Tchadiens à la « mobilisation générale ». A son analyse, leur «existence en tant que peuple et nation est gravement menacée ». Il préconise alors des manifestations au Tchad et à l’étranger pour enrayer les « ambitions hégémonistes du Colonel KADHAFI ». Il fait de la Libye l’ennemi commun que tous les Tchadiens sans exclusive doivent combattre. A l’étranger, le Gouvernement français dès le 8 Janvier 1981 dénonce l’accord de fusion entre le Tchad et la Libye comme contraire aux accords de paix de Lagos auxquels Tripoli a lui-même souscrit. Surtout, « il ignore les droits du peuple tchadien, auquel il ne permet pas de se prononcer librement. Il dévoile des ambitions qui constituent une menace pour la sécurité en Afrique ». Le Vice-Président du GUNT dénonce, au-delà de la présence militaire, l’arabisation forcée pratiquée au Tchad par la Libye. Le Colonel KAMOUGUE trouve le mariage tchado-libyen impossible. La population de N’Djaména manifeste dès le 12 Janvier contre la présence libyenne. Ce jour-là, un conseil des ministres du GUNT se réunit et déclare que l’accord de fusion n’est pas exécutoire. Du côté de Tripoli, on joue également l’apaisement. Le Ministre des Affaires Etrangères, M. TRIKI affirme que seules les élections législatives prévues au Tchad en Février 1982 sont le préalable à une unité constitutionnelle entre les deux pays (13). La proposition du GUNT évolue encore d’un cran en Mai 1981. Au cours d’une rencontre avec M. AHMADOU AHIDJO alors Chef de l’Etat du Cameroun, GOUKOUNI OUEDDEI se prononce pour la première fois, pour l’envoi d’une force neutre interafricaine au Tchad en vue de remplacer les troupes libyennes. A Nairobi où elle tient sa conférence annuelle des Chefs d’Etat, l’OUA réaffirme son soutien au GUNT et exhorte tous les Etats membres (dont la Libye) à s’abstenir de toute ingérence dans les affaires intérieures du Tchad. Sur le plan bilatéral, les rapports entre N’Djaména et Tripoli se détériorent passablement. La Libye sera même accusée de renforcer des tendances tchadiennes favorables à ses vues afin d’affaiblir le GUNT et son Président (14) . Nombre de Chefs d’Etat d’Afrique Noire francophone voient dans la main-mise libyenne sur le Tchad une menace grave à la sécurité de leurs pays respectifs. Le guide de la révolution n’ayant jamais fait mystère de son projet de création d’un Etat sahélien. Ils saisissent la France à ce sujet et exercent des pressions sur le GUNT. Le 29 octobre 1981, à l’issue d’un orageux conseil des ministres, le GUNT décide le départ des troupes libyennes et en fixe le terme au 31 décembre. Prenant la balle au vol, le Colonel KADHAFI annonce le retrait immédiat de ses soldats. Le Président du GUNT qui n’avait consenti à l’évacuation des troupes libyennes que sur la promesse d’une solution de rechange est pris de court : la F.I.A. 12 Devant la réprobation générale que suscite cet accord de fusion, GOUKOUNI OUEDDEI essayera de s’en désolidariser. Cependant que le Colonel KADHAFI s’efforcera de minimiser la portée de l’accord. (Voir Robert BUIJTENHUIJS, le Frolinat et les guerres civiles au Tchad (1977-1984), Paris, Karthala/ASC, 1987, pp. 177 et ss). 13 Cité par R. BUIJTENHUIJS, op. cit., p. 182. 14 Déjà en Avril 1981, l’Agence de Presse Soudanaise (SUNA) suggéra que Tripoli renforçait les positions militaires du C.D.R. tout en poussant Ahmat Acyl, membre du GUNT à s’opposer à Goukouni. Quelques jours seulement après les révélations de la SUNA, des combats opposèrent à Abéché des partisans de Goukouni et des éléments du CDR appuyés par des soldats libyens. Puis en Octobre 1981, à Mongo et à Dourbali, le CDR épaulé par la Libye affronte les troupes fidèles à Mahamat Abba Seïd. 4 5 destinée à remplacer l’armée libyenne n’est pas prête à intervenir. Les angoisses du Président OUEDDEI sont d’autant plus justifiées que la première expérience d’une force neutre au Tchad s’était soldée par un échec total. 2. L’échec de la première force de paix Afin de reconstruire la paix au Tchad à la suite de la première bataille de N’Djaména, une conférence de paix est organisée à Kano au Nigeria en Mars 1979. L’accord de cessez-le-feu qui en sanctionne les travaux prévoit « une force neutre effective » fournie par le Nigeria. Mais son application fut brève et les soldats nigérians durent quitter le Tchad dans des conditions fort difficiles. Du 13 au 18 août de la même année, se tient à Lagos au Nigéria, une nouvelle rencontre internationale sur le problème tchadien. Au contraire de l’accord de Kano, l’accord de Lagos évite de confier la constitution d’une force neutre à un seul pays, et surtout pas à des pays limitrophes du Tchad. Le Bénin, le Congo, la Guinée furent sollicités pour la constitution de cette force neutre multilatérale chargée des missions suivantes au Tchad : - protection des populations civiles ; - désarmement des factions et contrôle des poudrières ; - aide à la constitution d’une armée nationale intégrée. La coordination de cette première F.I.A. fut confiée au Congo. Après plusieurs réunions entre les trois pays sollicités, le Congo envoya à N’Djaména un contingent de 550 soldats grâce à un pont aérien assuré par l’Algérie le 19 janvier 1980. Le Bénin et la Guinée ne purent, pour des raisons diverses envoyer leurs contingents. Les troupes congolaises de leur côté se montrèrent incapables de s’interposer seules entre les belligérants lorsque éclata, en Mars 1980, la deuxième bataille de N’Djaména. La mort d’un soldat congolais sonna l’évacuation des troupes congolaises. Celle-ci fut effective le 03 Avril 1980. Cet échec ne découragea pas pour autant l’OUA qui continua à inscrire à l’ordre du jour de toutes ses rencontres la question de la constitution d’une F.I.A. pour la paix au Tchad. B. LA (RE)naissance de la F.I.A. C’est finalement au cours de la XVIIIè Conférence des Chefs d’Etats de l’OUA tenue à Nairobi (24-27 Juin 1981) qui adopta la résolution AHG/RES-102 (XVIII)/Rev.1. Celle-ci met l’accent sur l’envoi d’une « force panafricaine de maintien de la paix dont la composition serait soumise au préalable à l’acceptation du GUNT… ». Hors d’Afrique, le Président François MITTERAND qui assiste au Sommet de Cancun au Mexique en octobre 1981 exhorte le Président ARAP MOI, Président en exercice de l’OUA, à prendre toutes les dispositions pour la constitution et l’envoi au Tchad d’une force de paix. L’accord sur le statut de la F.I.A. est finalement négocié et signé à Paris et à N’Djaména par le Président du GUNT et le Secrétaire Général de l’OUA. Il crée une force vraiment panafricaine jouissant d’une protection internationale. 1. Le caractère panafricain de la F.I.A. Le caractère panafricain de la F.I.A. découle de l’accord de Nairobi qui rattache la force de paix de l’OUA et lui assure une protection internationale. 5 6 a. L’accord de Nairobi La F.I.A. naît formellement en novembre 1981 au cours d’une conférence de l’OUA qui se tient dans la capitale kenyane. L’accord de Nairobi en fixe les modalités d’action (15). Sa conception lui donnait un caractère multilatéral comme sa devancière. Elle devait être constituée outre du Bénin, du Gabon et du Togo, du Nigeria, du Sénégal et du Zaïre. Les trois premiers déclinèrent la proposition , Madagascar et l’Algérie sollicités refusèrent leur participation. Finalement, seul les trois derniers pays de la liste acceptèrent d’envoyer des troupes sur le terrain dans le cadre des opérations purement militaires. Le Kenya dépêcha 29 observateurs militaires, l’Algérie 19, la GuinéeBissau et la Zambie 04 chacun. Tout ce personnel relevait directement de l’OUA. b. Le rattachement à l’OUA Le point II de l’accord de Nairobi rattachait le commandement de la F.I.A. au secrétariat général de l’OUA. Ce dernier était responsable des opérations de maintien de la paix et de la nomination du commandant en chef de la force,. M. EDEM KODJO délégua dans ces attributions un représentant personnel, l’Ethiopien GEBRE EGIABER DAWIT. En tant que bras séculier de l’organisation panafricaine, la F.I.A. devait adresser à son Président en exercice un rapport périodique sur ses activités : c’était donc un organe subsidiaire de l’OUA. Que l’accord ait été préalablement soumis à l’approbation du GUNT n’établissait pas un lien de subordination même indirecte de la F.I.A. au gouvernement tchadien. Le point V de l’accord de Nairobi précisait d’ailleurs que « la force de maintien de la paix de l’OUA est un organe de l’OUA et est composée du commandant de la force et de tout le personnel placé sous son commandement par les Etats membres ». Ce rattachement direct de la F.I.A. à l’OUA permettait à ses éléments de jouir des avantages attachés à l’exercice de toute fonction publique internationale. 2. La protection internationale de la F.I.A. Bien que demeurant dans leur service national d’origine, les personnels de la F.I.A. constituaient, pour la durée de leur affectation, « un personnel international sous l’autorité de l’OUA » comme le stipulait le point V (a) de l’accord de Nairobi. Dans la terminologie de l’OUA, Mme KAMTO classe ce personnel dans la catégorie des experts en mission pour l’organisation (16). Les agents de la F.I.A. étaient à ce titre soumis au principe de l’indépendance que soulignait l’accord : les effectifs de la force « rempliront ses fonctions et se conduiront en ayant en vue les intérêts de l’OUA ». Pour l’accomplissement de sa mission, la F.I.A. devait bénéficier des privilèges et immunités diplomatiques nécessaires pour assurer son indépendance. Le statut de la Force le précisait en ces termes : « en tant qu’organe annexe de l’OUA, la Force jouit du statut, des privilèges et immunités dont jouit l’organisation. L’entrée sans taxes ni restrictions du matériel et des approvisionnements de la Force, ainsi que des effets personnels dont les effectifs ont besoin de par leur présence au Tchad s’effectue conformément aux dispositions détaillées devant être prises par le gouvernement tchadien ». Ce point du statut mentionnait également l’immunité fiscale au profit du personnel de la F.I.A. qui bénéficiait en outre de la protection juridique de l’organisation. Tous ces avantages étaient assortis des restrictions traditionnelles : les agents de la F.I.A. devaient s’abstenir de toute action incompatible avec la mission de celle-ci. Mais les moyens limités de l’opération ne permettant pas à l’organisation de contracter une assurance couvrant le personnel de la Force en cas de décès, blessures ou maladies 15 Voir Francis VANGAH WODIE, L’organisation de l’Unité africaine et le maintien de la paix, Contribution à la rencontre internationale de Libreville (14-19 Mars 1989), Actes in L’Afrique, l’OUA et le nouvel ordre juridique, p. 80. Cependant dans sa thèse, Mme KAMTO opte pour une multiplicité de fondements juridiques car chacune des résolutions jusqu’à l’accord de Lagos a concouru à sa manière à la création de la F.IA. ; voir Mme KAMTO née Fantchom Wega Suzanne Julie, Les tentatives internationales de règlement pacifique du conflit interne du Tchad, Thèse, Université de Yaoundé/IRIC, 1990, pp. 248-249. 16 Op. cit., p. 258. 6 7 pendant le service, chaque élément de la F.I.A. devait le cas échéant être pris en charge par son pays d ‘origine. Cette limite ne devait pas être la seule à réduire l’efficacité de la Force sur le terrain. II. LA F.I.A. : un rôle controversé L’apparente cohérence de l’architecture F.I.A. cachait mal nombre de points sur lesquels l’accord était loin d’être parfait. Il ne suffisait pas de prescrire une mission de paix à une force constituée pour que dans le concret, ses attributions ne fassent pas l’objet d’ambiguïtés. Une profonde controverse se souleva sur le mandat de la F.I.A. alors que la faiblesse de ses moyens ne pouvait lui permettre de jouer le moindre des rôles que les acteurs opposés voulaient chacun en ce qui le concerne lui imprimer. A. La controverse sur le mandat de la F.I.A. La première qualité d’une force de paix réside dans une définition sans équivoque de ses missions, de son mandat. Comme le fait remarquer I. GAMBARI, il est important que les termes du mandat de la Force soient clairs et qu’il soit possible de le remplir. Car l’imprécision en l’occurrence est la porte ouverte à la confusion et à l’aggravation de la crise (17). Mais l’accord ne put se faire sur le sens du mandat de la F.I.A.. Car la lettre du statut n’avait pas la même signification pour tous les acteurs impliqués dans le drame tchadien. 1. La lettre de l’accord de Nairobi La résolution AHG/RES-102 (XVIII)/ReV.1 adoptée par la XVIIIè Conférence au Sommet de l’OUA tenue à Nairobi (24-27 Juin 1981) parlait d’une « force qui assurera la défense et la sécurité du pays en attendant l’intégration des forces gouvernementales ». Quant à l’accord sur le statut, son point III fixait les missions de la F.I.A. en des termes qui se voulaient clairs : « la Force de maintien de la paix a pour rôle de prévenir, de contenir et de tempérer les hostilités au Tchad ou d’y mettre fin, ainsi que d’assurer la sauvegarde de l’Etat du Tchad grâce à l’utilisation des forces multinationales composées d’éléments de police et de civils. Elle contribuera, en outre, à aider le gouvernement tchadien à la formation de l’armée nationale intégrée ». Cette disposition définit donc un triple rôle pour la F.I.A. : - sur le plan militaire, parvenir à une cessation complète des hostilités, au besoin en faisant usage des moyens de contrainte mis à sa disposition ; - du point de vue de la sécurité, garantir la stabilité de l’Etat ; - une fonction d’assistance s’y ajoutait : la F.I.A. devait aider le gouvernement à rebâtir l’armée nationale écartelée entre les factions en lutte. Dans un cas comme dans les autres, le GUNT restait le partenaire légal de la F.I.A.. Car c’est avec lui que l’accord sur son statut avait été signé, conformément au « principe du consentement et de la demande » (point IV de l’accord). Cependant, le Président GOUKOUNI OUEDDEI et l’OUA feront chacun une lecture différente de ce texte et ne s’entendront finalement pas sur le mandat de la F.I.A. 2. L’interprétation des acteurs L’accord de Nairobi liait d’une part le GUNT et de l’autre l’OUA à travers son Président en exercice, Daniel ARAP MOI, Chef de l’Etat kenyan et son Secrétaire Général, M. EDEM KODJO. La durée de la mission fixée à six mois renouvelable ne souleva aucun problème de fond. C’est sur le sens même de cette mission que les avis se divisèrent. Pour le GUNT, la F.I.A. devait avoir un rôle actif et prendre éventuellement part au combat. C’était, semble-t-il le sens des termes « contenir », « tempérer », « mettre fin » aux hostilités. M. GOUKOUNI OUEDDEI était d’autant plus enclin à y croire que la F.I.A. était censée remplacer les troupes 17 Ibrahim A. GAMBARI, Le rôle de l’intervention étrangère dans la reconstruction en Afrique, in I. William ZARTMAN (Dir.), L’effrondrement de l’Etat, désintégration et restauration du pouvoir légitime, Nouveaux Horizons, 1995, p. 249. 7 8 libyennes qui avaient joué activement ce rôle (18). Il n’avait du reste consenti à l’évacuation de ces dernières que sous la promesse de ses pairs réunis à Nairobi que la F.I.A. se substituerait effectivement à elles. Cette promesse que la F.I.A. devait défendre le GUNT avait été réitérée au cours du Sommet franco-africain tenu à Paris en novembre 1981. Pourtant les Libyens partis, c’est un autre discours que le chef du GUNT allait entendre. En effet, de leur côté, le Secrétaire Général de l’OUA, M. EDEM KODJO et son représentant personnel au Tchad développèrent des principes en deçà des attentes du GUNT : - la F.I.A. ne pouvait utiliser ses armes qu’en cas de légitime défense. Elle n’avait pas de fonction coercitive ; - elle avait une fonction conservatoire et ne pouvait pas combattre aux côtés de l’une quelconque des factions armées. Cette interprétation est assez curieuse. D’abord elle met le GUNT et les FAN sur un pied d’égalité, alors même que ces dernières se sont rebellées contre le premier à qui l’OUA a elle-même et formellement apporté sa reconnaissance et son soutien (Accords de Lagos et de Nairobi). C’est du reste avec le GUNT que l’accord de Nairobi sur le statut de la F.I.A. avait été signé ( 19). Ensuite dans un contexte de guerre où l’une des parties refuse d’appliquer le cessez-le-feu, comment faire la paix sans au préalable faire la guerre, ou au moins montrer, aux uns et aux autres qu’on est disposé à le faire le cas échéant ? Pourtant, le Ministre sénégalais de la Défense accentuera le clair-obscur en affirmant que le bataillon sénégalais allait servir l’Etat tchadien, sans pour autant prendre parti pour telle ou telle faction, encore moins se battre contre telle ou telle autre. On peut dès lors comprendre le Chef du GUNT lorsqu’il déclarera que la F.I.A. ne sert à rien (20) : « la F.I.A. doit nous épauler dans notre combat contre les FAN qui se sont rebellées contre le gouvernement légitime. Sinon sa présence ne se justifie pas » (21). GOUKOUNI menacera même de faire de nouveau appel à la Libye si la mission de la F.I.A. n’était pas définie dans le sens qu’il souhaitait. Mais le Colonel coupa court en déclarant qu’il n’était pas question pour lui d’envoyer à nouveau ses troupes au Tchad. Dans ces conditions, c’est à contre cœur que GOUKOUNI devait consentir à accueillir une F.I.A. qui ne le rassurait pas du tout. La suite allait malheureusement confirmer ses craintes. B. Les difficultés dans l’action Sur le terrain des hostilités, l’action de la F.I.A. n’a été ni cohérente, ni claire. L’incohérence procède de ce que les activités de la Force de maintien de la paix ne semblait s’ordonner sur aucun but précis. Les failles dans la coordination réduisait la lisibilité du rôle de cette force qui semblait parfois mêler neutralité et indifférence. 1. Les difficultés d’organisation et de fonctionnement La FIA sera mise en place dans un désordre qui augurait d’un fonctionnement défectueux. a. Une mise en place désordonnée D’un point de vue chronologique, la force de maintien de la paix arrive trop tôt sur le terrain. A la miOctobre 1981, sous la pression intensifiée des pays africains et des puissances occidentales (France, USA), Tripoli et N’Djaména lâchent du lest par rapport à la question de la présence des troupes libyennes au Tchad. Le Colonel KADHAFI annonce qu’il est prêt à retirer ses soldats au Tchad si le GUNT lui en fait la demande. Nul n’y croit. Mais le prenant au mot, un Conseil de Ministres du GUNT tenu le 29 Octobre 1981 décide le départ des troupes libyennes, avec échéance au 31 Décembre suivant. 18 A.F.P., 17 Novembre 1981. Ch. JAYLE, Lettre africaine, 5 Janvier 1982. 20 Cités par R. BUIJTENHUIJS, op. cit., p. 218. 21 Cité par Guy Jérémie NGANSOP, op. cit., p136. 19 8 9 Mais voilà que le 3 novembre, alors que le Président du GUNT se trouve en visite officielle à Paris avec son Ministre des Affaires Etrangères dans le cadre du Sommet franco-africain, le Guide de la révolution libyenne annonce le retrait de ses troupes. La surprise est d’autant plus grande que moins d’une semaine plus tard, il ne reste plus un seul militaire libyen sur le sol tchadien en dehors bien sûr, de la bande d’Aouzou. A ce moment précis, rien n’est encore prêt pour la mise en œuvre de la F.I.A. La Commission de l’OUA chargée de rassembler les contributions en hommes et en matériels pour rendre effective la Force. est prise de court. Au plan diplomatique, le GUNT et le Secrétaire Général de l’OUA n’ont pas aplani leurs divergences sur le rôle de la Force. Des chicanes de pré-séance opposent par ailleurs le Kenya qui assure la présidence de l’OUA, le Nigeria qui , outre qu’il a joué un rôle de premier plan dans la recherche d’une solution au problème tchadien (voir les deux accords de Kano, et celui de Lagos) fournit le plus gros des effectifs par rapport aux autres Etats. Le Président ARAP MOI veut la direction de la Force que lui dispute le Nigeria. Ce dernier veut en outre que tous les contingents soient rassemblés sur son territoire afin d’être acheminés au Tchad comme force constituée et cohérente. C’est dans ce contexte d’imprécision et d’incertitude que, passant outre les tergiversations, Kinshasa envoie ses premiers éléments le 15 novembre alors que les négociations sur le déploiement de la force courent toujours. Celles-ci prendront fin dans la précipitation car deux semaines plus tard, le 3 décembre arrive le second contingent zaïrois. Entre temps, les troupes sénégalaises ont débarqué le 27 novembre. Tout le monde attendra le 07 décembre pour voir arriver le contingent nigérian. Les modalités de leur déploiement n’étaient pas précisées (leur répartition sur le territoire national notamment). De tout cela procédera un déficit de coordination. Finalement, il fut décidé que le Tchad serait divisé en trois zones, occupée par chacun des contingents nationaux constituant la F.I.A. La région Nord fut confiée aux troupes zaïroises. Le Nigeria fut chargé de quadriller les zones orientale et méridionale. Le centre fut confié au Sénégal. Pour autant, tous les écueils n’étaient pas surmontés. b. Un fonctionnement défectueux Les moyens matériels n’étaient pas réunis à suffisance au moment où la F.I.A. devait entrer en action sur le terrain. Si la défection du Bénin, de la Guinée et du Togo n’avait pas remis fondamentalement en cause la formation en hommes de la F.I.A., des problèmes logistiques et financiers allaient rendre difficile son opérationalité. A la suite de l’appel de Cancun dans lequel le Président MITTERAND exhortait l’OUA à constituer et à envoyer au Tchad une force de maintien de la paix, un article paru dans le Times du 24 Octobre 1981 faisant remarquer que « des officiels de l’OUA disent en privé que beaucoup de détails concernant le financement et d’autres aspects doivent encore être réglés. Et ils considèrent comme trop optimiste l’opinion de M. MITTERAND que la force pourrait être constituée et partir sur le terrain rapidement ». En effet, le budget trimestriel de la F.I.A. tel que établi par le Secrétariat général de l’OUA s’élevait à 35.249.000 de dollars arrondis à 163 millions de dollars par an. La collecte des fonds fut si laborieuse que les représentants de l’OUA soumirent au Secrétariat des Nations Unies une demande de soutien logistique et financier à la F.I.A.. Le 2 décembre 1981, l’OUA renouvela cette demande par la voix de son Président en exercice. La lettre signée de Daniel ARAP MOI sollicitait une assistance financière, matérielle et technique de l’ONU à la F.I.A. « dans sa difficile tâche de déploiement, de maintenance et d’opération de cette force de maintien de la paix ». Devant le silence gardé par les Nations Unies, le GUNT saisit à son tour le Conseil de sécurité qui adopta le 30 Avril 1982 une résolution n° 504 créant un fonds d'assistance à la F.I.A. qui serait alimenté par des contributions volontaires. A ce stade, les volontés se montrèrent moins spontanées que lors du vote de la résolution. La F.I.A. ne reçut pratiquement rien. 9 10 Le problème des moyens logistiques avait été abordé au cours de la conférence de Lagos qui avait réuni les Ministres des Affaires étrangères des pays susceptibles de participer à la Force. Il fut décidé que chaque pays assurerait lui-même dans un premier temps l’approvisionnement de son propre contingent en ce qui concerne les armes, les véhicules et le ravitaillement des troupes. Une controverse opposa EDEM KODJO à Daniel ARAP MOI au sujet de l’aide extérieure. Au nom du principe de l’indépendance de l’organisation, le premier était opposé à toute aide extraafricaine, alors que le second au nom du réalisme sollicitait une assistance des Etats-Unis. Les deux autorités panafricaines s’accordèrent par la suite sur une position de conciliation : le Secrétariat Général se chargerait de la coordination des aides que chaque Etat membre obtiendrait de ses partenaires selon une procédure qui devait rester dans un cadre bilatéral. Ainsi le Zaïre reçut l’aide la France et des Etats-Unis, le Sénégal reçut celle de la France et le Nigeria le concours de la Grande-Bretagne, de la RFA et des Etats-Unis. Pour le Nigeria, la note fut particulièrement salée. Le gouvernement de Lagos contracta une dette d’un montant de 80 millions de dollar qui ne fut jamais remboursée et qu’il dut faite passer au rang des pertes sèches (22). Finalement, l’OUA rassembla des moyens épars et globalement insuffisants tant auprès des Etats africains que des puissances occidentales. La question des moyens financiers et logistiques illustra le paradoxe d’une force régionale dans son essence, mais dont l’opérationalité dépendait des soutiens extérieurs (23). Dans ces conditions, la mission était fort mal partie. 2. La difficile neutralité Si la neutralité est la première caractéristique d’une force de paix, en raison de la nécessité de rassurer tous les belligérants à la fois, il faut reconnaître avec I. GAMBARI que les actions internationales dans le cadre des opérations de restauration et de maintien de la paix ne sont jamais neutres, ni dans leurs motivations, ni dans leur impact (24). En l’occurrence, R. BUITENHUIJS notait que les trois pays participant à la F.I.A. n’avaient jamais caché leur sympathie pour HISSEIN HABRE (Zaïre, Sénégal) ou leur antipathie pour la Libye (Nigeria) et soupçonnait de leur part une complicité en faveur des FAN (25). Sur le terrain, l’attitude des différents contingents dans leurs zones d’action respectives n’était pas pour démentir des accusations de partialité. Il est vrai que, le Général nigérian commandant de la F.I.A. avait déclaré que ses « troupes écraseraient les FAN si celles-ci tentaient de s’infiltrer dans les zones tenues par elles » (26). Les hommes d’HISSEIN HABRE soupçonnèrent du reste la F.I.A. de servir de bouclier au GUNT qui après avoir lancé ses attaques, se réfugie derrière ses lignes. Mais très vite une série d’agissements des hommes de la force panafricaine vont trahir leur partialité pro-FAN. Déjà le vide laissé par le départ des forces libyennes avant la mise en place de la F.I.A. permit aux FAN de lancer des offensives et de gagner du terrain dans diverses localités du Nord du pays, à Abéché notamment. Ensuite, comme les soldats de l’OUA avaient ordre de ne tirer que s’ils étaient attaqués (principe de légitime défense) les FAN évitèrent systématiquement leur chemin, ainsi que les localités tenues par eux. Ensuite, le retard accusé par les contingents de la F.I.A. dans l’occupation de leurs zones respectives permet aux FAN de les devancer. A Faya Largeau par exemple, les contingents de la F.I.A. arrivent et constatent que les FAN se sont ralliées la ville. Il en fut de même à Sahal, Mousouro, Fada, Ounianga-Kébir et An-Dam. Ce laxisme de la force panafricaine tourne à 22 Ibrahim A. GAMBARI, op. cit., p. 246. Jean-Claude GAUTRON, op. cit., p. 488. 24 Ibrahim A. GAMBARI, op. cit., p. 237. 25 R. BUIJTENHUIJS, L’art de ménager la chèvre et le chou, la politique tchadienne de François MITTERRAND, in Politique Africaine, op. cit., p. 107. 26 Cité par Guy Jérémie NGANSOP, op. cit., p. 137. 23 10 11 l’indifférence lorsqu’en Mai 1982, ses responsables s’écartent volontairement de certaines localités qu’ils tiennent et les laissent tomber aux mains des rebelles. Bien plus, le GUNT peut crier au complot lorsque dans la localité d’Ati, la F.I.A. l’invite à retirer ses troupes à 50 km de la ville avant d’y laisser entrer les soldats des FAN. Etrange neutralité qui ressemble fort à une complicité comme l’a suggéré plus tard GOUKOUNI OUEDDEI (27). Neutralité, passivité et « complicité » auront marqué l’action de la force panafricaine au Tchad. En fait elle aura laissé le conflit tchadien se poursuivre. Elle en a même été témoin comme le fait remarquer Jean-Claude GAUTRON (28). Il en sera ainsi jusqu’à l’entrée triomphale des FAN et d’HISSEIN HABRE à N’Djaména le 7 Juin 1982. GOUKOUNI OUEDDEI aura le temps de crier à la trahison de l’OUA et de la France avant de prendre le chemin de l’exil. La F.I.A. qui aura accompagné ces événements quitte le Tchad à la fin du mois de Juin. Le pouvoir avait changé de main, mais la paix n’était pas revenue. CONCLUSION Lorsqu’il quitte la capitale tchadienne le 25 juin 1982, le Général EJIGA, commandant de la F.I.A. déclare : « nous n’avons pas tiré un seul coup de feu » (29). On pouvait cependant se demander laquelle de ses missions cette force avait accomplie. Le GUNT avait perdu le pouvoir, mais la paix était lointaine comme les mois suivants allaient le confirmer. La reconstruction du pays n’était pas amorcée. L’Armée Nationale Intégrée (ANI) n’avait pu être constituée. On pouvait noter avec BIYOYA l’échec de l’expérience tchadienne et l’attribuer non seulement aux difficultés financières et logistiques, mais aussi aux divergences des Etats sur le rôle de la force et à l’obligation de recourir à la logistique occidentale. Toute chose qui retarda la mise en place des différents contingents et permit à l’une des parties de prendre un avantage sur le terrain (30). En revanche, la Force aura joué quelques fonctions latentes (31) : - Elle a favorisé une endogénisation du conflit en obtenant le départ des forces étrangères au moins durant son mandat ; - La Force a également favorisé l’émergence diplomatique de HISSEIN HABRE qui en a profité pour mener une campagne de séduction auprès des Etats africains bien avant sa prise de pouvoir. Mais dans le fond, l’échec global de la F.I.A. devait occasionner la reprise des hostilités une fois que le vaincu eut reconstitué son potentiel militaire. 27 In Afrique-Asie, 13 septembre 1982. A.F.P., 25 juin 1982. 29 Op. cit., p. 491. 30 M.K. BIYOYA, op. cit., pp. 161-162. 31 J.C. GAUTRON, op. cit., pp. 490-492. 28 11